JEUDI OCTAVE

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SAINT SACREMENT
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MERCREDI OCTAVE
JEUDI OCTAVE
VENDREDI OCTAVE
III° DIMANCHE

LE JEUDI OCTAVE DU SAINT-SACREMENT.

 

Christum regem adoremus dominantem gentibus, qui se manducantibus dat spiritus pinguedinem.

Adorons le Christ roi Seigneur des nations, engraissant l'âme de qui le prend en nourriture.

 

La radieuse Octave consacrée au triomphe du divin Sacrement termine aujourd'hui son cours; et, bien que nous ayons anticipé de trois jours entiers sur la fête elle-même, à peine avons-nous effleuré, dans ces pages, le sujet auguste proposé par l'Eglise à nos contemplations et à notre amour : tant est grande la richesse du sacré mémorial, ineffable résumé, sommaire divin des merveilles divines (1), dernier terme ici-bas d'un amour infini (2) !

Fiancée à l'humanité dès le sein du Père, la Sagesse éternelle est venue jusqu'à l'homme en cette prison obscure où la mort, fille du péché, l'avait fait son esclave (3); et l'embrassant étroitement dans l'acte du Sacrifice qui donne à Dieu gloire infinie, satisfaction entière, elle consomme avec lui son alliance au banquet dont la victime sacrée qu'elle immole est l'aliment (4). D'elle à l'homme désormais la distance est comblée. Elle

 

1. Psalm. CX, 4. — 2. JOHAN. XIII, 1. — 3. Heb. II, 14-15. — 4. Prov. IX, 2.

 

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triomphe dans son amour ; et son désir est d'être maintenant pour qui l'a connue au saint banquet, la compagne dévouée de sa vie terrestre (1), en attendant le jour des célestes jouissances.

Ils sont rares ceux qui, comme le Bienheureux Henri Suso, comme saint Laurent Justinien, entendent pleinement l'ineffable mystère. Mais si le don céleste est multiple et divers dans son application, c'est néanmoins à la face du monde, en tête des foules, aux portes des villes et sur les places (2), que retentit l'appel pressant des saints Livres aux plus petits des enfants des hommes: « Dis à la Sagesse: Tu es ma sœur ; appelle-la ton amie (3) ; choisis-la pour épouse (4). Ses voies sont belles et pures ; elle sera ta joie dans ses chastes amours (5). Elle t'entourera comme une robe de gloire ; elle sera ta couronne d'honneur, et t'enserrera tout entier comme un sur rempart (6). »

O homme, ô fils d'Adam pétri du limon (7), qu'es-tu donc pour qu'on se souvienne de toi dans les palais des cieux (8) ? Désiré toi aussi des collines éternelles (9), qu'as-tu fait pour mériter ces grandeurs (10) ?

Ne crains pas cependant. « N'hésite point à ma faible parole », s'écrie saint Cyrille, le vengeur à Ephèse des noces divines dont l'Eucharistie est l'extension glorieuse (11) : « n'aie point égard à ma chétive personne ; mais entends la grande voix, pèse l'autorité de ceux qui ont annoncé ces choses. Cène sont point des hommes de néant,

 

1. Sap. VIII 9-18. — 2. Prov. I, 20-22; VIII 1-5. — 3. Ibid. VII, 4. — 4. Sap. VIII, 2. — 5. Prov. III, 13-18. Et, ex MELITONE : Prov. V, 15-19; Eccli. IX, 9. — 6. Prov. IV, 5-9; Eccli. VI, 18-32. — 7. Gen. II, 7. — 8. Psalm. VIII, 5. — 9. Gen. XLIX, 26. — 10. Job. VII, 17. — 11. Page 434.

 

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des hérauts de carrefour, des messagers vulgaires, qui les ont publiées. Mais cette mission, le Roi des rois l'a confiée au plus illustre : Salomon, du haut de son trône, a révélé l'arcane ; revêtu de la pourpre, le front ceint du diadème, il a proclamé les éternels desseins de Celui qui établit et renverse les rois. A la dignité du héraut, connais l'autorité du message (1). »

Peuple chrétien, peuple de rois (2), qu'attendent aux cieux les diadèmes et les sièges de gloire (3), c'est à toi qu'il s'adresse. Connais aussi ta dignité. Ecoutant le héraut, comprends d'où te vient ta grandeur ; sache en porter les sublimes conséquences.

« A vous donc, ô rois, dit Salomon, s'adresse mon discours. Princes et puissants, prêtez l'oreille : si vous aimez les sceptres et les trônes, connaissez la Sagesse, aimez-la d'amour pour régner à jamais (4). Plus glorieuse qu'un royaume, plus riche que les trésors, plus belle que la beauté, je l'ai aimée plus que la vie, j'en ai fait ma lumière (5). Ce qu'elle est, je vous le dirai ; je vous raconterai sa naissance. Je ne vous cacherai point les mystères divins ; mais remontant à sa première origine, je mettrai en pleine lumière ce que Dieu m'a donné d'en savoir, et ne dissimulerai point la vérité (6). Sans feinte je l'ai apprise, sans envie j'en fais part (7). Comprenez donc ; instruisez-vous à mon discours, et qu'il vous profite (8) ! »

Plût au ciel qu'il nous eût été donné de remplir dignement pareil programme (9), en ces jours où

 

1. Hom. div. X, in myst. cœn. — 2. MATTH. XXV, 34. — 3. Apoc. IV, 4; V, 9-10. — 4. Sap. VI, 2, 3, 10, 22. — 3. Ibid. VII, 8-10.— 6. Ibid. VI, 24; VII, 15. — 7. Ibid. 13. — 8 Ibid. VI, 25-27. — 9. Ibid. VII, 15.

 

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la Sagesse invite l'homme à sonder les excellences du Pain sacré qui fait les délices des rois ses convives (1) !

Au pied de la colonne de nuée où pour nous elle réside (2), l'Eglise, fondée par elle dans l'unité comme une ville puissante, rassemble aujourd'hui encore les tribus d'Israël (3), la nation sainte, le peuple racheté, la race d'élite de ses fils pontifes et rois (4), pour témoigner de leur foi, pour chanter leur amour, et célébrer la paix qui demeure par elle en ses murailles, l'abondance qui règne en ses tours (5). C'étaient là ces jours d'exultation universelle autour de l'Hostie sainte, que l'Esprit découvrait dans le lointain des âges aux regards éblouis de Jésus fils de Sirach, et qui le faisaient s'écrier dans un pieux transport : « La Sagesse se louera a elle-même ; elle s'honorera en Dieu, et se glorifiera au milieu de son peuple. Elle ouvrira sa a bouche dans les assemblées du Très-Haut, et a triomphera devant ses armées. Les foules l'exalteront ; l'assemblée sainte admirera ses attraits; la multitude des élus chantera ses louanges, et les bénis du Père l'adoreront dans l'amour (6). »

« Bienheureux l'homme », dit-il encore et toujours au futur, qui demeurera près d'elle ! Heureux qui médite ses voies dans son cœur et comprend ses secrets, qui poursuit toutes ses traces et lui tend des embûches d'amour (7), qui plonge la vue dans sa demeure et l'entend du dehors ! Aux murs de son palais il fixera le pieu qui soutient la tente de son pèlerinage. Il établira ses

 

1. Gen. XLIX, 20. Cf. Ant. 3am Laud. in die Festi. — 2. Eccli. XXIV, 7. — 3. Psalm. CXXI. 3-4. — 4. I Petr. II, 9. — 5. Psalm. CXXI, 4-8. — 6. Eccli. XXIV, 1-4. — 7. Juxta grœc.

 

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fils sous son ombre. Elle-même en ses délices (1) sera pour lui le voile protecteur, et il reposera dans sa gloire (2). »

Maison de Dieu, maison du festin des rois (3), que parfument par ses soins le baume, la mvrrhe et l'encens des cieux (4), meilleur que mille autres est un seul jour dans vos parvis ! Mon âme détaille à leur pensée (5). Inquiet jadis, solitaire sur un toit étranger (6), le passereau s'est trouvé une demeure; pour ses petits la tourterelle ne craint plus désormais, dans le nid d'amour où ils reposent à l'ombre de vos autels (7). Dans le secret de la nuée, loin des heurts de cette terre et des conflits humains, là, dès l'aurore, la Sagesse verse en eux sa lumière et ses voluptés saintes (8). Là, chaque jour, s'organiseront les chœurs; là, à toute heure, retentiront les psaumes et les chants d'allégresse, autour de l'Hostie salutaire (9), de l'Agneau immolé toujours debout (10), vrai Dieu vivant sur l'autel devenu son trône, vrai Dieu des dieux résidant en Sion (11)».

Elle ne sera donc plus veuve désormais cette terre qui a reçu l'ineffable secret des noces divines. Joie du matin (12), céleste ivresse où germent les vierges (13), rapides instants où la beauté qui dans la pleine lumière ravit les anges se donne sous le voile à nos âmes, vous laissez après vous mieux qu'un brillant souvenir. L'autel du Sacrifice, la maison du festin restent le trône toujours occupé, la demeure en ce monde de Celle à qui la compagnie de Dieu, dans les splendeurs des

 

1. Eccli. XV, 6. — 2. Ibid. XIV, 32-37. — 3. Psalm. XLI, 5. — 4. Eccli. XXIV, 20-21. — 5. Psalm. LXXXIII, 2, II. — 6. Psalm. CI, 8. — 7. Psalm. LXXXIII, 4. — 8. Psalm. XXX, 17, 20-21. — 9. Psalm. XXVI, 6. — 10. Apoc. v, 6. — 11. Psalm. LXXXIII, 8. — 12. Psalm. XXIX, 6. — 13. Zach. IX, 17.

 

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Saints, et l'amour du Seigneur de toutes choses (1) ne peuvent faire oublier les délices de son alliance avec les fils des hommes, et cet orbe des terres où dès le commencement se jouait son amour (2). Sur ce trône d'honneur, elle reçoit les hommages des puissants de ce monde qui, tenant de ses mains leurs couronnes, lui demandent à genoux le conseil, l'équité, la prudence et la force (3) ; nuit et jour, elle entend la prière des petits au cœur simple qu'appelle sa voix bénie (4), qu'attirent ses charmes incomparables (5), et qui viennent près d'elle se former divinement à l'amour el remplir leurs trésors (6).

Gloire à l'Agneau dont l'immolation triomphante a fixé cette présence merveilleuse au Sacrement divin ! à lui vertu, divinité, sagesse, force, honneur, bénédiction dans les siècles (7) ! C'est par lui qu'est descendue jusqu'à nous la Sagesse éternelle ; par lui encore qu'elle demeure avec nous. A sa douce lumière (8), en terminant ce jour et cette Octave, contemplons d'un œil respectueux la nature de l'ineffable permanence qui nous garde ainsi dans son intégrité le Mystère de la foi, jusqu'au dernier jour du monde.

Combien il l'emporte sur l'agneau du peuple des figures, l'Agneau divin dont la raie Pâque nous révéla le mystère (9) ! Il n'en restera rien jusqu'au matin qui ne soit consumé (10), disait Moïse touchant la victime dont la chair, une fois l'année, nourrissait Israël en la nuit de la délivrance, « Pour moi », s'écrie aux nations représentées

 

1. Sap. VIII 3; Psalm. CIX, 3. — 2. Prov. VIII 31. — 3. Ibid. 14-16. — 4. Ibid. IX, 4 ; Marc. X, 14, — 5. Eccli. XXIV, 26. — 6. Prov. VIII, 21. — 7. Apoc   — 8. Ibid. XXI, 23. — 9. Le Temps Pasc. t. I, pag. 237 — 10. Exod. XII, 10.

 

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dans la personne du proconsul romain l'apôtre André, frère de Pierre, « j'offre chaque jour au Dieu Très-Haut, non la chair ou le sang des victimes gémissantes, mais l'Agneau sans tache immolé sur l'autel de la Croix ; et lorsque tout le peuple des fidèles a bu son sang, mangé sa chair, l'Agneau sacrifié reste plein de vie : vraiment sacrifié, mangé réellement, il demeure, dis-je, en son intégrité, sans tache et vivant (1). »

— « Comment cela peut-il se faire ? » objecte le Gentil. — Fais-toi disciple, et tu l'apprendras », dit André. Mais à ce moment, le représentant du vieux monde païen, qui poursuivait d'office le Crucifié dans ses membres, ne devait répondre que par la violence et le dédain au dogme sublime formant la base d'une religion présente. L'Apôtre allait sceller dans le sang son glorieux témoignage; mais il laissait à l'Esprit qui les lui avait inspirées (2) le soin de garder ses paroles pour le jour du triomphe. Par tout le monde, ses collègues de la Cène, sacrifiant leur vie pour le Christ et sa doctrine, rendaient courageusement mets pour mets au Seigneur; ainsi lui-même, selon le conseil du Sage, assis à la table du Prince, avait-il considéré diligemment ce qu'on servait devant lui, dans la pensée qu'il lui fallait préparer à son tour un festin semblable (3). Nourri donc de la Croix du Seigneur au banquet de son corps, selon l'expression de saint Augustin (4), il paya noblement de retour.

Après lui, la force persévérante des martyrs, leur allégresse dans les tourments, allaient continuer de montrer la puissance du vin sacré, du

 

1. Pass. S. Andr. ap. LIPOM. — 2. MATTH. X, 20. — 3. Prov. XXIII, 1-2, juxt. grœc. — 4. In Psalm. C.

 

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pain mystérieux qui transporte et affermit ainsi le cœur de l'homme (1). Et le temps viendrait où la démonstration du Mystère de la foi, si grandement exprimé dans la bouche de l'Apôtre, s'imposerait au monde, non sous l'effort du raisonnement ou l'habile enchaînement de savantes déductions, mais par l'impossible et toutefois indéniable transformation de ce monde ennemi sous l'irrésistible influence du ferment divin caché dans sa masse au soir de la Cène.

Du sud au septentrion, du levant au couchant, partout, en ce présent jour, les enfants de l'Eglise se renvoient, dans leurs chants, ces paroles qui ne sont que l'écho rhythmé de la voix de l'Apôtre, enfin maîtresse et dès longtemps victorieuse : « La chair du Christ est nourriture, et son sang est breuvage; tout entier néanmoins il demeure sous chacune des espèces. Sans le briser, le rompre ou le diviser, celui qui le reçoit le reçoit tout entier. Qu'un seul ou mille le reçoivent, autant que tous a l'unique; il se donne sans s'épuiser. Quand est rompue l'hostie mystérieuse, n'hésite point ; mais souviens-toi qu'autant réside  sous le fragment, et sous la forme entière. La substance n'est nullement divisée, c'est le signe seul qui se brise; mais ni l'état, ni l'étendue de ce qu'il recèle n'en est amoindri (2). »

L'Eglise en effet nous enseigne que sous chaque espèce et « sous chacune de ses parties est vraiment, réellement et substantiellement contenu le corps, le sang, l'âme et la divinité de notre Seigneur Jésus-Christ, et par suite le Christ tout entier (3). » D'elles-mêmes, il est

 

1. Psalm. CIII, 15. — 2. Sequ. diei Festi. — 3. Conc. Trid Sess. XIII, can. 1, 3.

 

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vrai, les paroles redoutables du Sacrifice, n'opérant que ce qu'elles signifient, appellent exclusivement et isolément sous la double espèce le corps et le sang du Seigneur; mais le Christ ressuscita, vivant à jamais, demeure indivisible. « Le Christ sorti du tombeau ne meurt plus, dit l'Apôtre; mourant pour le péché, il est mort une fois; vivant maintenant, il vit pour Dieu (1). » Partout donc où se trouve, en vertu de la consécration, le très saint corps ou le sang rédempteur, là même, par voie de conséquence naturelle et de nécessaire concomitance, réside en son entier l'humanité sainte unie au Verbe.

Dans la crainte de ne pouvoir autrement exprimer un si profond mystère avec l'exactitude et la précision suffisantes, la Liturgie emprunte aujourd'hui les formules de l'Ecole. Elle-même nous apprend que du pain au corps, du vin au sang, la conversion s'opère de substance à substance, sans que dans ce changement merveilleux, appelé très justement à cause de cela transsubstantiation par l'Eglise (2), soient intéressés, altérés ou détruits, les accidents ou modes des deux termes de la conversion. C'est ainsi que, privées de leur sujet ou support naturel, les espèces ou apparences du pain et du vin demeurent immédiatement soutenues par la vertu divine; produisant et recevant les mêmes impressions qu'eût produites et reçues leur propre substance, elles sont le signe sacramentel qui, sans informer le corps du Christ ou lui prêter leurs qualités et dimensions, détermine sa présence et la maintient, tant que ces espèces ne sont pas essentiellement modifiées. De son côté, ainsi substitué à la seule substance du pain

 

1. Rom. VI, 9-10. — 2. Conc. Trid. Sess. XIII, can. 3.

 

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et du vin directement dans sa propre substance, le corps du Seigneur se trouve soustrait par la formule sacrée à ces lois mystérieuses de L'étendue, dont la science humaine est si loin d'avoir pu encore pénétrer les secrets; tout entier sous l'espèce entière, et tout entier dans chaque partie sensible, il participe en cela des substances spirituelles : ainsi l'âme de l'homme est-elle entière dans tout son corps, entière de même en tous ses membres. Tel est donc le mystère de l’état sacramentel, que, présent à nous sous les dimensions de l'hostie, et non au-delà, par sa substance ainsi soustraite aux lois de l'étendue, le Christ demeure en lui-même tel qu'il est au ciel. « Le corps du Christ au Sacrement, dit saint Thomas, garde tous ses accidents par une suite nécessaire; et ses parties demeurent ordonnées entre elles comme elles le sont dans la nature des choses, bien qu'elles ne soient point en rapport et ne puissent être comparées selon cet ordre avec l'espace extérieur (1). »

La notion du Sacrifice exigeait dans l'Eucharistie cette passive apparence de la victime, comme la condition du banquet où il se consomme déterminait la nature spéciale des éléments sacramentels choisis par le Christ Jésus. Mais loin de nous, en face de l'Hostie sainte, toute idée de pénible captivité, d'actuelle souffrance, de vertus laborieuses, pour l'hôte divin des espèces sacrées : sous cette mort extérieure abondent la vie, l'amour et la beauté triomphante de l'Agneau vainqueur du trépas, roi immortel des siècles.

Il réside sous la blanche hostie dans sa force et sa splendeur le plus beau des fils des hommes (2),

 

1. IIIa P. LXXVI, art. 4; Sent. IV, dist.,  X, art. 2. — 2. Paulin, XLIV, 3.

 

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avec les admirables proportions, l'agencement harmonieux de ces membres divins formés d'une chair virginale au sein de celle qui, la plus belle des filles d'Adam, fut aussi la plus pure. Vénérons dans un saint tremblement ces pieds arrosés des larmes de Madeleine repentante, essuyés de ses cheveux (1), embaumés de ses parfums par avance (2), ces pieds du Sauveur plus beaux encore que les pieds de ceux qui annoncent sa venue sur les montagnes (3) ; ils brillent maintenant comme l'airain dans la fournaise ardente (4). Envoyons, au delà du voile, nos pieux baisers aux mains sans tache et consacrées du grand Pontife (5), qui travaillèrent le bois dans l'atelier de Joseph et semèrent en Israël bénédictions et prodiges; elles sont là telles que les vit l'Epouse, brillantes comme l'or, faites au tour et pleines d'hyacinthes (6), avec ces enfoncements des cornes mystérieuses où sa force est cachée (7). Qui nous donnera de percer le nuage où se cache à nos regards cette tète divine, admiration des Anges, cette face auguste, autrefois défigurée, souffletée, saturée d'opprobres en son amour (8), resplendissante aujourd'hui comme le soleil en sa puissance (9) ? Bouche du Christ, organe du Verbe, à la voix pareille au bruit des grandes eaux (10), au souffle puissant qui tue l'impie (11) ; lèvres de l'Epoux semblables aux lis qui distillent la myrrhe la plus pure (12) ; et vous, divins yeux qui pleurâtes sur Lazare (13), et illuminez de vos rayons enflammés (14) l'assemblée des Saints : nulle force humaine ne saurait soulever le mystère

 

1. LUC. VII, 37. — 2. MARC, XIV, 8. — 3. ISAI. LII, 7. — 4. Apoc. I, 15. — 5. Levit. XXI, 10. — 6. Cant. V, 14. — 7. HABAC. III, 4. — 8. JEREM. Thren. III, 3o. — 9. Apoc. I, 16. — 10. Ibid. 15. — 11. ISAI. XI, 4. — 12. Cant. V, 13.— 13. JOHAN. XI, 35. — 14. Apoc. I, 14.

 

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qui vous dérobe aux impatientes aspirations de notre œil mortel. Mais, plus sûrement que sur le témoignage de nos propres yeux, ô Bien-Aimé, nous savons que vous êtes là derrière la muraille, regardant par les ouvertures, jetant la vue au travers des barreaux (1), et il suffit à nos adorations ; et la foi d'un tel mystère était la plus douce épreuve que vous pussiez imposer à notre amour.

Sang divin, prix du rachat, rentré pour jamais dans ces veines qui vous épanchèrent à torrents sur le monde, comme autrefois vous portez la vie dans ces membres glorieux, sous l'impulsion du Coeur sacré auquel demain nous rendrons un plus spécial hommage.

Ame très sainte du Sauveur, présente au Sacrement comme forme substantielle (2) de ce corps très parfait qui est par vous le vrai corps de l’Homme-Dieu vivant à jamais, vous renfermez dans vos profondeurs tous les trésors de la Sagesse éternelle (3). Vous reçûtes pour mission de traduire dans une vie humaine, en un multiple et sensible langage, l'ineffable beauté de cette Sagesse du Père éprise des fils des hommes, et voulant, par une manifestation à leur portée, conquérir leur amour. Chaque parole, chacun des pas de Jésus, chaque mystère de sa vie publique ou cachée, révélait par degrés cette divine splendeur. Vraiment devant ces hommes qu'elle convoitait, la Sagesse comme la grâce en lui grandissait avec l'âge (4) : jusqu'à ce qu'enfin tous ces enseignements, exemples et mystères, merveilleuses traductions de ses charmes intimes, elle-même, pour les siècles à venir, les fixa immobiles au

 

1. Cant. II, 9. — 2. Concil. Vienn. — 3. Col. II. 3. — 4. LUC. II, 52.

 

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Sacrement divin, monument perpétuel où chaque âme trouve sa lumière, mémorial vivant où veille silencieusement pour nous son amour. « La chair, le sang du Christ, c'est le Verbe manifesté, dit saint Basile; c'est la Sagesse rendue sensible par l'Incarnation et toute cette mystérieuse conversation dans la chair qui nous révèle la perfection morale, le beau naturel et divin. C'est lace qui nourrit l'âme, et, dès maintenant, la prépare à la contemplation des divines réalités (1). »

 

Les solennelles assises, pendant lesquelles le divin Sacrement a reçu l'hommage empressé de nos adorations, se terminent, comme elles ont commencé, dans la pompe du triomphe. Après les Vêpres, qui sont les mêmes qu'au jour de la fête (page 324), le Diacre descend du trône où il l'avait placé le radieux ostensoir, et le dépose entre les mains du Prêtre. L'Hostie sainte franchit de nouveau le seuil du temple, entourée des mêmes rites majestueux, célébrée dans les mêmes chants d'allégresse, accueillie par les mêmes enthousiastes démonstrations de son peuple fidèle. De nouveau, elle voit la nature à ses pieds, assainit l'air sur son passage, en chasse au loin les puissances ennemies (2), bénit la campagne et la ville, et jette sur les moissons prêtes à mûrir ses rayons fécondants. Regagnant son temple, elle n'en sortira plus désormais que pour venir fortifier les mourants dans le grand voyage, ou se donner miséricordieusement aux infirmes qui ne peuvent venir d'eux mêmes trouver leur Dieu. En ce moment donc, elle bénit une dernière fois

 

1. Epist. VIII. — 2 Eph. II, 2; VII, 12.

 

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la foule prosternée, et rentre au sacré tabernacle.

Abîmés dans l'adoration, témoignons nos sentiments au Dieu caché sous les voiles du Sacrement, en redisant l'Hymne céleste, où la science du Docteur angélique se montre encore surpassée par l'humble et fervent amour qui déborde en chacune de ces strophes.

Mais la porte sainte du tabernacle une fois refermée sur le Dieu de l'Hostie, nos cœurs sauront n'y point délaisser l'auguste Mystère. Mieux compris par les grâces de lumière tombées sur nous dans cette Octave, il sera plus que jamais l'aimant de nos âmes divinisées au saint banquet, conquises par lui aux sublimes attraits de la Sagesse éternelle.

 

RHYTHMUS S. THOMAE.

 

 

Adoro te devote, latens Deitas,

Quae sub his figuris vere latitas :

Tibi se cor meum totum subjicit,

Quia te contemplans totum deficit.

 

 

Visus, tactus, gustus in te fallitur,

Sed auditu solo tuto creditur :

Credo quidquid dixit Dei Filius,

Nil hoc verbo veritatis verius.

 

 

In cruce latebat sola Deitas,

At hic latet simul et humanitas :

Ambo tamen credens atque confitens,

Peto quod petivit latro pœnitens.

 

 

Plagas, sicut Thomas, non intueor,

Deum tamen meum te confiteor :

Fac me tibi semper magis credere,

In te spem habere, te diligere.

 

 

O memoriale mortis Domini,

Panis vivus, vitam praestans homini :

Praesta mea; menti de te vivere,

Et te illi semper dulce sapere.

 

Pie Pelicane Jesu Domine,

Me immundum munda tuo sanguine :

Cujus una stilla salvum facere,

Totum quit ab omni mundum scelere.

 

Jesu, quem velatum nunc adspicio,

Oro fiat illud quod tam sitio :

Ut te revelata cernens facie,

Visu sim beatus tua; gloriae.

Amen.

 

Je vous adore pieusement, ô Dieu caché, qui sous ces espèces vous dérobez à nos regards : mon cœur tout entier se soumet à vous, et, dans la contemplation de votre présence, mon être tout entier s'anéantit.

 

La vue, le toucher, le goût sont ici en défaut, et l'ouïe seule assure ma foi ; je crois tout ce qu'a dit le Fils de Dieu : rien de plus vrai que la parole de la vérité même.

 

Sur la croix, la divinité seule était cachée ; ici c'est l'humanité même qui se rend invisible : je crois et je confesse l'une et l'autre, et je demande ce que demandait le larron pénitent.

 

Je ne vois pas vos plaies comme les vit Thomas ; néanmoins je confesse que vous êtes mon Dieu : faites que ma foi en vous aille toujours croissant, qu'en vous j'espère, que toujours je vous aime.

 

O mémorial de la mort du Seigneur, pain vivant qui donne la vie à l'homme, donnez à mon âme de vivre de vous, et de goûter toujours votre ineffable douceur.

 

Seigneur Jésus, pélican rempli de tendresse, purifiez mes souillures par votre sang dont une seule goutte peut effacer les péchés du monde entier.

 

Jésus, que maintenant je ne vois qu'à travers un voile, daignez étancher l'ardente soif de mon âme ; faites qu'un jour contemplant à découvert votre visage,  je jouisse éternellement de la vue de votre gloire.

Amen.

 

 

 

Le pieux Ratpert, moine de Saint-Gall, l'ami de Notker et son émule dans la composition des chants sacrés, nous fournira, pour conclure l'Octave du Corpus Domini, cette expression touchante de la piété du IX° siècle envers le divin Sacrement.

 

AD EUCHARISTIAM SUMENDAM.

 

 

O Tout-Puissant, nous te dédions nos louanges, honorant les dons de ton Corps sans égal et de ton Sang précieux.

 

Guide très saint, sois propice aux tiens dans leur indignité : nous approchons de la table sacrée.

 

On répète: O Tout-Puissant, etc.

 

Sois propice, ô très aimant ; très bon, remets les péchés : qu'il nous soit ainsi profitable d'approcher des mystères triomphants

 

On répète: De ton Corps, etc.

 

Qu'il descende vers nous des sommets des cieux l'Ange de sainteté purifiant les corps et les coeurs.

 

O Tout-Puissant, etc.

 

Que ce remède puissant nous conduise aux célestes demeures, en nous donnant guérison sur terre par le secours

De ton Corps, etc.

 

Sauveur clément, dans nos hommages prends en pitié notre misère; Pasteur souverain, protège tes brebis au sacre pâturage.

O Tout-Puissant, etc.

 

Guéries par toi, protège-les, de peur que l'ennemi ne les terrasse encore ; affermis-nous à jamais par le don

De ton Corps, etc.

 

Indignes sommes-nous d'un si grand don, d'un tel honneur: toi-même, ô Roi très doux, conduis-nous au combat.

O Tout-Puissant, etc.

 

Père tout-puissant, dans ta clémence, exauce-nous avec ton Christ et l'Esprit aussi tout-puissant, dignité trine et une

Du Corps, etc.

 

Terminons par ces belles prières de notre ancien Missel gallican.

 

COLLECTIO POST EUCHARISTIAM.

 

Dans la foi qui nous a conduits aux autels sacrés , en possession du Corps et du Sang de Jésus-Christ notre Seigneur et Dieu, prions l'unité de la Trinité bienheureuse : que pleinement fidèles, il nous soit donné d'avoir toujours faim et soif de la justice et d'accomplir ainsi son œuvre dans la force et la grâce du mets du salut, pour que le Sacrement reçu par nous nous soit à remède et non à jugement.

 

COLLECTIO.

 

Regardez-nous, Seigneur, vous qui voulez que les fidèles se nourrissent de votre Corps et deviennent votre Corps ; faites que ce Sacrement soit pour nous la rémission des péchés ; que le divin aliment, fruit de votre bénédiction, se mêle de telle sorte à notre âme, que la chair soumise à l'esprit et subjuguée dans un paisible accord obéisse et ne résiste plus : par l'Esprit-Saint, qui dans l'unité du Père et du Fils et leur étant coéternel vit et règne dans les siècles des siècles. Amen.

 

 

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