VIE  ET  MIRACLES  DE  SAINTE  VÉRÈNE

 

Abbaye Saint Benoît de Port-Valais
Traduction réalisée par un moine
au service de la chapelle de
Notre-Dame du Vorbourg

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Liens :  Diocèse de Bâle ; Jura pastoral ;  Eglise copte française ;

 

 

Introduction

 

 

Sainte Vérène vécut à la fin du 3e et au début du 4e siècle. Originaire de la Haute-Egypte (Thébaïde), elle arrive à Milan, avec d'autres chrétiens, en suivant la légion thébaine (saint Maurice et ses compagnons). A la nouvelle de leur massacre à Agaune (Saint-Maurice en Valais – Suisse), elle se rend sur les lieux et se retire ensuite à Soleure où avaient été martyrisés Ours et Victor de la même légion. Vérène y vit en ermite, tout en guérissant plusieurs malades, parmi lesquels le gouverneur romain qui l'avait fait emprisonner et torturer. Elle se rend enfin à Zurzach (Canton d’Argovie, sur le Rhin) où elle termine sa vie dans la pénitence et les œuvres charitables. On lui attribue de nombreux miracles.

Sur sa tombe, on construit bientôt une chapelle et, au 9e siècle, un monastère double de moniales et de moines. La Réforme protestante n'arrête pas le culte de sainte Vérène ; en 1613 on pose même un nouveau sarcophage dans la crypte de l'église. La sainte y est représentée gisante, avec un visage d'une délicate beauté, les traits légèrement orientalisants, rappelant son origine. Elle tient dans les mains une cruche et un peigne qui rappellent les soins qu’elle prodiguait aux malades. Le Kulturkampf, au 19e siècle, signe pour un temps la fin des pèlerinages. Aujourd'hui, dans l’antique station thermale de Zurzach, le nom de Vérène est toujours très populaire et fait revivre l'ancienne tradition de la sainte. Elle est aussi vénérée en Allemagne du Sud et jusqu’à Vienne où la cathédrale Saint-Étienne abrite de ses reliques, apportées en 1306 par l’archiduc Rodolphe d’Autriche.

Elle est fêtée le 1er septembre.

 

Le 31 août 2003, à l’occasion du 175e anniversaire de la nouvelle réorganisation du Diocèse de Bâle (1828), Monseigneur Kurt Koch, évêque de Bâle, déclare Sainte Vérène, co-patronne du diocèse. Voici un passage de son message à cette occasion :

Nos patrons diocésains, Saints Ours et Victor, nous rappellent qu'un témoignage crédible est la mission première de tout chrétien et toute chrétienne. Nos saints patrons ont scellé leur foi par le sceau du martyre. Ils nous montrent que mérite uniquement d'être appelée foi cette force qui nous dirige vers la vie et même, si nécessaire, vers la mort.

Il existe dans notre diocèse un autre témoin de la foi, Sainte Vérène, vénérée et célébrée en tant que patronne de nombre de paroisses. Sa vie ressemble à un long parcours, qui l'a menée de Thèbes en Egypte en passant par Milan et Soleure pour aboutir finalement à Zurzach, où elle fut remarquée pour sa religiosité et sa charité. Elle mourut et trouva sa tombe en ce lieu à la moitié du quatrième siècle. Afin de répondre à un signe des temps devenu particulièrement important, à savoir l'égale dignité de l'homme et de la femme, je déclare en ce jour de jubilé de notre diocèse de Bâle, en accord avec l'Eglise universelle, Sainte Vérène, co-patronne de notre diocèse. Je recommande l'intercession bienveillante de cette sainte convaincante à l'égard de notre Église locale de Bâle.

Sainte Vérène est souvent représentée avec un peigne et une cruche pleine d'eau, voulant sans doute signifier ses nombreuses oeuvres de charité. Nous pouvons également y percevoir un rapport avec cette eau vive qui nous a été donnée par le baptême et qui nous relie profondément les uns les autres, car elle nous lie au Christ.

En 2004, pour la nouvelle régionalisation du diocèse, Sainte Vérène est également donnée comme protectrice à la région formée par les cantons de Berne, Jura et Soleure.

Pour mieux connaître, essayer de comprendre et  vénérer cette sainte patronne, voici une traduction des manuscrits latins de sa légende, édités par les Bollandistes dans les Acta Sanctorum. Cette ancienne dévotion, dans le contexte local du Jura pastoral apparaît comme nouvelle. En raison de la profonde inculturation alémanique de notre égyptienne, la réception de son culte pourrait ne pas paraître « évidente » dans une région francophone riche en saints , riche aussi de sa tradition et de traditions chrétiennes.

On voit se dessiner dans ces récits la physionomie spirituelle de la sainte. Les spécialistes, Bollandistes et autres, trouvent que ces sources ont une valeur historique médiocre. Elles sont tout de même assez anciennes (9e siècle au moins) ;  surtout, sainte Vérène a joui d’un culte séculaire et constant, ce qui est considéré comme un critère d’authenticité. Des miracles, selon les critères d’alors, et leurs interprétations au cours des siècles, entretinrent certainement cette ferveur populaire et religieuse. Il est légitime de contester tel ou tel détail des récits de sa vie ; certaines formules théologiques dans les textes apparaissent douteuses ; de même des descriptions de miracles prêtent à sourire, mais le lecteur saura faire la part des choses.

 

 

Traduction des Acta Sanctorum
Septembris tomus primus 
(Pages 164 à 175)

 
Parisiis et Romae, apud Victorem Palme bibliopolam 1868

 

VIE PAR UN AUTEUR ANONYME

 

TIRÉE DE DEUX MANUSCRITS

RÉUNIS AVEC CELUI DE TRÈVES

 

Remarque préliminaire : Ces manuscrits à leur tour rassemblent déjà plusieurs auteurs ; cela explique qu’il y a parfois un certain manque de suite logique dans le récit.

 

PRÉFACE

 

1) Devant écrire la vie de la glorieuse vierge Vérène, selon ce que nous en avons appris par le récit de certaines personnes, nous implorons le Dieu tout-puissant pour que nous puissions mener à bien une œuvre qui sera utile et agréable à nos Frères et Sœurs. Mais il ne sert à rien de lire une vie vertueuse si nous ne nous appliquons pas à mener nous-mêmes une vie de vertu. En effet, une âme pieuse cultive la mémoire des saints pour devenir plus fervente par leurs exemples et pour surmonter plus facilement la tristesse de sa pérégrination terrestre en s’attachant à suivre leur chemin. Bref, cette âme pieuse considère très attentivement dans chaque action des saints, avec l’œil du cœur, ce qui lui permettra de plaire à Dieu davantage ; et elle recherche avec une ardeur brûlante ce qu’elle doit ensuite accomplir avec soin. Frères et Sœurs très chers, en lisant ce qui est ci-dessous, agissez avec la plus grande application pour que, par le mérite de votre profession religieuse et de votre chasteté, vous puissiez remporter la couronne de l’éternelle récompense, comme la bienheureuse Vérène et en sa compagnie. Attachez-vous à sa vie, non seulement en paroles, mais en étant vigilants dans votre conduite afin de lui ressembler dans votre comportement. Alors, vous aurez en elle un intercesseur si, en suivant ses traces, vous l’avez toujours devant les yeux pour l’imiter, car, autant votre genre de vie religieuse est réputé, autant vous devez briller en sainteté.

 

CHAPITRE I

Patrie de la sainte.
Voyage en Italie et en Helvétie, où, habitant dans une grotte
près de Soleure, elle brille par ses vertus et ses miracles.
Quittant ce lieu, elle habite dans une île
près du confluent du Rhin et de l’Aar.

 

2) La très bienheureuse vierge Vérène était originaire de Thèbes, issue de parents très honorables ; elle est confiée d’abord à un saint évêque pour être baptisée et instruite dans la foi ; cet évêque s’appelait Chérémon, il était âgé et fut ensuite couronné par le martyre. Cette vierge, avec d’autres chrétiens, se rendit en basse Égypte où une grande foule de fidèles était dénombrée en vue d’accomplir un service armé dans les camps des empereurs Dioclétien et Maximien. Là, à l’époque, se trouvait la légion Thébaine de Maurice ; la vierge du Christ Vérène désirant venir en Italie avec eux, se joint aux autres fidèles. Parvenue à Milan et désirant de toute son âme, si cela était possible, obtenir la gloire du martyre, elle se met à chercher avec sollicitude les lieux d’exécution des martyrs et les prisons des saints pour leur rendre les services de la piété, et un saint du nom de Maximin la retient en cette ville quelques années. Finalement, elle entend dire que la sainte légion du très bienheureux Maurice a été passée par le glaive à Agaune, pour sa foi au Christ, par l’empereur très impie. Elle apprend aussi que saint Victor, [son unique amour (d’après Notker le Bègue)], qui l’avait accompagnée sur le chemin et qui faisait partie de la même légion, a été couronné dans un autre lieu (*). Alors, avec ardeur, franchissant les sommets des Alpes, elle se rend à Agaune pour vérifier la chose.

(*) La tradition rapporte que c’est à Soleure, que les saints Ours et Victor furent martyrisés. Ils sont les patrons principaux du diocèse de Bâle et titulaires de la cathédrale de Soleure, qui est le siège actuel de l’évêque de Bâle.

3) De là, passant le fleuve Aar, elle habita, non loin de la ville forte de Soleure, auprès d’un saint qui s’était échappé lors du massacre de la légion thébaine. Presque continuellement jour et nuit, avec une rigueur admirable, elle se livre aux jeûnes et aux prières, récitant assidûment les psaumes, et surtout, tenant en mains le livre du bienheureux Cyprien qui a trait à la Vie des vierges. Ce bienheureux martyr enseigne que, dans cette vie religieuse, se trouve la discipline, la garde de l’espérance, le maintien de la foi, le guide sur le chemin du salut, l’encouragement et l’entretien des bonnes dispositions. Donc, la vierge sainte Vérène, toute tendue vers la récompense d’une très chaste vertu et vers la palme d’une incomparable rétribution, s’enferma un certain temps dans une grotte très étroite pour s’y livrer à la pénitence. Non loin de là habitait une vieille femme chrétienne. Quant au peuple des Alamans qui habitait la région, il était encore soumis au diable et il s’était fait plusieurs idoles monstrueuses en guise de dieux. Tout ce que la vierge sainte pouvait produire de ses mains, la vieille femme le vendait et cela suffisait à son entretien. Dieu opérait aussi de nombreux signes par sa servante Vérène à tel point que des possédés, avant de parvenir à la grotte où résidait la servante de Dieu, étaient guéris des vexations démoniaques par ses prières ; de même, des aveugles étaient rendus à la lumière par son toucher. Comme les miracles se multipliaient, une multitude commença à se tourner vers le Christ, et, à la demande de la vierge sainte, tout joyeux d’avoir trouvé la foi dans le Christ, ils furent baptisés par un prêtre italien.

 

4) Alors, le nom du Christ commence à se répandre à l’intérieur des frontières des Alamans et la renommée de la vierge s’étend partout dans ce pays et se répand à tel point que, vénérée par tout le peuple, elle s’imposa grâce à son discernement comme Mère et Supérieure d’un groupe de vierges ; elle leur proposait ce modèle de piété, en leur disant (*) : « D’autant plus excellent et plus divin est ce don de la virginité, d’autant plus nécessaire aussi est la garde de l’humilité, car il faut partout se prémunir contre la redoutable superbe qui guette davantage ceux qui sont plus élevés. Même remarque pour l’envie qui est la fille et l’esclave de la superbe (car, de même que la superbe ne manque jamais d’avoir une telle descendance ou compagnie, de même, de ces deux maux le diable est l’auteur). Que les vierges suivent l’Agneau partout où il va, non seulement par l’intégrité de la virginité, mais aussi par la grâce d’une sincère humilité. Elles se sont consacrées au Christ, se sont éloignées de la concupiscence charnelle et se sont vouées fidèlement à Dieu par le corps et l’esprit. Qu’elles achèvent leur œuvre, promise à une grande récompense. Qu’elles s’appliquent à ne s’embellir pour personne et à ne plaire à quiconque, sinon à leur Seigneur, duquel elles attendent aussi la récompense de la virginité. Vierges, non seulement elles doivent l’être, mais il faut qu’on les croie telles ; qu’elles fassent donc preuve d’une égale pureté de conduite en toutes choses, de peur que la légitime attention qu’elles portent à leur corps et à leur esprit ne soit mal interprété, au cas où elles se montreraient bien vêtues et coiffées, comme si elles voulaient plaire à des hommes. De fait il n’est pas permis à une vierge de rechercher une belle coiffure ou de se glorifier de son corps et de sa beauté, car il n’y a rien de plus important pour elle que la lutte contre la chair et le combat obstiné pour vaincre le corps et le dompter. Ce serait une faute plus légère d’être tombé avant la loi d’innocence, alors que n’était pas encore connue la règle ; mais la faute charnelle est d’autant plus grave pour les vierges que plus sublime est leur gloire ; elles doivent avoir un soin d’autant plus grand pour garder l’intégrité, car la virginité est la fleur de la plante qu’est l’Église, la beauté et l’ornement de la grâce spirituelle, elle est une disposition naturelle heureuse, une œuvre intègre et incorruptible de louange et d’honneur. Les vierges sont l’image de Dieu, lui répondant par leur sainteté ; elles sont la partie la plus illustre du troupeau du Seigneur. »

(*) Note de l’éditeur : Ces paroles, attribuées à Vérène, sont en grande partie une citation de l’ouvrage de S. Cyprien mentionné ci-dessus, avec quelques phrases tirées d’ailleurs.

5) Comme tout progrès dans la vertu est toujours contrariant pour le diable, un certain tyran, sauvage et sacrilège, opérant au nom du pouvoir romain, s’enflamme de colère contre la vierge de Dieu, lui fait subir différents outrages et l’enferme plusieurs jours dans la prison publique. Là, elle se recommande à Dieu par des psaumes et des prières et, une nuit, elle est visitée par un jeune homme d’une telle beauté qu’on ne peut la décrire. Elle est grandement consolée par celui-ci et elle l’entend lui dire de ne céder aux menaces de personne, et de ne pas abandonner la voie de la vérité. Elle lui demande alors qui il est, pour daigner ainsi la visiter ; il lui répond qu’il est envoyé par Dieu, qu’il fait partie des martyrs dans le Royaume de vie et que son nom est Maurice. Entendant cela, elle se prosterne pour prier ; elle supplie ce saint martyr éclatant de lumière de se souvenir d’elle auprès du Seigneur. Et soudain, une multitude de jeunes gens, vêtus de pourpre et ornés d’une chlamyde éclatante de blancheur, entoure le saint martyr, lequel disparaît alors aux yeux de la vierge sainte. La même nuit, le tyran est frappé d’une fièvre très violente et comme la mort approche, il envoie en toute hâte chercher la servante de Dieu, afin qu’elle lui soit présentée avec les plus grands honneurs. Comparaissant devant ce juge, elle fait une prière et chasse la fièvre violente du corps du tyran, et ainsi, avec de grandes marques d’honneur, elle revient à la demeure les vierges.

6) Un jour, comme le pain manquait et que celles qui vivaient avec Vérène en souffraient beaucoup, elle-même ne doutant pas que Dieu se manifesterait dans leurs nécessités, se tourna vers lui, et on rapporte qu’elle s’exprima ainsi : « Seigneur qui donnes la nourriture à ta créature au temps opportun, tu vois ce qui conviendrait à tes servantes et dans ta sagesse tu as disposé de quelle façon notre vie serait sustentée. » A peine avait-elle achevé ces mots, que quarante sacs pleins d’une excellente farine sont trouvés à la porte de leurs cellules et nul ne savait qui les avait déposés là. Toutes alors se mirent à louer Dieu et elles se nourrirent de cette farine pendant plusieurs années. D’une manière admirable, cet aliment s’augmentait sous leurs dents (sic) et il les rassasia pleinement.

Comme la renommée de Vérène se répandait et s’étendait partout, celle-ci, fuyant secrètement les louanges des hommes afin de ne pas perdre le prix de l’éternelle rétribution, s’en vint dans une île pas très grande. Et là, elle demeura un certain temps dans une modeste cabane construite par les chrétiens du lieu, vaquant sans cesse à la prière ; néanmoins, elle accomplit des signes et le peuple l’entourait de dignes louanges, par un don de la grâce de notre Seigneur Jésus-Christ.

 

7) Après que Dieu eut accompli de nombreux signes et miracles par sa servante Vérène recluse dans sa cellule près de Soleure, la vierge du Christ commença à se diriger vers un confluent du Rhin, en longeant la rive du fleuve appelé Aar. Là, elle trouva une belle île formée par le confluent de ces deux fleuves (c’est celle dont il question ci-dessus). Il y avait là d’innombrables serpents au point qu’on ne pouvait poser la tête sur le sol. Alors, la vierge du Christ Vérène se mit à prier le Seigneur en ces termes : « Seigneur, roi tout-puissant, toutes choses sont en ton pouvoir et il n’est rien qui puisse résister à ta volonté ; tu as commandé aux serpents de marcher sur leur ventre ; commande donc à ces serpents, dans cette île, de ne nuire à aucun homme ni à aucune bête. » Alors, la bienheureuse Vérène entendit une voix du ciel qui lui disait : « Vérène, le Seigneur a entendu tes paroles au sujet de ces serpents et il a exaucé ta prière. Et, chaque jour, il entendra tes prières et toutes les demandes que tu feras. Fais un signe de croix contre les serpents et commande-leur au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, de sortir d’ici et de s’en aller ailleurs ; et tout homme, qui t’invoquera, en quelque jour que ce soit, pour que tu lui viennes en aide, sera libéré du mal qui le tient. » La vierge sainte Vérène étendit la main et fit un signe de croix contre les serpents, alors, tous prirent la fuite et partirent de là, et pas un seul n’est revenu dans cet endroit jusqu’à aujourd’hui. La bienheureuse vierge Vérène, voyant que les serpents s’étaient enfuis, dit : « Je loue et glorifie ton nom, ô Dieu ; je suis dans la joie et j’exulte parce que tu as entendu la voix de ma prière, et maintenant je sais, que tu n’abandonnes pas ceux qui te cherchent. »

8) Après cela vinrent à elle de nombreux infirmes, aveugles et boiteux, et elle les guérit tous. Une pauvre petite femme vint à elle, portant son fils aveugle et boiteux ; elle le jeta aux pieds de la vierge sainte et dit : « Vérène, vierge sainte du Christ, pour l’amour de Dieu je te demande de venir en aide à mon fils qui est aveugle et boiteux. » La vierge du Christ répondit : « Que veux-tu que je fasse pour lui ? » La femme répondit : « Vierge sainte, fais qu’il voie et qu’il marche, parce que je ne peux plus le porter. » Alors la vierge du Christ s’étendit à terre les bras en croix et elle adora le Seigneur en disant : « Seigneur Dieu, toi qui as formé l’homme de la terre et lui as créé des yeux pour voir et des pieds pour marcher, fais que cet aveugle et boiteux voie et marche. » Et aussitôt, il se leva, recouvrit la vue et marcha, guéri. A partir de ce moment-là, la renommée de ses miracles se divulgua dans toute la région, beaucoup d’infirmes vinrent à elle et elle les guérit tous.

 

CHAPITRE II

Miracles de Zurzach ( la plupart fictifs ou entachés de fictions ).
Mort et sépulture de la Sainte.

 

9) Partant de là, la bienheureuse Vérène arriva dans un bourg fortifié qui, depuis les temps anciens, était appelé Zurziaca [Zurzach], et là, elle trouva une église construite en l’honneur de la glorieuse Vierge Marie, et elle se mit à prier le Seigneur en disant : « Jésus invisible, devant qui tremblent les abîmes et le trésor de l’abîme, toi qui as fondé le paradis sans défaut, qui as posé une limite à la mer et elle ne transgressera pas ton précepte, qui as dévasté l’enfer, ligoté le diable, toi qui as éteint la puissance du dragon, le Malin, tu sais que je suis ici seule et orpheline ; en raison de ta grande miséricorde, fais que j’attende ici le dernier jour de ma vie terrestre. » Et comme elle achevait sa prière, un prêtre entra dans l’église pour célébrer la messe. Vérène prend entre ses mains saintes une ampoule de vin, l’apporte à l’autel et la met dans les mains du prêtre. Une fois la messe achevée, le prêtre lui dit : « D’où es-tu ? » Vérène répondit : « Je suis thébaine, j’ai fait partie du groupe qui accompagnait saint Maurice, martyr du Christ ; je suis chrétienne et je désire demeurer ici jusqu’à la fin de ma vie au service de Dieu et de Marie sa sainte Mère. » Le prêtre lui répondit : « Si tu veux être des nôtres, viens demeurer dans ma maison et prendre part à mes biens » ; et il lui confia la clef de son cellier et de tout ce qu’il avait.

10) Dès lors, la bienheureuse Vérène servait notre Seigneur Jésus-Christ, se livrant jour et nuit aux veilles, aux jeûnes et aux saintes prières, et elle donnait tout ce qu’elle pouvait en aumône aux pauvres. Là, près du Rhin, il y avait un village où se trouvaient beaucoup de lépreux et autres pauvres du Christ. La vierge du Christ Vérène se rendait chaque jour auprès d’eux, leur donnait à manger et à boire, leur lavait la tête et les oignait d’huile. Alors un serviteur du prêtre vint dire à celui-ci : « Maître, cette femme qui est avec toi et qui a tes clefs, prend chaque jour ton vin et tous tes biens et les porte aux lépreux et à ceux qui sont dans ce village. » Celui-ci répondit : « Comment cela peut-il se faire, car je n’ai jamais remarqué en elle ce que tu me dis ? » Et lui de répondre : « Si tu veux en avoir la preuve, suis-moi et je te conduirai sur le chemin par où elle passe tous les jours et tu pourras constater tout ce que je t’ai dit. » Ils partirent ensemble et empruntèrent le chemin ; là, la vierge Vérène vint à leur rencontre en portant du pain et du vin dans un petit vase ; et le prêtre lui dit : « Où veux-tu aller et que portes-tu dans ton vase ? » La vierge Vérène répondit : « Je veux aller chez ces pauvres, et dans ce vase, il y a de l’eau ; je veux leur laver les pieds et la tête. » Le prêtre lui dit : « Je veux voir si c’est du vin ou de l’eau. » Et, comme il prenait le vase dans ses mains, il vit au fond des charbons allumés, et à l’instant, la couleur rouge du vin prit la teinte pâle de l’eau.

11) Alors le prêtre lui rendit le petit récipient, tomba à ses pieds, pria et dit : « O vierge très sainte du Christ, Vérène, ne te souviens pas des péchés que j’ai commis devant toi : cet individu qui est avec moi m’a conduit ici à ta rencontre. » La Vierge sainte répondit : « Que celui pour l’amour duquel j’ai entrepris de venir ici daigne te pardonner tes péchés ; quant à celui qui t’a conduit ici, qu’il ne lui pardonne pas et qu’il ne meure pas avant d’avoir éprouvé quelque signe dans son corps ; et que tous ses enfants, avant qu’ils ne sortent de ce monde, reçoivent en eux quelque signe. » Et, comme le prêtre revenait dans sa maison et dans son cellier, il vit tous ses récipients remplis de vin. Quant au serviteur, lorsqu’il revint chez lui, il devint aveugle et paralytique, et tous ses descendants, jusqu’à aujourd’hui, avant de finir leur vie, éprouvent quelque maladie dans leur corps : l’un devient aveugle, l’autre sourd ou boiteux ou paralytique ou courbé ou épileptique ; l’un meurt dans l’eau, l’autre est brûlé dans le feu.

La bienheureuse vierge de Dieu Vérène alla donc chez les lépreux ; elle leur donnait à manger et à boire et leur lavait tout le corps. Et, comme la vierge de Dieu revenait à la chapelle de la sainte Vierge Marie, elle demanda au prêtre de lui construire une cellule pour qu’elle puisse y habiter dans la solitude jusqu’à la fin de sa vie.

12) Mais laissons cela pour le moment, et, Dieu aidant avec ses saints, venons-en à ce qu’il faut encore dire au sujet de ses glorieux miracles. Car nous pensons qu’il ne faut pas laisser tomber cela dans l’oubli, mais qu’il est digne de livrer ce qui suit à une sainte mémoire.

Le saint prêtre, maître et protecteur de la bienheureuse vierge Vérène, au temps du Carême précédant la Résurrection du Seigneur, retira son anneau d’or et le confia au soin fidèle de la vierge Vérène. Celle-ci le reçut de bon gré et le mit dans son coffret. Mais, son compagnon de service, d’une race de traître, voyant cela, et jalousant comme toujours les bonnes œuvres de celle-ci, vola l’anneau et le cacha dans un endroit retiré. Mais, comme on faisait une première recherche pour le retrouver, il alla furtivement jusqu’au Rhin et le jeta en eau profonde. Quant à celle-ci, elle pleurait chaque jour amèrement, de sa poitrine s’exhalaient de longs soupirs et elle ne cessait de prier Dieu pour cet anneau. Des pêcheurs étaient montés en bateau et, tirant leurs filets, prirent une grande quantité de poissons parmi lesquels ils en tirèrent un gros jusqu’au rivage. Avec d’autres, ils l’offrirent au saint prêtre. Celui-ci, rempli d’une joie peu ordinaire, reçut ce présent avec un air joyeux et ordonna de couper le poisson en morceaux. Ayant retiré ses viscères, ils trouvèrent l’anneau dans les intestins. Ce que voyant, le prêtre, d’une course rapide, se rendit avec l’anneau à la chambre de la Vierge. Celle-ci, joyeuse à cause de l’anneau retrouvé, mais plus joyeuse encore pour le miracle de Dieu, ne cessa pas de rendre ses louanges au Christ. O admirable façon d’agir ! Qui a jamais vu ou entendu de telles choses ? O poisson fidèle, qui aime mieux mourir plutôt que de ne pas rendre le trésor à la vierge ! O animal sans raison, beaucoup plus fidèle que cet individu, animal raisonnable!

13) Maintenant, il nous est permis de revenir à la suite du récit et de rappeler les actions glorieuses de Vérène afin qu’elles ne sombrent pas dans le silence. La vierge sainte, toujours prosternée dans ses prières, demanda que le bienheureux prêtre lui construise une cellule et l’y enferme seule pour le service de Dieu. Finalement celui-ci y consentit, non sans peine. Il lui construisit une cellule ; il convoqua tous les clercs de la région, et tous les hommes et femmes craignant Dieu, et il l’introduisit dans cette petite loge, si longtemps désirée, avec grand honneur. Là, vivant sévèrement, elle quitta la vie du siècle. Une fois enfermée, elle se mit à prier en disant : « Dieu, qui juge avec sagesse, devant qui tremblent tous les hommes qui vivent dans la suite des siècles, terreur des puissants, espoir des désespérés, consolateur des orphelins, juge véridique, lumière de lumière : regarde-moi, ne m’abandonne pas, Seigneur mon Dieu, car tu es mon espoir, et tu es béni dans les siècles des siècles. » Et elle demeura là six ans vouée au service de Dieu.

Un jour, un aveugle vint à elle et la pria avec larmes en disant : « Mets ta main sur mes yeux afin que je voie ton visage. » Alors, la bienheureuse, répandant des larmes, dit : « Que le Seigneur Jésus-Christ, qui a ouvert les yeux de l’aveugle-né, t’illumine. » Et, ayant fait le signe de croix sur ses yeux, à l’heure même, il reçut la lumière. Vinrent alors à elle beaucoup d’aveugles, de boiteux et d’autres, affligés de maladies diverses, et elle les guérit tous.

Comme se faisait imminent le temps de sa récompense et la fin de ses labeurs, à cause de ses infirmités corporelles, elle s’alita. Atteinte par la maladie, la vierge sainte Vérène mettait tout son espoir en Dieu et se livrait aux saintes veilles et aux prières. Autant que son infirmité le lui permettait, elle s’unissait sans cesse à Dieu avec une âme jamais vaincue. Et comme se faisait imminent le jour de son décès, la Vierge Marie, Mère de Dieu, suivie d’un chœur incomparable de vierges sacrées, se trouva là dans la cellule où la vierge Vérène était alitée. La très dévote vierge Vérène désirait de tout son cœur aller à leur rencontre et demeurer au milieu d’elles : « Quel est mon mérite – dit-elle – pour que, Mère de mon Seigneur et de mon Dieu, tu viennes jusqu’à moi, ta servante ? » A quoi Marie, la Mère de Dieu, répondit : « Pour que soit récompensée la pureté avec laquelle tu as servi le Seigneur jusqu’à ce jour, suis-nous, et avec nous, tu te réjouiras pour l’éternité. » Et ainsi son âme est séparée de son corps et la cellule est envahie d’un puissant parfum.

Ensuite, très solennellement, elle est inhumée sur place par les vierges sacrées, au lieu dit Zurzach, manifestant par de nombreux miracles qu’elle vivait dans la gloire en présence de Dieu. Et dans le même lieu, pour honorer sa sainteté, fut construite une église où fleurissent les prières qu’on lui adresse ; là des miracles variés et de nombreux bienfaits sont accordés, à ceux qui touchent son sépulcre, par la grâce de notre Seigneur Jésus-Christ, qui vit et règne avec le Père dans l’unité du Saint-Esprit, Dieu, pour tous les siècles des siècles.

 

 

MIRACLES,

apparemment du même auteur,

tirés des manuscrits d’Helmenhorstianus

 

CHAPITRE I

 

Liberté redonnée à l’église de sainte Vérène.
Par l’invocation de la sainte, la vue est rendue à un aveugle.
Prières de diverses personnes pour avoir des enfants.

 

1) Au temps où le très illustre Burchard obtint le duché de toute l’Alémanie, beaucoup, rebutés par sa dureté, le prirent en haine et s’opposèrent en tous points à sa volonté. Comme il engageait la guerre contre eux, il rassembla autour de lui une multitude de soldats auxquels il donna en bénéfice non seulement ses propres biens, mais encore, de façon irréfléchie, ceux de l’Église ; et, parmi eux un endroit appelé Zurzach, considérablement valorisé par le trésor du corps de la vierge sainte Vérène. Il le donna à l’un de ses satellites, appelé Dietpoldus. Mais, comme on le croit, une liberté suprême est réservée spécialement au domaine de Dieu : peu de jours après, une lumière du ciel montra que ce n’était pas une sage décision d’aliéner en récompense de services humains ce qui convient au service divin. Car ce qui est consacré à Dieu ne peut et ne doit être soumis à aucune autorité laïque. Comme le rapportent des fidèles contemporains, selon une relation digne de foi, une très belle vision divine se manifesta, montrant que la puissance de Dieu ne faisait pas défaut pour faire valoir les mérites de la vierge Vérène.

2) Lorsque le duc, ci-dessus nommé, entreprit un jour de poursuivre et de capturer quelqu’un qui combattait contre lui, il advint qu’avec une grande suite, il passa à gué le lit du Rhin, là où il longe le village fortifié de Zurzach ; puis ayant remonté les berges du fleuve et s’étant regroupés, les hommes poursuivirent leur route. Ils virent alors au-dessus de leurs têtes, dans les airs, deux hommes splendides portant en mains deux croix et deux chandeliers blancs ; ils étaient suivis par quatre autres portant un sarcophage sur leurs épaules ; ils avaient l’air d’emporter les reliques des saints et ils étaient escortés par une troupe nombreuse qui s’avançait comme en marchant au son très doux des hymnes. Alors, comme les soldats le racontèrent ensuite, ils les virent s’élever au-dessus d’une place, qui jusqu’à nos jours s’appelle Wihegaz, c'est-à-dire ‘rue de sainteté’. (C’est là que la vierge Vérène, de son vivant, servit si souvent les pauvres.) De là, progressant au-dessus du sol, la procession fut subitement interrompue dans sa marche et elle entra par une fenêtre de l’église consacrée à la Vierge Marie et ne reparut plus jamais.

3) Ce que voyant, le duc et tous ceux qui étaient avec lui, frappés d’une grande stupeur, entrèrent, déchaussés, dans l’oratoire, afin d’implorer le pardon par une très humble prière. Ensuite, se relevant de leur prière et s’approchant de plus près de l’autel, ils examinèrent avec grand soin la fenêtre par où ils avaient vu entrer une telle multitude. Elle se révéla solide et sans défaut, sans que dans les bords de la verrière, on trouve une trace quelconque de brisure. Alors, le duc lui-même avec ses satellites, poussés par le repentir, avec l’assentiment de tous, se lia par un vœu, déclarant qu’autant qu’il vivrait, il ne consentirait pas à ce que des séculiers prennent possession de ce lieu. Et ainsi, jusqu’à aujourd’hui, les serviteurs de ce lieu dédié à sainte Vérène n’ont eu à subir aucun dommage de la part d’une personnalité laïque cherchant à imposer son autorité sur eux.

4) De plus, il nous revient en mémoire comment le susdit guerrier Dietpoldus, alors qu’il avait reçu en bénéfice le domaine de Zurzach des mains du duc, se mit à construire une muraille près du fleuve Aar et il édifia une tour d’une hauteur impressionnante. Puis il oppressa à un tel point toute la famille (*) de la vénérable Vérène par des travaux innombrables, par la faim, la soif et de nombreux tourments, que ceux-ci fuyaient en traversant le fleuve à la nage et arrivaient, nus pour ainsi dire, au sanctuaire de cette même Vierge ; là ils imploraient son secours pour qu’elle les libère et qu’elle consente à les prendre à son service. Ce qui fut réalisé. Un certain jour, comme Dietpoldus se trouvait chez lui avec sa famille et ses proches, la tour commença à trembler et à s’écrouler ; et ainsi sa vie prit fin misérablement. Dès lors, la ‘famille’ de Vérène en question se trouva libérée et se mit promptement au service de la sainte. De là, les habitants de ce lieu donnèrent à la sainte le nom de ‘Werina’(**), car tout ce qu’on lui demande avec foi, on est sûr de l’obtenir. C’est ainsi – à moins que nous manquions à la grâce du Saint-Esprit – que Dieu et ses saints s’interposent face au péril imminent qui nous mettrait en danger de mort.

(*) L’ensemble des familiers qui vivaient sur le domaine relevant du pèlerinage de Sainte Vérène.

(**) Ce surnom fait penser au verbe allemand ‘wehren’ qui signifie : défendre, protéger.

5) Cédant à la tromperie du Malin, certains firent irruption, la nuit, dans la maison d’un homme, et volèrent un cheval. Mais, se levant d’un bond, le propriétaire se mit à la poursuite des fuyards et eut tôt fait de les appréhender. A deux d’entre eux, (ils étaient trois en tout) il arracha les yeux. Le troisième était de la ‘famille’ de la bienheureuse vierge Vérène. Se voyant pris, il invoqua le nom de la sainte et cria grâce, demandant la paix et disant que, de toute sa vie, il n’avait jamais commis une telle chose et qu’à l’avenir, avec la grâce du Seigneur, il voulait ne plus en commettre, si l’autre consentait à le laisser partir en paix. Mais l’individu qui avait subi ce dommage ne fit aucune rémission à la suite de cette supplique ; il le jeta à terre, lui ôta la possibilité de voir la lumière en le frappant aux yeux, et s’en alla. Mais, pensant qu’il avait agi trop mollement et que l’homme qu’il avait laissé aveuglé était encore capable de voir un peu le jour, il revint, encore et encore et, traversant ses paupières, il lui vida si bien les orbites qu’il n’était plus possible à quiconque de douter de sa cécité. Après cela, rendu complètement aveugle, l’autre se releva et, comme il put, en tâtonnant, il commença à marcher, gardant ferme espoir cependant et pleine confiance de retrouver la lumière en s’appuyant sur Dieu et sur le patronage de sainte Vérène. Fait digne de louange et merveille de la miséricorde de Dieu, qu’un homme, aveuglé par sa malice, fût aussitôt illuminé par Dieu et qu’après avoir été aveuglé, il reçût une clarté de vue plus grande ! Il resta encore longtemps en vie, offrant ses services pour la sainte église de Zurzach, témoin des célestes bienfaits que le Seigneur, dans sa clémence, avait opérés en lui par l’intercession de sainte Vérène.

6) Conrad, roi glorieux des Burgondes (*), n’avait pas d’enfants de sa femme légitime et il nourrissait une grande inquiétude d’esprit en se demandant à qui il laisserait l’héritage de son royaume. Il dit à sa femme : « Il y a un endroit en Alémanie qui est consacré à Dieu et à une vierge sainte. Allons-y et implorons sa clémence afin que nous puissions avoir des fils. » Ils vinrent, adorèrent avec grande dévotion et offrirent des présents ; ils firent des vœux qu’ils accomplirent par la suite et, après avoir offert de larges aumônes selon la coutume, ils revinrent chez eux et, la nuit même, la reine entra auprès du roi, elle conçut et enfanta un fils. Le père ayant été exaucé, son fils, de son vivant, reçut les rênes du pouvoir et le royaume est encore ainsi affermi jusqu’à nos jours.

(*) Conrad, roi de la Bourgogne Transjurane, appelé Pacifique, était le fils de Rodolphe II, et le père de Rodolphe III. Il eut pour femme Mathilde, fille de Louis d’Outremer, roi des Francs. L’historien André Duchêne en fait longuement l’éloge et dit qu’il a eu un seul fils, Rodolphe, et quatre filles. Il est mort en 994.

7) Hermann (*), duc des Alamans, prit pour femme la très noble dame Regilinda(**). Mais comme ils n’avaient pas d’enfants, ils vinrent eux aussi vénérer la vierge sainte Vérène et là, ils passèrent la nuit. Cette dame vit en songe comme quelque chose qui descendait en son sein et s’y dilatait. Elle raconta cela à son mari ; celui-ci, qui était un sage, comprit qu’ils auraient une fille. Elle conçut et mit au monde une fille (***). Celle-ci grandit entourée d’innombrables honneurs aux yeux du monde mais davantage encore aux yeux de Dieu – à ce que nous croyons – et elle avait beaucoup de pouvoir sur le ciel.

(*) Hermann Ier, duc des Suèves. Duchêne dit qu’il était fils de Gérard, comte de Franconie, lequel fut tué dans la lutte contre les Hongrois en 910. Hermann lui-même est mort en 948.

(**) Regilinda était veuve de Burchard II, après la mort duquel, elle épousa Hermann, qui succéda à Burchard dans le duché des Suèves.

(***) Il s’agit de Itha, mariée à Luitolphe, fils de l’empereur Othon Ier. Ce Luitolphe devint duc des Suèves, après son beau-père Hermann.

8) A tout cela, il faut ajouter un troisième récit, parce qu’il est digne d’être gardé en mémoire. Une noble dame habitait en Alsace. Mariée depuis longtemps, elle restait cependant sans enfant. Elle se mit à invoquer sainte Odile avec constance afin d’obtenir de sa bonté une progéniture. Elle devint enceinte et engendra une fille. Mais, faisant peu de cas d’une naissance féminine, car elle désirait un garçon, elle continua à implorer le secours de la vierge. Concevant de nouveau, elle engendra une autre fille qu’elle prit en aversion. Et cependant, elle n’en continuait pas moins à implorer la grâce de sainte Odile. Concevant pour la troisième fois, elle engendra une troisième fille. Lorsqu’elle la vit, elle tomba de chagrin et personne ne put la consoler. Comme elle n’avait pas été exaucée, elle gisait sur son lit à demi-morte.

9) Saint Odile, ayant pitié de son mal, intervint et la consola avec de douces paroles en lui disant : « Pourquoi agis-tu ainsi ? Pourquoi as-tu des pensées déraisonnables ? Ce que tu m’as demandé, je l’ai fait comme j’ai pu. Mais, si tu veux avoir des fils, demande-le à la sainte et vénérable vierge Vérène : elle, pas moi, a la grâce de donner des fils et des filles. » Et ce disant, elle disparut à ses yeux. Rassemblant ses forces, la dame convoqua les prêtres du lieu et s’enquit auprès d’eux de l’endroit où reposait le corps de la vierge sainte Vérène. Dès lors, sur leur conseil, elle servait spirituellement sainte Vérène tous les jours de sa vie. Elle se mit à invoquer son nom et à l’implorer pour obtenir un garçon. Après quoi elle conçut. Après avoir si longtemps désiré un garçon, elle obtint deux fils jumeaux.

Je pourrais citer beaucoup d’autres noms et d’autres faits, mais il n’est pas nécessaire de les nommer un par un, car il y aura encore beaucoup de personnes qui demanderont la même grâce. O vierge Vérène, digne de toute louange, prie pour notre salut et celui de tous, afin que nous ne périssions pas dans notre pèlerinage.

 

CHAPITRE II

 

Bienfaits obtenus par l’action de la sainte.
Des gens travaillant le jour de sa fête, des blasphémateurs,
des voleurs, un pillard, sont punis,
mais certains, revenant à résipiscence
et invoquant la sainte, sont rétablis.

 

10) Un jour, une grande partie de l’église consacrée à la vénérable vierge, à cause de la fragilité du terrain gorgé d’eau, s’écroula du sommet jusqu’à la base, barrant ainsi l’entrée au peuple. Alors l’abbé (de cette église) ordonna qu’on se procure des pierres de fondation assez grandes pour qu’on n’ait plus besoin de faire de restauration à l’avenir. Aussitôt, les gens du lieu se rendirent dans un endroit où, à leur connaissance, il y avait un amoncellement de pierres sous l’eau ; ce lieu est appelé ‘Confluent’, car c’est là que l’Aar se joint au Rhin. Ils eurent cette sage pensée : bien qu’ils ne puissent les soulever, cependant ils commenceraient le travail, en chantant KYRIE ELEYSON, à l’instar des soldats chrétiens qui s’élancent au combat. D’un bond, ils entrèrent dans le Rhin. Dieu qui est l’auteur de tout bien, par les mérites de la vierge sainte, leur donna une ferme volonté, supprima le froid (on était en hiver), les remplit d’audace et leur donna une telle vigueur que, ce que vingt hommes n’auraient pu porter sur terre, cinq ou six hommes dans l‘eau l’amenèrent jusqu’à terre. En examinant ces pierres, ils virent, sculptées dessus, des lettres et des images d’hommes. Et ils en déduisirent qu’elles avaient été récemment immergées à la suite d’un naufrage. Certes, la main de celui qui écrit dans l’eau fait une oeuvre inutile, mais pour lors, avec un grand succès, ces pierres furent posées comme fondation, et par-dessus, on fit une belle construction. Louons la vénérable vierge Vérène pour qu’elle rende le Christ bienveillant à notre égard.

11) Il y a quelques années, en été, sous le gouvernement de je ne sais plus qui, il se produisit un grand miracle, lequel nous est bien connu, car nous l’avons vu de nos yeux ; aussi en sommes-nous les témoins. Le Rhin, ayant débordé à cause de l’abondance des eaux et ayant démesurément gonflé, recouvrit presque toutes les terres cultivées et, ôtant tout espoir de subsistance, il plongea les gens dans le désespoir. Comprenant cela, ceux-ci vinrent avant le lever du jour au monastère, implorant avec larmes la grâce de la vierge, afin qu’elle ne les abandonne pas et les délivre de ces eaux envahissantes. Puis, se relevant de leur prière, prenant la croix et portant les reliques, ils vinrent jusqu’aux champs, mais, par crainte des éléments, ils n’osèrent pas entrer dans les terrains plats cultivés. Alors, subitement, dans l’espace d’un moment, par un heureux mouvement de recul, le Rhin rentra dans son lit sans créer aucun dommage, et les moissons, qui étaient couchées le matin, se redressèrent aussitôt à midi. Alors, tous furent remplis de joie ; ils chantèrent et louèrent sainte Vérène en disant : Louons la vierge vénérable Vérène qui, par la fleur de sa chasteté, a mérité la louange dans les cieux.

12) Nous ne pensons pas pouvoir omettre cet épisode : Une femme négligente ne voulut pas observer la fête de la dédicace de l’église consacrée à la glorieuse vierge Vérène, mais saisissant le fuseau et la quenouille avec son écheveau de laine, elle s’acharna au travail des mains. Admonestée par ses voisines lui demandant de ne pas faire cela mais de les accompagner à l’église, elle ne consentit pas à les écouter, voulant plutôt achever le travail commencé. Les autres s’en allèrent, puis l’office étant achevé, après avoir reçu la bénédiction, elles s’en revinrent joyeusement chez elles. Mais, en entrant dans la maison de la femme, ils la virent gisant à terre, la bouche écumante, grinçant des dents, la quenouille adhérant fortement à la main gauche et le fuseau à la droite et les membres privés de tout mouvement. Sans retard, elles la mirent sur un chariot et portèrent ce corps inerte devant le saint autel. Longuement, les clercs, avec ceux qui étaient présents, firent des prières afin que par les mérites de la vierge sainte, la grâce du Sauveur vienne en aide à la femme négligente. Celle-ci, bien que tenue fermement en mains, s’élança sur l’autel avec une force divine, et ses membres débiles se relevèrent, guéris. Alors tous les clercs, chantant des psaumes de louange à Dieu, s’en retournèrent joyeusement chez eux.

Nous voyons les étoiles dans les hauteurs des cieux, le sable sur la plage, mais nous ne pouvons les compter. De même, nous ne pouvons pas décrire tous les miracles qui se produisent par les mérites de la glorieuse vierge Vérène, par la grâce de notre Seigneur Jésus-Christ, qui vit avec le Père dans l’unité du Saint-Esprit pour les siècles des siècles. Amen.

13) Jusqu’à maintenant, vous avez entendu parler des douceurs de la piété ; maintenant, voici un fait décrivant la puissance de cette sainte. Dans le pays des Francs, il y avait un comte riche de multiples biens. Il avait passé toute sa vie avec sa femme sans avoir de fils. A plusieurs reprises, il avait reçu des conseils de notre part lui suggérant d’aller à Zurzach pour y prier, implorer la grâce de la vierge et y faire une petite offrande prélevée sur ses domaines afin d’obtenir des fils ; mais il n’écouta pas notre conseil et le tourna en ridicule. Les femmes, disait-il, sont fragiles, sans force et toujours inutiles en cas de guerre. De même sa femme, comme elle ne voulait pas croire et mettre sa confiance en la vierge, fut frappée d’un coup de foudre et finit sa vie misérablement ; quant à lui, il resta sans enfants.

14) Comme c’était la fête de la vierge Vérène, jour tant attendu chaque année, et que beaucoup de peuple se rassemblait de plusieurs régions, deux voleurs, comme s’ils voulaient vénérer la sainteté de la vierge, entrèrent à Zurzach en faisant chemin avec eux. Un soir, au crépuscule, ils dérobèrent des chevaux et, se retirant, ils errèrent à travers montagnes et forêts, par champs et marais, traversant ainsi beaucoup d’autres endroits mal commodes à l’heure dédiée au repos, et attendant péniblement l’aurore. L’un d’eux vint à cheval dans l’atrium de l’église, les vêtements déchirés, le visage défiguré, hors d’esprit et de sens et il tomba à terre comme mort. On rend le cheval à son maître et, par les mains du peuple, le voleur est porté au saint autel. Tous font une prière et celui-ci se relève en bonne santé, promettant qu’il ne ferait plus jamais rien de tel et qu’il s’enrôlerait au service de sainte Vérène. Ce qu’il accomplit fidèlement comme il l’avait promis. Quant à l’autre, hors de sens, il arrive sans le savoir avec la haridelle, au domaine de son propriétaire. Semblablement, il est libéré par les mérites de sainte Vérène et il repart sain et sauf. Et tous les deux eurent une fin de vie exempte de tout reproche.

15) Un campagnard, le jour de la dédicace de cette même église, entra dans une forêt pour couper du bois et voici que le manche qu’il tenait se mit à lui coller à la main. Conduit à l’autel, il priait, prosterné, devant tous les gens. Il repartit en bonne santé.

Un autre homme, pour le salut de son âme, donna une partie de son héritage aux Frères voué au service de Dieu et de sainte Vérène, et il y ajouta un moulin très nécessaire à la communauté. Mais un plus puissant que lui s’y opposa et, ce que l’autre avait donné en bon état, celui-là voulut lui ôter sa valeur en faisant le mal ; il changea le cours normal de la rivière, la faisant passer par un autre endroit, procédé illégal vis-à-vis du propriétaire. Alors, un jour, sans qu’il tombe une seule goutte de pluie et sans l’intervention d’aucun homme, mais par la seule puissance du Dieu de majesté, cette rivière gonfla étonnamment avec une abondance inouïe et elle franchit toute la structure de ses berges ; et ainsi elle revint dans son ancien lit. Grandement terrifié, l’homme vint prier la vierge et, ce qu’il avait détérioré avec désinvolture, il le rétablit avec empressement, puis il se corrigea.

16) Un homme faisait route avec une suite nombreuse. Il passa par Zurzach et s’arrêta pour la nuit dans les bâtiments de la vierge Vérène. L’un d’entre eux, qui s’occupait de l’intendance, s’opposa à notre communauté en faisant un mauvais usage de nos biens, ce qui fut prouvé par la suite des événements. En effet, avec une grande dureté, il demanda de la cire au sacristain pour en faire des cierges. Celui-ci lui donna ce qu’il put. L’autre contesta et exigea toujours plus ; mais le sacristain ne put donner, car il n’avait pas. Alors l’autre rempli de fureur, s’empara des cierges qui entouraient le saint autel et se retira. Le matin l’équipée commença à repartir, lorsque subitement le voleur tomba de sa monture et gisait sur le sol comme s’il était prosterné sur les dalles de la basilique. Les jambes brisées, il était comme mort. Et les siens, de leurs mains, le ramenèrent au logis. Il demeura longtemps retenu dans cette infirmité et il ne connut pas d’amélioration jusqu’à ce qu’il ait soin de se racheter.

Louons Sainte Vérène qui fait miséricorde à ceux qui se repentent, qui accorde sa grâce à ceux qui viennent vers elle, qui inspire l’effroi à ceux qui font le mal et qui distribue ses faveurs à ceux qui les demandent. Et cela, par la grâce de Notre Seigneur Jésus Christ qui vit et règne avec le Père dans l’unité du Saint Esprit. Amen.

 

CHAPITRE III

Autres miracles et bienfaits survenus à l’époque du Moyen-Âge

 

17) Dans la congrégation de Sainte Vérène, il y avait un frère, d’origine noble, mais plus noble encore par sa dignité de vie. Il conservait toujours dans son cœur les voies de la justice et, autant qu’il le pouvait, il se dépensait au service des Frères. Il aimait tout le monde et tout le monde l’aimait. Mais, au bout d’un certain temps, une infirmité, héritée de l’enfance, se développa et devint très lourde, et l’habileté d’aucun médecin n’arrivait à le tirer de son mal. Il se mit à implorer l’aide de sainte Vérène  et bien souvent, il se rendait à son tombeau afin que par elle il puisse être libéré. Un certain jour, comme il s’y rendait, et qu’il se prosternait humblement dans sa prière, il s’endormit, puis se réveilla guéri. Avec une grande joie, il revint chez lui. Et, jusqu’à la fin de sa vie, il demeura sans ennui de santé.

Je vous ai raconté cela, Frères, et c’est bien peu de choses par rapport à tout ce qu’on pourrait dire. Ce sont quelques fleurs cueillies dans les prés, pour que, lors de la solennité de Sainte Vérène, votre dilection ait quelque chose à lire la nuit aux nocturnes, et que, le jour, les Frères aient de quoi nourrir leur esprit à la table du réfectoire. Qu’en tout lieu résonne dans nos oreilles la louange de Dieu, Trinité qui vit et règne, Dieu unique dans les siècles des siècles. Amen.

18) Le jour de la Purification de la Sainte Vierge Marie [la Chandeleur du 2 février], tous les habitants de la région se rassemblèrent avec leur offrande près de l’église et ils attendaient la messe solennelle et la procession de la sainte Croix. Au commencement de l’office de la louange divine, ayant accompli le rite des cierges, ceux-ci étant tous allumés, nous avançâmes jusqu’à l’église, chacun tenant son cierge à la main. Cependant à cause de la force du vent aucun ne restait allumé ; et comme nous étions encore à une centaine de pas de l’église, subitement il y eut une grande tempête et le vent du nord se précipita avec force. Il brisa de nombreux édifices dans les villages et jeta à terre de grands arbres dans les forêts, complètement déracinés. Et comme nous voyions une flamme ardente briller sur nos cierges, nous mîmes la main pour la protéger et aussitôt, nous la vîmes s’éteindre, et tous les gens observèrent le même phénomène. Encore et encore, nous mîmes la main devant la flamme ardente : par un signe divin elle s’éteignait et de nouveau, divinement, se rallumait. Chaque fois que nous mettions la main pour protéger la flamme, chaque fois par une spiration de Dieu elle s’éteignait, puis de nouveau se rallumait. La quatrième fois, faisant un retour sur nous-mêmes nous comprîmes que cela s’était produit au nom de la Sainte et Indivisible Trinité. Car le ‘trois’ et l’ ‘un’ font quatre (sic !). La qualité ternaire demeure pour la majesté de la Sainte Trinité et l’unitaire pour la déité de la Sainte Unité. Donc, sans protection de nos mains et avec une flamme bien droite, nous parvîmes au temple du Seigneur, puis avec une grande joie nous revîmes chez nous.

19) Un paysan ne voulait pas observer la solennité de Sainte Vérène en la fêtant comme il convient par une journée de repos, mais il alla dans son petit pré pour y retourner foin. Les bons prêtres lui dirent : « C’est aujourd’hui la fête de la vierge sainte. Il ne t’est pas permis en ce jour de faire aucune œuvre servile. » Mais lui n’en tint pas compte et ne réduisit en rien son travail. Les prêtres le maudirent en disant : « Ô sainte Vérène ! Rends-lui ce qu’il mérite. » Ce misérable tomba alors par six fois et il gisait à terre comme un lunatique. Il se mit à faire de la bile et souffrit d’une grave maladie pendant longtemps jusqu’à ce que la grâce de Dieu le guérisse.

20) Un homme qui devait tribut au pèlerinage de Sainte Vérène épousa une femme qui était tributaire elle aussi. Son bien s’accrut considérablement de multiples manières et en peu de temps il devint un homme considérable. Comme il avait des fils et des filles et qu’il rougissait de payer son tribut à la Sainte, alors qu’il aurait dû le faire car c’était lié à son héritage, il s’en libéra, lui et ses descendants, encourant ainsi la malédiction de la vierge : ce que la suite des évènements montra en effet. Car lui-même et sa femme moururent tous les deux d’une mort ‘inspirée’. Et leurs enfants qui vivent encore maintenant souffrent de paralysie, privés de l’usage de tous leurs membres, sauf des yeux. Qu’il en soit ainsi pour tous ceux qui critiquent les vertus de sainte Vérène.

21) Un jour, des familiers dépendant du pèlerinage de Sainte Vérène et demeurant sur la rive où était construit le monastère, reçurent l’ordre d’aller sur l’autre rive pour faire la moisson. Ils partirent donc ; certains passèrent outre devant l’église, d’autres y firent une humble adoration ; parmi eux, une pauvre femme, prostrée et priant intensément, se recommandait à Dieu et à la sainte. Et ainsi l’on arriva jusqu’à un petit bateau. Mais l’esquif était trop petit et ne pouvait porter beaucoup de monde ; ils s’embarquèrent quand même. Dans le naufrage qui s’en suivit, quelques-uns, ceux qui étaient passés devant l’église sans s’arrêter, périrent. Ceux qui s’étaient prosternés pour adorer en réchappèrent, grâce à la sainte. Quant à la petite femme, elle coula jusqu’au fond du Rhin et là, elle se mit à marcher de façon miraculeuse et fit ainsi la traversée. Voyant cela, les gens accoururent, stupéfaits. Remplis d’admi­ration, ils lui demandaient : « D’où viens-tu ? – Où vas-tu ? – Comment vas-tu ? » Elle répondit : « Une grande dame, dans les profondeurs, a posé sa main sur ma bouche, et l’autre sur ma chevelure, et, me tirant, elle m’a amenée au milieu de vous. » Alors tous, remplis de joie, autant qu’ils le purent, chantèrent hautement les louanges de Dieu et de la vierge Vérène.

22) Un récipient de pierre fut trouvé par des bergers dans une ville antique bordant le Rhin ; nous en reparlerons. Une pieuse femme, veuve, pleurait son mari et, en pleurant, perdit la vue, si bien que sans cesse elle implorait avec larmes la grâce de la sainte. Une nuit donc, cette vierge la réveilla et lui dit : « Il existe un récipient de pierre, dans lequel je versais de l’eau chaude mélangée avec de la cendre, je lavais la tête des lépreux et les habits d’autres malades. Si tu te laves ainsi en utilisant ce récipient, sans aucun doute tu recouvriras la vue. » Elle se leva promptement, se fit conduire par une voisine, à l’endroit où se trouvait le vase, se lava les yeux et recouvrit la vue. Après cela, au même endroit, fut élevée une belle église pour honorer la sainteté de la vierge et des saints martyrs thébains. Et là, des miracles du Christ furent vus et entendus. Entre autres : Comme par suite d’une négligence, l’éclairage nocturne faisait défaut, toute l’étendue de ladite ville rayonna d’une splendide lumière. Un saint prêtre qui habitait dans un bourg fortifié proche du Rhin observa le phénomène, et cela dura toute la nuit. Une autre fois, l’église étant privée de l’office des clercs, on entendit la voix des anges qui psalmodiaient, et cela était doux à l’oreille des auditeurs comme du miel dans la bouche. Mais les gardiens voulant approcher ne purent mettre un pied devant l’autre.

23) Hermann II, duc des Alamans (*), était aussi un homme de qualité, illustre en toutes les vertus. Il épousa la fille du roi Conrad. Comme il avait eu assez de filles et qu’il n’avait pas de fils, les deux époux vinrent demander à la sainte la grâce d’un garçon : ce qu’ils obtinrent aussitôt après. Celui-ci étant né, ils offrirent de grands présents en revenant avec l’enfant. Ils repartirent avec la grâce et la bénédiction de la vierge et revinrent tout joyeux chez eux.

Nous écrirons encore beaucoup de choses à ce sujet dans une autre occasion, si Dieu le permet, lui qui a tout créé de rien : A lui honneur et gloire pour tous les siècles des siècles. Amen.

(*) Il avait reçu son duché de l’empereur Otton III en 997

 

APPENDICE

De la Vie Germanique traduite par Winando Pescher

 

24) La sérénissime reine Agnès, de sang royal, née en Hongrie, épouse du très puissant empereur romain Rodolphe (*), fit une fois le vœu de visiter le célèbre tombeau de sainte Vérène, afin que Dieu daigne lui donner un héritier. Elle fut exaucée et obtint un fils qu’elle appela Jean. Lequel ensuite, en l’an 1294, prit la fondation de sainte Vérène sous sa protection et son patronage. Les documents et autres témoignages digne de foi, tant de la donation et de la confirmation de cette église, que des miracles et autres récits, sont encore conservés et peuvent être montrés. (**)

(*) En fait Agnès est l’épouse de Rodolphe, duc des Suèves, lequel est fils de l’empereur Rodolphe.

(**) En 1306, l’Archiduc Rodolphe d’Autriche transporta des reliques de sainte Vérène à la cathédrale Saint-Étienne de Vienne, où aujourd’hui (en 2005), elles se trouvent toujours.

25) En l’an 1606, de pieux conjoints eurent une fille qui resta longtemps aveugle. Après quoi, ils la consacrèrent à sainte Vérène à Zurzach. Or, alors qu’ils avaient accompli leur vœu en ce lieu, le Seigneur Dieu leur manifesta sa bienveillance et redonna la lumière à la petite aveugle, comme nous-même, ici présents, l’avons appris de ses deux parents.

26) Une personne connue de la ville de Thienger dans le comté de Sultzens avait une petite fille dont tout le visage était défiguré par une peau qui s’écaillait de façon malsaine et mortifère, au point que nul médecin n’avait pu la soigner. La mère, sincère et pieuse, consacra sa petite fille et l’offrit à sainte Vérène. En l’an 1613, comme elle l’avait conduite au tombeau de la sainte, toute cette desquamation diminua en un rien de temps et la fillette fut totalement guérie. Alors sa mère fit monter de grandes louanges vers Dieu par ses saints bien-aimés et elle rendit grâce.

27) En l’an 1616, le 14 juin, deux hommes du gouvernement impérial de la région de Zürich, viennent à Zurzach poussés par le même vœu, inspiré par le conseil d’hommes pieux : car leurs femmes respectives étaient très malades, l’une atteinte de surdité et l’autre d’une douleur des yeux, ou glaucome. Aussitôt après qu’ils eurent fait leur prière, ils furent exaucés par l’intercession de sainte Vérène. Avec quelles actions de grâces l’un et l’autre revinrent chez eux, l’heureux effet obtenu par leur prière l’indique suffisamment !

28) En l’an 1599, Marguerite, une femme de Pfullendorf, était affligée d’une grande et terrible tumeur au pied et endurait depuis longtemps de grandes souffrances ; et bien que, de tous côtés, elle implorât conseil et secours, et qu’elle prît de nombreux remèdes, tout cela ne servait à rien. Au contraire, plus le temps passait, plus la tumeur et les douleurs augmentaient. Mais dans le même temps, elle prend connaissance de beaucoup de grâces et de faveurs que la vierge Vérène demandait et obtenait par sa fidèle intercession auprès du Dieu tout-puissant et miséricordieux, et cela pour de nombreuses personnes dans toutes leurs difficultés et nécessités. C’est pourquoi Marguerite fit le vœu de faire un pieux pèlerinage à l’église et au tombeau de la sainte afin d’offrir quelque présent ou sacrifice. Sur-le-champ elle se prépara à partir ; à vrai dire, c’était en hiver, au mois de janvier, par grand froid et avec une grande hauteur de neige. Tout à fait languissante et épuisée, en plus de son infirmité et de sa mauvaise santé, elle arriva à Zursach et aussitôt, sans plus attendre, elle alla voir l’église et le tombeau de sainte Vérène et lui offrit des présents avec ses prières. Pour finir (car comme nous l’avons dit, elle était passablement épuisée et malade) elle s’assit. Et en priant, elle s’endormit.

29) Environ une demi-heure après elle se réveille et elle constate qu’ont disparus non seulement le mal au pied, la faiblesse du cœur et la fatigue des membres, mais aussi les tumeurs du pied. Alors, elle se lève d’un bond et rend de ferventes actions de grâces, d’abord au Dieu tout-puissant et miséricordieux, et ensuite à sainte Vérène pour sa fidèle intercession. Puis elle va trouver le révérend et très docte D., doyen de cette église, et raconte ce miracle notoire et manifeste, en présence aussi du révérend Gall, cellérier de l’église Saint-Blaise, doyen de Klingnau ainsi que du respectable homme Pélage Artzling, secrétaire de la ville et préfet de la mémorable église Saint Blaise à Keiserstull ; tel fut le miracle qui fut paternellement accordé à cette personne par la grâce et la bonté de Dieu et par l’intercession de sainte Vérène.

 

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