DE L'ÂME ET DE SON ORIGINE.
Traduction de M. l'abbé BURLERAUX.
Le grand Docteur avait plusieurs fois, dans ses écrits, avoué
son impuissance à résoudre, par la simple raison, le problème de l'origine de l'âme.
Un jeune africain, passé récemment du parti des rogatistes
à la communion catholique, fut étonné qu'an bomme comme Augustin gardât des doutes sur
une question dont la solution lui paraissait si facile. Vincent Victor (c'était le nom du
philosophe novice) avait trouvé chez un prêtre espagnol, appelé Pierre, un des ouvrages
où Augustin exposait ses incertitudes sur la question ; c'est à ce prêtre espagnol que
Vincent adressa deux livres dirigés contre le grand évêque. Un ami d'Augustin, le moine
René, rencontra à Césarée les deux livres de Vincent Victor, les fit copier et les
envoya à l'évêque d'Hippone, en les accompagnant d'une lettre pleine d'excuses sur la
liberté qu'il prenait. Augustin y répondit par quatre livres le premier adressé au
moine René, le deuxième au prêtre espagnol, les deux derniers à Victor lui-même.
LIVRE PREMIER. ERREURS DE VINCENT VICTOR.
Augustin y relève la témérité et les erreurs de Vincent Victor
sur la nature et l'origine de l'âme. Il examine les témoignages de la sainte Ecriture,
cités par Vincent, et prouve qu'ils ne sont pas en faveur de la thèse de son adversaire.
1.
Bien-aimé frère René, nous avions la preuve de votre sincérité à notre égard, de
votre fraternelle bienveillance, et de l'affection qui vous unit à nous. Mais vous venez
de me donner un nouveau témoignage de votre affection et de votre dévouement en
m'adressant deux livres composés' par un homme que je ne connaissais aucunement et qui
n'en est pas moins estimable. J'ai donc reçu, l'été dernier, les deux livres de Vincent
Victor, car tel est le nom que je trouve inscrit en tête de ces ouvrages; mais comme
j'étais absent à cette époque, ils n'ont pu m'être remis que vers la fin de l'automne.
Ne sommes-nous pas unis d'une amitié trop étroite, pour qu'il vous fût possible de ne
pas me communiquer les écrits de quelque auteur que ce fût, dans lesquels mon nom se
trouverait engagé et ma doctrine contredite ? Vous avez donc fait ce qu'un ami sincère
et généreux devait faire.
2. Toutefois je regrette vivement de
n'être point encore connu de votre sainteté, comme je voudrais l'être. En effet, ne
craigniez-vous pas de m'offenser, en me faisant connaître les injures dont un écrivain
daignait me couvrir? Mais de tels sentiments me sont tellement étrangers que je n'aurai
même pas la pensée de me plaindre des outrages que j'aurai pu recevoir de la part de cet
auteur. Puisque sur certains points il ne partageait pas mes idées, pourquoi se serait-il
condamné au silence ? Je déclare donc sincèrement que je lui sais gré d'avoir parlé,
puisqu'il m'est donné de lire ses écrits. Sans doute, c'est à moi-même directement
qu'il aurait dû s'adresser, plutôt que de m'accuser auprès d'un tiers; mais comme il
m'était inconnu, il n'aura point osé engager avec moi la réfutation de mes écrits. Il
n'a même pas jugé nécessaire de me consulter, parce qu'il se croyait bien sûr de
toutes les opinions qu'il émettait. Enfin, je lui tiens compte d'avoir agi pour plaire à
un ami qui l'aurait forcé à prendre la plume. Supposé donc que, dans la chaleur du
discours, il lui soit échappé quelques paroles blessantes pour moi, je crois que
l'injure était loin de sa pensée et qu'il n'a fait qu'obéir à l'énergie d'opinions
directement opposées aux miennes. En effet, dès qu'un homme qui m'est inconnu se pose
mon adversaire, je reste persuadé que sa pensée vaut mieux que son langage, et qu'avant
d'accuser il est profondément convaincu. Peut-être même qu'il n'a voulu agir que dans
mon (635) intérêt, car il savait fort bien que ses écrits parviendraient jusqu'à moi;
je comprends dès lors qu'il se soit refusé à me sentir dans l'erreur sur une matière
dans laquelle il se croyait en possession de la vérité. Dès lors, tout en repoussant
ses opinions, je dois lui savoir gré de sa bienveillance, voilà pourquoi je le
réfuterai avec douceur, au lieu de le reprendre avec amertume; je m'y crois d'autant plus
obligé qu'il est rentré depuis peu dans la communion catholique, et je l'en félicite.
En effet, j'apprends qu'il vient de quitter la secte des Donatistes ou plutôt des Rogatistes ; et s'il veut que sa conversion nous procure une joie
véritable, il doit comprendre et embrasser courageusement la vérité catholique.
3. La parole ne lui fait pas défaut pour
développer ses opinions. Dès lors, tout ce que l'on peut désirer, c'est que ces
opinions soient justes, qu'il ne rende pas attrayant ce qui est inutile, et que tous ses
frais d'éloquence n'aient pour objet que la vérité. Pourtant, je reprocherais à son
style certaines incorrections et surtout une grande redondance. Je vois dans votre lettre
que votre maturité s'est choquée de ces défauts. Mais ils peuvent être facilement
corrigés; et d'ailleurs, sans porter aucune atteinte à la foi, de tels défauts peuvent
être aimés par des esprits légers et tolérés par des esprits graves. Nous avons des
hommes écumeux dans leurs discours, mais qui ne laissent pas d'être purs dans leur foi.
Espérons donc que ces défauts, qui seraient encore tolérables, s'ils duraient, se
modifieront et disparaîtront avec le temps; notre auteur n'est encore qu'un jeune homme;
l'âge et l'application suppléeront à son inexpérience; la maturité des années
remédiera à la crudité de son langage. En effet, il serait triste et dangereux que
l'éloquence fût mise au service de l'erreur: ce serait boire le poison dans une coupe
d'un grand prix.
4. Je commence par signaler les
principales erreurs qui se rencontrent dans sa discussion. Il soutient, et il a raison,
que l'âme a été créée par Dieu, et qu'elle n'est ni une partie ni la nature de Dieu ;
mais comme il ne veut pas qu'elle ait été tirée du néant, et qu'il ne cite aucune
créature d'où l'âme ait pu être créée, on .est amené nécessairement à conclure
que c'est de sa propre nature que Dieu a tiré l'âme, puisqu'il ne l'a tirée ni du
néant f d'aucune autre créature. Vincent croit avoir échappé à cette conclusion et ne
sait pas qu'elle découle naturellement de ses principes; en sorte que l'âme ne serait
autre chose que la substance même de Dieu. Il suivrait de là que Dieu se serait servi de
sa propre nature pour faire quelque chose, et que le créateur de cette chose en aurait
été lui-même la matière ; par conséquent, la nature de Dieu aurait été soumise au
changement, et condamnée par Dieu lui-même à déchoir de son état d'immutabilité
primitive et absolue. Votre intelligence est trop droite et trop fidèle pour ne pas
comprendre aussitôt qu'une telle doctrine est directement contraire à la foi, et comme
telle doit être énergiquement repoussée. Dira-t-on que cette âme a été faite du
souffle de Dieu, ou que ce souffle de Dieu est devenu l'âme, et qu'ainsi l'âme n'est
point créée de Dieu, mais du néant par Dieu ? Quand un homme souffle, il ne tire pas
son souffle du néant, puisqu'il ne fait que rendre à l'air environ nant ce qu'il en a
tiré. On supposerait donc que Dieu aurait été environné d'air, qu'il en aurait aspiré
une certaine quantité, qu'il aurait ensuite expiré quand il souffla sur la face de
l'homme, et de cette manière lui créa une âme. Dans cette hypothèse le souffle de Dieu
pourrait n'être plus une partie de lui. même, mais une quantité plus ou moins grande de
l'air ambiant qui l'entourait. Mais loin de nous la pensée seule de nier que Dieu ait pu
tirer du 'néant le souffle de vie qui constituait l'homme une âme vivante ! Loin de
nous ces cruelles angoisses au sein desquelles nous serions réduits à penser, ou bien
que Dieu a eu besoin d'autre chose que lui-même pour en former ce souffle, ou bien que
c'est de sa propre nature qu'il a formé cette âme que nous voyons essentiellement
sujette au changement ! Tout ce qui est fait de lui doit nécessairement participer
à sa nature et être essentiellement immuable. Or, tous conviennent que notre âme est
sujette au changement; elle n'est donc point faite de la nature de Dieu, puisque Dieu est
essentiellement immuable. Si donc notre âme n'a été tirée d'aucune autre nature, elle
a été nécessaire ment tirée du néant et créée par Dieu.
5. Il soutient ensuite que notre âme
n'est point un esprit, mais un corps; pouvons-nous douter de cette assertion, quand nous
l'entendons affirmer que nous sommes composés,
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non pas d'une âme et d'un corps, mais de deux et même de trois
corps? Nous sommes formés, dit-il, d'un esprit, d'une âme et d'un corps, et ces trois
choses sont réellement trois corps; n'est-ce pas dire clairement que nous sommes un
assemblage de trois corps ? C'est à lui et non pas à vous que je voudrais démontrer
toutes les absurdités qui découlent d'un semblable principe. Toutefois, cette erreur est
encore tolérable dans un homme qui ne sait point encore qu'il peut exister telle
substance qui, sans être un corps, peut en présenter extérieurement la ressemblance.
6. Mais peut-on tolérer, dans son second
livre, le mode de solution qu'il essaie de donner à la difficile question du péché
originel, en ce qui concerne le corps et l'âme, si l'on suppose que l'âme ne nous est
pas transmise par voie de génération, mais est en nous le résultat immédiat d'un
nouveau souffle de Dieu? Voici donc la voie qu'il propose pour dénouer cette profonde et
fatigante question : « Ce n'est point sans une raison bien sage que l'âme recouvre par
la chair l'ancienne habitude qu'elle semblait avoir insensiblement perdue par la chair; et
c'est ainsi qu'elle commence à renaître par la chair, comme c'est par elle qu'elle avait
mérité d'être souillée ». Que pensez-vous de 1a présomption d'un homme qui ose
braver la profondeur du précipice et décider que c'est par la chair que l'âme a
mérité d'être souillée? Peut-il donc nous expliquer comment l'âme, avant d'être unie
à la chair, avait mérité d'être souillée par elle ? En effet, si c'est par la chair
que l'âme a mérité la souillure du péché, qu'il nous dise, s'il le peut, comment
l'âme avant son péché a mérité d'être souillée par la chair. Ce triste droit
d'être jetée dans une chair coupable pour en contracter la souillure, ou bien lui venait
de sa nature, ou bien, ce qui serait pire encore, elle l'avait reçu de Dieu. On ne nous
dira pas, je pense, que ce droit elle le tenait de la chair dès avant de lui être unie,
et que c'est par elle qu'elle a mérité d'être jetée dans la chair pour en contracter
la souillure. Si ce droit elle le tient d'elle-même, comment peut-elle l'avoir acquis,
puisque avant son union avec la chair elle n'avait commis aucune faute ? L'aurait-elle
donc reçu de Dieu ? Mais c'est là un blasphème que personne ne tolérera et que l'on ne
saurait émettre impunément. Je
ne demande pas ici quelle faute l'âme a pu commettre depuis son
union avec la chair, pour mériter d'être condamnée; mais comment, avant d'être unie à
la chair, elle a pu mériter d'être unie à la chair pour en contracter la souillure.
J'attends une réponse de la part de celui qui a osé dire que l'âme avait mérité
d'être souillée par la chair.
7. Dans un autre passage du même livre,
voulant résoudre cette même question dans laquelle il s'est engagé témérairement,
Vincent Victor prête à ses adversaires les paroles suivantes : « Pourquoi »,
disent-ils, « Dieu « a-t-il frappé l'âme d'un châtiment injuste jusqu'à la reléguer
dans un corps de péché et la condamner à devenir pécheresse par son union avec la
chair, quand elle n'avait pu pécher sans cette chair? » Engagé dans ce gouffre
rempli d'écueils, il dut chercher à échapper au naufrage et
ne point s'élancer dans une impasse d'où il ne pourrait se tirer qu'en reculant,
c'est-à-dire en se repentant de sa témérité. Il voudrait donc, mais en vain, se
débarrasser de la prescience de Dieu. Cette prescience connaît par avance les pécheurs
que Dieu doit guérir, mais ce n'est pas elle qui les rend pécheurs. Supposer que Dieu
délivre du péché des âmes qu'il a lui-même jetées innocentes et pures dans le
péché, ce serait supposer qu'il guérit lui-même la blessure qu'il nous a faite, et non
pas qu'il a rencontrée en nous. Or, que Dieu éloigne de nous la simple pensée de dire
que, quand le Seigneur purifie l'âme des enfants, il ne fait que réparer le mal qu'il a
lui-même produit, en jetant ces âmes, jusque-là innocentes, dans une chair pécheresse,
qui devait les souiller du péché originel ! Pourtant ce sont ces âmes mêmes que
notre adversaire accuse d'avoir mérité d'être souillées par la chair, sans pouvoir
nous expliquer comment, avant d'être unies à la chair, elles ont pu mériter ce cruel
châtiment.
8. Se flattant donc, mais vainement, de
pouvoir résoudre cette difficile question de la prescience de Dieu, il ne fait que s'y
enfoncer davantage, quand il s'écrie: « Quoique l'âme qui (avant. d'être unie à la
chair) n'a pu être péchéresse, ait mérité d'être
pécheresse (par la chair), cependant elle n'est point restée dans le péché, parce que,
préfigurée en Jésus-Christ, elle n'a pas dû demeurer dans le péché, pas plus qu'elle
n'avait su (638) s'y jeter d'elle-même. En disant de l'âme qu' « elle n'a pu être
pécheresse », ou qui « elle n'a pu être dans le péché », j'ai tout lieu de croire
qu'il parle de l'âme avant son union avec la chair. En effet, si l'âme ne passe pas des
parents aux enfants par voie de génération, elle n'a pu être coupable du péché
originel ou demeurer dans le péché originel que par son union avec la chair. Par
conséquent, si nous voyons bien comment l'âme est délivrée du péché par la grâce,
nous ne voyons pas comment elle a mérité d'adhérer au péché. Mais alors, que veulent
dire ces paroles : « Quoique l'âme ait mérité d'être pécheresse, cependant elle
n'est point demeurée dans le péché? » Si je lui demande pourquoi elle n'est pas
demeurée dans le péché, il me répondra, et avec raison, que la grâce de Jésus-Christ
l'en a délivrée. C'est bien, je comprends comment l'âme pécheresse d'un enfant a été
justifiée, mais qu'il me fasse donc comprendre également comment cette âme a mérité
de devenir pécheresse.
9. Il à posé des prémisses; la suite y
répond-elle ? Ecoutons comment il se pose à lui-même la question : « D'autres
opprobres attendent les plaintifs murmures des crieurs médisants ; et alors, semblables
à des hommes tombés d'un épais tourbillon, nous roulons tristement au sein de rochers
escarpés ». Si je lui appliquais ces paroles, peut-être s'éveillerait en lui le feu de
la colère. Ce sont cependant là ses propres paroles ; c'est en ces termes qu'il
proposait la question dans laquelle il devait nous dévoiler les rochers contre lesquels
il devait faire naufrage et se briser. Ainsi couvert d'horribles meurtrissures, il devait
en arriver au point que le salut ne lui serait possible qu'en rétractant son propre
langage. Comment, en effet, aurait-il pu préciser en vertu de quel mérite précédent
l'âme était devenue pécheresse, et prouver que, avant tout péché de sa part, elle
avait mérité de le devenir? Etre conçu dans une iniquité qui nous est étrangère;
avant de sortir du sein maternel être déjà coupable de péché; comment donc peut-on
mériter une aussi horrible destinée, si ce n'est par le péché ? D'un autre côté, les
âmes des enfants régénérés en Jésus-Christ sont délivrées de ce châtiment sans
aucun mérite antérieur et par une grâce purement gratuite, car le caractère de toute
grâce, c'est d'être gratuite (1). J'admire sans doute ce génie profond qui, dans une
question aussi difficile, s'indigne de nos hésitations non pas savantes mais prudentes;
mais du moins qu'il nous dise, s'il le peut, quel est ce châtiment que l'âme a
contracté sans l'avoir mérité, et dont elle est délivrée par la grâce, sans aucun
mérite de sa part. Qu'il le dise et qu'il le prouve. Je ne me mon. trerais
pas aussi exigeant s'il n'avait pas dit que l'âme a mérité de devenir pécheresse. Le
mérite acquis par elle était-il bon ou mauvais? S'il était bon; comment n'a-t il obtenu
à l'âme que de tomber dans le mal ? S'il était mauvais, comment l'âme a-t-elle pu le
contracter avant tout péché de sa part? J'insiste: si ce mérite était bon, ce n'est
pas gratuitement, mais en vertu d'un droit véritable jue
l'âme est délivrée par la grâce, puisque cette grâce a été antérieurement
méritée; et dès lors cette grâce n'est plus une grâce. Si ce mérite était mauvais,
alors quel était-il; l'âme aurait-elle donc mérité de venir dans la chair, dans
laquelle elle ne serait pas venue si elle n'y avait été jetée par celui qui est exempt
de toute iniquité? A moins donc qu'il ne veuille s'enfoncer toujours plus avant dans
l'abîme, jamais votre adversaire n'essaiera de prouver que l'âme a mérité de devenir
pécheresse. Quant à ces enfants qui obtiennent dans le baptême la rémission du péché
originel, ne lui enseignent-ils pas clairement que la prescience de Dieu ne saurait nuire
en quoi que ce soit à ceux qui sont prédestinés à la vie éternelle, à plus forte
raison les rendre elle-même coupables d'un péché d'autrui? Ceci toutefois serait encore
tolérable, si son langage ne venait pas rendre la difficulté inextricable en disant que
l'âme a mérité de devenir pécheresse. Si donc il désire se tirer d'embarras, il n'a
qu'un seul parti à prendre, c'est de désavouer ce qu'il a dit.
10. Il crut devoir s'occuper également
des enfants qui meurent avant d'avoir reçu le baptême de Jésus-Christ, il osa leur
promettre non-seulement le paradis, mais même le royaume des
cieux. Il le fallait bien, car il eût été par trop cruel de soutenir que Dieu condamne
à la mort éternelle des âmes qu'il a jetées dans une chair de péché, sans l'avoir
mérité par aucun péché précédent. Toutefois, il s'aperçoit bientôt qu'il a dû
commettre une
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erreur en soutenant que, sans aucune grâce de Jésus-Christ, les
âmes des enfants peuvent être rachetées pour la vie éternelle, et qu'elles peuvent
obtenir la rémission du péché originel sans le baptême de Jésus-Christ. Mesurant donc
du regard la profondeur de l'abîme où il se précipite, il s'écrie : « Je pense que
ces enfants doivent leur bonheur aux oblations assidues et aux sacrifices offerts par les
saints prêtres ». C'est là encore une proposition à laquelle il n'échappera
qu'en la rétractant. Pour qui le sacrifice du corps de Jésus-Christ doit-il être
offert, si ce n'est pour ceux qui sont membres de Jésus-Christ ? Ne lisons-nous pas : «
Celui qui ne renaît pas de l'eau et du Saint-Esprit ne peut entrer dans le royaume de
Dieu (1) » ; et ailleurs : « Celui qui a donné sa vie pour moi la retrouvera
(2)? » N'est-il donc pas évident qu'on ne devient membre de Jésus-Christ qu'en
recevant le baptême de Jésus-Christ ou en mourant pour Jésus-Christ?
11. Pour infirmer l'absolue nécessité du
baptême, on avait cité le fait du bon larron qui confessa la divinité de Jésus-Christ
sur la croix avant d'avoir offert sa vie en sacrifice à l'exemple du Sauveur. Or, saint
Cyprien range ce bon larron au nombre des martyrs qui sont baptisés dans leur propre
sang, comme il est arrivé à plusieurs, pour qui les bourreaux ont été plus pressés
que les ministres du baptême. A ses yeux le bon larron, confessant la divinité de
Jésus-Christ sur la croix, fit un acte aussi méritoire que s'il avait été réellement
crucifié pour Jésus-Christ. Le bois de la croix, devant lequel la foi des disciples
s'était desséchée, fit réellement fleurir la sienne, sans attendre que les gloires de
la résurrection vinssent renouveler, comme elles le firent pour les Apôtres, ce que les
terreurs de sa mort avaient détruit. Les Apôtres avaient désespéré de leur maître
mourant, le bon larron espéra en celui qui partageait son dernier supplice; les Apôtres
abandonnèrent l'auteur de la vie, le bon larron pria celui dont le châtiment lui était
commun; les Apôtres pleurèrent sa mort comme on pleure la mort d'un homme ordinaire, le
larron crut que cette mort serait suivie d'une prompte résurrection; les Apôtres
quittèrent celui qui leur avait promis le salut, le larron adora celui qui lui était
associé dans le supplice de la
croix. N'eut-il donc pas tout le mérite d'un martyr, celui qui crut
en Jésus-Christ au moment où ceux qui devaient être martyrs sentirent leur foi
défaillir? C'est ainsi du moins qu'en jugea le Sauveur lui-même, puisque, sans exiger
que ce larron eût reçu le baptême, et le croyant entièrement purifié par une sorte de
martyre, il lui promit la possession du bonheur éternel (1). Qui de nous d'ailleurs
n'admirerait pas la foi, l'espérance, la charité avec lesquelles il chercha la vie dans
un mourant, et avec lesquelles, à plus forte raison, il aurait pu accepter la mort pour
Jésus-Christ vivant? L'on a dit enfin, et rien ne s'y oppose, que ce larron, animé d'une
foi si vive et suspendu tout près du Sauveur crucifié, avait été purifié par l'eau
mystérieuse qui jaillit du côté entr'ouvert de Jésus-Christ et qui lui servit de
baptême. Et puis nous ne pouvons savoir si, avant de subir sa condamnation, ce larron
n'avait pas été baptisé; je garderai donc le silence sur ce point. On est libre d'en
penser ce que l'on voudra, pourvu ensuite qu'on ne s'appuie pas sur l'exemple de ce bon
larron pour infirmer la nécessité du baptême, proclamée par le Sauveur; pourvu qu'on
n'établisse pas pour les enfants morts sans baptême je ne sais quel séjour de bonheur,
tenant le milieu entre la damnation et le royaume des cieux. En effet, l'hérésie
pélagienne n'a pas reculé devant cette hypothèse, et en cela elle était conséquente
avec elle-même ; car, n'admettant aucun péché originel dans les enfants, elle n'avait
pas à craindre pour eux la damnation; d'un autre côté, elle ne leur promettait le
royaume des cieux qu'à la condition qu'ils recevraient; le sacrement de baptême. Quant
à notre adversaire, tout en proclamant que les enfants sont coupables du péché
originel, il a bien osé promettre le royaume des cieux à ceux mêmes qui meurent sans
baptême ; les Pélagiens avaient reculé devant une telle hardiesse, quoiqu'ils
n'admissent pas l'existence du péché originel. De là vous pouvez juger des liens
étroits où l'enserre sa présomption, à moins qu'il ne rétracte ce qu'il a écrit.
19. On cite également Dinocrate, frère de sainte Perpétue; mais d'abord, cette histoire
n'est point authentique; et puis l'auteur qui la rapporte, que ce soit la sainte
elle-même ou tout autre, ne dit nulle part d'une manière
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claire et positive que cet enfant de sept ans était mort sans
baptême ; nous lisons seulement que, sur le point de subir le martyre, sainte Perpétue
pria pour son frère, que sa prière fut exaucée et que l'enfant passa du séjour des
châtiments dans le lieu du repos. Est-ce que les enfants à cet âge ne sont pas encore
capables de mentir ou de dire la vérité, d'avouer leurs fautes ou de les nier? Les
enfants que l'on baptise à sept ans ne sont-ils pas déjà capables de répéter le
symbole et de répondre pour eux-mêmes? Qui sait donc si cet enfant, après avoir reçu
le baptême, n'avait pas été initié à l'idolâtrie par son père infidèle et impie?
Mourant dans cet état, il aurait été condamné à des expiations proportionnées au
degré de sa faute, et en aurait reçu pleine et entière condonation
par les prières de sa soeur et par les mérites du sang qu'elle allait répandre.
13. Lors même que, sans porter aucune
atteinte à la foi catholique et à la discipline ecclésiastique, on accorderait, sans
aucune raison du reste, à notre adversaire, que le sacrifice du. corps et du sang de
Jésus-Christ puisse être offert pour des hommes non baptisés, quel que soit leur âge,
et que cet acte religieux puisse les aider à parvenir au royaume des cieux, il aurait
toujours à s'expliquer sur le sort de tant de milliers d'enfants qui appartiennent à des
parents impies, n'obtiennent de la part des justes aucune pitié divine et humaine, et
sortent de cette vie dans l'âge le plus tendre et sans avoir été régénérés dans les
eaux du baptême. Qu'il nous explique donc, s'il le peut, comment ces âmes ont mérité
de devenir pécheresses, jus qu'au point d n'être
jamais délivrées de leurs péchés. Si je lui demande pourquoi elles méritent d'être
damnées, quand elles ne reçoivent pas le baptême, il me répond sagement que c'est à
cause du péché originel. Si je lui demande comment elles ont contracté le péché
originel, il me répond que c'est par leur union à une chair pécheresse. Si je lui
demande comment des âmes qui n'avaient commis aucune faute avant d'être unies à la
chair ont pu mériter d'être condamnées à s'unir à une chair pécheresse, il ne sait
plus que répondre; il ne peut m'expliquer comment elles se trouvent réduites à subir la
contagion des péchés d'autrui jusqu'au point que la régénération du baptême leur
soit refusée et qu'elles ne trouvent aucun sacrifice pour expier leurs fautes. Combien
d'enfants sont nés et naissent encore absolument privés de tous secours
spirituels ! Devant un fait comme celui-là, toute argumentation devient impuissante.
En effet, nous ne demandons pas comment ces âmes ont mérité d'être damnées, depuis
leur union avec une chair pécheresse; nous demandons comment elles ont mérité d'être
condamnées à subir l'union d'une chair pécheresse, puisque avant cette union elles
n'étaient coupables d'aucun péché. Il ne s'agit pas de répondre : « La participation
du péché d'autrui n'a nui d'aucune manière à ceux auxquels, dans sa prescience
éternelle, Dieu avait préparé le puissant remède de la rédemption ». Nous
parlons en ce moment de ceux qui, mourant avant d'avoir reçu le baptême, n'ont eu aucune
part à la rédemption. Qu'on ne nous dise pas : « Les âmes qui n'ont pas été
justifiées par le baptême le seront par les nombreux sacrifices que l'on offre pour
elles; et ce n'est que dans cette prévision que Dieu a voulu, les faire participer aux
péchés d'autrui, sans leur faire courir la chance de la damnation éternelle, et avec
l'espérance d'un bonheur sans fin ». Nous parlons en ce moment des enfants qui
appartiennent à des parents impies et incapables par là même de leur être d'aucun
secours. Et puis, quand ces secours leur seraient prodigués, ils n'aideraient 'en rien
des âmes qui n'ont pas reçu le baptême. Dans le livre des Macchabées il est fait
mention des sacrifices offerts pour les morts (1); mais ces morts, tout pécheurs qu'ils
pouvaient être, n'en auraient retiré aucun avantage, si avant de mourir ils n'avaient
pas reçu la circoncision.
14. Que notre adversaire se mette donc en
mesure de répondre quand, on lui demande d'expliquer comment une âme, jusque-là exempte
de tout péché originel ou actuel, a pu mériter d'être condamnée à subir le péché
originel d'autrui sans pouvoir en obtenir la rémission. De deux choses l'une : ou bien
qu'il affirme que les âmes des enfants qui meurent sans baptême, et pour lesquels n'est
offert aucun sacrifice du corps du Seigneur, sont néanmoins délivrées du lien du
péché originel, quoique l'Apôtre enseigne clairement que tous sont condamnés pour un
seul péché (2), si la grâce ne vient pas leur appliquer les
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mérites de la rédemption opérée par un seul. Ou bien qu'il
soutienne que les âmes, sans avoir aucun péché personnel ou originel, les âmes
innocentes, simples et pures, sont jetées dans l'éternelle damnation par un Dieu juste,
quand il les unit à une chair pécheresse avec la prévision qu'elles n'en seront pas
délivrées.
15. Ni l'une ni l'autre de ces deux
affirmations ne saurait être soutenue. Il en est une troisième qui n'est pas mieux
fondée : elle consisterait à dire que les âmes, avant d'être unies à un corps, ont
déjà péché et mérité par là de se voir condamnées à s'unir à la chair. L'Apôtre affirme hardiment qu'avant d'être unies à un corps, les
âmes n'ont fait aucun bien ni aucun mal (1). Il suit de là que si les enfants ont besoin
d'obtenir la rémission de leurs péchés, cette rémission ne peut tomber que sur le
péché originel. Une quatrième hypothèse se présente, encore. A la vue des enfants qui
meurent sans baptême, peut-on dire que si leur âme a été condamnée à habiter cette
chair pécheresse et à y trouver sans ressource la mort éternelle, c'est que Dieu
prévoyait qu'abusant de leur libre arbitre, elles profiteraient d'un âge plus avancé
pour se livrer au mal? Malgré l'extrême embarras qui l'obsède, notre adversaire n'a pas
osé porter jusque-là sa témérité. Il a même protesté brièvement et ouvertement
contre cette folle assertion, quand il s'est
écrié : « Dieu serait injuste s'il jugeait un homme avant sa naissance sur la simple
prescience de l'imperfection des oeuvres de sa volonté ». C'est ainsi qu'il
s'exprimait quand il répondait à cette question : Pourquoi Dieu créait-il l'homme,
puisqu'il savait à l'avance que cet homme se livrerait au mal? En effet, ce serait
réellement juger un homme avant sa naissance que de refuser de le créer par la raison
qu'une fois créé il se rendrait pécheur. J'approuve cette réponse, et je dis avec lui
que l'homme doit être jugé uniquement sur les actions qu'il a faites, et non sur celles
qu'il doit faire, quoique Dieu les connaisse parfaitement. En effet, si les péchés qu'un
homme commettrait pendant sa vie ultérieure devaient peser sur son jugement quand il
meurt avant d'avoir eu le temps de les commettre, quel bienfait aurait donc reçu celui «
qui a été enlevé, de peur que la malice ne changeât son. intelligence (2) »,
puisqu'il devait être
jugé sur la malice qu'il aurait eue en vivant plus longtemps, et non
selon l'innocence qu'il possédait au moment de sa mort? Après avoir reçu le baptême,
les hommes ne sont-ils pas capables, non-seulement de pécher,
mais même d'apostasier? Supposons donc un enfant qui meurt après son baptême et qui
aurait apostasié s'il avait vécu; n'aura-t-il donc rien gagné à « être enlevé dans
la crainte que la malice ne changeât son intelligence? » En vertu de la prescience
infinie de Dieu, sera-t-il jugé, non pas comme un membre fidèle de Jésus-Christ, mais
comme un apostat? Si des péchés qui n'existent encore, ni dans la réalité, ni même
dans la pensée de l'homme, mais seulement dans la prescience divine, sont néanmoins
punis, n'eût-il pas été préférable que nos deux ancêtres fussent chassés du paradis
avant leur péché, plutôt que de pécher dans un lieu aussi saint et aussi fortuné? Et
que deviendra donc la prescience, si son objet ne se réalise pas? Ce qui ne doit pas
arriver peut-il être connu comme devant arriver? Comment donc punir des péchés qui
n'existent pas, c'est-à-dire qui n'ont été commis ni avant l'union de l'âme avec le
corps, ni depuis cette union, que la mort est venue rompre prématurément?
16. Il s'agit ici de l'âme d'un enfant
qui est mort trop jeune pour avoir pu faire usage de son libre arbitre, et dont l'âme a
été jetée dans la chair jusqu'à ce que la mort vînt l'en délivrer. Parce qu'il meurt
sans baptême, il est damné; mais quelle peut être la cause de cette damnation, si ce
n'est le péché originel? Nous ne nions pas du reste que ce péché ne suffise à lui
seul pour mériter à une âme une trop juste condamnation, puisque toute loi doit
toujours avoir une sanction. Mais je voudrais que l'on me dît
pourquoi l'âme a été condamnée à contracter ce péché, si cette âme ne descend
point par voie de génération de ce premier pécheur qui avait été constitué le père
du genre humain. D'un autre côté, il est bien établi que Dieu ne damne pas les
innocents et qu'il ne rend pas coupables ceux dont il reconnaît la justice; il est
également certain que le seul moyen de délivrer les âmes; soit du péché originel,
soit des péchés personnels, c'est le baptême de Jésus-Christ tel qu'il a été confié
à l'Eglise; il est également certain qu'avant d'être unies à la chair les âmes n'ont
pu commettre aucun péché; enfin (642) il est hors de doute qu'une loi juste ne saurait
condamner des péchés avant qu'ils fussent commis et surtout qui ne l'ont jamais été.
Notre adversaire doit accepter ces quatre propositions. Mais alors qu'il nous explique,
s'il le peut, la raison pour laquelle ces âmes, qui seront damnées pour avoir été
séparées de leur corps avant d'avoir reçu le baptême, ont pu être jetées dans une
chair pécheresse sans avoir mérité ce triste sort par aucun péché antérieur, et
réduites à. y contracter un péché qui sera pour elles une cause légitime de
damnation. Au nom de la plus rigoureuse équité et de la droite raison, il se refusera
certainement à dire, ou bien que Dieu rend pécheresses des âmes qui étaient sans
péché; ou bien que le sacrement de Jésus-Christ n'est point nécessaire pour effacer en
elles le péché originel ; ou bien qu'elles ont péché dans un état antérieur à leur
union avec la chair; ou bien enfin qu'elles sont condamnées pour des péchés dont elles
n'ont jamais été coupables. Après avoir rejeté ces quatre propositions qui heurtent en
effet le plus simple bon sens, dira-t-il que les enfants ne sont coupables d'aucun péché
originel, et que, même en mourant, sans avoir reçu le baptême, ils ne portent en eux
aucune cause de damnation? Un tel langage le jetterait immédiatement dans l'hérésie
pélagienne et lui en mériterait toutes les condamnations. Pour échapper à cette
cruelle alternative, il ferait mieux de s'en tenir à mon hésitation sur l'origine de
l'âme, plutôt que de se livrer à des affirmations qui révoltent la raison humaine et
que réprouve l'autorité divine; il s'épargnerait ainsi la honte de passer pour un
insensé, en se refusant à l'aveu si naturel de son ignorance sur des questions aussi
graves.
17. Mais voici qu'il tente d'appuyer son
opinion sur l'autorité des saintes Ecritures, et croit y trouver la preuve évidente que
les âmes ne nous sont pas transmises par voie de génération, mais sont immédiatement
créées par un nouveau souffle de Dieu. Qu'il me le prouve, s'il le peut, et j'avouerai
franchement que c'est de lui que j'ai appris ce que je cherchais depuis longtemps avec
ardeur. Mais qu'il invoque d'autres témoignages que ceux qu'il a cités, car ceux-ci
n'ont absolument aucune valeur, je ne dis pas en eux-mêmes, mais relativement à la
question de l'origine de l'âme. Il est certain, par exemple, que Dieu a donné aux hommes
le souffle et l'esprit, selon cette parole du Prophète : « Ainsi parle le Seigneur qui a
créé le ciel et la terre et tout ce qu'ils renferment, et qui donne le souffle au peuple
qui est sur la terre, et l'esprit à ceux qui la foulent aux pieds (1) ». Notre
adversaire invoque ce passage en faveur de sa doctrine, et prétend que ces mots : « Il
donne le souffle au peuple », affirment clairement que nous recevons immédiatement
notre âme, non pas par voie de génération, mais par un souffle spécial de Dieu. S'il
est conséquent avec lui-même, soutiendra-t-il encore que ce n'est pas Dieu qui nous a
donné directement notre chair parce qu'elle naît de la chair de nos parents? Parlant du
grain de froment, l'Apôtre n'a-t-il pas dit: « Dieu lui donne le corps qu'il veut (2)
? » Qu'il nie donc, s'il en a la hardiesse, que le froment naît du froment et
l'herbe de la semence qui lui est propre. S'il n'ose le nier, comment peut-il savoir dans
quel sens il a été dit: « Dieu donne le souffle au peuple » ; est-ce en le tirant des
parents, est-ce en le produisant à nouveau pour chaque âme particulière?
18. De même, comment sait-il que ces
paroles : « Dieu donne le souffle au peuple qui est sur la terre et l'esprit à ceux qui
la foulent aux pieds », ne sont que la répétition de la même pensée sous deux
formes différentes? Est-il bien sûr qu'il n'y est question que de l'âme humaine et
nullement du Saint-Esprit? Si le souffle ne pouvait désigner,le Saint-Esprit, le Seigneur
après sa résurrection aurait-il affecté de souffler sur ses disciples en leur disant :
« Recevez le Saint-Esprit (3) ? » Lirions-nous également dans les Actes des
Apôtres : « Il se fit un grand bruit du ciel, comme un souffle violent, et il leur
apparut comme des langues de feu qui vinrent se reposer sur chacun d'eux, et tous furent
remplis du Saint-Esprit (4)? » Et si c'était cet événement qu'annonçait le Prophète,
quand il disait : « C'est Dieu qui donne le souffle à son peuple de la terre ? »
Et si c'était uniquement pour mieux faire comprendre sa pensée; qu'il l'a répétée en
ces termes : « Et l'esprit à ceux qui la foulent aux pieds? » Du moins est-il évident
que c'est là ce qui s'est réalisé, quand tous eurent été remplis du Saint-Esprit.
Dira-t-il qu'on ne
643
peut donner le nom de peuple à cent vingt personnes qui se
trouvaient alors réunies dans un, seul lieu? Du moins, lorsque quatre ou cinq mille
hommes se trouvèrent réunis dans la même foi, furent baptisés et reçurent le
Saint-Esprit (1), hésitera-t-on à dire que le peuple, cette multitude qui était sur la
terre, ces hommes qui foulaient la terre sous leurs pieds, reçurent le Saint-Esprit?
Quant à cet esprit qui est une partie constitutive de la nature humaine, qu'il nous soit
donné par voie de génération ou par l'effet direct d'un souffle nouveau et spécial
(car pour me prononcer sur ce point, j'attends de nouvelles lumières), il est certain que
ce n'est pas quand ils foulent la terre de leurs pieds que les hommes reçoivent cet
esprit, mais quand ils sont encore renfermés dans le sein maternel. Dieu, dès lors,
donna le souffle à son peuple de la terre et l'esprit à ceux qui la foulaient aux pieds,
lorsque tous ces nouveaux convertis reçurent en même temps le Saint-Esprit. Pour donner
cet Esprit, Dieu n'exige pas d'ailleurs que tout son peuple soit réuni; il le donne à
chaque homme en son temps, et il agira ainsi jusqu'au moment où ce peuple, après avoir
quitté cette vie pour entrer dans une vie nouvelle, complétera au ciel le nombre des
enfants de Dieu. Dans ce sens donc nous ne distinguons pas le souffle de l'esprit, nous ne
voyons dans le texte qu'une simple répétition
de la même pensée. C'est ainsi que nous ne distinguons pas celui qui habite dans le
ciel, du Seigneur lui-même ; nous prenons dans le même sens le rire et la raillerie,
tels que nous les trouvons dans le psaume : « Celui qui habite dans le ciel se rira
d'eux, et le Seigneur les tournera en dérision (2) » ;
ces autres paroles du même Prophète ne sont également qu'une répétition : «
Je vous donnerai les nations pour votre héritage, et jusqu'aux confins de la terre pour
votre empire (3) ». Héritage et empire ne sont qu'une seule et même chose; nations
et confins de la terre expriment la même idée; ce ne sont là que des répétitions. En
lisant attentivement les saintes Ecritures, on y trouverait une multitude de locutions du
même genre.
19. Remarquons aussi que le mot grec qui
nous occupe en ce moment est diversement interprété par les Latins; on le traduit
alternativement par souffle, esprit et inspiration.
Voici par exemple une suite de passages dans lesquels le texte grec
reproduit exactement le même terme, tandis que le latin s'exprime de trois manières
différentes : « C'est Dieu qui donne le souffle au peuple sur la terre ; Dieu souffla
sur la face de l'homme le souffle de la vie ». Que tout « esprit » loue
le Seigneur (2) ; c'est l'aspiration du Tout-Puissant qui
nous « instruit ». On ne saurait douter qu'il ne s'agisse ici du Saint-Esprit
lui-même, car il était question de savoir à quelle source les hommes puisent la
sagesse, et voici la réponse : « Elle ne provient pas du nombre des années, mais de
l'esprit qui est dans les hommes; car c'est l'aspiration du Tout-Puissant
qui nous instruit ». Cette répétition n'avait-elle pas pour but de prouver que ce
n'était point de l'esprit même de l'homme qu'il parlait quand il disait : « L'Esprit est dans l'homme? » Pour mieux prouver que ce n'est pas
des hommes eux-mêmes que leur vient la sagesse, l'auteur ne fait que répéter sa pensée
sous une autre forme, en disant
C'est l'aspiration du Tout-Puissant qui
nous instruit (3) ». Nous lisons un peu plus loin, toujours dans le même livre .
«L'intelligence de mes lèvres comprend ce qui est pur; et si c'est l'Esprit divin qui
m'a créé, c'est aussi l'aspiration du Tout-Puissant qui
m'enseigne (4) ». Dans le texte grec une seule expression reste employée, le mot
souffle. Il y aurait donc une grande témérité à ne pas appliquer à l'âme de l'homme
ou à l'esprit de l'homme ces paroles : « C'est Dieu qui donne le souffle au peuple de la
terre, et l'esprit à ceux qui la foulent aux pieds », quoique le sens immédiat
semble désigner plutôt l'Esprit-Saint lui-même. Mais comment soutenir que dans ce
passage le Prophète a formellement enseigné que si c'est de Dieu que nous recevons
l'âme ou l'esprit, principe de vie en nous, ce n'est pas par voie de génération que
cette âme nous est donnée ? La seule conclusion que l'on devrait chercher à tirer, ne
serait-ce point de savoir si Dieu ne donne pas à l'homme son âme par voie de
génération, comme c'est par voie de génération qu'il donne lui-même un corps, non-seulement à l'homme et à l'animal, mais encore au grain de
froment et à toutes les plantes ; ou, s'il la créé immédiatement et par un souffle
nouveau,
644
comme il l'a fait pour le premier homme?
20. Certains interprètes se refusent à
voir une répétition dans le texte prophétique, et soutiennent que ces premières
paroles : « Dieu donna le souffle au peuple de la terre », se rapportent directement à
l'âme; tandis que ces autres paroles : « Et l'esprit à ceux qui la foulent aux pieds
», désignent directement le Saint-Esprit. Nous retrouverions ainsi le même ordre suivi
plus tard par l'Apôtre : « Ce n'est pas le corps spirituel qui a été formé
a le premier; c'est le corps animal, et ensuite le corps spirituel (1) ». Selon cette
interprétation qui se prête beaucoup mieux aux développements oratoires, ces paroles:
« Et à ceux qui foulent la terre aux pieds », désigneraient ceux qui auraient pour les
choses de la terre le plus profond mépris. En effet, ceux qui reçoivent le Saint-Esprit
sont embrasés d'amour pour les choses du ciel et de mépris pour les biens de la terre.
Or, la foi n'est blessée par aucune de ces propositions, soit que l'on ne donne qu'une
seule et même signification à ces deux mots souffle et esprit, pour désigner ce qui
constitue l'essence de la nature humaine, ou pour désigner l'Esprit-Saint; soit que
l'âme soit désignée par le souffle; et le Saint-Esprit par le mot esprit. En admettant
qu'il ne s'agisse dans ce passai que de l'âme et de l'esprit de l'homme, il est hors de
doute que c'est Dieu qui nous donne cette âme et cet esprit; mais il reste à savoir si
Dieu nous le donne par voie de génération, comme c'est par voie de génération qu'il
nous donne le corps et les membres; ou bien s'il crée chaque fois une âme nouvelle par
un nouveau souffle qu'il inspire à chaque corps qui se forme. Avant de nous prononcer
exclusivement pour l'un ou l'autre de ces deux modes, nous voudrions avoir sous les yeux
des textes de la sainte Ecriture, non pas ambigus comme ceux que l'on nous cite, mais
parfaitement clairs et explicites.
21. On nous oppose le texte suivant
d'Isaïe : « L'Esprit sortira de moi, et tout
souffle vient de moi (2) ». Ces mots : « L'Esprit sortira de
moi », désignent l'Esprit-Saint dont le Sauveur a dit : « Il procède du Père (3) ».
D'un autre côté, on ne saurait nier que l'âme humaine ne soit désignée par la seconde
partie du texte : « Tout souffle vient de moi ». Mais
le corps vient également de Dieu, et cependant on ne saurait douter
qu'il ne nous soit donné par voie de génération. Il ne suffit donc pas de savoir que
l'âme vient de Dieu, il faudrait encore que l'on pût nous
dire si elle nous est donnée par voie de génération comme le corps, ou si elle nous est
inspirée à chacun par un souffle nouveau et spécial.
22. Un troisième témoignage nous est
proposé dans ces paroles de Zacharie : « C'est Dieu qui forme l'esprit de l'homme en
lui-même (1) ». Personne n'en doute; mais nous demandons de quoi il le forme. Est-ce que
ce n'est pas Dieu qui forme l'il corporel de l'homme ? Rien plus, c'est en lui-même
qu'il le forme, et cependant il est certain qu'il le forme par voie de génération. De
même nous admettons que c'est Dieu qui forme l'esprit de l'homme en lui-même, mais nous
demandons si c'est par voie de génération ou par un soufflé nouveau.
23. Nous savons également que la mère
des Macchabées, cette femme encore plus étonnante par ses vertus pendant le martyre de
ses enfants qu'elle ne l'avait été par sa fécondité même, disait à ses enfants pour enflammer leur courage : « Je ne
sais comment je vous ai engendrés dans mon sein; ce n'est point moi qui vous ai donné
l'esprit et l'âme, ce n'est point moi qui ai formé à chacun de vous ce visage et ces
membres; Dieu, qui a créé le monde et tout ce que le monde renferme, a aussi créé le
genre humain, s'occupe de chacune de nos actions et vous rendra dans son infinie
miséricorde l'esprit et l'âme que vous offrez pour lui (2) ». Ce langage clous est
parfaitement connu, mais nous ne voyons pas ce qu'il prouve en faveur de notre adversaire.
Un chrétien a-t-il jamais nié que Dieu fût l'auteur de l'âme et de l'esprit de l'homme
? Vincent Victor peut-il nier -que ce soit Dieu qui donne aux hommes la langue, les
oreilles, les mains, les pieds, les sens, la forme et la nature des membres? S'il niait
cette vérité capitale, il oublierait qu'il est chrétien. Mais le corps et tous-les
membres du corps ne nous sont donnés que par voie de génération; reste donc à savoir
comment l'esprit et l'âme nous sont donnés; sont-ils tirés de nos parents ou du néant?
Ni de nos parents ni du néant, répond notre adversaire, mais de la nature même du
souffle de
645
Dieu, c'est-à-dire de Dieu lui-même. Une telle doctrine ne saurait
être soutenue.
24. Ainsi, quant aux textes qu'il emprunte
à la sainte Ecriture, ils sont entièrement étrangers à la question particulière qui
nous occupe et n'appuient aucunement sa doctrine. Comment donc peut-il sécrier : «
Nous ne cessons d'affirmer que l'âme est tirée du souffle de Dieu, puisqu'elle nous est
donnée par Dieu et non par voie de génération ? » Mais recevons-nous donc le corps de
tout autre que de celui par qui tout a été créé, de qui tout procède, par qui et en
qui tout existe (1), quoique tout soit étranger à sa nature, et le simple résultat de
son action ? « L'âme ne vient pas du néant», dit-il, «puisqu'elle vient de Dieu
». Je n'examine point encore dans quel sens ces paroles peuvent être vraies; seulement
je soutiens qu'il est dans l'erreur quand il affirme que l'âme n'est tirée ni de la
génération ni du néant; je proteste contre une telle opinion. Il n'y a point de milieu
possible : si l'âme ne nous est pas donnée par voie de génération, elle est tirée du
néant; croire qu'elle vient de Dieu en ce sens qu'elle soit formée de la nature même de
Dieu, c'est une erreur et un sacrilège. D'un autre côté, avant de croire qu'il est
impossible que l'âme nous soit donnée par voie de génération, nous attendons des
témoignages formels et explicites, et tels ne sont pas ceux qu'il nous a présentés, car
ils n'éclairent aucunement la question.
25. Puisqu'il est dans l'incertitude sur
le grave sujet qui nous occupe, que n'imite-t-il la mère des Macchabées ? Elle savait
fort bien que par son mari elle les avait conçus dans son sien, et que Dieu lui-même les
avait créés selon le corps et selon l'esprit, et cependant elle s'écrie: « Je ne sais
comment vous avez été formés dans mes entrailles ». Je voudrais que notre adversaire
me dît ce que cette femme ignorait. Elle n'ignorait pas, je
l'ai dit, comment ces enfants étaient venus dans son sein, puisqu'elle ne pouvait douter
qu'ils ne fussent le résultat du mariage. Elle confessait même que c'était Dieu qui
leur avait donné l'âme et l'esprit, comme il avait formé leur visage et leurs membres.
Qu'ignorait-elle donc ? N'est-ce pas ce que nous ignorons nous-mêmes, c'est-à-dire si
cette âme que Dieu leur avait donnée, il l'avait tirée des parents ou
l'avait créée immédiatement et par un souffle nouveau, comme il
avait fait pour le premier homme ? Quel que soit du reste le point particulier qu'elle
n'eût pas connu, elle ne cachait point son ignorance; et elle n'affirmait pas
témérairement ce qui lui était inconnu. Et cependant Vincent Victor rougirait
d'adresser à cette femme l'injure qu'il nous adresse à nous-mêmes : « L'homme si haut
placé dans les honneurs n'a pas compris; il a été comparé aux animaux sans raison, et
il leur a été trouvé semblable (1) ». Cette femme déclare ne pas savoir comment ses
enfants ont été formés dans son sein », et cependant il ne la compare pas aux animaux
sans raison. Je ne sais pas», dit-elle; et supposant qu'on lui demande pourquoi elle
l'ignore, elle ajoute : « Car ce n'est pas moi qui vous ai donné l'esprit et
l'âme ». Celui qui vous les a donnés sait d'où il a formé ce qu'il vous a donné,
s'il l'a tiré de la génération ou d'une création nouvelle et d'un souffle nouveau.
Quant à moi, je l'ignore. « Ce n'est pas moi qui vous ai formé à chacun votre
visage et vos membres » ; celui qui vous les a formés sait s'il les a formés avec votre
âme, ou s'il a attendu qu'ils fussent formés pour leur donner une âme. Quel que fût du
reste le mode sous lequel ses enfants étaient venus dans son sein, elle l'ignorait ; ce
qu'elle savait, c'est que celui qui leur avait tout donné leur rendrait tout. En face
d'un mystère aussi profond de la nature humaine, que notre adversaire se prononce sur ce
que cette femme ignorait; seulement, qu'il ne l'accuse pas de mensonge; et, parce qu'elle
ignore, qu'il ne la compare pas aux animaux sans raison. Ce qu'elle ignorait touchait à
la nature même de l'homme, cette nature humaine pouvait très-innocemment
l'ignorer. J'en dis autant de mon âme. Je ne sais comment elle est venue dans mon corps,
et certainement je ne me la suis pas donnée moi-même. Celui qui me l'a donnée sait s'il
l'a tirée de mon.père ou s'il l'a créée pour moi toute nouvelle, comme il a fait pour
le premier homme. Je le saurai moi-même quand il lui plaira de me l'apprendre. Pour le
moment, je l'ignore; quant à avouer mon ignorance sur ce point, je n'hésite pas un seul
instant et sans me croire obligé d'en rougir, comme le fait mon adversaire.
26. « Apprenez-le donc », dit-il,
« car voici
646
l'Apôtre qui vous l'enseigne ». Je l'apprendrai certainement si
l'Apôtre me l'enseigne, puisque c'est Dieu même qui me parlera par l'Apôtre.
S'adressant aux Athéniens, il enseigne hautement et à plusieurs reprises que c'est Dieu
qui nous donne la vie et l'esprit ». Mais personne n'en doute. Mais », continue-t-il,
« comprenez bien ce que dit l'Apôtre : C'est Dieu qui nous donne ; et non pas :
C'est Dieu qui nous a donné; il suppose de la part de Dieu une action permanente et
continuelle, et non pas une action passée et achevée. Ce qu'il donne sans interruption,
il le donne toujours, comme existe toujours celui qui donne ». Telles sont les propres
paroles de mon adversaire, telles que je les trouve dans son second livre. Vous pouvez
déjà reconnaître l'espace qu'ira parcouru, depuis qu'il essaie d'affirmer ce qu'il
ignore. Il a osé dire que, non-seulement aujourd'hui et
pendant le siècle présent, mais pour un temps indéfini et sans aucune interruption,
« Dieu donne les âmes à ceux qui naissent. Dieu donne toujours », dit-il,
« comme existe toujours celui qui donne ». Comme je comprends clairement le langage
de l'Apôtre, je me garderai bien de le nier; quant au langage que mon adversaire ose
tenir, il doit comprendre qu'il est directement contraire à la foi chrétienne et
conclure qu'il est tenu de se l'interdire à jamais. Lorsque sera venu le temps de la
résurrection des morts, il ne se produira plus aucune naissance ; Dieu n'aura donc plus
à créer de nouvelles âmes, mais à juger celles qu'il aura précédemment unies à leur
corps. Dieu ne donne donc pas toujours, quoique celui qui donne existe toujours. D'un
autre côté, quoique l'Apôtre se soit servi du présent et non pas du passé, il ne
s'ensuit pas, quoi qu'en dise notre adversaire, que les âmes ne nous sont point données
par voie de génération. En effet, lors même qu'elles nous seraient données de cette
manière, elles le seraient toujours par Dieu. N'est-ce pas lui qui nous donne les membres
du corps, les sens du corps, la forme du corps, la substance du corps, quoiqu'il nous
donne tout cela par voie de génération ? Nous lisons dans l'Evangile : « Si Dieu revêt
avec tant de soin l'herbe des champs, laquelle est aujourd'hui et ne sera pas demain (1)
». Le texte ne dit pas; Dieu a revêtu,
mais: revêt, pour indiquer non pas une action passée, mais une
action présente; allons-nous en conclure que les lis ne naissent pas de toute semence de
leur espèce? En disant de Dieu que c'est lui qui donne l'âme et l'esprit à l'homme,
tant qu'il y a des hommes à créer, nous ôtons-nous le droit de dire que les âmes nous
sont données par voie de génération? Je n'affirme pas qu'il en soit ainsi ni qu'il en
soit autrement. Mais vous pouvez voir que pour affirmer ou pour nier on ne peut invoquer
que des témoignages incertains et douteux. Il ne s'ensuit pas que je doive être comparé
aux animaux sans raison; par cela même que je doute je mériterais plutôt d'être rangé
parmi les hommes prudents, puisque je n'ai pas la témérité d'enseigner ce que j'ignore.
De mon côté, je me garderai bien de répondre à une injure par une injure, et
d'établir la même comparaison contre mon adversaire. J'aime mieux lui donner
l'avertissement d'un père à son fils, et le prier d'avouer qu'il ignore ce qu'il ne sait
pas, et de ne pas tenter d'enseigner ce qu'il n'a jamais appris. Autrement il mériterait
d'être comparé, non pas aux animaux, mais à ces hommes dont l'Apôtre a dit: « Ils
veulent se faire les docteurs de la loi et ils ne comprennent ni ce qu'ils disent ni ce
qu'ils enseignent (1)».
27. Je ne saurais m'expliquer pourquoi les
textes de l'Ecriture dont il nous parle sont lus par lui avec une telle inadvertance que
Dieu apparaît comme le Créateur, non pas du corps de l'homme, mais seulement de son âme
et de son esprit. L'Apôtre a dit d'une manière absolue: «
Nous sommes l'oeuvre de Dieu (2) » ; et Vincent Victor soutient que ce n'est point par
notre corps que nous sommes l'uvre de Dieu, mais seulement par notre âme et par
notre es. prit. Si nos corps n'ont pas été créés par Dieu, les paroles suivantes ne
sont plus qu'un mensonge : « Tout est de lui, tout est par lui, tout est en lui (3) ».
Le même Apôtre nous dit ailleurs : « Comme la femme a été tirée de l'homme, ainsi
l'homme naît de la femme». Que notre adversaire nous explique de quelle transmission il
est question dans ce texte; est-ce de l'âme, ou du corps, ou de l'un et l'autre à la
fois ? Quant à l'âme, il ne veut pas qu'elle nous soit transmise par voie de
génération. Si donc nous l'en croyons, lui et tous ceux qui partagent son opinion, nous
devrons
647
conclure que ces mots de l'Apôtre : « Comme la femme a été tirée
de l'homme, ainsi l'homme naît de la femme », s'appliquent uniquement au corps
masculin et féminin, et que c'est uniquement sous ce rapport que la femme a été tirée
de l'homme, et que l'homme naît de la femme. Mais si l'Apôtre ne voulait parler que du
corps particulier à chacun des deux sexes, pourquoi donc ajoute-t-il aussitôt :
« Et toutes choses viennent de Dieu (1) », si ce n'est pour nous rappeler que
nos corps eux-mêmes sont l'uvre de Dieu ? « Comme la femme a été tirée de
l'homme, ainsi l'homme naît de la femme, et toutes choses viennent de Dieu » :
telles sont les propres paroles de saint Paul. Que notre adversaire se prononce sur la
portée de ces paroles. Si elles s'appliquent uniquement aux corps, il est certain que nos
corps viennent de Dieu; et alors il n'est plus possible, devant ce texte de l'Ecriture, de
soutenir que notre âme seule et non point notre corps, est l'uvre de Dieu. Mais si
elles s'appliquent tout à la fois et au corps des deux sexes et à l'âme, il faut en
conclure que la femme a été tirée de l'homme, selon sa personne tout entière.
« Car la femme a été tirée de lhomme, l'homme naît de la femme et toutes
choses viennent de Dieu ». Ce collectif général: « toutes choses », ne se
rapporte-t-il pas à tout ce dont l'Apôtre parlait, c'est-à-dire à l'homme dont est
tirée la femme, à la femme qui donne naissance à l'homme, et à l'homme lui-même qui
naît de la femme? L'homme qui est né de la femme n'est pas celui duquel la femme a été
tirée, mais celui qui plus tard est né de l'union de l'homme et de la femme, selon
l'ordre toujours subsistant. Par conséquent, si dans ces paroles l'Apôtre voulait parler
des corps, il n'est plus douteux que le corps de l'homme et de la femme soit l'uvre
de Dieu. Et si notre adversaire restreint l'uvre actuelle de la création divine à
l'âme et à l'esprit, il reste prouvé que c'est selon son âme et son esprit que la
femme a été tirée de l'homme, et ceux qui combattent la transmission des âmes par voie
de génération n'ont plus qu'à garder le plus profond silence. Enfin si notre adversaire
distingue entre le corps et l'âme, et soutient que selon son corps la femme a été
tirée de l'homme, tandis que selon son âme elle est sortie de Dieu, comment resteront
vraies ces
paroles de l'Apôtre : « Toutes choses viennent de Dieu », si le
corps de la femme est tellement l'uvre de l'homme qu'il ne soit nullement
l'uvre de Dieu ? Ayant donc à choisir entre l'Apôtre et lui, je me range sans
hésiter du côté de l'Apôtre, et je dis: La femme a été tirée de l'homme, ou bien
uniquement selon son corps, ou. bien à la fois selon son corps et son âme; toutefois je
ne fais qu'énoncer ces deux propositions sans me prononcer d'une manière certaine ni
pour l'une ni pour l'autre. Quant à l'homme, ou bien il naît de la femme selon son corps
et son âme, ou bien selon son corps seulement ; et ici encore je laisse la question à
discuter; cependant toutes choses viennent de Dieu, c'est-à-dire, tout à la fois le
corps et l'âme soit de l'homme, soit de la femme ; et sur ce point il n'y a plus à
discuter. Car en disant que toutes choses viennent de Dieu nous entendons soutenir
qu'elles sont l'uvre de Dieu et non pas qu'elles sont une manifestation, une
effusion, une émanation de la nature de Dieu. Pour qu'elles viennent de lui, qu'elles
aient reçu l'être de lui, il suffit qu'elles aient été créées et faites par lui.
28. «Mais», ajoute notre adversaire,
«quand l'Apôtre s'écrie que Dieu donne à tous la vie et l'esprit; quand il affirme que
Dieu a fait d'un seul sang le genre humain (1), ne proclame-t-il pas que nous recevons
directement de Dieu l'âme et l'esprit, tandis que le corps nous est transmis par la
génération ? » Celui qui ne veut pas s'exposer à nier témérairement la
transmission des âmes, avant d'être assuré qu'elle existe ou qu'elle n'existe pas, doit
comprendre tout d'abord que, en disant que Dieu a fait tout le genre humain d'un seul sang
ou d'un seul homme, l'Apôtre parle évidemment eu figure et prend la partie pour le tout.
En effet, si notre adversaire se croit autorisé à prendre la partie pour le tout dans ce
texte de la Genèse: « L'homme a été fait âme vivante (2) », afin de pouvoir
l'appliquer à l'esprit, quoique l'Ecriture garde sur ce point le plus profond silence;
pourquoi les autres n'auraient-ils pas le même droit par rapport à ces autres paroles :
« D'un seul sang », afin de pouvoir les appliquer à l'âme et à l'esprit aussi
bien qu'à la chair, car l'homme dont il est parlé dans ce texte est
648
composé tout à la fois et d'un corps et d'une âme. Celui qui
soutient la transmission des âmes par voie de génération, ne doit point se flatter
d'accabler son adversaire en lui citant cette parole dite du premier homme : « En qui
tous ont péché (1)» ; et non pas : en qui toute chair a péché. Tous, c'est-à-dire
tous les hommes ; or, l'homme n'est pas seulement un corps, il est encore une âme, d'où
il suit que ce n'est pas seulement selon la chair que l'on doit interpréter cette parole
: Tous les hommes. De même notre adversaire ne doit point se flatter d'accabler les
partisans de la transmission des âmes, en leur citant cette parole : « Tout le genre
humain a été formé d'un seul sang », comme si cette parole affirmait clairement que la
chair est seule transmise par voie de génération. S'il était vrai que l'âme ne vînt
pas de l'âme, et que la chair seule vînt de la chair, ces mots : « D'un seul sang »,
ne signifieraient plus l'homme tout entier, mais seulement une partie, c'est-à-dire la
chair, et la chair d'un seul homme; quant à ces autres paroles : « En qui tous ont
péché », elles désigneraient uniquement la chair, puisqu'elle est seule transmise par
voie de génération ; de cette manière l'Ecriture aurait pris le tout pour la partie.
Dans l'hypothèse en vertu de laquelle l'homme tout entier, c'est-à-dire le corps, l'âme
l'esprit, se transmet par la génération, ces mots : « En qui tous ont péché »,
conservent toute leur valeur littérale, tandis que ceux-ci : « D'un seul sang
», sont une figure dans la quelle le tout est signifié par la partie, c'est-à-dire tout
l'homme formé d'un corps et d'une âme, ou, pour parler comme notre adversaire, d'un
corps, d'une âme et d'un esprit. Dans le langage de l'Ecriture nous trouvons en effet très-souvent ce genre de figure qui consiste à prendre le tout
pour la partie, ou la partie pour le tout: « Toute chair viendra vers vous (2) » ; ici
la partie est prise pour le tout, car la chair désigne clairement l'homme tout entier. Au
contraire, on prend le tout pour la partie, quand on dit que Jésus-Christ a été
enseveli, car son corps seul a été enseveli. Si donc nous revenons au texte de
l'Apôtre : « Dieu donne à tous la vie et l'esprit », en l'interprétant
selon les règles précédentes, toutes les difficultés disparaissent. C'est Dieu qui
donne ; mais nous demandons de quel
principe il fait sortir ce qu'il donne : est-ce d'un souffle nouveau,
est-ce par voie de génération? Sommes-nous dans l'erreur, quand nous disons que c'est
Dieu lui-même qui donne la substance de la chair? Et cependant il est certain qu'il ne
nous la donne que par voie de génération.
29. Nous lisons dans la Genèse que quand
l'homme aperçut la femme qui avait été tirée de son côté, il s'écria : « Voici
l'os de mes os, et la chair de ma chair ». Notre adversaire raisonne ainsi sur ce texte :
« Adam aurait dû dire : Voici l'âme de mon âme, ou l'esprit de mon esprit, s'il était
vrai que l'âme et l'esprit eussent été tirés de lui, aussi bien que le corps ». D'un
autre côté, ceux qui soutiennent la transmission des âmes, invoquent en leur faveur ces
mêmes paroles de la Genèse, en faisant remarquer que, après avoir tiré une côte du
flanc de l'homme et en avoir formé la femme, il n'est pas dit que Dieu inspira sur sa
face le souffle de vie; d'oie ils concluent que ce corps était déjà doué d'une âme.
S'il en eût été autrement, continuent-ils, est-ce que la sainte Ecriture aurait omis de
nous en parler? Quant à ces mots: « Voici l'os de mes os et la chair de ma chair » ; si
le premier homme ne dit pas Voici l'âme de mon âme ou l'esprit de mon esprit, c'est,
ajoutent-ils, parce que Adam parlait en figure et prenait la partie pour le tout, l'os et
la chair pour la personne tout entière, d'autant plus que cette chair n'avait pas été
tirée morte du premier homme, mais dans un état de vie parfaite. Je sais qu'un homme
essaierait en vain de couper dans un corps l'âme avec la chair qu'il enlève; mais Dieu
n'est-il pas tout-puissant? Et puis, nous entendons Adam s'écrier de nouveau : « Elle
sera appelée femme parce qu'elle a été tirée de l'homme (1) » ; pour favoriser
l'opinion de nos adversaires il aurait dû dire : Parce que sa chair a été tirée de
l'homme. Mais parce qu'il est écrit que c'est la femme même, et non pas seulement la
chair, qui a été tirée de l'homme, c'est donc de la femme tout entière qu'il est
parlé, c'est-à-dire de son corps et de son âme. Il est vrai que l'âme est
indépendante du sexe; cependant, quand on parle des femmes, on ne fait pas
nécessairement abstraction de leur âme. Autrement, que signifieraient ces règles que
l'Apôtre trace aux
649
femmes sur leur manière de prier : « Non avec des cheveux frisés,
ni des ornements d'or, ni des perles, ni des vêtements somptueux, mais avec de bonnes
oeuvres, comme doivent le faire des femmes qui font profession de piété (1) ? » La
piété réside avant tout dans l'âme ou dans l'esprit, et cependant, les personnes
auxquelles l'Apôtre s'adresse sont désignées par le nom de leur sexe; il leur ordonne
même de s'orner intérieurement, c'est-à-dire là où il n'y a aucune distinction de
sexe.
30. Ainsi raisonnent les partisans
déclarés de chacun de ces deux systèmes. Pour leur répondre, je me contenterai de les
avertir de ne point se jeter aveuglément dans une doctrine dont ils ignorent les
fondements, et de ne point affirmer témérairement ce qu'ils ne connaissent pas. En
effet, alors même qu'il serait écrit que Dieu souffla le souffle de vie sur le visage de
la femme, et qu'elle fut faite âme vivante, il ne s'ensuivrait pas encore que l'âme ne
passe pas des parents aux enfants par voie de génération, à moins que le même souffle
n'ait été répété sur chacun de leurs enfants. Car il est possible que le corps de la
femme ait été tiré sans vie du corps de l'homme, et que par là même il ait eu besoin
de recevoir le souffle de vie, tandis que les enfants reçoivent de leurs parents la vie
en même temps que la génération. Mais l'Ecriture garde le silence sur ce point; ce
silence n'est ni une négation ni une affirmation; tout ce que nous pouvons en conclure,
c'est que nous ne savons pas. Si donc on prétend que ce mystère nous est révélé dans
d'autres passages, qu'on le prouve par des documents clairs et formels. En attendant ces
preuves, je soutiens que les partisans absolus de la transmission des âmes ne peuvent
rien conclure de l'observation par eux faite que Dieu n'a point soufflé sur le front de
la femme; quant à ceux qui nient cette transmission des âmes, ils ne doivent pas non
plus se croire dans le vrai, uniquement parce que Adam n'a point dit : Voici l'âme de mon
âme. Comme la question n'est nullement résolue ni pour les uns ni pour les autres, la
sainte Ecriture a pu nous laisser ignorer si la femme a reçu une âme par un nouveau
souffle de Dieu, ou si Adam s'est écrié : Voici l'âme de mon âme. Dès lors, en
admettant que la première
femme ait reçu de l'homme son âme, la partie serait prise pour le
tout dans ces paroles : « Voici l'os de mes os et la chair de ma chair » ;
puisque la femme serait sortie tout entière de l'homme avec son corps et son âme. Si son
âme lui est venue non pas de l'homme, mais d'un nouveau souffle de Dieu, le tout est pris
pour la partie dans ces autres paroles : « La femme a été tirée de l'homme », puisque
le corps seul en aurait été tiré.
31. Tout ce qui précède nous autorise à
conclure que les textes cités sont loin d'avoir la clarté suffisante pour résoudre la
question qui nous occupe. Ceux qui soutiennent que l'âme de la femme n'a pas été tirée
de l'âme de l'homme, puisqu'au lieu de s'écrier: Voici l'âme de mon âme, Adam s'est
contenté de dire : « Voici la chair de ma chair », me semblent raisonner comme les Apollinaristes ou autres hérétiques. semblables qui niaient
l'existence d'une âme en Jésus-Christ, en se fondant sur cette parole : « Le Verbe
s'est fait chair (1) ». En effet, disent-ils, si Jésus-Christ avait eu une âme,
l'écrivain sacré aurait dit : Le Verbe s'est fait homme. On peut leur répondre que
très-souvent, sous ce nom de chair, l'Ecriture désigne
souvent l'homme tout entier, comme par exemple dans ce passage : « Toute chair verra le
salut de Dieu (2) » ; et en effet, la chair sans l'âme peut-elle voir quelque chose?
D'ailleurs, beaucoup de passages des Ecritures prouvent clairement que l'humanité du
Sauveur était composée, non-seulement d'un corps, mais
encore d'une âme humaine ou raisonnable. Il suit de-là que les partisans de la
transmission des âmes par voie de génération peuvent fort bien admettre que la partie
est prise pour le tout dans ces autres paroles : « Voici l'os de mes os et la chair de ma
chair », et conclure que l'âme y est aussi clairement désignée qu'elle l'est dans le
Verbe quand on dit qu'il s'est fait chair. Toutefois, cette conclusion ne serait
rigoureuse qu'autant que d'autres témoignages clairs et explicites prouveraient la
transmission des âmes, comme un grand nombre de témoignages prouvent l'existence de
l'âme en Jésus-Christ. Par la même raison, nous invitons les ennemis déclarés de la
transmission des âmes à prouver par des documents authentiques que Dieu continue
650
créer de nouvelles âmes par un souffle nouveau. Alors seulement ils
auront le droit d'affirmer que ces paroles : « Voici l'os de mes os et la chair de ma
chair », ne doivent pas être prises dans un sens figuré et désignant le tout par
la partie; mais dans le sens purement littéral, et s'appliquant uniquement à la chair.
32. Après avoir établi ces conclusions
dans toute leur évidence, il ne me reste plus qu'à terminer ce livre. En effet, j'y ai
rassemblé toutes les réflexions qui me paraissaient nécessaires; maintenant je désire
que ceux qui les liront restent convaincus que ce serait de leur part une grossière
erreur de croire, avec l'auteur des deux livres que vous m'avez adressés, que les âmes
sont immédiatement tirées du souffle de Dieu et non pas du néant. En effet, du moment
qu'un tel principe serait admis, aucune protestation ne pourrait empêcher de conclure
rigoureusement que les âmes sont de la même substance que Dieu et participent
essentiellement à sa nature. Un être n'est-il pas nécessairement de la nature de celui,
en qui il a pris son origine? Comment donc notre adversaire peut-il se mettre en
contradiction avec lui-même jusqu'à soutenir que ce n'est pas par nature, mais par race,
que nos âmes sont de la race de Dieu ? N'affirme-t-il point que c'est de lui qu'elles
tirent leur origine, et non pas du néant? Par conséquent, malgré toutes ses
dénégations, il doit faire découler leur nature de la nature même de Dieu.
33. Nous ne défendons nullement de
soutenir que les âmes nouvelles sont créées par un nouveau souffle de Dieu et ne sont
nullement transmises par voie de génération. Mais nous demandons que ceux qui
soutiennent cette doctrine nous présentent des preuves formelles et authentiques capables
de résoudre cette importante question, soit qu'ils empruntent ces preuves aux livres
canoniques, soit à leurs propres raisonnements, toujours conformes à la vérité
catholique. Mais nous ne voulons pas de preuves comme celles qui nous sont présentées
par notre adversaire; nous ne voulons pas croire à un homme qui; ne sachant plus que
dire, s'obstinant dans son parti pris, illusionné sur la mesure de ses forces et refusant
de se taire, ose soutenir que « l'âme a mérité d'être souillée par la chair et
de devenir une âme pécheresse ».
Demandez-lui comment l'âme a pu mériter en bien ou en mal avant d'être unie à la
chair, il reste impuissant à répondre. Il ajoute que « pour les enfants qui
meurent sans baptême le péché originel peut. être effacé, et que l'on peut offrir en
leur faveur le sacrifice du corps de Jésus-Christ », quoiqu'ils ne soient aucunement
incorporés à Jésus-Christ par ses sacrements et dans son Eglise. Enfin il ne craint pas
de dire que « les enfants qui meurent sans baptême peuvent non-seulement
jouir du repos éternel, mais même parvenir au royaume des cieux ». Joignez à cela
les absurdités sans nombre que je n'ai pu signaler dans ce livre sans m'exposer à des
longueurs accablantes. Non, ce ne sont pas de tels adversaires qui réfuteront les
partisans de la transmission des âmes; et si l'insufflation des âmes nouvelles n'avait
que de semblables défenseurs, sa cause serait fortement compromise.
34. Quoi qu'il en soit, ceux qui
soutiennent ce système de l'insufflation des âmes doivent se mettre en garde contre
l'une ou l'autre des quatre erreurs que j'ai précédemment énumérées. Qu'ils ne disent
pas que Dieu constitue ces âmes pécheresses par le crime originel d'autrui; qu'ils ne
disent pas que les enfants qui meurent sans baptême peuvent parvenir à la vie éternelle
et au royaume des cieux, car, par un moyen ou par un autre, leur péché originel serait
effacé; qu'ils ne disent pas qu'avant d'être unies à la chair les âmes ont péché
dans un lieu quelconque, et que c'est en conséquence de cette faute qu'elles ont été
enchaînées dans une chair pécheresse; enfin qu'ils ne disent pas que des péchés que
ces âmes n'ont réellement pas commis, mais dont la perpétration était prévue dans la
prescience infinie, ont été punis, puisque c'est en conséquence de ces péchés prévus
que ces âmes n'ont pas obtenu de parvenir à la vie dans laquelle ces péchés auraient
par elles été commis. Que les hommes dont je parle se tiennent à égale distance de
chacune de ces quatre erreurs dont l'audace et l'impiété nous révoltent. Cela fait,
qu'ils trouvent dans les Ecritures des témoignages formels et explicites en faveur de la
thèse qu'ils soutiennent, non -seulement je ne m'y opposerai pas, mais je les soutiendrai
de mes voeux et bénirai leurs efforts. Mais s'ils ne trouvent aucun de ces témoignages
clairs et (651) authentiques; et si, poussés par le défaut de preuves, ils en viennent a
affirmer l'une ou l'autre de ces erreurs, qu'ils prennent garde de tomber dans le gouffre
qui les menace et de soutenir que les âmes des enfants ne sont pas coupables du péché
originel; car ce serait de leur part se précipiter dans l'hérésie pélagienne,
hérésie condamnable et tout récemment condamnée. N'est-il pas plus sage d'avouer que
l'on ignore ce que l'on ne sait pas, que de tomber dans une hérésie déjà condamnée ou
d'en fomenter une nouvelle, en voulant soutenir témérairement ce que l'on ignore? En
outre de ces erreurs fondamentales, notre adversaire a émis certaines autres opinions
moins dangereuses, il est vrai, et qui s'éloignent plus ou moins du sentier de la
vérité. Comme ces opinions sont très-nombreuses, je me
propose, avec la grâce de Dieu, de les lui signaler à lui-même et de lui écrire
directement à ce sujet.
35. En commençant par vous écrire à
vous-même, j'ai voulu vous donner un témoignage de la vive gratitude que m'inspirent
votre foi vive et la sollicitude dont vous entourez ma fidélité et mon amitié pour
vous. Quant au livre lui-même, vous le donnerez à lire ou à copier comme et quand il
vous plaira. J'ai cru devoir réprimer et corriger la présomption de ce jeune homme, mais
en lui prouvant un amour véritable; j'ai voulu le corriger et non le condamner; mon seul
désir, c'est qu'il progresse de plus en plus dans cette grande demeure qui est l'Eglise
catholique, dans le sein de laquelle il a été conduit par la divine miséricorde; qu'il
y devienne un vase d'honneur utile au Seigneur, toujours prêt à toute oeuvre bonne, à
une vie sainte, à une doctrine irrépréhensible. Mais si je l'aime, comme je dois
l'aimer, quelle affection doit m'unir à vous, bien-aimé frère, dont je connais la
bienveillance à mon égard et la foi catholique aussi prudente que sûre ! Il ne
fallait rien moins que ces précieuses qualités pour vous déterminer à faire transcrire
et à m'envoyer ces livres qui révoltaient votre foi, et dans lesquels vous regrettiez de
trouver mon nom couvert d'accusations et d'outrages qui révoltaient votre affection
fraternelle et sincère. Bien loin de m'irriter contre cette preuve éclatante de votre
charité, je me croirais en droit de m'irriter au nom de l'amitié, s'il vous avait plu
d'agir autrement. Recevez donc le témoignage de ma vive reconnaissance. Pour vous prouver
le plaisir que m'a causé votre conduite à mon égard, je n'ai pu résister au besoin de
vous adresser ce livre aussitôt que j'eus pris connaissance de ceux que vous m'avez
envoyés.
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