LE II JUILLET. LA VISITATION DE LA
TRÈS SAINTE VIERGE.
Déjà, dans les jours qui
précédèrent la naissance du Sauveur, la visite de Marie à sa cousine Elisabeth
a fait l'objet de nos méditations. Mais il convenait de revenir sur une
circonstance aussi importante de la vie de Notre-Dame; la simple mémoire de ce
mystère , au Vendredi des Quatre-Temps de l'Avent, ne suffisait point à faire
ressortir ce qu'il renferme par lui-même d'enseignement profond et de sainte
allégresse. En se complétant dans le cours des âges, la sainte Liturgie devait
exploiter cette mine précieuse, à l'honneur de la Vierge-mère. L'Ordre de saint
François et quelques églises particulières,
comme celles du Mans, de Reims et de Paris, avaient déjà pris les devants,
lorsqu'Urbain VI, en l'année 1389, institua la solennité du présent jour. Le
Pape conseillait le jeûne en la vigile de la fête, et ordonnait qu'elle fût
suivie d'une Octave; il accordait à sa célébration les mêmes indulgences
qu'Urbain IV avait, dans le siècle précédent, attachées à la fête du Corps
du Seigneur. La bulle de promulgation, arrêtée par la mort du Pontife, fut
reprise et publiée par Boniface IX qui lui succéda sur le Siège de saint
Pierre.
Nous apprenons des Leçons de
l'Office primitivement composé pour cette fête, que le but de
500
son institution avait été, dans la pensée d'Urbain,
d'obtenir la cessation du schisme qui désolait alors l'Eglise. Exilée de Rome
durant soixante-dix ans, la papauté venait d'y rentier à peine ; l'enfer,
furieux d'un retour qui contrariait ses plans opposés là comme partout à ceux
du Seigneur, s'en était vengé en parvenant à ranger sous deux chefs le troupeau
de l'unique bercail. Telle était l'obscurité dont de misérables intrigues
avaient su couvrir l'autorité du légitime pasteur, qu'on vit nombre d'églises
hésiter de bonne foi et, finalement, préférer la houlette trompeuse du
mercenaire. Les ténèbres devaient même s'épaissir encore, et la nuit devenir un
moment si profonde, que les ordres de trois papes en présence allaient se
croiser sur le monde, sans que le peuple fidèle, frappé de stupeur, parvînt à
discerner sûrement la voix du Vicaire du Christ. Jamais situation plus
douloureuse n'avait été faite à l'Epouse du Fils de Dieu. Mais Notre-Dame, vers
qui s'était tourné le vrai Pontife au début de l'orage, ne fit point défaut à
la confiance de l'Eglise. Durant les années que l'insondable justice du
Très-Haut avait décrété de laisser aux puissances de l'abîme, elle se tint en
défense, maintenant si bien la tête de l'ancien serpent sous son pied
vainqueur, qu'en dépit de l'effroyable confusion qu'il avait soulevée, sa bave
immonde ne put souiller la foi des peuples ; leur attachement restait immuable
à l'unité de la Chaire romaine, quel qu'en fût dans cette incertitude
l'occupant véritable. Aussi l'Occident, disjoint en fait, mais toujours un
quant au principe, se rejoignit comme de lui-même au temps marqué par Dieu pour
ramener la lumière. Cependant, l'heure venue pour la Reine des saints de
prendre l'offensive, elle ne se contenta pas de
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rétablir dans ses anciennes positions l'armée des élus;
l'enfer dut expier son audace, en rendant à l'Eglise les conquêtes mêmes qui
lui semblaient depuis des siècles assurées pour jamais. La queue du dragon
n'avait point encore fini de s'agiter à Baie, que Florence voyait les chefs du
schisme grec, les Arméniens, les Ethiopiens, les dissidents de Jérusalem, de
Syrie et de Mésopotamie, compenser par leur adhésion inespérée au Pontife
romain les angoisses que l'Occident venait de traverser.
Il restait à montrer qu'un pareil rapprochement des peuples
au sein même de la tempête, était bien l'œuvre de celle que le pilote avait, un
demi-siècle auparavant, appelée au secours de la barque de Pierre. On vit les
factieux de l'assemblée de Bàle en donner la preuve, trop négligée par des
historiens qui ne soupçonnent plus l'importance des grands faits liturgiques
dans l'histoire de la chrétienté ; sur le point de se séparer, les derniers
tenants du schisme consacrèrent la quarante-troisième session de leur prétendu concile
à promulguer, pour ses adhérents, cette même fête de la Visitation en
l'établissement de laquelle Urbain VI avait dès l'abord mis son espoir. Malgré
la résistance de quelques obstinés, le schisme était vraiment fini dès lors ;
l'orage se dissipait : le nom de Marie, invoqué des deux parts, resplendissait
comme le signe de la paix sur les nuées (1). Ainsi l'arc-en-ciel unit dans sa
douce lumière les extrémités opposées de l'horizon. Contemplez-le, dit
l'Esprit-Saint, et bénissez celui qui l'a fait ; car il est beau dans sa
splendeur ! Il embrasse les cieux dans le circuit de sa gloire (2).
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Si l'on se demande pourquoi Dieu
voulut que le mystère de la Visitation, et non un autre, devînt, par cette
solennité qui lui fut consacrée, le monument de la paix reconquise : il est
facile d'en trouver la raison dans la nature même de ce mystère et les
circonstances où il s'accomplit.
C'est là surtout que Marie
apparaît, en effet, comme la véritable arche d'alliance : portant en elle, non
plus les titres périmés du pacte de servitude conclu au bruit du tonnerre entre
Jéhovah et les Juifs; mais l'Emmanuel, témoignage vivant d'une réconciliation
plus vraie, d'une alliance plus sublime entre la terre et les cieux. Par elle,
mieux qu'en Adam, tous les hommes seront frères ; car celui qu'elle cache en
son sein sera le premier-né de la grande famille des fils de Dieu. A peine
conçu, voici que pour lui commence l'œuvre d'universelle propitiation.
Levez-vous, ô Seigneur, vous et l'arche d'où votre sainteté découlera sur le
monde (1). De Nazareth aux montagnes de Judée, dans sa marche rapide, elle sera
protégée par l'aile des chérubins jaloux de contempler sa gloire. Au milieu des
guerriers les plus illustres et des chœurs d'Israël, David conduisit l'arche
figurative de la maison d'Abinadab à celle d'Obedédom (2) ; mieux que lui, Dieu
votre Père saura entourer l'arche sacrée du Testament nouveau, lui composant
une escorte de l'élite des célestes phalanges.
Heureuse fut la demeure du lévite devenu, pour trois mois,
l'hôte du Très-Haut résidant sur le propitiatoire d'or; plus fortunée sera
celle du prêtre Zacharie, qui, durant un même espace de temps, abritera
l'éternelle Sagesse nouvellement descendue au sein très pur où vient de se
consommer
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mer l'union qu'ambitionnait son amour ! Par le péché
d'origine, l'ennemi de Dieu et des hommes tenait captif, en cette maison bénie,
celui qui devait en être l'ornement dans les siècles sans fin ; l'ambassade de
l'ange annonçant la naissance de Jean, sa conception miraculeuse, n'avaient
point exempté le fils de la stérile du tribut honteux que tous les fils d'Adam
doivent solder au prince de la mort, à leur entrée dans la vie. Mais, les
habitants d'Azot en firent autrefois l'expérience, Dagon ne saurait tenir
debout devant l'arche (1) : Marie paraît, et Satan renversé subit dans l'âme de
Jean sa plus belle défaite, qui toutefois ne sera point la dernière ; car
l'arche de l'alliance n'arrêtera ses triomphes qu'avec la réconciliation du
dernier des élus.
Célébrons cette journée par nos
chants d'allégresse ; car toute victoire, pour l'Eglise et ses fils, est en
germe dans ce mystère : désormais l'arche sainte préside aux combats du nouvel
Israël. Plus de division entre l'homme et Dieu, le chrétien et ses frères; si
l'arche ancienne fut impuissante à empêcher la scission des tribus, le schisme
et l'hérésie n'auront licence de tenir tête à Marie durant plus ou moins
d'années ou de siècles, que pour mieux enfin faire éclater sa gloire. D'elle
sans cesse, comme en ce jour béni, s'échapperont, sous les yeux de l'ennemi
confondu, et la joie des petits, et la bénédiction de tous, et la perfection
des pontifes (2). Au tressaillement de Jean, à la subite exclamation d'Elisabeth,
au chant de Zacharie, joignons le tribut de nos voix; que toute la terre en
retentisse. Ainsi jadis était saluée la venue de l'arche au camp des Hébreux ;
les Philistins, l'entendant,
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savaient par là que le secours du Seigneur était descendu ;
et, saisis de crainte, ils gémissaient,
disant : « Malheur à nous : il n'y avait pas si grande joie hier ; malheur à
nous (1) ! » Oui certes, aujourd'hui avec Jean, le genre humain tressaille et
il chante; oui certes, aujourd'hui à bon
droit l'ennemi se lamente : le premier coup du talon de la femme (2) frappe
aujourd'hui sa tête altière, et Jean délivré
est en cela le précurseur de nous tous. Plus heureux que l'ancien, le nouvel
Israël est assuré que jamais sa gloire ne lui
sera ôtée ; jamais ne sera prise l'arche sainte qui lui fait traverser
les flots (3) et abat devant lui les forteresses (4). Combien donc n'est-il pas
juste que ce jour, où prend fin la série de défaites commencée en Eden, soit
aussi le jour des cantiques nouveaux du nouveau peuple ! Mais à qui d'entonner
l'hymne du triomphe, sinon à qui remportela victoire ? Levez-vous donc,
levez-vous, Debbora ; levez-vous et chantez le Cantique (5). Les forts avaient
disparu, jusqu'à ce que s'élevât Marie, la vraie Debbora, jusqu'à ce que parût
la Mère en Israël (6). « C'est moi, c'est moi, dit-elle en effet, qui chanterai
au Seigneur, qui célébrerai le Dieu
d'Israël (7). Selon la parole de mon
aïeul David, magnifiez avec moi le Seigneur, et tous ensemble exaltons son saint nom (8). Mon cœur, comme celui
d'Anne, a tressailli en Dieu son Sauveur (9). Car, de même qu'en Judith sa
servante, il a accompli en moi sa miséricorde (10) et fait que ma louange sera
dans toutes les bouches jusqu'à l'éternité (11). Il est puissant celui qui a
fait en moi de grandes choses (12); il n'est point de sainteté
5o5
pareille à la sienne (1). Ainsi que par Esther, il a pour
toutes les générations sauvé ceux qui le craignent (2); dans la force de son
bras (3), il a retourné contre l'impie les projets de son cœur, renversant
l'orgueilleux Aman de son siège et relevant les humbles; il a fait passer des
riches aux affamés l'abondance (4) ; il s'est ressouvenu de son peuple et a eu
pitié de son héritage (5). Telle était bien la promesse que reçut Abraham, et
que nos pères nous ont transmise : il a fait comme il avait dit (6). »
Filles de Sion, et vous tous qui
gémissiez dans les fers de Satan, l'hymne de la délivrance a donc retenti sur
notre terre. A la suite de celle qui porte en son sein le gage de l'alliance,
formons des chœurs ; mieux que Marie sœur d'Aaron, et à plus juste titre, elle
préside au concert d'Israël (7). Ainsi elle chante en ce jour de triomphe,
rappelant tous les chants de victoire qui préludèrent dans les siècles de
l'attente à son divin Cantique. Mais les victoires passées du peuple élu
n'étaient que la figure de celle que remporte, en cette fête de sa
manifestation, la glorieuse souveraine qui, mieux que Debbora, Judith ou
Esther, a commencé de délivrer son peuple ; en sa bouche, les accents de ses
illustres devancières ont passé de l'aspiration enflammée des temps de la
prophétie à l'extase sereine qui marque la possession du Dieu longtemps
attendu. Une ère nouvelle commence pour les chants sacrés : la louange divine
reçoit de-Marie le caractère qu'elle ne perdra plus ici-bas, qu'elle gardera
jusque dans l'éternité.
5o6
Les considérations qui précèdent nous ont été inspirées par
le motif spécial qui porta l'Eglise, au XIV° siècle, à instituer cette fête. En
rendant Rome à Pie IX exilé, au 2 juillet de l'année 1849 (1), Marie a montré
de nouveau dans nos temps que cette date était bien pour elle une journée de
victoire. Mais le mystère de la glorieuse Visitation est si vaste, que nous ne
saurions, eu égard aux limites qui nous sont imposées, songer à épuiser ici
tous les enseignements qu'il renferme. Quelques-uns d'eux, au reste, nous ont
été donnés dans les jours de l'Avent; d'autres plus récemment, à l'occasion de
la fête de saint Jean-Baptiste et de son Octave ; d'autres enfin seront mis en
lumière par l'Epître et l'Evangile de la Messe qui va suivre.
AUX PREMIERES VEPRES.
Les Antiennes de l'Office sont
toutes tirées de l'Evangile, et
reproduisent historiquement le mystère
du jour.
1. Ant MARIE se levant grande hâte par les
montagnes en une ville de Juda.
Psaume CIX Dixit Dominus, page 43.
2. Ant. Marie entra dans la
maison de Zacharie, et elle salua Elisabeth.
Psaume CXII. Laudate pueri, page 46.
3. Ant. Sitôt qu'Elisabeth entendit la salutation de Marie, l'enfant
tressaillit dans son sein, et elle fut remplie du Saint-Esprit.Alléluia.
PSAUME CXXI
Je me suis réjoui quand on
m'a dit : Nous irons vers Marie, la maison du Seigneur.
Nos pieds se sont fixés dans
tes parvis, ô Jérusalem ! nos cœurs dans votre amour, ô Marie!
Marie, semblable à Jérusalem, est bâtie comme une Cité : tous ceux qui
habitent dans son amour sont unis et liés ensemble.
C'est en elle que se sont
donné rendez-vous les tribus du Seigneur, selon l'ordre qu'il en a donné à
Israël, poury louer le Nom du Seigneur.
Là, sont dressés les sièges
de la justice, les trônes de la maison de David ; et Marie est la fille des
Rois.
Demandez à Dieu, par Marie,
la paix pour Jérusalem : que tous les biens soient pour ceux qui t'aiment, ô
Eglise!
Voix de Marie: Que la paix règne sur tes remparts, ô nouvelle Sion!
et l'abondance dans tes forteresses.
Moi, la fille d'Israël, je prononce sur toi des paroles de paix, à cause de
mes frères et de mes amis qui sont au milieu de toi.
Parce que tu es la maison du
Seigneur notre Dieu, j'ai appelé sur toi tous les biens.
4. Ant. Vous êtes bénie entre
toutes les femmes, et Jésus, le fruit de vos entrailles, est béni.
PSAUME CXXV
Si le Seigneur ne bâtit la maison, en vain
travaillent ceux qui la bâtissent.
Si le Seigneur ne garde la
cité, inutilement veilleront ses gardiens.
En vain vous vous lèverez
avant le jour : levez-vous après le repos, vous qui mangez le pain de la
douleur.
Le Seigneur aura donné un
sommeil tranquille à ceux qu'il aime : des fils, voilà l'héritage que le
Seigneur leur destine ; le fruit des entrailles, voilà leur récompense.
Comme des flèches dans une
main puissante, ainsi seront les fils de ceux que l'on opprime.
Heureux l'homme qui en a
rempli son désir! il ne sera pas confondu, quand il parlera à ses ennemis aux
portes de la ville.
5. Ant. Au moment même où
votre voix a frappé mes oreilles, lorsque vous m'avez saluée, mon enfant a
tressailli dans mon sein. Alléluia.
509
PSAUME CXLVII
Marie, vraie
Jérusalem, chantez le Seigneur; Marie, sainte Sion, chantez votre Dieu.
C'est lui qui fortifie contre
le péché les serrures de vos portes ; il bénit les fils nés en votre sein.
Il a placé la paix sur vos
frontières; il vous nourrit de la fleur du froment, Jésus, le Pain de vie.
Il envoie par vous son
Verbe à la terre ; sa parole parcourt le monde avec rapidité.
Il donne la neige comme des
flocons de laine; il répand les frimas comme la poussière.
Il envoie le cristal de la
glace semblable à un pain léger : qui pourrait résister devant le froid que son
souffle répand?
Mais bientôt il envoie son
Verbe en Marie, et cette glace si dure se fond à sa chaleur : l'Esprit
de Dieu souffle, et les eaux reprennent leur cours.
Il a donné son Verbe à Jacob,
sa loi et ses jugements à Israël.
Jusqu'aux jours où nous
sommes, il n'avait point traité de la
sorte toutes les nations, et ne leur avait pas manifesté ses décrets.
Les Psaumes ont chanté la grandeur
de Celui que l'humilité de Marie vient d'attirer en elle, et qui la
manifeste pour la première fois au monde comme la Cité de Dieu, bâtie par
lui avec amour, ainsi qu'elle-même le proclame aujourd'hui en louant le
Seigneur son Dieu. Le Capitule est emprunté, comme les Psaumes et l'Hymne,
à l'Office commun de Notre-Dame ; il rappelle l'auguste prédestination qui, dès
avant tous les âges, unit inséparablement l'éternelle Sagesse et la femme bénie
plus que toutes en qui elle devait prendre chair.
CAPITULE. (Eccli. XXIV.)
J’ai été créée dès le
commencement et avant les siècles, et jusque dans le siècle futur je ne
cesserai point d'être ; j'ai rempli mon office devant lui dans son temple.
HYMNE.
Salut, astre des mers.
Mère de Dieu féconde !
Salut, ô toujours Vierge,
Porte heureuse du ciel !
Vous qui de Gabriel
Ayez reçu l’Ave,
Fondez-nous dans la paix,
Changeant le nom d’Eva.
Délivrez les captifs,
Eclairez les aveugles,
Chassez loin tous nos maux,
Demandez tous les biens.
Montrez en vous la Mère;
Vous-même offrez nos vœux
Au Dieu qui, né pour nous,
Voulut naître de vous.
O Vierge incomparable,
Vierge douce entre toutes !
Affranchis du péché,
Rendez-nous doux et chastes.
Donnez vie innocente
Et sûr pèlerinage,
Pour qu'un jour soit Jésus
Notre liesse à tous.
Louange à Dieu le Père,
Gloire au Christ souverain ;
Louange au Saint-Esprit;
Aux trois un seul hommage.
Amen.
V/. Vous êtes bénie entre
toutes les femmes.
R/. Et le fruit de vos
entrailles est béni.
Chaque jour, le solennel Office
du soir emprunte au Cantique de Marie son parfum le plus suave. Il n'est pas
jusqu'au soir du grand Vendredi où Notre-Dame ne soit invitée par l'Eglise de
la terre à le redire, près de la croix sur laquelle vient de se consommer le
terrible drame. C'est qu'en effet, l'incomparable Cantique a pour objet la
rédemption tout entière; au pied de la croix, non moins que dans les journées si
douces où nous ramène la solennité présente, ce qui domine en Marie et
l'emporte sur tous les déchirements comme sur toutes les joies, c'est la pensée
de la gloire de Dieu enfin satisfaite, du salut de l'homme enfin assuré.
Aujourd'hui que les mystères du Cycle ont achevé récemment de passer sous nos
yeux, le Magnificat résonne, pour ainsi dire, dans son ampleur, en même
temps qu'il reçoit de cette fête toute la fraîcheur du premier jour où il fut donné au monde de l'entendre.
ANTIENNE de Magnificat.
Bienheureuse êtes-vous d'avoir cru, ô Marie ! Les choses qui vous ont été dites par le Seigneur s'accompliront en vous.
Alléluia.
Le Cantique Magnificat,
page 51.
L'Oraison est la Collecte de la Messe,
ci-après, page 515.
On fait ensuite mémoire de
l'Octave de saint Jean, page 323.
En ce jour où Satan voit pour la
première fois reculer son infernale milice devant l'arche sainte, deux
combattants de l'armée des élus font cortège à leur Reine. Députés vers Marie
par Pierre lui-même en son Octave glorieuse, ils ont dû cet honneur à la foi
qui leur fit reconnaître dans le condamné de Néron le chef du peuple de Dieu.
Le prince des Apôtres attendait
son martyre au fond de la prison Mamertine, lorsque la miséricorde divine amena
près de lui deux soldats romains, ceux-là mêmes dont les noms sont devenus
inséparables du sien dans la mémoire de l'Eglise. L'un se nommait Processus, et
l'autre Martinien. Ils furent frappés de la dignité de ce vieillard confié à
leur garde pour quelques heures, et qui ne devait remonter à la lumière que
pour périr sur un gibet. Pierre leur parla de la vie éternelle et du Fils de
Dieu qui a aimé les hommes jusqu'à donner son
sang pour leur rachat. Processus et
513
Martinien reçurent d'un cœur docile cet enseignement
inattendu, ils l'acceptèrent avec une foi simple, et demandèrent la grâce de la
régénération. Mais l'eau manquait dans le cachot, et Pierre dut faire appel au
pouvoir de commander à la nature que le Rédempteur avait confié à ses Apôtres,
en les envoyant dans le monde. A la parole du vieillard, une fontaine jaillit
du sol, et les deux soldats furent baptisés dans l'eau miraculeuse. La piété
chrétienne vénère encore aujourd'hui cette fontaine, qui ne diminue ni ne
déborde jamais. Processus et Martinien ne tardèrent pas à payer de leur vie
l'honneur qu'ils avaient reçu d'être initiés à la foi chrétienne par le prince
des Apôtres, et ils sont honorés entre les martyrs (1).
Leur culte remonte aussi haut que
celui de Pierre même. A l'âge de la paix, une basilique s'éleva sur leur tombe.
Saint Grégoire y prononça, en la solennité anniversaire de leurs combats, la
trente-deuxième de ses Homélies sur l'Evangile; le grand Pape rend témoignage
aux miracles qui s'opéraient dans ce lieu sacré, et il célèbre en particulier
le pouvoir que les deux saints martyrs ont de protéger leurs dévots clients au
jour des justices du Seigneur (2). Plus tard, saint Paschal Ier enrichit de
leurs corps la basilique du prince des Apôtres. Ils occupent aujourd'hui la
place d'honneur dans le bras gauche de la croix latine formée par l'immense
édifice, et donnent leur nom à tout ce côté du transept où le concile du
Vatican a tenu ses sessions immortelles; il convenait que l'auguste assemblée
poursuivît ses travaux sous le patronage des deux vaillants soldats, gardiens
de
514
Pierre et sa conquête aux jours de sa glorieuse confession.
N'oublions point ces illustres protecteurs de l'Eglise. La fête de la
Visitation, d'institution plus récente que la leur, ne l'a cependant point
amoindrie; si maintenant leur gloire se perd, pour ainsi dire, en celle de
Notre-Dame, leur puissance n'a pu que s'accroître à ce rapprochement avec la
douce souveraine de la terre et des deux.
A LA MESSE.
L'Introït est celui des Messes
votives de Notre-Dame à cette époque de l'année. Il est tiré de Sédulius (1),
le poète chrétien du ve siècle, auquel la sainte Liturgie a fait d'autres
emprunts si gracieux dans les jours de Noël et de l'Epiphanie. La parole
excellente célébrée dans le Verset, l'œuvre que dédie au Roi la
Vierge-mère, il n'est personne qui ne la reconnaisse aujourd'hui dans le
sublime Magnificat,richesse et gloire de cette journée.
Salut, Mère sainte, o vous
dont l'enfantement a mis au monde le Roi qui gouverne le ciel et la terre dans
les siècles. Sa puissance est à jamais, comme son empire embrassant tout dans
un cercle éternel. Pour vous s'unissent, en un sein fortune, les joies de la
mère et l'honneur de la vierge ; avant vous, ni après, on ne vit rien de
semblable ; seule entre toutes et sans exemple vous avez plu au Christ !
INTROÏT.
Salut, Mère sainte, ôvous
dont l'enfantement a mis au monde le Roi qui gouverne le ciel et la terre dans
les siècles des siècles !
Ps. Mon cœur a proféré une parole excellente; c'est au
Roi que je dédie mes chants. Gloire au Père. Salut.
La paix est le don précieux que
la terre implorait sans fin depuis le péché d'origine. Réjouissons-nous donc ;
car le Prince de la paix se révèle par Marie en ce jour. La solennelle mémoire
du mystère que nous célébrons, va développer en nous l'œuvre de salut commencée
dans celui de Noël, aux premiers jours du Cycle. Implorons cette grâce par la
Collecte, avec la sainte Eglise.
COLLECTE.
Seigneur, nous vous prions
d'accorder à vos serviteurs le don de la grâce céleste : afin que ceux pour qui
l'enfantement de la bienheureuse Vierge a marqué le commencement du salut,
trouvent dans la solennelle mémoire de sa Visitation l'accroissement de la
paix. Par Jésus-Christ notre Seigneur.
Dans les Messes privées, à la
suite des Collecte, Secrète et Postcommunion de la fête, on fait mémoire des
saints martyrs Processus et Martinien.
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ORAISON.
O Dieu qui, par la glorieuse
confession de vos saints martyrs Processus et Martinien, nous entourez comme
d'un rempart ; donnez-nous de profiter de leurs exemples et d'éprouver dans la
joie l'effet de leurs prières. Par Jésus-Christ.
ÉPÎTRE
Lecture du livre de la Sagesse. Cant. II.
Le voici qui vient,
bondissant sur les montagnes, franchissant les collines. Mon bien-aimé est
semblable au chevreuil et au faon de la biche. Le voilà debout derrière notre
muraille; il regarde par la fenêtre, il observe à travers le treillis. Voilà
mon bien-aimé qui me parle : Lève-toi, ma bien-aimée, ma colombe, ma belle ;
hâte-toi, et viens. L'hiver est passé, les pluies ont cessé, elles ont fui. Les
fleurs paraissent sur nos terres, le temps détailler la vigne est arrivé, la
voix de la tourterelle s'est fait entendre dans nos campagnes, le figuier
pousse ses bourgeons, la vigne en fleur envoie son parfum ; lève-toi, ma
bien-aimée, ma belle, et viens. O ma colombe, tu semblés retirée dans le creux
du rocher, dans les fentes d'un mur en ruines ; montre-moi donc enfin
ton visage ; que ta voix se fasse entendre à mes oreilles ; car ta voix est
douce, et ton visage est éclatant de beauté.
L'Eglise nous introduit dans la
profondeur du mystère. La lecture qui précède n'est que l'explication de cette
parole d'Elisabeth où toute la fête est résumée : Au son de votre voix, mon
enfant a tressailli dans mon sein. Voix de Marie, voix de la tourterelle,
qui met l'hiver en fuite et annonce le printemps, les parfums et les fleurs! A
ce signal si doux, captive dans la nuit du péché, l'âme de Jean s'est
dépouillée des livrées de l'esclave, et, développant soudain les germes des
vertus les plus hautes, elle est apparue belle comme l'épouse en tout l'éclat
du jour des noces. Aussi, quelle hâte de Jésus vers cette âme bien-aimée! Entre
Jean et l'Epoux, que d'épanchements ineffables ! quel dialogue sublime du sein
d'Elisabeth à celui de Marie! Admirables mères, plus admirables enfants ! Dans
la rencontre fortunée, l'ouïe, les yeux, la voix des mères, sont moins à elles qu'aux
fruits bénis de leurs seins; leurs sens sont le treillis par lequel l'Epoux et
l'Ami de l'Epoux se voient, se comprennent et se parlent.
L'homme animal, il est vrai, ne comprend pointée langage (1).
Père, dira l'Homme-Dieu plus tard, je vous rends grâces de ce que vous avez
caché ces choses aux prudents et aux sages, pour les révéler aux petits (2).
Que celui-là donc qui a des oreilles pour entendre, entende (3) ; mais en
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vérité, je vous le dis, si vous ne devenez comme des petits
enfants, vous n'entrerez point dans le royaume des cieux (1), ni ne connaîtrez
ses mystères (2). La Sagesse n'en sera pas moins justifiée par ses fils, comme
le dit l'Evangile (3). Dans la droiture de leur humilité, les simples de cœur,
en quête de lumière, dépassent les ombres vaines qui se jouent au-dessus des
marais de ce monde ; ils savent que le premier rayon du soleil de l'éternité
dissipera ces fantômes, ne laissant que le vide à ceux qui s'y seront arrêtés.
Pour eux, dès maintenant ils se nourrissent de ce que l'œil n'a point vu, ni
l'oreille entendu, préludant ici-bas aux délices éternelles (4).
Jean-Baptiste en fait à cette
heure l'ineffable expérience. Prévenue par le divin ami qui l'a recherchée, son
âme s'éveille en pleine extase. Pour Jésus, d'autre part, c'est la première
conquête; c'est à l'adresse de Jean que, pour la première fois en dehors de
Marie, les accents de l'épithalame sacré se formulent dans l'âme du Verbe fait
chair et font battre son cœur. Aujourd'hui donc, et c'est l'enseignement de
notre Epître, à côté du Magnificat s'inaugure aussi le divin Cantique dans la
pleine acception que l'Esprit-Saint voulut lui donner. Jamais les ravissements
de l'Epoux ne seront plus justifiés qu'en ce jour béni; jamais ils ne
trouveront écho plus fidèle. Echauffons-nous à ces ardeurs du ciel ; joignons
notre enthousiasme à celui de l'éternelle Sagesse, dont cette journée marque le
premier pas vers l'humanité tout entière. Avec Jésus, sollicitons le Précurseur
de se montrer enfin. N'était l'ordre
519
d'en haut, l'ivresse de l'amour lui ferait soudain, en
effet, forcer la muraille qui l'empêche de paraître et d'annoncer l'Epoux. Car
il sait que la vue de son visage, précédant la face même du Seigneur, excitera,
elle aussi, les transports de la terre ; il sait que sa voix sera douce, quand
elle sera l'organe du Verbe appelant à
lui l'Epouse.
Avec Elisabeth, exaltons au Graduel
la Vierge bénie qui nous vaut toutes ces joies, et en qui l'amour tient enfermé
celui que le monde ne pouvait contenir. Le distique que l'on chante au Verset,
était cher à la piété du moyen âge ; on le retrouve en diverses liturgies, soit
comme début d'Hymne (1), soit sous forme d'Antienne dans la composition des
Messes ou de l'Office.
GRADUEL
Vous êtes bénie et digne de toute
vénération,
1. Vierge mère de Dieu, celui
que le monde entier ne saurait contenir s'est enfermé dans votre sein, s'y
faisant homme.
La foi en votre Fils a
purifié les crimes du monde ; et la virginité vous demeure inviolée.
L'univers vous salue comme la
mère de l'amour ; l'univers vous proclame sa puissance : à vos serviteurs, ô
bénie, soyez secourable.
Gloire immense soit au Père ;
à vous, ô Fils, gloire égale ; à l'Esprit-Saint, également Dieu, gloire immense
!
Amen.
Vierge Marie, qui, sans la
moindre souillure, êtes devenue mère du Sauveur.
V/. Vierge mère de Dieu,
celui que le monde entier ne saurait contenir s'est enferme dans votre sein,
s'y faisant homme.
Alléluia, alléluia.
V/. Heureuse êtes-vous et
digne de toute louange, sainte Vierge Marie ! de vous s'est levé le Soleil de
justice, le Christ notre Dieu. Alléluia.
ÉVANGILE
La suite du saint Evangile selon saint LUC. Chap. I.
En ce temps-là, Marie se levant s'en alla en grande hâte par
les montagnes en une ville de Juda. Et entrant dans la maison de Zacharie, elle
salua Elisabeth. Or il arriva que dès qu'Elisabeth eut entendu le salut de
Marie, son enfant tressaillit dans son sein ; et, remplie au même moment du
Saint-Esprit, Elisabeth s'écria à haute voix : Vous êtes bénie entre les
femmes, et le fruit de vos entrailles est béni. Et d'où me vient ce bonheur que
la mère de mon Seigneur vienne à moi? Voici, en effet, qu'à l'instant même où
votre voix me saluant a frappé mes oreilles, mon enfant a tressailli de joie dans mon sein. Bienheureuse, vous qui
avez cru ! Les choses qui vous ont été dites par le Seigneur, s'accompliront.
Et Marie dit : Mon âme glorifie le Seigneur, et mon esprit tressaille en Dieu
mon Sauveur.
Marie avait appris de l'archange
qu'Elisabeth allait bientôt devenir mère. La pensée des services que réclament
sa vénérable cousine et l'enfant qui va naître, lui fait prendre aussitôt la
route des montagnes où est située l'habitation de Zacharie. Ainsi va, ainsi presse,
quand elle est vraie, la charité du Christ (1). Il n'est point d'état
d'âme où, sous le prétexte d'une perfection plus relevée, le chrétien puisse
oublier ses frères. Marie venait de contracter avec Dieu l'union la plus haute;
et volontiers notre imagination se la représenterait impuissante à tout, perdue
dans l'extase, durant ces jours où le Verbe, prenant chair de sa chair,
l'inonde en retour de tous les flots de sa divinité. L'Evangile est formel
cependant : c'est en ces jours mêmes (2) que l'humble vierge, assise
jusque-là dans le secret de la face du Seigneur (3), se lève pour se dévouer à
tous les besoins du prochain dans le corps et dans l'âme. Serait-ce à dire que
les œuvres l'emportent sur la prière, et que la contemplation n'est plus la
meilleure part ? Non, sans doute ; et Notre-Dame n'avait jamais si directement
ni si pleinement qu'en ces mêmes jours, adhéré à Dieu par tout son être. Mais
la créature parvenue sur les sommets de la vie unitive, est d'autant plus apte aux
522
œuvres du dehors qu'aucune dépense de soi ne peut la
distraire du centre immuable où elle reste fixée.
Insigne privilège, résultat de cette
division de l'esprit et de l’âme (1) à laquelle tous n'arrivent point,
et qui marque l'un des pas les plus décisifs dans les voies spirituelles ; car
elle suppose la purification tellement parfaite de l'être humain, qu'il ne
forme plus en toute vérité qu'un même esprit avec le Seigneur (2) ; elle
entraîne une soumission si absolue des puissances, que, sans se heurter, elles
obéissent simultanément, dans leurs sphères diverses, au souffle divin.
Tant que le chrétien n'a point
franchi ce dernier défilé défendu avec acharnement par la nature, tant qu'il
n'a pas conquis cette liberté sainte des enfants de Dieu (3), il ne peut, en
effet, aller à l'homme sans quitter Dieu en quelque chose. Non qu'il doive
négliger pour cela ses devoirs envers le prochain, dans qui Dieu a voulu que
nous le voyions lui-même; heureux toutefois qui, comme Marie, ne perd rien de
la meilleure part, en vaquant aux obligations de ce monde ! Mais combien petit
est le nombre de ces privilégiés, et quelle illusion serait de se persuader le
contraire !
Nous retrouverons ces pensées au
jour de la triomphante Assomption ; mais l'Evangile qu'on vient d'entendre,
nous faisait un devoir d'attirer dès maintenant sur elles l'attention du lecteur.
C'est spécialement en cette fête, que Notre-Dame a mérité d'être invoquée comme
le modèle de tous ceux qui s'adonnent aux œuvres de miséricorde ; s'il n'est
point donné à tous de tenir comme elle,
523
dans le même temps, leur esprit plus que jamais abîmé en
Dieu : tous néanmoins doivent s'efforcer d'approcher sans fin, par la pratique
du recueillement et de la divine louange, des lumineux sommets où leur Reine se
montre aujourd'hui dans la plénitude de ses perfections ineffables.
L'Offertoire chante le glorieux privilège de Marie, mère
et vierge, enfantant celui qui l'a faite.
OFFERTOIRE.
BIENHEUREUSE êtes-vous,
Vierge Marie, qui avez porté le Créateur de toutes choses ! vous avez engendré
celui qui vous a faite, et restez vierge éternellement.
Le Fils de Dieu, naissant de
Marie, a consacré son intégrité virginale. Obtenons, dans la Secrète de ce
jour, qu'il veuille en souvenir de sa Mère nous purifier de nos souillures, et
rendre ainsi notre offrande acceptable au Dieu très-haut.
SECRETE.
Permettez, Seigneur, que
vienne à notre aide l'humanité de votre Fils unique; né d'une vierge, loin de
léser l'intégrité de sa mère, il l'a consacrée : qu'il nous délivre de nos fautes
et vous rende ainsi notre offrande acceptable en cette fête de la Visitation,
Jésus-Christ notre Seigneur qui, étant Dieu, vit et règne avec vous.
524
MEMOIRE DES SAINTS PROCESSUS ET MARTINIEN.
Recevez, Seigneur, nos prières et nos dons; pour qu'ils soient
dignes de votre regard, puissions-nous être aidés des prières de vos saints.
Par Jésus-Christ.
PREFACE.
C'est une chose digne et juste, équitable et salutaire,
Seigneur saint, Père tout-puissant, Dieu éternel, de vous
rendre grâces en tout temps et en
tous lieux ; spécialement de vous louer, de vous bénir, de vous célébrer en la
Visitation de la bienheureuse Marie toujours vierge. C'est elle qui a conçu
votre Fils unique par l'opération du Saint-Esprit, et qui, sans rien perdre de
la gloire de sa virginité, a donné au
monde la Lumière éternelle, Jésus-Christ notre Seigneur: par qui les
Anges louent votre majesté, les Dominations
l'adorent, les Puissances la révèrent en tremblant, les Cieux et les Vertus des
Cieux, et les heureux Séraphins la célèbrent avec transport. Daignez permettre
à nos voix de s'unir à leurs voix, afin que nous puissions dire dans une humble
confession: Saint! Saint! Saint!
L'Eglise possède en elle, dans
les Mystères, le même Fils du Père éternel que portèrent durant neuf mois les
entrailles de Marie. C'est en son sein bienheureux que, pour venir à nous tous,
il a pris un corps. Chantons, dans l'Antienne de la Communion, et le Fils et la
Mère.
COMMUNION.
Bienheureuses les entrailles
de la Vierge Marie, qui ont porté le Fils du Père éternel !
La célébration de chacun des
mystères du salut par la participation au divin Sacrement qui les contient
tous, est un moyen d'obtenir l'éloignement du mal pour ce monde et pour
l'éternité. C'est ce qu'exprime la Postcommunion en ce qui touche le mystère de
ce jour.
POSTCOMMUNION
Nous avons, Seigneur,
participé aux Mystères qui consacrent cette fête annuelle ; faites, nous vous
en supplions, qu'ils nous soient un remède pour la vie du temps et pour l’éternelle. Par Jésus-Christ.
MÉMOIRE DES SAINTS PROCESSUS ET MARTINIEN.
Remplis de l'aliment du Corps
sacré et du Sang précieux, nous vous prions, ô Seigneur notre Dieu, de faire
que l'acte pieux de notre dévotion obtienne sûrement son effet rédempteur. Par
le même Jésus-Christ notre Seigneur.
526
AUX SECONDES VÊPRES.
Les Antiennes, les Psaumes, le
Capitule, l'Hymne et le Verset, sont les mêmes qu'aux premières Vêpres, pages
5o6-511.
ANTIENNE de Magnificat.
Toutes les générations
m'appelleront bienheureuse, parce que Dieu a regardé son humble servante.
Alléluia.
Les XIVe et XV° siècles ont
chanté en de gracieuses compositions le mystère de ce jour. Celle qui suit eut
le don d'exciter la colère des prétendus Réformés par les expressions de sa
piété si touchante envers la Mère de Dieu. On y remarquera l'appel à l'unité
pour ceux qui s'égarent. Selon ce que nous avons dit du motif qui porta
l'Eglise à établir la fête de la Visitation, Marie est de même invoquée, en
d'autres formules du même temps propres à cette fête, comme la lumière qui
dissipe tous les nuages (1), qui dissout tous les schismes (2).
SÉQUENCE.
Venez, glorieuse souveraine ;
Marie, vous-même visitez-nous : illuminez nos âmes malades, donnez-nous de
vivre saintement.
Venez, vous qui sauvâtes le
monde, enlevez la souillure de nos crimes; dans cette visite à votre peuple,
écartez tout péril de peine.
Venez, reine des nations,
éteignez les flammes du péché ; quiconque s'égare, redressez-le , donnez à tous
vie innocente.
Venez, visitez les malades ;
Marie, fortifiez les courages par la vertu de votre impulsion sainte, bannissez
les hésitations.
Venez, étoile, lumière des
mers, faites briller le rayon de la paix ; que Jean tressaille devant son
Seigneur.
Venez, sceptre des rois,
ramenez les foules errantes à l'unité de foi qui est le salut des citoyens des
cieux.
Venez, implorez pour nous
ardemment les dons de l'Esprit-Saint, afin que nous suivions une ligne plus
droite dans les actes de cette vie.
Venez, louons le Fils, louons
l'Esprit-Saint, louons le Père, unique Dieu : qu'il nous donne secours.
Amen.
Quelle est celle-ci, qui
s'avance belle comme l'aurore à son lever, terrible comme une armée rangée en
bataille (1) ? O Marie, c'est aujourd'hui que, pour la première fois, votre
douce clarté réjouit la terre. Vous portez en vous le Soleil de justice; et sa
lumière naissante frappant le sommet des monts, tandis que la plaine est encore
dans la nuit, atteint d'abord le Précurseur illustre dont il est dit qu'entre
les fils des femmes il n'est point de plus grand. Bientôt l'astre divin,
montant toujours, inondera de ses feux les plus humbles vallées. Mais que de
grâce en ces premiers rayons qui s'échappent de la nuée sous laquelle il se
cache encore! Car vous êtes, ô Marie, la nuée légère, espoir du monde,
terreur de l'enfer (2) ; en sa céleste transparence, contemplant de loin les
mystères de ce jour, Elie le père des prophètes et Isaïe leur prince
découvrirent tous deux le Seigneur. Ils vous voyaient hâtant votre course
au-dessus des montagnes, et ils bénissaient Dieu; car, dit l'Esprit-Saint,
lorsque l'hiver a enchaîné les neuves, desséché les vallées, brûlé les
montagnes, le remède à tout est dans la hâte de la nuée (3).
Hâtez-vous donc, ô Marie ! Venez
à nous tous, et que ce ne soient plus seulement les montagnes qui ressentent
les bienfaits de votre sereine influence : abaissez-vous jusqu'aux régions sans
gloire où la plus grande partie du genre humain végète, impuissante à s'élever
sur les hauteurs ; que jusque dans les abîmes de perversité les plus voisins du
gouffre infernal, votre visite fasse pénétrer la lumière du salut. Oh !
puissions-nous, des prisons du péché, de la plaine où s'agite le vulgaire, être
entraînés à votre suite ! Ils sont si
529
beaux vos pas dans nos humbles sentiers (1), ils sont si
suaves les parfums dont vous enivrez aujourd'hui la terre (2)! Vous n'étiez
point connue, vous-même vous ignoriez, ô la plus belle des filles d'Adam,
jusqu'à cette première sortie qui vous amène vers nos pauvres demeures (3) et
manifeste votre puissance. Le désert, embaumé soudain des senteurs du ciel,
acclame au passage, non plus l'arche des figures, mais la litière du vrai
Salomon, en ces jours mêmes qui sont les jours des noces sublimes qu'a
voulu contracter son amour (4). Quoi d'étonnant si d'une course rapide elle
franchit les montagnes, portant l'Epoux qui s'élance comme un géant de sommets
en sommets (5) ?
Vous n'êtes pas, ô Marie, celle
qui nous est montrée dans le divin Cantique hésitante à l'action malgré le
céleste appel, inconsidérément éprise du mystique repos au point de le placer
ailleurs que dans le bon plaisir absolu du Bien-Aimé. Ce n'est point vous qui,
à la voix de l'Epoux, ferez difficulté de reprendre pour lui les vêtements du
travail, d'exposer tant qu'il le voudra vos pieds sans tache à la poussière des
chemins de ce monde (6). Bien plutôt : à peine s'est-il donné à vous dans une
mesure qui ne sera connue d'aucune autre, que, vous gardant de rester absorbée
dans la jouissance égoïste de son amour, vous-même l'invitez à commencer
aussitôt le grand œuvre qui l'a fait descendre du ciel en terre : « Venez, mon
bien-aimé, sortons aux champs, levons-nous dès le matin pour voir si la vigne a
fleuri, pour hâter l'éclosion des fruits du salut dans les âmes; c'est là que
je veux être à
530
vous (1). » Et, appuyée sur lui, non moins que lui sur
vous-même, sans rien perdre pour cela des délices du ciel, vous traversez notre
désert (2) ; et la Trinité sainte perçoit, entre cette mère et son fils, des
accords inconnus jusque-là pour elle-même ; et les amis de l'Epoux, entendant
votre voix si douce (3), ont, eux aussi, compris son amour et partagé vos
joies. Avec lui, avec vous, de siècle en siècle, elles seront nombreuses les
âmes qui, douées de l'agilité de la biche et du faon mystérieux, fuiront les
vallées et gagneront les montagnes où brûle sans fin le pur parfum des cieux (4).
Bénissez, ô Marie, ceux que
séduit ainsi la meilleure part. Protégez le saint Ordre qui se fait gloire
d'honorer spécialement le mystère de votre Visitation; fidèle à l'esprit de ses
illustres fondateurs, il ne cesse point de justifier son titre, en embaumant
l'Eglise de la terre de ces mêmes parfums d'humilité, de douceur, de prière
cachée, qui furent pour les anges le principal attrait de ce grand jour, il y a
dix-huit siècles. Enfin, ô Notre-Dame, n'oubliez point les rangs pressés de
ceux que la grâce suscite, plus nombreux que jamais en nos temps, pour marcher
sur vos traces à la recherche miséricordieuse de toutes les misères ;
apprenez-leur comment on peut, sans quitter Dieu, se donner au prochain : pour
le plus grand honneur de ce Dieu très-haut et le bonheur de l'homme, multipliez
ici-bas vos fidèles copies. Que tous enfin, vous ayant suivie en la mesure et
la manière voulues par Celui qui divise ses dons à chacun comme il veut (5),
nous nous retrouvions dans la patrie pour chanter d'une seule voix avec vous le
Magnificat éternel !