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DIVINITÉ

DISCOURS CONTRE LES JUIFS.

SIXIÈME DISCOURS.

 

ANALYSE.

 

Saint Jean Chrysostome avait contracté un enrouement par suite de la longueur du discours précédent, et de l'ardeur avec laquelle il l'avait débité ; le jour où il prononça le sixième discours était consacré aux martyrs; il tire de là son exorde.— Il annonce que, malgré la faiblesse de sa voix , il va faire un effort pour continuer le sujet qu'il a traité dans sa dernière instruction : il prouve qu'un discours contre les Juifs ne peut que plaire aux martyrs , dont les triomphes n'ont pas besoin de l'éloge des hommes.

Après une courte analyse du discours précédent, l'orateur examine à quoi les Juifs peuvent attribuer leur désastre actuel; il montre avec force qu'ils ne peuvent l'imputer ni à la gravité de leurs fautes ni à la puissance des hommes; qu'étant plus mal. heureux à présent qu'ils ne l'ont. jamais été, quoiqu'ils soient plus exacts à pratiquer la loi et qu'ils ne se souillent pas d'aussi grands crimes, ils ne sont accablés de maux que parce qu'ils ont crucifié le Seigneur Jésus : ce qu'il confirme par l'autorité des prophètes.— Il infère de leurs maux la divinité de Jésus-Christ, parce que, s'il n'était qu'un vil imposteur, comme ils le prétendent, de quelques péchés qu'ils se fussent rendus coupables, quelque irrité que Dieu pût être contre eux, il les aurait épargnés pour la gloire de son nom, pour ne pas laisser glorifier son ennemi.— Outre leur ville et leur temple, les Juifs ont perdu tous leurs privilèges, ils n'ont plus de sacerdoce.- Que sont leurs prêtres actuels en comparaison des anciens prêtres ? — Saint Jean Chrysostome rapporte les cérémonies de la consécration et les autres circonstances qui rendaient anciennement la dignité du sacerdoce auguste et vénérable.— Il finit par s'élever contre les Chrétiens qui fréquentent leurs synagogues; il montre combien leur conduite est condamnable, digne des plus grandes peines, et ne pouvant être excusée par aucune raison. ! exhorte les plus sensés à détourner leurs frères de superstitions aussi absurdes que criminelles.

 

1. Tant que les bêtes sauvages habitent les forêts, tant qu'elles ne sont pas encore accoutumées à combattre contre les hommes, elles sont moins âpres et moins cruelles. Mais lorsque, prises par les chasseurs, elles sont amenées dans les villes, lorsqu'enfermées dans des cages on les anime contre les misérables exposés à leur férocité, et qu'élancées contre eux elles ont goûté de leur chair et bu le sang humain, elles ne se privent pas aisément, par la suite, d'un pareil mets, elles y courent avec une avidité extrême. C'est ce que nous éprouvons maintenant. Après avoir déjà combattu contre les Juifs, après avoir attaqué avec force leurs objections impudentes, détruit leurs raisonnements, renversé toute hauteur qui s'élève contre la connaissance de Dieu, captivé les intelligences pour les soumettre à Jésus-Christ, nous avons un plus grand désir de recommencer le combat contre ces ennemis de notre foi. Mais que dois-je faire? Vous voyez vous-mêmes que ma voix affaiblie ne peut suffire à prononcer un long discours : je suis comme un guerrier qui, animé par la défaite de quelques-uns de ses adversaires, se jette dans les plus épais bataillons des ennemis, mais qui, après en avoir tué plusieurs, voyant son épée brisée, affligé de ce contre-temps, se retire au milieu des siens. Ou plutôt ma situation est beaucoup plus embarrassante : un guerrier dont l'épée est brisée , peut saisir celle de quelqu'un de sa troupe, se livrer à son ardeur et continuer de signaler son courage; au lieu que celui qui a parlé, et dont la (334) voix est affaiblie, ne peut emprunter celle d'un autre. Quoi donc ! nous retirerons-nous sans avoir rien dit du sujet dont nous voulions vous entretenir? Mais votre empressement à nous entendre ne le permettrait pas : je respecte cet empressement, je respecte la présence de notre père. Je ferai donc des efforts au-dessus de mes forces, je céderai aux prières d'un saint pontife, et au zèle de tout ce peuple.

Et qu'on ne regarde pas notre discours comme déplacé, parce qu'au lieu de nous occuper des martyrs qui nous appellent en ce jour, au lieu de célébrer leur triomphe, nous entrons en lice contre les Juifs. Non, il n'est pas de sujet qui puisse plaire aux martyrs autant que celui que nous allons traiter. Nos éloges ne pourraient rien ajouter à leur gloire. Eh ! quel besoin pourraient avoir de nos louanges des hommes dont les combats sont au-dessus de notre nature mortelle, dont les couronnes surpassent notre pouvoir et nos idées? Pleins de mépris pour la vie présente, bravant les tourments et la mort, ils ont pris leur essor vers le ciel ; affranchis de tous les flots des révolutions humaines, ils sont arrivés dans un port tranquille, non chargés d'or, d'argent et d'étoffes précieuses , mais enrichis de trésors que les brigands ne peuvent ravir; revêtus de patience, de force et de charité, ils sont parvenus au séjour du bienheureux Paul, animés par l'espérance de la couronne qu'ils ont enfin obtenue, et placés désormais hors des incertitudes de l'avenir. Qu'auraient-ils donc besoin de nos discours? et quel sujet pourrait leur plaire autant que celui qui va nous occuper? Nos éloges, je le répète, ne pourraient rien ajouter à leur gloire; mais ils ne doivent regarder qu'avec la plus grande satisfaction des combats livrés contre les Juifs; ils ne doivent écouter qu'avec un extrême contentement des discours prononcés à la gloire du Très-Haut. Les martyrs haïssent d'autant plus les Juifs, qu'ils ont plus d'amour pour celui qu'ils ont crucifié. Les Juifs disaient : Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants (Matth. XXVII, 25) ; les martyrs ont répandu leur propre sang pour celui que les Juifs ont mis à mort. Ainsi ils ne doivent entendre qu'avec, plaisir les nouvelles raisons par lesquelles nous allons combattre ces ennemis de l'Evangile.

2. Nous avons montré suffisamment que si la captivité actuelle des Juifs devait finir, les prophètes l'auraient prédit, qu'ils n'auraient pas gardé sur ce sujet un silence absolu comme ils ont fait; nous avons fait voir que toutes leurs captivités avaient commencé et fini selon qu'elles avaient été annoncées, celle d'Egypte, celle de Babylone, celle d'Antiochus Epiphane; nous avons prouvé que la durée et le lieu de chacune avaient été clairement désignés dans les divines Ecritures , tandis qu'aucun prophète n'a marqué de terme à la captivité présente. Daniel a bien prédit que les Juifs la verraient fondre sur eux, qu'elle leur apporterait une désolation irrémédiable, qu'elle changerait leur gouvernement, qu'elle aurait lieu à telle époque après le retour de Babylone; mais ni lui ni aucun autre prophète, n'a déclaré que ces maux finiraient et auraient un terme. Il a prédit au contraire que cette dernière captivité s'étendrait jusqu'à la consommation des siècles. Quelle force ne donne pas encore à nos preuves le long espace de temps qui s'est écoulé sans qu'il ait paru jusqu'à ce jour aucune ombre, aucune apparence d'une révolution heureuse ! et cela, quoique les Juifs aient essayé à plusieurs reprises de relever leur temple! L'entreprise qu'ils en ont formée a été rompue trois fois, sous les empereurs Adrien, Constantin et Julien : les deux premières fois par les soldats, la troisième par les flammes qui, sorties des fondements, ont réprimé avec éclat leurs efforts criminels. Maintenant donc je leur ferais volontiers cette demande : Pourquoi, après un si long séjour en Egypte, êtes-vous revenus dans votre patrie? pourquoi, ensuite transportés à Babylone, êtes-vous retournés à Jérusalem? pourquoi enfin sous Antiochus, après avoir essuyé tant de maux, avez-vous repris votre ancien état, recouvré vos sacrifices, votre autel, le Saint des saints, tout, en un mot, sans rien perdre de votre première dignité? et d'où vient qu'à présent vous n'avez pas joui de cette faveur, mais que depuis plus de trois cents ans (1) jusqu'à nous, on n'aperçoit aucun indice d'une pareille révolution, et que votre ruine est entièrement consommée, sans que vous ayez le plus léger espoir d'être rétablis comme auparavant?

 

1 Le grec porte cinq cents ans; c'est une faute visible. On ne compte qu'environ trois cent seize ans depuis la dernière destruction de Jérusalem sous Vespasien jusqu'au temps de saint Jean Chrysostome ; et cet orateur lui-même, dans le discours qui précède, ne parle que d'un espace de plus de trois cents ans.

 

335

 

Si les Juifs se rejettent sur leurs fautes, s'ils disent: Nous avons péché contre Dieu, nous l'avons offensé, et voilà pourquoi nous ne recouvrons pas notre pays; si ces hommes qui résistaient aux continuels reproches des prophètes, qui ne voulaient pas convenir des meurtres dont ils leur parlaient avec tant de force ; si ces mêmes hommes reconnaissent maintenant leurs crimes et se condamnent eux-mêmes, je leur ferai volontiers à chacun cette question : C'est à cause de vos péchés, dites-vous, que vous êtes éloignés depuis si longtemps de Jérusalem? que faites-vous donc de nouveau et d'extraordinaire? est-ce d'aujourd'hui seulement que vous vivez dans le péché? aviez-vous vécu jusqu'alors dans la justice et dans la pratique des bonnes oeuvres? ne vous êtes-vous pas souillés dès le commencement de mille iniquités? le prophète Ezéchiel ne vous a-t-il pas fait mille reproches, lorsqu'introduisant deux courtisanes, Ola et Oliba, il leur adresse ces paroles : Vous vous êtes construit dans l’Egypte un lieu de prostitution, vous avez renchéri sur les folies des Barbares, et rendu un culte à des dieux étrangers? (Ezéch. XXIII.)

Lorsque le Seigneur ouvrait pour vous le sein des mers et les veines des rochers , qu'il opérait dans le désert tant de prodiges, n'avez-vous pas adoré le veau d'or ? Comment avez-vous traité Moïse ? ne l'avez-vous pas tantôt chassé, tantôt accablé de pierres? n'avez-vous pas cherché à le faire mourir par mille autres actes de violences? avez-vous cessé de blasphémer contre Dieu ? ne vous êtes-vous pas initiés à Béelphégor.? n'avez-vous pas immolé aux démons vos fils et vos filles ? ne vous êtes-vous pas signalés par toute sorte d'impiétés et de crimes ? (Ps. CV, 37.) Le Prophète ne vous dit-il pas dans la personne de Dieu : Il y a quarante ans que je supporte avec peine cette génération, et j'ai dit : Ils se livrent sans cesse à de nouvelles erreurs? (Ps. XCIV, 10.) Pourquoi donc Dieu ne vous a-t-il pas rejetés alors pourquoi , après que vous vous êtes souillés par le sacrifice de vos enfants, par le culte des idoles, par mille traits de perversité et d'une ingratitude inouïe, vous a-t-il laissé pour prophète le grand Moïse, a-t-il opéré en votre faveur des prodiges si merveilleux, et a-t-il fait pour vous ce qu'il ne fit jamais pour aucun mortel ? pourquoi ce nuage dont vous étiez couverts comme d'un toit commode? cette colonne de feu qui marchait devant vous comme une lampe brillante? ces ennemis effrayés fuyant à votre approche, et ces villes dont les murs tombaient au seul bruit de vos cris? Vous n'aviez besoin ni d'armes, ni de troupes, ni de combats; au seul son de la trompette les murailles se renversaient d'elles-mêmes. Vous avez trouvé une nourriture nouvelle et jusqu'alors inconnue, au sujet de laquelle le Prophète s'écrie : Il leur a donné le pain du ciel, l'homme a mangé le pain des anges, il leur a envoyé une subsistance abondante. (Ps. LXXVII, 25.)

Pourquoi donc, dites-moi, lorsque vous étiez livrés à l'impiété et à l'idolâtrie, que vous immoliez vos enfants, que vous lapidiez vos prophètes, que vous commettiez une infinité de crimes, pourquoi avez-vous éprouvé de la part de Dieu une telle bienveillance, une pareille protection? et pourquoi , maintenant que vous n'êtes plus livrés à l'idolâtrie, que vous n'immolez plus vos enfants, que vous ne lapidez plus vos prophètes, gémissez-vous dans une captivité sans fin ? Dieu était-il autre alors qu'il n'est à présent? n'est-ce pas le même Dieu qui vous protégeait d'abord d'une manière si éclatante, et qui vous punit aujourd'hui avec tant de sévérité? pourquoi donc, dites-moi, éprouviez-vous les plus grands bienfaits du Seigneur lorsque vous étiez plus coupables à son égard, et qu'à présent que vous l'êtes moins, il vous a absolument rejetés, il vous a livrés à un opprobre éternel ? Oui, s'il vous rejette actuellement à cause de vos fautes, il le devait bien plus alors ; et s'il vous supportait alors malgré vos impiétés, il le devrait bien plus maintenant que vous ne commettez pas des forfaits pareils ? Pourquoi donc ne vous supporte-t-il pas aujourd'hui? Vous rougissez d'en dire là raison; je vais la révéler, moi, ou plutôt ce n'est pas moi qui parlerai, mais la vérité même. Vous avez fait mourir le Christ, vous avez mis la main sur le Seigneur, vous avez répandu un sang précieux, voilà pourquoi il ne vous reste aucun moyen de réparer votre faute, aucun espoir de pardon, aucune défense. Vos anciens attentats n'étaient que contre des serviteurs, contre Moïse , contre Isaïe, contre Jérémie. Vous étiez alors coupables d'impiété, sans doute, néanmoins vous ne vous étiez pas encore portés aux derniers excès; depuis vous avez mis le comble à vos premiers crimes, vous êtes parvenus au dernier terme de l'iniquité par vos fureurs envers (336) le Fils de Dieu : et voilà pourquoi vous êtes maintenant plus sévèrement punis. Eh ! si telle n'était point la cause de votre dégradation présente , pourquoi Dieu vous supportait-il lorsque vous immoliez vos enfants, et vous rejette-t-il aujourd'hui que vous ne vous souillez plus de ces meurtres? n'est-il pas clair que la mort du Christ était un attentat beaucoup plus horrible que celle de vos enfants, et que ce dernier forfait surpassait tous les autres?

3. Et après cela vous avez encore l'impudence de traiter Jésus-Christ d'imposteur, d'infracteur de la Loi ! et vous n'allez pas vous cacher de honte lorsque vous êtes confondus par une évidence aussi frappante ! Si Jésus-Christ n'était qu'un vil imposteur, un infracteur de la Loi, comme vous le dites, vous mériteriez même des louanges pour l'avoir fait mourir; car si Phinées, en immolant un seul homme, a fait cesser la colère divine contre toute la nation (Phinées parut , dit le Prophète , il apaisa le Seigneur, et le fléau cessa (Ps. CV, 20); si , dis-je, la mort d'un seul coupable en a soustrait un si grand nombre au courroux de Dieu, vous devriez à plus forte raison jouir du même avantage, supposé que celui que vous avez crucifié fût aussi coupable que vous le dites. Pourquoi donc Phinées, en immolant un seul criminel, a-t-il été regardé comme juste et honoré du sacerdoce (Nomb. XXV), tandis que vous , qui, à vous entendre , avez crucifié un imposteur, un ennemi du Très-Haut, loin d'obtenir des honneurs et des louanges, vous vous trouvez dans une situation plus déplorable que quand vous égorgiez vos fils? N'est-il pas manifeste aux yeux des plus stupides, que vous n'êtes punis si rigoureusement que parce que vous vous êtes élevés contre le Maître et le Sauveur du monde ? Cependant aujourd'hui vous vous abstenez de meurtres , de sacrilèges , vous observez le sabbat, tandis qu'alors vous violiez ce saint jour. Dieu s'engageait par la bouche de Jérémie à épargner votre ville, si vous cessiez de porter des fardeaux le jour du sabbat. Vous faites à présent ce qu'il demandait alors , vous ne portez pas de fardeaux le jour du sabbat; et il ne se réconcilie pas néanmoins avec vous, parce que , sans doute, votre dernier crime a surpassé tous les autres. Ainsi la raison que vous tirez de vos péchés n'a aucune force. Non, ce n'est point pour vos autres crimes, mais pour (attentat dont je parle , que vous êtes maintenant si malheureux. Sans cet attentat, le Seigneur ne vous aurait pas rejetés absolument, quand vous vous seriez rendus coupables de mille autres forfaits : ce qui est évident par toutes les preuves que je viens d'alléguer, et ce qui le sera encore plus par celle que je vais fournir.

Et quelle est cette nouvelle preuve ? Nous avons souvent entendu Dieu dire à vos pères par la bouche des prophètes : Vous méritiez de souffrir tous les maux, mais je vous épargne pour que mon nom ne soit pas profané parmi les infidèles (Ezéch. XX,19) ; et ailleurs: Maison d'Israël, ce n'est pas à cause de vous que je vous ménage, mais à cause de mon nom. (Ezéch. XXXVI, 22.) Voici le vrai sens de ces paroles Vous méritiez les châtiments les plus sévères, mais je vous défends, je vous protège, pour qu'on ne dise pas que c'est par faiblesse, par impuissance de les sauver que Dieu a livré les Juifs à leurs ennemis. Si donc le Christ que vous avez crucifié était un infracteur des lois divines, Dieu vous aurait sauvés quand même vous auriez commis une infinité de crimes, et des crimes beaucoup plus horribles que les précédents ; il vous aurait sauvés, pour que son nom ne fût pas profané, pour que le nom de son ennemi ne fût pas exalté, et qu'on ne pût pas dire que la mort de ce même ennemi avait causé votre désastre. Oui, s'il est reconnu que le Seigneur fermait les yeux sur vos péchés dans l'intérêt de sa gloire, il l'aurait fait aujourd'hui avec bien plus de raison; il aurait accepté la mort d'un imposteur comme un sacrifice capable d'expier toutes vos fautes. Mais puisqu'il vous rejette absolument, n'est-il pas clair que par ce courroux et cet abandon total il démontre aux plus opiniâtres que celui que vous avez mis à mort n'était pas un infracteur de la Loi , mais que celui qui vous avait été envoyé était le législateur même , l'auteur de tous les biens? Voilà pourquoi vous, qui l'avez traité outrageusement, vous êtes avilis et dégradés; tandis que nous, qui l'adorons, nous qui auparavant étions plus oubliés et plus décriés que vous tous, nous sommes à présent, par la grâce du Seigneur, plus respectés que vous tous, et plus favorisés.

Et qu'est-ce qui prouve, diront les Juifs, que nous sommes rejetés de Dieu ? Est-il encore besoin, je vous prie, de discours et de preuves? et, lorsque les faits mêmes parlent, lorsqu'ils se font entendre d'une manière plus éclatante (337) que le son de la trompette, soit par la ruine de votre ville, soit par la destruction du temple, soit par tous les maux que vous avez éprouvés, vous demandez encore des preuves et des discours ! Ce sont les hommes, direz-vous, qui nous ont fait ces maux, et non pas Dieu. C'est Dieu, n'en doutez pas, qui en est le principal auteur.; mais si vous les attribuez aux hommes, considérez que ces entreprises des mortels, sans la permission du Très-Haut, n'auraient pu avoir leur entière exécution. Par exemple, lorsqu'un ennemi barbare se jeta sur votre pays avec toutes les forces de la Perse, se flattant de vous prendre tous sans peine, lorsqu'il vous tenait tous renfermés dans votre ville comme dans un filet, ne le vit-on pas alors, parce que Dieu vous était propice, sans guerre, sans choc et sans combat, laisser chez vous près de deux cent mille morts, et s'enfuir, trop heureux de sauver sa personne. Le Seigneur n'a-t-il pas ainsi terminé pour vous une infinité d'autres guerres? de sorte qu'encore à présent, s'il ne vous eût entièrement abandonnés, ceux qui ont détruit votre ville, renversé votre temple, n'auraient pas obtenu de si grands avantages; le sol de cet édifice ne serait pas resté désert jusqu'à ce jour, et tous les efforts tentés pour le rétablir n'auraient pas été inutiles.

4. Mais d'autres raisons encore prouvent que c'est moins par leurs propres forces que par le courroux de Dieu et par son abandon, que les empereurs romains ont fait ce qu'ils ont fait : car si votre désastre était l'ouvrage des hommes, votre dégradation aurait dû s'arrêter là, et ne pas aller plus avant. En effet, je suppose avec vous que ce sont les hommes qui ont abattu vos murailles, ruiné votre ville, renversé votre autel, sont-ce donc aussi les hommes qui ont fait taire les prophètes, qui vous ont ravi la grâce de l'Esprit-Saint, qui vous ont dépouillé d'autres privilèges augustes, par exemple, des oracles qui sortaient du propitiatoire, de la vertu particulière de l'onction, des signes que donnaient les ornements du souverain pontife ? Car si quelques institutions de la religion judaïque avaient pour auteurs de simples mortels, le plus grand nombre et les plus respectables venaient de Dieu même. Je m'explique. Dieu avait permis qu'on lui fit des sacrifices : l'autel, le bois, le glaive, le prêtre, étaient l'oeuvre de l'homme, mais le feu qui devait briller dans le sanctuaire et consumer les victimes, avait une origine céleste. Non, ce n'était pas l'homme qui faisait descendre le feu dans le temple., mais une flamme envoyée du ciel venait achever le sacrifice; et lorsqu'il fallait être instruit de quelque événement futur, une voix, sortie du propitiatoire et du milieu des chérubins, se faisait entendre pour annoncer l'avenir. Les pierres précieuses, que le souverain pontife portait sur sa poitrine, étaient aussi un présage, un signe de l'avenir, lorsqu'elles jetaient un certain éclat ; de plus, quand il fallait consacrer un pontife, la grâce de l'Esprit-Saint venait pénétrer l'huile qui servait à la consécration. Les prophètes n'étaient que les ministres de la vertu merveilleuse communiquée à l'huile . qui consacrait les prêtres; souvent même un nuage et une fumée remplissaient tout le sanctuaire. Afin donc que les Juifs ne ferment pas les yeux à la vérité, afin qu'ils n'attribuent pas aux hommes leur entière destruction, non-seulement le Seigneur a permis la ruine totale de leur ville et de leur temple, il a fait encore disparaître ces prodiges qui ne pouvaient venir que du ciel: la flamme qui consumait la victime, la voix qui se faisait entendre du propitiatoire, l'éclat dont brillait la poitrine du grand prêtre, et tous les autres de même nature. Ainsi lorsque les Juifs vous diront : Ce sont les hommes qui nous ont fait la guerre, ce sont les hommes qui ont ruiné notre puissance; répondez-leur : Les hommes ne vous auraient jamais fait la guerre si Dieu ne l'eût permis, Ce sont les hommes qui ont renversé vos murailles, à la bonne heure; mais sont-ce les hommes qui ont empêché la flamme de descendre d'en-haut, qui ont étouffé la voix qui partait du propitiatoire, qui ont éteint l'éclat dont brillait la poitrine du souverain pontife, qui ont arrêté l'effet de l'onction sacerdotale ? en un mot, sont-ce les hommes qui vous ont ravi tous vos autres privilèges ? n'est-ce pas Dieu qui les a fait cesser? la chose n'est-elle pas évidente ? Et pourquoi les a-t-il fait cesser? n'est-il pas manifeste que c'est parce qu'il vous haïssait, parce qu'il vous avait rejetés absolument ? Non, disent-ils ; mais comme nous n'avons plus notre ville principale, voilà pourquoi nous ne jouissons plus de nos privilèges. Et pourquoi n'avez-vous plus votre ville principale? n'est-ce point parce que Dieu vous a abandonnés ?

Ou plutôt, afin de confondre encore davantage leur impudence, et de leur fermer 338) entièrenient la bouche, prouvons par les divines Ecritures, que ce n'est pas la destruction du temple qui a fait cesser les prophéties, mais le courroux de Dieu, plus irrité contre les Juifs pour les fureurs exercées contre le Christ que pour l'adoration du veau d'or; car enfin lorsque Moïse prophétisait, il n'y avait ni temple ni autel, et quoique les Juifs commissent sans cesse mille impiétés, le don des prophéties ne cessa point; mais sans parler de ce grand homme, de cette âme courageuse, on vit alors paraître soixante-dix prophètes. Ce n'est pas tout : lorsque les Juifs eurent un temple et toutes les cérémonies du culte, et, qu'ensuite ce temple fut brûlé et toutes les cérémonies interrompues, Daniel et Ezéchiel transportés à Babylone, sans voir le Saint des saints, sans être près de l'autel, dans un pays de barbares, au milieu d'hommes impurs et sacrilèges , étaient remplis de l'Esprit de Dieu; ils annonçaient l'avenir, ils publiaient des événements et en plus grand nombre et beaucoup plus extraordinaires, ils avaient enfin toutes les visions divines dont ils pouvaient être favorisés. Pourquoi donc n'avez-vous plus de prophètes? n'est-il pas clair que c'est parce que le Seigneur vous a rejetés? Et pourquoi vous a-t-il rejetés ? n'est-il pas évident que c'est à cause de Celui que vous avez crucifié, à cause des attentats horribles que vous avez commis contre le Christ? Et qu'est-ce qui le prouve, direz-vous?- C'est qu'auparavant, malgré vos impiétés, vous jouissiez de tous vos privilèges les plus augustes; et que, depuis que vous avez crucifié Jésus, quoique votre conduite paraisse plus régulière, loin de jouir de ces mêmes privilèges, vous subissez même des peines plus rigoureuses que par le passé.

5. Mais afin que vous appreniez aussi des prophètes, qui à ce sujet s'expliquent clairement, afin que vous appreniez la vraie cause des maux qui vous accablent, écoutez ce que dit Isaïe, comment il annonce les grands avantages que tous les hommes retireront de la venue de Jésus-Christ, et les excès de votre ingratitude : Nous avons été guéris, dit-il, par ses blessures (Is. LIII, 5), annonçant par là le salut que la croix a procuré à tout le genre humain. Ensuite, pour faire voir qui nous sommes, il ajoute : Nous étions tous égarés comme des brebis errantes, chacun s'était détourné pour suivre sa propre voie. Et afin de moirer là manière dont le Fils de Dieu a été condamné au supplice, il s'exprime en ces termes : Il a été mené à la mort comme une brebis qu'on égorge; il est demeuré dans le silence sans ouvrir la bouche, comme un agneau muet devant celui qui le tond. Il est mort au milieu des humiliations , condamné injustement par les juges. (Is. LIII, 7.) Et où voit-on ces faits s'accomplir? dans le tribunal injuste de Pilate. Quoiqu'on rendît contre Jésus, dit l'Evangile, tous ces témoignages, il ne répondit rien. Le gouverneur lui adressant la parole : Entendez-vous, lui dit-il, tous les témoignages qu'ils rendent contre vous ? (Matth. XXVll, 43.) Il ne répondit rien et garda le si. lente. Aussi le Prophète inspiré d'en-haut disait : Il a été mené à la mort comme une brebis qu'on égorge; il est demeuré dans le silence sans ouvrir la bouche, comme un agneau muet devant celui qui le tond. Ensuite pour montrer l'injustice du tribunal qui le jugea, il ajoute: Il est mort au milieu des humiliations, injustement condamné par les juges. On ne prononça pas à son sujet selon les principes d'équité , mais ses juges reçurent contre lui tous les faux témoignages qu'on voulut rendre. Ce qui l'exposa à ces humiliations , c'est qu'il ne voulut pas se venger de ceux qui les lui faisaient subir; s'il eût voulu se venger, il eût tout ébranlé sans peine; et si, suspendu à la croix il a brisé les rochers , couvert le monde de ténèbres, détourné les rayons du soleil, amené sur toute la terre la nuit au milieu du jour, sans doute il eût pu opérer ces mêmes prodiges devant le tribunal; mais il ne l'a pas fait parce qu'il voulait signaler sa patience et sa douceur. C'est ce qui fait dire au Prophète : Il est mort au milieu des humiliations, condamné injustement par les juges.

Ensuite pour montrer que ce n'était pas un homme ordinaire, il ajoute : Qui racontera sa génération? Quel est celui, en effet, dont le même prophète dit : Sa vie a été retranchée de la terre des vivants? Ces paroles sont expliquées par ces autres de saint Paul: Notre vie a été cachée en Dieu avec Jésus-Christ; lorsque Jésus-Christ, qui est notre vie, paraîtra, alors vous paraîtrez vous-mêmes avec lui dans la gloire. (Colos. III, 3.) Mais afin de compléter la démonstration que j'ai annoncée que c'est à cause du Christ que les Juifs souffrent leurs maux actuels, il est temps d'appeler en témoignage le même Isaïe. Où s'explique, t-il donc sur cet objet? Après avoir parlé de (339) l'injustice du tribunal qui a condamné le Fils de Dieu, et de sa douceur au milieu des souffrances, après avoir dit que sa vie a été retranchée de la terre des vivants, il ajoute : Je sacrifierai les méchants pour sa sépulture, et les riches pour venger sa mort. (Is. LIII, 9.) Il ne dit pas simplement les Juifs, mais les méchants. Eh ! que pourrait-on imaginer de plus méchant que des hommes qui ont crucifié Celui même dont ils avaient reçu tant de bienfaits? Si donc tout ce qui était prédit n'est pas arrivé réellement, si vous n'êtes pas aujourd'hui dégradés, dépouillés de tous vos anciens privilèges, si votre ville n'a pas été renversée, votre temple ruiné, si vos malheurs ne sont pas au-dessus des calamités les plus tragiques, n'ajoutez pas foi à mes paroles; mais si les faits mêmes parlent hautement, si les prophéties sont accomplies, pourquoi vous obstiner en vain et fermer les yeux à la vérité ? Où sont maintenant vos cérémonies augustes? où est votre souverain Pontife ? où est la robe d'hyacinthe, l'éphod et le rational ? Ne me parlez pas de, vos patriarches d'aujourd'hui, de ces vils marchands et trafiquants, de ces hommes remplis d'iniquité? Y a-t-il un prêtre, dites-moi, quand l'ancienne onction et toutes les autres cérémonies saintes n'existent plus ? y a-t-il un prêtre quand il n'y a ni sacrifice, ni autel, ni culte ? Voulez-vous que je vous parle des lois concernant le sacerdoce, que je vous dise comment les prêtres étaient consacrés anciennement, afin de vous apprendre que vos patriarches ne sont pas réellement des prêtres, que ce ne sont que des prêtres en peinture, de vrais prêtres de théâtre ? ou plutôt ils ne peuvent même représenter les prêtres véritables : tant ils sont loin non-seulement de la réalité, mais de la simple représentation !

Rappelez-vous donc comment Aaron a été consacré pontife; combien Moïse fit pour lui de sacrifices , combien il immola de victimes; comment il a touché avec le sang des victimes l'extrémité de son oreille, sa main droite et son pied droit; comment ensuite il l'a introduit dans le Saint des saints, où il l'a fait rester un certain nombre de jours. Mais il est à propos de rapporter les paroles mêmes de l'Ecriture. Voici quelle fut la consécration d'Aaron et de ses fils. Le Seigneur parla à Moïse et lui dit :

Prenez Aaron avec ses fils, leurs vêtements, l'huile d'onction, un jeune taureau pour le péché, un bélier, et assembles tout le peuple à l'entrée du tabernacle. Moïse assembla donc tout le peuple devant le tabernacle, et leur dit ce que le Seigneur avait commandé de faire. Lorsqu'il eut fait approcher Aaron et ses fils (car il faut abréger), il les lava avec de l'eau. Il revêtit le grand prêtre de la tunique de fin lin qu'il ceignit avec la ceinture; il le revêtit par-dessus de la robe d'hyacinthe, mit l'éphod sur la robe, et le serrant avec la ceinture y attacha le rational sur lequel étaient écrits ces mots : DOCTRINE ET VÉRITÉ. Il lui mit aussi la tiare sur la tête, et au bas de la tiare une lame d'or sur le front. Ensuite prenant l'huile d'onction, il en versa sur l'autel pour le sanctifier; il sanctifia avec cette même huile tous les vases, le grand bassin et la base qui le soutenait. Il répandit aussi l'huile sur la tête d'Aaron et de ses fils, et offrit le jeune taureau pour le péché. Aaron et ses fils ayant mis leurs mains sur la tête du jeune taureau, Moïse l'égorgea. Il prit du sang de la victime, dont il arrosa les cornes de l'autel, il purifia l'autel, et répandant au pied le reste du sang, il le sanctifia pour qu'il fût propre à rendre le Seigneur propice. Après avoir fait brûler une partie de la victime dans le camp et une autre partie hors du camp, il offrit aussi un bélier en holocauste. Il offrit un second bélier pour la consécration des prêtres. Aaron et ses fils ayant mis leurs mains sur la tête du bélier, il l'égorgea, et prenant du sang de la victime il en toucha l'extrémité de l'oreille droite d'Aaron, et le pouce de sa main droite et de son pied droit. Il  fit la même chose aux enfants d'Aaron : il mit une partie de la victime entre les mains d'Aaron et de ses enfants, et l'o fait -ainsi au Seigneur. Ayant pris ensuite l'huile d'onction et le sang qui était sur l'autel, il fit l'aspersion sur Aaron et sur ses vêtements, sur les enfants d'Aaron et sur leurs vêtements. Il les sanctifia, et leur ordonna de faire cuire la chair des victimes devant la porte du tabernacle, et de la manger en ce même lieu. Vous ne quitterez point, leur dit-il, l'entrée du tabernacle pendant sept jours, jusqu'au jour où le temps de votre consécration sera accompli; car la consécration s'achève en sept jours. Vous exécuterez ce que  je vous dis, afin que le Seigneur vous soit propice. (Lévit. VIII.)

Puis donc qu'il est dit dans l'Ecriture que, par toutes ces cérémonies, Aaron a été consacré, purifié, sanctifié, qu'il s'est rendu le Seigneur propice; puisqu'aucune de ces mêmes (340) cérémonies n'a plus lieu maintenant, qu'il n'y a plus ni sacrifice, ni holocauste, ni aspersion de sang, ni onction d'huile, ni tabernacle, ni résidence dans le tabernacle un certain nombre de jours, n'est-il pas clair que le prêtre qu'ont maintenant les Juifs est irrégulier, impur, profane, qu'il irrite le Seigneur au lieu de le rendre propice? Oui, sans doute : s'il est vrai qu'il ne puisse être consacré que par les cérémonies rapportées dans l'Ecriture, il est de toute nécessité que, ces cérémonies ne se pratiquant plus, les Juifs n'ont plus de sacerdoce. N'avais-je donc pas raison de dire que leurs prêtres actuels sont fort loin, non-seulement de la réalité, mais de la simple représentation ?

6. Mais on peut apprendre encore d'ailleurs combien la dignité du sacerdoce était anciennement auguste chez les Juifs. Des hommes pervers, ennemis des règles et des lois, s'étant soulevés contre Aaron, et cherchant à le dépouiller du sacerdoce qu'ils lui disputaient, Moïse, le plus doux des hommes, qui voulait les convaincre par les faits mêmes qu'il n'avait pas élevé Aaron au sacerdoce parce qu'il était son parent et son frère, mais qu'il lui avait confié ce ministère vénérable par l'ordre de Dieu même, ordonna à chaque tribu d'apporter une verge, et en fit apporter une aussi par Aaron. (Nomb. XVII.) Lorsqu'elles furent apportées, il les prit toutes, et les ayant déposées dans le tabernacle, il ordonna au peuple d'attendre que Dieu déclarât sa volonté par le moyen des verges. Elles étaient toutes placées ensemble de la même manière, celle d'Aaron fut la seule qui produisit des feuilles et des fruits, afin que les Juifs apprissent que le Maître de la nature le nommait de nouveau, en se servant de feuilles au lieu de lettres; car le Dieu qui a dit au commencement : Que la terre produise toute sorte d'herbes (Gen. I, 11), et qui a mis en elle une fécondité inépuisable, le même Dieu donna alors à un bois sec et stérile la vertu de produire des feuilles et des fruits sans terre et sans racine. La verge d'Aaron est restée pour toujours comme une preuve et un témoignage de la perversité des séditieux et de la volonté du Seigneur, annonçant aux Juifs non par une voix sensible, mais par la vue d'un miracle plus éclatant que le son de la trompette, de ne plus former de pareilles entreprises.

Le Seigneur confirma l'élection d'Aaron d'une manière encore plus frappante. Un grand nombre de séditieux lui enviant l'honneur du sacerdoce et voulant le lui ravir (car l'autorité n'est que trop sujette à être un objet d'envie et de dispute), Moïse leur ordonna d'apporter des encensoirs, d'y mettre de l'encens , et d'attendre le jugement d'en-haut. Lorsqu'il faisait brûler de l'encens, la terre s'entr'ouvrit et engloutit tous les fauteurs de la sédition : quant à ceux qui avaient pris des encensoirs, ils furent consumés par une flamme envoyée du ciel; et afin que le temps ne fît pas perdre le souvenir de ce fait remarquable, afin qu'un monument visible transmît à tous les âges la vengeance extraordinaire que Dieu avait tirée des chefs et des partisans de la révolte, Moïse se fit apporter les encensoirs, les fit réduire en lames et appliquer près de l'autel, afin que, comme la verge d'Aaron parlait suffisamment aux yeux sans faire retentir de sons à l'oreille, ces lames de même fussent une instruction perpétuelle pour tous les descendants, une leçon frappante et sensible qui leur apprit à ne pas imiter une pareille imprudence, s'ils voulaient éviter un châtiment semblable. Vous voyez comme anciennement les prêtres étaient élus. Ce qui se pratique aujourd'hui chez les Juifs est un jeu, une risée, une honte, un trafic criminel, un pur acte d'iniquité.

Et vous recherchez, mes frères, de tels hommes; des hommes qui, dans tous leurs discours et dans toutes leurs actions, contredisent les lois de Dieu ! Vous courez à leurs synagogues vous ne craignez pas que la foudre, partie du ciel, ne vienne consumer vos têtes ! Ignorez-vous donc que quiconque est trouvé dans un antre de brigands, quoiqu'il ne soit pas brigand lui-même, subit la même peine ? Et pourquoi citer l'exemple des brigands? Vous savez tous, sans doute, que dans notre ville, lorsque des scélérats et des imposteurs renversèrent les statues des princes, vous savez et vous vous rappelez que non-seulement les principaux auteurs de l'attentat, que ceux mêmes qui avaient semblé l'autoriser par leur présence furent pris, amenés devant les tribunaux, jetés en prison, et condamnés au dernier supplice. Et vous, vous courez avec empressement à des assemblées où le Père céleste est outragé, où son Fils est blasphémé, où l'Esprit saint et vivifiant est rejeté ! Et vous n'appréhendez pas, et vous ne tremblez pas lorsque vous vous transportez dans des (341)

lieux impurs et profanes ! Quelle défense, je vous prie, quelle excuse vous restera-t-il, lorsque vous vous jetez volontairement dans un abîme et dans un précipice ?

Et n'allez pas me dire que dans le -lieu où vous vous transportez sont la loi et les livres des prophètes, car cela ne suffit pas pour rendre un lieu saint. En effet, lequel est plus efficace d'avoir des livres déposés dans un lieu, ou de prononcer les paroles renfermées dans des livres ? Il est clair que c'est de prononcer de bouche et d'avoir dans le coeur les paroles des livres. Mais je vous le demande, lorsque le démon prononçait les paroles des Ecritures, ces paroles sanctifiaient-elles sa bouche? Non, sans doute ; mais il conservait toujours sa nature de démon. Et lorsque des esprits impurs publiaient et disaient : Ces hommes sont les serviteurs du Très-Haut, ils vous annoncent la voie du salut (Act. XVI, 17.) Etait-ce une raison pour les placer parmi les Apôtres ? Point du tout; mais on les a toujours également en horreur et en exécration. Et lorsque les paroles ne sanctifient pas la bouche qui les prononce , des livres sanctifieraient le lieu où ils reposent! Serait-il raisonnable de le penser ? Pour moi , je hais surtout la synagogue, parce qu'elle a la Loi et les Prophètes, et je la hais beaucoup plus que si elle ne les avait pas. Pourquoi? Parce que c'est là une amorce plus dangereuse et un moyen plus sûr de tromper les simples. Aussi saint Paul était plus empressé de chasser un démon parce qu'il parlait que s'il se fût tu. Fatigué de ses paroles, dit l'Ecriture, il lui dit : Sors de cette personne. (Act. XVI, 18.) Et pourquoi lui donnait-il cet ordre? Parce qu'il criait : Ces hommes sont les serviteurs du Très-Haut. Le silence l'eût moins bien servi pour tromper les simples ; au lieu qu'en parlant, il devait en entraîner un grand nombre et les engager à l'écouter dans d'autres suggestions; afin d'ouvrir une porte à ses impostures, et de pouvoir mentir avec plus de confiance, le démon mêlait quelques vérités à ses mensonges. Ainsi ceux qui veulent faire prendre du poison, frottent de miel les bords de la coupe, afin qu'on avale plus aisément le breuvage funeste. Voilà donc pourquoi saint Paul, fatigué des paroles de l'esprit impur, s'empressait de lui fermer la bouche, ne pouvant souffrir qu'il prît un ton de dignité qui ne lui convenait pas. Moi de même je hais les Juifs, parce qu'ayant la loi entre les mains ils l'outragent, et que par là ils cherchent à séduire les simples. Ils ne seraient pas aussi coupables si, ne croyant pas aux prophètes, ils refusaient de croire à Jésus-Christ; mais ils n'ont aucun espoir de pardon, parce qu'en disant qu'ils croient aux prophètes, ils outragent celui que les prophètes ont annoncé.

7. En un mot, si vous croyez qu'un lieu est saint parce que la loi et les livres des prophètes y reposent, vous devez donc aussi regarder comme saints les idoles et leurs temples. Dans une guerre que les Juifs eurent avec les habitants d'Azot, ceux-ci étant vainqueurs et ayant pris l'arche, la placèrent dans leur temple. Or, ce temple était-il sanctifié parce qu'il renfermait l'arche ? Nullement; mais il était toujours impur et profane ; et c'est ce qui fut prouvé aussitôt par l'événement même. En effet, pour que les ennemis sussent que ce n'était point par la faiblesse du Seigneur, mais par les crimes de son peuple, qu'Israël avait essuyé une défaite, l'arche, quoique prise et détenue dans une terre étrangère, signala sa puissance en renversant deux fois l'idole et la brisant par morceaux; de sorte qu'elle faisait la guerre au lieu où elle résidait, loin de le sanctifier. D'ailleurs, quelle arche peuvent avoir les Juifs, lorsqu'ils n'ont plus ni propitiatoire, ni oracle, ni table du testament, ni Saint des saints, ni voile, ni grand prêtre, ni encens, ni holocauste, ni sacrifice, rien en un mot de tout ce qui rendait l'ancienne arche respectable. Pour moi, il me semble que l'arche actuelle des Juifs ne vaut pas mieux que ces coffres que l'on vend dans la place publique, et même qu'elle vaut beaucoup moins, puisque ces coffres ne font aucun mal à ceux qui les touchent ; au lieu que leur arche porte tous les jours préjudice à ceux qui l'approchent.

Mes frères, puis-je vous dire avec saint Paul, soyez enfants par la simplicité du coeur, et non par le défaut d'intelligence (I. Cor. XIV, 20) ; affranchissez d'une vaine superstition ceux qui sont frappés par certains objets, et apprenez-leur ce qu'ils doivent redouter et craindre. Qu'ils ne redoutent pas l'arche des Juifs, mais qu'ils craignent de violer le temple de Dieu par leur empressement à se rendre dans leurs assemblées, par un penchant secret pour le judaïsme, et par des observances condamnables. Tous ceux, dit l'Apôtre, qui veulent être justifiés par la Loi, perdent la grâce du Nouveau Testament. (Gal. V, 4.) Craignez que dans le dernier jour (342) Celui qui doit vous juger ne vous dise: Retirez-vous, je ne vous connais pas. (Luc, XIII, 27.) Vous avez communiqué avec ceux qui m'ont crucifié, vous vous êtes empressés de rétablir des fêtes que j'avais abolies, vous avez couru aux synagogues des Juifs qui m'ont outragé. J'avais renversé leur temple, j'avais fait un amas de ruines de cet édifice auguste qui renfermait des objets si redoutables; et vous, vous avez respecté des cavernes de voleurs, des maisons aussi viles que des cavernes. Eh ! si lorsque l'arche et les chérubins subsistaient encore, lorsque le temple était encore sanctifié par la grâce de l'Esprit-Saint, Jésus-Christ disait : Vous en avez fait une caverne de voleurs, vous en avez fait une maison de trafic (Matth. XXI, 13), sans doute à cause des crimes et des meurtres dont se souillaient les Juifs, maintenant que la grâce de l'Esprit-Saint les a abandonnés, qu'ils ne jouissent plus de leurs privilèges, et que, les sacrifices agréables à Dieu étant abolis, ils ne lui rendent plus qu'un culte sacrilège, quel nom convenable donner à leurs synagogues? Oui, si, avant la réprobation des Juifs, leur temple était déjà une caverne de voleurs, en appelant le lieu de leurs assemblées actuelles, un lieu de prostitution, un domicile d'iniquité, la retraite et l'asile des démons, un séjour funeste aux âmes , un précipice fatal, un gouffre et un abîme de perdition, enfin quelque nom encore plus affreux qu'on lui donne, on né lui donnera pas celui qu'il mérite. Vous voulez voir un temple: ne courez pas à la synagogue, mais devenez vous-même un temple. Dieu n'a détruit qu'un temple à Jérusalem, et il en a érigé une infinité d'autres beaucoup plus augustes, car vous êtes, dit saint Paul, les temples du Dieu vivant. (II Cor. VI, 16.) Décorez cette maison, chassez de votre esprit toute mauvaise pensée, pour devenir un membre précieux de Jésus-Christ, et le temple de l'Esprit-Saint ; faites en sorte que beaucoup d'autres deviennent tels à votre exemple. Et de même que, quand vous voyez des pauvres, vous vous faites un devoir de ne point passer outre; ainsi, lorsque vous apercevez un fidèle qui court à la synagogue, ne le laissez pas aller, mais arrêtez-le par vos discours comme par un frein et ramenez-le dans l'église. C'est là la plus belle de toutes les aumônes, c'est là vraiment faire un gain de plus de dix mille talents. Que dis-je, dix mille talents? vous gagnez plus que si vous gagniez tout ce monde visible, puisqu'un homme est plus précieux que le monde entier. C'est pour lui qu'ont été faits le ciel, la terre et les mers; c'est pour lui qu'ont été créés le soleil et les astres. Songez donc à la dignité de celui que vous sauvez, ne dédaignez pas le soin de son âme. Quand on sacrifierait des sommes immenses d'argent, on ne ferait pas une aussi bonne oeuvre que de sauver une âme, de la ramener de son erreur, et de la tourner vers la piété. Celui qui donne à un pauvre apaise sa faim, celui qui corrige un judaïsant chasse l'impiété qui le souille. L'un soulage l'indigence, l'autre arrête le crime; l'un délivre un corps de ses douleurs, l'autre arrache une âme à l'enfer. Je vous ai montré un trésor, ne le négligez pas. Vous ne pouvez vous rejeter ici sur la pauvreté, ni prétexter l'indigence. Il ne s'agit que d'employer des mots et de dépenser des paroles. Ne balançons donc point, mais efforçons-nous avec toute l'ardeur et tout le zèle dont nous sommes capables de gagner nos frères; entraînons-les malgré eux dans nos maisons, servons-leur un repas et admettons-les aujourd'hui à notre table, et que, rompant le jeûne sous nos yeux, ils nous donnent une preuve complète et la certitude qu'ils sont parfaitement corrigés, afin qu'ils se procurent à eux et à nous les biens éternels, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui la gloire soit au Père et à l'Esprit-Saint, maintenant et toujours, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

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