UNE “SAINTE”
DES FRANCHES -
MONTAGNES
Converse
du monastère de l’Annonciade de Pontarlier
15 août 1596 – 6 décembre 1625
Bibliothèque - Saints du Jura - Chapelle Notre-Dame du Vorbourg - Hagiographie
Jeanne
Froidevaux est née le 15 août 1596 au village de La Bosse près de Saignelégier
dans le canton du Jura en Suisse. A l’époque c’était la Franche-Comté de
Bourgogne. Elle entre le 2 juillet 1619 au monastère de l’Annonciade de
Pontarlier sous le nom de sœur Marie-Hyacinthe. Elle reçoit l’habit bleu des
“Célestes de Pontarlier” le 27 décembre de la même année et fait sa profession
le même jour de l’année suivante. Elle demeure converse et ses vertus sont
vites reconnues. Elle meurt le 6 décembre 1625.
La
chapelle de la Bosse perpétue sa mémoire. Un premier édifice est construit en
1719 et dédié à « la Sainte de la Bosse ». Sur ses bases la chapelle
actuelle est bâtie en 1898 par les communautés de la Bosse et du
Praissalet ; elle est dédiée à Notre-Dame de Lourdes. D’inspiration
néogothique, elle abrite un mobilier précieux, notamment une Vierge à l’Enfant
que l’on date de la fin du XVIIe siècle, d’autres statues représentant Sainte
Jeanne, Saint Urbain et celle enfermée dans un coffret vitré de Saint Jérôme.
Le bénitier est daté de 1719. Actuellement on y célèbre la messe une fois par
mois en été ; on y récite le chapelet, on s’y marie.
Aux Franches-Montagnes, on voue un culte à « Sainte Jeanne de la Bosse » pendant plusieurs siècles. La canonisation de sœur Marie-Hyacinthe était demandée par toutes les communautés de la région, mais malheureusement la Révolution française et la ruine de la Principauté de nos évêques vinrent arrêter le vœu général, alors que le curé Maître de Saignelégier s’apprêtait à requérir l’ouverture du procès. A ce jour aucune démarche pour obtenir sa béatification n’a été faite.
Voici la transcription
d’une partie d’un cahier écrit par une sœur peu de temps après la mort de sœur
Marie-Hyacinthe. Ce cahier contient les documents suivants :
– Abrégé de la vie de Sr M. Hyacinthe. Ses
vertus et les grâces que Dieu lui a communiquées
Sr Marie Hyacinthe naquit au village de la Bosse, près de Pontarlier, de parents honorables et craignant Dieu qui étaient assez favorisés des biens temporels, suivant leur condition. Elle s’appelait Jeanne Froidevaux. Sa mère a raconté plus d’une fois en secret à une sœur que cette enfant encore dans les langes, prenait le lait deux fois par jour seulement les mercredis et les vendredis (1). Dès le berceau elle fut entourée de la protection de Notre-Seigneur et de sa très sainte Mère. Dès l’âge le plus tendre, et encore sur les bras de sa mère, elle eut l’usage de la raison et sut distinguer le bien du mal. Aussi, voyait-elle quelque accident fâcheux, comme incendie ou autre, elle savait en tirer du fruit et craindre les jugements divins par la permission desquels ils arrivaient. Sa vie n’était qu’une suite d’actes vertueux. A l’âge de sept ans, elle fit le vœu de virginité et commença à jeûner et à employer une grande partie de son temps à l’oraison. Les jours de communion, elle ne prenait aucun aliment, et si sa mère l’obligeait à manger, elle en était malade à rester au lit. Mais après son entrée en religion, elle s’accommoda à la vie commune, pour le vivre comme pour les autres choses, et ne fit jamais paraître aucune singularité.
(1) A propos de ce type de jeûne, le R.P. Hilaire Duesberg, OSB , ressortissant belge éminentissime, académicien de ce glorieux royaume, traducteur de la Bible de Jérusalem (Proverbes et Ecclésiastique) et qui passa une longue période en notre communauté à ses débuts, avait une thèse bien particulière et du plus haut intérêt : C'était disait-il parce que "ça" avait le goût de poisson, en particulier le vendredi... Au lecteur de juger !
Ayant entendu dire qu’on allait la
marier, elle en conçu une vive douleur, et pour éviter ce coup, sorti
secrètement de la maison paternelle et se retira chez une parente qui habitait
à quatre ou cinq milles de là. Ses parents, très affligés, après plusieurs
recherches, découvrir enfin le lieu de sa retraite ; ayant appris que son
dessein était de se faire religieuse, ils s’y opposèrent. Alors la jeune fille
eut recours à la prière pour obtenir de connaître la volonté de Dieu en une
affaire si importante. Elle eut une révélation dans laquelle elle connut
qu’elle devait avoir bon courage et qu’elle conserverait sa virginité. Après
cette révélation, elle sembla extérieurement consentir au mariage ;
cependant elle dit à ses parents et au prêtre de faire ce qu’ils voudraient ;
que, pour elle, elle n’y consentirait jamais intérieurement. Si elle agit
ainsi, ce fut pour éviter de nombreux inconvénients, des différents, des rixes
qui menaçaient d’éclater.
Le noces se célébrèrent donc avec
autant de joie des assistants que d’affliction de la nouvelle épouse,
tourmentée par la crainte de perdre sa virginité. Durant qu’elle vécut chez son
époux, on ne put la consoler. Les personnes de la famille, pieuses elles-mêmes,
en avaient compassion et, pensant que sa grande répugnance et ses larmes
venaient de la tendresse de son âge, l’aidaient à fuir son mari qui ne lui fit
jamais aucune violence. Pendant six semaines, cependant, elle vécut avec son mari,
et par une faveur spéciale de Notre-Seigneur, elle ne perdit pas le riche
trésor de sa pureté virginale. La déposition qu’elle et son mari en firent par
serment est conservée dans les archives du monastère de l’Annonciade de
Pontarlier. Six mois s’étaient écoulés depuis le mariage de Jeanne lorsqu’elle
s’aperçut que sa manière de vivre n’était plus supportée des gens de la maison
comme elle l’avait été jusqu’alors, c’est pourquoi le jour de la fête de S.
Jean l’Évangéliste dont elle portait le nom et qui fut, plus tard, celui où
elle fit sa profession religieuse, elle s’enfuit en grande hâte chez ses
parents où elle demeura quelque temps. Puis, les deux époux furent conduits à
l’Ordinaire, afin que d’un commun consentement, ils fussent séparés. Mgr l’évêque
de Bâle qui vit Jeanne à Porrentruy, la recommanda avec affection à son père et
lui indiqua quelques moyens pour la faire entrer dans un monastère d’Allemagne.
Mais les desseins de Dieu sont bien différents de ceux des hommes. Il fit voir
en songe à Jeanne les Annonciades de Pontarlier ; Les premières qu’elle
vit étaient en plus grand nombre et il lui sembla que sa place n’était pas
marquée parmi elles. Elle en vit ensuite d’autres moins nombreuses un peu à
l’écart : c’étaient les sœurs converses, et elle eut l’espoir d’être
admise dans leurs rangs. A son réveil, elle se trouva toute joyeuse.
Quelques années après, elle
obtenait enfin cette grâce au monastère de Pontarlier. Les religieuses sachant
qu’elle avait vécu dans l’état du mariage, ne l’admirent qu’après avoir, par un
sérieux et rigoureux examen, éprouvé sa vocation.
Durant son noviciat, Dieu la
combla de consolations, au rapport de la maîtresse des novices. Celle-ci a
raconté beaucoup de choses au sujet de ces visites célestes, je me contenterai d’en
rapporter quelques unes.
Parfois, pour l’éprouver, on lui
défendait de communier, et souvent alors Notre-Seigneur venait la communier
lui-même. La sainte Vierge l’aidait à balayer le réfectoire, à faire le pain,
la cuisine ; d’autres fois elle faisait découler sur elle de son précieux
lait, en manière d’aspersion, ou bien l’Enfant Jésus se montrait à ses côtés.
Marchant dans cette voie extraordinaire, les exercices de mortification, par
une disposition divine, ne lui firent pas défaut. Le noviciat, en effet, est la
pierre de touche où l’on distingue l’or pur et vrai du faux, le champ de
bataille où l’on fait une guerre continuelle aux passions et aux mauvaises
habitudes apportées du siècle, la maison de pain où se prépare la provision de
biscuit pour la longue navigation de toute la vie, une école de perfection, où
l’on s’applique aux saintes vertus propres à l’Institut et où tout ce qui
s’écarte des règles ordinaires est soigneusement vanné. C’est pourquoi les Supérieurs
commencèrent à entrer en quelque soupçon au sujet de Sr M. Hyacinthe et à
l’examiner attentivement. On communiqua tout ce qui la concernait à une
personne non moins docte que pieuse et prudente dans le discernement des
esprits. Mais la bonne Sœur n’avait pas encore le don ni la facilité d’exprimer
ce qui se passait dans son intérieur, ignorant les termes propres pour
expliquer ce qu’elle éprouvait et que Dieu opérait en elle ; l’esprit qui
l’animait paru suspect, on lui commanda de résister à ses visions, de n’en
tenir aucun compte et de les regarder comme des illusions du démon. La personne
qui l’examina ayant porté ce jugement après lui avoir parlé plusieurs fois,
jugea ensuite à propos de faire faire une confession générale pour que le malin
esprit eût moins de puissance sur elle. C’est ainsi que Dieu voulut d’abord
l’éprouver, bien que son esprit fût bon comme on le reconnu plus tard. En
effet, le même directeur ayant eu une nouvelle occasion de l’entretenir,
découvrit en elle une facilité plus grande et plus de netteté dans ses réponses
lorsqu’elle exposait l’état de son âme tant au regard du passé que pour ce
qu’elle éprouvait alors ; il changea de sentiments, fut persuadé et assura
qu’elle était conduite par l’esprit de Dieu. D’autres prêtres, savants et
expérimentés en pareille matière, partagèrent cette opinion ; en autre les
RR. PP. Bonival et Parandier de la Cie de Jésus, lesquelles
assurèrent, après lui avoir parlé plusieurs fois, qu’ils ne découvraient rien
en elle qui ne vint de Dieu. Le R. P. Jacquinot, provincial de la Cie
de Jésus, homme très pieux et très instruit, souscrivit à ce jugement. Il avait
été présenté par le confesseur des religieuses à la Supérieure, et, sur les
instances de cette dernière, avait examiné Sr M. Hyacinthe ; il s’était
informé de tout ce qui ses passait dans son intérieur, de sa manière de vivre
dans le siècle et demeura stupéfait de son éminente vertu et des grâces dont
Dieu l’avait enrichie. Par dessus tout, il admira comment cette divine grâce
lui avait miraculeusement conservé parmi de si grands périls le précieux trésor
de sa virginité, et ne se lassait pas de remercier Notre-Seigneur des faveurs
accordées à cette âme.
Mais avant que les Pères de la
Cie eussent ainsi approuvé l’esprit de Sr M. Hyacinthe, il se passa bien cinq
ou six ans, durant lesquels les épreuves et les mortifications ne lui
manquèrent pas. Par ordre des Supérieurs, elle ne devait pas, dans ses
oraisons, s’arrêter aux choses auxquelles elle se sentait intérieurement
portée. A cet effet, on lui donna pour maîtresse une sœur converse, d’une
prudence reconnue, qui, chaque jour, lui proposait les point de sa méditation.
Ce fut pour elle un rude exercice, comme elle le raconta depuis, car alors elle
était puissamment attirée par Dieu à d’autres matières. Cet attrait la
distrayait grandement des points assignés par sa directrice. Ainsi
s’éprouvaient sa patience et son humilité. Enfin, une fois sa vertu connue, on
lui permit de suivre les mouvements de l’Esprit Saint qui opérait en son âme
des merveilleux effets. Tous ceux qui la guidèrent, supérieurs, confesseurs ordinaires
et extraordinaires en eurent connaissance. Citons en particulier le R.P. Parisot,
jésuite qui lui servit de guide durant cinq ans. Ce Père déclara d’abord
vouloir prendre son temps, et ne pas approuver ni improuver facilement l’esprit
de la bonne sœur avant d’en avoir fait l’expérience. De temps en temps, il
s’informait de sa conduite auprès des religieuses, et, d’après leurs bons
rapports, comme aussi d’après la longue expérience qu’il acquit lui-même de sa
vertu, il en conçu une haute idée et conserva une admiration profonde des
faveurs que Dieu accordait à cette âme privilégiée. C’est, du reste, ce qu’il
écrivit lui-même aux Mères de Pontarlier après la mort de Sr M. Hyacinthe.
Parmi les vertus qui brillèrent en
elle d’un plus vif éclat, il faut mettre au premier rang une grande idée de
Dieu ; on la reconnaissait en elle à sa crainte d’offenser cette divine
Majesté et au soin qu’elle prenait de fuir la plus légère imperfection. Cette
crainte était accompagnée d’un très ardent désir de l’honneur et de la gloire
de Dieu. Son attitude dans la prière, soit vocale, soit mentale, était
admirable ; elle récitait toujours à genoux les chapelets prescrits par la
Règle, et cela avec tant de révérence que son aspect seul excitait à la
componction. Il est difficile de peindre la dévotion avec laquelle elle
entendit la messe jusqu’à la dernière période de sa vie. Cette haute estime de
la divinité procédait de la grande connaissance qu’elle en avait. Outre cette
connaissance de Lui-même, Dieu lui révéla encore plusieurs secrets touchant la
situation de l’Église et le résulta d’une affaire qui intéressait grandement
celle-ci. Elle avait également le don de la pénétration des cœurs et de
découvrir les illusions du démon, et par le moyen des confesseurs
extraordinaires, s’efforçait d’y porter remède, ne pouvant le faire elle-même,
vu la défense faite par la Règle de parler à d’autres qu’aux proches parents.
Elle distinguait les personnes qui étaient en la grâce de Dieu de celles qui
n’y étaient pas ; quelqu’un étant un jour en proie à la crainte à ce
sujet, elle l’assura que c’était sans raison et l’exhorta à marcher de l’avant
dans la voie du Seigneur. Elle connut encore que quelques personnes ne
correspondaient pas aux nombreuses grâces qu’elles recevaient de Dieu, et les menaça
de châtiment ou de la soustraction de ces mêmes grâces.
Elle prédit longtemps à l’avance,
divers accidents qui arrivèrent à plusieurs personnes, sans qu’alors rien ne
put le faire prévoir. Elle annonça encore le succès de quelques fondations,
particulièrement de celle de Dôle, bien qu’il se rencontrât de grandes
difficultés dans l’établissement de ces diverses fondations, et prédit également
leur progrès. Parfois elle priait ses Supérieurs de conseiller certaines personnes
au sujet d’une affaire importante où il y allait de l’honneur et de la gloire
de Dieu, et cela plusieurs années avant l’événement, espérant par le moyen de
ces avis obvier à de nombreux dangers. Elle prédit le grand développement de
son Ordre comme aussi qu’il durerait très longtemps grâce aux Exercices de
Saint Ignace que la Règle prescrit de faire chaque année et dont les
religieuses retirent beaucoup de fruits et d’avantages.
Elle avait, en outre, le
discernement des esprits, connaissait les talents et les vertus de chacune de
ses sœurs, leur habileté dans le gouvernement, l’administration ou les autres
offices de la maison, et, en effet, toutes réussirent merveilleusement dans
leurs emplois, selon le jugement qu’elle en avait porté. A une religieuse, fort
tourmentée de la crainte d’être élue prieure, elle dit d’avoir bon courage et
de se conformer à la volonté de Dieu qui voulait l’élever à cette dignité,
selon qu’il lui avait été révélé sept ou huit mois auparavant. La Mère M. Jeanne Baptiste lui apparut après sa mort,
comme on le verra dans sa Vie.
Elle eut beaucoup d’autres
révélations que son humilité lui fit tenir secrètes, et ce ne fut que son zèle
pour l’honneur de Dieu qui l’obligea à en découvrir quelques unes à ses
confesseurs et à ses supérieures. Outre les grâces qu’on vient de lire et la
familiarité qu’elle eut avec Dieu, elle possédait encore dans degré éminent
l’amour divin. Douée également d’un tendre amour pur la très sainte Vierge,
elle n’en reçu pas moins de faveurs que de son divin Fils. Un jour, entre
autres, qu’elle était malade depuis plusieurs jours, la supérieure vint la
visiter et lui demanda comment elle se trouvait. « Mieux » répondit
Sr M. Hyacinthe. La Mère prieure sachant bien que naturellement son état ne
pouvait s’être aussitôt amélioré, s’informa si, par hasard, elle n’aurait pas
été favorisée de quelque céleste visite. La bonne sœur dut avouer que la sainte
Vierge était venue la voir, accompagnée d’une grande troupe d’Anges, et que, la
touchant, elle lui avait rendue la santé. Cette faveur produisit en son âme une
charité plus ardente, une humilité plus profonde et d’autres effets admirables
comme elle-même le confessa dans la suite.
Sa dévotion envers le très saint
Sacrement était on ne peut plus grande, son désir de s’en approcher très
ardent ; aussi ressentait-elle jusqu’au vif les refus qu’on lui en faisait
parfois, quoiqu’elle les supportât toujours avec calme et patience. Cette faim
chez elle, naissait de son amour pour Notre-Seigneur et des nombreuses grâces
qu’elle en recevait dans la communion. Grande était sa charité envers le
prochain ; étant encore dans la maison paternelle, tout son plaisir
consistait à rassembler un grand nombre de pauvres, à le servir et à leur
donner à manger. En religion, elle se mit avec une admirable charité au service
des malades, se montrait infatigable à leur prodiguer ses soins et ne pouvait
les laisser quitter l’infirmerie avant leur complète guérison. Elle avait à un
haut degré l’esprit de retraite et de recueillement, cependant, elle faisait
passer la charité avant son plaisir et ses intérêts ; même aux heures accordées
par la Règle pour se retirer dans les cellules, ne voulant pas laisser aux
autres le soin des infirmes, elle s’offrait à ces heures-là. Cette charité
s’étendait à tout ; voyait-elle une sœur mélancolique ou ennuyée, après
avoir obtenu la permission de lui parler, elle le faisait avec tant de bonté,
de prudence, de bienveillance que la sœur en était aussi édifiée que consolée.
Elle était animée d’un zèle extraordinaire
pour le bien commun et l’observance des règles ; aussi rien ne la rendait
joyeuse comme de voir toute ses sœurs exactes à cette observance et appliquées
à leur avancement spirituel.
D’une famille aisée et honorable,
mais plus recommandable encore par la vertu et la piété et où les pauvres
étaient accueillis et bien traités, sœur M. Hyacinthe était plus accoutumée à
être servie qu’à servir elle-même. Cependant, par une révélation divine, elle
choisit l’état de coadjutrice qui est un continuel exercice d’humilité ;
elle en remplissait les fonctions avec tant de plaisir et d’affection que sa
joie paraissait au dehors principalement dans les offices les plus bas de la
maison ; elle y apportait toute la ponctualité et la perfection possibles.
Egalement humble, elle cachait les dons et les faveurs que Dieu lui faisait,
parlait rarement de choses spirituelles, et, dans le conférences, si elle n’eût
été contrainte par l’obéissance, elle n’aurait pas ouvert la bouche.
Lorsqu’elle rendait compte de sa
conscience à ses Supérieurs, c’était en peu de paroles, et cela n’était pas le
fait de l’ignorance, car elle avait en partage un bon jugement et beaucoup de
prudence. Favorisée de dons célestes et de grâces actuelles en abondance, elle
ne différait en rien des autres à l’extérieur ; peu avant sa mort, elle
dit que le temps opportun de mourir était venu pour elle, parce que tous ceux
qui avaient une connaissance plus approfondie de son intérieur n’étaient plus à
Pontarlier, et elle s’en réjouissait dans l’espérance d’être toujours inconnue.
Elle se méprisait à cause de la profonde connaissance qu’elle avait
d’elle-même, et à un point qu’on ne saurait comprendre ; Dieu lui avait
communiqué le don d’une profonde humilité qui lui faisait estimer plus que tout
le reste sa vocation de sœur converse. Ses Supérieures lui ordonnèrent d’écrire
fidèlement tout ce qui se passait dans son âme ; quelque temps après, elle
brûla cet écrit pour ne laisser aucun souvenir d’elle à personne. D’une
obéissance rare et exacte, jamais elle n’y manqua en quoi que ce fût, au
contraire, elle se montra toujours prompte à exécuter ce qui lui était
commandé. Non moindre était son affection pour la sainte pauvreté qui parut
bien en toutes ses actions, dans sa cellule et dans toutes les occasions qu’elle
eut de l’exercer.
On vit briller sa magnanimité et
sa merveilleuse constance dans ses peines intérieures et ses maladies ;
son visage toujours serein indiquait la grande égalité de son âme dans
l’adversité comme dans la prospérité ; cette heureuse disposition se remarqua
surtout dans la longue épreuve de quatre ou cinq ans par laquelle on la fit
passer au début de sa vie religieuse ; jamais elle ne témoigna le moindre
ressentiment contre les personnes qui l’exerçaient ainsi, mais au contraire,
elle leur portait une vive affection.
Elle tenait toutes ses passions
mortifiées et sujettes à la raison, de là provenait sa grande pureté d’âme.
Elle exerçait la même mortification sur ses sens extérieurs qu’elle ne laissait
s’échapper en rien ; aussi n’est-ce pas merveille qu’elle fut une âme de
grande oraison.
Elle était ponctuelle et diligente
dans ses offices, malgré sa faible santé et la délicatesse de son
tempérament ; dissimulant autant que possible ses souffrances, elle ne
reculait devant aucun travail. Son union avec Dieu était continuelle, même dans
les occupations extérieures, et son maintien si bien composé en était l’indice.
Dans ses maladies, elle sut pratiquer une grande patience, s’efforçant de
prendre tous les remèdes qu’on lui donnait, même les plus répugnants à la
nature.
Une attaque d’apoplexie lui ayant enlevé la parole, on lui appliqua des remèdes violents pour détourner l’abondance des humeurs. La force de ces médicaments lui permettant de prononcer quelques mots, c’était toujours paisiblement et sans impatience, par suite des bonnes habitudes et de la mortification acquises. Enfin, après une longue maladie, Sr M. Hyacinthe mourut le 6 décembre 1629, jour de la fête de S. Nicolas, non sans une permission particulière de la Providence, car, dès sa plus tendre enfance, elle avait parfaitement imité ce saint dans sa pureté virginale et dans son abstinence. Elle rendit le dernier soupir avec un visage souriant et joyeux qu’elle conserva encore après sa mort. Elle était âgée de 29 ans et en avait passé 10 en religion. Son entrée avait eu lieu le 2 juillet, jour de la Visitation de l’an 1619, sa vêture le 27 décembre de la même année jour de S. Jean l’Évangéliste et sa profession le même jour de l’année suivante.
Costume des Annonciades dites Célestes de Pontarlier
Célestes sans doute à cause de la couleur bleue de ce costume, alors que les Annonciades fondées par Jeanne de France sont dites Annonciades rouges à cause de la couleur rouge de leur scapulaire.
Très Révérend Père,
Je vous remercie des nouvelle de Besançon et de Pontarlier que vous me données, particulièrement de m’avoir averti de la mort de la bonne Sr M. Hyacinthe. A tout autre qu’à vous, mon Rd Père, j’en pourrais dire beaucoup de choses, mais plus longtemps que moi, vous avez guidé son âme. Je dirai seulement d’elle : « Consummata in brevi, explevit tempora multa, placita enim erat Deo anima illius. »
Elle avait une présence de Notre-Seigneur J. Christ presque continuelle dans la méditation comme dans l’occupation, et encore par des visions imaginaires, ses révélations étaient fréquentes. A l’heure où mourut Mgr l’évêque de Genève, elle le vit dans la gloire ; l’ayant interrogée sur le temps de cette révélation, je reconnus qu’elle coïncidait avec les nouvelles que je reçus après. La même chose arriva à la mort du bon Père Jacques Brun et de plusieurs autres qu’elle me nomma et dont je ne souviens pas, de semblables visions lui étaient habituelles.
Vous savez, mon Rd Père, comment elle discourait de la pratique des vertus, c’était chose admirable en une pauvre sœur converse. Je voulus savoir si elle avait des connaissances sur les mystère les plus élevés et je vous assure que, l’interrogeant sur le mystère de la sainte Trinité, elle me répondit tout ce qui s’enseigne dans les écoles aussi bien qu’un scholastique, excepté qu’elle ne s’exprimait pas avec les termes de l’école, mais s’expliquait fort bien par des paroles plus en rapport avec le langage populaire. Or, comme j’ai coutume d’examiner rigoureusement les choses extraordinaires de ce genre qui arrivent aux personnes dévotes, une autre fois, je mis le discours sur sa manière de vivre et sur la méthode qu’elle suivait dans l’oraison avant ses fréquentes visions. En premier lieu, je découvris en elle une vertu très pure, je vis qu’elle avait été prévenue, dès ses plus tendre années d’une grande lumière intérieure ; La pureté et la simplicité de sa vie avant son entrée en religion m’étaient un motif de croire que jamais elle ne commit de péché mortel. Pour ce qui regarde sa chasteté, c’est un vrai prodige que, mariée jeune encore, conduite chez son mari avec lequel elle habitait, jamais il n’osa attenter à sa pureté durant plusieurs mois qu’ils vécurent ensemble ; enfin elle se retira chez son père et sa mère et fit déclarer nul son mariage par Mgr l’évêque de Bâle. Peu à peu, elle fut amenée à ce premier monastère de l’Annonciade sur lequel, à la vue de ses progrès, nous pouvons dire que Dieu répand ses bénédictions non moins abondamment que sur les autres.
En second lieu, je dirai en peu de mots que sa méthode d’oraison était très sûre, et que Dieu l’y avait appelée à un haut degré auquel elle parvint par la pureté et l’humilité. Du reste, vous savez fort bien, mon Révérend Père, que le Père des miséricordes conduit les âmes à son royaume par des voies diverses. Cette bonne religieuse, dans sa jeunesse, et avant son entrée en religion, supporta de grandes afflictions, mais à l’époque où j’entrai en relations avec elle à Pontarlier, Notre-Seigneur la récompensait et la conduisait par la voie de la contemplation, à une paix profonde, aucun événement ne la troublait ni ne l’affligeait ; le sujet principal de ses méditations était la providence divine. On eût dit qu’elle connaissait les choses futures les plus importantes concernant son Ordre, car, dans les grandes difficultés qui se rencontrèrent pour le monastère de Dôle et que vous connaissez aussi bien que moi, lui ayant demandé ce qu’elle en pensait, elle me répondit avec calme et sans aucune émotion « ce monastère se fera ». Et cependant, la conclusion de cette fondation était si éloignée, les affaires traînaient tellement en longueur qu’on fut sur le point d’ouvrir le monastère de Pontarlier à deux filles qui avaient travaillé pour Dôle.
Je désirerais avoir bonne mémoire pour me souvenir des autres choses que j’ai sues de cette bonne religieuse, si vertueuse. Je suis obligé de taire un des principaux signes de sa sainteté que je publierai si je survis à une personne qui vit encore. Je souhaite pourtant mourir le premier, car ma vie est inutile, au regard de la sienne qui est grande aux yeux de Dieu et des Anges. Pour moi, ayant été si grand pécheur dans le siècle, et reconnaissant mes imperfections dans la religion, je m’estime incapable de rendre témoignage à la sainteté d’une telle âme. Je l’ai fait, mais en toute humilité, mu par l’estime que j’ai des mérites d’une si sainte personne, laquelle, comme je l’espère, étant grande et exaltée maintenant devant Dieu, mérite bien d’être exaltée aussi devant les hommes.
Si vous jugez, mon Rd Père, que ma lettre qui ne contient guère autre chose que ce que vous savez déjà, puisse édifier les religieuses de l’Annonciade, vous pourrez la leur envoyer en les assurant que je rends ce témoignage à une grande servante de Dieu. Je me recommande aux prières de votre Paternité en qualité de son très humble et très affectionné serviteur en Jésus-Christ,
François Maillard, de la Cie de Jésus.
De Carpentras, ce 27 février 1626.
Monsieur,
Je vous remercie du récit que vous avez bien voulu m’envoyer de l’heureuse mort de Sr M. Hyacinthe. J’ai ressenti cette perte plus que tout autre, parce que la bonne sœur était pour moi une source de laquelle je recevais beaucoup de grâces et de faveurs du ciel. Dimanche soir, ayant appris par une lettre du R.P. Platé qu’elle avait reçu le sacrement de l’Extrême-Onction, je me mis à prier pour elle ; jeudi, je célébrai la messe à son intention et je m’efforçai de gagner quelques indulgences pour les lui appliquer si toutefois elle était morte, espérant néanmoins qu’elle n’avait pas besoin de nos suffrages. Je crois, au contraire, qu’en droite ligne, elle prit heureusement son vol vers le Paradis ; c’est la personne la plus pure de corps et d’âme que j’aie jamais connue. Dieu l’avait douée de grandes et éminentes qualités :
– premièrement d’une
très bonne intelligence, et du meilleur jugement naturel que j’aie jamais
rencontré chez une femme.
2° d’une très haute et très sublime connaissance des vertus et des choses
spirituelles.
3° d’une éminente contemplation, mêlée d’extases, de ravissements, de
transports en Dieu admirables, d’illustrations extraordinaires et du don de
prophétie.
4° Sa volonté était embrasée du feu divin le plus doux qu’il m’a été donné de
connaître. De plus, elle était si innocente, si constante dans le bien, si
joyeuse, si pacifique, si tranquille, qu’il semble qu’on ne peut se rapprocher
davantage de l’état d’innocence.
5° Aussi jouissait-elle d’une grande familiarité avec les anges, elle les
voyait, les connaissait, apprenait d’eux des choses merveilleuses, et non
seulement des anges, mais encore du Seigneur des anges, Jésus, et de sa très
sainte Mère, laquelle s’entretenait avec elle très familièrement.
6° Elle avait une admirable et continuelle occupation avec Dieu, un mépris de
toutes choses, hors de Dieu et ce qui se rapporte à Lui.
7° Elle était sincère, simple et candide et néanmoins très prudente et
discrète. Je l’ai entendu discourir merveilleusement sur les vertus infuses et
acquises et les dons du St Esprit, et je crois que c’est elle qui m’a décrit la
vie et les vertus de Notre-Seigneur Jésus-Christ comme si elle eut conversé
avec Lui lorsqu’il vivait parmi les hommes et qu’elle eût vécu en sa compagnie.
8° Elle était très humble, très douce et très modeste. Par elle, plus que par
les livres ou autres personnes, j’appris mieux ce que c’est que l’humilité.
9° Elle savait ce qui se passe en l’autre monde comme nous savons ce qui se
passe en celui-ci.
10° Elle connaissait les consciences.
Voilà le trésor caché qui était dans le saint monastère de Pontarlier, j’en ai eu connaissance et j’en ai tiré beaucoup de profit pendant quatre ans.
J’ai voulu vous écrire cela pour votre consolation et pour la mienne, et aussi afin d’accomplir ce commandement divin : « Lauda post mortem. » Il serait bien de noter avec soin tout ce que l’on saura d’elle, et de conserver son corps virginal comme un riche et précieux dépôt. Je désire vivement avoir quelque chose qui ait été à son usage, je le conserverai comme une relique. Désormais, je l’invoquerai comme une habitante du paradis. Je me proposais de répondre à sa dernière lettre aux fêtes de Noël ; si j’avais su sa mort si proche, je l’aurais bien sollicitée de m’écrire plus souvent ; je ne croyais pas que Dieu nous enlèverait si tôt un tel trésor. Mais il ne nous l’a pas enlevée, car, du sein de la félicité, elle nous viendra en aide dans nos misères.
En terminant, je souhaite à Votre Paternité mille prospérités.
De Besançon, le 10 décembre 1629.
Votre très humble et très affectionné serviteur en J. C.
Etienne Parisot de la Cie de Jésus.
Suite du texte de la rédactrice du cahier
Voilà l’idée que ces bons Pères avaient de cette pieuse servante de Dieu. Jusqu’à présent nous n’avons pu avoir de plus amples détails sur sa vie qui a été imprimée en français, ce que nous en avons dit suffira pour faire comprendre à quelle éminente sainteté elle devait être parvenue pour avoir été si particulièrement privilégiée de Dieu duquel procède immédiatement tout le bien qu’on voit parfois, avec tant d’admiration, resplendir en quelques unes de ses créatures. A Lui donc souveraine louange, honneur et gloire, pour nous, abaissons nous dans l’abîme de notre misère et de notre néant, dans lequel nous serions submergés si son bras tout-puissant, sa bonté incomparable ne nous en eussent fortement et suavement retirés. En retour, ne devrions nous pas lui donner mille vies de souffrances si nous les avions, et certes, elles seraient bien employées. Mais, ô aveuglement trop grand de la misérable humanité qui pense à tout excepté à ce qui devrait être l’unique objet de ses pensées ! Que le Seigneur miséricordieux nous pardonne notre grande négligence !
Différentes choses
que le Seigneur Augustin Centurion
apprit du Père Etienne Parisot sur Sr M. Hyacinthe.
1° J’ai trouvé toutes ses connaissances très sûres, éminentes et supérieures à tout esprit humain.
2° Elle eut l’usage anticipé de la raison, à la ressemblance de S. Nicolas, et, comme ce saint, encore à la mamelle, elle jeûnait plusieurs jours par semaine.
3° Elle avait deux anges gardiens, dont l’un était un séraphin, et avait avec eux des entretiens familiers.
4° Elle apprit ainsi une infinité de choses sur le ciel, la gloire des saints, la vie de Notre-Seigneur, comme si elle eût toujours vécu avec Lui.
5° Elle avait sur les mystères de la foi, particulièrement sur le mystère de la Sainte Trinité, de si hautes connaissances, qu’elle étonnait les plus fameux théologiens du monde, et elle en parlait avec tant de facilité qu’une seule de ses paroles en apprenait davantage que les professeurs dans les écoles ou de longues leçons. Et, ce qui est plus merveilleux, son union avec Dieu était si parfaite qu’elle n’était jamais surmontée par les extases et paraissait comme supérieure à ces sortes de défaillance de la nature.
6° Toutes ces choses cependant étaient tellement renfermées en elle qu’il y avait peu de religieuses dans le monastère qui les connussent. Pour elle, elle s’appliquait à ses offices avec une grande assiduité, disant que pour un acte de charité envers ses sœurs ou d’obéissance à ses supérieures, elle aurait laissé tout le reste.
Le seigneur Augustin Centurion ayant demandé au Rd Père de lui cité quelque trait de ce que Sr M. Hyacinthe lui avait dit. Celui-ci lui raconta qu’un jour, lui-même ayant eu en main une grave affaire très embrouillée concernant le salut des âmes, il en parla à la servante de Dieu. Elle lui répondit : « Mon Père, il faut souvent en matières spirituelles, se tenir bien sur ses gardes, car les tentations des démons qui furent créés dans un haut degré d’éminence sont très difficiles à connaître ; ils se font, en effet, aisément passer pour des anges de lumière et se donnent l’apparence du bien. » Le Père lui ayant demandé comment cela se pouvait faire, elle lui donna aussitôt cet exemple : « Mon Père, si on pouvait avoir un rasoir assez subtil et tranchant pour couper les rayons du soleil, ceux qui verraient ces rayons ainsi tronqués les prendraient certainement pour le soleil lui-même, et cependant, en substance, il ne sont pas le soleil, et sont bien loin d’être une lumière substantielle et essentielle comme le soleil. Or, ces anges, par leur nature, étaient comme des rayons de la divinité, le péché les en a séparés tout-à fait, mais leur nature ne leur a pas été enlevée, de sorte qu’ils peuvent faire paraître des effets si extraordinaires qu’ils trompent facilement ceux qui n’ont pas le vrai esprit de Dieu. » Ce conseil éclaira suffisamment le Rd Père Parisot sur ce qu’il désirait savoir.
7° Les prières de la bonne sœur étaient très efficaces auprès de Dieu, et je crois, dit le seigneur Augustin, avoir appris qu’elle ne demandait jamais rien sans l’obtenir. Elle aurait eu la dot suffisante pour être choriste, car sa famille était de bonne condition, mais Dieu l’avait appelée à l’état de sœur converse et elle voulut y demeurer toujours. Elle jouissait d’une grande liberté d’esprit, sans aucun scrupule ; elle aimait Dieu d’un amour efficace et très suave qui ne lui causait aucune véhémence ou altération, mais un attrait doux et continuel comme celui du feu dans sa sphère.
Le Père Parisot la dirigea pendant cinq années consécutives. Sa mort fut plus angélique qu’humaine ; son dernier soupir s’exhala dans un sourire vers le ciel, et son visage prit une expression du paradis. C’était le jour de S. Nicolas avec lequel elle eut une grande ressemblance dans la vertu et les faveurs célestes. Sa maladie fut une sorte d’affaiblissement des forces naturelles. Elle avait demandé à Dieu de mourir tout-à fait inconnue, et sa demande fut exaucée, car, travaillant au-dedans, elle acheva son œuvre avant presque qu’on s’aperçût qu’elle l’eût commencée. Elle était âgée de 29 ans et en avait vécu 10 en religion.
Toutes ces choses ont été extraites d’une lettre du seigneur Augustin qui les avait apprises à Rouen de la bouche même du Père Etienne Parisot. La lettre est datée du 11 avril 1633.
Mon Révérend Père en N. S.
Ce peu de lignes seront pour saluer votre Révérence et la remercier de la continuation de vos charités, elle ne pourrait penser combien j’expérimente toujours les grandes obligations que j’ai à V. R. et je désirerais bien lui en pouvoir dire quelque chose si je pouvais parler le parler des Anges, Votre Révérence saurait tantôt ma pensée et ce que je veux dire, elle n’est pas revenue nous voir à temps ici, je ne sais si j’aurai assez de patience pour cet hiver, j’ai ouï dire qu’il fallait parler quand la nécessité de la charité ou la crainte de nous tromper nous contraint, ou la charité nous le commande, que faut-il faire ? Ne suffit-il pas en la sorte que Votre Révérence sait et que j’ai ouï dire.
J’ai lu d’une âme qui s’était trouvée en peine sur le même sujet, parce qu’elle n’avait pas la liberté qu’avec peu de personnes, et ne la pouvait pas avoir quand elle le désirait, mais elle faisait du mieux qu’elle pouvait et comme si elle eut eu le bien que d’avoir la consolation qu’elle avait autrefois eu, elle se remettait en mémoire le passé pour se tenir toujours selon qu’elle avait accoutumé.
Je m’en vais dire quelque chose que j’ai lu d’une âme, il y a peu de temps, si je ne me trompe pour le moins une partie ; elle avait une grande consolation quelquefois quand elle pensait au jugement général et particulier, elle vit comme toutes choses sont vanité et combien les jugements de Dieu sont grands et bien différents de ceux des hommes, et autres choses particulières sur ce sujet comme de la gloire des bienheureux et autres. Elle sentait un dégoût de toutes choses qui n’était pas Dieu ou n’y retournait pas ; par exemple, si on louait quelqu’un, elle voyait que tout bien vient de Dieu et toutes les créatures ne sont que ses instruments et que tout bien vient de lui, ceci s’entend pour ce qui ne retourne pas à Dieu, comme avec plusieurs autres choses semblables mais du dégoût de toutes choses elle s’en servait sans sentir rien, c'est-à-dire sans beaucoup de distraction ni d’affection. Elle avait une occupation intérieur avec Dieu fort continuelle, et quand elle avait fait quelque manquement ou doutait avoir fait, elle était bien en peine et ne pouvait durer quelle ne fut éclaircie et certaine de sa faute, car rien ne lui donnait tant de peine que le péché ou le doute du péché, car elle se donnait chaîne de peine de tout ce que l’on pouvait dire, pourvu qu’il n’y eût point d’offense de Dieu, ni pour soi ni pour les autres. Elle rentrait dans son intérieure selon sa coutume et y trouvait Jésus Christ, et tout ce qui auparavant lui donnait peine était dissipé et voyait que ce n’était rien. Une fois, étant en peine et ne voulant communier, il lui vint une pensée s’il serait mieux qu’elle communiât pas, elle se ressouvint de ce que autrefois elle avait entendu en la même action et comme elle s’y devait comporter ; après qu’elle fut communiée, elle fut instruite qu’encore qu’elle se sentirait travaillée de semblables peines et d’autres plus grandes qu’elle ne s’en devait pas retirer.
Elle vit comme il lui avait pardonné si miséricordieusement tous ses péchés et négligences et comment même Dieu l’avait préservée de plusieurs péchés, que vous en semble ? et plusieurs autres choses que je laisse à part. Elle avait une grande connaissance de soi, ce n’était pas par discours d’entendement, mais elle le sentait en vérité, encore que l’on eût dit le contraire de ce qu’elle connaissait et sentait, elle ne l’eût pas cru même depuis que c’eût été un ange, et quand il arrivait que l’on lui disait des paroles à sa louange, elle n’en était non plus émue en son extérieur que si l’on lui eût tenu des discours de quelque chose qu’elle ne savait pas ni ne lui touchait en rien. Cela la faisait honteuse devant Dieu, car elle avait peur qu’elle ne trompât ceux à qui elle parlait, encore qu’elle connût bien les dons et grâces que Dieu lui avait fait ; néanmoins, elle les renvoyait toutes à Dieu, puisqu’elle les voyait venir de lui comme de la source principale de tous biens ; elle avait beaucoup de contentement quand on avait peu d’opinion d’elle, et surtout quand les supérieurs ne lui demandaient point d’avis comme ils avaient accoutumé, pour le gouvernement de leur charge et du bien commun, car elle avait peur de les tromper, encore qu’elle sentait une grâce particulière pour cela et pour autres choses. Une fois demandant un doute de conscience au confesseur et qui touchait la communion. Il fut un peu, je ne sais ? et lui dit que ce qu’elle faisait, désirant se cacher que c’était nature et pure tentation, et lui donna à entendre qu’il connaissait quelque chose en elle qui n’était pas bien, et lui pensa faire accroire qu’elle était hors de la grâce de Dieu, elle lui dit : Cela pourrait bien être que j’aie quelque chose mais je propose mon doute qu’il n’en fasse pas davantage pour cela, et pour ce qu’il me dit que je fasse cela pur tentation, non, car ce que j’en fais est par avis de ceux qui me connaissent. Il fut bien étonné, car je n’était pas du même avis, car c’était lui dire qu’il ne se voulût pas arrêté en conscience. Il lui disait souvent qu’il lui voulait parler et qu’il voulait savoir comme allait son intérieur, mais depuis, jamais il ne lui en parla ; elle fut bien consolée d’en être quitte à si bon marché. J’ai lu aussi qu’elle connaissait les personnes qu’on devait admettre en la religion et celles qu’on devait refuser, car on n’en peut recevoir que c’est faire tort à la religion ; elle vit comme les prières que l’on fait, encore que l’on ne soit pas exaucée, qu’elles ne sont pas inutiles, car Dieu voit que ce que nous demandons n’est pas nécessaire et donne des grâces autant que nous n’avons plus de besoins ; si ce n’est pour des autres, par exemple qui seraient en péché, que Dieu l’attend à pénitence et plusieurs autres choses semblables.
Elle ne pouvait beaucoup parler de ce qu’elle sentait en soi qu’avec crainte, puisqu’il y avait peu de personnes, comme il lui semblait, qui le puissent entendre et tout ce qu’elle en disait, ou pourrait dire, ce n’était rien en regard de ce qu’elle sentait. Elle vit comme la gloire de ceux qui ont reçu de plus de grâces et plus grande, et pourquoi Dieu permet que tant de personnes spirituelles et dévotes ne se connaissent pas et méprisent les autres, car si elles savaient, elles se garderaient bien de présumer d’elles et de leur science. Elle vit le bien que nous recevons des anges, et comme St Michel est un des plus grands et le plus humble, et qui a soin en général de chacun, en particulier des hommes, et combien il aime les humbles et ceux qui lui ont une particulière dévotion. Elle se ressouvint d’une personne qui avait ouï dire qu’elle vit que ce saint Ange en avait un soin particulier à l’assister, et si elle connaissait combien les voies et chemins que Dieu voulait la conduire, il serait grandement consolé et ne se donnerait pas beaucoup de peine de tout ce qui arriverait contraire à ses volontés, pourvu que la volonté d Dieu fût faite de lui et en lui. Une des choses qui l’empêchait de marcher par ce beau chemin était le trop de crainte, car si elle allait avec une grande confiance en Dieu, cela se dissiperait et verrait combien les voies de Dieu sont douces et entendrait comme l’on se doit comporter tant pour soi que pour les autres et la grâce surabonderait en elle et autres.
Excusez-moi si j’entretiens votre Révérence de lecture, et si j’ai mal écrit, car je l’ai fait en dérobant le temps et en plusieurs fois. Si votre Révérence n’entend le tout clairement, elle m’en pourra avertir, car je n’ai mis qu’en général et non entièrement comme je l’avais lu, car je trouve qu’elles sont bien différentes, encore que cela soit le sens à peu près.
Je désirerais bien lui pouvoir dire quelque chose. La Révérende Mère ne veut pas que je prenne la discipline parce que votre Révérence ne voulait pas. J’ai toujours les mêmes incommodités que j’avais, c’est à savoir la partie gauche qui est comme entamée et faible quelquefois, et surtout quand j’ai fait quelque chose pénible ou que je porte quelque chose pesant et encore une fluxion qui me tombe dans l’estomac, et suis quelquefois faible pour un coup, avec un si grand accablement par tout le corps, car je ne sais de quel côté me tourner, c’est une grande peine quand il faut toujours aller, et encore plus de travailler, et voudrais bien quelquefois trouver quelque lieu pour me jeter contre terre, mais je n’ose car ceux qui ne me verraient pas en besogne diraient que je ne fais rien tout le jour que perdre le temps et charger les autres. Pour le mal de côté, je ne le sens rien pour l’ordinaire que quand je suis à la cuisine, après il m’en reste un éblouissement. Au reste, je vas toujours et fais et ai toujours fait le règle, mais que la discipline elle me pourra mander à sa commodité si je la dois prendre, la Révérende Mère voudra bien tout ce qu’elle jugera. Elle salue votre Révérence ; je prie Votre Rév. de se souvenir de moi en ce saint sacrifice et prière, peut-être que le R.P. Recteur sera lassé de mes lettres et votre Révérence aussi, mais j’espère que ce ne sera pas la dernière en papier, et les permissions me manqueront plutôt comme je crois que l’on n’a pas la volonté de le faire, s’il plaît à V. R. le saluer de ma part, je me sens toujours des avis qu’elle m’a donnés, et n’en cherche pas d’autre parce que je m’en trouve bien, quand elle jugera que je le fasse, elle m’en pourra avertir quand sa commodité le permettra et si la façon qu’elle m’avait dit ne suffit pas, comme je suis mal mortifiée, je ne serais pas sans difficulté si ce n’était en grande nécessité et selon les personnes.
Adieu, mon très cher Père. Ne nous viendrez pas voir quelquefois ?
De notre monastère de l’Annonciade de Pontarlier ce 4 novembre 1625.
Votre très humble et très obligée fille et servante en N. S.
Sr M. Hyacinthe de l’Annonciade.