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CONFÉRENCE De saint Augustin avec Emérite. ÉVÊQUE DONATISTE A CÉSARÉE.

Oeuvres complètes de saint Augustin traduites pour la première fois en français, sous la direction de M. Raulx, Bar-Le-Duc, L. Guérin & Cie, éditeurs, 1869, Tome XIII, p. 635-642.

 

 

Traduction de M. l'abbé BURLERAUX.

 

 

I. Sous les glorieux empereurs, Honorius, consul pour la douzième fois, et Théodose, consul pour la huitième fois, le douze des calendes d'octobre, dans l'église cathédrale de Césarée, se réunirent Deutérius, évêque métropolitain de Césarée, Alypius de Tagaste, Augustin d'Hippone, Possidius de Calamée, Austicus de Carténie, Palladius de Tigabite et d'autres évêques. Quand ils eurent pris place sur les sièges qui leur étaient destinés, en présence des prêtres, des diacres, de tout le clergé et d'une grande foule de fidèles, en présence aussi d'Émérite, évêque Donatiste, Augustin, évêque de l'Église catholique, s'exprima en ces termes: Frères bien-aimés, qui n'avez cessé d'être catholiques, et vous qui, après avoir quitté l'erreur des Donatistes, êtes rentrés dans le sein de l'Église catholique et avez appris à connaître la paix de cette sainte Eglise et y adhérez aujourd'hui dans toute la sincérité de votre coeur, vous aussi, qui peut-être doutez encore de la vérité de l'unité catholique, prêtez une oreille attentive aux accents de généreuse sollicitude que notre charité pour vous nous inspire. Il y a trois jours à peine que notre frère Emérite, encore évêque Donatiste, est entré dans cette ville, et aussitôt le bruit de sa présence arriva jusqu'à nous. Dieu seul connaît le pressant désir avec lequel nous appelions de nos voeux sa présence; aussitôt nous accourûmes pour le voir, et nous le trouvâmes debout sur la place publique. Après avoir échangé les salutations d'usage, je lui fis observer qu'il serait dur et honteux pour lui de rester sur la place, et je l'invitai à venir avec nous à l'église. Il accepta sans aucune difficulté; et aussitôt je conclus qu'il ne refuserait pas plus d'entrer dans la communion catholique qu'il n'avait refusé de se présenter spontanément, voire même de venir à l'Église. Mais, quoique dans l'intérieur d'une église catholique, il refusa de secouer les chaînes d'une hérétique perversité. C'est alors que je vous adressai ces paroles dont vous daignez encore conserver le souvenir; j'insistai avant tout sur la paix, sur la charité, sur l'unité promise et réalisée de l'Église catholique. Dans ce discours je m'adressais à vous, et à lui tour à tour, et selon mon faible pouvoir, j'engendrais dans les entrailles de ma charité tous ceux dont l'âme courait quelque danger, et je brûlais du désir de les enfanter au Seigneur. C'est dans le même sens que le bienheureux Apôtre disait à quelques fidèles : « Mes petits enfants que j'enfante de nouveau, jusqu'à ce que Jésus-Christ soit formé en vous (1) ». Après notre sermon, il n'en persévéra que plus obstinément dans sa perversité, mais je ne

 

1. Gal. IV, 19.

 

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crus pas pour cela devoir me désespérer; tant que l'homme est en cette vie, on doit toujours espérer son salut, croyons-nous. Puisque je n'ai pas désespéré il y a trois jours, pourquoi désespérerais-je aujourd'hui ?

II. Les choses en sont venues au point que sa présence parmi nous, et nous la croyons spontanée, ne peut qu'être très-utile pour cette Eglise. En effet, ou bien parvenus au comble de nos désirs, nous nous réjouirons avec vous de son salut dans la paix catholique ; ou bien, ce qu'à Dieu ne plaise, car cette pensée nous glace de terreur, il persévérera dans son obstination, mais alors sa présence vous fera mieux comprendre la distance infinie qui sépare la paix catholique des dissensions hérétiques. Il est évêque Donatiste ; mais n'oublions pas qu'il a été ordonné par les Donatistes de cette ville. Or, un très-grand nombre de ces derniers sont rentrés, à notre grande joie, dans le sein du catholicisme, et presque tous aujourd'hui sont membres de notre communion. D'autres , comme je l'ai dit précédemment, sont encore victimes de quelques doutes sur la vérité catholique ; d'autres enfin ont plus que des doutes ; appartenant de coeur à l'hérésie Donatiste, ils nous honorent en ce moment, hommes ou femmes, de leur présence corporelle; mais si leur corps est ici, leur coeur est au dehors. Nous croyons donc très-opportun de demander à leur évêque si, depuis la conférence tenue publiquement à Carthage, il a trouvé quelque moyen de défense en faveur de sa secte. S'il a quelque chose à dire, qu'il le dise, sans aucune intention de préjuger la cause Donatiste , et qu'il soit persuadé qu'il vous sera utile à tous, vous dans la cité desquels il croit avoir été ordonné pour votre salut en Jésus-Christ. Nous répondrons également,mais sans vouloir préjuger la cause catholique. Personne, sans doute, ne nous a imposé le rôle de la défense ; mais nous pensons que nous pourrons tirer de sa présence parmi nous quelque utilité pour ceux qui nous entourent. S'il a été séduit, nous empêcherons contre vous toute séduction; si c'est nous qui avons été séduits, il sera là pour nous réfuter, pour nous convaincre, pour nous instruire. J'insiste sur ce point pour empêcher qu'il ne refuse de parler, car il pourrait objecter que personne ne lui a imposé le rôle de la défense. En effet, après la conférence, il n'hésita point à parler, il revint dans cette ville, il sortit même de la province, et jamais on ne parviendrait à nous faire croire qu'il n'a jamais pris en présence de personne la défense du Donatisme. Je sais ce qui vous était dit. A vous qui avez quitté l'erreur pour entrer dans l'unité, je sais que l'on vous disait : « Que nous avions acheté la sentence du procureur; qu'il faisait partie de notre communion, et dès lors qu'il ne permit pas à nos adversaires de s'exprimer comme ils le voulaient , qu'ils ont été écrasés plutôt par la force que par l'éclat de la vérité, et qu'enfin il ne tenait aucun compte de leurs observations ». Tous ces propos ont été lancés depuis la conférence, soit par lui, soit par des hommes de sa secte. Qu'importe de savoir par qui vous avez été troublés, vous que nous voulons voir tranquilles dans la paix catholique? S'il était absent, je vous dirais, en parlant de lui : « Celui qui vous trouble, portera le poids du jugement, quel qu'il soit (1) ». Ce sont là les paroles que l'Apôtre lançait à l'adresse des absents qui troublaient les simples. Mais il est présent qu'il daigne seulement nous dire le motif de sa présence.

III. Frère Emérite, vous êtes présent ; vous avez pris part aux conférences; si vous avez été vaincu, pourquoi venez-vous ici ? Et si vous ne croyez pas avoir été vaincu, dites-nous sur quoi vous vous fondez pour vous croire vainqueur? Vous avez été vaincu, si vous avez été vaincu par la vérité. Si vous croyez avoir été vaincu par la puissance du procureur, la vérité vous a rendu vainqueur; ici il n'y a aucune puissance qui puisse vous faire passer pour vaincu ; que vos concitoyens apprennent enfin ce qui à vos yeux vous a rendu vainqueur. D'un autre côté, si vous êtes persuadé que c'est la vérité qui vous a vaincu, pourquoi repoussez-vous encore l'unité ? - Emérite, Donatiste, répondit : Les actes publics prouvent clairement si j'ai été vainqueur ou vaincu ; si j'ai été vaincu par la vérité, ou opprimé par la force. — Augustin, évêque de l'Église catholique, répondit : Pourquoi donc êtes-vous venu?-Émérite . Afin de répondre à vos questions. — Augustin : Je demande pourquoi vous êtes venu ; je ne ferais pas cette question si vous n'étiez pas présent. — Emérite,

 

1. Gal. V, 10.

 

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s'adressant au notaire qui transcrivait les débats, lui dit: Écrivez.

IV. Comme il gardait ensuite le silence, Augustin ajouta : Si votre silence vous est imposé par la vérité, avouez que le motif qui vous amène, c'est de tromper les simples. Malgré cette apostrophe il continua à se renfermer dans son silence. Augustin continua Vous voyez, mes frères, quel long silence il s'obstine à garder; je vous en prie, désirez son retour à la pénitence, et né le suivez pas dans la voie de la perdition. Mais puisqu'il a parlé des actes de la conférence et qu'il a déclaré que l'on pouvait y voir clairement s'il avait été vaincu par la vérité ou accablé par la violence, je proclame, à mon tour, qu'on y trouve la preuve évidente des longs retards et des nombreuses superfluités à l'aide desquels ils voulaient empêcher toute discussion sérieuse. Mais Dieu lui-même prit en main sa propre cause et engagea la lutte dont la pensée seule les faisait frémir. La cause fut instruite et définie. Mais tenterai-je de vous lire tous ces actes? Tout d'abord, en votre présence , je prie mon frère et coévêque Deutérius d'imiter à ce sujet ce qui se fait à Carthage, à Tagaste, à Constantine, à Nippone et dans toutes les églises animées d'un véritable zèle. Chaque année, pendant les jours de Carême; alors que le jeûne nous laisse plus de temps pour écouter la parole sainte, on devra vous donner lecture de ces actes, en observant l'ordre le plus rigoureux depuis le commencement jusqu'à la' fin: Mais, pour aujourd'hui, nous ne pouvons entreprendre ce long travail ; veuillez seulement prendre connaissance d'une lettre que nous avons remise au procureur avant la conférence et dans laquelle nous indiquions la manière dont nous voudrions être reçus, si nous avions été vaincus, et comment nous recevrions nos adversaires si nous étions vainqueurs ; nous nous proposions, par là, de montrer que la victoire n'est pas dans la discussion, mais dans l'humilité.

V. Alypius, évêque de l'Église catholique, donna lecture de cette lettré : « A notre honorable et bien-aimé fils, à l'illustre tribun et notaire Marcellinus, Aurélius, Sylvanus et tous les évêques catholiques, salut. Par ces présentes, et pour répondre à votre demande, nous déclarons souscrire de tous points à l'édit par lequel Votre Excellence veut assurer la paix et la tranquillité de  notre conférence, et aider à la manifestation et à la défense de la vérité. Nous confiant entièrement à la vérité, voici l'engagement sacré que nous formons. Si nos  adversaires peuvent nous démontrer qu'au  moment où, selon les promesses divines,  les peuples chrétiens se multipliaient sur  toute la face de l'univers et cherchaient à  se dilater de plus en plus, tout à coup l'Eglise du Christ a péri, frappée par la contagion des péchés de certains hommes qu'ils  accusent, et ne s'est conservée pure et vivante que dans le camp de Donat; si, di sons-nous, ils peuvent nous démontrer ce  point capital, nous renonçons parmi eux à  tous les honneurs de l'épiscopat, et nous déclarons nous ranger aussitôt sous leur di rection pour assurer notre salut éternel, et  nous rendrons à Dieu de solennelles actions  de grâces pour l'insigne faveur qu'il nous  aura faite de connaître la vérité . Mais si  nous prouvons que cette Église du Christ,  établie et répandue non-seulement dans  l'Afrique, mais au-delà des mers, dans les  contrées les plus lointaines , fructifiant et  croissant dans le monde tout entier, n'a pu  périr par les péchés d'aucun des hommes  qui la composent; si nous prouvons que la  cause de ceux qu'ils peuvent bien accuser,  mais qu'ils ne peuvent convaincre, est entièrement définie, quoique la cause de l'Église  soit entièrement indépendante de la leur ;  si nous prouvons que l'empereur a proclamé  l'innocence de Cécilianus et la violence et  les calomnies de ceux qui s'étaient faits au près de lui ses criminels accusateurs; enfin,  quoi qu'ils disent des péchés de certains  hommes, si par des témoignages humains  ou par l'Ecriture sainte, nous prouvons que  les crimes allégués n'étaient que des imposa tores, ou que l'Église du Christ, à laquelle  nous adhérons, n'a pu périr, quels qu'aient  été les crimes commis dans sa communion ;  que nos adversaires rentrent alors avec nous  dans l'unité, nous leur promettons non-seulement qu'ils trouveront la voie du salut,  mais aussi qu'ils ne perdront aucun des honneurs dus à l'épiscopat. Ce que nous détestons en eux, ce ne sont pas les sacrements  de là vérité divine, mais les mensonges de  l'erreur humaine. Que ces mensonges disparaissent, et alors tous ces coeurs dont nous (638) pleurons la séparation diabolique, nous les embrasserons fraternellement dans les étreintes de la charité. Chacun de nous pourra alors partager avec son collègue tous les honneurs dus au rang élevé qu'il occupe, comme on voit, quand il est en voyage, un évêque prendre place à côté de son collègue. Chacun présidera alternativement dans chaque basilique, chacun s'empressera de rendre les honneurs réciproques, car là où le précepte de la charité a dilaté les coeurs, la possession de la paix ne connaît point de limites. Et quand l'un des évêques sera mort, les autres succéderont alternativement. Ce que nous proposons, n'est point une nouveauté ; car dès les premiers instants de la séparation, on vit ce spectacle se réaliser de la part de ceux qui renoncèrent à ce schisme criminel pour goûter, quoique trop tard , les douceurs de l'unité. Ou bien, si les peuples chrétiens préfèrent un seul évêque, et le peuvent tolérer le spectacle inusité de deux évêques siégeant dans la même église, alors que les deux évêques se retirent; que l'unité des églises se reconstitue sur les débris du schisme, et que chacune de ces églises reçoive un seul évêque ».

VI. A ces mots, Augustin s'écria : Je dois dire à votre charité, je dois rappeler à votre souvenir un événement des plus heureux que le Seigneur nous a ménagé dans sa miséricorde. Avant la conférence, dans un petit comité d'évêques, nous nous entretenions de cette pensée, que les évêques de Jésus-Christ doivent avant tout l'être pour la paix ou ne pas être évêques. Or, je vous avoue qu'en passant en revue nos frères et co-évêques, nous n'en trouvions qu'un très-petit nombre qui fussent dans cette disposition de faire à Dieu, s'il le fallait, le sacrifice de leur épiscopat. Comme d'habitude, nous disions de celui-ci : Il peut le faire; de celui-là : Il ne le peut pas; celui-ci y consent, celui-là n'y consent pas. Nous ne consultions sur ce point que notre propre opinion, sans oublier qu'il ne nous est pas donné de connaître le fond des coeurs. Bientôt cette proposition fut l'objet d'une motion publique, et dans ce concile, composé de près de trois cents évêques, l'unanimité y applaudit chaleureusement ; tous se déclarèrent prêts à renoncer à l'épiscopat, si l'unité exigeait d'eux ce sacrifice. Il ne se rencontra que deux évêques à qui cette proposition déplut; l'un des deux , déjà très-avancé en âge, y consentit même de bouche, mais les traits silencieux de son visage révélaient dans sa volonté un refus sérieux. L'assemblée tout entière lui fit observer avec fermeté que son langage était en contradiction avec sa volonté ; ce reproche modifia ses sentiments et en même temps son visage. Ecoutez donc dans quels termes cette exhortation fut formulée, à la gloire de Celui qui a dit: « Quiconque s'abaisse sera élevé (1) ».

VII. On continua la lecture : « Résisterions-nous à offrir à notre Rédempteur ce sacrifice d'humilité? S'il a revêtu la forme humaine, n'est-ce pas pour que nous fussions ses membres? et quand, dans ce but, il est descendu du ciel, nous craindrions de descendre de nos sièges, pour empêcher que ses membres ne fussent déchirés par une cruelle séparation ? Pour nous-mêmes , ce que nous devons, c'est d'être chrétiens fidèles et obéissants ; soyons-le toujours. Quant à notre qualité d'évêques, nous l'avons reçue, non pas pour nous, mais pour les peuples « chrétiens; il est donc du devoir de notre « épiscopat d'accomplir ce que réclame la paix chrétienne parmi les peuples chrétiens ». Augustin commenta ainsi ce texte : Pour ce qui nous regarde personnellement, nous ne devons être que ce que vous êtes vous-mêmes. Que devez-vous donc être, vous tous à qui je parle ? Des chrétiens, des fidèles, des disciples obéissants; voilà ce que vous êtes pour vous-mêmes, voilà ce que je suis pour moi. Nous devons donc toujours être ce que vous êtes pour vous, ce que je suis pour moi. Quant à ce que je suis pour vous, je ne dois l'être qu'autant que cela vous est utile; si cela vous nuit, je dois cesser de l'être. Voici ce qui a été dit; écoutez. Le lecteur continue : « Si nous sommes des serviteurs utiles, pourquoi empêcher les profits éternels du Seigneur, pour conserver nos honneurs de la terre? Si en déposant notre dignité épiscopale, nous hâtons l'unité du troupeau de Jésus-Christ, cette dignité sera pour nous plus féconde qu'elle ne pourrait l'être si en la conservant nous entretenions la division ». A ces mots, Augustin reprit : Mes frères, élevons nos pensées vers Dieu, et nous comprendrons que ce rang élevé où nous sommes, ne doit pas être le faîte d'un orgueilleux, mais le point.

 

1. Luc, XVIII, 14.

 

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d'observation pour le vigneron fidèle. Si, en voulant conserver mon épiscopat, je disperse le troupeau de Jésus-Christ, comment le pasteur peut-il trouver sa gloire dans la perte de son troupeau? Le lecteur continue: « De quel front oserons-nous espérer, dans le siècle futur, l'honneur que nous promet Jésus-Christ, si dans le siècle présent notre bonheur met obstacle à l'unité chrétienne? Si donc nous adressons cette lettre à Votre Excellence, si nous demandons que tous en prennent connaissance, c'est afin qu'avec le secours de Dieu qui nous a inspiré ces engagements et sur lequel nous comptons pour avoir la force de les accomplir, tous les coeurs faibles ou rebelles goûtent, dès avant la conférence, le puissant remède de la charité pour les guérir ou pour les dompter. « Quand tous les esprits seront ainsi pacifiés, nous n'aurons plus aucune résistance à opposer à la manifestation de la vérité, et notre discussion, ou sera précédée de la concorde, ou en sera suivie. Qu'ils se souviennent que le bonheur a été promis aux pacifiques, parce qu'ils seront appelés les enfants de Dieu (1) ; et nous ne désespérons pas de les voir plus noblement et plus facilement désirer que les Donatistes se réconcilient avec tout l'univers chrétien, plutôt que d'exiger que l'univers chrétien soit rebaptisé par les Donatistes. Cela est vrai surtout de ceux qui ont appartenu au schisme sacrilège et condamnable de Maximianus. Après avoir invoqué contre ces malheureux toute la puissance des pouvoirs de la terre, ils ont poussé la sollicitude à leur égard, jusqu'à refuser d'invalider le baptême conféré par eux, jusqu'à conserver tous les honneurs à ceux qu'ils avaient solennellement condamnés, jusqu'à soutenir enfin que, quelques-uns d'entre eux avaient pu, sans se souiller, faire partie de ce schisme. Nous n'envions pas la concorde qui règne parmi eux, mais nous croyons devoir leur observer que si le rameau a pu chercher avec tant de sollicitude à recueillir la petite branche brisée, à plus forte raison la souche catholique doit déployer tout le zèle possible pour recueillir le rameau lui-même ». Une autre main avait écrit : « Nous vous souhaitons, mon fils, une bonne santé dans le Seigneur ».

VIII. Après la lecture de cette lettre,

 

1. Matt. V, 9.

 

Augustin ajouta : Ecoutez, vous qui ignorez ces faits; je vous en prie, écoutez. C'est en présence d'Emérite que je parle, rendons-en grâces à Dieu. Je veux dérouler à vos yeux cette affaire des Maximianistes, contre laquelle ils ont brisé le vaisseau fragile chargé de toutes leurs calomnies. Dans le cours de notre conférence, nous leur avons souvent objecté cette cause des Maximianistes, et à nos objections si souvent renouvelées, si souvent lancées contre eux en plein visage, ils n'ont jamais rien pu répondre, parce qu'ils n'ont pu trouver que répondre. Essayez donc de bien la comprendre. Emérite est là, qui m'écoute; si je mens, qu'il me reprenne et m'oblige à prouver ce que j'avance. Il est vrai que nous m'avons pas ici les actes publics, mais la cause y est tout. entière. Si vous exigez que je donne les preuves à l'appui de toutes mes propositions, vous m'accorderez le délai nécessaire pour me procurer tous les documents relatifs à cette affaire. Si cependant il doute, ou ce qu'à Dieu ne plaise, s'il feint de douter que le seul désir de lui procurer la paix ait inspiré mes paroles, je consens qu'il reste séparé jusqu'à ce que j'aie prouvé ce que j'avance. Au contraire, s'il est persuadé de la vérité de mon langage, et qu'il ne puisse y répondre, je vous en prie, jugez vous-mêmes s'il est plus tolérable de conserver tous les honneurs à un schismatique que l'on a condamné soi-même, ou de reconnaître comme frère un hérétique non convaincu. Je vous en conjure, prêtez une oreille attentive au récit que je vais dérouler devant vous.

IX. Maximianus était un diacre de Carthage et de la secte de Donat. Soit par orgueil, soit en toute justice, comme ils le prétendent, il se révolta contre Primianus de Carthage, son évêque. Excommunié par ce dernier, il en appela aux évêques voisins, souleva la jalousie contre Primianus, et l'accusa à leur tribunal. On se rassemble à Carthage; un grand nombre d'évêques donatistes exigent que Primianus se présente à leur barre, comme leurs ancêtres avaient cité Cécilianus à leur tribunal. Instruit de ce complot, Primianus refuse de comparaître, comme Cécilianus avait refusé de comparaître. Il est condamné par contumace , comme Cécilianus l'avait été. Sans doute que dans ce fait tout récent, Dieu a voulu rappeler à votre souvenir le fait précédent, déjà oublié. Il est donc condamné (640) pendant son absence. Mais d'autres évêques, du parti de Donat, le réintègrent dans leur communion; et, comme il n'avait pas été déposé, on le confirme sur le siège qu'il occupe. Les Maximianistes, à leur tour, sont condamnés, comme après la justification de Cécilianus, Donat fut condamné par les évêques étrangers, de l'autre côté de la mer. Maximianus lui même fut condamné avec les douze évêques qui lui avaient conféré l'ordination, et cette faction était nombreuse, car on y comptait environ cent évêques. Mais pour éviter que la séparation ne fût trop frappante, ils se contentèrent d'en rejeter quelques-uns et en soumirent un grand nombre à la discipline. Ils ne condamnèrent que ceux qui avaient pris part à l'ordination de Maximianus, et sanctionné ainsi sa révolte contre son évêque. Quant aux autres membres de la même faction, on leur promettait. de leur conserver leurs honneurs, s'ils consentaient à rentrer dans l'ordre. Les termes mêmes de la promesse prouvaient qu'aux yeux des Donatistes, ces factieux étaient hors de l'Eglise : pouvez-vous exhorter quelqu'un à entrer, s'il n'est pas dehors? Ils fixèrent donc le jour, et par le décret de Bagaïum, ils déclarèrent que s'ils revenaient avant ce jour à l'unité, ils ne subiraient aucun dommage de la conduite qu'ils avaient tenue à l'égard de Primianus. II n'y eut que Maximianus et ses douze ordonnateurs qui furent condamnés. Aussitôt on prit les mesures nécessaires pour chasser de leurs basiliques les évêques condamnés. On invoque le bras séculier des juges, la force armée des proconsuls, le concile épiscopal de Bagaïum provoque un jugement, les coupables sont déclarés hérétiques, on prouve qu'ils ont été légitimement condamnés, on demande des mandats d'arrêt, on rassemble des troupes et on se met en mesure de chasser de leurs basiliques ces condamnés qui s'obstinaient dans leur aveuglement. Malgré la condamnation, les populations résistèrent; mais sur plusieurs points ces dernières furent vaincues et leurs évêques chassés et remplacés par d'autres. Parmi eux, nous connaissons Félicianus et Prétextat d'Assurite, car nous passons les autres sous silence. Or, deux ou trois ans après, par l'intermédiaire et l'influence d'Optat le Gildonien, ces mêmes évêques nouvellement élus, après avoir subi beaucoup de persécutions et de poursuites judiciaires, furent réintégrés dans tous leurs honneurs. Ainsi , après les avoir condamnés, après les avoir chassés, après les avoir persécutés, ils leur rendirent tous les honneurs et se les adjoignirent comme confrères et collègues. Après la déposition de Prétextat, on avait élu à sa place un évêque nommé Rogatus, qui maintenant est catholique, et contre lequel ils lancèrent toute la bande des Circoncellions, qui poussèrent la barbarie jusqu'à lui couper la langue et la main. Or, pendant ces trois ans de schisme et de trouble, beaucoup d'hommes furent baptisés par ces évêques condamnés; ce baptême était évidemment conféré en dehors de leur église, et cependant il ne fut point invalidé. Personne d'entre eux ne s'écria : Vous n'avez pas le baptême, puisque vous avez été baptisé hors de l'Eglise. Et on rebaptise le fidèle qui vient d'Ephèse, de Smyrne, de Thessalonique et des autres églises que les Apôtres ont semées au prix de leurs sueurs, et auxquelles furent adressées ces lettres apostoliques que nous lisons aujourd'hui dans l'Eglise !

X. Quant à la sentence, nous l'avons entre les mains, et, suivant ce que nous avons appris, elle fut dictée contre les coupables par Emérite lui-même, à qui je souhaite que Dieu donne la paix de l'union fraternelle. Qu'on lise cette sentence portée contre les Donatistes, qu'on lise également celle que leurs ancêtres fulminèrent contre Cécilianus, et voyons lesquels furent déclarés les plus coupables, ou de ceux qui furent punis du châtiment le plus sévère, ou de ceux dont la condamnation eut un plus long retentissement. Voici la sentence portée par Emérite : « Quoiqu'un sein empoisonné ait longtemps recouvert le fruit criminel d'une semence venimeuse; quoique la froide humeur du crime conçu eût été longtemps à absorber la chaleur qui devait la changer en serpent; toutefois les voiles qui recouvraient ce virus ont dû s'évanouir et le montrer dans toute sa révoltante réalité. Le trimé ne s'est révélé que très-tard, mais enfin il est devenu manifeste, et ses désirs criminels ont enfin révélé leur parricide. Ce qui avait été prédit depuis longtemps est arrivé : il a enfanté l'injustice, il a conçu la douleur et engendré l'iniquité (1). « Mais déjà l'obscurité se dissipe, un jour plus serein se lève à l'horizon, et le nom des coupables destinés au châtiment est trop

 

1. Ps. VII, 15.

 

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hautement proclamé pour qu'il soit encore possible de se méprendre sur la confusion et la multitude de leurs crimes; jusque-là cependant nous avons usé d'indulgence, nous avons laissé un libre cours à la clémence ; aujourd'hui la cause elle-même invoque le châtiment sur la tête des coupables ». Nous lisons entre autres choses : « Parlons, frères bien-aimés, des causes du schisme, car nous ne pouvons plus taire le nom des personnes. Maximien est pour nous l'ennemi de la foi, un adultère de la vérité, le persécuteur de notre mère l'Eglise, le ministre de Dathan, Coré et Abiron ». Tel est le langage tenu par les Donatistes contre les Maximianistes, nous pouvons en croire le rédacteur même de la sentence. Vous savez ce qu'étaient Dathan, Coré et Abiron. Ce sont les premiers auteurs du schisme, et comme leur crime était au-dessus de tout châtiment ordinaire, la terre les engloutit tout vivants (1). « Il est le ministre de Dathan, Coré et Abiron » ; ces paroles furent arrachées par la foudre aux entrailles d'une sentence de paix ». Ecoutez encore : « Si donc », dit-il, « la terre ne l'a pas englouti dans son sein, c'est qu'elle l'a réservé à un jugement plus redoutable. Il avait, par son crime, mérité que la mort le frappât sur-le-champ, aujourd'hui il recueille avec usure le bénéfice de son crime, en se voyant réduit à rester mort au milieu des vivants ». Ce sont les propres paroles de celui qui a condamné Maximien , ou plutôt de celui qui, comme il le dit lui-même, a lancé la foudre contre lui. Et cependant on a accueilli les aspics, les vipères, les parricides; on n'invalide pas le baptême conféré par un aspic, par une vipère, par un parricide. Vous avez entendu comme il fait jaillir tout le feu de l'éloquence quand il trouve à brûler une humble paille desséchée. Mon frère Emérite, vous avez donné le baiser de paix à votre frère Félicianus, frappé par vous de toutes les foudres de l'anathème; reconnaissez donc pour votre frère ce Deutérius, qui vous est même uni par le sang.

XI. Mes frères, toutes les fois que dans notre conférence nous leur opposions cette affaire des Maximianistes, telle que je viens de vous l'exposer, Emérite gardait un silence plus profond encore que celui qu'il garde en ce moment sur tous les points que nous traitons.

 

1. Nomb. XVI, 32.

 

Qu'ils n'essaient pas de se cacher derrière des tergiversations ou des justifications prétendues, il n'est pour eux qu'une seule ressource, c'est la fuite. Ils disent qu'ils leur ont offert un délai, et que, pendant ce délai, ils les ont reçus dans leurs rangs. C'est là une fausseté. Maximien et ses douze consécrateurs ont été condamnés; quant aux autres évêques qui n'étaient que comme simples assistants à son ordination, ils leur ont offert un délai. Voici les propres paroles d'Emérite : « Qu'il ne soit pas seul frappé par la mort justement due à son crime, car la chaîne du sacrilège associe à son crime ceux dont il est écrit : «Le venin des aspics se distille sous leurs lèvres,leur bouche est pleine de malédictions et d'amertume ; leurs pieds sont prompts à répandre le sang. Le malheur et l'infortune sont dans leurs voies et ils n'ont pas connu le chemin de la paix; la crainte du Seigneur n'est pas devant leurs yeux (1). S'il s'agissait de rompre une jointure dans notre propre corps, nous n'y consentirions aucunement; mais la plaie est aujourd'hui dans un tel état de putréfaction que le seul remède possible c'est de couper les membres attaqués ; c'est l'unique moyen d'empêcher le virus de corrompre les autres membres et d'arracher le mal dans sa racine ». Or, les coupables dont il parle, ce sont les douze ordonnateurs et en particulier Félicianus et Prétextat, car le nom des autres me fait défaut. Il ajoute, en parlant toujours de ces malheureux: « Animés d'un coupable désir, ils ont formé le vase de la perdition avec la boue la plus infecte qu'ils ont pu recueillir; aux clercs de l'Eglise de Carthage, tristes témoins de leurs scandales, ils ont offert toutes les séductions d'un inceste coupable; maintenant voyez comment, par la protection de Dieu, ils ont été condamnés par la sentence solennelle et véridique d'un concile universel. Quant à ceux que le poison du sacrilège n'a pas souillés, c'est-à-dire qui, sous l’inspiration d'une foi respectueuse, ont arraché leurs mains aux chaînes de Maximien , nous leur avons permis de rentrer dans le sein de l'Eglise, notre mère ». Ils voulaient purifier leur visage en pardonnant aux sacrilèges et en ouvrant la porte de retour aux schismatiques. Qu'est-ce à dire? Je l'en conjure, qu'il me dise comment le poison du sacrilège ne

 

1. Ps. VIII, 3.

 

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les a pas souillés. Pourquoi leur accordez-vous un délai, s'ils n'ont pu avoir aucune part au schisme de Maximien ? Et s'ils ont trempé dans la même faction quoique n'ayant pas assisté à l'ordination, comment ne sont-ils pas souillés par leur union avec Maximien , tandis que vous soutenez que l'univers tout entier a été souillé par Cécilianus, une seule fois condamné pendant son absence, et trois fois proclamé innocent en sa présence? Un africain ne souille par les Africains, un vivant ne souille pas les vivants, un ami ne souille pas ses amis, un associé ne souille pas ses collègues; et Cécilianus souille ceux qui habitent au-delà des mers, ceux qui sont à une grande distance de lui, ceux qui n'ont subi aucune condamnation ? Celui que vous avez condamné siège à vos côtés, et Félicianus ne vous souille pas? Je ne l'ai jamais vu, mais vous le connaissez; je le crois innocent, mais vous l'avez condamné comme coupable. Si vous dites que vous avez reçu un innocent, avouez du moins que cet innocent, vous l'avez condamné.

XII. Et cependant, mes frères, nous ne jalousons point leur concorde. Les haines affreuses suscitées parmi eux par le démon ont disparu; ils ont, pensent-ils, recouvré la paix. Voici ce que je déclare : Si le rameau brisé cherche le débris séparé de lui, avec quelle ardeur l'arbre lui-même ne doit-il pas chercher le rameau rompu? Oui, bravons les sueurs, les travaux, les armes et la barbarie sauvage des Circoncellions, supportons avec toute la patience que Dieu nous a donnée, leurs tristes débris, puisque l'arbre cherche son rameau , puisque le troupeau cherche la brebis perdue, loin du bercail du Seigneur. Si nous sentons palpiter en nous les entrailles pastorales, ne reculons ni devant les ronces, ni devant les épines. Dussent nos membres se déchirer, cherchons la brebis perdue et rapportons-la au prince des pasteurs (1). Nous nous sommes étendu plus longuement que ne le permettaient nos fatigues, et cependant ce frère pour lequel nous venons de vous parler, pour lequel nous nous agitons, pour lequel nous souffrons les douleurs de l'enfantement, ce frère reste immobile dans son obstination. Une force cruelle se flatte jusqu'à se croire de la constance. Qu'il cesse de se glorifier de sa force vaine et trompeuse. Qu'il entende cette parole de l'Apôtre : « La vertu se perfectionne dans la faiblesse (2) ». Prions pour lui. Comment pouvons-nous connaître les desseins de Dieu? N'est-il pas écrit: « Dans le coeur de l'homme, les pensées se succèdent en grand nombre; mais les décrets de Dieu demeurent éternellement (3) ? »

 

1. Luc, XV, 4-6. — 2. I Cor. XII, 9. — 3. Prov. XIX, 21.

 

Traduction de M. l'abbé BURLERAUX.

 

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