LIVRE TROISIÈME. LES ONZE ERREURS DE VINCENT VICTOR.
Augustin signale à Vincent Victor ce qu'il doit corriger dans ses
livres, s'il veut être catholique, et réduit à onze chefs principaux les erreurs déjà
réfutées dans les livres précédents adressés à René et à Pierre.
1. Très-cher
fils Victor, je veux que, en recevant cet écrit, vous soyez sincèrement persuadé que si
je vous méprisais, jamais je n'aurais usé d'un tel procédé à votre égard. Toutefois,
si je fais preuve d'humilité, gardez-vous d'en conclure que vous soyez approuvé parce
que vous n'êtes pas méprisé. Je vous aime non pas pour vous suivre, mais pour vous
corriger; et comme je ne désespère pas de pouvoir vous corriger, ne vous étonnez pas
que je ne puisse mépriser celui que j'aime. Avant que vous fussiez en communion avec
nous, j'ai dû vous aimer pour hâter votre retour au catholicisme; maintenant que vous
êtes des nôtres, combien plus dois-je vous aimer pour vous empêcher de devenir un
nouvel hérétique, et pour vous rendre un catholique tellement généreux qu'aucun
hérétique ne puisse vous résister ! A en juger par les belles qualités que Dieu
vous a départies, vous serez réellement sage, si vous croyez sincèrement ne pas
l'être, si vous demandez avec instance et piété la sagesse à celui qui fait les sages;
et. si, enfin, vous aimez mieux ne pas être trompé par l'erreur que d'être comblé
d'éloges par ceux qui ont perdu la vérité.
2. Tout d'abord votre nom apposé sur vos
livres a ému ma sollicitude à votre égard. A ceux qui pouvaient vous connaître, quand
j'étais assez heureux pour en rencontrer, je m'empressais de demander quel était ce
Vincent Victor. J'ai appris que vous aviez été donatiste, ou plutôt rogatiste, et que depuis peu vous étiez entré dans l'Eglise
catholique. Outre la joie que nous éprouvons toujours quand une victime de l'erreur ouvre
les yeux à la vérité, mon bonheur grandissait encore en voyant que vos talents dont je
savourais les preuves dans vos écrits n'étaient point restés au service des partisans
de l'erreur. Cependant, parmi les renseignements que j'ai recueillis, ma joie s'est
quelque peu attristée en apprenant que vous avez pris le surnom de Vincent, parce que
vous tenez à grande estime le successeur de Rogatus qui porte
ce nom. N'a-t-on pas dit également que vous vous étiez flatté d'avoir joui de son
apparition je ne sais dans quelle vision, qu'il vous aurait été d'un puissant secours
pour la composition des livres sur lesquels je viens discuter avec vous, et qu'il vous
dictait lui-même les idées et les preuves que vous avez formulées? Si ce fait est vrai,
je ne m'étonne plus que vous ayez pu écrire dans ce sens; mais si vous voulez prêter
quelque attention à ma réponse et étudier mes livres au point de vue catholique, je ne
doute pas que vous ne regrettiez promptement cette parole imprudente. En effet, celui qui
« se transfigure en ange de lumière (1) », comme parle l'Apôtre, n'est-ce
pas lui, c'est-à-dire le démon, qui s'est transfiguré devant vous en celui que vous
regardez comme ayant été, ou étant encore un ange de lumière? Ne sait-il pas que, pour
mieux tromper les catholiques, ce n'est pas sous la forme d'hérétiques qu'il doit se
transfigurer, mais en ange de lumière? Et cependant même alors, je ne voudrais pas qu'il
trompât en vous un catholique. Qu'il souffre de vous voir en possession de la vérité,
qu'il souffre en proportion de la joie qu'il aurait éprouvée en vous persuadant
l'erreur. Pour échapper à la tentation d'aimer un homme mort dont l'affection ne peut
que vous nuire sans lui être d'aucun secours, veuillez remarquer que
, en secouant les chaînes des hérétiques donatistes ou rogatistes,
vous avez affirmé qu'il n'est ni saint ni juste; si vous croyiez à sa justice et à sa
sainteté, vous n'auriez fait qu'assurer votre perte en entrant dans la communion
catholique. En effet , votre catholicisme n'est qu'une feinte
si vous partagez aujourd'hui les opinions de celui que vous aimez. Or, vous connaissez
cette terrible parole : «L'Esprit-Saint a en horreur la feinte et le mensonge dans la
doctrine (2) ». Mais si votre union au catholicisme n'est pas une feinte
, pourquoi
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donc aimer un hérétique après sa mort,
jusqu'au point de vouloir vous enorgueillir de porter le nom de celui dont vous ne
partagez pas les erreurs ? Nous ne voulons pas que vous portiez ce surnom qui ferait de
vous comme une sorte de monument en l'honneur d'un hérétique décédé.
Nous ne voulons pas que votre livre ait pour titre un nom dont nous proclamerions la
fausseté si nous le lisions sur son tombeau. Ne savons-nous pas que ce Vincent n'a pas
été vainqueur mais vaincu? et plût à Dieu que sa défaite
lui eût été aussi avantageuse que la vôtre l'a été pour vous, grâce à la puissance
de la vérité. En signant du nom de Vincent Victor les livres que vous croyez n'avoir
écrits que sons son inspiration, vous jouez la ruse et la fourberie, puisque le Vincent
que vous couronnez du titre de Victor ou vainqueur, ce n'est pas vous, mais celui qui
aurait vaincu l'erreur en vous révélant ce que vous deviez écrire. O mon fils, pourquoi
cette iniquité? Soyez sincèrement catholique et renoncez- à toute dissimulation, dans
la crainte que l'Esprit-Saint ne vous abandonne, quand d'ailleurs vous n'avez aucun
secours à attendre de ce Vincent dont le malin esprit a revêtu la forme pour mieux vous
tromper et vous séduire. En effet, n'est-il pas l'auteur de ces doctrines que vous
n'émettez qu'en acceptant aveuglément sa parole? Si donc, justement docile aux
avertissements qui vous sont prodigués, vous rétractez ces opinions avec une pieuse
humilité et un entier dévouement à la paix catholique, nous n'y verrons plus que les
erreurs d'un jeune homme aussi ardent que studieux, et préférant corriger ses illusions
plutôt que de les entretenir témérairement. Si, ce qu'à Dieu ne plaise, il avait
soufflé dans votre esprit l'obstination de la chicane, il ne resterait plus a la
vigilance pastorale et médicinale qu'à condamner ces dogmes hérétiques et leur auteur,
avant de leur permettre de porter le ravage et la désolation dans l'âme et l'esprit du
peuple; et c'est ce qui arriverait infailliblement si la salutaire rigueur de la
discipline le cédait à une funeste complaisance qui n'a de l'amitié que le nom.
3. Si vous voulez savoir quelles sont ces
erreurs, je les ai signalées dans mes écrits à nos frères, le moine René, et le
prêtre Pierre, pour, qui vous avez composé l'ouvrage qui nous occupe en ce moment et
qu'il vous avait demandé, dites-vous, avec les plus vives instances. Si vous le désirez,
mes amis vous communiqueront mes livres, et vous les offriront même sans que vous les
demandiez, Toutefois je ne puis taire ici ce qui me parait répréhensible dans vos
écrits et dans votre foi. Et d'abord je vous reproche de soutenir que « Dieu a
créé l'âme non pas du néant mais de lui-même (1) ». La conséquence toute naturelle
serait que l'âme est de la même nature que Dieu; mais vous la repoussez parce qu'elle
vous parait à vous-même d'une impiété trop manifeste. Pour y échapper vous n'avez
qu'un seul moyen, c'est de dire que l'âme a été créée, non pas de Dieu, mais par
Dieu. En effet, ce qui est de Dieu est de la même nature que lui, tel est le Fils unique
du Père. Pour que l'âme ne soit pas de la même nature que Dieu, il faut donc qu'elle
ait été créée par lui et non pas de lui. Maintenant, dites-nous de quoi elle a été
tirée, ou avouez que c'est du néant. Qu'entendez-vous donc quand vous dites que l'âme
est une particule du souffle de la nature de Dieu? Ce souffle de la nature de Dieu, dont
l'âme est une petite parcelle, nierez-vous qu'il soit de la même nature que Dieu? Si
vous le niez, vous vous jetez par là même dans la nécessité de conclure que c'est du
néant lui-même que Dieu a tiré ce souffle dont l'âme est formée. Si ce n'est pas du
néant, dites-nous de quoi Dieu l'a tirée. S'il l'a tirée de lui-même, il est donc la
matière de son propre ouvrage, ce qui est une absurdité. «Mais», dites-vous,
« en tirant de lui-même ce souffle, Dieu demeure dans toute son intégrité »;
est-ce donc que le feu d'une lampe perd quelque chose de son intégrité, quand il sert à
allumer une autre lampe d'une nature absolument semblable?
4. «En soufflant dans une outre »,
dites-vous, « nous y faisons entrer un vent qui n'est nullement une portion de notre
nature ou de notre substance, et que nous exhalons sans que nous ayons à en subir aucune
diminution ». C'est à l'aide de cette comparaison, sur laquelle vous insistez
complaisamment, que vous prétendez nous faire comprendre comment, sans aucun détriment
pour sa nature, Dieu peut tirer notre âme de lui-même, et comment cette âme est
distincte de Dieu quoique venant de lui. Vous jetez aussitôt ce cri de triomphe :
«Est-ce que le
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vent qui gonfle l'outre est une portion de
notre âme? créons-nous des hommes quand a nous gonflons des
outres? ou bien subissons-nous une déperdition de nous-mêmes,
a lorsque nous jetons de tous côtés notre a souffle? Non, nous ne perdons rien de
«nous-mêmes lorsque nous exhalons ce souffle; après en avoir émis suffisamment pour
gonfler une outre, nous sentons parfaitement qu'il reste en nous avec toutes ses qualités
et dans toute son intégrité ». Cette comparaison parait vous sourire par son
élégance et par son application, mais voyez comme elle est fausse. Vous soutenez que
Dieu, essentiellement incorporel, souffle au dehors une âme corporelle, qu'il tire, non
pas du néant, mais de lui-même; vous avouez que le souffle que nous exhalons, quoique
corporel, est beaucoup plus subtil que notre corps, et que nous le tirons, non pas de
notre âme, mais de l'air extérieur par le moyen des poumons. Or, ces poumons, comme du
reste tous les membres de notre corps, par qui sont-ils mis en mouvement, si ce n'est par
notre âme qui s'en sert comme d'un soufflet pour aspirer et expirer l'air ambiant? En
effet, avec les aliments solides et liquides qui constituent la nourriture et le breuvage,
Dieu nous a donné un troisième principe d'alimentation, l'air ambiant qui peut suppléer
pendant quelque temps à la nourriture et au breuvage, mais sans lequel nous ne pourrions
vivre un seul instant, car la vie cesse en nous dès que cesse l'inspiration de l'air et
la respiration. Or, de même que les aliments solides et liquides trouvent dans le corps
humain des ouvertures spéciales pour entrer et pour sortir, sans quoi ils pourraient
nuire également ; de même, comme cet air que nous respirons ne saurait séjourner en
nous indéfiniment, sous peine de se corrompre, Dieu lui a ménagé, pour entrer et pour
sortir aussitôt, des voies toujours ouvertes servant tout à la fois à la respiration et
à l'expiration; ces voies sont la bouche ou les narines, ou toutes les deux à la fois.
5. Faites vous-même l'épreuve de ce que
je vous dis. Expirez l'air en soufflant, et voyez combien de temps vous pourriez vivre si
l'air que vous perdez n'était point remplacé. Ou bien aspirez l'air par la respiration,
et voyez quelles souffrances vous subiriez si vous ne pouviez le rejeter par l'expiration.
Or, quand nous gonflons une outre, nous ne faisons qu'obéir aux lois de la vie en nous;
sauf peut-être que nous aspirons l'air en plus grande quantité, afin que nous puissions
en expirer davantage et abréger la durée des efforts plus ou moins pénibles que nous
sommes obligés de faire pour remplir toute la capacité de l'outre. Comment donc
pouvez-vous dire : «Nous ne subissons aucune diminution quand nous exhalons notre
souffle; après en avoir émis suffisamment pour gonfler une outre, nous sentons
parfaitement que ce souffle reste en nous avec toutes ses qualités, et dans toute son
intégrité? » On voit, mon fils, que vous ne vous êtes pas rendu compte de ce qu'il
vous fallait faire en gonflant une outre. Vous ne sentez donc pas que vous recevez
aussitôt ce que vous perdez par l'insufflation? Il vous est très-facile
d'en faire l'expérience, et je vous invite à tenter le gonflement d'une outre, plutôt
que de gonfler votre langage et de séduire par des paroles aussi vaines que sonores, des
auditeurs à qui vous devez offrir un enseignement substantiel et vrai. En pareille
matière je ne vous renvoie à aucun autre maître qu'à vous-même. Lancez dans une outre
votre souffle aussi abondant que possible, et aussitôt fermez votre bouche et comprimez
vos narines, et alors vous constaterez la vérité de mes paroles. Bientôt vous
éprouverez des angoisses intolérables; mais pourquoi ce besoin d'ouvrir la bouche et les
narines, si en soufflant vous n'avez rien perdu ? Voyez quelle torture vous subissez, si
vous ne remplacez aussitôt par l'aspiration l'air que vous avez expiré. Voyez quel
détriment vous causerait cette insufflation, si la respiration ne venait pas y apporter
remède. Si ce que vous dépensez pour gonfler l'outre ne vous était pas rendu, vous
serait-il possible , non-seulement
de continuer l'insufflation, mais même de conserver votre vie ?
6. Telles sont les réflexions que vous
auriez dû faire en écrivant, et jamais la pensée ne vous serait venue de vous servir
d'une telle comparaison pour nous prouver que Dieu tire les âmes d'une autre substance
déjà existante, comme nous tirons notre souffle de l'air qui nous environne. Vous auriez
compris enfin que cette comparaison ne prouve rien, et qu'il est d'une impiété évidente
de soutenir que Dieu, quoique sans (668) subir aucune perte dans sa nature, tire de cette
même nature quelque chose de muable, ou, ce qui est pire encore, qu'il est la matière de
son propre ouvrage. Si donc nous voulions chercher quelque trait de ressemblance entre
notre souffle et celui de Dieu, voici comment nous pourrions raisonner : Ce n'est point de
notre nature que nous tirons notre souffle ; mais, n'étant point tout-puissants, avec
l'air ambiant que nous aspirons et respirons nous formons un souffle qui n'est ni vivant
ni sensible, bien que nous soyons sensibles et vivants. De même ce n'est point de sa
nature que Dieu tire ce souffle qui constitue notre âme ; mais parce qu'il est
tout-puissant et qu'il peut créer ce qu'il veut, il peut dès lors tirer du néant ou
faire de rien un souffle vivant et animé qui restera essentiellement muable, quoique Dieu
soit lui-même immuable.
7. Comment donc pouvez-vous appuyer votre
comparaison de l'exemple d'Elisée qui a ressuscité un mort en soufflant sur son visage
(1)? Supposez-vous que le souffle d'Elisée est devenu l'âme même de l'enfant? Je n'ose
supposer une telle aberration de votre part. Cet enfant avait été frappé de mort quand
son âme lui fut ravie; il ressuscita ensuite parce que cette même âme lui fut rendue.
Et vous nous dites qu'Elisée ne subit aucune diminution dans sa nature n, comme si jamais
on avait pu supposer que, pour faire revivre cet enfant, le Prophète lui eût insufflé
une partie de sa substance ? Que si vous n'avez d'autre but que de nous dire qu'Elisée a
soufflé sans porter aucune atteinte à son intégrité, pourquoi, dans cet acte du
Prophète ressuscitant un mort, nous faire remarquer ce qui se fait toujours, même quand
il ne s'agit pas de ressusciter un mort? Puisque vous n'admettez pas que le souffle
d'Elisée ait pu devenir l'âme de l'enfant, et en cela vous avez raison, je m'étonne que
vous ayez poussé l'imprudence jusqu'à soutenir qu'entre l'acte primitif de Dieu et celui
d'Elisée il y a cette différence que Dieu n'a soufflé qu'une fois, tandis que
le.Prophète a soufflé trois fois. Voici vos propres paroles : «Elisée souffla sur le
visage du fils de la Sunamite, comme Dieu avait primitivement
soufflé sur le premier homme. Par la puissance divine dont ce souffle n'était que
l'instrument, les membres
morts reprirent leur première vigueur;
mais Elisée ne subit aucune diminution dans sa nature., quoique ce soit par son souffle
que l'âme et l'esprit reprirent possession de ce cadavre; la seule différence que
j'observe, c'est que Dieu ne souffla qu'une seule fois sur le visage du premier homme qui
vécut aussitôt, tandis qu'Elisée souffla par trois fois sur le visage du mort, et alors
seulement celui-ci recouvra la vies. Si l'on prend vos paroles à la lettre, on conclura
que la seule différence entre l'acte de Dieu et celui du Prophète réside uniquement
dans le nombre de fois que le souffle fut émis. Et c'est là encore une erreur que vous
devez corriger. En effet, ce qui distingue l'oeuvre de Dieu du miracle opéré par
Elisée, c'est que Dieu a soufflé le souffle de vie par lequel l'homme est devenu une
âme vivante, tandis que le souffle d'Elisée n'était ni animé, ni vivant, et simplement
une figure. Il est vrai que cet enfant a recouvré la vie, mais ce n'est point le
Prophète qui la lui a rendue directement et par sa propre puissance, Dieu seul a été
l'auteur de cette résurrection, quoique pour l'accorder il se soit laissé toucher par
l'amour et les supplications de son Prophète, Quant à ce triple souffle que vous prêtez
à Elisée, ou vos souvenirs vous trompent, ou vous avez été trompé par un texte
altéré. Pourquoi insister davantage? Pour corroborer votre thèse, ne cherchez ni
exemples, ni arguments ; bien plutôt changez de doctrine et d'opinion. Gardez-vous donc
de croire, de dire et d'enseigner que ce n'est pas du néant mais de sa propre nature que
Dieu a tiré l'âme humaine » ; à ce prix seulement vous serez catholique.
8. Gardez-vous de croire, de dire et
d'enseigner « que toujours et sans fin Dieu donne les âmes à ceux qui naissent;
que Dieu les donne toujours, comme existe toujours celui qui les donne (1) » ; à
cette condition seulement vous serez catholique. En effet, il viendra un temps où Dieu
cessera de créer des âmes, sans cependant qu'il cesse d'exister. A la rigueur ces mots :
«Dieu donne toujours », pourraient s'interpréter en ce sens que Dieu ne cessera pas de
créer des âmes tant qu'aura lieu la génération des corps. Telle est, en effet,
l'interprétation que l'on donne à ces.paroles de l'Apôtre : «Ils apprennent toujours
et n'arrivent
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jamais à la connaissance de la
vérité». Il est évident que ce mot « toujours » ne signifie pas qu'ils ne
cessent jamais d'apprendre, car ils n'apprennent plus lorsqu'ils ont cessé de vivre, ou
lorsqu'ils commencent à goûter les horreurs du supplice éternel. Mais une telle
interprétation, qui aurait pu vous excuser, voici que vous la rendez impossible,
puisqu'en disant de Dieu « qu'il donne toujours » , vous
spécifiez vous-même qu'il donne pendant un temps indéfini. Vous allez plus loin encore,
et comme pour mieux préciser à vos yeux la durée de ce temps indéfini, vous allez
jusqu'à dire : «Dieu donne toujours les âmes, comme existe toujours celui qui les donne
». Une telle erreur est formellement réprouvée par la foi catholique. Loin de nous, en
effet, de croire que Dieu donne toujours des âmes , comme
existe toujours celui qui les donne. Dieu existe toujours en ce sens qu'il ne cessera
jamais d'exister; quant aux âmes, il n'en créera pas toujours; lorsque finira le siècle
présent, le genre humain cessera de se multiplier, et rien dès lors ne motivera la
création de nouvelles âmes.
9. Si vous voulez être catholique,
gardez-vous de croire, de dire et d'enseigner que « l'âme a perdu quelque chose de
ses mérites par la chair, comme si elle eût possédé des mérites avant d'être unie à
la chair (1) ». L'Apôtre ne dit-il pas qu'on ne peut
attribuer de mérite, ni en bien ni en mal à ceux qui ne sont pas encore nés (2) ? Avant
d'être unie à la chair, comment donc l'âme aurait-elle pu acquérir des mérites,
puisque jusque-là elle n'avait fait aucun bien ? Oserez-vous donc soutenir qu'avant de
venir dans la chair cette âme avait bien vécu, puisque vous ne pouvez montrer qu'elle
ait même existé ? Comment donc pouvez-vous vous écrier : «Vous ne voulez pas qu'une
âme reçoive la santé d'une chair de péché ; mais ne voyez-vous a pas que c'est par la
chair que cette âme reçoit à son tour la sanctification, de telle sorte qu'elle se
trouve réintégrée par ce qui a été l'instrument de sa déchéance? » Soutenir
qu'avant d'être unie à la chair l'âme a joui de l'existence et y a acquis des mérites,
c'est là, si vous l'ignorez, une doctrine que l'Eglise a formellement condamnée dans les
anciens hérétiques, et tout récemment encore dans les Priscillianistes.
10. Si vous voulez être catholique,
gardez-vous de croire, de dire et d'enseigner que a c'est par la chair que l'âme renaît
et recouvre sa première habitude, comme c'est « par la chair qu'elle avait mérité
d'être souillée (1) ». Je ne relève pas ces autres paroles : «il est donc tout
naturel que ce soit par la chair que l'âme recouvre sa première habitude qu'elle
semblait avoir perdue peu a à peu par la chair, en sorte que ce soit par la chair qu'elle
commence à renaître, comme c'est par elle qu'elle avait mérité d'être souillée». Je
m'étonne que vous ayez pu vous contredire aussi formellement et dans des propositions qui
se suivent. En effet, vous avez dit un peu plus haut qu'après avoir perdu son mérite
antérieur par la chair l'âme recouvre aussi son état primitif par la chair à
l'occasion du baptême; maintenant, parlant toujours de cette âme, vous soutenez qu'elle
a mérité d'être souillée par la chair ; mériter le mal n'est-ce point s'en rendre
digne par une faute antérieure? d'où il suit que cet état
primitif de l'âme vous en faites successivement un état d'innocence et un état de
péché. Mais sans insister sur une telle contradiction de votre part, il me suffit de
déclarer que la doctrine catholique réprouve formellement la croyance à un état
antérieur de l'âme, bon ou mauvais.
11. Si vous voulez être catholique,
gardez-vous de croire, de dire ou d'enseigner « qu'avant tout péché de sa part
l'âme a mérité de devenir pécheresse (1) ». En effet, le plus grand mal qu'elle
puisse mériter, n'est-ce pas de devenir pécheresse ? Or, un tel mérite n'a pu être
acquis avant tout péché, et surtout avant l'union de l'âme avec le corps, puisque dans
cet état l'âme n'a pu mériter ni le bien ni le mal. Comment donc osez-vous dire : «Si
l'âme qui n'a pu être pécheresse avant la chair, a mérité de devenir pécheresse par
la chair; d'un autre côté, elle n'est point demeurée dans le péché, parce que,préfigurée en Jésus-Christ elle n'a dû ni pu rester dans le
péché ? » Pesez attentivement la portée de votre langage, et n'hésitez point à le
réprouver. Comment comprenez-vous que l'âme ait mérité d'être pécheresse et qu'elle
n'ait pu l'être? Comment une âme qui n'a commis aucun péché a-t-elle mérité d'être
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pécheresse ? Comment est-elle devenue
pécheresse, si elle ne pouvait l'être ? Elle ne pouvait l'être que par la chair, me
répondrez-vous ; bien, mais alors n'est-ce pas mériter de devenir pécheresse que de
mériter d'être unie à la chair ? Si donc, avant d'être unie à la chair l'âme n'a pu
être pécheresse, comment a-t-elle mérité d'être punie ?
12. Si vous voulez être catholique,
gardez-vous de croire, de dire ou d'enseigner que « les enfants morts sans baptême
peuvent obtenir la rémission du péché originel (1) ». Quant aux exemples que vous
apportez en preuve, qu'il s'agisse du bon larron qui a confessé la divinité du Sauveur
sur la croix (2), ou de Dinocrate, frère de sainte Perpétue,
ces exemples vous trompent et ne peuvent rien en faveur de votre doctrine erronée. Et
d'abord vous ne savez pas si le baptême n'a pas été conféré au larron, que Dieu a pu
mettre au nombre de ceux qui sont purifiés par la confession du martyre. Une pieuse
croyance ne dit-elle pas que l'eau qui jaillit avec le sang du côté du Sauveur a pu
toucher le bon larron suspendu à côté de Jésus-Christ, et devenir pour lui la matière
du baptême le plus saint? Mais je passe sous silence cette tradition, et je demande si
quelquefois il n'aurait pas été baptisé dans la prison, comme cela s'est fait plusieurs
fois dans les temps de persécution ? Et s'il avait été baptisé avant même d'être
jeté dans les fers ? Après avoir reçu de Dieu le pardon de ses péchés, il n'en
restait pas moins soumis à la rigueur des lois civiles quant à la mort corporelle.
Enfin, qui pourrait dire qu'il n'était pas déjà baptisé quand il s'est précipité
dans le crime, et qu'alors il n'était plus qu'un simple pénitent sur la croix, implorant
le pardon d'une faute commise après le baptême ? N'est-ce point cette dernière
hypothèse qui nous explique le mieux la piété que le Sauveur a vue dans son coeur et
que nous découvrons dans ses paroles ? Soutenir que tous ceux dont le baptême ne nous
est pas mentionné dans les Ecritures, sont réellement morts sans baptême, ce serait
calomnier les Apôtres, puisque nulle part il n'est fait mention de leur baptême, à
l'exception de celui de saint Paul (3). Mais si, pour être convaincus qu'ils furent
baptisés, nous n'avons besoin que de ces
paroles adressées à Pierre par le Sauveur: «A celui qui est pur, il suffit de laver ses
pieds (1) », que dirons-nous de Barnabé, de Timothée, de Tite, de Silas, de Philémon, des évangélistes saint Marc et saint Luc, et
d'une multitude d'autres, dont le baptême ne nous est révélé par aucune parole?
Malgré ce silence, hésiterions-nous à croire qu'ils ont été baptisés? Quant à Dinocrate, il avait atteint sa septième année, et les enfants que
l'on baptise à cet âge récitent eux-mêmes le symbole et répondent en leur propre nom.
Pourquoi donc n'admettriez-vous pas que, après avoir reçu le baptême, cet enfant,
gagné par l'impiété de son père, était retourné aux sacrilèges du paganisme et
avait ainsi mérité de subir je ne sais quels châtiments dont il fut délivré par les
prières de sa soeur? D'ailleurs, vous n'avez lu nulle part que jamais il n'eût été
chrétien ou qu'il fût mort catéchumène. Et puis, l'eussiez-vous lu quelque part, ce ne
serait assurément pas dans ce canon des Ecritures, dont les témoignages sont seuls
acceptables dans des questions de cette importance.
13. Si vous voulez être catholique,
gardez-vous de croire, de dire on d'enseigner que « ceux qui ont été prédestinés
parle Seigneur au baptême, peuvent être soustraits à cette prédestination et mourir
avant que le Tout-Puissant ait accompli en eux ses desseins
(1)». En effet, j'ignore quelle puissance pourrait s'opposer à la puissance divine, et
l'empêcher dans telles ou telles circonstances de réaliser ce qu'elle avait prévu.
Inutile de sonder le gouffre d'impiété qu'une telle erreur porte dans ses flancs ; qu'il
me suffise d'une courte observation, car je crois m'adresser à un homme prudent et tout
disposé à se corriger. Voici vos propres paroles : «J'invoque l'exemple de ces enfants
qui, prédestinés au baptême, sont arrachés à la vie présente avant d'avoir été
régénérés en Jésus-Christ » . Voici donc des enfants
réellement prédestinés au baptême et arrachés à la vie avant d'avoir pu le recevoir;
et Dieu les aurait réellement prédestinés à un sacrement qu'il savait devoir leur
être refusé, ou dont il ne savait pas qu'ils seraient privés? Ici point de milieu
possible : ou bien cette prédestination devait être déçue, ou bien sa prescience
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devait être trompée ! Vous
comprenez à quels développements je pourrais me livrer ici, si je ne tenais à rester
fidèle à ma promesse et à ne vous adresser qu'une courte observation.
14. Si vous voulez être catholique,
gardez-vous de croire, de dire ou d'enseigner que ce soit aux enfants qui meurent avant
d'avoir été régénérés en Jésus-Christ (1), que s'appliquent ces paroles : Il a
été ravi de crainte que la malice ne changeât son intelligence, ou que l'erreur ne
trompât son âme. Voilà pourquoi Dieu s'est empressé de le soustraire à ce milieu
d'iniquité; car son âme était agréable au Seigneur, et quoique ayant consommé sa
course en quelques jours, il a couru une longue carrière (2) ». Ces paroles ne
s'appliquent nullement aux enfants morts sans baptême, mais uniquement à ceux qui,
après avoir été baptisés, mènent une vie sainte et pieuse et voient la trame de leurs
jours prématurément coupée , après avoir mûri non point par l'âge, mais par la
grâce et la sagesse. Supposer que ce texte s'applique aux enfants qui meurent sans
baptême, c'est une erreur qui fait au saint baptême le plus violent outrage, si l'on
admet que tel enfant qui aurait pu être baptisé avant de mourir, est frappé de mort
avant le baptême, de crainte que la malice ne change son intelligence, ou que l'erreur ne
trompe son âme. Ne serait-on pas porté à croire que c'est dans le baptême lui-même
qu'il aurait pu trouver cette malice et cette erreur qui auraient pu produire en lui de si
tristes ravages s'il n'y avait pas été soustrait par une mort prématurée? De plus,
comme le Seigneur se complaisait dans l'âme de cet enfant, il s'est empressé de le
soustraire à ce milieu d'iniquité, sans se donner le temps d'accomplir dans sa personne
le bienfait auquel il l'avait prédestiné. Le Seigneur préféra donc déjouer les
secrets de la prédestination, plutôt que de s'exposer à voir périr dans le baptême ce
qui lui plaisait dans cet enfant non baptisé. Si je ne me trompe, c'est dire clairement
que cet enfant aurait trouvé sa perte dans ce bain salutaire où l'on doit s'empresser de
le plonger de crainte qu'il ne périsse. Pour peu que l'on comprenne le sens de ces
paroles de la Sagesse, pourrait-on croire, dire ou écrire qu'elles s'appliquent aux
enfants morts sans baptême ?
15. Si vous voulez être catholique,
gardez-vous de croire , de dire ou d'enseigner « qu'en
dehors du royaume de Dieu, il existe certaines demeures que le Seigneur place dans la
maison de son Père (1) ». Le Sauveur n'a pas dit : «Il y a plusieurs demeures chez mon
Père » ; et, se fût-il exprimé en ces termes, ces demeures ne se trouveraient encore
que dans la maison du Père céleste. Mais le texte de l'Evangile est formel : «Il y a
plusieurs demeures dans la maison de mon Père (2) ». Qui donc oserait séparer du
royaume de Dieu certaines parties de la maison de Dieu ? Les
rois de la terre règnent, non-seulement dans leurs palais, non-seulement dans leur patrie, mais jusque sur des plages
lointaines et au-delà des mers; et le roi qui a créé le ciel et la terre ne régnerait
pas dans toute l'étendue de son palais ?
16. Vous répondrez
peut-être que tout appartient au royaume de Dieu, puisqu'il règne au ciel, sur la terre,
dans les abîmes, dans le paradis, dans l'enfer. Où donc ne régnerait-il pas, puisqu'il
étend partout sa puissance infinie ? Mais autre est le royaume des cieux, dont l'accès,
selon la parole du Sauveur, n'est possible qu'à ceux qui ont été purifiés dans le bain
de la régénération; autre est le royaume de la terre ou de quelque partie que ce soit
de l'univers, où l'on peut trouver certaines demeures de la maison de Dieu appartenant il
est vrai au royaume de Dieu, mais non à ce royaume des cieux qui est par excellence le
royaume de Dieu. De ces explications il suit qu'aucunes parties ou aucunes demeures de la
maison de Dieu ne sont criminellement séparées du royaume de Dieu. Et cependant toutes
ces demeures ne sont pas pour cela préparées dans le royaume des cieux; dans celles qui
sont en dehors peuvent jouir du bonheur et habiter ceux que Dieu daigne y placer, voire
même les enfants morts sans baptême; ils sont donc dans le royaume de Dieu, quoiqu'ils
ne soient pas dans le royaume des cieux, dont l'accès n'est ouvert qu'à ceux qui sont
baptisés
17. Si ceux qui nous donnent cette
interprétation y attachent réellement de l'importance, c'est qu'ils ne comprennent ni
les Ecritures ni cette simple prière relative au royaume de Dieu : «Que votre royaume
arrive (3) ». De quel royaume s'agit-il, sinon de
672
celui dans lequel toutes les âmes
fidèles ne formant qu'une seule famille avec Dieu régneront avec lui éternellement au
sein de la joie et du bonheur? Quant à la puissance avec laquelle Dieu gouverne toutes
choses, il est certain qu'il règne en maître absolu. Pourquoi donc lui demandons-nous
que son royaume nous arrive; n'est-ce point pour que nous méritions de régner avec lui?
La puissance de Dieu s'étendra jusque sur les malheureux réprouvés qui subiront en
enfer le tourment des flammes éternelles; dirons-nous donc que ces malheureux seront, eux
aussi, dans le royaume de Dieu ? Autre chose est de goûter les bienfaits du royaume de
Dieu, autre chose d'y être enchaîné sous l'empire de ses lois. Pour vous convaincre
qu'il ne saurait être question d'accorder le royaume des cieux à ceux qui sont
baptisés, et d'autres parties du royaume de Dieu à ceux qui meurent sans baptême,
écoutez comment s'exprime le Sauveur. Il ne dit pas : «Celui qui ne renaît point de
l'eau et du Saint-Esprit » ne peut entrer dans le royaume des cieux; mais : «Il ne
peut entrer dans le royaume de Dieu ». S'adressant à Nicodème, sur le même
sujet : « En vérité, en vérité, je vous dis que celui qui ne naît pas de
nouveau ne peut voir le royaume de Dieu ». Il ne parle pas du royaume des cieux,
mais du royaume de « Dieu ». Nicodème lui fit cette réponse :
« Comment un homme déjà vieux peut-il naître de nouveau ? Est-ce qu'il peut
rentrer dans le sein de sa mère et naître de Nouveau ? » Le Sauveur, précisant
davantage encore sa pensée, lui répond : «En vérité, en vérité, je vous disque
celui qui ne renaît pas de l'eau et du Saint-Esprit ne peut entrer dans le royaume de
Dieu (1) ». Ici encore nous ne lisons pas : Le royaume des cieux; mais :
« Le royaume de Dieu . » Ces mots : « Si
quelqu'un ne naît de nouveau », sont ainsi expliqués par le Sauveur lui-même :
«Celui qui ne renaît pas de l'eau et du Saint-Esprit ». «A ces paroles : «Ne
peut voir », correspondent ces autres paroles: «Ne peut entrer » ; quant à
celles-ci : «Le royaume de Dieu », le Sauveur les répète textuellement. Pourquoi
donc chercher à savoir si le royaume de Dieu et le royaume des cieux sont une seule et
même chose désignée sous des noms différents? ne suffit-il
pas que celui qui n'a pas
été purifié dans le bain de la
régénération ne puisse entrer dans le royaume de Dieu? Quant aux nombreuses demeures
placées dans la maison de Dieu, les séparer du royaume de Dieu, c'est une erreur dont
vous comprenez l'absurdité. Et puisque vous avez pu penser que dans quelques-unes de ces
demeures que le Sauveur nous signale dans la maison de son Père, seraient placés
ceux-là mêmes qui n'ont pas repris naissance dans l'eau et le Saint-Esprit, si vous me
le permettez, je vous invite à corriger immédiatement votre erreur et à vous en tenir
à la foi catholique.
18. Si vous voulez être catholique,
gardez-vous de croire, de dire ou d'enseigner que « le sacrifice des chrétiens doit
être offert pour ceux qui sont morts sans baptême (1) ». Vous apportez en preuve
le sacrifice des Juifs, dont il nous est parlé dans le livre des Macchabées (2); mais il
vous est impossible de prouver qu'il ait été offert pour des Juifs morts sans avoir
été circoncis. En formulant votre doctrine, dont la nouveauté est condamnée par
l'autorité et la discipline de toute l'Eglise, vous vous servez d'une expression des plus
téméraires : «Je juge », dites-vous, « que l'on doit offrir pour ces
enfants des oblations assidues et de continuels sacrifices de la part des
prêtres », comme si vous oubliiez que, en votre qualité de laïque, vous devez
vous soumettre à l'enseignement des prêtres de Dieu, sans vous mêler directement à
leurs recherches, et surtout sans vous poser au milieu d'eux comme censeur et comme juge.
Mon fils, déposez de telles prétentions, ce n'est pas ainsi que l'on marche dans la voie
qui nous a été enseignée par Jésus-Christ, doux et humble de coeur; s'enfler à ce
point, c'est se mettre dans l'impossibilité de passer par la porte étroite dont il vous
a parlé.
19. Si vous voulez être catholique,
gardez vous de croire, de dire ou d'enseigner que, parmi ceux qui meurent sans baptême,
il en est quelques-uns à qui le royaume des cieux est refusé pour un temps et qui
entrent seulement dans le paradis; ce ne sera que plus tard, c'est-à-dire à la
résurrection générale, qu'ils parviendront
au bonheur du royaume des cieux (3) ». Une telle doctrine n'a jamais été soutenue,
pas même par l'hérésie pélagienne, quoiqu'elle
673
nie formellement la transmission du
péché originel dans les enfants. Comme catholique, vous admettez en eux l'existence du
péché originel, et voici que, poussé par je ne sais quelle opinion aussi perverse que
nouvelle, vous enseignez que, en dehors du baptême de Jésus-Christ, ces enfants peuvent
recevoir la rémission de leur péché originel et entrer dans le royaume des cieux. Vous
ne comprenez donc pas que, sur ce point, vous êtes de beaucoup inférieur à Pélage
lui-même. Ce dernier, plein de respect pour la sentence du Sauveur, dans laquelle il est
dit que ceux qui ne sont pas baptisés n'entreront pas dans le royaume des cieux, refuse
ce royaume aux enfants morts sans baptême, quoique du reste il les proclame exempts de
tout péché. Vous, au contraire, vous ne tenez aucun compte de ces paroles si formelles :
«Celui qui ne renaîtra pas de l'eau et du Saint-Esprit ne peut entrer dans le royaume
des cieux ». Sans parler de cette erreur grossière par laquelle il vous plaît
d'établir une séparation réelle entre le royaume des cieux et le paradis, vous
n'hésitez pas à promettre la rémission de leur péché et la possession du royaume des
cieux à certains enfants que, comme catholique, vous reconnaissez coupables du péché
originel, et que vous supposez mourant sans baptême. Vous flatteriez-vous donc de pouvoir
être un vrai catholique, parce que vous affirmez contre Pélage l'existence du péché
originel, tandis que vous opposez le plus formel démenti à la parole par laquelle le
Sauveur affirme hautement l'absolue nécessité du baptême? A ce titre seul n'êtes-vous
point un nouvel hérétique? Bien-aimé fils, la victoire que nous vous souhaitons sur les
hérétiques, ce n'est point la victoire de l'erreur sur l'erreur, et surtout la victoire
d'une erreur plus grande sur une erreur moins coupable. Voici vos propres paroles :
«Quelqu'un me reprochera peut-être d'avoir placé temporairement dans le paradis l'âme
du bon larron et de Dinocrate ; mais je soutiens en même
temps que le royaume des cieux leur sera ouvert à la résurrection, malgré l'apparente
contradiction de cette maxime fondamentale : Celui qui ne renaît pas de l'eau et du
Saint-Esprit n'entrera pas dans le royaume des cieux. Quoi qu'il en soit de cette
sentence, qu'il ne craigne pas d'embrasser mon sentiment, pourvu qu'il n'ait d'autre
désir que de donner plus d'extension et plus de charme aux effets de la miséricorde et
de la prescience divines ». Ce sont là vos propres paroles, par lesquelles vous
approuvez l'opinion de ceux qui soutiennent que certains hommes morts sans baptême sont
reçus temporairement dans le paradis, de manière toutefois qu'après la résurrection
ils entreront dans le royaume des cieux, nonobstant la maxime fondamentale par laquelle le
Sauveur déclare formellement que celui qui ne renaît pas de l'eau et du Saint-Esprit
n'entrera pas dans le royaume des cieux. Craignant de violer cette grave autorité du
Sauveur, Pélage, qui ne croyait pas les enfants coupables du péché originel, ne les
admettait pas dans le royaume des cieux quand ils mouraient sans baptême; vous, au
contraire, vous admettez qu'ils sont coupables de ce péché, et néanmoins vous les
absolvez en dehors de toute régénération baptismale, vous les reléguez d'abord en
paradis, sauf à leur permettre plus tard d'entrer dans le royaume des cieux.
20. Quant à ces erreurs et autres
semblables que vous pourrez découvrir dans vos écrits en y apportant une étude plus
soutenue, que vous permettent vos loisirs, corrigez-les sans délai, si vous êtes
sincèrement catholique, c'est-à-dire si c'était bien votre pensée que « vous
exprimiez en disant que vous n'êtes point crédule à votre égard jusqu'à vous flatter
qu'on puisse approuver ce que vous avancez; que vous êtes tout disposé à renoncer à
votre opinion, s'il vous est démontré qu'elle est erronée ; et enfin que, après vous
être condamné vous-même , vous vous attacherez immédiatement à la doctrine la plus
sage et la plus vraie ». Hâtez-vous de prouver, mon très-cher,
que ces paroles n'étaient point un mensonge sur vos lèvres; c'est alors que l'Eglise
catholique se réjouira de trouver non-seulement du talent,
mais un talent prudent, pieux et modeste, quand elle pouvait craindre en vous
l'obstination chicaneuse et les ardeurs insensées de l'hérésie. C'est maintenant qu'il
s'agit pour vous de réaliser, si elles étaient sincères, les protestations dont vous
faisiez suivre les excellentes paroles que je viens de citer : «Comme c'est faire preuve
de sagesse et de prudence de suivre sans difficulté le parti de la vérité, ce serait
montrer de la (674) folie et de l'obstination que de ne pas se ranger immédiatement du
côté de la raison (1) ». Faites donc preuve de sagesse et de prudence, et vous
suivrez sans difficulté le parti de la vérité ; ne montrez ni folie ni obstination, et
vous vous rangerez immédiatement du côté de la raison. Si de telles protestations sont
sincères de votre part, si elles étaient formulées dans toute la franchise de votre
coeur, et pas seulement sur vos lèvres, vous repousseriez avec horreur tout retard dans
l'oeuvre si belle de votre conversion. C'était peu de dire : «C'est le propre d'un
esprit méchant et obstiné de ne vouloir pas courber sous le joug de la raison »;
si vous n'ajoutiez : «De ne vouloir pas courber aussitôt ». C'est ainsi que vous
lanciez la malédiction contre celui qui se refuse toujours à cette noble entreprise;
puisque celui qui se contente d'y opposer des retards vous parait mériter à juste titre
la note infamante de méchanceté et d'obstination. Soyez donc conséquent avec
vous-même, et surtout goûtez les fruits de votre propre langage, vous n'hésiterez point
alors à vous jeter éperdument dans le sentier de la raison, plutôt que de vous laisser
imprudemment détourner de la bonne voie en succombant aux écueils de votre âge.
21. Ce serait une tâche bien longue de
relever, discuter et réfuter une à une toutes les erreurs que je voudrais voir
disparaître de vos ouvrages, et surtout de votre esprit. Toutefois, gardez-vous bien de
vous mépriser vous-même et de compter pour peu votre esprit et votre talent d'écrire.
J'ai pu me convaincre que votre mémoire s'est enrichie d'une foule de passages de
l'Ecriture, et cependant je dois vous avouer que votre érudition ne répond pas à
l'éclat de vos talents et à l'intensité de votre travail. Voilà pourquoi je ne veux
pas vous voir vous élever trop haut, ni trop vous abaisser. Oh ! plût
à Dieu que je pusse lire vos écrits avec vous, et vous indiquer vos erreurs dans un
entretien ! Une conversation entre nous terminerait cette affaire plus facilement que des
lettres; combien de lettres ne faudrait-il pas si nous voulions tout dire ? Toutefois,
j'ai voulu vous signaler clairement les erreurs principales, en vous avertissant de les
corriger promptement et de les exclure de votre croyance et
de votre enseignement ; combien je
désirerais que cette facilité de discussion dont vous jouissez par la munificence
divine, vous vous en serviez utilement, non pas pour détruire, mais pour fonder et
soutenir la doctrine saine et salutaire.
22. Je vous ai déjà, comme je l'ai pu,
signalé ces erreurs, mais je crois devoir vous les signaler encore brièvement, telles
que vous les avez formulées : 1° Dieu a tiré l'âme, non pas du néant, mais de
lui-même; 2° Dieu crée éternellement les âmes, comme il est éternel lui. même; 3°
l'âme a perdu par la chair le mérite qu'elle avait acquis avant son union avec la chair;
4° l'âme recouvre par la chair son état primitif et renaît par elle, comme c'est
parelle qu'elle avait mérité d'être souillée; 5° l'âme a mérité de devenir
pécheresse avant tout péché; 6° les enfants morts saris baptême peuvent obtenir la
rémission du péché originel; 7° ceux que Dieu a prédestinés au baptême peuvent
faillir à cette prédestination et mourir avant d'en obtenir de Dieu la réalisation; 8°
aux enfants qui meurent avant d'avoir repris naissance en Jésus-Christ s'appliquent ces
paroles : «Il a été enlevé, de crainte que la malice ne changeât son
intelligence », et autres paroles semblables tirées du livre de la Sagesse ; 9°
parmi les différentes demeures dont le Sauveur nous affirme l'existence dans la maison de
son Père, il en est quelques-unes en dehors du royaume de Dieu; 10° le sacrifice des
chrétiens doit être offert pour ceux qui meurent avant d'avoir reçu le baptême; 11°
quelques-uns de ceux qui meurent sans baptême entrent, non pas dans le royaume des cieux,
mais dans le paradis; ce n'est qu'a. près la résurrection des
morts que le royaume des cieux leur sera ouvert.
23. Ces onze propositions forment tout
autant d'erreurs manifestement contraires à la foi catholique, et que vous devez
impitoyablement exclure de votre esprit, de votre langage et de vos livres, si vous voulez
non. seulement passer aux autels catholiques, mais même
demeurer catholique et nous laisser la joie de votre heureux retour. Chacune de ces propositions obstinément soutenue deviendrait une hérésie
spéciale. Ne serait-il pas malheureux de trouver dans un seul homme un si grand nombre
d'opinions dont chacune suffirait pour faire condamner tout infortuné qui la
soutiendrait? Loin de tenter (675) de les soutenir, combattez-les généreusement par vos
paroles et par vos écrits; à ce prix, et vous condamnant vous-même, vous vous attirerez
plus de gloire que si vous confondiez l'adversaire le plus redoutable; et enfin, il vous
sera plus glorieux de reconnaître vos erreurs que de ne les avoir jamais commises. Que le
Seigneur vous vienne en aide; que son divin Esprit répande dans le vôtre une telle
puissance d'humilité, une telle lumière de vérité, une telle douceur de charité, une
telle paix de piété, que vous préfériez mille fois vous vaincre en faveur de la
vérité que de soutenir le mensonge contre tel adversaire que ce soit. Malgré ces
opinions que vous avez émises et qui sont directement contraires à la foi catholique,
gardez-vous de croire que vous ayez perdu la foi, pourvu du moins que ce soit devant Dieu,
qui sonde les reins et les coeurs, et dans toute la sincérité de votre âme que vous
vous soyez écrié : «Je n'ai pas pour moi-même la crédulité de penser que l'on puisse
approuver ce que j'avance ; je suis donc disposé à ne point soutenir mon opinion
particulière, s'il est montré qu'elle soit improbable; et, condamnant mon propre
jugement, j'embrasserai de grand coeur le sentiment qui sera le meilleur et le plus
conforme à la vérité ». Quand le coeur est animé de semblables dispositions,
l'esprit, par ignorance, peut formuler des opinions contraires à la foi
, mais il n'en reste pas moins catholique par le fait seul qu'il est disposé et
qu'il se prépare à se corriger. Mais il est temps de clore ce livre, afin que le lecteur
prenne quelques instants de repos et renouvelle toute son attention pour mieux saisir ce
qui doit suivre.
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