LUNDI - TRINITÉ

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TRINITÉ
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I° V.  ST-SACREMENT
SAINT SACREMENT
VENDREDI OCTAVE
SAMEDI OCTAVE
DIMANCHE OCTAVE
LUNDI OCTAVE
MARDI OCTAVE
MERCREDI OCTAVE
JEUDI OCTAVE
VENDREDI OCTAVE
III° DIMANCHE

LE LUNDI APRÈS LA TRINITÉ.

 

La lumière du divin Esprit qui est venue accroître dans l'Eglise l'intelligence toujours plus vive du souverain mystère de l'auguste Trinité, l'amène à contempler à la suite cette autre merveille qui concentre elle-même toutes les opérations du Verbe incarné, et nous conduit dès cette vie à l'union divine. Le mystère de la très sainte Eucharistie va éclater dans toute sa splendeur, et il importe de préparer les yeux de notre âme à recevoir d'une manière salutaire l'irradiation qui nous attend. De même que nous n'avons jamais été sans la notion du mystère de la sainte Trinité, et que nos hommages se sont toujours dirigés vers elle ; de même aussi la divine Eucharistie n'a cessé de nous accompagner dans tout le cours de cette Année liturgique, soit comme moyen de rendre nos hommages à la suprême Majesté, soit comme aliment de la vie surnaturelle. Nous pouvons dire que ces deux ineffables mystères nous sont connus, que nous les aimons ; mais les grâces de la Pentecôte nous ont ouvert une nouvelle entrée dans ce qu'ils ont de plus intime, et si le premier nous a apparu hier entouré des rayons d'une lumière nouvelle, le second va luire pour nous d'un éclat que l'œil de notre âme n'avait pas perçu encore.

La sainte Trinité, ainsi que nous l'avons fait

 

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voir, étant l'objet essentiel de toute la religion, le centre où vont se rendre tous nos hommages, lors même qu'il semble que nous n'y portons pas une intention immédiate, on peut dire aussi que la divine Eucharistie est le plus puissant moyen de rendre à Dieu le culte qui lui est dû, et c'est par elle que la terre s'unit au ciel. Il est donc aisé de pénétrer la raison du retard que la sainte Eglise a mis à l'institution des deux solennités qui succèdent immédiatement à celle de la Pentecôte. Tous les mystères que nous avons célébrés jusqu'ici étaient contenus dans l'auguste Sacrement qui est le mémorial et comme l'abrégé des merveilles que le Seigneur a opérées pour nous (1). La réalité de la présence du Christ sous les espèces sacramentelles faisait que, dans l'Hostie sainte, nous reconnaissions au temps de Noël l'Enfant qui nous était né, au temps de la Passion la victime qui nous rachetait, au temps Pascal le glorieux triomphateur de la mort. Nous ne pouvions célébrer tous ces beaux mystères sans appeler à notre secours l'immortel Sacrifice, et il ne pouvait être offert sans les renouveler et les reproduire.

Les fêtes mêmes de la très sainte Vierge et des Saints nous maintenaient dans la contemplation du divin Sacrement. Marie, que nous avons honorée dans ses solennités de l'Immaculée Conception, de la Purification, de l'Annonciation, n'a-t-elle pas fourni de sa propre substance ce corps et ce sang que nous offrions sur l'autel ? La force invincible des Apôtres et des Martyrs que nous avons célébrés, ne l'ont-ils pas puisée dans l'aliment sacré qui donne l'ardeur et la constance ? Les Confesseurs et les Vierges ne nous ont-ils pas

 

1. Psalm. CX, 4.

 

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apparu comme la floraison du champ de l'Eglise qui se couvre d'épis et de grappes de raisin, grâce à la fécondité que lui donne Celui qui est à la fois le froment et la vigne (1) ?

Réunissant tous nos moyens pour honorer ces heureux habitants de la cour céleste, nous avons fait appel à la divine psalmodie, aux hymnes, aux cantiques, aux formules les plus pompeuses et les plus tendres; mais, en fait d'hommages à leur gloire, rien n'égalait l'offrande du Sacrifice. Là, nous entrions en communication directe avec eux, selon l'énergique expression de l'Eglise au sacré Canon (communicantes). Ils adorent éternellement la très sainte Trinité par Jésus-Christ et en Jésus-Christ ; par le Sacrifice nous nous unissions à eux dans le même centre, nous mêlions nos hommages avec les leurs, et il en résultait pour eux un accroissement d'honneur et de félicité. La divine Eucharistie, Sacrifice et Sacrement, nous a donc toujours été présente; et si, en ces jours, nous devons nous recueillir pour en mieux comprendre la grandeur et la puissance infinies; si nous devons nous efforcer d'en goûter avec plus de plénitude l'ineffable suavité, ce n'est point une découverte qui nous apparaît soudain : il s'agit de l'élément que l'amour du Christ nous a préparé, et dont nous usons déjà, pour entrer en rapport direct avec Dieu et lui rendre nos devoirs les plus solennels à la fois et les plus intimes.

 

Cependant l'Esprit divin qui gouverne l'Eglise devait lui inspirer un jour la pensée d'établir une solennité * particulière en l'honneur du mystère auguste où sont contenus tous les autres. L'élément

 

1. ZACH , IX, 17. — * Hic stetit D. Guéranger

 

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sacré qui donne à toutes les fêtes de l'année leur raison d'être et les illumine de sa propre splendeur, la très sainte Eucharistie,appelait par elle-même une fête pompeuse en rapport avec la magnificence de son objet.

Mais cette exaltation de la divine Hostie, ces marches triomphales si justement chères à la piété chrétienne de nos jours, étaient impossibles dans l'Eglise au temps des martyrs. Elles restèrent inusitées après la victoire, comme n'entrant pas dans la manière et l'esprit des formes liturgiques primitives , qui continuèrent longtemps d'être en usage. Elles étaient d'ailleurs moins nécessaires et comme superflues pour la foi vive de cet âge : la solennité du Sacrifice même, la participation commune aux Mystères sacrés, la louange non interrompue des chants liturgiques rayonnant par le monde autour de l'autel, rendaient à Dieu hommage et gloire, maintenaient l'exacte notion du dogme, et entretenaient dans le peuple chrétien une surabondance de vie surnaturelle qu'on ne retrouve plus à l'âge suivant. Le divin mémorial portait ses fruits; les intentions du Seigneur instituant le mystère étaient remplies, et le souvenir de cette institution, célébré dès lors comme de nos jours à la Messe du Jeudi saint, restait gravé profondément dans le cœur des fidèles.

Il en fut ainsi jusqu'au XIII° siècle. Mais alors, et par suite du refroidissement que constate l'Eglise au commencement de ce siècle (1), la foi s'affaiblit, et avec elle la mâle piété des vieilles nations chrétiennes. Dans cette décadence progressive que ne devaient pas arrêter des merveilles de sainteté individuelle, il était à craindre que l'adorable Sacrement,

 

1. Oraison de la fête des Stigmates de saint François.

 

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qui est le mystère de la foi par essence, n'eût à souffrir plus qu'aucun autre de l'indifférence et de la froideur des nouvelles générations. Déjà, ici et là, inspirée par l'enfer, plus d'une négation sacrilège avait retenti, effrayant les peuples, trop fidèles encore généralement pour être séduits, mais excitant la vigilance des pasteurs et faisant déjà de nombreuses victimes.

Scot Erigène avait produit la formule de l'hérésie sacramentaire : l'Eucharistie n'était pour lui « qu'un signe, figure de l'union spirituelle avec Jésus, perçue par la seule intelligence (1) ». Son pédantisme obscur eut peu d'écho, et ne prévalut pas contre la tradition catholique exposée dans les savants écrits de Paschase Radbert, Abbé de Corbie. Réveillés au XI° siècle par Bérenger, les sophismes de Scot troublèrent alors plus sérieusement et plus longuement l'Eglise de France, sans toutefois survivre à l'astucieuse vanité de leur second père. L'enfer avançait peu dans ces attaques trop directes encore ; il atteignit mieux son but par des voies détournées. L'empire byzantin nourrissait, dans ses flancs féconds pour l'hérésie, les restes de la secte manichéenne qui, regardant la chair comme l'œuvre du principe mauvais, renversait l'Eucharistie par la base. Pendant qu'avide de renommée, Bérenger dogmatisait à grand bruit sans profit pour l'erreur, la Thrace et la Bulgarie dirigeaient silencieusement leurs apôtres vers l'Occident. La Lombardie, les Marches et la Toscane furent infectées; passant les monts, l'impure étincelle éclata sur plusieurs points à la fois du royaume très chrétien : Orléans, Toulouse, Arras, virent le poison pénétrer dans leurs murs. On crut avoir

 

1. In Dion. Hierarch. coelest.

 

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étouffé le mal à sa naissance par d'énergiques répressions ; mais la contagion s'étendait dans l'ombre. Prenant le midi de la France pour base de ses opérations, l'hérésie s'organisa sourdement pendant toute la durée du XII° siècle; tels furent ses progrès latents, que, se découvrant enfin, au commencement du XIII°, elle prétendit soutenir les armes à la main ses dogmes impies. Il fallut des flots de sang pour la réduire et lui enlever ses places fortes ; et longtemps encore après la défaite de l'insurrection armée, l'Inquisition dut surveiller activement les provinces éprouvées par le fléau des Albigeois.

Simon de Montfort avait été le vengeur de la foi. Mais au temps même où le bras victorieux du héros chrétien terrassait l'hérésie, Dieu préparait à son Fils, indignement outrage par les sectaires dans le Sacrement de son amour, un triomphe plus pacifique et une réparation plus complète. En 1208, une humble religieuse hospitalière, la Bienheureuse Julienne du Mont-Cornillon. près Liège, avait une vision mystérieuse, où lui apparaissait la lune dans son plein, montrant sur son disque une échancrure. Quoi qu'elle fit pour chasser ce qu'elle craignait être une illusion, la même vision continua de se présenter invariablement à ses yeux, toutes les fois qu'elle se mettait en prières. Après deux ans d'efforts et de supplications ardentes, il lui fut enfin révélé que la lune signifiait l'Eglise de son temps, et l'échancrure qu'elle y remarquait l'absence d'une solennité au Cycle liturgique, Dieu voulant qu'une fête nouvelle fût célébrée chaque année pour honorer solennellement et à part l'institution de la très sainte Eucharistie : la mémoire historique de la Cène du Seigneur au Jeudi saint ne répondait pas

 

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aux besoins nouveaux des peuples ébranlés par l'hérésie ; elle ne suffisait plus à l'Eglise, distraite d'ailleurs alors par les importantes fonctions de ce jour, et bientôt absorbée par les tristesses du grand Vendredi.

En même temps que Julienne recevait cette communication, il lui fut enjoint de mettre elle-même la main à l'oeuvre et de faire connaître au monde les divines volontés. Vingt années se passèrent avant que l'humble et timide vierge pût prendre sur elle le courage d'une telle initiative. Elle s'en ouvrit enfin à un chanoine de Saint-Martin de Liège, nommé Jean de Lausanne, qu'elle estimait singulièrement pour sa grande sainteté, et le pria de conférer sur l'objet de sa mission avec les docteurs. Tous s'accordèrent à reconnaître que non seulement rien ne s'opposait à l'établissement de la fête projetée, mais qu'il en résulterait au contraire un accroissement de la gloire divine et un grand bien dans les âmes. Réconfortée par cette décision, la Bienheureuse fit composer et approuver pour la future fête un Office propre commençant par ces mots : Animarum cibus, et dont il reste encore aujourd'hui quelques fragments.

L'Eglise de Liège, à qui l'Eglise universelle devait hier la fête de la Très Sainte Trinité, était prédestinée au nouvel honneur de donner naissance à là fête du Très Saint Sacrement. Ce fut un beau jour, lorsque, en 1246, après un si long temps et des obstacles sans nombre, Robert de Torôte, évêque de Liège, établit par décret synodal que chaque année, le Jeudi après la Trinité, toutes les Eglises de son diocèse auraient à observer désormais, avec abstention des œuvres servîtes et jeûne préparatoire, une fête solennelle en

 

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l'honneur de l'ineffable Sacrement du Corps du Seigneur.

Mais la mission de la Bienheureuse Julienne était loin d'être à son terme : pour avoir trop hésité sans doute à l'entreprendre, Dieu mesurait la joie à sa servante. L'évêque mourut ; et le décret qu'il venait de porter fût resté lettre morte, si, seuls de tout le diocèse, les chanoines de Saint-Martin-au-Mont n'eussent résolu de s'y conformer, malgré l'absence d'une autorité capable d'en presser l'exécution pendant la vacance. La fête du Très Saint Sacrement fut donc célébrée pour la première fois dans cette insigne église, en 1247. Le successeur de Robert, Henri de Gueldre, homme de guerre et grand seigneur, avait d'autres soucis que son prédécesseur. Hugues de Saint-Cher, cardinal de Sainte-Sabine, légat en Allemagne, étant venu à Liège pour remédier aux désordres qui s'y produisaient sous le nouveau gouvernement, entendit parler du décret de Robert et de la nouvelle solennité. Autrefois prieur et provincial des Frères-Prêcheurs, il avait été de ceux qui, consultés par Jean de Lausanne, en avaient loué le projet. Il tinta honneur de célébrer lui-même la fête, et d'y chanter la Messe en grande pompe. En outre, par mandement en date du 29 décembre 1253, adressé aux Archevêques, Evêques, Abbés et fidèles du territoire de sa légation, il confirma le décret de l'évêque de Liège et l'étendit à toutes les terres de son ressort, accordant une indulgence de cent jours à tous ceux qui, contrits et confessés, visiteraient pieusement les églises où se ferait l'Office de la fête, le jour même ou dans l'Octave. L'année suivante, le cardinal de Saint-Georges-au-Voile-d'Or, qui lui succéda dans sa légation, confirma et renouvela les ordonnances du cardinal de

 

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Sainte-Sabine. Mais ces décrets réitérés ne purent triompher de la froideur générale ; et telles furent les manœuvres de l'enfer, qui se sentait atteint dans ses profondeurs, qu'après le départ des légats, on vit des hommes d'église , d'un grand nom et constitués en dignité, opposer aux ordonnances leurs décisions particulières. Quand mourut la Bienheureuse Julienne, en 1258, l'Eglise de Saint-Martin était toujours la seule où se célébrât la fête qu'elle avait eu pour mission d'établir dans le monde entier. Mais elle laissait, pour continuer son œuvre, une pieuse recluse du nom d'Eve, qui avait été la confidente de ses pensées.

Le 29 août 1261, Jacques Pantaléon montait au trône pontifical sous le nom d'Urbain IV. Né à Troyes, dans la condition la plus obscure, ses seuls mérites avaient amené son élévation. Il avait connu la Bienheureuse Julienne, lorsqu'il n'était encore qu'archidiacre de Liège, et avait approuvé ses desseins. Eve crut voir dans cette exaltation le signe de la Providence. Sur les instances de la recluse, Henri de Gueldre écrivit au nouveau Pape pour le féliciter, et le prier de confirmer de son approbation souveraine la fête instituée par Robert de Torôte. Dans le même temps, divers prodiges, et spécialement celui du corporal de Bolsena, ensanglanté par une hostie miraculeuse presque sous les yeux de la cour pontificale qui résidait alors à Orvieto, semblèrent venir presser Urbain de la part du ciel, et affermir le bon zèle qu'il avait autrefois manifesté pour l'honneur du divin Sacrement. Saint Thomas d'Aquin fut chargé de composer selon le rit romain l'Office qui devait remplacer dans l'Eglise celui de la Bienheureuse Julienne, adapté par elle au

 

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rit de l'ancienne liturgie française. La bulle Transiturus fit ensuite connaître au monde les intentions du Pontife : rappelant les révélations dont, constitué en moindre dignité, il avait eu autrefois connaissance, Urbain IV établissait dans l'Eglise universelle, en vertu de son autorité apostolique, pour la confusion de l'hérésie et l'exaltation de la foi orthodoxe, une solennité spéciale en l'honneur de l'auguste mémorial laissé par le Christ à son Eglise. Le jour assigné pour cette fête était la Férie cinquième ou Jeudi après l'octave de la Pentecôte; car, à la différence du décret de l'évêque de Liège, la bulle ne mentionnait pas la fête de la Très Sainte Trinité, non reçue encore dans l'Eglise Romaine. Suivant la voie ouverte par Hugues de Saint-Cher, le Pontife accordait cent jours d'indulgence à tous ceux qui, vraiment contrits et confessés, assisteraient à la Messe ou aux Matines, aux premières ou aux secondes Vêpres de la fête, et quarante jours pour chacune des Heures de Prime, Tierce, Sexte, None et Complies. Cent jours étaient également concédés, pour chacun des jours de l'Octave, aux fidèles qui assisteraient, en ces jours, à la Messe et à l'Office entier. Dans un si grand détail, il n'est point fait mention de la Procession, qui ne s'établit en effet qu'au siècle suivant.

Il semblait que la cause fût enfin terminée. Mais les troubles qui agitaient alors l'Italie et l'Empire firent oublier la bulle d'Urbain IV, avant qu'elle eût pu recevoir son exécution. Quarante ans et plus s'écoulèrent avant qu'elle fût promulguée de nouveau et confirmée par Clément V, au concile deVienne. Jean XXII lui donna force de loi définitive, en l'insérant au Corps du Droit dans les Clémentines, et il eut ainsi la gloire de mettre la

 

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dernière main, vers l'an 1318, à ce grand œuvre dont l'achèvement avait demandé plus d'un siècle.

La fête du Très Saint Sacrement, ou du Corps du Seigneur, marqua le point de départ d'une nouvelle phase dans le culte catholique envers la divine Eucharistie. Mais, pour le bien comprendre, il faut entrer plus avant dans la notion du culte eucharistique aux différentes époques de l'Eglise: étude importante pour l'intelligence de la grande fête à laquelle nous devons maintenant préparer nos âmes. Nous croyons donc choisir le meilleur mode de préparation que puisse offrir aux fidèles l'Année liturgique, en consacrant les deux jours qui nous restent à rechercher succinctement et brièvement les grandes lignes de l'histoire de la très sainte Eucharistie.

 

C'est à vous, Esprit-Saint, qu'il appartient de nous apprendre l'histoire d'un si auguste mystère. Votre règne est à peine commencé sur le monde, et, fidèle à cette mission divine qui a pour but la glorification de l'Emmanuel ravi à la terre (1), vous élevez tout d'abord nos regards et nos coeurs vers ce don suprême de son amour qui nous le garde caché sous les voiles eucharistiques. Durant les siècles de l'attente des nations, c'est vous qui déjà présentiez le Verbe au genre humain dans les Ecritures, et l'annonciez par les Prophètes (2). Don premier du Très-Haut (3), vous êtes, comme amour infini, la raison substantielle et souveraine des manifestations divines ; ainsi attirâtes-vous ce Verbe divin au sein de la Vierge immaculée, pour l'y revêtir de la chair virginale qui le fit notre

 

1. JOHAN., XVI, 14. — 2. II Petr., I, 19-21. — 3. Hymn. Pentecost.

 

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frère et notre Sauveur. Et maintenant qu'il est remonté vers son Père et notre Père (1), dérobant à nos yeux cette nature humaine ornée par vous de tant de perfections et d'attraits vainqueurs, maintenant qu'il nous faut reprendre sans lui les pérégrinations de cette vallée des larmes, envoyé par lui (2), vous êtes venu, divin Esprit, comme le consolateur. Mais la consolation que vous nous apportez, ô Paraclet, c'est toujours son fidèle souvenir (3), c'est encore plus sa divine présence gardée par vous au Sacrement d'amour. Nous le savions d'avance : vous ne deviez pas agir ni parler de vous-même (4), ou pour vous-même ; vous veniez rendre témoignage à l'Emmanuel (5). maintenir son œuvre et reproduire en chacun de nous sa divine ressemblance.

Qu'il est admirable l'accomplissement de cette mission sublime, tout entière à la gloire de l'Emmanuel ! Esprit divin, gardien du Verbe dans l'Eglise, nous ne pouvons redire ici votre vigilance sur cette divine parole apportée par Jésus au monde, expression très fidèle de lui-même, et qui, sortie comme lui de la bouche du Père, nourrit aussi l'Epouse ici-bas (6). Mais de quel respect infini, de quelle sollicitude n'entourez-vous pas le Sacrement auguste où réside tout entier, dans la réalité de sa chair adorable, ce même Verbe incarné qui fut dès l'origine du monde le centre et le but de vos divines opérations ! Par votre toute-puissance produisant le mystère, l'Epouse exilée se retrouve en possession de l'Epoux ; par vous elle traverse les siècles, gardant chèrement son trésor ; par vous elle le fait valoir avec une

 

1. JOHAN., XX, 17. — 2. LUC, XXIV, 49. —3. JOHAN., XIV, 26. — 4. Ibid., XVI, 13. — 3. Ibid., XV, 20. — 6. MATTH., IV, 4.

 

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délicatesse infinie, ordonnant, modifiant sa discipline et sa vie même, pour assurer dans tous les âges au divin Sacrement la plus grande somme possible de foi, de respect et d'amour. Qu'elle le dérobe anxieuse à la connaissance des profanes, qu'elle accumule autour de lui dans la Liturgie ses pompes et ses magnificences, ou que, sortant avec lui des temples, elle le promène triomphalement dans les rues des cités populeuses ou les sentiers fleuris des campagnes, c'est vous, divin Esprit, qui l'inspirez ; c'est votre divine prévoyance qui lui suggère, selon les temps, la plus sûre manière de conquérir à l'Emmanuel, toujours présent dans l'Hostie, les hommages et les cœurs de ces enfants des hommes, au milieu desquels il daigne trouver ainsi jusqu'à la fin les délices de son amour (1).

Daignez nous assister dans la contemplation de l'auguste mystère. Eclairez les intelligences, échauffez les cœurs en ces jours de préparation ; révélez à nos âmes Celui qui vient à nous sous les voiles du Sacrement.

Dans la dernière partie de cette Année liturgique, qu'il soit pour nous le pain du voyageur. Une longue route nous reste encore à parcourir, bien différente de celle que nous avons suivie jusqu'ici en compagnie du Seigneur et de ses mystères, route laborieuse à travers le désert qui nous sépare de la montagne de Dieu (2). Esprit-Saint, vous serez notre guide dans ces sentiers où l'Eglise, conduite par vous, marche avec courage, se rapprochant chaque jour du terme de son pèlerinage ici-bas. Mais vous-même nous amenez dès le début à ce banquet de la divine

 

1. Prov., VIII, 31. —. 2. III Reg., XIX.

 

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Sagesse (1) où le pèlerin trouve sa vigueur. Nous marcherons dans la force du mets céleste (2) ; c'est par lui encore que, la course achevée, de concert avec l'Esprit et l'Epouse, nous ferons retentir l'invincible appel de l'heure suprême qui nous rendra le Seigneur Jésus (3).

 

1. Prov., IX. — 2. III Reg.,  XIX, 8. — 3. Apoc, XXII, 17. — 4. Similitude de nom qui ne doit pas faire confondre ce jeune frère avec le chanoine Jean de Lausanne, dont nous avons dit plus haut les éminents services.

 

A la gloire de l'auguste Sacrement, et pour honorer la Bienheureuse Julienne, à qui l'Eglise est si redevable en ces jours, nous donnerons comme pièces liturgiques, aujourd'hui et dans l'Octave, les principaux fragments parvenus jusqu'à nous de l'Office qui porte son nom. Mais on nous saura gré de citer ici préalablement quelques traits de l'historien de la Bienheureuse sur la manière dont cet Office fut composé :

« Julienne donc se prit à penser qui elle inviterait à la composition de l'Office d'une si grande solennité. Or, faisant réflexion qu'elle n'avait sous la main ni hommes lettrés, ni clercs excellents qui fussent propres à cela par eux-mêmes, confiante en la divine Sagesse, elle choisit en son cœur un tout jeune frère de sa maison, nommé Jean*, que Dieu lui avait attaché d'une façon mystérieuse. Mais lui, sachant bien qu'une telle œuvre excédait la mesure de son génie et de sa science, étant de peu de littérature, commença par hésiter et s'excuser sur son ignorance. Julienne, qui, sachant tout cela, savait aussi que la divine Sagesse, dont c'était l'œuvre, peut dire par un ignorant de belles choses, fit tant que, vaincu

 

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par les prières et l'autorité de la vierge, il commença de travailler. Et ainsi advint-il que ce jeune frère et la vierge du Christ unissant leurs efforts, elle priant, lui écrivant, l'œuvre se poursuivit plus facilement qu'il n'eût pu s'y attendre. Aussi attribuait-il aux prières de la vierge, plus qu'à son travail, ce qu'il pouvait faire, et lorsqu'il avait achevé quelque chose du susdit Office, il le lui apportait, disant : « Voici, Madame, qui vous est envoyé d'en haut ; examinez, et voyez s'il n'y a rien à changer dans le chant ou la lettre. » Elle, par son admirable science infuse, quand il en était besoin, le faisait avec si grande prudence et habileté, qu'après son examen et correction, il ne fut jamais nécessaire de requérir même le poli des maîtres de la science. Ainsi fut consommé, par un merveilleux secours de Dieu, l'Office entier delà nouvelle fête (1). »

Les Antiennes que nous donnons ici sont tirées par les Bollandistes (2) d'un très ancien Directorium de l'Eglise Saint-Martin-au-Mont. Elles s'y trouvent assignées aux Benedictus et Magnificat de chacun des jours dans l'Octave.

 

1. Vita B. Julianae ab autore coaevo descripta, lib. II, c. 2; Act. SS. ad diem Vam Aprilis.— 2. Ibid., in Append

 

ANTIENNES.

 

Mets des âmes, la divine Sagesse, revêtant chair, nous la propose en aliment, afin que par cette nourriture d'amour elle nous amène à goûter Dieu.

Dressant pour ses disciples un testament auguste, elle leur recommande son souvenir, disant : Faites ceci en mémoire de moi.

Le Christ tout entier se donne à nous en nourriture : ainsi que nous répare dans sa divinité Celui que goûte notre cœur, ainsi nous rétablit par son humanité Celui que mange notre bouche;

Ainsi nous fait-il passer du visible à l'invisible, du temps à l'éternité, de la terre au ciel, de l'homme à Dieu.

L'homme a mangé le nain des anges; comme la divinité nourrit l'esprit, ainsi l'humanité nourrit la chair : l'âme raisonnable et la chair est un seul homme. Dieu et l'homme un seul Christ.

Pain de vie, pain des anges, Jésus, vraie vie du monde, qui toujours nous ranimez sans jamais défaillir, guérissez-nous de toute langueur, afin que, raffermis par vous notre viatique en terre, nous vous goûtions pleinement au festin éternel.

Le Christ nous lave dans son sang tous les jours, étant renouvelée tous les jours la mémoire de sa bienheureuse passion.

Son sang n'est point répandu par des mains infidèles pour leur malheur ; mais tous les jours il est aspiré doucement pour leur saint par des bouches fidèles.

Une seule fois suspendu à la croix, vrai Dieu, vrai homme, il s'est offert au Père hostie efficace de rédemption ; toujours cependant il est dans l'impénétrable mystère, non souffrant, mais rendu présent comme dans la souffrance. Chaque jour sacrifié sans blessure, le Seigneur Jésus-Christ donne à des mortels d'accomplir sur terre un ministère céleste.

Sacrifice vraiment unique, c'est le souvenir de la mort du Christ, le pardon de nos crimes, l'amour des fidèles, et le gage de l'éternelle vie.

 

A ces accents de la piété des peuples au XIII° siècle de notre ère, joignons cette formule non moins expressive de la foi des âges précédents empruntée au Missel mozarabe.

 

AD ORATIONEM DOMINICAM.

 

(Dominica ante jejunium Calend. Novembr.)

Appelés, frères très chers, à recevoir dans des entrailles mortelles le Sacrifice des cieux, à loger Dieu comme hôte dans l'habitation d'une poitrine humaine, purifions nos consciences de toute souillure des vices ; que ne soient en nous ni fausseté, ni superbe; mais soyons humbles, d'accord dans la charité, pour que la chair et le sang du Seigneur unissent tous les frères en son corps, et que, de cette terre, nous puissions dire avec confiance : Notre Père qui êtes aux cieux.

 

 

 

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