SERMON CCCLVIII
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SERMON CCCLVIII

PRONONCÉ A CARTHAGE, AVANT LA CONFÉRENCE. CATHOLICITÉ DE L’ÉGLISE.

 

ANALYSE. — Si les Donatistes avaient l'heureux désir de se laisser vaincre par la vérité, plutôt que d'être vaincus par l'erreur, comme ils seraient bientôt catholiques ! En effet, l'héritage promis à Jésus-Christ est le monde entier ; l'Esprit-Saint déclare en outre que tous les peuples le serviront. Pourquoi hésiter ? N'est-ce point parce que le cœur n'a point l'étendue que donne la charité ? Nous sommes prêts, nous, à tous les sacrifices. Que les Donatistes de leur côté s'attachent plutôt à Jésus-Christ qu'a un homme, Pour vous, fidèles, n'assistez point à la conférence ; aidez-nous de vos prières : elles peuvent être plus efficaces que nos discours.

 

1. Puissent les prières de voire sainteté soutenir les efforts que nous faisons pour vous, pour nos ennemis et pour les vôtres, pour le salut de tous, pour le repos et pour la paix publics, enfin pour l’unité que commande et que chérit le Seigneur ! Puissions-nous de temps en temps vous parler de cette unité et nous en réjouir ensemble ! En effet, si nous

 

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avons pour la paix et la charité un amour constant, nous devons en parler sans cesse ; surtout à cette époque où l'amour de la paix et le désir de s'attacher à l'unité laissent comme en suspens ces frères égarés à qui nous ne rendons pas le mal pour le mal, qui détestent la concorde et à qui nous ne témoignons que des sentiments pacifiques, qui enfin veulent guerroyer contre nous, parce que nous leur prêchons la paix, ainsi qu'il est écrit (1) .

Ce qui fait le danger de ces infortunés, c'est qu'ils sont indécis entre l'amour de la paix et la crainte de la confusion, c'est qu'en refusant de se laisser vaincre, ils ne travaillent pas à se rendre invincibles ; car on est victime de l'erreur, quand ou ne veut pas se laisser vaincre par la vérité. Ah ! si la charité triomphait d'eux plutôt que l'animosité ! Leur défaite même serait une victoire. Pour nous, si nous aimons l'Église catholique, si nous y tenons, si nous défendons cette Église avec qui nous invitons nos ennemis à se réconcilier, à vivre en paix et en bonne harmonie, ce n'est pas en nous appuyant sur des opinions humaines, mais sur des témoignages divins. Que faire de cet homme qui crie pour un parti et qui s'élève contre le tout ? Pour lui ne serait-il pas bon d'être vaincu, puisque vaincu il s'attachera au tout, et que vainqueur ou plutôt se croyant vainqueur, il restera dans son parti ? Il n'y a effectivement que la vérité pour vaincre, et la victoire de la vérité consiste dans la charité.

2. Pourquoi maintenant, mes frères, employer tant de paroles, et tant de paroles de moi, pour vous montrer l'Église catholique fructifiant et grandissant par tout l'univers ? Nous avons, pour elle et pour nous, les expressions mêmes du Sauveur : « Le Seigneur m'a dit, déclare-t-il : Vous êtes mon Fils, aujourd'hui je vous ai engendré. Demandez-moi, et je vous donnerai les nations pour héritage, et pour domaine jusqu'aux extrémités de la terre (2) ». Ah ! mes frères, pourquoi tant discuter sur cet héritage, au lieu de lire les Actes sacrés ? Supposons que nous comparaissions devant un juge : il est question d'un héritage, et dans nos réclamations, il s'agit, non de débat, mais de charité. Aussi bien, si un plaideur pour domaine terrestre a pour but d'en exclure son adversaire,  

 

1 Ps. CXIX, 7. — 2 Ps. II, 7, 8.

 

nous au contraire nous voulons qu'il jouisse avec nous. Un plaideur pour domaine terrestre entend-il son ennemi lui dire : À moi la possession ? Je m'y oppose, répond-il. Moi, au contraire, je dis à mon frère : De grâce, jouis avec moi ; et il lui répond avec humeur : Je ne veux pas.

Aussi je ne crains point d'être rebuté et repris par le Seigneur comme le furent ces frères, ou plutôt ce frère qui s'adressa publiquement à lui il lui dit : « Seigneur, recommandez à mon frère de partager avec moi l'héritage ». Traduisant par une verte réprimande son amour de la division, le Seigneur répondit aussitôt : « Eh ! mon ami, qui m'a établi, parmi vous, juge ou partageur d'héritage ? Pour moi, je vous le déclare, gardez-vous de toute cupidité (1) ». Je ne crains donc pas d'être réprimandé de la sorte. Il est vrai, je l'avoue, je m'adresse à mon Seigneur ; mais au lieu de lui dire : « Seigneur, recommandez à mon frère de partager avec moi l'héritage » ; je lui dis : Seigneur, commandez à mon frère de s'attacher avec moi à l'unité. Voyez, je lis l'acte de propriété, non pour arriver à être seul propriétaire, mais pour vaincre les résistances de mon frère et le déterminer à être propriétaire avec moi. Écoute cet Acte, mon frère : « Demande-moi, y est-il dit, et je te donnerai les nations pour héritage, et pour domaine jusqu'aux extrémités de la terre ». C'est au Christ que s'adressent ces mots, et par conséquent à nous, puisque nous sommes ses membres. Pourquoi courir dans un parti ou y rester ? Attache-toi donc à ce tout dont il est question dans l'Acte. Comme on cherche, dans un acte ordinaire, quels limitrophes ont les possesseurs, ainsi tu examines entre qui tu dois rester. Mais quels limitrophes t'a laissés celui qui ne t'a point assigné de limites ?

3. Prête l'oreille : voici un autre témoignage des Actes sacrés. Il y est dit du Christ notre Seigneur, sous la figure de Salomon : « Il régnera d'une mer à l'autre, et du fleuve jusqu'aux extrémités de l'univers. Devant lui se prosterneront les Ethiopiens, et ses ennemis devant lui baiseront la poussière. Les rois de Tharsis et des îles lui offriront des présents ; les rois de l'Arabie et de Saba lui amèneront leurs offrandes ; de plus, tous les rois de la terre l'adoreront, tous les

 

1 Luc, XII, 13-15.

 

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peuples lui seront soumis  ». Quand se faisait cette prophétie, on y croyait ; maintenant qu'elle s'accomplit on la repousserait !

Attache-toi donc avec moi à cet héritage qui s'étend d'une mer à l'autre et du fleuve, c'est-à-dire du Jourdain, près duquel le Christ a commencé à enseigner, jusqu'aux extrémités du monde. Pourquoi t'y refuser ? Pourquoi repousser cette promesse, cet héritage, cette fortune qui est à toi ? Pourquoi refuser ? À cause de Donat ? à cause de Cécilien ? Qu'était-ce que Donat ? qu'était-ce que Cécilien ? Des hommes, sans doute. Si c'étaient des hommes de bien, tant mieux pour eux et non pour moi ! Donc, au contraire, s'ils étaient des hommes pervers, tant pis pour eux et non pour moi ! Pour toi, attache-toi au Christ et prête l'oreille à ces paroles de l'Apôtre son serviteur dévoué : « Est-ce Paul, dit-il, qui a été crucifié pour vous ? ou bien est-ce au nom de Paul que vous avez reçu le baptême ». Pourquoi ce langage ? Considère ce qui faisait horreur à l'Apôtre : « Chacun de vous s'écrie, dit-il : Je suis, moi, du parti de Paul, moi de celui d'Apollo, moi de Céphas et moi du Christ. Le Christ est-il partagé ? Est-ce Paul qui a été crucifié pour vous ? ou bien est-ce au nom de Paul que vous avez reçu le baptême  ? » Si ce n'est pas au nom de Paul, c'est bien moins encore au nom de Cécilien, et bien moins, infiniment moins au nom de Donat. Et pourtant, quand l'Apôtre a dit ce que nous venons d'entendre, quand l'Église est connue et répandue dans tout l'univers, on ose encore me dire : Je ne quitte point Donat, je ne quitte point je ne sais quel Gaius, quel Lucius, quel Parménien, tant de noms qui ne sont que des symboles de division. Ah ! si tu t'attaches ainsi à un homme, tu renonceras toi-même à l'héritage dont il vient d'être dit : qu'il s'étend « d'une mer à l'autre, et du fleuve jusqu'aux extrémités de l'univers ». Pourquoi n'y pas tenir ? Par amour pour un homme. Eh ! qu'est-ce que l'homme, sinon un animal doué de raison et formé de terre ? C'est donc pour aimer la terre que tu es devenu notre ennemi, Renonce plutôt à cet amour ; cesse d'aimer la terre afin de mettre ton espoir dans Celui qui a fait le ciel et la terre ; car il est, lui, notre espérance. Preuve nouvelle : « Le Dieu des dieux a parlé et il a convoqué la terre du

 

1 Ps. LXXI, 8-11. — 2 I Cor. I, 12, 13.

 

levant au couchant (1) ». Ne reste pas à terre, va plutôt où elle est appelée.

4. Mais qui pourrait citer ici tous les titres de possession contenus dans les Actes sacrés ? Pourquoi alors ne s'attachent-ils pas à l'Église, sinon parce que c'est l'Église qui dit : « Qu'à moi s'unissent ceux qui vous craignent et qu'ils apprennent les témoignages rendus par vous ?  » L'Église donc a vu ce qui est dit dans un psaume, ce que vous venez d'entendre, ce que vous avez encore dans l'oreille et dans l'âme. « J'ai vu, s'écrie-t-elle, la consommation dernière ». Que signifie : « J'ai vu la consommation dernière ? » Il s'agit ici, non pas de la consommation de destruction, mais de la consommation de perfection. J'ai vu la perfection, non pas la destruction dernière. « J'ai vu la consommation dernière ». En quoi consiste-t-elle ? « Votre commandement est d'une immense étendue (2) ». Effectivement « la fin du précepte », achevez avec moi (le peuple s'écrie) : « C'est la charité jaillissant d'un cœur pur (3) ». Ah ! vous avez tous répété ce que toujours vous avez entendu, non pas sans profit : « La fin du précepte, c'est la charité jaillissant d'un cœur pur ». Cette fin est pour nous, non pas une fin de consomption, mais une fin de perfection. Or, elle est étendue, car c'est le commandement dont il est dit : « Votre commandement est d'une étendue immense. — Je vous donne un commandement nouveau, c'est que vous vous aimiez les uns les autres (4) ». Contemple l'étendue de ce commandement ! Où s'étend-il ? Est-ce dans le corps ? C'est plutôt dans le cœur. Si son étendue était matérielle, vous qui m'écoutez avec tant de zèle, vous ne seriez pas si à l'étroit. Cette étendue se montre donc dans le cœur. Viens t'en assurer par toi-même, si toutefois tu es capable de le voir, et apprends de l'Apôtre combien est large le précepte de la charité. « Or, la charité de Dieu a été répandue dans nos cœurs (5) ». Saint Paul n'a point dit : enfermée, mais « répandue ». Enfermée indiquerait une sorte de rétrécissement ; « répandue » donne l'idée de largeur. Ainsi « votre commandement est d'une étendue immense ».

Ô Seigneur notre Dieu, montrez que c'est pour étendre en nous la charité que nous invitons nos frères à posséder avec nous la paix.

1 Ps. XLIX, 1. — 2 Ps. CXVIII. 79, 96. — 3 I Tim. 1, 5. — 4 Jean, XIII, 31. — 5 Rom. V, 3.

 

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Voulez-vous être évêque ? soyez-le avec nous . Le peuple ne veut pas deux évêques à la fois ? Eh bien ! soyez nos frères pour hériter avec nous. Irions-nous, par attachement à nos honneurs, empêcher de s'établir la paix du Christ ? À quel honneur prétendre dans la paix du ciel, si maintenant nous soutenons notre dignité par des discussions toutes terrestres ? À bas ce mur d'erreur, et réunissons-nous. Reconnais-moi pour ton frère, je te reconnais pour le mien ; mais en excluant de toi le schisme, l'erreur, toute espèce de dissension. Reviens de ces égarements, et tu es tout à moi. Ne veux-tu pas être à moi ? Pour moi, si tu te corriges, je veux être à toi. Enlevons ainsi d'entre nous cette erreur qui fait comme un mur de contradiction et de division ; alors sois mon frère ; qu'à mon tour je sois le tien, afin d'être l'un et l'autre frères de Celui qui est à la fois ton Seigneur et le mien. Si nous parlons ainsi, c'est par amour de la paix, et non par défiance de la vérité. C'est ce que nous avons répondu, et vous avez lu ce que j'ai proposé (1), savoir que nous ne cherchons point à éviter la discussion, nous insistons au contraire pour l'obtenir, et qu'après avoir démontré où est l'héritage du Christ, je partagerai avec mon adversaire ce que je tiens de lui. Ah ! qu'on vienne hardiment, qu'on vienne sans crainte, qu'on vienne rempli de science : je ne veux point en imposer par l'autorité. Ouvrons les yeux à Celui qui ne saurait s'égarer ; à lui de nous dire quelle est l'Église. Or, vous avez entendu plusieurs témoignages de lui. Les fautes de l'homme ne la souillent point, attendu que ce n'est pas la justice de l'homme qui l'a rachetée. Néanmoins toute différente que soit la cause de l'Église de la cause d'un homme, nous ne redoutons point d'aborder la cause de ces hommes que nos adversaires ont accusés sans pouvoir les convaincre. Nous savons, nous avons lu qu'ils sont pleinement justifiés. Ne le fussent-ils pas, je n'unirais point la cause de l'Église à la leur, je ne bâtirais point sur le sable en renversant de dessus la pierre. « Sur cette pierre, est-il dit, je bâtirai mon Église, et les portes de l'enfer ne prévaudront pas contre elle (2) ». Or, la pierre était le Christ. « Est-ce Paul qui a été crucifié pour vous ? » Attachez-vous à cela, tenez-y fortement, répétez-le d'un ton fraternel et pacifique.

 

1 Epit. CXXVIII, CXXIX. — 2 Matt. XVI, 18.

 

6. Aucun de vous, mes frères, ne doit entrer dans la salle des conférences. Évitez même, s'il est possible, évitez de passer par là, pour ne donner lieu ni à querelle ni à dispute, et pour ne fournir aucun prétexte à ceux qui cherchent l'occasion de rompre. S'il en est parmi vous qui craignent peu le Seigneur et qui dédaignent nos avis parce qu'ils ont trop d'attachement pour les choses présentes, ceux-là doivent redouter au moins la sévérité des puissances de la terre. Vous avez lu, affiché publiquement, l'arrêté de notre illustre gouverneur. Sans doute il n'a pas été pris en vue de vous qui craignez Dieu et qui ne dédaignez point l'avertissement de vos prélats ; mais il était à craindre que plusieurs s'en inquiétassent peu, le méprisassent même. À ces hommes de prendre garde ; car ils pourraient bien expérimenter ce que dit l'Apôtre, savoir : que « résister au pouvoir, c'est résister à l'administration de Dieu ; car les princes n'ont rien de terrible pour les bonnes œuvres, mais pour les mauvaises (1) ». Évitons tout tumulte et toute cause de tumulte.

Vous dites peut-être : Qu'avons-nous à faire ? nous sommes disposés. Eh bien ! que vous recommanderons-nous ? Les œuvres, peut-être bien fécondes, de piété. Laissez-nous discuter à votre place ; vous, priez pour nous ; et, comme nous vous l'avons conseillé déjà, soutenez vos prières par le jeûne et l'aumône, donnez-leur ces ailes sur lesquelles elles s'envolent jusqu'à Dieu. De cette manière vous pourrez nous rendre plus de services que nous ne vous en rendrons. Ah ! nul de nous, dans cette conférence, ne s'appuie sur soi, tout notre espoir est en Dieu. Eh ! sommes-nous meilleurs que l'Apôtre, qui recommandait de prier pour lui ? « Priez pour moi », disait-il, « afin de m'obtenir la parole (2) ». Vous aussi priez donc pour nous Celui en qui nous plaçons notre espérance, afin que notre conférence vous comble de joie. Attachez-vous à cela, mes frères, nous vous en conjurons. Au nom du Seigneur lui-même, de lui, l'auteur de la paix, le fondateur, l'ami de la paix, nous vous supplions de le prier, de le conjurer en paix, et de vous rappeler que vous êtes les fils de Celui qui a dit : « Bienheureux les pacifiques, car ils seront nommés fils de Dieu (3) ».

 

1 Rom. XIII, 2, 3. — 2 Ephes. VI, 19. — 3 Matt. V, 9.