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LETTRE CXXX.
ANTOINE BOSSUET AU GRAND CONDÉ.
Paris, 19 octobre 1684
Monseigneur ,
Les extrêmes bontés avec
lesquelles V. A. S. continue de marquer l'estime qu'elle avait pour M. de
Cordemoy, et la protection
(a) L'Histoire de France, depuis le temps des Gaulois et le
commencement de la monarchie jusqu'en 987. Publiée en 2 vol., 1685 et 1689. —
(6) Louis Bossuet, né à Dijon le 22 février 1663 , baptise le 1er avril suivant,
et dont le grand Condé fut le parrain; puis Jacques-Bénigne Bossuet, né à Dijon,
le 11 décembre 1664.
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dont elle veut bien honorer sa famille, a touché ceux qui
sont ici d'une si grande consolation, que j'ai cru que V. A. S. voudrait bien
encore me permettre de lui en rendre compte. Sitôt que les deux enfants, qui
sont l'un en Auvergne, l'autre à Lyon, seront de retour, on fera paraître le
premier volume de l'histoire, où il reste peu de chose à faire. Le second suivra
d'assez près, et puis l'on verra s'il y aura quelques mesures à prendre pour la
suite.
Je suis bien glorieux,
Monseigneur, que mes enfants aient eu l'honneur de paraître devant V. A. S. et
qu'ils ne lui aient pas déplu. Mon frère [l'évêque de Meaux] m'écrit les bontés
qu'il a plu à V. A. S. de leur témoigner ; et surtout il me mande les
circonstances des obligations infinies que j'ai à V. A. S. et à Monseigneur le
Duc. Quelles grâces très-humbles puis-je vous rendre pour un si grand bienfait?
Je ne puis qu'avouer, Monseigneur, que je suis redevable à V. A. S. de
l'établissement de ma famille, et être comme je serai toute ma vie avec la
fidélité et les soumissions respectueuses que je dois,
Monseigneur,
de V. A. S. le, etc.
LETTRE CXXXI.
BOSSUET AU GRAND CONDÉ.
Paris, 25 octobre 1684.
Monseigneur,
Je prends la liberté encore une
fois de rendre compte à V. A. S. que j'ai fait voir en arrivant de Meaux, à la
famille de feu M. de Cordemoy, ce qui les concerne dans la dernière lettre dont
il vous a plu m'honorer. Ils auront l'honneur de se présenter à V. A. S. comme
elle leur permet de le faire, et de lui marquer leurs très-humbles actions de
grâces de tout ce qu'ils doivent à vos bontés dans leur malheur. Pour moi,
Monseigneur, je ne pourrai jamais exprimer la reconnaissance que je ressens.
Mais je serai toute ma vie fidèlement et avec de très-profonds respects, etc.
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LETTRE CXXXII.
BOSSUET A CONDÉ.
[Germigny] octobre 1684.
Je rends, Monseigneur, grâces
très-humbles à V. A. S. du secours qu'elle m'a donné par son fontenier (a). Il
n'a cessé de travailler, et nous a appris bien des choses, que ni moi, ni mes
fonteniers ne savions pas. Notre ouvrage est à présent en bon train.
J'ai reçu la lettre que V. A. S.
me faisait l'honneur de m'écrire. Je ne puis, Monseigneur, assez vous remercier
de tant de bontés.
Je n'ai encore aucune nouvelle
de Fontainebleau sur ce que j'avais proposé pour la famille de M. de Cordemoy.
Je pars pour mes visites.
Je suis avec le respect que vous
savez,
Monseigneur,
de V. A. S., etc.
LETTRE CXXXIII.
BOSSUET AU GRAND CONDÉ (b).
A Germigny, 9 octobre 1685.
Mes ouvrages sont achevés,
Monseigneur ; et il ne me reste plus qu'à rendre grâces très-humbles à V. A. S.,
et à lui demander pardon d'avoir retenu si longtemps son fontenier. Il a
travaillé avec beaucoup de soin jusqu'à hier; et pour moi, je me suis rendu si
parfait dans les hydrauliques, que V. A. dorénavant ne me reprochera plus mes
âneries. Je m'en vais dans deux jours à Fontainebleau, d'où l'on me mande que
l'on est affligé de la fausse-couche de Madame la Dauphine.
Mon frère m'a bien réjoui en me
disant les nouvelles de votre santé.
(a) Bossuet s'occupait de l'embellissement de la maison de
campagne des évêques de Meaux, située à Germigny, sur les bords de la Marne, à
deux lieues de Meaux. — (b) Mise ici, parce qu'elle parle comme la précédente
d'un ouvrage hydraulique.
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J'espère, Monseigneur, avoir
l'honneur de vous voir, au retour de la Cour, et je suis bien résolu de ne vous
plus fuir. Je suis, avec le respect que vous savez, etc.
LETTRE CXXXIV.
BOSSUET AU GRAND CONDÉ.
Meaux, 28 décembre 1684.
Je suis prié, Monseigneur, par
le chapitre de Dammartin, de supplier V. A. S. de vouloir bien donner son
agrément et consentement nécessaire à la permutation que M. Claude Chastelain,
prêtre du diocèse de Senlis, chanoine de Dammartin (a), prétend faire avec M.
Pierre Valois, prêtre du diocèse d'Evreux et curé d'Epinay-sur-Orge, au diocèse
de Paris, dont on me rend si bon témoignage que j'ai tout lieu d'espérer qu'il
servira utilement et avec édification dans ce chapitre. Pierre Valois a
cinquante-sept ans, et Claude Chastelain en a trente-huit. Ainsi V. A. n'est
nullement intéressée dans l'agrément qu'on lui demande pour cette permutation,
et d'ailleurs elle donnera un bon sujet au chapitre. C'est, Monseigneur, ce qui
me fait prendre la liberté de vous demander cet agrément. La permutation se,
fera en la forme que vous aurez agréable, quand il vous aura plu de permettre la
chose.
Je suis, avec le respect et
l'attachement que vous savez, Monseigneur, etc.
LETTRE CXXXV.
BOSSUET AU GRAND CONDÉ.
Germigny, 4 juillet 1685.
Monsieur l'abbé de Fénelon était
ici, Monseigneur, dans la pensée d'aller présenter à V. A. S. une lettre de
Monsieur
(a) Le comté de Dammartin appartenait alors à la maison de
Bourbon-Condé, e le prince avait des droits de patronage sur les prébendes de la
collégiale.
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[ l'évêque] de Sarlat, son oncle (a); Je l'ai prié de
différer son voyage jusqu'à ce que je pusse être de la partie ; et en attendant
je vous supplie très-humblement d'agréer qu'il vous envoie la lettre dont il est
chargé. Je crois, Monseigneur, que V. A. S. sera satisfaite des raisons pour
lesquelles M. de Sarlat se défend, avec respect, de faire une chose, que vous
lui avez recommandée. Il connaît la souveraine justice qui règne dans l'esprit
de V. A. S. M. de La Bruyère m'a envoyé, par votre ordre, le titre d'un livre
latin que vous aviez eu le dessein de me faire voir, touchant les libertés de
l'Eglise gallicane. Je l'ai vu; et je supplie seulement V. A. S. de vouloir bien
le faire garder soigneusement, afin que je le puisse revoir, si j'en ai besoin
quelque jour.
Je travaille par ordre de Madame la Duchesse, à l'Oraison
funèbre de madame la princesse Palatine. Quand cet ouvrage sera en train, et que
j'aurai achevé quelque autre chose qui ne souffre point d'interruption, nous
irons rendre nos respects à V. A. S. MM. les abbés de Fénelon, de Langeron,
et moi.
Je suis, etc.
LETTRE CXXXVI.
BOSSUET AU GRAND CONDÉ.
Germigny, 27 juillet 1685.
Votre santé , Monseigneur, et la
manière, agréable dont s'est fait le mariage de Monseigneur le duc de Bourbon
(b) avec toutes les survivances, font maintenant le plus digne sujet de ma joie.
J'espère avoir bientôt l'honneur de rendre mes respects à V. A. S. en quelque
endroit qu'elle soit. Rien ne me touche plus que ses bontés, et tout est
au-dessous du plaisir de la voir en bonne santé. Je prie Dieu, Monseigneur,
qu'il vous la conserve longtemps.
Je suis, etc.
(a) François de Fénelon, né en 1606, nommé en 1069, à
l'évêché de Sarlat, mort le 1er mai 1688, âgé de quatre-vingt-trois ans. — (b)
Louis, duc de Bourbon (fils de Henri-Jules de Bourbon, duc d'Enghien, et
petit-fils du grand Condé), fut, le 21 juillet 1685, âgé de seize ans, marié
avec Louise-Françoise, légitimée de France, dite mademoiselle de Nantes, âgée de
douze ans, fille de Louis XIV et de madame de Montespan.
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LETTRE CXXXVII.
BOSSUET AU GRAND CONDÉ.
Germigny, 24 septembre 1686.
J’ai, Monseigneur, envoyé à M.
d'Autun, de votre part, la Lettre du ministre Jurieu, et je l'ai prié de
me la renvoyer après l'avoir lue. Cette Lettre est fort peu de chose,
comme V. A. l'a vu d'abord; mais la suite où il promet de réfuter une lettre que
j'ai écrite en particulier à un fugitif de mon diocèse, sera de plus grande
conséquence; et je supplie V. A., s'il lui en revient quelque chose, de m'en
faire part.
Je viens de recevoir un extrait
de lettre que V. A. S. sera bien aise de voir; c'est du Père Collorédo, nouveau
cardinal (a). Le P. Mabillon, qui a lié amitié avec lui dans son voyage de Rome,
comme avec un homme de lettres et de piété, lui avait écrit sur quelque affaire
de, littérature; et la lettre lui ayant été rendue le lendemain de sa promotion,
en lui répondant sur les choses qu'il lui demandait, il lui parle de la dignité
qu'il a refusée, de la manière que vous verrez. Le P. Mabillon revenant de Rome
sans aucune vue de ce qui devait arriver, nous en a parlé comme du meilleur
esprit et de l'homme le plus sincère et le plus humble qu'on put voir. Il me
semble qu'on ressent son humilité dans cette lettre, toute tissue de paroles de
l'Ecriture, mais encore plus pleine, ce me semble, des sentiments qu'elle
inspire. V. A. en jugera, et me renvoyera, s'il lui plaît, cet extrait à sa
commodité. Le pape usera de commandement, comme il fit sur un semblable refus du
feu cardinal Ricci.
Je rends mille humbles grâces à V. A. S. de toutes ses
bontés, et suis, avec respect, etc.
(a) Collorédo (Léandre), prêtre de l'Oratoire de
Saint-Philippe de Néry créé cardinal en 1686 par le pape Innocent XI, puis nommé
grand pénitencier, mourut le 11 janvier 1709. Plusieurs de ses lettres ont été
insérées au tome Ier des œuvres posthumes des PP. Mabillon et
Ruinart. Il fut contraint d'accepter la pourpre.
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LETTRE CXXXVIII.
BOSSUET A HENRI-JULES DE BOURBON, DEVENU EN DÉCEMBRE 1686 PRINCE DE CONDÉ, PAR
LA MORT DU GRAND CONDÉ, SON PÈRE.
A Meaux, 18 mars 1692,
Le curé que je crois propre,
Monseigneur, à V. A. S., est dans le diocèse de Poitiers. On lui a écrit, et on
attend sa réponse. C'est à mon neveu qu'elle doit venir, et voici un autre
embarras: c'est que mon neveu est parti pour Lyon, et cela nous mènerait loin,
si la réponse passait. Pour l'empêcher, je donne, ordre à mon portier de Paris
de m'envoyer les lettres de mon neveu : nous connaissons l'écriture de M. Berger
(c'est l'homme dont il s'agit ) ; et nous garderons la fidélité pour les autres
lettres. Voyez en passant, Monseigneur, que je suis bon oncle. J'écris même à
toutes fins, et votre valet de pied porte la lettre. Que si V. A. S. est
pressée, en vérité, Monseigneur, je n'y puis faire autre chose que de chercher
un autre homme, si elle me l'ordonne. Mais je n'en ai point de présent, qui
approche de celui-ci. Il a été ici en fonction trois ou quatre, mois, et tout le
monde en était aussi content que moi. Il a beaucoup de littérature et de
politesse: ses mœurs sont douces, sociables, et sa personne assez avenante.
C'est un homme accommodant, peu intéressé, si bien que je trancherais hardiment,
pour peu que je fusse instruit de ses sentiments. Mais il faudrait que je susse
de lui auparavant combien lui vaut, et comment il s'accommode d'un bénéfice
qu'il a en ce pays-là; et c'est ce que je ne puis savoir que de lui. Au reste il
est d'humeur à entrer dans les sentiments de V. A. sur les Antiennes; mais il y
aura à vous accorder avec Madame la princesse, qui me parait les aimer assez, et
je n'y vois que cet embarras. Voilà, Monseigneur, une affaire bien longuement
expliquée, et V. A. peut maintenant me donner ses ordres en connaissance de
cause. Elle sait avec quel respect et quel plaisir je les reçois.
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LETTRE CXXXIX (a).
BOSSUET AU DUC DE NOAILLES (b).
A Meaux, 20 septembre 1684.
Ne soyez point en peine,
Monsieur, des papiers que vous m'avez confiés. Je les ai apportés ici pour y
faire avec plus de loisir que je n'en ai eu à Paris, la réponse que vous m'avez
demandée, t'aurai soin de vous l'envoyer au premier jour et quand même vous
seriez parti, j'adresserai le paquet en Languedoc. Je suis, Monsieur, tout
autant qu'on le peut être, votre très-humble et très-obéissant serviteur.
LETTRE CXL.
BOSSUET AU DUC DE NOAILLES.
A Meaux, 23 octobre 1684.
Je vous assure, Monsieur, que
votre maladie m'a beaucoup donné d'inquiétude, et que parmi toutes les pertes
que j'ai faites, je ressentais bien vivement le péril où je vous voyais. Je me
réjouis de vous en voir dehors, et ne puis m'empêcher de vous conjurer d'avoir
grand soin de vous ménager. J'ai le bonheur d'avoir ici M. de Chalons; il passe
comme un éclair, et dans peu il partira. C'est toujours une grande douceur de le
voir pour peu que ce soit, et d'apprendre par lui de vos nouvelles : il a
souhaité de voir les papiers et je les lui ai donnés. Je répondrai à loisir,
puisque vous n'êtes pas pressé. Quant à la lettre dont vous m'envoyez La copie,
je ne m'étonne pas non plus que vous qu'on ait deviné une chose si grossière,
touchant la proposition de s'en tenir aux canons: celui qui l'a fait n'est pas
loin du royaume de Dieu. Mais il faut savoir de lui premièrement, dans quels
siècles
(a) Les trois lettres qu’on va lire, adressées au duc de
Noailles, paraissent ici pour la première fois. Les autographes sont à la
bibliothèque du Louvre, Msc. Noailles, vol. IV. — (b) Le duc de Noailles, frère
du cardinal, commanda dans le Roussillon, et fut fait maréchal de France en
1693.
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il se borne. Secondement, s'il n'entend pas joindre aux
canons les actes que nous avons très-entiers des conciles qui les ont faits.
Troisièmement si dans les canons des conciles dont nous n'avons point d'autres
actes que les canons mêmes, il n'entend pas que l'on supplée à ce manquement par
les auteurs du même siècle. Quatrièmement, s'il croit avoir quelque bonne raison
pour s'empêcher de recevoir la doctrine établie par le commun consentement des
Pères qui ont été dans le même temps. Cinquièmement, s'il peut croire de bonne
foi que tout se trouve dans les canons, qui constamment n'ont été faits que sur
les matières incidentes et très-rarement sur les dogmes. Une réponse précise sur
ces cinq demandes nous donnera le moyen de l’éclaircir davantage, pour peu qu'il
le veuille et qu'il aime autant la paix qu'il le veut faire paraître. Qu'il ne
dise point que c'est une chose immense que d'examiner la doctrine par le commun
consentement des Pères qui ont vécu du temps des conciles, dont il prend les
canons pour juges. Car on pourrait en cela lui faire voir en moins de deux
heures des choses plus concluantes qu'il ne croit. Un petit extrait de cette
lettre et des réponses aussi précises que sont les demandes, nous donneront de
grandes ouvertures. Je suis à vous de tout mon cœur et prie Dieu, Monsieur,
qu'il vous conserve et toute la famille, que je respecte au dernier point.
+ J. BÉNIGNE, év. de Meaux.
LETTRE CXLI.
BOSSUET AU DUC DE NOAILLES.
A Meaux, 31 octobre,1084.
Vous vous souviendrez, Monsieur,
de la grâce que vous m'avez faite, de me promettre d'écrire à M. le premier
président de Toulouse en faveur de M. de Naves, frère du défunt abbé de Naves,
pour le faire capitoul (a). Je vous supplie d'agréer que celui qui aura
l'honneur de vous présenter cette lettre, vous présente en même
(1) Le nom de Capitouls, sans doute du célèbre Capitole
gascon, désignait à Toulouse les officiers municipaux, auxquels ou donnait
ailleurs le nom d'échevin.
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temps un mémoire pour l'accomplissement de cette affaire.
C'est un homme qui a toutes les qualités requises, et je n'aurai pas moins de
joie de lui procurer votre protection que si son frère était vivant, je suis,
Monsieur, comme vous savez, votre très-humble et très-obéissant serviteur.
+ J. BÉNIGNE,
év. de Meaux.
LETTRE CXLII.
BOSSUET A M. DIROIS, DOCTEUR DE SORBONNE.
A Meaux, ce 14 novembre 1684.
J'ai reçu, Monsieur,
l'expédition de la Pénitencerie. Je n'ai pas su encore de celui qui la demandait
ce qu'elle a opéré , et si elle a tout à fait calmé sa conscience. J'ai joint à
cette expédition l'endroit de votre lettre, où vous dites tout ce qu'il faut
pour lui ôter tout scrupule. Je vous rends grâces de tout mon cœur de tout le
soin que vous avez pris de cette affaire. J'attends avec impatience ce que vous
me faites espérer.
J'ai vu un traité imprimé en
Espagne contre nos Articles : je ne me souviens pas s'il porte le nom du P.
d'Aguirre (a) : mais il a bien le caractère que vous lui donnez, d'être, surtout
pour ce qui regarde la temporalité, beaucoup plus outré et plus emporté que
Bellarmin. J'ai su aussi par une relation assurée que cet écrit, c'est-à-dire
celui que j'ai lu, avait été défendu par une ordonnance du conseil d'Espagne :
si vous en savez davantage, vous me ferez plaisir de me l'écrire.
Je me prépare à aller saluer le
roi à Versailles, où il arrivera demain. Je vous supplie d'assurer Son Eminence
de mes respects, et de la reconnaissance que j'ai de la part qu'elle prend aux
affaires de mes amis que je recommande. Je suis à vous, etc.
(a) Le Père d’Aguirre, depuis cardinal, fit en effet un
gros ouvrage contre les quatre Articles de l'assemblée de 1682.
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LETTRE CXLIII.
BOSSUET A M. DE RANCÉ, ABBÉ DE LA TRAPPE.
A Paris, ce 8 décembre 1684.
J’ai enfin obtenu le congé du P.
Muguet. J'ai fait de nouvelles instances depuis la lettre où vous m'assurez que,
pour obvier aux conséquences, vous vous engagiez à n'écouter dorénavant aucun
des religieux qui voudraient aller chez vous, pourvu qu'on accordât la liberté à
celui-ci. Je fis d'abord parler par le P. Mabillon, qui me rapporta une négative
dont il me paraissait un peu étonné. Dieu m'inspira de faire parler plus
fortement par dom Bretaigne, prieur de Saint-Germain-des-Prés, qui me vint dire
hier positivement de la part du P. Général que vous pouviez en toute assurance
recevoir dom Muguet, sans que ni vous ni lui en fussiez jamais inquiétés par la
congrégation. Je demeure dépositaire des paroles que vous vous donnez
mutuellement. Ces Pères demandent que l'affaire se fasse sans bruit, et sans
qu'il paroisse rien de leur part. Vous y consentirez aisément ; et ainsi je ne
vois plus de difficulté, ni autre chose à faire que de recevoir dom Muguet.
Je me réjouis avec, vous,
Monsieur, de vous voir tiré de l'inquiétude que vous dormait son salut, et avec
lui de ce que par une singulière grâce de Dieu il va être au comble de ses
désirs. Vous recevrez par la poste une lettre que je vous écrivis dès hier :
mais comme j'ai appris de M. Muguet que la lettre ne pourrait partir que
mercredi, je lui ai conseillé de vous envoyer un homme exprès. Il m'a mis en
main quelques cahiers que je verrai au premier loisir. Je suis à vous, Monsieur,
très-sincèrement.
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EPISTOLA CXLIV. CASTORIENSIS MELDENSI.
Simul atque mihi redditae
fuerunt tuae ad me litterae, illustrissime Domine, unum è domesticis meis
admodùm fidelem è vestigio Amsterodamum direxi, inquisiturum nùm illic
reperiretur quidam Cornélius Zirol. Comperit morari prope Dammum, in domo cui
appensum signum Mercurii, virum cui nomen Cornélius Zwol, non verò Zirol, eumque
virum esse bibliopolam. Verùm nec ille, nec filius ejus conscius est istius
epistolae (a), quae ad te, Antistes illustrissime, procul dubio à nebulone
aliquo scripta fuit. Plena est Hollandia calvinistis ex Gallià profugis, quorum
forte aliquis, ut suam sectam, quàm tantò validiùs, quantò modestiùs doctissimis
et ingeniosissimis tuis lucubrationibus, Antistes reverendissime, oppugnasti,
ulcisceretur, tibi voluerit sycophantici libelli timorem incutere, dùm armis
honestate et veritate fulgentibus tibi calvinistae nequeunt resistere.
Velim autem, Praesul
illustrissime et colendissime, me credas futurum semper studiosissimum eorum,
quae ad nominis tui claritatem spectare cognoscam ; sum etenim observanti
amantique studio, illustrissime Domine, Antistes reverendissime, etc. 4 Januarii
1683.
(a) Le lecteur sera sans doute bien aise que nous
rapportions ici la lettre qui avait été écrite à Bossuet, pour lui donner avis
de l'écrit qu'on voulait imprimer sous son nom. Voici cette lettre.
« Corneille Zwol, imprimeur et marchand libraire demeurant
à Amsterdam en Hollande, sur le Dam, à l'enseigne du Mercure, fait savoir à M.
Bossuet, Evêque de Meaux, qu'on lui a mis entre les mains, moyennant cent
pistoles, un manuscrit composé avec grand esprit, lequel a pour titre :
Histoire, etc. » (le reste du titre a été effacé dans la lettre, et si
fortement qu'il est imposable d’y rien découvrir). « Il ne l'a achetée qu'afin
de la remettre à l'ordre dudit sieur Evêque, à cause du respect qu'il a pour lui
: sur quoi il attendra sa volonté.
» CORNEILLE
ZWOL.
« A Amsterdam, ce 28 octobre 1684 ».
Bossuet a écrit de sa main, au bas de la lettre, ces mots :
« Mémoire d’une histoire qu’on imprimait sous mon nom. L'importance de la
matière me fit informer de la vérité par M. de Castorie, qui me fit réponse que
chez ce libraire on n’avait point ouï parler de cette lettre. » ( Les édit.
)
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LETTRE CXLV.
BOSSUET A M. DE RANCÉ, ABBÉ DE LA TRAPPE.
A Meaux, ce 6 janvier 1685.
Les lettres que je reçois de
vous, Monsieur, me donnent tant de consolation, qu'elles ne sauraient jamais
être trop fréquentes. Celle que vous écrivez au Père Général le doit disposer
favorablement pour le pauvre P. Muguet, dont l'accident est étrange. Dieu donne
souvent des mouvements dont il ne veut pas l'exécution : il faut adorer ses
conseils impénétrables. Ce bon Père a consommé son sacrifice, quand il a fait
tant d'efforts pour accomplir ce qu'il croyoit venir de Dieu. Il a maintenant un
autre sacrifice à accomplir, qui est d'une profonde humiliation; et s'il sait
bien avaler ce calice, il n'aura pas peu de part à celui du Fils de Dieu.
Qui sait si tout ceci ne se fait pas pour l'enfoncer
davantage dans l'humilité? Quelquefois il se mêle un orgueil secret, et je ne
sais quel dédain pour les autres, dans les pas que l'on fait pour embrasser une
vie plus austère et plus parfaite. Jésus-Christ est venu pour révéler les
secrets des coeurs; et peut-être fera-t-il sentir à ce bon Père, qu'il doit
apprendre dorénavant à s'anéantir d'une autre sorte que celle qu'il avait
cherchée. En tout cas, le voilà désabusé par sa propre expérience, comme vous le
remarquez ; et libre d'une tentation si délicate, il n'a plus à songer qu'à se
sanctifier dans l'état où il est. Vous ne devez pas vous repentir des pas que
vous avez faits ; vous avez assurément accompli la volonté de Dieu : et pour moi
j'ai beaucoup de consolation du peu que j'y avais contribué.
Je retournerai à Paris à la fin du mois pour quelques
affaires, si Dieu le permet, et nous tâcherons là de mettre en train
l'impression des nouvelles Réflexions (a). Je suis à vous de tout mon cœur.
(a) Elles parurent cette année, sous ce titre :
Eclaircissements sur quelques difficultés que l'on a formées sur le livre de la
Sainteté et des Devoirs de la Vie monastique.
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LETTRE CXLVI.
RÉPONSE DE BOSSUET A LA QUESTION ENVOYÉE PAR M. L'ÉVÊQUE D'ANGERS (a).
Il n'est pas permis de changer
les termes de la Profession de Foi de Pie IV, qui est reçue et jurée dans
toute l'Eglise, et qu'on y a toujours proposée à ceux qui se convertissent. Elle
s'accorde très-bien avec le concile de Trente.
Ces participes : Invocandus,
amandus, venerandus (1), souvent ne signifient autre chose que ce qui serait
exprimé par ces autres mots : Invocabilis, amabilis, venerabilis. Il est
certain que ces participes n'emportent pas toujours un commandement ni une
obligation de précepte ; les bienséances , les convenances, les grandes utilités
s'expliquent souvent en cette manière.
Il en est de même de ces termes
français : Il faut faire, il faut aller, il faut invoquer ; ou de ces autres :
L'on doit faire, l'on doit aller, l'on doit invoquer. On a en latin et en
français des manières de parler plus fortes et plus précises, pour expliquer un
commandement et un devoir d'obligation étroite et formelle.
J'ai vu des Rituels où l'on a
traduit, invocandos esse, « les Saints sont à invoquer ; » et les paroles
suivantes : Eorum reliquias esse venerandas : « Leurs reliques sont à
honorer; » et ainsi des autres semblables. Je ne crois point nécessaire d
introduire dans la Profession de Foi une façon de parler peu naturelle à la
langue : peut-être qu'on pourrait traduire : Les Saints sont dignes, ou méritent
d'être honorés ou invoqués, ou, il est à propos d'invoquer les Saints. Mais pour
moi je m'en tiens à la manière la plus ordinaire, dont on traduit en français
les participes en dus et en dum, qui est celle de les rendre par
Il faut ; et c'est aussi celle dont je vois qu'on se sert presque
partout.
Au reste la Profession de Foi
ne s'éloigne en aucune sorte de
1 Sess. XXV, Decr. de Invocat. Sanct., etc.
(a) Henri Arnauld. frère du célèbre docteur de ce nom. Il
mourut à Angers, le 8 juin 1692, âgé de quatre-vingt-quinze ans. Nous n'avons
pas la lettre qu'il écrivit pour proposer la question à laquelle Bossuet répond.
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l'esprit du concile. Il est porté dans ce même décret :
Sanctorum corpora veneranda esse, imagines habendas et retinendas, eisque
debitum cultum et venerationem impertiendam : « Il faut honorer les reliques
des Saints, avoir leurs images et les garder, leur rendre le culte et l'honneur
qui leur est du ; » paroles qui sont transcrites dans la Profession de Foi. Or
personne n'a jamais cm que les Pères de Trente voulussent par ces paroles
imposer aux particuliers plus de nécessite de, faire ces choses que d'invoquer
les Saints : de sorte que tout cela, selon l'esprit du concile, se doit réduire
au bonum et utile, qui est posé au commencement du décret comme le
fondement de tout ce qui suit.
On lit aussi ces mots dans le
concile : Illos verò qui negant Sanctos invocandos esse.....impie sentire
: « Que c'est un sentiment impie, de nier qu'on doive invoquer les Saints : » ce
qui a donné lieu de dire dans la Profession de Foi : Sanctos invocandos esse,
« Qu'il faut invoquer les Saints, » parce que s'il est impie de le nier, il est
sans doute pieux et véritable de le dire. Mais cela est toujours relatif au
bonum et utile, mis pour fondement; et le concile selon sa coutume ne fait
ici que condamner la contradictoire de la proposition affirmative qu'il avait
faite d'abord.
En tout cas les termes du concile, qui sont clairs,
déterminent ce qui est douteux dans la Profession de Foi; et quand on voudrait
s'imaginer dans ces mots : Sanctos invocandos esse, quelque espèce de
nécessité et d'obligation, il ne s'ensuivrait pas qu'elle fût pour tous les
fidèles en particulier. Il suffirait de dire avec les docteurs, que l'invocation
des Saints est de nécessité pour toute l'Eglise en général et lorsqu'elle agit
en corps; puisque la tradition de tous les siècles lui enseigne à la pratiquer
même dans son service.
Si on demande comment l'Eglise
en général est obligée à cette pratique, et si elle en a reçu un commandement
exprès, je ne le crois pas; et je crois au contraire qu'il s'en faut tenir, tant
pour chaque fidèle en particulier que pour l'Eglise en général, aux termes
choisis par le concile : « Il est bon et utile d'invoquer les Saints. » C'est
assez que l'Eglise se fasse une loi d'une chose si utile et si bonne ; et
qu'elle se sente obligée à pratiquer en commun,
347
non-seulement ce qui est de commandement, mais encore ce
qui est utile et convenable, afin de donner en tout un bon exemple à ses
enfants.
Il en est de la pratique de
demander aux Saints le secours de leurs prières, comme de celle de le demander
aux fidèles qui sont sur la terre. L'Eglise dit publiquement dans le
Confiteor : Je prie la sainte Vierge, saint Jean-Baptiste, les apôtres saint
Pierre, et saint Paul, tous les Saints, et vous, mon Père; ou. et vous, mes
frères, et te Pater, et vos fratres, de prier pour moi le Seigneur notre
Dieu. On demande des prières aux uns comme aux autres ; et il n'y a que cette
seule différence, que les prières des Saints sont les plus agréables.
Les particuliers qui assistent à
cette prière ne sont pas pour cela tenus de la faire expressément, ni de
demander des prières à leurs frères qui sont encore en cette vie : il suffit
qu'ils approuvent la demande qu'on leur en fait et qu'ils y consentent; et s'ils
le refusaient, ils improuveraient ce que l'Eglise juge bon et utile. Il faut
pourtant avouer qu'on ne peut guère s'abstenir de faire une chose que l'on croit
bonne et utile, quand d'ailleurs elle est si facile et même si consolante : et
si quelqu'un répugnait à demander des prières à ses frères qui sont sur la
terre, cette répugnance ne serait pas innocente : non qu'il combattit
directement aucun précepte, mais parce qu'il aurait de l'éloignement d'une chose
qui très-constamment est aussi facile que bonne.
Il est aisé de juger par là de
la pratique de prier les Saints; et je ne crois pas qu'il puisse rester aucune
difficulté dans la question proposée.
Fait à Meaux, le 10 avril 1685.
LETTRE CXLVII.
BOSSUET A M. DIROIS, DOCTEUR EN SORBONNE.
A Germigny, ce 30 avril 1685.
L’affaire que je croyais
terminée, Monsieur, par le bref de la Pénitencerie que vous avez obtenu, va
encore repasser à Rome à
348
cause des clauses de ce bref. Je vous en envoie copie, et
en même temps deux suppliques qui vous feront connaître les difficultés de
l'affaire, sur lesquelles on a encore recours à l'autorité du saint Siège. Les
deux suppliques regardent la même, personne : on en a fait deux, parce qu'on a
cru qu'on ne pouvait sans embarras comprendre le tout en une seule. Je vous
supplie, Monsieur, de vouloir bien encore donner vos soins à cette affaire, et
m'aider à tirer un homme très-utile à l'Eglise d'un embarras de conscience d'où
vous seul pouvez le tirer par l'application que vous aurez à faire entendre les
choses. Je vous supplie aussi d'y employer, s'il le faut, l'autorité de Son
Eminence. et de faire qu'on en sorte cette fois : vous me ferez un plaisir
sensible ; et comme je sais que vous en avez un grand à m'en faire, j'espère
tout de vos soins.
Si l'on faisait difficulté
d'accorder à cet ecclésiastique la permission de retenir les bénéfices qu'il a,
vous pouvez assurer qu'il n'en a que deux avec sa Prébende, qui ne sont que du
revenu de cent soixante-dix livres chacun ; qu'il n'y a point d'incompatibilité
de ces bénéfices entre eux, ni avec la Prébende, et que la Prébende ne vaut pas
plus de neuf cents livres de revenu : de sorte que les trois ensemble ne valent
pas plus qu'il ne faut pour la subsistance d'un ecclésiastique qui est en place,
où la bienséance veut qu'il vive honnêtement.
Après vous avoir parlé de cette
affaire, il faut maintenant vous dire un mot du projet que vous m'avez envoyé en
dix assertions, d'une défense de la déclaration du clergé. L'exécution de ce
projet ne peut être qu'avantageuse à l'Eglise ; et si vous croyez que le tour
que vous y donnez à cette matière puisse apaiser la Cour de Rome, je n'y vois en
France aucune difficulté. Je vous prie de me mander en quel état est cet
ouvrage.
Ce que vous m'écriviez aussi des
lettres du cardinal Ubaldini est très-considérable. Il faudrait tâcher d'avoir
des copies de ces lettres, qui fussent assez autorisées pour obtenir créance.
Car s'il parait que le traité de Duval, imprimé en 1615 contre Richer. a été
concerté avec Rome, et que cela résulte du témoignage de ce cardinal qui était
alors nonce en France, il s'ensuivra très-bien que Rome se contentait qu'on
défendit l'infaillibilité sans taxer
349
ni d'hérésie, ni d'erreur, ni même de témérité la doctrine
opposée : ce qui montre que les censures du cardinal Bellarmin ne pas-soient pas
pour certaines, et ne faisaient pas une loi à Rome comme il semble qu'on en veut
faire une à présent.
Mais vous marquez une chose que
je ne me souviens pas d'avoir aperçue dans Duval, savoir que les décisions du
Pape ne sont pas de foi jusqu'à ce que le consentement de l'Eglise soit
intervenu. Je vois assez que Duval ne tenant pas l'infaillibilité du Pape comme
de foi, il est mené à cette conséquence ; mais je ne me souviens pas qu'il l'ait
dit expressément, et cela est d'une extrême importance. Si vous vouliez bien me
citer le lieu où Duval parle ainsi, vous me sauveriez la peine de chercher une
chose dont il est bon d'être informé.
Je vous suis, Monsieur,
très-obligé de toutes vos bontés : continuez-les-moi, je vous en conjure,
puisqu'on ne peut être plus que je le suis, etc.
P. S. Nous allons bientôt
tenir notre assemblée provinciale pour députer à la générale. Je ne crois pas
qu'il se parle de rien dans l'assemblée générale : en tout cas je n'y serai pas,
et je m'en l'apporte à ceux qui y seront.
LETTRE CXLVIII.
BOSSUET A DOM MABILLON, RELIGIEUX BÉNÉDICTIN.
A Germigny, ce 12 août 1(585.
J'ai reçu avec joie les marques
de votre amitié, et vous ne devez pas douter que je n'y sois aussi sensible que
j'ai d’estime pour votre vertu. Je prends vertu dans tous les sens du
pays où vous êtes (a) . J'ai été ravi d'apprendre qu'on vous y ouvrait les
bibliothèques plus qu'on n'a jamais fait à personne; ce qui nous fait espérer de
nouvelles découvertes, toujours très-utiles pour confirmer l'ancienne doctrine
et tradition de la Mère des Eglises. Nous attendons l'événement de l'affaire de
Molinos (b), qui n'a pas peu surpris
(a) Dom Mabillon était alors à Rome. — (b) Michel Molinos,
prêtre espagnol. Il était acquis dans Rome la réputation d'un très-grand
directeur, lorsqu'il fut
350
tout le monde, et particulièrement ceux qui lavaient connu
à Rome. J'en connais de si zélés pour lui, qu'ils veulent croire que tout ce qui
se fait, contre lui est l'effet de quelque secrète cabale, et qu'il en sortira à
son honneur : mais ce que nous voyons n'a pas cet air.
Pour l'affaire d'Angleterre,
outre la difficulté des premiers évêques auteurs du schisme, il y en a encore
une grande du temps de Cromwel, où l'on prétend que la succession de
l'ordination a été interrompue. Les Anglais soutiennent que non; et pour la
succession dans le commencement du schisme, ils soutiennent qu'il n'y a aucune
difficulté ; et il semble qu'ils aient raison en cela. Cela dépend du fait; et
le saint Siège ne manquera pas d'agir en cette occasion avec sa circonspection
ordinaire.
A ce propos, il me vient dans
l'esprit qu'il y aurait une chose qui pourrait beaucoup , selon toutes les
nouvelles que nous recevons, faciliter le retour de l'Angleterre et de
l'Allemagne : ce serait le rétablissement de la coupe. Elle fut rendue par Pie
IV dans l'Autriche et dans la Ravière : mais le remède n'eut pas grand effet,
parce que les esprits étaient encore trop échauffés. La même chose accordée dans
un temps plus favorable, comme celui-ci où tout paraît ébranlé, réussirait
mieux. Ne pourriez-vous pas en jeter quelques paroles, et sonder un peu les
sentiments là-dessus? Je crois pour moi que par cette condescendance, où il n'y
a nul inconvénient qu'on ne puisse espérer de vaincre après un usage de treize
cents ans, on verrait la ruine entière, de l'hérésie. Déjà la plupart de nos
huguenots s'en expliquent hautement.
Pour nos Articles (a), c'est une
matière plus délicate, et je crois que, sur cela nous devons nous contenter de
la liberté. Je salue
accusé d'avoir avancé des erreurs très-dangereuses dans le
livre de la Conduite spirituelle qu'il publia en espagnol. Il fut en
conséquence arrêté, et mis dans les prisons de l'Inquisition de Rome, au mois de
juillet 1685. Les informations qu'on lit sur sa vie manifestèrent la plus grande
corruption dans ses mœurs; et les abominations dont il fut convaincu firent
encore mieux sentir la perversité de ses maximes , et à quels désordres elles
pouvaient mener ceux qui les réduiraient en pratique. La congrégation de
l'inquisition rendit, le 28 août, un décret qui condamnait soixante-huit de ses
propositions comme hérétiques, scandaleuses et blasphématoires. Après avoir fait
abjuration publique de ses erreurs, il fut renfermé pour le reste de ses jours
dans une étroite prison, où il mourut le 29 décembre 1696. (Les édit.) — (a) Il
s'agit des quatre Articles du clergé de France.
351
Dom Michel de tout mon cœur; et suis avec une parfaite
cordialité, etc.
LETTRE CXLIX.
DOM MABILLON A BOSSUET.
A Rome, ce 9 octobre 1685.
J'ai reçu la lettre que Votre
Grandeur m'a fait l'honneur de m'écrire, dont je vous remercie très-humblement.
J'ai parlé à quelques personnes de nos amis du rétablissement de la coupe en
faveur des hérétiques. Monseigneur Slusio, qui est un prélat des plus éclairés
et des mieux intentionnés de cette Cour, m'a dit qu'il n'était pas temps de
faire cette proposition ; qu'il n'y avait pas assez de lumières dans le conseil
pour entier dans cette condescendance, et que de la proposer de la part de la
France dans l'état où sont à présent les choses, ce serait assez pour la gâter ;
que le meilleur moyen pour y réussir, serait de faire demander la chose par le
roi d'Angleterre, par le moyen du cardinal Ouvart, ou en tout cas, ce que
j'ajoute de moi-même, par le nouveau prince Palatin. Comme Monseigneur Slusio
sait parfaitement la situation des choses de cette Cour, je n'ai point parlé de
cette affaire à d'autres qu'à lui, si ce n'est que j'en ai dit un mot à son
Eminence d'Estrées.
La congrégation des cardinaux
commis par le Pape pour examiner l'affaire de Monseigneur d'Héliopolis contre
les Pères Jésuites de la Cochinchine et de Siam, etc., a donné un décret
extrêmement fort en faveur de ce prélat, par lequel décret on révoque de ce
pays-là les Pères Jésuites, qui n'ont pas voulu se soumettre à lui, sous peine
d'excommunication ipso facto, et de ne recevoir aucun novice. Mais comme
le Pape n'a pas voulu confirmer ce décret, on ne sait s'il aura assez de force
pour être exécuté quoique le Père général ait écrit à ses religieux
missionnaires conformément à ce décret.
M. le cardinal Nerli a quitté
l'archevêché de Florence pour prendre le petit évêché d'Assise, qui n'a de
revenu que neuf cents écus, sur lesquels il y en a sept cents de pension.
Nous partirons au premier jour
pour Naples et pour le Mont-Cassin,
352
d'où nous ne retournerons ici que sur la fin du mois de
novembre, si bien que nous serons obligés de passer ici une partie de l'hiver.
En quelque endroit que nous soyons, je serai toujours, aussi bien que Dom
Michel, avec un profond respect, etc.
F. Jean Mabillon, moine
bénédictin.
LETTRE CL.
BOSSUET A UN DE SES DIOCÉSAINS, RÉFUGIÉ EN HOLLANDE (a).
A Meaux, ce 17 octobre 1685.
Autant que j'eus de joie quand
M. le R. de la F*** votre parent, me vint dire de votre part que vous vouliez
rentier dans l'Eglise,
(a) Cette lettre, avec une autre écrite à la même personne,
qui sera imprimée plus bas, a été publiée par les protestants dans un petit
ouvrage qui a pour titre : La Séduction éludée, ou Lettres de M. l'évêque de
Meaux à un de ses diocésains qui s'est sauvé de la persécution, avec les
réponses qui y ont été faites. A Berne en Suisse, 1686.
Nous aurions pu donner ici ces réponses : mais la première
n'est point celle à laquelle Bossuet réplique dans la seconde lettre, parce que
ce prélat avait cru devoir réfuter préférablement la lettre que ce réfugié
écrivait à sa femme, dont il le jugeait plutôt autour que de celle qu'il lui
avait écrite à lui-même. Et pour la Réponse à la seconde lettre du prélat, nous
sommes dispenses de l'insérer dans notre collection, Bossuet n'ayant pas jugé à
propos d'y répliquer, soit parce que les raisons qu'elle contient ont été mille
fois détruites, soit parce qu'il trouvait plus convenable de consacrer des
moments si précieux aux controverses générales et publiques, que de les employer
à une dispute particulière dont il voyait qu'il ne pouvait se promettre aucun
fruit. Il s'était proposé de ramener par ses charitables exhortations un fils
tendrement chéri : mais dès qu'il vit que les ministres s'étaient tellement
emparés de son esprit qu'ils dictaient eux-mêmes toutes ses réponses, il cessa
de lui écrire. Enfin il eût été assez inutile que le prélat entreprit de réfuter
la grande lettre qui lui avait été adressée eu réponse à sa seconde lettre,
puisque celui sous le nom duquel elle avait été composée n'avait pas voulu
l'adopter : c'est ce que déclare l'auteur même de cette Réponse, dans la lettre
qu'il écrivit à Bossuet pour le presser de lui répliquer. » Je prends, dit-il,
la liberté de vous écrire ce mot au sujet de la réponse qui vous a été faite sur
votre seconde lettre à M. de V. Elle paraissait comme venir de lui, quoiqu'elle
fût écrite d'une autre main : mais celui qui se mettait en sa place a enfin
appris qu'il s'était disculpé auprès de vous sur cette dernière réponse, dont il
n'a pas jugé à propos de faire l'adoption, comme il avait fait à l'égard de la
première. »
Quels que fussent les
mécontentements que les protestants pouvaient avoir de la conduite d'un prélat
qui ne se lassait point de travailler à confondre leurs erreurs et à ramener à
l'Eglise ceux qu'ils avaient séduits, cependant ils étaient
353
autant fus-je surpris et affligé quand j'appris qu'au lieu
d'exécuter ce pieux dessein, vous étiez sorti du royaume. Est-il possible que
vous ayez cru qu'on ne peut se sauver dans une Eglise où l'on est forcé d'avouer
que vos pères se sauvoient avec les nôtres avant votre réformation? Ce serait
une malheureuse manière de réformer l'Eglise, si avant qu'on pensât à la
réformer tous les chrétiens pouvaient se sauver dans l'unité, et qu'après la
réformation on ne puisse plus se sauver que par le schisme.
Mais je ne veux point me jeter
sur la controverse : je vous écris seulement pour vous inviter à revenir et à
ramener ceux que vous pourrez, même M. le Sueur. Vous me trouverez toujours les
bras ouverts, et je n'oublierai rien de ce que je pourrai faire pour votre
service. Je joins mes prières avec les larmes de mademoiselle ***. Vous avez
assez donné à vos anciens préjugés : revenez à la Pierre dont vous avez été
séparé ; et songez qu'il ne faut point se complaire quand on souffre
persécution, si l'on n'est bien assuré que ce, soit pour la justice. Vous
trouverez dans l'Eglise catholique, avec, Dieu et Jésus-Christ, tout le bien
spirituel que vous pouvez souhaiter : vous y trouverez l'unité et l'autorité de
l'Eglise universelle; et vous éviterez des maux que Dieu ne vous comptera pas,
pour ne rien dire de pis. Revenez donc, encore une fois, je vous en conjure : je
ne cesserai de vous rappeler par mes vœux et par mes prières, étant cordialement
et avec l'esprit d'un véritable pasteur, etc.
comme forcés de rendre dans toute occasion hommage aux
éminentes qualités de ce grand évêque. On eu a déjà vu des preuves; et ou le
remarque singulièrement dans ces deux réponses où ils parlent de Bossuet «comme
d'un prélat illustre, que Dieu, dont l'immense libéralité n'a non plus d'égards
à l'apparence des religions qu'à celle des personnes, a orne et enrichi d'une
infinité de merveilleux dons, pour lequel aussi ils avoient une vénération
particulière, ayant toujours eu dans leur secte une grande considération pour
son mérite. » tous ces témoignages si volontaires , et qu'un reste d'équité
pouvait seul produire, nous montrent quelle impression la supériorité des
talents et des vertus de Bossuet faisait sur l'esprit même de ceux qu'il ne
cessait de combattre. (Les édit.)
354
DÉCLARATION
DONNÉE A M. DE BORDES.
I. Je déclare à M. de Bordes
qu'il peut, sans hésiter, suivre la doctrine exposée dans le livre intitulé :
Exposition de la Doctrine Catholique dans les matières controversées, comme
étant tirée du saint concile, de Trente et approuvée sans contradiction dans
toute l'Eglise, et spécialement par deux brefs exprès de notre saint Père le
Pape, par la délibération de tout le clergé de France assemblé en corps l'an
1682, et par un grand nombre de prélats et de docteurs de toutes les nations ,
dont les approbations sont à la tête.
II. Je l'exhorte à lire
l'Ecriture sainte, et particulièrement l'Evangile, dans les versions approuvées
et autorisées dans l'Eglise, et d'y chercher sa nourriture, sa consolation et sa
vie, en l'entendant et. l'interprétant comme elle a toujours été entendue par
les saints Pères et par l'Eglise catholique.
III. Je, l'exhorte pareillement
à lire les versions approuvées de la sainte messe, ou Liturgie sacrée, et de
tout l'office divin ; et je puis l'assurer par avance qu'il trouvera une
particulière consolation dans cette lecture, et qu'il admirera la sagesse qui
anime le corps de l'Eglise dans la distribution des divers offices, où tous les
mystères de l'Ancien et du Nouveau Testament, et principalement ceux de
Notre-Seigneur Jésus Christ, sont célébrés et renouvelés, avec une pieuse
commémoration des saints hommes qui ont été sanctifiés par ces mystères, et qui
en ont rendu témoignage par leur admirable vie ou même parle martyre.
IV. Quant au désir qu'il a du
rétablissement de la coupe, comme il n'en a j as fait une condition de son
retour et qu'il est entièrement soumis en ce point, comme dans les autres, à la
doctrine de l'Eglise catholique, je n'improuve pas ce désir, d'autant plus qu'il
se soumet à la prudente dispensation du Père commun des chrétiens, à qui le
saint concile de Trente, a renvoyé cette affaire. Il communiera en attendant,
quand il y sera
355
préparé par la confession et absolution sacramentelle, en
la manière usitée dans l'Eglise catholique : et je le prie de considérer quel
est l'aveuglement de ceux qui font de si grandes plaintes sur le retranchement
d'une des espèces, quoiqu'il soit fondé sur une doctrine si solide, et se sont
laissé ravir sans se plaindre la communication et présence substantielle du
corps et du sang de Jésus-Christ, où nous trouvons la vie quand nous y
participons avec une vive foi.
J. BENIGNE,
Ev. de Meaux.
Donné à Paris, ce 24 novembre
1658.
LETTRE CLI.
BOSSUET A MONSIEUR PERRAULT DE L'ACADÉMIE FRANÇAISE (a). A Germigny, 25 décembre
1685.
J'ai reçu le poème de Saint
Paulin (b), et je vous rends grâces de l'honneur que vous me faites de me le
vouloir dédier. La lettre dédicatoire, que vous rendez utile en la faisant
servir de préface à tout l'ouvrage, est pleine de bon sens et de modestie. Le
poème , est plein de grandes beautés et sera fort estimé des esprits bien faits.
Le reste se dira quand on aura l'honneur de vous voir, puisque Monsieur votre
frère et vous me faites espérer cette grâce. Je vous honore tous deux
parfaitement, et je suis avec une estime particulière, etc.
(a) Inédite. — (b) Charles Perrault publia en 1686 le poème
de Saint Paulin, évêque de Nole, avec une épître chrétienne sur la pénitence,
et une ode aux nouveaux convertis : à Paris, chez J.-B. Coignard, in-8°. Il
le dédia à Bossuet.
356
LETTRE CLII.
MILORD, DUC DE PERTH A BOSSUET (a).
Depuis la mort du feu Roi (b) ,
Sa Majesté présentement régnante (c) m'a fait voir un papier (d) touchant la
véritable Eglise, que je crois que vous aurez vu. J'y ai trouvé de si fortes
raisons, que je n'ai pu depuis avoir de repos que je n'eusse examiné la matière
par la lecture des livres, par des conférences et en faisant sur ce sujet
beaucoup de réflexions. Quand j'en fus entièrement éclairci, je me trouvai
engagé à examiner les autres points qui sont en controverse; ce que je fis en me
dégageant, autant qu'il
(a) Jacques Drummond, troisième du nom, duc de Perth, fut
fait conseiller d'Etat en 1610, grand justicier d'Ecosse l’an 1680, grand
chancelier d'Ecosse l'an 1684. Il professa d'abord la religion anglicane : mais
il en reconnut dans la suite l’illusion, et fut convaincu de la vérité de la foi
catholique en la manière qu'il le décrit lui-même dans ses lettres à Bossuet.
Son attachement à l'Eglise catholique et au service du roi Jacques II,
l'exposèrent à beaucoup de mauvais traitements dont ses lettres font le récit.
Nous ignorons à qui les trois
lettres dont nous donnons l'extrait ont été écrites : peut-être pourrions-nous
conjecturer que la personne dont il s'agit est Madame de Crolly, sœur du duc de
Gourdon, dont Bossuet a marqué lui-même le nom au dos de la feuille qui contient
les extraits des deux premières de ces Lettres. Nous sommes d'autant plus fondés
à le penser, que milord Perth dit lui-même dans ses lettres à Bossuet, que la
personne à laquelle il écrivait était sa parente et sa belle-sœur; ce qui se
rencontre exactement dans madame de Crolly dont ce lord avait épousé la sœur. Au
reste ce fut l'abbé Renaudot qui donna communication au prélat de ces
différentes lettres. Quoiqu'elles ne s'adressent pas directement à Bossuet, nous
en rapportons ici l'extrait, parce qu'elles le regardent particulièrement , et
que d'ailleurs elles sont nécessaires pour faire connaître au lecteur les
circonstances de la conversion de ce Seigneur, dont nous verrons bientôt
plusieurs lettres écrites à Bossuet lui-même.
(b) Charles II, fils de Charles Ier et de Henriette de
France, né le 22 mai 1630, et mort le 16 février 1685, dans la
cinquante-cinquième année de son âge. (Les édit.)
(c) Jacques II, duc d'Yorck, fils de Charles Ier et de
Henriette de France, né le 24 octobre 1633, proclamé roi à Londres le 16 février
1685, couronné le 3 mai suivant ; détrôné en 1688 par le prince d'Orange,
stathouder de Hollande , son gendre, et mort à Suint-Germain-en-Laye le 16
septembre 1701, dans la soixante huitième année de son Age. — (d) Bossuet dans
sa lettre, à milord Perth, du 28 novembre 1685, nous apprend que cet écrit était
de feu Madame la duchesse d'Yorck première femme de Jacques II, roi
d'Angleterre, auparavant duc d'Yorck. Il parle encore d'un écrit de Charles II,
frère et prédécesseur de Jacques, qui contribua aussi à la conversion du lord. (Les
édit.)
357
était possible, de tout sentiment de partialité.
L'excellent livre de l’évêque de Meaux, de l'explication de la doctrine de
l'Eglise, m'a été d'un si grand secours, que je voudrais en reconnaissance de ce
que je dois à ce digne prélat lui baiser les pieds tous les jours. Un jésuite de
piété éminente, le P. Widrington, m'a témoigné en cette occasion beaucoup
d'amitié et m'a été fort utile.
Ainsi il ne me restait plus
qu'un scrupule, qui m'a fait différer quelque temps de me réconcilier à l'Eglise
catholique : c'était la crainte que j'avais qu'on ne crût qu'à cause que le Roi
est de cette même religion, je me convertissais plutôt pour lui plaire que pour
le salut de mon âme, et que je serais fâché d'être ou de passer pour un homme
capable de déguisement, Cependant je me suis à la fin vaincu moi-même , et je me
suis résolu à hasarder ma réputation, comme j'ai fait sur ce sujet. Si cela
arrive, la sainte volonté de Dieu soit faite : il peut seul vous faire connaître
la joie, la p ix et le contentement de mon cœur. Ceux qui me commissent le mieux
savent que j'ai d'abord prévu que je serais obligé de quitter ma charge (a) :
d'autres pourront croire que je m'expose à donner sujet au Roi de penser, que
mon changement est dans la vue de me mettre mieux dans ses bonnes grâces. Mais
Dieu est tout-puissant ; et si je fais tout ce que je dois faire, sa divine
bonté ne permettra pas que je sois tenté au-dessus de mes forces : et si lorsque
les hommes me feront passer pour un fourbe , l'esprit de Dieu voit ma conscience
nette de ce vilain vice, je n'aurai pas sujet de regretter la perte de ma
réputation; et il ne me peut rien arriver dans la suite à cette occasion que je
ne sois prêt de supporter dans la vue de Dieu. J'avais dessein de tenir encore
quelque temps cette affaire secrète, jusqu'à ce que le Roi eût déclaré sa
volonté sur les affaires que nous avons ici : mais le P. Widrington l'ayant
découverte par un pur accident, en donna avis au P. Mansuerk, capucin,
confesseur du Roi : ainsi je ne doute pas que Sa Majesté ne le sache présente-Je
vous prie de ne déclarer ceci à personne vivante avant que je vous le permette :
et cependant tardiez de me trouver
1 Il était grand chancelier d'Ecosse.
358
quelque voie pour témoigner ma reconnaissance à l'évêque de
Meaux (a).
LETTRE CLIII.
MILORD, DUC DE PERTH A BOSSUET. A Windsor, octobre 1685.
Ce que j'ai fait (b) m'attire
beaucoup de reproches : mais que la volonté de Dieu soit faite. Il nous est
ordonné de nous couper la main droite et de nous arracher l'œil droit, plutôt
que de donner scandale : ainsi souffrir quelques petits reproches me pourra être
utile, avec la bénédiction de Dieu. La paix intérieure dont je jouis entièrement
compense abondamment tous les biens de ce monde. J'ai montré au Roi un papier
dans lequel j'ai exposé tout le fait de ce qui regarde ma conversion. J'ai rendu
justice à l'Evêque de Meaux, en ce qui regarde l'avantage que j'ai tiré de son
excellent traité (c). Je trouve ces écrits remplis d'une justesse de pensées,
d'une netteté d'expressions, avec tant de force et des manières si insinuantes,
et d'une telle grandeur de génie au-dessus de tous les autres livres de
controverse, qu'ils sont entièrement effacés par ceux de ce prélat. J'y trouve
aussi tant de charité et de véritables sentiments du christianisme, que je suis
charmé à chaque ligne. Comme je lui suis obligé au dernier point de la grande
bénédiction que Dieu m'a faite par son moyen, je lui aurais déjà écrit pour lui
témoigner ma reconnaissance, si j'écrivois passablement en français. Si vous
pouvez lui en faire témoigner quelque chose, vous me ferez un grand plaisir.
(a) Cette lettre n'a point de date dans notre extrait ;
mais elle est sûrement de 1685 et antérieure à celles qui vont suivre. (Blancs-Manteaux.)
— (6) Il parle de sou abjuration de l'hérésie, et de son retour à l'Eglise
catholique. — (c) L'Exposition de la Foi catholique.
359
LETTRE CLIV.
MILORD DUC DE PERTH A BOSSUET.
Il est vrai que les excellents
ouvrages de Monseigneur l'Evêque de Meaux ont infiniment contribué à la plus
grande bénédiction que j'aie reçue en ma vie, qui est ma conversion. Avant même
que j'eusse tiré un si grand avantage de ses livres, ils m'avoient fait
concevoir une très-grande estime de ses talents, de son savoir et de sa
sincérité; qualités qui se rencontrent rarement dans une même personne. Mais
depuis que ses écrits m'ont été si utiles, il était juste que l'estime que je
faisais de sa personne s'augmentât jusqu'au degré de vénération et de respect
qu'on doit à un père spirituel. Les offres que vous m'avez faites de sa part, de
travailler à m'instruire sur les points où j'avais besoin de quelque
éclaircissement sont dignes de sa piété et de sa bonté. Il ne me restait, grâce
à Dieu, aucun scrupule ni le moindre doute, avant même que je fusse réconcilié à
l'Eglise. Présentement je dois tâcher, avec le secours de la grâce de Dieu, de
rendre ma vie conforme à la sainte doctrine de cette Eglise, hors laquelle je ne
crois pas que personne puisse être agréable à Dieu.
Quelques personnes peu charitables disent que le Roi mon
maître étant catholique, me l'avait fait devenir. Mais Dieu connaît le fond de
mon cœur; et celui qui aurait agi par un semblable motif purement mondain,
aurait selon toute apparence choisi un temps plus favorable, et n'aurait pas
fait une semblable chose pendant que deux dangereuses révoltes étaient en
vigueur, et qu'il y avait deux armées en campagne contre le Roi.
360
LETTRE CLV.
MlLORD PERTH A BOSSUET (a). De Londres, ce 12 novembre 1685.
Si chacun de ceux qui ont eu le
bonheur d'être instruits par vos excellents ouvrages, travaillait à vous en
rendre compte en vous témoignant sa très-humble reconnaissance, on vous ferait
trop perdre de ce temps précieux que vous employez avec tant de succès pour le
bien de l'Eglise de Dieu, quand ce ne serait qu'à la simple lecture de ces
sortes de remerciements. Je n'aurais pas même osé déroberai! public un moment de
votre temps, si ce que je dis d'abord au Roi mon maître ne s'était répandu par
le récit que ce zélé et excellent prince a fait à d'autres de ma conversion. Il
a toujours eu pour moi trop d'estime; et depuis peu il a eu la bonté de dire
quantité de choses sur mon sujet aux ministres des antres princes, à l'occasion
des circonstances où je me trouve présentement. Il semble néanmoins que vous
n'auriez pas sitôt appris par cette voie la grande part que vous avez eue en
cette affaire, si M. l'abbé Renaudot ayant vu une lettre que j'écrivais à une de
mes parentes qui est à Paris, n'eût été assez obligeant pour vous en rendre
compte d'une manière trop avantageuse pour moi. Mais personne ne peut assez bien
exprimer combien ma reconnaissance est grande envers ceux qui m'ont aide à
acquérir la connaissance de la vérité, dont le prix est infini.
Vos talents naturels augmentés
par la lumière divine, et maintenus en vigueur par un travail continuel dans la
vigne du
(a) Milord Perth avait écrit sa lettre en anglais, mais il
l'envoya à l'abbé Renaudot pour la traduire avant de la remettre à Bossuet II en
usa ainsi dans toute la suite de sa correspondance avec le prélat; et les
traductions que nous donnons ici, qui tiennent heu d'originaux, ont toutes été
faites par cet illustre abbé. Il s'appliqua plus à rendre exactement et
littéralement les pensées de l'auteur, qu'à leur prêter en notre langue de
l'élégance et des ornements. Rien aussi ne convenait mieux, afin d'expliquer à
Bossuet le plus fidèlement qu'il était possible les demandes ou les questions du
lord, et que ce prélat saisissant bien ses idées , y répondit précisément (Les
édit.)
361
Seigneur, vous mettent au-dessus des autres hommes. Il faut
fermer les veux à la lumière pour ne pas reconnaître la vérité, de la manière
dont elle est exposée par votre excellente plume. Vous êtes comme un autre suint
Paul, dont les travaux ne se bornent pas à une seule nation ou à une seule
province: vos ouvrages parlent présentement en la plupart des langues de
l'Europe; et vos prosélytes publient vos triomphes en des langues que vous
n'entendez pas.
Je suis obligé en mon
particulier de rendre grâces à Dieu, de ce que j'ai appris une langue par le
moyen de laquelle j'ai reçu un si grand avantage. Si j'avais pu écrire en cette
même langue, j'aurais eu le bonheur de vous expliquer mes pensées sans le
secours d'un interprète. Je suis donc obligé, Monseigneur, de prier M. l'abbé
Renaudot, qui vous a fait connaître l'engagement que j'ai contracté avec vous,
puisque je suis devenu un de vos enfants, et par le moyen duquel j'ai reçu les
offres charitables que vous avez faites de votre secours pour mon instruction,
et pour me confirmer dans la connaissance de la vérité, de vous interpréter ce
très-humble témoignage de ma reconnaissance envers vous, à qui je suis redevable
d'un si grand bien.
En vérité, Monseigneur, je le
ressens autant que mon cœur en est capable. Si je pouvais vous aller trouver,
j'accepterais très-volontiers vos offres généreuses quoique, grâce à Dieu, il ne
me soit pas resté le moindre scrupule touchant la doctrine de l’Eglise
catholique, avant même que je fisse profession de cette sainte foi. Je puis
dire, Monseigneur, que je l'ai embrassée contre tout ce qu’il y avait de
considérations mondaines; et que si la force de la vérité ne m'avait pas porté à
le faire, j'aurais eu le malheur de mourir dans l'incrédulité. Mais en étant
pleinement convaincu, je crois qu'étant soutenu par la force de la grâce de
Dieu, je l'aurais embrassée, quand même il aurait fallu souffrir une mort
cruelle un moment après.
Permettez-moi, Monseigneur, de
dire que je bénis Dieu pour la grâce qu’il m'a faite de connaître la lumière de
la vérité, et de vous rendre ensuite de très-humbles grâces de l'avantage que
j'ai reçu par votre moyen. Je suis incapable de vous rendre aucun
362
service ; et même au lieu de m'acquitter de ce que je vous
dois, il faut que je m'engage à vous devoir encore davantage, en vous demandant
votre bénédiction et vos prières, afin qu'avec la connaissance de la véritable
religion Dieu me fasse la grâce de vivre conformément à ce qu'elle enseigne, et
que je ne déshonore pas une si sainte profession. Cette charité ajoutera à
l'obligation que j'ai déjà d'être avec toute la soumission possible et un
profond respect, etc.
LETTRE CLVI.
BOSSUET A MILORD PERTH (a). A Paris, ce 28 novembre 1685.
Votre conversion a rempli de
joie le ciel et la terre, et je ne puis vous exprimer combien elle a fait
répandre de pieuses larmes. On voit clairement que c'est l'œuvre de la main de
Dieu. Les conjonctures dans lesquelles vous vous êtes déclaré ont fait voir que
vous étiez ce sage négociateur de l'Evangile qui ayant trouvé la vérité comme
une perle d'un prix inestimable, a donné tout ce qu'il avait pour l'acquérir:
c'est, Milord, ce que vous avez fait. Vous avez fait même quelque chose de plus
: car en vous exposant à tout pour le royaume de Dieu, vous avez eu encore à
craindre les reproches de ceux qui soupçonneraient que vous aviez agi par des
vues humaines, qui est la chose du monde la plus capable d'affliger un cœur
aussi bon et aussi généreux que le vôtre. Dieu par sa grâce vous a élevé
au-dessus de toutes ces tentations ; et touché de son Saint-Esprit, vous avez
dit avec saint Paul : «Quand il a plu à celui qui m'a choisi et qui m a appelé
par
(a) C'est ici la première lettre de Bossuet à milord Perth
: mais depuis cette époque jusqu'au jour où ce lord fut arrêté, le prélat lui en
écrivit plusieurs autres, dont aucune ne nous est parvenue. Il est à présumer
que la populace qui. après s'être révoltée, vint fondre dans l'hôtel du lord, où
elle pilla tout ce qu'elle trouva, brûla les portraits du Roi, de Bossuet, du
lord , et jusqu'à un crucifix, n'aura pas épargné ses papiers, et que les
lettres de notre prélat auront été consumées dans cet incendie. Nous avons
d'autant plus lieu de le penser, que les lettres écrites par Bossuet à ce lord,
depuis sa prison, nous ont toutes été conservées : son fils en envoya des copies
exactes à l'évêque de Troyes, sur lesquelles elles seront ici imprimées. (Les
prem. édit.)
363
sa grâce, incontinent je n'ai plus écouté la chair ni le
sang (1). » Voilà, Milord, ce qui réjouit toute l'Eglise. La part que vous
publiez que Dieu m'a donnée à ce grand ouvrage, sert encore à montrer qu'il est
celui qui emploie les petites choses, non plus pour confondre, mais pour
accomplir les grandes ; et l'honneur que vous rendez à l'épiscopat en mon
indigne personne, achève de découvrir en vous un cœur véritablement chrétien.
J'espère donc, Milord, que Dieu
qui a opéré de si grandes choses dans un homme de votre élévation et de votre
mérite, les fera servir au salut de plusieurs; et dans cette heureuse occasion,
je suis sollicité à redoubler les vœux que je fais depuis si longtemps pour la
conversion de la Grande-Bretagne. Je vous avoue que lorsque je considère la
piété admirable qui a si longtemps fleuri dans cette île, autrefois l'exemple du
monde, je sens, s'il m'est permis de le dire, mon esprit ému en moi-même à
l'exemple de saint Paul, en la voyant attachée à l'hérésie ; et je frémis de
voir qu'en quittant la foi de tant de saints qu'elle a portés, elle soit obligée
de condamner leur conduite, et de perdre en même temps de si beaux exemples qui
lui étaient donnés pour l'éclairer. Mais j'espère plus que jamais que Dieu la
regardera en pitié.
L'écrit de feu Madame la
duchesse d'Yorck (a), et celui du feu roi d'Angleterre (b), qui a commencé à
vous ébranler, sont des témoignages qu'il a suscités en nos jours pour faire
revivre la foi ancienne. L'exemple du roi d'aujourd'hui et la bénédiction que
Dieu donne visiblement à sa conduite, aussi prudente que vigoureuse, est capable
de toucher les plus insensibles.
Je regarde toutes ces choses
comme des marques, du côté de Dieu, d'une bonté qui commence à se laisser
fléchir; et je ne cesse de le prier qu'il achève son ouvrage, lui à qui rien
n'est impossible.
Puisse son divin esprit se
répandre avec, abondance sur les catholiques qui sont parmi vous, afin qu'ils ne
croient pas avoir
1 Galat., I, 16.
(a) Première femme de Jacques II, roi d'Angleterre. — (b)
Charles II, frère et prédécesseur de Jacques II.
364
tout fait en combattant comme ils font courageusement pour
la foi; mais qu'à votre exemple, Milord, ils montrent leur foi par leurs œuvres,
et qu'ils apprennent de vous à respecter unanimement l'ordre apostolique et la
sainte hiérarchie de l'Eglise.
Pour moi, en me détachant de ce
qui me regarde dans la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire, je
suis si édifié de la piété qu'on y ressent à chaque mot, que loin de présumer
que je sois capable de vous confirmer dans la foi, je me sens confirmé moi-même
par les merveilleux sentiments que Dieu vous inspire : et dans la confiance que
j'ai en celui qui agit en vous, je vous donne de tout mon cœur la bénédiction
que vous souhaitez, me déclarant pour jamais avec un respect mêlé de tendresse,
etc.
LETTRE CLVII.
MlLORD PERTH A BOSSUET. A Edimbourg, ce 8 février 1686.
Si un voyage de cent lieues et
un accablement extraordinaire d'affaires que j'ai eues à mon arrivée, ne vous
demandaient pardon pour moi, je le pourrais seulement espérer de votre bonté.
Mais en vérité j'ai été tellement fatigué depuis mon arrivée, que je mérite
compassion : et ainsi j'espère que mon silence, après une lettre telle que celle
que j'ai reçue de vous, ne pourra être attribué à aucune négligence ni manque de
réflexion. Je suis trop convaincu de l'honneur et du bonheur que j'ai de ce que
vous voulez bien prendre soin de moi, et de la grâce que vous me faites
d'employer votre charité, votre grande science et votre capacité à éclairer mes
difficultés, même dans des matières qui ne sont pas assez importantes pour être
proposées à une personne si dignement occupée des affaires de la plus grande
conséquence. La grande réputation que vous avez acquise dans le monde avec tant
de justice, par les voies les plus honorables, fait que la correspondance qu'on
a avec vous donne une telle tentation de vaine gloire, que je n'eusse osé
presque m'y exposer, si je n'avais pas considéré qu'avec toutes ces grandes
qualités, une connaissance si étendue, tant de science et d'expérience, vous
365
avez une piété solide et un jugement capable de conserver
vos autres talents en leur propre place, et d'en faire usage pour les meilleures
fins, avec une charité capable de vous faire embrasser toutes les occasions
d'avancer l'honneur de Dieu et de faire du bien aux hommes. C'est pourquoi j'ai
recours au saint, pour lui demander son assistance, et non pas au grand homme
par un simple motif de vanité. J'espère qu'en ces deux qualités vous
m'accorderez la seule chose que je puis vous demander, qui est vos prières, afin
que je puisse faire un bon usage de ce que je dois espérer de vos excellentes
qualités pour mon instruction, et pour m'encourager à en faire mon profit.
Je lis avec confusion les
expressions pleines de bonté à mon égard, qui se trouvent dans la lettre
très-obligeante que vous m'avez écrite. C'est ce qui me fait croire certainement
que mes sentiments vous ont été expliqués selon leur véritable sens. Je
reconnais que je ne suis rien selon l'opinion que je pourrais avoir de moi-même,
mais seulement selon ce que je suis dans la vue de Dieu : c'est pourquoi je ne
suis pas fâché de trouver que chacun n'a pas pour moi la même charité que vous.
C'est à Dieu qu'on offre le service qu'on rend à la religion. S'il connaît la
sincérité d'un bon cœur, je n'ai pas besoin de me mettre fort en peine du
jugement que les hommes peuvent faire de moi. J'ose même dire que mon principal
dessein, en tâchant de passer pour sincère parmi les hommes, est dans la vue que
cela peut me rendre plus capable de faire du bien dans la place où la divine
Providence m'a établi. Si j'y réussis, que Dieu en ait toute, la gloire : si je
n'y réussis pas, je. souhaite que quelque autre plus capable que moi prenne ma
place , pour venir à bout de ce que j'aurais souhaité faire si je Pavais pu, en
ramenant un grand nombre de personnes à l'Eglise de Dieu.
Il semble que le temps soit
favorable, parce qu'il paraît une grande disposition dans les esprits à
s'éclaircir des matières qui concernent la religion, pour tâcher de faire,
ouvrir les yeux à ceux qui ont été depuis si longtemps aveuglés par les fausses
représentations des vérités de la religion. Je travaille à faire traduire la
préface et les approbations qui sont à la tête de la
366
dernière édition de votre excellent livre de l'Exposition
de la Foi, et à le faire réimprimer (a). Car comme les persécuteurs des premiers
chrétiens les revêtaient d'habits extravagants pour les exposer à la risée et à
la moquerie, ou les couvroient de peaux de bêtes sauvages pour les faire
déchirer par d'autres : de même ici les dogmes de l'Eglise catholique ont été
tournés en ridicule ou représentés comme impies, pour faire, que, la foi de
l'Eglise eût le même sort qu'avoient eu autrefois ses martyrs.
Plusieurs hommes de bien n'ont
besoin que d'être désabusés. J'ai fait cette expérience en la personne de mon
frère, qui en huit jours de conversation qu'il a eue avec moi, quoique de si
faibles moyens ne pussent avoir un heureux effet que par la bonté de la cause,
est devenu un très-bon catholique. J'espère avec la grâce de Dieu, qu'il servira
fort utilement à avancer les intérêts de notre sainte religion en ce pays, sa
charge lui donnant plusieurs belles occasions de le faire.
Depuis que je suis arrivé ici,
le précepteur de mon fils, ministre de grande, espérance, et qui selon ceux qui
gouvernent ici était un homme fort, propre à être avancé dans de, grands
emplois, à cause de son jugement solide, de son savoir et de sa piété; après une
mûre délibération et une longue résistance, a renoncé à toutes ses espérances et
prétentions pour se faire catholique. C'est ce qui me fait espérer qu'il se fera
encore plus de bien en ce pays. Car après avoir vu qu'en ôtant seulement ce
masque affreux dont par malice on a déguisé la vérité, cela seul a été cause que
deux personnes telles que je vous ai dites l'ont embrassée; certainement il y en
aura plusieurs autres, qui s'engageront à la recherche des raisons qu'ils ont
eues pour faire un changement si important, et avec la grâce de Dieu ils
suivront, leur exemple. C'est pourquoi, Monseigneur, si vous pouvez nous donner
quelque chose qui puisse contribuer à un aussi bon dessein que celui de la
conversion de ces pauvres nations abusées, le temps serait fort favorable. C'est
ce que je vous demande d'autant
(a) Il y a lien de penser que le traducteur mis en œuvre
par milord Perth était le père Johnston, Bénédictin anglais, dont nous avons
quelques lettres écrites à Bossuet, dans cette même année 1686, et que l'on a
vues à la suite de l’Exposition. (Les édit.)
367
plus volontiers, que j'ai appris que vous aviez depuis peu
été fort occupé à conférer avec les nouveaux convertis, et qu'il restait encore
de quoi travailler avec quelques-uns.
Vous faites. Monseigneur,
quelques réflexions sur la considération et le très-humble respect que j'ai pour
l'office apostolique des évêques. Je vous dirai sur ce sujet que lorsque j'étais
le plus zélé pour l'erreur, j'avais une telle vénération pour l'ordre et la
dignité des évêques, que je n'ai jamais eu que des pensées fort respectueuses
pour les saints hommes revêtus autrefois de cette dignité dans les églises
d'Orient et d'Occident. Ce respect avait besoin d'être un peu rectifié ; et
présentement outre les anciens Pères, aux prières desquels je me recommande tous
les jours, il y en a trois de ce dernier temps dont je lis les vies avec
admiration et avec plaisir, qui sont saint Charles Borromée, saint François de
Sales et dom Barthélemy des Martyrs. Et comme je respecte en général tous les
évêques de l'Eglise catholique, aussi il me semble que ceux de France méritent
d'être estimés par-dessus tous les autres de ce siècle, pour avoir pris tant de
peine à mettre leur clergé dans l'état où doivent être de véritables
ecclésiastiques. A quoi j'ajouterai sans flatterie que Monseigneur l'évêque de
Meaux, quand je ne lui aurais aucune obligation, quoique je lui sois redevable
de quelque chose qui vaut plus que tout ce qu'il peut y avoir au monde, tient
tellement la première place dans mon estime, mon respect et mon affection, que
je ne le puis exprimer. Cette comparaison ne vous plaira peut-être pas ; mais je
suis sûr qu'elle est fort juste.
Il faudra que le digne abbé
Renaudot supplée à mon ignorance pour vous expliquer mes véritables sentiments,
et vous faire entendre ce que j'ai voulu vous dire. La traduction qu'il a faite
de ma précédente lettre a tellement suppléé au défaut de l'original, que je lui
en suis fort obligé : car si vous avez conçu quelque bonne opinion de moi, je
lui en suis redevable, voyant qu'il m'a donné par sa traduction quelques
avantages que la nature m'a refuses, ainsi qu'on l'aurait pu juger par
l'original de ce que je vous ai écrit.
Je ne vous importunerai pas
davantage, si ce n'est pour vous
368
prier de me donner votre bénédiction épiscopale et
paternelle, puisque je suis un de vos enfants, et que j'ai pour vous tous les
sentiments de respect, de soumission et d'affection possibles. Conservez-moi
donc, s'il vous plait, un peu de part dans votre souvenir; et Dieu veuille que
vous me l'accordiez à votre Mémento au saint autel, lorsque vous célébrerez le
sacrifice de la messe ; et laites-moi l'honneur de me croire toujours, etc.
LETTRE CLVIII.
BOSSUET A UN JUIF RETIRÉ EN ANGLETERRE,
Qui, après avoir embrasse la religion catholique, l’avait quittée pour passer
chez les protestants (a). A Saint-Germain, ce 2 mars 1686.
Quelle nouvelle pour moi que
celle de votre sortie hors de l'Eglise ! Dieu m'a voulu humilier : car après ce
que vous aviez écrit dans votre dernier ouvrage, je croyais que vous deviendriez
un des plus grands défenseurs de notre sainte croyance, et je vous en vois
l'ennemi : mais j'espère que je ne serai pas frustré dans mon attente. Dieu a
voulu vous humilier aussi bien que moi par votre chute, pour vous rendit; à son
Eglise plus docile, plus soumis et par là plus éclairé. Je vis dans cette
espérance; et cependant, en quelque moment que Dieu vous touche le cœur, venez à
moi sans rien craindre : vous y trouverez un appui très-sûr pour toutes choses,
un ami, un frère, un père, qui ne vous oubliera jamais, et jamais ne cessera de
vous rappeler à l'Eglise par les cris qu'il fera à Dieu. Je ne vous ai point
écrit jusqu'à cette heure, parce que j'ai appris que vous aviez été malade.
Serait-ce que Dieu aurait voulu vous parler dans cet état d'abattement ? Tous
les moments sont à lui. Hélas ! serait-il possible que la confusion que vous
trouvez aux lieux où vous êtes, ne vous fasse point souvenir de Sion et de sa
sainte unité, ni sentir quel malheur c'est que d'avoir rejeté l'autorité de
l'Eglise? Je ne veux
(a) Les protestants ont publié cette lettre à la fin du
recueil dont nous avons déjà parlé, qui a pour titre : La Séduction éludée,
pag. 80 et suiv. ( Les édit.)
369
point disputer, et j'aime mieux finir en vous embrassant de
tout mon coeur. Revenez, mon fils. etc.
LETTRE CLIX.
BOSSUET A UN RÉFUGIÉ (a). A Meaux. 3 avril 1686.
Je continue à vous écrire, saus
me rebuter de la réponse que vous avez faite à ma première lettre. J'y ai trop
reconnu un caractère étranger et un style de, ministre pour vous l'attribuer :
en un mot, j'ai senti qu'elle ne venait pas d'un esprit comme le votre : mais
quand elle eu serait venue, je ne cesserais pas pour cela de vous inviter au
retour.
J'ai vu dans une lettre que vous
écrivez à Mademoiselle de V***, que la vraie Eglise ne persécute pas.
Qu'entendez-vous par là, Monsieur? Entendez-vous que, l'Eglise par elle-même ne
se sert jamais de la force? Cela es! très-vrai, puisque l'Eglise n'a que des
armes spirituelles. Entendez-vous que les princes, qui sont enfants de l'Eglise,
ne se doivent jamais servir du glaive que Dieu leur a mis en main pour abattre
ses ennemis? L'oseriez-vous dire contre le sentiment de vos docteurs mêmes, qui
ont soutenu par tant d'écrits que la république de Genève avait pu et du
condamner Servet au feu, pour avoir nié la divinité du Fils de Dieu? Et sans me
servir des exemples et de l'autorité de vos docteurs, dites-moi en quel endroit
de l'Ecriture les hérétiques et les schismatiques sont exceptés du nombre de ces
malfaiteurs contre lesquels saint Paul a dit que Dieu même a armé les princes
(1)? Et quand vous voudriez pas permettre aux princes chrétiens de venger de si
grands crimes en tant qu'ils sont injurieux à Dieu, ne pourraient-ils pas les
venger en tant qu'ils causent du trouble et des séditions dans les Etats? Ne
voyez-vous pas clairement tpie vous vous fondez sur un faux principe? Et s'il
était véritable,
1
Rom., XIII, 4.
(a) C'est la seconde lettre que les Protestants oui donnée
dans le petit ouvrage dont nous avons rendu compte plus haut : La Séduction
éludée, pag. 22 et suiv. (Les édit.)
370
c'était donc les ariens, les nestoriens, les pélagiens qui
avoient raison contre l'Eglise puisque c'était eux qui étaient les persécutes et
les bannis, et que les princes catholiques étaient alors ceux qui persécutaient
et qui bannissaient : et à présent encore les catholiques qu'on punit de mort en
Suède et en tant d’autres royaumes, auraient raison contre ceux qui se disent
évangéliques. Chacun à son tour aurait raison et tort; raison en un endroit, et
tort en un autre; et la religion dépendrait de ces incertitudes. Mais c'en est
trop sur cette matière pour convaincre un aussi Ion esprit que le vôtre.
Connaissez seulement que lorsqu'il plaît à Dieu de nous abandonner à nos propres
pensées, les meilleurs esprits sont touchés par les moindres apparences.
La crainte que vous avez qu'en
ne vous fasse adorer du pain, a dans votre prévention plus de vraisemblance.
Considérez cependant, sans entrer dans cette controverse, qui passe les bornes
d'une lettre; considérez, dis-je, que c'est une crainte pareille qui faisait
dire aux ariens et aux disciples de Paul de Samosate, qu'ils ne voulaient pas
rendre les honneurs divins à un homme, à un enfant, à une créature, pour
parfaite et privilégiée qu'elle fût. C'était la raison humaine, c'était les
sens; c'était la prévention qui leur inspirait ces vaines terreurs. Prenez garde
que votre religion n'ait à leur exemple trop appelé les raisonnements et les
sens humains à son secours, et que votre peine ne vienne de l'habitude à les
suivre.
Quoi qu'il en soit, vous voyez
que vos réformateurs n'ont fait autre chose que renouveler des querelles
terminées, il y a déjà six cents ans, quand Bérenger les émut: et si vous
révoquez en doute le jugement qui a été rendu contre lui, les autres douteront
avec autant de raison de tous les conciles précédents; et nous voilà à examiner
de nouveau tout ce qui a été décide, comme si nous commencions à être chrétiens,
et que tout ce que nos Pères ont résolu ne servit de rien. Cela veut dire, en un
mot, que si les chrétiens, quand ils ne seront pas d'accord sur le sens de
l'Ecriture, ne reconnaissent une autorité vivante et parlante à laquelle ils se
soumettent, l'Eglise chrétienne est assurément la plus faible
371
de toutes les sociétés qui soient au inonde, la plus
exposée à d'irrémédiables divisions, la plus abandonnée aux novateurs et aux
factieux. C'est à quoi vos ministres, avec toutes leurs subtilités, n'ont jamais
pu trouver aucune réponse; et ils se contentent de nous apporter des exemples où
ils prétendent que les conciles n'ont pas toujours bien décidé, Ions exemples
faux ou mal allégués. En un quart-d'heure de, temps, vous qui avez de l'esprit,
vous en seriez convaincu, et vous recevez ces choses avec trop de crédulité,
sans les avoir jamais pu examiner.
Mais sans vous jeter dans ces
discussions, considérez seulement s'il est vraisemblable que Dieu, qui a permis
qu'd y eut tant de profondeurs dans l'Ecriture, et que de là il soit arrive tant
de schismes entre ceux qui font profession de la recevoir, n'ait laissé aucun
moyen à son Eglise de les pacifier; de sorte qu'il n'y ait plus de remède aux
divisions que de laisser croire chacun à sa fantaisie, et conduire par là
insensiblement les esprits à l'indifférence des religions, qui est le plus grand
de tous les maux. Songez, Monsieur, songez à cela; écoutez votre bon sens, et
non pas les subtilités des ministres qui, à quelque prix que ce soit, veulent
défendre leurs préjugés, et ne passer pas pour des docteurs de mensonge. C'en
est assez ; pesez ces choses.
Excusez les endroits où mon
écriture vous paraîtra un peu brouillée: il vaut mieux que vous voyiez la
simplicité d'un frère qui cherche à gagner son frère, que la politesse d'un
discours étudié. Venez, et assurez-vous que je ferai tout pour votre personne,
que j'estime et qui m'est chère, et que je suis cordialement, etc.
LETTRE CLX.
BOSSUET A MONSIEUR HERMANT, DOCTEUR DE SORBONNE, ET CHANOINE DE BEAUVAIS. A
Versailles, ce 22 mai 1686.
J’ai reçu, Monsieur, votre lettre du 20, et je vous en suis
très-obligé. Je lirai Grotius, les notes du Père Quesnel sur saint Léon,
372
et Forbesius
(a). J'ai lu Cassander et les mémoires concernant le concile de Trente. Je
verrai Martel, si vous croyez que cela soit fort utile. Mais comme je n'ai pas
dessein de m'en gager dans du longs discours, mais de mettre en main des bien
intentionnés quelque chose de serré et de précis, je ne me chargerai que de et;
qui sera absolument nécessaire et décisif. Je tâcherai de profiter de vos
lumières. J'attends ce que vous prenez la peine de recueillir; et après vous
avoir demandé pardon de tant de peines que je vous donne, je vous dirai
néanmoins que vous ne devez pas trouver surprenant si, persuade comme je suis de
votre capacité, de votre zèle et de l'amitié dont vous m'honorez depuis si
longtemps, je vous donne de semblables fatigues. Je suis avec toute l'estime
possible. etc.
LETTRE CLXI.
BOSSUET A DOM THIERRI RUINART, RELIGIEUX BÉNÉDICTIN. A Meaux, ce 11 juin 1686.
Je vous suis très-obligé des
remarques que vous m'avez envoyées. Je vous prie de faire encore pour moi une
recherche dans la Vie de saint Ambroise, à l'endroit où il est parlé de
la communion que saint Honorat de Verceil lui donna à l'heure de sa mort, au
rapport de Paulin. Je trouve dans cette lie, comme elle est dans Surins et dans
quelques éditions de saint Ambroise, le mot deglutivit, qui semble
marquer la seule espèce solide : mais je n'ai pas trouvé ce mot dans toutes les
éditions de cette Vie; et j'en ai vu une, je ne me souviens pas bien
laquelle c'est, où ce mot n'est point, mais seulement recepit. Vous me
ferez plaisir d'assurer la vraie leçon par les manuscrits; et même si vous
(a) Plusieurs protestants de ce nom ont écrit sur la
controverse. Guillaume Forbes ou Forbesius, premier évêque d'Edimbourg, mort en
1634, a composé , dans la vue de concilier les différends de religion, l'ouvrage
intitulé : Considerationes modeste et pacifiae controversiarum, de
justificatione, purgatorio, invocatione Sanctorum, Christo mediatore et
Eutharistiâ, Ce livre fut imprimé après la mort de l'auteur, dont le fils
s'est fait catholique. Jean Forbes a donné Institutiones historico-theologicae,
réimprimées avec ses autres ouvrages, à Amsterdam en 1703, 2 vol. in-fol. (Les
édit.)
373
n’avez pas la chose présente, d'en communiquer avec vos
Pères qui travaillent sur saint Ambroise. Je me suis si bien trouvé de vos
remarques, que je ne crains point de vous donner encore la peine de faire
celle-ci : je vous en serai très-obligé. Je suis avec une estime particulière,
etc.
LETTRE CLXII. DOM RUINART A BOSSUET. De l'Abbaye de Saint-Germain-des-Prés ,
à Paris, ce 14 juin 1686.
Je me suis acquitté avec le plus
d'exactitude qu'il m'a été possible, de la commission dont Votre Grandeur a bien
voulu m'honorer touchant la Vie de saint Ambroise écrite par Paulin. Nos
Pères qui travaillent à donner les ouvrages de ce saint, avaient déjà neuf
manuscrits de confères sur cette Vie. J'en ai trouvé outre cela cinq dans
notre bibliothèque, que j'ai examinés; et dans tous généralement on y lit :
Quo accepta, ubi glutivit emisit spiritum. Les plus anciennes éditions ont
la même chose. Celle de 1329 donnée à Paris par Chevallon, qui est d'Erasme tout
pur, a ces paroles : mais celle de 1507 donnée: à Bâle, quoiqu'elle soit marquée
comme donnée sur celle d'Erasme, n'a que: Quod ubi decepit, emisit spiritum
: ce qui fait croire que Cosserius, chanoine régulier d'Anvers, qui en est
l'auteur, a le premier de tous changé cette leçon. Toutes les éditions qui ont
paru depuis l'ont imité : au moins n'ai-je point vu d'autre leçon dans toutes
celles qui sont ici depuis ce temps. Ceux qui ont donné les Vies des Saints- se
sont tenus à l'ancienne leçon. Les deux éditions de Surins a Cologne, dont la
première est de 1578, et la seconde beaucoup augmentée en 1578, ont le mot de
glutivit comme les manuscrits, aussi bien que Mombritius, qui est le premier
de tous qui ait donné les Vies des Saints, et peut-être le plus
fidèlement. Comme il était de Milan, on peut croire qu'il a eu de bons
manuscrits de cette illustre église touchant cette vie. Au reste, tous les
manuscrits et les meilleures éditions avant le mot de glutivit, nos pères
restitueront cet endroit : et je m'en suis assure deux-
374
mêmes, après leur avoir fait remarquer cette uniformité si
mande des manuscrits et des bonnes éditions.
Votre Grandeur ayant eu assez de
bonté pour bien recevoir les remarques que je lui envoyai dernièrement (a), j'ai
cru qu'elle me permettrait bien d'y ajouter encore deux endroits de saint
Cyprien, que j'ai cru pouvoir confirmer quelques endroits des remarques
précédentes. C'est au même lieu d'où l'on tire cette célèbre histoire de la
petite fille qui ne put avaler le sang de Jésus-Christ, où saint Cyprien exprime
par le mot d’Eucharistia l'espèce du vin : ce qui se prouve,
non-seulement par le mot de calix qui précède, mais encore par celui de
potus qui suit : De sacramento calicis infudit… In corpore atque ore
violato Eucharistia permanere non potuit. Sanctificatus in sanguine Domini
potus, de pollutis visceribus erupit (1).
L'autre est à l'occasion de. ce
qui est manqué dans la Vie de sainte Eudocie, que l'Eucharistie se
changea en feu; ee qui semble étrange. Cependant saint Cyprien rapporte un même
changement Immédiatement après l'histoire précédente. « Une femme ayant tenté
d'ouvrir avec des mains impures un coffre où le corps du Seigneur était
renfermé, elle fut tout à coup arrêtée par la flamme qui s'éleva du milieu de ce
coffre. » Cùm quaedam arcam suam,
1 Lib. de Lapsis, p. 189, édit. Baluz.
(a) Les remarques que Dom Thierri Ruinart avait envoyées à
Bossuet, regardent toutes la même matière : ce sont des extraits de différents
auteurs, qui prouvent combien l'usage de la communion sous une seule espèce est
ancien dans l'Eglise. Dom Ruinart accompagna ces extraits de la lettre suivante,
qui nous fait voir avec quel soin les ouvriers que Bossuet mettait en œuvre le
secondaient dans ses travaux, et combien le prélat aimait l'exactitude dans les
recherches. « Voici ce que j'ai pu ramasser de divers auteurs, sur le dessein
que Votre Grandeur a touchant la communion sous une seule espèce. J'aurais
souhaité que mon recueil eût été plus abondant, parce qu'il aurait été plus
digne d'être présenté à Votre Grandeur; et j'ai de la confusion de ce que je ne
remplis pas assez l'obligation à laquelle je me suis engagé. Néanmoins je n'ai
rien néglige de ce que je croyais pouvoir servir à ce dessein. J'ai vu tous les
auteurs dans lesquels je soupçonnais y devoir rencontrer quelque chose qui y eût
du rapport : mais j'ai bien remarqué que des yeux plus clairvoyants que, les
miens y avaient déjà passé, je n'ai pas cru cependant devoir laisser échapper
les endroits que j'ai marqués dans ce petit recueil, afin d'avoir en moins la
consolation d'avoir témoigné à Votre Grandeur, que j'ai fait tout mon possible
pour lui donner quelque satisfaction. Je n'ai rien marqué que je n'aie tiré ou
conféré avec l’original ; et je me persuade que si Votre Grandeur n'y trouve pas
ce qu'elle souhaite, elle aura néanmoins assez de bonté pour m'excuser, étant
avec un profond respect, etc. » (Les édit. )
375
in quà Domine Sanctum fuit, manibus indignis tentasset
aperim, igne inde surgente deterrita est (1). Et un autre qui ayant reçu le
saint Sacrement en mauvais état, « ne put ni toucher ni manger le corps du
Seigneur, et qui ne trouva que de la cendre dans ses mains : » Sanctum Domini
edere et contrectare non potuit; cinerem ferre se, apertis manibus invenit
(2). Les auteurs de la dernière édition d'Angleterre avouent ici qu'on gardait
l'Eucharistie ; mais prétendent renverser la transsubstantiation, ne croyant pas
qu'on puisse admettre que Jésus-Christ ait pu être changé en cendre, en
supposant faussement que l'Eglise croit que la substance du corps de
Jésus-Christ fût devenue en cette occasion de la cendre. J'ai cru que Votre
Grandeur ne trouverait pas mauvais que j'ajoutasse ici cet endroit, étant avec
un très-profond respect et une soumission entière, etc.
LETTRE CLXIII.
MILORD PERTH. A BOSSUET (a). De Windsor, ce 23 juillet 1686.
Je sais qu'il n'y a point
d'excuse qui puisse paraître suffisante sur ce que j'ai été si longtemps à vous
répondre, après avoir reçu de vous une lettre si obligeante et si excellente.
Outre toutes les autres raisons que vous aviez d'attendre de moi nue prompte
réponse et de très-humbles remerciements, j'y étais particulièrement obligé par
le respect que je vous dois, avant l'honneur d'être votre fils. Mais
permettez-moi de vous rendre compte d'une partie des occupations que j'ai eues
durant ce dernier mois: et j'espère qu'au lieu d'être en colère contre moi, vous
serez touché de quelque compassion.
Je ne doute pas que me vous ne
connaissiez le naturel inquiet de
1 Lib. de Lapsis, pag. 189, édit. Baluz. — 2 Ibid.
(a) Cette lettre en suppose une que Bossuet avait écrite au
duc de Perth, mais qui ne nous est point parvenue. La lettre du lord ne marque
pas l'année où elle a été envoyée : toutefois il est clair qu'elle doit être de
1686 ; car il y est fait mention de la Lettre pastorale sur la Communion,
que le prélat avait adressée cette année aux nouveaux convertis (Les édit.)
376
mes compatriotes, particulièrement lorsqu'ils peuvent
couvrir leurs brouilleries du prétexte spécieux de la religion. Chacun peut
juger si jamais gens de tête légère et de sang chaud, ont eu de plus beaux
moyens de pousser leurs mauvais desseins aux dernières extrémités et à la
violence. Un prince actif, zélé, hardi à entreprendre, et qui par ce qu'il a
souffert constamment pour sa religion, a convaincu le monde de sa sincérité et
de l'intérêt qu'il prend à l'avancement de la religion catholique, est monte sur
le troue. Un royaume (a), des trois qui lui sont soumis, est présentement
presque tout catholique. Dans le plus grand (b) et le plus florissant des trois,
le nombre des catholiques n'est pas tout à l'ait méprisable. Notre pays (c), qui
est le moins étendu et le moins fertile, a néanmoins un grand nombre d'hommes
hardis et attachés à leurs sentiments au delà de ce qu'on peut dire, quand ils
sont une l'ois convaincus de quelque chose. Les quartiers les moins accessibles,
où les peuples sont plus belliqueux, sont la plupart convertis; ou bien il y a
lieu d'espérer que lorsque la vérité leur sera proposée, elle y fera de grands
progrès avec la bénédiction de Dieu, parce que le Roi est maître de toutes les
terres de la coude d'Argyle, et que les autres appartiennent la plupart au duc
de Cordon, qui y a de grands biens, au comte de Slafford et à moi. Les
épiscopaux ne sont pas fort violents, et les affaires paraissent assez bien
disposées pour triompher de l'erreur.
Ces choses inspirent une espèce
de rage aux presbytériens, qui font la secte la plus nombreuse d'Ecosse,
quoiqu'elle soit subdivisée en plusieurs autres branches de fanatiques. Elle est
telle, qu'ils ne se contenteraient pas de couper la gorge à tous les
catholiques, s’autorisant sur le commandement que Dieu fit autrefois de détruire
les Amalécites ; mais qu'ils seraient aussi capables de tremper leurs mains
sacrilèges dans le sang de leur souverain, et de réitérer dans la personne du
fils le parricide barbare qu'ils commirent en la personne du Roi son père. Ils
se tiennent en repos au logis, parce qu'ils n'osent faire autrement, mais ils
taillent d'exciter l'Angleterre. Ce royaume est moins facile à
(a) Le royaume d'Irlande. — (b) Celui d’Angleterre. — (c)
L'Ecosse.
377
émouvoir, parce que considérant ses lois qui sont assez
favorables aux sujets, les peuples y sont plus soigneux à ne pas passer les
bornes que ces mêmes lois donnent aux devoirs des sujets envers leurs rois.
Ainsi ils ne se laissent pas aisément émouvoir par des suggestions mal fondées
de crainte et de jalousie, pour commencer une rébellion de laquelle les Ecossais
espéreraient un si grand avantage. Néanmoins, pour essayer si ceux qui ont
dessein de, faire leur devoir, en servant les catholiques, peuvent être
détournes de bien faire, ils mettent en usage toutes sortes de menaces ; et ils
disent que s'il arrive quelque notable changement, aucun catholique n'échappera,
parce que selon les lois, entendre la messe et travailler à convertir quelqu'un
à la foi catholique, sont crimes de haute trahison.
Les choses étaient en cet état,
lorsque, le Roi jugea à propos de convoquer son parlement d'Ecosse, afin que par
son moyen il put abroger les lois contre les catholiques, et leur assurer au
moins ainsi leurs biens et leurs vies. J'étais d'un avis contraire, et je
m'opposais à cette convocation par des raisons qui n'ont encore été réfutées par
personne. Je savais que le Roi par ses prérogatives avait assez de pouvoir pour
faire plus qu'il ne demandent au parlement; qu'un acte du parlement décidèrent
ce qui était actuellement en question : et que tous les actes qui établiraient
seulement quelque repos aux catholiques et rien davantage, étaient autant
d'exceptions par lesquelles la règle était confirmée de plus en plus, en tous
les points qui n'étaient pas compris dans cette même exception ; qu'un prince
protestant renverserait bientôt un acte semblable ; au lieu qu'aucun prince
n’était propre à disputer si l'usage que quelqu'un de ses prédécesseurs avait
fait de quelque point contesté de ses prérogatives royales, était légitime ou
non, parce que la possession en est trop douce, pour être abandonnée comme
n'étant d'aucune utilité. Ainsi je ne fus pas fâché, lorsque le parlement refusa
de consentir à ce qui lui était proposé. Présentement le Roi est convaincu de la
vérité de ce que je lui disais; et l'Ecosse est effrayée de voir que Sa Majesté
fait beaucoup plus que ce que le parlement lui a refusé.
378
Je vous rends compte de tout ce
détail, afin de vous faire voir en quel état j'étais lorsque j'ai reçu votre
lettre. Depuis ce temps-là jusqu'à présent que le Roi mon maître m'a mandé pour
recevoir ses ordres touchant le gouvernement du royaume pour l'avenir, mon
emploi a été beaucoup au-dessus de mes forces. Car milord grand commissaire
étant un homme peu versé dans les affaires de cette nature, et ayant plus de
réputation par son zèle pour le service du Roi que par sa capacité : l'avocat du
Roi, qui est chargé de soutenir les intérêts de Sa Majesté d ans les débats et
conférences du parlement, ayant par sa mauvaise conduite obligé le Roi de lui
ôter sa charge; milord greffier, autre officier très-nécessaire et le principal
homme d'affaire pour Sa Majesté étant tombé malade, je me suis trouvé chargé du
poids de toutes les affaires : ainsi je me suis vu obligé d'étudier toutes les
nuits ce que j'avais à faire le lendemain. J'ai eu à répondre à toutes les
objections proposées contre nous, et à donner tous les ordres nécessaires. C'est
pourquoi il m'a été impossible avant ce temps ci d'avoir l'honneur de
m'acquitter de ce que je vous dois.
Si je vous rends compte de tout
le détail des occupations que j'ai eues ces derniers mois, c'est que je suis sur
que personne de ceux qui me connaissent n'aurait cru que j'eusse pu soutenir un
si grand fardeau d'affaires aussi fâcheuses, ni en venir à bout parmi la
contradiction et la malice des uns, jointe à la négligence et aux fourberies des
autres. Car si on en excepte le duc de Gordon en Ecosse et en Angleterre mon
frère, qui est votre très-humble serviteur, je n'ai eu aucun secours de
personne. Mais espérant que ce que je vous ai dit servira à justifier mon
silence, je commencerai à vous rendre de très-humbles grâces du souvenir
charitable que vous avez eu d'un pauvre malheureux comme moi. Je vous ai déjà
dit, et je ne puis le répéter assez souvent, que vous ne pouvez me donner de
plus grandes marques de votre bonté que de prier souvent pour moi, et de me
donner votre bénédiction avec un cœur aussi plein de tendresse : ce qui m'est
tellement cher, que je ne puis vous l'exprimer.
Je n'ai pas encore reçu votre
excellente Lettre pastorale (a)
(a) Aux nouveaux convertis, sur la Communion pascale.
379
ni l’ Oraison funèbre (a) que vous m'avez envoyée ,
parce que le paquet étant trop gros pour la poste, il a été envoyé par une autre
voie et qu'il n'est pas encore arrivé. J'ai néanmoins à présent la lettre en
anglais : elle m'a donné une grande joie et une pareille édification. Je l'ai
déjà fait imprimer à Edimbourg : car tous vos ouvrages font un tel effet sur
moi, que je ne suis pas en repos jusqu'à ce que je les aie rendus publics pour
l'avantage des autres. Si tous ceux qui les lisent y profitent autant que j'ai
fait, j'aurai une grande joie de les avoir l'ail publier, par plusieurs raisons
: entre autres, parce que votre grand mérite et vos rares qualités seront ainsi
parmi nous en grande vénération, comme en effet personne ne vous peut connaître
sans avoir pour vous une estime qu'il n'est pas possible d'exprimer.
Je suis lâché de ne pouvoir
encore vous envoyer quelques nie-moires de ce qui s'est passé ici dans la
naissance de l'hérésie, parmi notre nation. Le chevalier Robert Silbald , qui a
un excellent recueil de tous ces mémoires en partie par mon moyen, est retombé
dans son erreur, qu'il avait quittée avec tant de zèle. Je crains qu'il ne fasse
difficulté de me donner ces papiers, qui fournissent un grand argument contre
lui-même. J'avais dessein de vous rendre compte ici de la malheureuse apostasie
de ce misérable : mais vous eu serez informé parfaitement dans quelques semaines
par le précepteur de mon fils , à qui j'espère que vous voudrez bien donner
votre bénédiction, lorsqu'il aura l'honneur de vous aller baiser les mains :
c'est pourquoi je ne vous importunerai pas de ce récit. J'ajouterai seulement
que le Roi a résolu de me donner assez d'autorité en Ecosse, et des ordres si
précis pour avancer la religion catholique, qu'il y a sujet d’espérer que les
affaires iront assez bien. Vous serez informé de temps en temps de nos
difficultés et du progrès que nous ferons. Je serai souvent obligé dans mes
peines d'avoir recours à votre charité pour vous demander vos avis, vos prières
et votre bénédiction, que je vous demande présentement prosterné à vos pieds.
Quoique je sois indigne de cet honneur, je suis néanmoins votre fils, et je
n'oublierai
(a) Probablement celle de Michel le Tellier, chancelier de
France prononcée le 25 janvier 1686.
380
jamais l'obligation que je vous ai, de ce que vous avez
fait tomber de dessus mes yeux tes écailles de l'ignorance, des préjugés et de
la prévention. Je reconnais qu'après Dieu je vous dois ma conversion, et je
comprends tous les jours de plus en plus le prix de cette bénédiction. Je prie
Dieu que ma vie puisse être une continuelle expression de gratitude envers sa
divine Majesté. J'espère aussi que je ne manquerai jamais d'avoir tous les
sentiments de reconnaissance à votre égard, et j'en ai le cœur tellement rempli
que je ne trouve point de paroles pour les exprimer.
Cependant, Monseigneur, je
m'aperçois qu'en vous faisant des excuses de mon silence, je tombe dans une
autre extrémité, et que. je dois vous demander pardon de ce que je dérobe au
public autant de votre temps précieux , que vous en perdiez à lire une si longue
lettre. Je vous déclare sincèrement que si j'étais maître de moi, et que si la
place dans laquelle la divine Providence m'a attaché ne m'engageait pas à une
résidence nécessaire, j'achèterais avec joie trois heures de conversation avec
vous, en allant nu-pieds jusqu'à Meaux et demandant mon pain durant tout le
chemin. Car de toutes les instructions que j'ai pu avoir, aucune, ne représente
les choses si clairement, ne les établit et ne les persuade si fortement, et ne
dissipe plus parfaitement les ténèbres de l'ignorance que vos admirables écrits.
Chaque lettre que je reçois de vous est un joyau pour moi : j'en reçois du
profit et du plaisir, et elle m'échauffe dans mes bonnes résolutions : de sorte
que non-seulement je me vois très-bien informé pour ce qui regarde
l'entendement, mais je sens ma volonté déterminée de plus en plus au service de
Dieu, et à avancer les intérêts de la sainte Eglise.
Il faut aussi que je vous dise
que, quoique j'aie toujours eu, même durant mon ignorance et dans l'hérésie, un
profond respect pour le ministère apostolique des évêques, vous l'avez tellement
augmenté par la manière admirable dont vous vous acquittez de tous les devoirs
de l'épiscopat, que je crois remonter jusqu'à saint Cyprien, saint Augustin et
saint Ambroise, ou au moins aux trois évêques des derniers siècles, pour qui
j'ai la plus grande
381
vénération, qui sont saint Charles Borromée, saint français
de Sales et dom Barthélemi des martyrs: quoiqu'il la vérité , à l'égard de ces
derniers, il y ait de la différence à faire en ce qui regarde la science et la
force de l'expression, qui est plus grande dans les premiers.
Si je pouvais vous informer de
quelque chose de ce pays-ci qui lût digne de vous être mandé, et dont vous ne
fussiez pas informe par de meilleures mains, je, le ferais très-volontiers :
mais ce serait une chose inutile de vous en fatiguer, parce qu'on est assez bien
informé par les avis publics. J'ajouterai seulement que ce que le Roi a fait en
mettant en commission l'office de vicaire général, et en chargeant de cette
commission l'archevêque de Cantorbéry, les évêques de Durham et de Rochester, le
chancelier, le trésorier, le président du conseil, et le chef de justice, alarme
extrêmement les évêques et les ministres protestants. Ce que, Sa Majesté a aussi
fait en mettant dans son conseil d'Etat le comte de Powis, milord Arundel,
Bellasis et Dover, est encore une démarche qui ouvrira la porte à un nouvel
avantage pour les catholiques. Avant ce temps-là, mon frère milord Melford et
moi avions pris séance dans le conseil; mais nous y étions entrés étant encore
protestants : au lieu que ceci est clair, et que c'est un exercice du pouvoir de
dispenser des lois, dont on parle tant : de sorte que, selon mon avis, les
protestants seront convaincus par là que le Roi est résolu d'achever son
ouvrage. Enfin, Monseigneur, je n’ajouterai plus rien à cette longue lettre que
de très-humbles prières, pour vous supplier de me continuer vos bonnes grâces et
votre charité, comme à celui qui est, etc.
LETTRE CLIV.
BOSSUET A MONSIEUR DE RANCÉ ABBE DE LA TRAPPE. A Paris, ce 14 septembre 1686.
Toute la compagnie, Monsieur,
arriva mercredi à Versailles, en bonne santé. La première chose que j'y appris
fut la promotion, et pouvez juger de la joie que j'ai de celle de notre ami
382
M. de Grenoble. Je trouvai ses frères qui venaient faire de
sa part au Roi un compliment de soumission, qui fut bien reçu; et ils lui ont
dépêché un courrier, pour lui dire que Sa Majesté agréait qu'il acceptât le
bonnet. J'ai appris que certaines gens n'ont pu tout à fait dissimuler leur
mécontentement. Quelques-uns croient que le nouveau cardinal viendra ici : pour
moi je le souhaite par rapport à ma satisfaction: du reste hors qu'on ne le
mande, à quoi je vois peu de disposition, ou qu'il n'y ait quelque raison que je
ne sais pas, je crois qu'il doit demeurer, et qu'il le fera ainsi, attendant que
les occasions de servir l'Eglise lui viennent naturellement.
Je vous prie de vouloir bien
dire à M. de Saint-Louis que je n’ai pas manque de dire à M. de Louvois l'état
où je l'ai trouvé à la Trappe, et combien il était touché de ses bontés. Cela a
été bien reçu : je n'ai pas cru devoir en dire davantage pour cette fois. Dans
le peu de temps que j'ai été à Versailles, je n'ai pas eu occasion de parler de
vous au Roi, et je n'ai pas rencontré MM. de Saint-Pouange. Mais je me charge de
bon cœur de la sollicitation de la pension dans le temps, dont je le prie de
m'avertir.
J'espère aller demain coucher à
Meaux, où j'apprendrai toujours avec joie des nouvelles de votre santé. Mais
surtout quand il y aura la moindre chose à faire pour votre service, vous ne
sauriez me faire un plus sensible plaisir que de m'en donner la commission. Je
suis à vous, Monsieur, comme vous savez, et je prie Dieu qu'il vous continue ses
bénédictions. M. Polisson a été fort touché de vos bontés; et M. le
contrôleur-général très-ravi d'apprendre la continuation de votre amitié et de
vos prières.
LETTRE CLXV.
BOSSUET A MONSIEUR L'ABBÉ NICAISE, CHANOINE DE LA SAINTE CHAPELLE DE DIJON. A
Germigny, ce 7 octobre 1686.
Vous m'avez fait grand plaisir.
Monsieur, de m'envoyer les louanges de Monseigneur le cardinal le Camus, et je
les ai trouvées
383
dignes de lui. Il y a beaucoup de bonne, latinité, et un
style fort coulant dans ces poésies, avec de beaux sentiments.
Je ne savais pas que l'auteur
des Idylles fût M. de Longepierre (a) de notre pays. Je promis beaucoup de part
à la globe qu'il peut attirera la patrie, et je souhaite seulement quo son coeur
ne se ramollisse pas on écrivant des choses si tendres.
Je n'ai rien vu encore de la
Bibliothèque historique (b), et je n'en verrai rien que je n'aie appris de
quelque homme judicieux, si la chose en vaut la peine; car on perd beaucoup de
temps en ces bagatelles.
Les écrits de M. Jurieu sont du
dernier emportement ; et il ne les faut voir que quand on y est forcé pour
défendre la cause de L'Eglise. Je suis avec toute l'estime possible, etc.
LETTRE CLXVI.
MILORD PERTH A BOSSUET. Au château de Drummond, ce 15 octobre 1686.
Dans ma dernière lettre je vous
rendis compte de la situation de nos affaires en ce pays, afin que le récit du
malheureux état où nous sommes, par la dureté d'un peuple opiniâtre, put vous
exciter à nous plaindre, et à nous recommander à Dieu dans vos prières.
Aujourd'hui je ne vous importunerai que de choses qui me regardent
personnellement.
Peut-être que déjà mon fils
s'est jeté à vos pieds pour vous demander votre bénédiction : c'est sur cela que
je me donne l'honneur
(a) Hilaire-Bernard de Requeleyne, seigneur de Longepierre,
secrétaire des commandements de M. le duc de Berri, et depuis gentilhomme
ordinaire de M. le duc d'Orléans. Il donna en 1684, 1686 et 1688, des remarques
sur Anacréon et sur Sapho, Bion, Moschus et sur les Idylles de Théocrite, avec
une traduction en vers de tous ces poètes. En 1690, il publia encore un recueil
du même genre : mais l’on s’assure que les sages réflexions qu’il fit dans la
suite le portèrent à désirer de pouvoir anéantir toutes ses traductions, dont
Bossuet fait assez sentir ici le danger. M. de Longepierre mourut le 30 mars
1721.
(b) Jean Le Clerc, protestant, commença ce journal en 1686,
et le finit en 1693. Il a été imprimé à Amsterdam, et forme vingt-cinq volumes,
sans la table qui fait le vingt-sixième. Le Clerc a repris dans la suite ce
journal sous d’autres titres.
384
de vous écrire, afin de vous prier de l'honorer de voire
protection, et de prier Dieu que la grâce qu'il lui a faite de le faire
catholique soit augmentée en lui de plus en plus, et qu'il en retire tout
l'avantage possible. C'est une grâce dont il est redevable à vos écrits ; car il
est vraisemblable que si je ne les avais pas vus. il ne serait pas ce qu'il est.
J'avoue que j'abuse avec trop de liberté des bontés que vous me témoignez: mais
j'espère que vous pardonnerez à celui qui regarde comme son plus grand bonheur
de se pouvoir considérer comme votre fils, et dont le respect et la vénération
pour vous ne se peut exprimer. Mou frère, milord Melford, vous honore aussi
très-parfaitement; Je ne puis m'empêcher de vous dire encore, qu'il va quelque
chose de tout à fait singulier dans l'affection et le respect avec lequel je
suis, etc.
Je vous demande très-humblement
votre bénédiction.
LETTRE CLXVII.
MILORD PERTH A BOSSUET, Edimbourg, ce 16 novembre 1682.
Si je pouvais vous exprimer ma
reconnaissance pour tant de bontés que vous avez témoignées à mon fils, je me
hasarderais de l'aller faire moi-même, nonobstant tous les périls imaginables
auxquels il faudrait m'exposer: car je ne croirais pas en pouvoir trop faire
pour vous donner des preuves convaincantes de nui reconnaissance Mais je vous
suis redevable de tant de choses, et je sais si peu comment m'acquitter, que les
paroles me manquent sur ce sujet. Je me dois moi-même à votre charité, qui vous
a excité à donner au public un livre de controverse le plus instructif qui ait
paru en ce siècle, et dans lequel les vérités divines sont expliquées avec tant
de netteté , et les erreurs des ennemis de l'Eglise si bien représentées selon
leur difformité naturelle, avec, leurs terribles conséquences, qu'au lieu de
s'étonner du grand nombre de conversions que cet excellent traité a produites,
je m'étonne qu'il n'en l'ait pas encore davantage. Je regarde comme
385
pour moi seul le bien que vous avez fait au public par cet
ouvrage, et je mets comme à un second rang toutes les autres choses qu'on en
peut dire. En cela vous ne pouviez m'avoir en vue plutôt que tous les autres,
qui sont assez malheureux que d'être hors du sein de l'Eglise. Mais les
obligations particulières que je vous ai depuis ma conversion me font voir que,
non-seulement vous pensez à moi, mais que vous prenez de ma personne un soin qui
est fort au-dessus de mon peu de mérite. Mais si mon extrême reconnaissance des
obligations que je vous ai pouvait m'en acquitter au moins en partie, et si des
prières pour mon généreux bienfaiteur et des vœux pour lui souhaiter une longue
et heureuse vie pouvaient avoir quelque proportion à mes obligations, j'oserais
dire que j'ai fait sur ce sujet tout ce que je suis capable de faire.
Il était de mon devoir de
commander à mon fils d'aller se jeter à vos pieds, pour vous témoigner mon
extrême reconnaissance de la plus grande obligation qu'on puisse avoir, et qui
lui est commune et à toute ma famille, qui est devenue présentement toute
catholique, ou qui est prête à le devenir, fort peu ayant résisté à la vocation
de Dieu qui a paru si clairement en ma conversion , et pour vous prier d'avoir
pitié de ces tendres plantes qui se trouvent dans une terre si ingrate.
Je prétendais bien qu'il vous demandât vos prières et votre
bénédiction pour lui et pour nous : mais je ne prétendais pas vous demander
autre chose, sinon la bénédiction qu'il vous demandait, et que vous jetassiez
les yeux sur le fils de celui qui se fait un grand honneur d'être le vôtre, et
qui s'estime très-heureux et ressent tous les jours une nouvelle joie d'avoir
connu votre mérite par vos écrits, qui me paraissent tels que s'ils avoient été
dictés du ciel par un ange.
J’ai de la confusion que vous
ayez pris tant de peine à l'occasion de mon fils, ou qu'il ait paru devant vous
autrement que pour vous demander votre bénédiction. Un enfant élevé au collège
de la campagne et en Ecosse, ne méritait pas que vous lui témoignassiez tant de
considération : mais votre bonté vous a fait passer par-dessus toutes les
raisons qui le rendaient indigne
386
de tant de faveurs et de tant de marques de bonté. Il est
fils d'un homme qui vous honore parfaitement; il est catholique par votre moyen,
aussi bien que le reste de ma famille ; il est étranger au pays où il est : ce
sont les raisons qui lui ont attiré les marques de votre amitié. La récompense
des actions dont la charité est le principe doit venir du ciel, de même que la
charité qui les produit. Ainsi tout ce que nous pouvons faire pour y répondre
est de tourner les yeux vers le ciel, afin d'obtenir qu'elle vous soit accordée.
J'ai commencé à chercher
quelques mémoires sur ce qui concerne l'origine et le progrès de l'hérésie en ce
royaume, pour vous les envoyer. Mais les protestants ont pris de grandes
précautions, pour empêcher que la postérité ne put être informée des ressorts
secrets qui ont fait mouvoir la maudite machine par laquelle la religion a été
renversée dans ce, pays, qui était autrefois appelé le pays des saints ;
et par laquelle ce royaume autrefois si heureux, est devenu le théâtre de tant
d'horribles tragédies, et une maison pleine de fous, où chacun prétend être seul
inspiré pour l'instruction des autres, où personne ne veut entendre ni la raison
ni la vérité, mais où Ton a seulement grand soin de nous tenir dans l'ignorance
des moyens qu'on a mis eu usage, pour perdre la postérité. Ainsi à l'exception
de Spotsuood, archévêque de Saint-André, qui nonobstant sa dignité de primat a
écrit comme un prédicateur fanatique qui ne mérite aucune créance, nous n'avons
aucune bonne histoire de ces affaires. Plusieurs personnes néanmoins m'ont
promis des mémoires sur ce sujet; et si je puis avoir des informations
authentiques, je ne manquerai pas de vous les envoyer par celui qui me sert
d'interprète. Je vous écrirais plus souvent, si je ne craignais de vous être
importun : ainsi je ne vous le serai pas davantage, si ce n'est pour
vous-demander votre bénédiction paternelle ; et pour cela je me jette à vos
pieds, comme étant, etc.
387
LETTRE CLXVIII.
MILORD PERTH A BOSSUET. Edimbourg, ce 15 janvier I6S7.
Les obligations que je vous ai
sont, il y a déjà longtemps, au delà de tout ce que je pourrais faire pour vous
donner des preuves de ma reconnaissance, et du désir que j'aurais de vous la
témoigner. Mais puisque c'est pour l'amour de Dieu que vous continuez à me
donner de nouvelles marques de votre charité et de votre tendresse, je prie tous
les jours sa divine bonté de vous en récompense:' mille fois au delà de ce que
je pourrais faire pour vous témoigner combien je suis reconnaissant. Celui qui
par sa miséricorde envers moi vous a inspiré pour moi une tendresse paternelle,
peut seul donner la récompense de tout ce qu'il excite à faire pour lui ; et
j'espère avec une entière confiance qu'il le fera, non-seulement pour les
offices de charité dont vous nous comblez tous les jours moi et mon fils, mais
encore plus pour les avantages que sa sainte Eglise reçoit tous les jours de
votre savante, pieuse, judicieuse et éloquente plume.
J'ai fait tout nouvellement
imprimer ici votre livre, de l’Exposition de la Foi et votre Lettre
pastorale. J'espère avoir tous les jours de quoi vous entretenir sur les
bons effets de cette publication. Je souhaite que le premier de ces deux
ouvrages ait ici le même effet sur les autres qu'il a eu sur moi. Je remercie
Dieu tous les jours de ce qu'il est tombé entre mes mains, d'autant plus qu'il
est fort remarquable que ce fut un ministre qui me l’envoya, comme un livre plus
propre à satisfaire la curiosité qu’à déterminer le jugement en matière de
religion. Mais lorsque les hommes ne songent qu'à leur divertissement, Dieu
Tout-Puissant le change quelquefois en quelque chose de plus sérieux : et saint
Augustin n'ayant d'autre dessein que d'écouter avec plaisir l’éloquence de saint
Ambroise, remporta la semence des scrupules qu’il jeta dans son cœur, et qui par
un miracle étant venus à maturité, produisirent le fruit d'une parfaite
conversion.
388
Mon frère Melford vous est
infiniment obligé de la bonté que vous avez pour lui, et de l'espérance que vous
témoignez qu'il continuera aussi bien qu'il a commencé. Je suis obligé d'avouer
que si j'avais à proportion autant de bonnes qualités que lui, j'espérerais avec
la grâce de Dieu faire ici quelques progrès : non-seulement j'en suis fort
éloigné, mais encore je suis honteux de me trouver comme le fou dont parle
Salomon, à qui on a mis entre les mains quelque chose de grand prix, dont je ne
sais pas paire tout l'usage que je pourrais. Que ne feraient pas quelques
personnes dans le poste où je suis? Mais hélas ! quand je considère ce que je
dois à Dieu, à ma patrie engagée clans l'erreur, au service du Roi et à cette
sainte société de laquelle je suis, quoique le dernier, et aux catholiques de ce
pays-ci, je ressens une extrême confusion : si peu de zèle, si peu de forces, si
peu de secours, tant d'oppositions et si peu de gens qui m'assistent, sont des
considérations qui ne me donnent guère de consolation.
Les catholiques qui sont ici,
peuvent dire avec, saint Paul qu'ils sont exposés comme en spectacle. Ils sont
en petit nombre; et leurs saintes maximes sont si peu connues, qu'on regarde
comme des monstres ceux qui tiennent de semblables maximes. Ils ne s'accordent
pas même fort bien ensemble, faute de s'appuyer l'un l'autre ; et nous avons
assez de peine à nous maintenir tous dans une parfaite union. Les uns veulent
être de saint Paul, et les autres d'Apollo. Nous en avons peu qui aient assez
renoncé à eux-mêmes, pour remercier Dieu de, ce que personne n'a aucun juste
sujet de se servir de son nom, pour couvrir son attachement à ce qui passe pour
une espèce de faction.
Le Roi a invité les bénédictins
et les capucins de venir ici travailler dans la vigne de Notre-Seigneur, dont ce
pays est au moins un petit coin, mais qui est bien rempli de ronces et de
mauvaises herbes. Les jésuites y sont presque en aussi grand nombre que les
ecclésiastiques y étaient auparavant : ainsi les gens d'église y seront en fort
grand nombre. Mais comme ils font chacun un corps séparé et qu'ils ne prennent
point de mesure ensemble, cela pourra produire une manière de procéder qui
n'aura pas le même effet que si tous agissaient de concert, afin
389
d'éviter le, bruit et les méprises. Cependant chacun de ces
corps en particulier a plus d'avantage que le clergé, parce qu'ils se réunissent
tous sous leurs supérieurs : au lieu que le clergé n'a point de chef, si ce
n'est un fort homme de bien, qui s'étant malheureusement engagé dans la conduite
des affaires temporelles du duc de Gourdon, il est, ce semble, trop tard pour
espérer qu'il puisse se dégager d'un tel labyrinthe. C'est pourquoi, mon
très-illustre et très-charitable Seigneur, permettez-moi d'avoir recours à vous
pour vous demander votre avis par charité et pour l'amour de Jésus-Christ, afin
que nous puissions ensuite avoir recours au Roi, pour apporter les remèdes
nécessaires au mal sous le poids duquel nous gémissons présentement.
J'ai déjà prié les missionnaires
qui sont ici, tant les ecclésias. tiques séculiers que les jésuites, de venir
diner avec moi tous les samedis, qui est le seul jour de la semaine auquel j'ai
quelque loisir, les autres étant employés aux affaires. J'y ai destiné ce jour,
parce que je crois que cela pourra être de quelque utilité. Après le diner, nous
lisons ensemble les nouvelles que nous recevons de tous les coins de ce royaume.
Us sont demeurés d'accord que je proposerais la méthode que nous devions tenir
dans notre assemblée. D'abord nous avons proposé les moyens d'établir des
ecclésiastiques dans les lieux où il y a d'anciens catholiques, et de choisir
ceux qui sont les plus capables d'avancer l'Evangile de Jésus-Christ. Je me suis
chargé de procurer de petites pensions pour les familles qui ne pourraient pas
entretenir des ecclésiastiques sans cette assistance, et de cette manière les
choses pourront devenir en meilleur état que par le passé. Ensuite nous avons
songé aux moyens d'établir des ecclésiastiques dans les lieux où il n'y en a
point, faisant en sorte que quelques personnes par principe de conscience ou par
intérêt protègent ceux qu'on y pourrait établir, et d'expérimenter ainsi le
succès que Dieu voudrait donner à leurs travaux.
J’ai ensuite demandé qu'on
écrivit à tous les ecclésiastiques dispersés dans le royaume, afin qu'ils
m'envoient des listes de tous les catholiques qui sont dans les lieux de leur
établissement, et qui seraient capables de servir Sa Majesté dans les Cours de
justice,
390
ou dans le commandement des troupes, comme aussi de tous
ceux qui sont pauvres, afin que Sa Majesté puisse pourvoir à leurs besoins. J'ai
ensuite voulu m'informer dans toutes les provinces de ce royaume, combien on
trouve de ministres convaincus de la vérité de la religion catholique, et qui ne
demeurent attachés à la protestante que pour conserver leurs appointements, afin
qu'on put les instruire de la méthode dont ils pourraient se servir dans leurs
sermons pour tâcher de préparer les peuples à leur conversion.
Enfin j'ai prié ces
ecclésiastiques que s'il arrivait par méprise quelque inconvénient, ils me
fissent l'honneur de me consulter, s'ils m'en jugeaient capable, comme un homme
plus versé dans les affaires du monde qu'ils ne pouvaient l'être : qu'ainsi
j'espérais avec le secours de Dieu trouver moyen d'accommoder toutes les
affaires qui pourraient survenir entre des hommes si pieux et si raisonnables,
avant qu'elles fissent du bruit dans le monde. De cette manière, tout indigne et
incapable que je sois, je me trouve chargé d'un assez grand ouvrage.
Je vous expose toutes ces
choses, Monseigneur, afin que, comme un médecin , quoique savant et habile, ne
peut donner des remèdes convenables sans être pleinement informé de la
constitution de son malade et des symptômes de sa maladie, vous soyez informé de
l'état des choses, pour pouvoir proposer ce que vous jugerez le plus convenable
à l'avancement de notre sainte religion en ce pays-ci, par rapport à notre état
et aux circonstances présentes. Si vous le jugez à propos, vous m'enverrez vos
avis tournés en telle manière que je puisse mettre entre les mains du Roi mon
maître ce que vous m'écrirez.
Vous voyez, mon très-révérend
Seigneur, la liberté que je prends. Mais depuis que Notre-Seigneur vous a fait
l'instrument de ma conversion, j'ai considéré que la qualité de fils me donnait
une liberté à laquelle je n'aurais pas osé autrement prétendre auprès de vous :
outre que la matière est très-importante, et que je ne vous demande votre
secours qu'avec de très-humbles prières et pour l'amour de Notre-Seigneur: ainsi
j'espère que vous me pardonnerez.
391
La bonté que vous témoignez à
mon pauvre enfant est une obligation qui pénètre la partie la plus sensible de
mon cœur. S'il s'en rend digne, il accomplira tous les souhaits que je fais pour
lui. Il a beaucoup de périls et de pièges à éviter, étant justement dans le
temps le plus dangereux de sa vie. Votre charité, votre bénédiction et vos
prières seront de forts liens pour le tenir dans le devoir. La plus grande
charité que vous lui puissiez faire, c'est d'exercer sur lui votre autorité
paternelle, comme vous l'avez toute entière sur le père. J'espère qu'il se
souviendra de ce que le Roi eut la bonté de lui dire à son départ. Je souhaite
qu'il le puisse faire, d'autant plus que j'apprends que M. Vallace fait de son
côté ce que Sa Majesté lui a dit : il en aura tout le bonheur, et moi toute la
joie. Je vous avoue que je tremble pour cet enfant, quoique ce ne soit pas pour
sa conservation, puisque, la vie du monde ne dure qu'un moment, mais c'est pour
son âme. Que je m'estimerais heureux, s'il savait tout le prix de son innocence,
et ce que c'est que d'être en grâce avec Dieu ! Mais sa divine puissance suffit
à toutes choses.
J'ai bien de la joie de ce que
vous approuvez le choix que j'ai fait, en le mettant entre les mains de M.
Innés. J'ose dire que si vous pénétriez au fond du cœur de ce digne
ecclésiastique, vous l'approuveriez encore davantage : car il a une piété solide
sans affectation, et un si grand zèle pour la gloire de Dieu, que j'ai passé
quelquefois cinq heures entières avec lui sans croire presque que la
conversation eût duré un quart d'heure. Mais il est accablé des affaires de son
collège, qui se trouve fort incommodé par les dernières réparations de la rue,
qui en ont fort diminué les rentes et l'ont presque entièrement détruit. Si par
votre grand crédit vous pouvez procurer à cette pauvre maison quelque grâce du
Roi, qui a secouru avec tant de générosité et de bonté nos jésuites écossais de
Douay, ce sera une grande œuvre de charité, et un moyen de fournir à ce pays un
secours de missionnaires prêts à tout événement. Je vous demande très-humblement
pardon, Monseigneur, de vous avoir fait ma lettre si longue: je la prolongerai
seulement encore pour vous demander, prosterné à vos pieds, votre bénédiction,
étant, etc.
392
LETTRE CLXIX.
BOSSUET A M. L'EVÊQUE DE SAINTES (a). A Versailles, le 26 février 1687.
PREMIÈRE proposition. Si nous
pouvons consentir qu'on amène par force aux mystères, c'est-à-dire à la messe,
des gens qui disent tout haut qu'ils ne la croient pas.
Réponse. Je crois comme vous
qu'avec une telle déclaration il faudrait plutôt les chasser de l'Eglise que les
y faire venir : mais quand ils ne disent mot, et qu'ils sont contraints d'y
venir par une espèce de police générale pour empêcher le scandale des peuples,
encore qu'on présume et même qu'on sache d'ailleurs qu'ils n'ont pas la bonne
croyance, on peut dissimuler par prudence ce qu'on en sait, tant pour éviter le
scandale que pour les accoutumer peu à peu à faire comme nous.
IIe Proposition. Si on peut
donner les sacrements à ceux qui, ayant toujours dit qu'ils ne croient rien de
la religion catholique, veulent bien pourtant se confesser, mais non communier
près de la mort, pour éviter les peines de l'ordonnance, ne répondant jamais sur
leur foi que par équivoque.
Réponse. Il est certain déjà
qu'on ne leur peut pas donner l'absolution dont ils sont incapables : pour la
communion, on suppose qu'ils ne la demandent pas ; reste donc à examiner pour
l'Extrême-onction. Je réponds que s'il paroît qu'ils l'ont demandée et que
depuis ils n'aient rien fait de contraire, s'ils viennent à perdre la
connaissance, on ne leur peut refuser ce sacrement. La raison est que ce serait
déclarer l'incapacité qu'on a reconnue par la confession; ce qui n'est pas
permis. Que si étant en pleine connaissance, ils refusent la communion, ce refus
doit être réputé un acte contraire à la demande de l'Extrême-onction, puisque
c'est une marque certaine d'incrédulité. On pourrait douter si la confession
faite par un homme qui déclare à son confesseur qu'il ne
(a) Bossuet répond, dans cette lettre, à plusieurs
questions que lui avait adressées l'évêque de Saintes.
393
croit pas la religion catholique . oblige au secret,
puisqu'en effet c'est plutôt une moquerie qu'une confession. Mais premièrement,
un homme pourrait se confesser en cette manière: Je, voudrais bien pouvoir
croire, mais je n'en puis venir à bout, et je m'accuse de cette faiblesse.
Secondement, quoiqu'il soit vrai qu'un incrédule qui ne veut jamais s'expliquer
que par équivoque, et qui dans la confession vous déclare qu'il ne peut ni ne
vent croire, en effet ne fait pas une confession, et qu'au fond on ne lui doive
aucun secret : néanmoins il faut agir avec, beaucoup de prudence, et respecter
en quelque sorte même l'apparence de la confession, pour ne point rendre un
sacrement si nécessaire, odieux aux infirmes.
Quant à ceux qui veulent bien
recevoir l'Extrême-Onction avec connaissance, et ne veulent pas s'expliquer
précisément sur la foi, on ne peut point la leur administrer sans participer à
leur sacrilège.
IIIe et IVe Proposition. Si l'on
peut recevoir parrains et marraines ceux qui ont ces sentiments, et qui ne les
dissimulent pas, ou qui répondent avec, équivoque ; et si on peut les recevoir à
se marier.
Réponse. Je ne les reçois ni à
l'un ni à l'autre dans mon diocèse : car on ne peut recevoir parrains et
marraines que. ceux qui seront capables d'instruire l'enfant dans les sentiments
de l'Eglise ; et le Rituel même prescrit qu'on leur fasse faire profession de la
foi catholique : et pour le mariage, ils sont trop certainement en mauvais état
pour être capables de recevoir ce sacrement.
Ve Proposition. S'ils se
fiancent, et après cela habitent ensemble sans la bénédiction nuptiale, est-il à
propos de procéder contre eux par censure?
Réponse. Il n'y a nul doute en
ce cas, qu'il faut procéder par censure, implorer le secours du magistrat comme
contre un scandale public.
VIe Proposition. Pour les
sépultures : on donne l'Extrême-Onction, et on enterre en terre sainte ceux qui
ont toujours parlé comme protestants, et n'ont fait aucun acte de catholique,
pourvu
394
qu'à l'extrémité ils aient appelé un prêtre; ce qu'on sait
qu'ils font par intérêt, dans la crainte des peines de l'ordonnance : cela
est-il canonique?
Réponse. La règle que je donne
dans mon diocèse à l'égard de la sépulture en terre sainte, est de la donner ou
de la refuser aux nouveaux catholiques dans le même cas qu'aux anciens. Si
l'ancien catholique n'a pas satisfait au devoir pascal, et qu'il soit surpris de
la mort sans avoir fait aucun acte, je lui fais refuser la terre sainte : de
même au nouveau catholique, quoiqu'en ce cas il n'encoure point la peine de
l'ordonnance, et qu'il n'y ait à s'adresser au magistrat que pour éviter les
inconvénients d'avoir recelé sa mort. Que si on rapporte que l'ancien
catholique, a demandé un prêtre, je présume fort facilement pour le mort : et
j'en lai autant pour le nouveau catholique, quelque présomption que j'aie au
contraire, parce que la présomption de la pénitence étant la plus favorable,
c'est celle qu'on doit suivre.
En général, j'évite autant que
je puis de donner occasion à la justice de sévir contre le mort, parce que je ne
vois pas que ce supplice fasse un bon effet. Il me paraît au reste,
non-seulement que c'est la raison que les évêques se rendent maîtres de toutes
ces choses, mais encore que c'est assez la disposition de la Cour.
LETTRE CLXX.
BOSSUET A M. DE RANCÉ, ABBÉ DE LA TRAPPE. A Meaux, ce 6 avril 1687.
Celui qui vous rendra cette
lettre, Monsieur, est le chantre de mon église, nommé M. de Vitry. C'est un des
meilleurs sujets de tout ce clergé, et peut-être un des meilleurs prêtres qu'on
puisse connaître. Il désire avec passion de communiquer avec vous, et il a même
des desseins de retraite, où je neutre pas; car je suis persuadé que de bous
prêtres comme lui ne sauraient mieux faire qui- de servir dans la milice
cléricale, et de mourir sur la brèche. Il s expliquera davantage à vous, si vous
lui faites la grâce de l'entendre, comme je vous en supplie. J'aurai une
singulière
395
consolation qu'il vous rapporte ici dans son cœur et dans
ses discours, en attendant que j'aille vous voir ; ce qui sera, s'il plaît à
Dieu, de meilleure heure que l'année passée et plus longtemps. C'est une des
joies de ma vie, et personne assurément, Monsieur, n'est plus à vous que moi,
etc.
LETTRE CLXXI.
BOSSUET A UN DISCIPLE DU P. MALEBRANCHE. A Versailles, ce 21 mai 1687.
Je n'ai pu trouver que depuis
deux jours le loisir de lire le discours que vous m'avez envoyé avec votre
lettre du 30 mars (a). Je suis bien aise de peser ces choses avec une liberté
toute entière, et sans être distrait par d'autres pensées : et si jamais j'ai
apporté du soin à la compréhension d'un ouvrage, c'est de celui-là. Car comme
vous autres Messieurs, lorsqu'on vous presse, n'avez rien tant à la bouche que
cette réponse : On ne nous entend pas (b), j'ai fait le dernier effort pour voir
si enfin je pourrai venir à bout de vous entendre. Je suis donc très-persuadé
que je vous entends autant que vous êtes intelligible; et je vous dirai
ingénument que je n'ai pas trouvé dans votre discours ce que vous nous
promettiez autrefois à Monceaux et à Germigny, c'est-à-dire un dénouement aux
difficultés qu'on vous faisait. Vous nous dites alors des choses que vous vous
engagiez de faire avouer à votre docteur : et moi je vous donnai parole aussi
que s'il en convenait, i1' serais content de lui. Mais il n'y a rien de tout
cela dans votre discours: ce n'est au contraire qu'une répétition , pompeuse à
la vérité et éblouissante, mais enfin une pure répétition de toutes les choses
que j'ai toujours rejetées dans ce nouveau système; en sorte que plus je me
souviens d'être chrétien, plus je me sens éloigné dos idées qu'il nous présente.
Et afin de ne vous rien cacher,
puisque je vous aime trop pour ne vous pus dire tout ce que je pense, je ne
remarque en vous autre chose qu'un attachement, tous les jours de plus en plus
(a) Cette lettre nous manque. — (b) C'est la réponse
perpétuelle de tous les soi-disants philosophiques et des hérétiques.
396
aveugle, pour votre patriarche : car toutes les
propositions que je vous ai vu rejeter cent fois quand je vous en ai découvert
l'absurdité, je vois que par un seul mot de cet infaillible docteur vous les
rétablissez en honneur. Tout vous plaît de cet homme, jusqu'à son explication de
la manière dont Dieu est auteur de l'action du libre arbitre comme de tous les
autres modes, quoique je ne me souvienne pas d'avoir jamais lu aucun exemple
d'un plus parfait galimatias. Pour l'amour de votre maître, vous donnez tout au
travers du beau dénouement qu'il a trouvé aux miracles dans la volonté des
anges; et vous n'en voulez pas seulement apercevoir le ridicule. Enfin vous
recevez à bras ouverts toutes ses nouvelles inventions. C'est assez qu'il se
vante d'avoir le premier pensé la manière d'expliquer le déluge de Noé par la
suite des causes naturelles ; vous l'embrassez aussitôt sans faire réflexion
qu'à la (in elle vous conduirait à trouver dans les mêmes causes et le passage
de la mer Rouge, et la terre entr'ouverte sous les pieds de Coré, et le soleil
arrêté par Josué, et toutes les merveilles de cette nature. Car si, par les
causes naturelles, on veut entendre cette suite d'effets qui arrive par la force
des premières lois du mouvement et du choc, des corps, je ne vois pas comment le
déluge y pourra plutôt cadrer que ces autres prodiges : et s'il ne faut que
mettre des anges à la volonté desquels Dieu se détermine à les faire, par cette
voie, quand il me plaira, je rendrai tout naturel, jusqu'à la résurrection des
morts et à la guérison des aveugles-nés.
Je vous vois donc, mon cher
Monsieur, tout livré à votre maître, tout enivré de ses pensées, tout ébloui de
ses belles expressions. Vous citez perpétuellement l'Ecriture, et les simples
pieux seront pris par là, sans considérer seulement que de tous les passages que
vous produisez, il n'y en a pas un seul qui touche la question. Il en est de
même des passages de saint Augustin. Pour entrer en preuve sur cela, il faudrait
faire un volume: c'est pourquoi, en deux mots, je vous dirai que si vous voulez
travailler utilement à réconcilier mes sentiments avec ceux du P. Malebranche,
il me paraît nécessaire de procurer quelques entrevues aussi sincères de sa part
qu'elles le seront de la mienne, où nous
397
puissions voir une bonne fois si nous nous entendons les
uns les autres. S'il veut du secret dans cet entretien, je le promets : s'il y
veut des témoins, j'y consens ; et je souhaite que vous en soyez un. S'il se
défie de ne pouvoir pas satisfaire d'abord à mes doutes, il pourra prendre tout
le loisir qu'il voudra : et comme je ne cherche qu'un véritable éclaircissement
qui me persuade qu'il a plus de raison que je n'ai pensé, et qu'il ne s'écarte
pas autant que je l'ai cru de la saine théologie, j'aiderai moi-même à ce
dessein. Cela est de la dernière conséquence : car pour ne vous rien dissimuler,
je vois non-seulement en ce point de la nature et de la grâce, mais encore en
beaucoup d'autres articles très-importants de la religion, un grand combat se
préparer contre l'Eglise sous le nom de la philosophie cartésienne. Je vois
naître de son sein et de ses principes, à mon avis mal entendus, plus d'une
hérésie; et je prévois que les conséquences qu'on en tire contre les dogmes que
nos pères ont tenus, la vont rendre odieuse, et feront perdre à l'Eglise tout le
fruit qu'elle en pouvait espérer pour établir dans l'esprit des philosophes la
divinité et l'immortalité de l'âme.
De ces mêmes principes mal
entendus, un autre inconvénient terrible gagne sensiblement les esprits. Car
sous prétexte qu'il ne faut admettre que ce qu'on entend clairement, ce qui
réduit à certaines bornes est très-véritable, chacun se donne la liberté de dire
: J'entends ceci, et je n'entends pas cela; et sur ce seul fondement on approuve
et on rejette tout ce qu'on veut, sans songer qu'outre nos idées claires et
distinctes, il y en a de confuses et de générales qui ne laissent pas d'enfermer
des vérités si essentielles, qu'on renverserait tout en les niant. Il
s'introduit, sous ce prétexte, une liberté de, juger qui fait que sans égard à
la tradition on avance témérairement tout ce qu'on pense ; et jamais cet excès
n'a paru, à mon avis, davantage que dans le nouveau système : car j'y trouve à
la fois les inconvénients de toutes les sectes, et en particulier ceux du
pélagianisme. Vous détruisez également Mollira et les thomistes; à certains
égards je l'avoue : mais comme vous ne dites rien qu'on puisse mettre à la
place, vous ne faites que payer le monde de belles paroles. Vous poussez si loin
ce que
398
vous avez pris de Molina, que lui-même n'aurait jamais osé
aller si avant, et que ses disciples vous rejetteront autant que les autres, si
en se, donnant un jour le loisir de pénétrer le fond de votre doctrine, ils
viennent à s'apercevoir que vous les avez vainement flattés. Enfin je ne trouve
rien clans votre système qui ne me rebute: tout m'y paraît dangereux, même
jusqu'à ces belles maximes que vous y étalez d'abord, parce que vous les
proposez d'une manière si vague, que non-seulement on n'y peut trouver aucun
sens précis, mais encore qu'on en peut tirer le mal plutôt que le bien.
Je ne demande pas que vous m'en
croyiez sur ma parole : mais si vous aimez la paix de l'Eglise, procurez
l'explication de vive voix que je vous propose, et menez-la à sa fin. Tant que
le P. Malebranche n'écoutera que des flatteurs, ou des gens qui faute d'avoir
pénétré le fond de la théologie, n'auront que des adorations pour ses belles
expressions, il n'y aura point de remède au mal que je prévois, et je ne serai
point en repos contre l'hérésie que je vois naître par votre système. Ces mots
vous étonneront; mais je ne les dis pas en l'air. Je parle sous les yeux de Dieu
et dans la vue de son jugement redoutable, comme un évêque qui doit veiller à la
conservation de la foi. Le mal gagne : à la vérité je ne m'aperçois pas que les
théologiens se déclarent en votre faveur ; au contraire ils s'élèvent tous
contre vous. Mais vous apprenez aux laïques à les mépriser : un grand nombre de
jeunes gens se laissent flatter à vos nouveautés. En un mot, ou je me trompe
bien fort, ou je vois un grand parti se former contre l'Eglise ; et il éclatera
en son temps, si de bonne heure on ne cherche à s'entendre avant qu'on s'engage
tout à fait.
Le succès dont vous paraissez si
satisfait dans votre discours, me fait peur. Car lorsqu'on a du succès en
matière de théologie par l'exposition de la commune doctrine de l'Eglise, on a
sujet de louer Dieu de la bénédiction qu'il donne aux travaux qu'il nous
inspire. Mais lorsqu'on s'éloigne des sentiments de l'Eglise et de la théologie
qu'on y a trouvée universellement reçue, le succès ne peut venir que de l'appât
de la nouveauté, et toute âme chrétienne «m doit trembler : c'est le succès
qu'ont eu les
399
hérétiques. Comme vous, ils se sont donné un air de piété ,
en nommant beaucoup Jésus-Christ et en se parant de son Ecriture. Comme vous,
ils se sont souvent vantés de proposer des moyens de ramener les errants à la
foi de l'Eglise. Mais il faut songer à cette parole : « Tous ceux qui
m'appellent Seigneur, Seigneur, n'entreront pas pour cela dans le royaume de,
Dieu (1) . » Citer souvent l'Ecriture et n'en alléguer que ce qui ne sert de
rien à la matière, c'est encore un des artifices dont l'erreur se sert pour
attirer les pieux : et si vous ne convertissez les libertins et les hérétiques
qu'en les jetant dans d'autres sortes d'erreurs, on ne vous sera non plus obligé
qu'aux monothélites, lorsqu'ils se sont servis de leur erreur pour faciliter le
retour des eutychiens.
Tout cela est encore bien
général, je le confesse; mais aussi ne veux-je pas entrer dans le détail. Je
réserve ce détail à la conversation que je demande. Elle ne sera pas longue, si
on veut : quatre ou cinq réponses précises à quatre ou cinq questions que j'ai à
faire, me feront connaître si c'est avec fondement que je crains ce grand
scandale dont je vous ai parlé, ou si mes terreurs sont vaines. Si on a aussi
bonne intention que je le veux croire, on verra bientôt ce qu'il faudra dire
pour donner des bornes aux vaines curiosités et aux nouveautés dangereuses.
C'est à quoi je tends. Que si, sans jamais entrer dans le fond des inconvénients
de votre système, on se contente de nous dire toujours, comme on a fait
jusqu'ici : On ne nous entend pas, sachez, Monsieur, qu’il n'en faudra pas
davantage pour me confirmer dans mes craintes. Car ces hérétiques dont
j'appréhende tant qu'à la fin on n imite l'orgueil, comme déjà on en imite la
nouveauté, prétendaient aussi toujours qu'on ne les entendait pas : et c'était
une des preuves de leur erreur, de ce que les théologiens ecclésiastiques ne
pouvaient en effet jamais les entendre.
Ne croyez pas qu'en vous
comparant aux hérétiques, je vous veuille accuser d’en avoir l'indocilité, ni ce
qui les a enfin portés à la révolte contre l'Eglise ; à Dieu ne plaise : mais je
sais qu'on y arrive par degrés. On commence par la nouveauté ; on poursuit par
l’entêtement. Il est a craindre que la révolte ouverte n'arrive
1 Matth., VII, 21,
400
dans la suite, lorsque la matière développée attirera les
anathèmes de l'Eglise, et après peut-être qu'elle se sera tue longtemps , pour
ne pas donner de la réputation à l'erreur.
Voilà, Monsieur, vous parler
comme on fait à un ami : et afin de m’ouvrir à vous un peu plus en particulier,
je vous dirai que pour le peu d'expérience que vous avez dans la matière
théologique, vous me paraissez déjà de beaucoup trop décisif. Croyez-moi ,
Monsieur, pour savoir de la physique et de l'algèbre, et pour avoir même entendu
quelques vérités générales de la métaphysique, il ne s'ensuit pas pour cela
qu'on soit fort capable de prendre parti en matière de théologie : et afin de
vous faire voir combien vous vous prévenez, je vous prie seulement de considérer
ce que vous croyez qui vous favorise dans mon Discours sur l'Histoire
universelle. Il m'est aisé de vous montrer que les principes sur lesquels je
raisonne, sont directement opposés à ceux de votre système. Si de secondes
réflexions vous le font ainsi apercevoir, vous m'aurez épargné le travail d'un
long discours : sinon, je veux bien pour l'amour de vous prendre la peine de
vous désabuser sur ce sujet, afin que vous ayez du moins cet exemple de ce que
peut la prévention sur votre esprit. Je ne vous en écrirai ici que ce mot :
qu'il y a bien de la différence à dire, comme je fais, que Dieu conduit chaque
chose à la fin qu'il s'est proposée par des voies suivies, et de dire qu'il se
contente de donner des lois générales, dont il résulte beaucoup de choses qui
n'entrent qu'indirectement dans ses desseins. Et puisque, très-attaché que je
suis à trouver tout lié dans l'œuvre de Dieu , vous voyez au contraire que je
m'éloigne de vos idées des lois générales, de la manière dont vous les prenez :
comprenez du moins une fois le peu de rapport qu'il y a entre ces deux choses.
Sauvez-moi par une profonde et sérieuse réflexion la peine de m'expliquer ici
davantage; et surtout ne croyez pas que je ne mette pas en Dieu des lois
générales et un ouvrage suivi, sous prétexte que je ne puis me contenter de vos
lois plutôt vagues que générales, et plutôt incertaines et hasardeuses que
véritablement fécondes (a).
(a) Bossuet voulant d'abord entrer un peu plus avant dans
la matière, avait ajouté à sou manuscrit, dans sa copie, les paroles suivantes,
qu'il a ensuite
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Vous avez dû présentement
recevoir l’Oraison funèbre (a) par la voie de Pralard. Je vous prie de
m'en accuser la réception, afin que si on a manqué à mes ordres, j'y supplée.
Les Variations s'avancent, et vous en aurez des premiers. Mais si vous
aimez l'Eglise, venez procurer la conversation que je vous demande ; et donnez-y
de si bons ordres par vos amis, qu'elle se fasse. Il y aura de mon côté,
non-seulement toute l'honnêteté, mais encore toute la sincérité et toute la
sûreté qu'on y pourra désirer. Assurez-vous du moins que je parlerai nettement :
en sorte qu'on pourra bien n'être pas dans mon avis, mais qu'on ne dira point
qu'on ne m'entend pas.
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