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PROPRE DES SAINTS
Le mouvement de la fête de Pâques nous obligerait à faire
reparaître ici un grand nombre de fêtes des Saints que nous avons déjà données
dans le Temps de la Septuagésime, parce qu'elles peuvent, selon les années , appartenir au Carême. Mais il nous faut tendre à
restreindre les dimensions de cet ouvrage ; et les pages consacrées à ces fêtes
ne devant être que la répétition des notices déjà insérées au volume précédent,
nous reprendrons seulement dans celui-ci au neuf mars, pour nous arrêter, le
neuf avril, à la fête de sainte Marie Egyptienne, qui est la plus voisine du
dernier terme du Dimanche de la Passion.
Nous avons déjà remarqué que la
diminution des fêtes, sur cette partie du Cycle, est un des caractères du
Carême; c'est à nous d'entrer dans l'esprit de l'Eglise qui veut par ce moyen
développer
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en nous la sainte tristesse de la
pénitence, et qui cependant nous console souvent encore par le souvenir des
amis de Dieu, de leurs triomphes et de leur protection sur nous.
LE IX MARS. SAINTE FRANÇOISE, VEUVE ROMAINE.
La glorieuse série des fêtes qui viennent nous réjouir et
nous encourager, au milieu des sévères pratiques de la sainte Quarantaine, se
complète par l'admirable rigure de l'épouse
chrétienne, dans la personne de Françoise, la
pieuse dame romaine. Après avoir donné durant quarante ans l'exemple de toutes
les vertus dans l'union conjugale qu'elle avait contractée dès l'âge de douze
ans, Françoise alla chercher dans la retraite
le repos de son cœur éprouvé par de longues tribulations ; mais elle n'avait
pas attendu ce moment pour vivre au Seigneur. Durant toute sa vie, des œuvres
de la plus haute perfection l'avaient rendue l'objet des complaisances du ciel,
en môme temps que les douces qualités de son cœur lui assuraient la tendresse
et l'admiration de son époux et de ses enfants, des grands dont elle fut le
modèle, et des pauvres qu'elle servait avec amour. Pour récompenser cette vie
tout angélique, Dieu permit que l'Ange gardien de Françoise
se rendit presque constamment visible à elle, en même temps qu'il daigna
l'éclairer lui-même par les plus sublimes révélations. Mais ce qui doit
particulièrement nous frapper dans cette vie admirable, qui rappelle à tant
d'égards les traits de celle des deux grandes saintes Elisabeth de Hongrie et
Jeanne-Françoise de Chantai, c'est l'austère
pénitence que pratiqua constamment l'illustre servante de Dieu. L'innocence de sa vie ne la dispensa pas de
ces saintes rigueurs ; et le Seigneur voulut qu'un tel exemple fût donné aux
fidèles, afin qu'ils apprissent à ne pas murmurer contre l'obligation de la
pénitence, qui peut n'être pas aussi sévère en nous qu'elle le fut en sainte Françoise,
mais néanmoins doit être réelle, si nous voulons aborder avec confiance le Dieu
de justice, qui pardonne facilement à l'âme repentante, mais qui exige la
satisfaction.
La sainte Eglise consacre le
récit suivant à la vie, aux vertus et aux miracles de sainte Françoise.
Francisca, nobilis
matrona romana, ab ineunte œtate illustria dedit virtutum exempla : etenim pueriles ludos, et illecebras mundi respuens, solitudine, et oratione magnopere delectabatur. undecim annos naui. virginitatem suam Deo consecrare, et monasterium ingredi proposuit. Parentum tamen voluntati humiliter obtemperans, Laurentio de Pontianis juveni aeque diviti ac nobilinupsit.
In matrimonio arctioris
vitæ propositum, quantum licuit,
semper retinuit : a spectaculis,
conviviis, aliisque hujusmodi oblectamentis abhorrens, lanea ac vulgari veste utens, et quidquid a domesticis curis supererat temporis, orationi, aut proximorum utilitati tribuens, in id vero maxima sollicitudine incumbens, ut matronas romanas a pompis saeculi, et ornatus vanitate revocaret. Quapropter domum Oblatarum, sub Regula sancti
Benedicti, Congrégations Montis
Oliveti, adhuc viro alligata. in Urbe instituit. Viri exsilium, bonorum jacturam, ac universae domus mojrorem non modo constantissime toleravit, sed gratias agens
cum beato Job, illud frequenter usurpabat : Dominus dedit, Dominus abstulit : sit Nomen Domini
benedictum.
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Françoise, noble dame
romaine, donna dès les premières années de sa vie d'illustres exemples de
vertu. Elle méprisa les divertissements de l'enfance et les attraits du
monde, mettant toutes ses joies dans la solitude et dans la prière. A l'âge
de onze ans elle conçut le dessein de consacrer sa virginité à Dieu, et
d'entrer dans un monastère. Toutefois ayant cru, dans son humilité, devoir
obéir à la volonté de ses parents, elle épousa Laurent de Ponziani,
jeune homme riche et de grande naissance. Elle conserva toujours dans le
mariage, autant qu'il lui fut possible, le genre de vie austère qu'elle
s'était proposé, fuyant avec horreur les spectacles, les festins et les
autres divertissements semblables. Son habit était de laine et d'une grande
simplicité, et tout ce qui lui restait de temps après les soins domestiques,
elle l'employait à la prière et à l’assistance du prochain. Elle s'appliquait
avec un grand zèle à retirer les daines romaines des pompes du siècle, et à
les détourner des vaines parures. Ce fut ce qui la porta, du vivant de son
mari, à fonder dans Rome la maison des Oblates de la Congrégation du Mont-Olivet, sous la Règle de saint Benoit. Elle supporta
non seulement avec constance, mais avec action de grâces, l'exil de son mari,
la perte de ses biens, les malheurs de sa famille tout entière, disant
souvent avec le bienheureux Job : « Le Seigneur me l'a donné, le Seigneur me
l'a ôté : que le Nom du Seigneur soit béni. »
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Viro defuncto,
ad praedictam Oblatarum domum convolans, nudis pedibus, fune ad collum alligato, humi prostrata, multis cum lacrymis earum numero adscribi suppliciter postulavit. Voti compos facta, licet esset omnium mater, non alio tamen quam
ancillae, vilissimaeque feminæ, et immunditias vasculi titulo gloriabatur. Quam vilem sui existimationem et verbo declaravit, et exemplo. Sspe enim e suburbana vinea revertens, et lignorum fascem proprio capiti impositum deferens, vel eisdem onustum agens per Urbem
asellum,pauperibus
subveniebat, in quos etiam largas eleemosynas erogabat, aegrotantesque in xenodochiis visitans, non corporali tantum cibo, sed salutaribus monitis recreabat. Corpus suum vigiliis, jejuniis, cilicio, ferreo cingulo, crebrisque flagellis in servitutem redigere jugiter satagebat. Cibum illi semel
in die, herbæ et legumina
: aqua potum prœbuit. Hos tamen
corporis cruciatus aliquando confessarii mandato, a cujus ore nutuque
pendebat, modice temperavit.
Divina
mysteria, praesertim vero Christi Domini Passionem, tanto mentis ardore,
tantaque lacrymarum vi contemplabatur, ut præ doloris magnitudine pene
confici videretur. Sœpe etiam cum oraret, maxime sumpto sanctissimre Eucharistiæ
Sacramento, spiritu in Deum elevata, ac cœlestium contemplatione rapta,
immobilis permanebat. Quapropter humani generis hostis variis eam contumeliis
ac verberibus a proposito dimovere
conabatur: quem tamen illa imperterrita semper elusit, Angeli pnesertim
praesidio, cujus familiari consuetu-dine gloriosum de eo triumphum
reportavit. Gratia curationum,
et prophetiae dono enituit, quo et futura prœdixit, et cordium sécréta penetravit. Non semel aquae, vel per
rivum decurrentes, vel e cœlo labentes,
intactam prorsus, cum Deo
vacaret, reliquerunt. Modica panis fragmenta, quæ vix tribus sororibus reficiendis fuissent satis, sic ejus precibus Dominus muhiplicavit ,
ut quindecim inde exsaturatis,
tantum superfuerit, ut canistrum impleverit : et aliquando earumdem sororum extra Urbem mense januario ligna parantium, sitim recentis uvæ racemis exvite
in arbore pendentibus mirabiliter
obtentis, abunde expleverit. Denique meritis, et miraculis clara, migravit ad Dominum, anno cetatis suae quinquagesimo sexto ; quam
Paulus Quintus Pontifex Maximus in Sanctorum numerum retulit.
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Après la mort de son mari, elle courut à la maison des
Oblates, et là, les pieds nus, la corde au cou, prosternée contre terre, et
fondant en larmes, elle les supplia de vouloir bien la recevoir parmi elles.
Son désir lui ayant été accordé, bien qu'elle fut la mère de toutes, elle
mettait sa gloire à ne prendre d'autres titres que ceux de servante, de femme
de néant et de vase d'ignominie. Ses paroles et ses actions manifestaient ce
mépris qu'elle faisait d'elle-même. Car souvent, en revenant d'une vigne
située dans un faubourg, elle marchait par la ville portant un faix de bois
sur sa tête, ou conduisant l'âne qui le portait. Elle secourait les pauvres,
et leur faisait d’abondantes aumônes. Elle visitait les malades dans les
hôpitaux, et les soulageait non seulement par la nourriture du corps, mais
encore par de salutaires exhortations. Elle s'appliquait constamment à tenir
son corps en servitude par les veilles, les jeûnes, le cilice, la ceinture de
fer, et les fréquentes disciplines. Elle ne faisait qu'un repas par jour ; et
ses mets étaient des herbes et des légumes, sa boisson de l'eau pure.
Quelquefois cependant elle modéra un peu ces grandes austérités par Tordre de
son confesseur, auquel elle obéissait fidèlement.
Elle contemplait les divins mystères, et principalement la
Passion de Jesus-Christ notre Seigneur, avec une si
grande ferveur d'esprit et une telle abondance de larmes, qu'elle semblait
prête à expirer par la violence de la douleur. Souvent aussi, lorsqu'elle
priait, particulièrement après avoir reçu le très saint Sacrement de
l'Eucharistie, elle demeurait immobile, l'esprit élevé en Dieu et ravi par la
contemplation des choses célestes. De son côté, l'ennemi du genre humain
s'efforçait par les mauvais traitements etles
coups, à la détourner de la voie qu'elle s'était proposée;mais,
sans jamais le craindre, elle évitait toujours ses attaques; et par le
secours spécial de son Ange avec lequel elle conversait familièrement, elle
triompha glorieusement de cet ennemi. Elle éclata par le don de guérir les
malades, et par celui de prophétie qui lui faisait prédire l'avenir et pénétrer
les secrets des cœurs. Plus d'une lois, pendant qu'elle vaquait a Dieu, les eaux qui couraient en ruisseaux, les pluies
même du ciel, la laissèrent sans la toucher. Le Seigneur multiplia un jour à
sa prière quelques morceaux de pain suffisant à peine à la nourriture de
trois sœurs, en sorte que non seulement quinze en furent rassasiées, mais
qu'il en resta encore de quoi remplir une corbeille. Une autre fois, lorsque
les sœurs travaillaient hors de la Ville, au mois de janvier, à préparer du
bois, elle désaltéra entièrement leur soif en leur présentant des grappes de
raisin produites miraculeusement sur un cep qui pendait aux branches d'un
arbre. Enfin, toute éclatante de vertus et de miracles, elle s'en alla au
Seigneur dans la cinquante-sixième année de son âge ; et le Pape Paul V l'a
mise au nombre des Saints.
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O Françoise,
sublime modèle de toutes les vertus, vous avez été la gloire de Rome chrétienne
et l'ornement de votre sexe. Que vous avez laissé loin derrière vous les
antiques matrones de votre ville natale! que votre
mémoire bénie l'emporte sur la leur ! Fidèle à tous vos devoirs, vous n'avez
puisé qu'au ciel le motif de vos vertus, et vous avez semblé un ange aux yeux
des hommes étonnés. L'énergie de votre âme trempée dans l'humilité et la
pénitence vous a rendue supérieure à toutes les situations. Pleine d'une
tendresse ineffable envers ceux que Dieu même vous avait unis, de calme et de
joie intérieure au milieu des épreuves , d'expansion et d'amour envers toute
créature, vous montriez Dieu habitant déjà votre âme prédestinée. Non content
de vous assurer la vue et la conversation de votre Ange, le Seigneur soulevait
souvent en votre faveur le rideau qui nous cache encore les secrets de la vie
éternelle. La nature suspendait ses propres lois, en présence de vos nécessités
; elle vous traitait comme si déjà vous eussiez été affranchie des conditions
de la vie présente. Nous vous glorifions pour ces dons de Dieu, ô Françoise
! mais ayez pitié de nous qui sommes si loin encore du
droit sentier par lequel vous avez marché. Aidez-nous à devenir chrétiens ;
réprimez en nous l'amour du monde et de ses vanités, courbez-nous sous le joug
de la pénitence, rappelez-nous à l'humilité, fortifiez-nous dans les
tentations. Votre crédit sur le cœur de Dieu vous rendit assez puissante pour
produire des raisins sur un cep flétri par les frimas de l'hiver ; obtenez que
Jésus, la vraie Vigne, comme il s'appelle lui-même, daigne nous rafraîchir
bientôt du vin de son amour exprimé sous le pressoir de la Croix. Offrez-lui
pour nous vos mérites, vous qui, comme lui, avez souffert volontairement pour
les pécheurs. Priez aussi pour Rome chrétienne qui vous a produite ; faites-y
fleurir l'attachement à la foi, la sainteté des mœurs et la fidélité à
l'Eglise. Veillez sur la grande famille des fidèles ; que vos prières en
obtiennent l'accroissement, et renouvellent en elle la ferveur des anciens
jours.
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