DES FILLES
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VANITÉS
A UN MALADE
DES FILLES

DE L'ÉDUCATION DES FILLES.

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PARTIE I. A LETA. 1

PARTIE II. A GAUDENTIUS. 6

 

PARTIE I. A LETA.

 

Saint Paul, écrivant aux Corinthiens et fortifiant par ses avis l'Eglise de Jésus-Christ naissante, parle de la sorte : « Si une femme fidèle a un époux infidèle qui consente à demeurer avec elle, qu'elle ne se sépare point d'avec lui, car le mari infidèle est sanctifié par la femme fidèle, et la femme infidèle est sanctifiée par le mari fidèle; autrement vos enfants seraient impurs et profanes, au lieu que maintenant ils sont purs. » Si jusqu'ici on a douté de la vérité de ces paroles , qu'on jette les yeux sur la maison de votre père, qui, quoique plongé dans l'idolâtrie, est un homme d'une naissance illustre et d'une profonde érudition : on verra que cet avis de l'Apôtre a été salutaire et avantageux à voire famille, puisque les fruits qu'elle a fait naître ont adouci l'amertume de sa racine, et que d'une mauvaise tige on a vu couler un baume précieux. Vous êtes née d'un père infidèle et d'une mère fidèle, et néanmoins vous avez donné la vie à ma chère Paula. Qui eût jamais cru qu'Albin , prêtre des idoles, eût pu devenir l'aïeul d'une fille qui, balbutiant encore, chanterait devant lui les louanges de Dieu, et que le vieillard eût élevé dans sa maison une épouse de Jésus-Christ? Nous voyons ainsi qu'une maison de fidèles sanctifie un père infidèle, et que celui qu'une famille fidèle environne est déjà novice clans la foi. Je crois que Jupiter lui-même eût enfin adoré Jésus-Christ s'il eût eu une semblable famille. Peut-dire qu'Albin rira de ma lettre et qu'il m'appellera ridicule et insensé, car son gendre avant sa conversion agissait de la même manière. Souvent on ne naît pas dans la foi des chrétiens, mais toujours on le devient par la foi des autres. Le capitole est désert, les temples de home sont pleins de toiles d'araignées, et, à voir le peuple de cette ville passer auprès de ses autels en ruine et courir en foule au tombeau des martyrs, on croit qu'elle est entièrement changée. Je vous tiens ce langage, ma chère Léta, afin que vous ne désespériez point du salut de votre père, que vous le gagniez par cette foi qui vous a rendue digne d'être mère de votre fille, et qu'enfin vous jouissiez du bonheur et de la félicité de toute votre famille. Ce qui parait impossible aux hommes ne l'est pas à Dieu; il est toujours temps de se convertir. Un scélérat gagna le ciel en mourant sur la croix, et Nabuchodonosor, roi de Babylone, après avoir perdu la forme d'un homme et avoir vécu dans les bois comme les bêtes, fut remis en son premier état. Mais je laisse ces exemples tirés de l'antiquité, de peur que les incrédules ne les prennent pour des tables. N'est-il pas vrai que depuis peu de temps un de vos parents, de la famille des Gracques, préfet de la ville de Rome, a détruit l'autel consacré au dieu Mithra, rompu et fait briller ce qui servait au culte des faux dieux, et par ces gages qu'il a donnés a obtenu enfin le baptême ? D'ailleurs Rome est aujourd'hui un lieu de solitude pour l'idolâtrie; et ces dieux, que tant de nations adoraient autrefois, sont aujourd'hui cachés dans les greniers avec les rats et les hiboux. La croix est peinte sur les étendards des armées, et elle est le plus riche ornement des diadèmes et des couronnes des rois. Les Egyptiens ne connaissent plus que le dieu qui a été crucifié, et nous voyons arriver tous les jours une infinité de solitaires qui viennent de la Perse, des Indes et d'Ethiopie. Les Arméniens ont mis bas leurs carquois, les Huns s'instruisent dans la vraie religion, et la chaleur de la foi échauffe les glaces de la Scythie. On voit des Eglises dans le camp des Gètes, et c'est sans doute parce qu'ils adorent le même Dieu que nous que nos armées ne remportent plus sur eux de brillantes victoires. Mais je m'engage insensiblement dans une autre matière que celle dont j'ai à vous entretenir; car je veux satisfaire à ce que vos prières et celles de l'illustre Marcella ont exigé de moi, et vous enseigner dans cette lettre à élever la petite Paula, qui a été consacrée à Jésus-Christ avant sa naissance et même avant qu'elle fût conçue. Nous rencontrons en elle quelque chose de ce qui est rapporté dans les livres des prophètes : la stérilité de sainte Anne fut changée en une fécondité bienheureuse, et les larmes que vous a coûtées votre fécondité vous donneront des enfants qui vivront toujours. Je suis persuadé qu'une femme qui a offert à Dieu les premiers fruits de sa couche. mettra au monde plusieurs enfants. (221) C'est ainsi que dans l'ancienne loi on offrait à Dieu les premiers nés; c'est ainsi que Samuel et Samson furent consacrés au Seigneur, et que saint Jean-Baptiste, à l'arrivée de la Vierge, tressaillit de joie dans le sein de sa mère et fit quelques efforts pour aller au-devant du Dieu dont il était le précurseur. Appliquez-vous donc à donner à votre fille une éducation digne de sa naissance. Samuel fut nourri dans le temple; saint Jean fut instruit dans le désert, ne coupant jamais ses cheveux, ne buvant point de vin; il s'entretint avec Dieu dès ses premières années. Fuyant la société, il vécut de miel sauvage et se couvrit de la peau d'une bête, pour donner une idée plus forte de la pénitence à ceux à qui il la prêchait. C'est ainsi que vous devez élever une âme qui sera la demeure du Tout-Puissant. Qu'elle n'apprenne à écouter et à dire que ce qui peut lui inspirer la crainte de Dieu; qu'on ne profère jamais des discours impurs devant elle; qu'elle n'entende point de chants profanes, et que, balbutiant encore, elle apprenne à prononcer les Psaumes. Éloignez de sa compagnie tous les autres enfants qui auraient des vices, et que les filles qui la serviront n'aient point de rapports avec les étrangers, de peur qu'elles ne lui enseignent ce qu'elles auraient eu le malheur d'en apprendre. Mettez-lui entre les mains des lettres en buis ou en ivoire; faites-lui en connaître les noms: elle s'instruira ainsi tout en se livrant à ses jeux; mais il ne suffira pas qu'elle sache de mémoire le nom de ces lettres et qu'elle les appelle de suite : vous les mêlerez souvent ensemble, mettant les dernières au commencement et les premières au milieu, afin qu'elle les connaisse moins de vue que par leurs noms. Lorsqu'elle commencera à écrire, que quelqu'un dirige sa petite main tremblante pour la soutenir, ou trace des caractères sur des tablettes, afin qu'elle suive les mêmes lignes sans pouvoir s'en écarter. Faites-lui assembler les mots, en lui proposant des prix et en lui donnant pour récompense ce qui plait d'ordinaire aux enfants de son âge. Qu'elle ait de jeunes compagnes, afin que les applaudissements qu'elles pourront recevoir excitent son émulation et son ardeur pour l'étude. Ne lui reprochez pas la difficulté qu'elle éprouve à comprendre; au contraire, encouragez-la par des louanges ; faites en sorte qu'elle soit également sensible à la joie d'avoir bien fait ou à la douleur de n'avoir pas réussi. Surtout prenez garde qu'elle ne conçoive pour l'étude une aversion qu'elle peut conserver dans un âge plus avancé. Que les mots dont on se servira pour l'accoutumer à s'exprimer ne soient point des termes inventés ou trouvés par hasard: qu'elle nomme les apôtres, les prophètes et les patriarches , commençant par Adam et suivant l'ordre de saint Matthieu ou de saint Luc, afin qu'elle se garnisse la mémoire d'expressions qui dans la suite lui seront d'une grande utilité. Choisissez-lui un maître de bonnes moeurs et d'une capacité éprouvée. Je suis persuadé qu'un homme habile ne refuserait pas de faire pour sa parente ou pour une file. de haute naissance ce qu'a l'ait Aristote pour Alexandre, et qu'il ne regarderait pas comme au-dessous de lui de poser les premiers fondements de son éducation. Une personne de mérite instruira sans doute mieux votre fille qu'un ignorant. Empêchez-la aussi de prononcer les mots à demi et déjouer avec l'or et la pourpre, car l'un nuirait à son langage et l'autre à ses moeurs : elle ne doit rien apprendre en son enfance qu'elle soit obligée d'oublier dans la suite. On dit que la manière de parler de la mère des Gracques contribua beaucoup à les rendre éloquents, et qu'Hortensius fortifia son langage cri entendant son père. On efface difficilement les premières impressions que reçoit une jeune âme. Rarement on rend à la laine teinte sa couleur naturelle, et une urne garde toujours l'odeur de la première liqueur dont elle a été imbibée. Il est rapporté dans l'histoire grecque qu'Alexandre-le-Grand conserva dans ses moeurs et dans sa démarche les défauts de son maître Léonide, parce qu'il les avait pris dès son enfance. On imite naturellement les vices d'une personne, et l'on tombe sans peine dans les défauts de celui dont on rie peut acquérir les vertus. Que sa nourrice ne soit point une babillarde ni une femme adonnée au vin ou aux plaisirs. Qu'elle saute au cou de son aïeul quand elle le rencontrera, et qu'elle lui chante les louanges de Dieu, ne voulut-il pas l'écouter; qu'elle sourie en voyant sa grand'mère; qu'elle comble son père de caresses; qu'elle soit chérie de tout le monde. Faites en un mot que cette jeune fille si aimable fasse la joie de toute sa famille. Faites-lui connaître (222) de bonne heure les mérites et les vertus de son autre aïeule et de sa tante. Apprenez-lui quel est le maître qu'elle doit servir, et l'armée dans laquelle elle doit s'enrôler et combattre à leur exemple; qu'elle souhaite de vous quitter pour aller demeurer avec elles. Ne lui percez point les oreilles; ne lui mettez ni céruse ni fard sur le visage; ne lui teignez point les cheveux et ne la chargez pas de diamants et de perles; qu'elle ait des vertus avec lesquelles elle pourra acquérir les trésors de l'Evangile. Une noble dame de Rome, appelée Pretextata, habilla et coiffa il y a quelque temps Eustochia à la mode du siècle, obéissant ainsi aux ordres de son mari qui voulait la détourner du dessein qu'elle avait de se consacrer à Dieu ; mais la nuit suivante un ange vint la trou ver et lui lit d'horribles menaces : «Avez-vous bien osé préférer les ordres de votre mari au Sauveur? » lui dit-il ; avez-vous bien osé mettre la main sur une tête consacrée à Dieu? Cette main criminelle sèchera tout à l'heure, afin que par la sévérité d'un tel châtiment vous compreniez toute la grandeur de votre faute; et dans cinq mois vous serez traînée aux enfers et vous verrez mourir votre mari et vos enfants si vous commettez encore une pareille faute.»Tout cela arriva comme l'ange avait prédit, et l'on connut par la mort soudaine de cette femme qu'elle avait attendu trop longtemps pour faire pénitence. C'est ainsi que Dieu châtie ceux qui profanent son temple. Je ne prétends pas en vous rapportant cette histoire insulter à la misère des malheureux, mais vous enseigner avec quel soin vous devez conserver ce que vous avez promis à Jésus-Christ. Le prêtre Héli devint coupable par les péchés de ses enfants. On ne reçoit point à l'épiscopat un homme qui laisse ses enfants s'adonner aux plaisirs et aux dérèglements. D'un autre côté, saint Paul assure qu'une femme fait servir ses enfants à son propre salut si elle fait en sorte qu'ils demeurent dans la foi, la charité et l'innocence. Si l'on impute aux parents les fautes que leurs enfants commettent dans un âge avancé, ne leur imputera-t-on pas plutôt celles d'un âge où ils ne connaissent pas encore la différence du bien et du mal? Vous sauveriez votre fille de la morsure d'un serpent, et vous n'empêcherez pas qu'elle tombe dans les piéges du démon, qu'elle boive dans la coupe d'or de Babylone, et qu'elle aille avec Dina voir les filles étrangères! On présente ordinairement le poison dans une liqueur douce comme le miel, et toujours une apparence de vertu nous attire vers le vice.

Comment doit-on entendre, me direz-vous, ces paroles d'Ezéchiel : « qu'un père ne doit point être châtié des crimes de son fils ni le fils de ceux de son père, et que l'âme seule qui aura péché mourra? »  Ces paroles s'appliquent à ceux qui peuvent se gouverner eux-mêmes et dont il est dit dans l'Evangile : « Il a assez d'âge, qu'il réponde de ses propres actions; » mais le bien ou le mal que fait un enfant dans l'âge où il est incapable de se conduire lui-même est imputé à ses parents; de même, si l'enfant d'un chrétien décédait sans avoir été baptisé, il ne porterait pas seul la peine de ce crime, elle s'étendrait encore sur ceux qui auraient négligé de lui faire recevoir ce sacrement, surtout si c'était à une époque où il ne pouvait apporter de résistance à leur volonté. Le salut des enfants n'est-il pas un avantage pour les parents?

Vous étiez libre d'offrir ou de tic pas offrir à Dieu votre fille; mais aujourd'hui vous ne sauriez vous disperser de la lui consacrer sans être criminelle. C'était autrefois un sacrilège que de présenter à Dieu une victime défectueuse ou impure : quel sera donc aujourd'hui le châtiment de ceux qui négligeront la pureté d'une personne qu'ils ont consacrée à Jésus-Christ?

Lorsqu'elle sera devenue un peu plus grande, et qu'à l'exemple de son époux elle croîtra en sagesse, en âge et en grâce devant Dieu et devant les hommes, qu'elle aille avec ses parents au temple de son véritable père; mais qu'elle n'en sorte pas comme eux; qu'on la cherche en vain dans le chemin du siècle, dans les assemblées et la compagnie de ses proches; qu'on ne la trouve que dans la retraite, consultant les apôtres et les prophètes sur son union spirituelle ; qu'elle imite la Vierge, que l'ange trouva seule dans sa chambre, et qui fut troublée à son arrivée, peut-être parce qu'elle voyait un homme contre sa coutume ; qu'elle suive l'exemple de celle dont il est dit : « Cette princesse est au-dedans toute éclatante de gloire; » blessée d'un de ces précieux traits que lance le divin amour, qu'elle dise avec l'épouse : « Le roi m'a fait entrer dans son appartement; » qu'elle n'en sorte jamais, de peur que, rencontrant ceux qui (223) parcourent la ville, ils ne viennent à la frapper, à lui ravir sa vertu, à la dépouiller, et à l'abandonner nageant dans son sang; qu'elle réponde au contraire si l'on vient à frapper à sa porte: «Je suis une muraille; ma vertu est une tour; j'ai lavé mes pieds : je ne puis me résoudre à les salir. » Qu'elle ne mange point en public, c'est-à-dire qu'elle ne se trouve point aux festins qui se feront dans la famille, de peur qu'elle ne désire des viandes qu'on y servira. Quelques-uns croient qu'il y a plus de vertu à vaincre un objet dont la vue fait naître le désir; mais je suis persuadé qu'il y a plus de prudence à ne le point connaître, car on quitte difficilement une habitude qu'on a laissé vieillir. Qu'elle s'accoutume dès aujourd'hui à ne point boire de vin, car il est la source de toute impureté. Néanmoins, comme une abstinence austère est dangereuse aux enfants, vous pourrez lui permettre, lorsque la nécessité l'exigera, l'usage des bains, du vin et de la viande, de peur que les pieds ne lui manquent avant même d'avoir marché. Prenez plutôt ceci pour l'avis d'un homme indulgent qui craint qu'elle ne tombe malade que pour un commandement que favorise la sensualité. Qui pourrait dispenser une vierge consacrée à Jésus-Christ d'une entière abstinence, lorsque les juifs par une superstition ridicule se sont défendus à eux-mêmes la chair de certains animaux, de certaines viandes, et que les prêtres indiens et les gymnosophistes d'Egypte se sont engagés à ne vivre que de pommes, d'un peu de riz et de bouillie? Si l'on l'ait tant de cas de ces vertus païennes qui n'ont que l'éclat du verre, combien ne doit-on pas estimer celles qui ont, le feu du diamant? En un mot, qu'elle vive comme ceux dont la naissance a été miraculeuse et semblable à la sienne; qu'elle supporte les fatigues de ceux qu'elle a égalés en grâce; qu'elle n'entende jamais d'instruments de musique; qu'elle ignore même à quels usages servent la flûte et la harpe; qu'elle vous rende tous les jours un compte exact de ce qu'elle aura remarqué dans l’Ecriture sainte; qu'elle entende la poésie grecque; qu'elle s'accoutume dès son enfance à bien prononcer le latin de peur que, prenant des habitudes vicieuses, elle ne s'exprime dans sa langue naturelle avec le mauvais accent des étrangers. Servez-lui seule de maîtresse et de modèle, et surtout qu'elle ne remarque rien en vous ni en son père qu'elle ne puisse imiter sans pécher. Instruisez-la l'un et l'autre plutôt par votre exemple que par vos discours. Il faut bien peu de chose pour ternir la beauté d'une fleur; un vent impur a bien vite fané les lis, les violettes et les roses : qu'elle ne sorte point sans sa mère, qu'elle n'aille pas même aux églises ni aux tombeaux des martyrs sans elle ; que des jeunes gens du monde n'en approchent jamais, et qu'elle célèbre les veilles des fêtes solennelles sans s'éloigner d'un pas de votre personne. Ne souffrez pas qu'elle ait plus d'amitié pour une de ses amies que pour les autres et qu'elle s'entretienne à voix basse avec elle; qu'elle ne dise rien qui ne puisse être entendu de tout le monde; qu'elle aime à fréquenter une fille sage, modeste, dont le visage respire la vertu, et non de ces femmes coquettes qui aiment les vains ajustements, qui veulent paraître belles et chanter avec art. Proposez-lui pour modèle de sa conduite une fille d'un âge mûr, d'une foi irréprochable, d'une vie sans tache et d'une chasteté reconnue, qui l'instruise par ses exemples, qui l'accoutume à se lever la nuit pour vaquer à la prière et. chanter des psaumes, et à s'acquitter fidèlement de son devoir pendant la, journée. Qu'elle se livre le jour à de semblables exercices; que la lecture et l'oraison partagent également son temps : il sera court à ses yeux si elle a soin de l'employer de la sorte. Qu'elle sache filer et travailler en laine, mais qu'elle ne s'applique jamais aux ouvrages d'or et de soie; que ses vêtements préservent son corps des injures de l'air; qu'elle ne porte point de ces étoffes légères qui ne couvrent qu'à demi ; qu'elle se nourrisse de légumes et rarement de poissons; et, pour ne pas m'arrêter sur une matière que j'ai traitée ailleurs avec plus d'étendue, qu'elle mange de telle manière qu'elle ait toujours faim, et que ses repas ne la détournent point de ses exercices spirituels. Je n'approuve pas les abstinences excessives , particulièrement pour la jeunesse ; je défends que pendant des semaines entières on s'interdise même l'usage de l'huile et des fruits. N'imitons point les prêtres d'Isis et de Cybèle, qui, tout en dévorant des faisans entiers, se font scrupule de manger du pain. Pour moi, j'applique au jeûne cette maxime, qu'il faut toujours se conserver de la force pour une longue carrière, de peur que, voulant courir au commencement, on ne (224) succombe au milieu. Néanmoins il ne faut point garder de mesure pendant le carême, quoique les vierges et les solitaires ne doivent pas régler leur conduite sur celle des gens du siècle : un homme du monde, pendant le carême, digère la bonne chère passée et se prépare à de nouveaux excès, semblable à l'huître qui se nourrit de l'eau qu'elle a amassée dans ses coquilles; mais une vierge et un solitaire doivent en ce temps se souvenir que leur jeûne sera continuel. Un travail qui finira peut être rude, mais celui qui ne doit point avoir de fin exige plus de modération.

Si vous allez quelquefois à la campagne, mener votre fille avec vous ; ne la laissez jamais seule à la maison; qu'elle ne puisse vivre sans vous et qu'elle craigne d'être seule. Défendez-lui la compagnie des gens du monde et des filles dont la conduite est déréglée; qu'elle n'assiste point aux noces de vos domestiques ni aux réunions nombreuses. Je sais qu'il y en a qui défendent aux vierges consacrées à Jésus-Christ de se baigner en présence des eunuques et des femmes enceintes, parce que ceux-là conservent toujours le naturel de l'homme, et que celles-ci y paraissent quelquefois dans un état qui ne doit point être vu par une fille; mais pour moi, je défends entièrement le bain à une grande fille, qui ne peut se voir nue sans rougir. Et, en effet , si elle gourmande son corps par des jeûnes et des veilles, si elle tâche d'éteindre par la continence les feux de la jeunesse, et qu'elle travaille à ternir l'éclat de sa beauté naturelle, pourquoi réveillerait-elle par l'usage des bains une ardeur à demi éteinte ?  Que l'Ecriture sainte tienne lieu à votre fille de diamants, de perles et de vêtements somptueux ; et due son livre soit simple, sans ornements, correct et fidèle. Qu'elle apprenne d'abord le Psautier; due les leçons qu'elle y puisera l'engagent à se retirer du monde; qu'elle prenne dans les Proverbes de Salomon des avis salutaires à sa conduite; qu'elle s'accoutume avec l'Ecclésiaste à triompher du siècle; qu'elle trouve dans le livre de Job un modèle de vertu et de patience ; qu'elle passe ensuite au saint Evangile, qu'elle aura toujours entre les mains, et qu'elle se remplisse lecteur et l'esprit des Actes des Apôtres et de leurs épîtres. Après s'être fortifié l'âme de ce trésor, qu'elle apprenne par coeur les livres des Prophètes, de Moïse, des Rois et des Paralipomènes, et même celui d'Esdras et d'Esther. Enfin, elle terminera l'étude de l'Ecriture sainte par la lecture du Cantique des cantiques : elle pourra alors étudier ce livre sans danger. Si au contraire elle commençait par cette lecture, est-ce qu'elle y découvrirait le sens spirituel qui y est caché ? Qu'elle prenne garde de ne rien lire d'apocryphe, ou si elle en lit quelque chose, que ce soit plutôt pour apprendre l'histoire de ce qui y sera rapporté que pour s'instruire des mystères de la foi. Qu'elle se souvienne que les auteurs de ces livres ne sont pas ceux dont ils portent le nom, et qu'il faut, avoir beaucoup de discernement pour dé couvrir l'or dans la fange. Qu'elle ait toujours entre les mains les oeuvres de saint Cyprien; qu'elle parcoure sans se lasser les lettres de saint Athanase et les livres du grand Hilaire; qu'elle se plaise à la lecture de ceux dont la foi et la piété ne sont point chancelantes dans leurs écrits, et qu'elle lise les autres plutôt pour les juger due pour les suivre aveuglément.

Mais, me direz-vous, comment pourrai-je exécuter de si grandes choses, moi qui suis livrée au monde et jetée au milieu de Rome parmi une société bruyante? Ne vous chargez donc point d'un fardeau que vous ne pouvez porter: sevrez votre fille comme Isaac, habillez-la comme Samuel, et envoyez-la à son aïeule et à sa tante; envoyez-la en la chambre de la Vierge et enchâssez cette pierre précieuse dans le berceau de Jésus-Christ. Qu'elle soit élevée dans un cloître, parmi des vierges, où elle ne jurera point, où elle prendra le mensonge pour un sacrilège, où elle ne connaîtra point le siècle, où elle vivra comme un ange, ayant un corps comme si elle n'en avait point, et où elle croira que tout le monde lui ressemble , et pour tout dire en un mot, où elle vous délivrera du soin de la garder. Il vaut mieux avoir à gémir de son absence que d'être sans cesse à se demander ce qu'elle dit, avec qui elle parle, ce qui lui plait ou ne lui plait point. Abandonnez à l'illustre Eustochia un enfant qui déjà vous prie par ses bégaiements, donnez-lui pour compagne de piété celle qui en sera un jour l'héritière; que cet enfant voie, aime et admire dès son enfance une personne dont la démarche, les gestes et les discours sont des leçons de vertu; qu'elle vive entre les bras d'une aïeule qui recommencera pour sa petite-fille ce qu'elle a fait (225) autrefois pour sa fille chérie, et à qui une longue expérience a appris à élever, à surveiller et à instruire des épouses du Seigneur; que la fille de Toxotius soit plus heureuse par la vertu et la sainteté de son aïeule et de sa tante que par la noblesse de son illustre famille. Oh! si vous pouviez voir ces femmes illustres et comprendre tout ce qu'il y a de grand dans le courage qui anime leurs faibles corps, vous qui avez tant d'admiration pour la vérité, vous iriez plutôt à Bethléem que votre fille, et vous préféreriez les conseils de l'Evangile aux commandements de l'ancienne loi; et sans écouter les soupirs et les sanglots de vos autres enfants, vous vous offririez vous-même au Seigneur. Dais puisque chaque chose vient en son temps, que le corps de la femme n'est point en sa puissance, que chacun doit demeurer en l'état où il était quand Dieu l'a appelé, et que celui qui est sous un joug avec un autre ne le doit pas laisser dans la boue, commencez par votre fille une offrande que vous achèverez un jour par vous-même. Anne, après avoir présenté au temple l'enfant qu'elle avait promis à Dieu, ne l'emmena plus chez elle, et elle crut qu'elle profanerait celui .qui devait être prophète en l'élevant dans la maison d'une mère qui désirait encore d'autres enfants; même après l'avoir enfanté elle n'osa aller au temple, ni paraître devant Dieu sans lui porter des offrandes et sans s'acquitter de ce qu'elle lui devait. Elle fit donc le sacrifice de son fils, et retournant chez elle après l'avoir achevé, elle devint mère de cinq enfants parce qu'elle avait présenté à Dieu son premier-né. Imitez la foi de cette sainte femme dont vous admirez la félicité. Si vous nous voulez envoyer Paula, je m'oblige à être son maître et son nourricier . Je la porterai entre mes bras; ma vieillesse ne m'empêchera point de délier sa langue, de former ses premiers accents, et je serai plus glorieux que le philosophe païen Aristote, puisque je n'instruirai pas un roi mortel et périssable, mais une épouse immortelle du roi céleste.

 

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PARTIE II. A GAUDENTIUS.

 

Il est assez difficile d'écrire à une petite fille qui n'entend point encore ce qu'on lui dit, dont on ne connaît point le caractère, de laquelle on ne peut rien se promettre d'assuré, et en qui, pour me servir des termes d'un grand orateur, l'espérance est plus à estimer que la chose même. Comment exhorter à la continence une enfant qui demande des jouets, qui bégaie encore sur le sein de sa mère, et qui préfère les friandises aux plus beaux discours ? Celle qui s'endort à des contes de vieilles femmes concevra-t-elle les paroles sublimes de l'Apôtre et le style mystique des prophètes? celle qui est effrayée de la sévérité du visage d'une gouvernante supportera-t-elle la majesté de l'Evangile, dont tous les plus grands esprits du monde ne peuvent soutenir l'éclat? en un mot, comment exhorter à l'obéissance celle qui en jouant bat encore sa mère? Que la jeune Pacatula reçoive donc cette lettre pour la lire quelque jour; qu'aujourd'hui elle s'applique à en connaître seulement les caractères, à en assembler les syllabes et les mots; pour exciter son ardeur promettez-lui quelques jouets. Exercez-là aussi à manier le fuseau; qu'elle rompe aujourd'hui le fil afin qu'elle apprenne à ne pas le rompre plus tard. Qu'elle se livre à ses jeux après avoir travaillé; qu'elle saute au cou de sa mère, qu'elle soit comblée de caresses par toute sa famille. Accoutumez-la aux chants des Psaumes, et qu'elle se plaise à ce qu'elle est obligée d'apprendre, afin que l'étude soit plutôt pour elle un divertissement qu'un travail, et qu'elle y soit moins portée par la nécessité que par son inclination naturelle. Les uns prétendent que l'on doit habiller de vêtements bruns une vierge qui est destinée au Seigneur, lui ôter le linge et ne lui laisser porter aucun ornement d'or ni aucune pierrerie, afin qu'elle s'habitue à ne point porter ce qu'elle serait un jour obligée de quitter; d'autres tiennent une conduite contraire à celle-là, car, disent-ils, cette vierge ne verra-t-elle point à ses compagnes ce qu'elle n'a pas? Les femmes aiment naturellement à être parées, et il y en a de fort vertueuses qui, sans dessein de plaire aux hommes, se parent néanmoins pour leur satisfaction particulière, il faut donc combler une vierge de ces vanités et louer en sa présence celles qui s'en privent, afin que la possession lui en donne du dégoût, et qu'elle ne les souhaite point pour ne les avoir jamais eues. Le Seigneur même en usa de la sorte avec les Israélites, qui désiraient (220) manger des viandes des Egyptiens ; car, ils les rassasia de cailles jusqu'à ce qu'ils en fuissent dégoûtés. Et dans le monde plusieurs de ceux qui ont goûté lit sensualité y renoncent plutôt que d'autres qui ne l'ont jamais connue. On méprise ce que l'on connaît et ton recherche ce que l'on ne connaît point; les uns évitent les piéges de la volupté qu'ils ont découverts; et les autres, qui en ignorent la douceur, séduits par les attraits des plaisirs, trouvent du poison où ils pensaient trouver du miel. En effet, « Les lèvres de femme débauchée distillent du miel, qui a pendant un temps de la douceur pour ceux qui en approchent, mais qui décèle bientôt son amertume. »De là vient que dans les sacrifices de l'ancienne loi on n'offrait point de miel dans les temples, qu'on défendait même d'y brûler de la cire, d'où découle le miel; de là vient que dans le sanctuaire on n'employait que de l'huile, produite par l'amertume des olives. Faudra-t-il donc s'abandonner à la sensualité pendant sa jeunesse, afin d'y renoncer dans un âge avancé après l'avoir goûtée? Point du tout, répondent-ils : due chacun demeure dans l'état où il irait quand Dieu l'a appelé: si un homme est appelé étant circoncis, c'est-à-dire étant vierge, qu'il ne désire point d'être marié; de même, s'il est appelé sans avoir été circoncis, c'est-à-dire ayant une femme, il ne doit point souhaiter d'être vierge. De là vient que saint Paul, parlant de la virginité et du mariage, appelle les gens mariés « les esclaves de la chair, » et fait consister la liberté dans le service qu'on rend à Dieu sans être marié. Au reste ce discours ne doit pas passer pour une règle générale; comme aussi il ne faut pas croire que je ne parle qu'aux femmes, dont le sexe est si faible. Êtes-vous homme et vierge: pourquoi vous plaisez-vous en la compagnie d'une femme? pourquoi abandonnez-vous une petite barque à la fureur des vagues, et vous confiez-vous à la mer sans être sûr que vous arriverez au port?

Quoique vous n'ayez peut-être aucun mauvais dessein, néanmoins l'étroite liaison que vous avez avec cette femme t'ait assez connaître , ou que vous avez déjà conçu pour elle des sentiments impurs, ou, pour ne rien outrer, qu'une telle société fera naître un jour de mauvais désirs. Mais ce sexe, ajouterez-vous , est plus propre à nous servir. Choisissez donc, une vieille fille qui soit laide et d'une continence éprouvée. Pourquoi, prendre une femme jeune, belle et adonnée à ses plaisirs ? Vous vous baignez fréquemment; vous vivez de mets délicieux, vous êtes opulent; vous portez des habits somptueux; et vous croyez dormir en sûreté auprès d'un serpent dont les morsures sont mortelles! Elle ne reste pas dans ma chambre, direz-vous. Elle n'y demeure pas la nuit, il est vrai, mais vous vous entretenez avec elle pendant tout le  jour. Pourquoi être seuls ensemble, et faire par là juger aux autres que vous offensez Dieu quoique cela ne soit pas? Vous servez de modèle à des libertins dont vous autorisez la débauche par votre exemple. Et vous, vierge, et vous, veuve, pourquoi avoir de si longs entretiens avec un homme? Ne tremblez-vous pas d'être seule avec lui ? Pourquoi ne vous servez-vous pas d'un prétexte si spécieux pour quitter celui avec lequel vous vous comportez avec plus de liberté qu'avec un frère et moins de retenue qu'avec un mari? Mais, me direz-vous, nous nous entretenons de l’Ecriture sainte: Si cela est, parlez devant le monde et devant vos domestiques. « Tout ce qui n'est point caché est lumière. » La parole sainte ne veut point de mystères; elle aime à s'entendre expliquer en publie et à jouir du témoignage et des louanges de la multitude. O l'excellent maître qui, dédaignant ses frères et refusant de converser avec des hommes, travaille avec beaucoup de peine à instruire en particulier une simple femme!

Cependant Je me suis écarté. insensiblement de mon dessein à l'occasion des autres; et, parlant de l'éducation d'une jeune enfant qui porte le nom de Pacatula, je me suis mis sur les bras d'autres personnes qui ne se montrent pas trop amies de la paix, surtout quand on leur déclare la guerre. Je reviens donc où j'es étais resté. Que les filles cherchent la compagnie des filles, et que la jeune Pacatula fuie le société des garçons, quand même ils seraient enfants comme elle. Qu'elle n'entende rien qui choque la pudeur, et s'il échappait dans la famille quelque mot un peu libre, qu'elle n'en comprenne point le sens. Que le moindre signe de sa mère lui tienne lieu de parole et de commandement ; qu'elle l'aime comme on aime une mère, et qu'elle lui soit soumise comme on l'est à une maîtresse. Lorsqu'elle aura atteint l'âge  (227) de sept ans , et qu'elle saura ce que c'est que de rougir et de discerner ce qu'il faut dire et ce qu'il faut faire; qu'elle enrichisse sa mémoire dés maximes du Psautier, et qu'elle travaille jusqu'à douze ans à faire toute sa richesse des livres des Prophètes, de ceux de Salomon, du saint Evangile et des Actes des apôtres. Qu'elle n'affecte point de paraître en public et de se trouver toujours aux grandes assemblées, même des églises; que toutes ses délices soient de demeurer dans sa chambre. Ne souffrez point auprès d'elle de jeunes hommes qui se livrent aux plaisirs du monde; qu'elle s'éloigne autant qu'elle le pourra des filles coquettes et légères, dont la fréquentation est d'autant plus dangereuse que leurs paroles font à l'âme de mortelles blessures. Plus vous donnerez d'accès chez vous à ces sortes de personnes, plus aussi vous aurez de peine à vous en défaire : elles enseignent en secret ce qu'elles ont appris, et malgré les soins que l'on prend de renfermer sa fille comme une nouvelle Danaé , elles trouvent moyen de la corrompre par leurs discours empoisonnés. Donnez-lui pour gardienne et pour compagne une maîtresse et une gouvernante qui ne soit, comme dit l'apôtre saint Paul, ni trop adonnée au vin, ni paresseuse, ni babillarde, mais sobre, modeste, toujours occupée à quelque ouvrage de laine, et dont tous les discours soient propres à inspirer à un jeune cœur des sentiments de piété et de vertu. Comme l'eau suit sans peine le sillon qu'on lui trace avec le doigt sur le sable, de même un enfant encore tendre et délicat prend tel pli qu'on lui donne et se laisse conduire sans résistance. Lorsqu'un jeune libertin qui fait profession de galanterie et qui n'aime que son plaisir veut avoir quelque accès auprès d'une fille, son premier soin est de gagner sa gouvernante par des présents, des prévenances et des flatteries ; et quand une fois cette première démarche lui a réussi, alors d'une petite étincelle il fait naître un grand embrasement, portant peu à peu ses desseins jusqu'à l'impudence, ne donnant aucune borne à ses désirs, et vérifiant par sa conduite ce que dit un poète : « Quand on tolère le vice et qu'on le laisse croître, il est bien difficile de lui donner un frein. » Je ne saurais le dire sans rougir, mais néanmoins il faut que je le dise, il y a des femmes nobles qui, après avoir méprisé des personnes d'une naissance illustre qui les recherchaient en mariage, S'unissent à des hommes d'une condition basse et servile; et sous un prétexte spécieux de religion et de continence, ces Hélènes abandonnent quelquefois leurs maris, suivent les Alexandre sans craindre les Ménélas. On voit tous ces désordres, ou en gémit, mais cependant on les laisse impunis, parce que la multitude des libertins autorise le libertinage. O Dieu! jusqu'où ne portons-nous pas le crime et l'impiété Aujourd'hui le monde disparaît et périt à nos yeux, et cependant nos crimes subsistent toujours parmi ses ruines! Rome, cette ville si célèbre , cette capitale de l'empire romain, vient d'être consumée par les flammes; ses citoyens exilés sont dispersés par toute la terre; ses temples si saints et si augustes ne sont plus que cendre et que poussière, et néanmoins les passions humaines nous dominent toujours! Nous vivons comme si nous devions mourir demain, et nous nous établissons sur la terre comme si nous devions y vivre éternellement! On voit briller l'or sur les murailles, dans les lambris et sur les chapiteaux des colonnes, tandis que Jésus-Christ, tout nu et mourant de faim, expire à notre porte en la personne du pauvre! Nous lisons dans l'Ecriture sainte que le grand prêtre Aaron alla au-devant des flammes qui dévoraient Israël, qu'il apaisa la colère du Seigneur par l'odeur de son encens, qu'il se tint debout entre les vivants et les morts, et que le lieu où il était fut comme une barrière impénétrable à la violence du feu. « Laissez-moi faire, »disait Dieu à Moïse, « je veux exterminer cette nation ingrate et rebelle.» En disant : « laissez-moi faire» il donne assez à connaître qu'on pouvait désarmer sa justice, et que les prières de son serviteur lui liaient les mains. Où trouver aujourd'hui un homme sur la terre qui puisse s'opposer à la colère de Dieu, aller au-devant des flammes, et dire avec l'apôtre saint Paul: « Je désirais devenir moi-même anathème et me séparer de Jésus-Christ pour sauver mes frères? » On voit périr les troupeaux avec les pasteurs parce que tel est le peuple, tels sont les pontifes. Moïse, plein de tendresse et de compassion pour les Israélites, disait à Dieu : « Pardonnez à ce peuple, Seigneur, ou si vous refusez de lui pardonner, effacez-moi de votre livre. » Peu satisfait de son propre salut, il veut périr avec les autres, parce que la multitude d'un peuple (228) nombreux fait l'honneur et la gloire d'un monarque. C'est dans ces temps malheureux que notre Pacatula est venue au monde: les calamités du genre humain ont été, pour ainsi dire, les jouets de son enfance; elle a su pleurer avant que de savoir rire; elle a vu couler ses larmes avant que d'être sensible à la joie, et à peine est-elle  entrée dans le monde qu'elle l'a vu disparaître  à ses yeux. Qu'elle s'imagine donc que ce   monde a toujours été ce qu'il est aujourd'hui; qu'elle l'envisage toujours sous ce point de vue, ignorant le passé, fuyant le présent, désirant l'avenir.

 

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