Accueil Remonter Méditations Avertissement Sermon Montagne Préparation dernière semaine Dernière Semaine I-LIV Dernière Semaine LV-XCVII Jérémie - Jonas XCVIII-CXI I Cène I-XLIII I Cène XLIV-XCIX II Cène I-LXXIII
| |
DERNIÈRE SEMAINE
LVe - XCVIIe JOURNÉE
LVe
JOURNÉE. L'autorité de la synagogue cesse à la destruction du temple et du
peuple de Dieu. Immobilité de l'Eglise chrétienne.
LVIe JOURNÉE. Caractère des docteurs juifs, sévères, orgueilleux et hypocrites.
Matth., XXIII, 4-7.
LVIIe JOURNÉE. Jésus-Christ seul Père, seul Maître. Matth., XXIII, 8-11.
LVIIIe JOURNÉE. Les Vœ, ou les malheurs prononcés contre les faux docteurs.
Matth., XXIII, 13, 15, 16.
LIXe JOURNÉE. Docteurs juifs, conducteurs aveugles et insensés. Ibid., 16 et
suiv.
LXe JOURNÉE. Guides aveugles, attachés aux petites choses et méprisant les
grandes. Ibid., 23 et 24.
LXIe JOURNÉE. Suite. Sépulcres blanchis. Ibid., 26 et 27.
LXIIe JOURNÉE. Docteurs juifs persécuteurs des prophètes : leur punition.
Ibid., 29-36.
LXIIIe JOURNÉE. Lamentations, pleurs de Jésus sur Jérusalem. Ibid., 37, 39.
LXIV JOURNÉE. Vices des docteurs de la loi; ostentation; superstition;
corruption; erreurs marquées par saint Marc et par saint Luc. Marc, XII, 38-40;
Luc, XX, 46, 47.
LXVe JOURNÉE. Les Vœ, ou les malheurs prononcés par Notre-Seigneur contre les
docteurs de la loi. En saint Luc, XI, 42-44 et suiv.
LXVIe JOURNÉE. Quel est le vrai prix de l'argent. Veuve donnant de son
indigence. Marc., XII, 41-44; Luc, XXI, 1-4.
LXVIIe JOURNÉE. Ruine de Jérusalem et du temple. Matth.,
XXIV, 1-23; Marc, XIII, 1-23; Luc, XXI, 5-24.
LXVIIIe JOURNÉE. La ruine de Jérusalem et celle du monde : pourquoi prédites
ensemble? Ibid.
LXIXe JOURNÉE. Les marques particulières de la ruine de Jérusalem et de la fin
du monde. Ibid.
LXXe JOURNÉE. Les marques de distinction de ces deux événement expliqués encore
plus en détail en saint Matthieu, en saint Marc et en saint Luc. Ibid.
LXXIe JOURNÉE. Deux sièges de Jérusalem prédits par Notre-Seigneur. Le premier
en saint Matth., XXIV, 15, 16; Marc, XIII, 14; Luc, XXI, 20. Le second en saint
Luc, XIX, 43, 44.
LXXIIe JOURNÉE. Réflexions sur les maux extrêmes de ces deux sièges. Ibid.
LXXIIIe JOURNÉE. Suite des réflexions sur les mêmes calamités. Ibid.
LXXIVe JOURNÉE. Réflexions sur les circonstances de la fin du monde. La terreur
de l'impie. La confiance du fidèle. Matth., XXIV, 27-31; Luc, XXI, 25-28.
LXXVe JOURNÉE. Le même sujet.
LXXVIe JOURNÉE. Ces prédictions certaines : leur accomplissement proche : leur
jour inconnu. Matth., XXIV, 34-36; Marc, XIII, 30-32.
LXXVIIe JOURNÉE. Le jour du jugement dernier n'a pu être inconnu au Fils de
Dieu. Marc, XIII, 32.
LXXVIIIe JOURNÉE. Ce dernier jour est connu au Fils de Dieu, mais non pas pour
nous l'apprendre. Marc., XIII, 32.
LXXIX JOURNÉE. Raisons profondes de notre Sauveur d'user de ces réserves
mystérieuses pour l'instruction de son Eglise : mais non pour autoriser les
hommes à user d'équivoques et de restrictions mentales. Ibid.
LXXXe JOURNÉE. Ce qui doit être commun à ces deux grands événements : séduction
générale. Ibid.
LXXXIe JOURNÉE. Le même sujet. Guerres, famines, pestes, tremblements de terre,
maux extrêmes. Ibid.
LXXXIe JOURNÉE. Persécution terrible de l'Eglise, trahisons, charité refroidie.
Ibid.
LXXXIIIe JOURNÉE. Réflexions sur plusieurs circonstances de ces deux
événements. Ibid.
LXXXIVe JOURNÉE. Réflexions sur d'autres circonstances. Ibid.
LXXXVe JOURNÉE. Instructions à recueillir. Se tenir prêt : veiller à tonte
heure. L'un pris, l'autre laissé. Matth., XXIV, 37-51; Marc, 33-37; Luc, XVII,
24.
LXXXVIe JOURNÉE. Le Père de famille : ses serviteurs : la figure du voleur.
Matth., XXIV, 45-47; Luc, XII, 41-44.
LXXXVIIe JOURNEE. L'économe fidèle et prudent : sa récompense, lbidl.
LXXXVIIIe JOURNÉE. Le serviteur méchant et violent : sa punition. Ibid.
LXXXIXe JOURNÉE. Vierges sages, et folles. Matth., XXV, 1-13.
XCe JOURNÉE. Parabole des dix talens et des dix mines. Matth., XXV, 14-30; Luc,
XIX, 12-27.
XCIIe JOURNÉE. Jugement dernier. Matth., XXV, 31 jusqu'à la fin.
XCIIe JOURNÉE. Séparation des justes et des impies. Ibid.
XCIIIe JOURNÉE. Venez, bénis : Allez, maudits. Ibid.
XCIVe JOURNÉE. J'ai eu faim : j'ai eu soif. Nécessité de l'aumône : son mérite
et sa récompense. Ibid.
XCVe JOURNÉE. J'ai eu faim, j'ai eu soif, transportes m la personne de
Jésus-Christ. Ibid.
XCVI JOURNÉE. Venez, les bénis de mon Père : récompense des justes. Ibid.
XCVIIe JOURNÉE. Retirez-vous, maudits : allez au feu éternel : condamnation des
impies, lbid.
En cherchant donc soigneusement
dans l'Ecriture, je trouve
que la synagogue ne devait être absolument réprouvée,
qu'après
202
qu'elle aurait actuellement fait mourir Jésus-Christ. Bien
plus : Dieu la voulait encore attendre, jusqu'à ce qu'elle eût méprisé le grand
signe qu'il lui devait envoyer pour reconnaître le Christ, qui était celui de sa
résurrection : « Cette race infidèle cherche un signe, et il ne lui en sera
point donné d'autre que le signe de Jouas le prophète (1), » et le reste.
Ce n'était pas assez que le
Christ fût ressuscité : il fallait que sa résurrection fût publiée, et que la
pénitence eût été précitée en son nom, en commençant par Jérusalem , ce qui ne
se commença qu'à la Pentecôte.
Ce n'était pas encore assez :
car les apôtres ne se séparent pas encore de la communion du reste du peuple ;
et quoiqu'ils fissent déjà un corps à part avec leurs disciples, ils allaient au
temple comme les autres, et ils étaient reçus à y rendre le même culte. Car
encore qu'ils s'assemblassent dans la galerie de Salomon et que personne n'osât
se joindre à eux, néanmoins le peuple les glorifiait (2), et on ne les avait pas
publiquement excommuniés.
On peut donc voir maintenant que
ce qui est dit en saint Jean, « qu'ils avaient conspiré entre eux, de chasser de
la synagogue ceux qui reconnaîtraient Jésus pour Christ (3) : » était plutôt une
conspiration secrète qu'un décret public. Il en était de même du dessein de le
faire mourir. Et en effet, tant s'en faut que les apôtres fussent excommuniés et
exclus du temple, Jésus-Christ lui-même y prêchait, y ordonnait, y était reçu,
consulté, écouté de tout le monde. Et tout ce qu'on fit après contre les apôtres
par voie de fait, ne faisait pas qu'ils fussent privés du culte public, ni
qu'eux-mêmes s'en séparassent, comme on vient de voir. C'était un temps
d'attente où plusieurs gens de bien, qui pouvaient n'avoir pas vu les miracles
de Jésus-Christ, demeuraient comme en suspens. « On venait cependant de toutes
les villes à Jérusalem, pour y apporter les malades aux apôtres : on les
exposait à l'ombre de saint Pierre (4); » et la synagogue, quoique déjà sur le
penchant de sa ruine, n'avait pas encore pris absolument son parti.
C'est une chose admirable comme
Dieu la supportait en
203
patience, et combien de formalités et de dénonciations,
pour ainsi dire, il pratiqua, avant que de répudier entièrement cette Epouse
infidèle. Il semble que, lorsqu'elle en vint à répandre le sang de saint
Etienne, elle eût rompu tout à fait avec Dieu, et Dieu avec elle. Mais non : car
l'infidélité de la ville de Jérusalem n'empêchait pas que les Juifs de la
dispersion n'écoutassent encore les apôtres. Ils entraient dans les synagogues
où on leur offrait la parole, comme on faisait à des frères et à de vrais Juifs.
On écoutait paisiblement ce qu'ils disaient de Jésus, et on les invitait à en
parler encore une autre fois dans l'assemblée suivante. Et le samedi étant venu,
toute la ville accourut pour entendre la parole de Dieu de leur bouche. Alors
les Juifs s'émurent, et contraignirent les apôtres à leur déclarer qu'ils
allaient porter aux gentils la parole qu'ils refusaient de recevoir; ce qui
était une espèce de rupture, puisque les apôtres s'en allèrent, secouant contre
eux la poussière de leurs pieds. Voilà ce qui arriva à Antioche de Pisidie (1).
Mais la rupture n'était pas
encore universelle : car ils continuaient à entrer dans les autres synagogues à
leur ordinaire , et on leur y offrait encore la parole (2). Ils allaient aussi
comme les autres à la prière commune dans l'oratoire destiné à cet usage (3).
Saint Paul parla paisiblement dans la synagogue à Thessalonique, durant trois
samedis consécutifs (4) ; il était ouï à Corinthe tous les samedis (5), prêchant
toujours le Seigneur Jésus dans ses discours ; et ne s'en retirait que lorsqu'il
voyait leurs blasphèmes manifestes, leur dénonçant toujours qu'ils allaient aux
gentils, qui était comme le signal de la rupture : saint Paul demeurant pourtant
toujours auprès de la synagogue, sans doute pour la fréquenter à son ordinaire,
autant qu'on l'y recevrait (6).
Ce qui se passa à Ephèse sent un
peu plus la rupture : car saint Paul y ayant prêché trois mois durant dans la
synagogue avec une pleine liberté, le blasphème de quelques-uns qui entraînèrent
les autres, fit qu'il sépara ses disciples et continua ses discours dans l'école
d'un certain nommé Tyran (7). Mais ce n'était rien moins encore qu'une rupture
absolue avec la synagogue, puisqu'après
1 Act., XIII, 5 et suiv. — 2
Ibid., 15. — 3 Act., XVI, 13, 10. — 4 Act., XVII, 2. — 5
Act., XVIII, 4. — 6 Ibid., 7. — 8 Act., XIX, 8, 9.
204
tout cela le même saint Paul étant arrivé à Jérusalem par
le conseil de saint Jacques et de tous les prêtres, se joignit à quatre fidèles
qui avaient fait un vœu, et se sanctifiant avec eux, entra dans le temple , où
ils offrirent leurs oblations et accomplirent leur vœu, en témoignage de leur
communion avec le service du temple, et le peuple qui le fréquentait (1), qui
par conséquent n'était pas encore manifestement réprouvé. Et pour pousser tout
d'un coup la chose jusqu'à la fin des Actes, les Juifs que saint Paul trouva à
Rome lui déclarèrent que les « frères de Judée » contents alors de l'avoir
chassé du pays, « ne leur avaient rien écrit, ni rien fait dire contre lui. » Ce
qui fit qu'ils l'écoutèrent encore un jour entier, depuis le matin jusqu'au soir
(2).
Pendant ce temps-là les gentils
venaient en foule à l'Eglise, qui se formait tous les jours de plus en plus : la
persécution s'éleva de tous côtés à l'instigation des Juifs qui allaient partout
pour animer les gentils, jusqu'à ce qu'ils excitèrent Néron à cette première et
grande persécution, où les deux apôtres saint Pierre et saint Paul moururent. Ce
fut là comme le terme fatal marqué à la synagogue : car elle avait pris alors
universellement parti contre les fidèles : les apôtres en allant au supplice,
leur dénoncèrent le châtiment qui leur allait arriver : Dieu semblait les avoir
attendus jusque-là en patience, et leur avoir donné tout ce temps-là pour faire
pénitence du déicide commis en la personne du Fils de Dieu : mais enfin n'ayant
écouté ni lui ni ceux qu'il leur envoyait pour les obliger à se repentir, il
lança le dernier coup , où l'on sait que la cité sainte fut mise en feu avec son
temple, avec toutes les marques de la dernière extermination que Daniel avait
prédite. Ce fut alors que le peuple juif cessa absolument d'être peuple ,
conformément à ce qu'avait dit le même prophète : « Et il ne sera plus le peuple
de Dieu (3). »
On voit donc l'état de l'Eglise
dans cet intervalle. L'Eglise chrétienne commençait par la prédication de la
vérité, que Jésus-Christ et ses apôtres établirent par tant de miracles et
surtout par celui de la résurrection de Jésus-Christ, qui était qu'il le fallait
reconnaître pour le vrai Christ. Alors cependant la synagogue n'était
1 Act., XXI, 23 et suiv. — 2 Act., XXVIII,
21, 23. — 3 Dan., IX, 26.
205
pas encore entièrement répudiée, ni n'avait pas tout à fait
perdu le titre d'Eglise, puisque les apôtres communiquaient encore avec elle, à
son temple et à son service. C'était comme un temps d'attente, durant lequel se
faisait la publication de l'Evangile. Il y en avait alors, qui peut-être n'ayant
pas vu par eux-mêmes les miracles de Jésus-Christ et de ses apôtres, et ne
sachant encore que penser, voyant aussi qu'il se remuait dans le monde quelque
chose d'extraordinaire, demeuraient comme en suspens, attendant du temps le
dernier éclaircissement et disant comme Gamaliel : « Si ce conseil n'est pas de
Dieu, il se dissipera de lui-même : s'il est de Dieu, vous ne pourrez pas le
dissiper (1). » Ceux qui demeuraient dans cette attente, dociles à recevoir la
vérité quand elle serait entièrement notifiée, pou voient encore être sauvés,
comme leurs prédécesseurs, en la foi du Christ à venir, parce qu'encore qu'il
fût arrivé, la promulgation de sa venue n'avait pas encore été faite jusqu'au
point que Dieu avait marqué, et après laquelle il ne voulait plus tolérer ceux
qui n'ajouteraient pas une foi entière à l'Evangile. En attendant, l'Eglise
judaïque demeurait encore en état : le Fils de Dieu lui donnait toujours la même
autorité qu'elle avait, pour soutenir et instruire les enfants de Dieu, ne lui
dérogeant la créance que dans le point que Dieu avait révélé par tant de
miracles. Car la croyance qu'il donnait par ces miracles à l'Eglise chrétienne,
ne dérogeait qu'à cet égard à la foi de l'Eglise judaïque : l'Eglise chrétienne
naissait encore, et se formait dans le sein de l'Eglise judaïque, et n'était pas
encore entièrement enfantée ni séparée de ce sein maternel : c'était comme deux
parties de la même Eglise, dont l'une plus éclairée répandait peu à peu la
lumière sur l'autre : ceux qui résistaient ouvertement et opiniâtrement à la
lumière, périssaient dans leur infidélité : ceux qui demeuraient comme en
suspens en attendant le plein jour, disposés aie recevoir aussitôt qu'il leur
apparaîtrait, se sauvaient à la faveur de la foi au Christ futur, à la manière
qu'on a vue : la synagogue leur servait encore de mère, et tenait encore la
chaire de Moïse jusqu'à un certain point. Qu'on demandât : Quel Dieu faut-il
croire ? Les docteurs de la loi vous
1 Act., V, 38, 39.
206
répondaient : Celui d'Abraham, qui a fait le ciel et la
terre. Que faut-il faire pour son culte, et qu'en ordonne Moïse ? Telle et telle
chose. Faut-il attendre un Christ? Sans doute. Où doit-il naître? « En Bethléem
(1), » tout d'une voix. « De qui doit-il être fils? De David, » sans hésiter
(2). Mais ce Christ, est-ce Jésus? Dieu le déclarait ouvertement, et on n'avait
pas besoin à cet égard de l'autorité de la synagogue : car il s'élevait une
autorité au-dessus de la sienne, qu'il n'y avait pas moyen de méconnaître
absolument. Ceux qui attendaient néanmoins ce que le temps devait faire pour la
déclarer davantage, et qui se gardaient en attendant, à l'exemple d'un Gamaliel,
de participer aux complots des Juifs contre Jésus-Christ et ses apôtres,
faisaient ce que disait le Sauveur : « Faites ce qu'ils disent : » suivez ce qui
a passé en dogme constant : « mais ne faites pas ce qu'ils font : » ne sacrifiez
pas le Juste à la passion et à l'intérêt de vos docteurs corrompus : l'autorité
naissante de l'Eglise chrétienne suffit pour vous en empêcher : la synagogue
elle-même n'a pas encore pris parti en corps, puisqu'elle écoute tous les jours
les apôtres de Jésus-Christ, et demeure comme en attente, Dieu le permettant
ainsi, pour ne laisser pas tomber tout à coup dans la synagogue le titre
d'Eglise, et pour donner le loisir à l'Eglise chrétienne de se former peu à peu.
La synagogue s'aveugle à mesure que la lumière croit : les enfants de Dieu se
séparent : la lumière est-elle venue à son plein par la destruction du saint
lieu, par l'extermination de l'ancien peuple et l'entrée des gentils en foule
avec un manifeste accomplissement des anciens oracles : la synagogue a perdu
toute son autorité et n'est plus qu'un peuple manifestement réprouvé. C'est ce
qui devait arriver selon les conseils de Dieu, dans cet entretemps qui se devait
écouler entre la naissance de Jésus-Christ et la réprobation déclarée du peuple
juif.
Mais cette diminution et cette
déchéance d'autorité ne doit jamais arriver à l'Eglise chrétienne. On dit donc
absolument à ses enfants : Vos pasteurs et vos docteurs sont assis, non plus sur
la chaire de Moïse qui devait tomber, mais sur la chaire de Jésus-Christ qui est
immobile : « Faites donc » en tout et partout « ce qu'ils
1 Matth., II, 5. — 2 Matth., XXII, 41.
207
vous enseignent : » mais prenez garde seulement, s'ils sont
mauvais, de séparer les exemples des particuliers des préceptes et enseignements
soutenus sur leur ministère.
Admirons donc cette autorité de
l'Eglise chrétienne , qui est en vérité le seul soutien des infirmes et des
forts : et admirons aussi comment Dieu a ôté l'autorité à l'Eglise judaïque,
plutôt par les choses mêmes et par la destruction du temple et du peuple que par
aucun décret passé en dogme qui lui ait fait perdre sa créance.
« Ils lient des fardeaux. » Le
premier abus c'est que, pour paraître pieux, ils font les sévères : « Ils lient
des fardeaux pesants : » ils tiennent les âmes captives : car voyez jusqu'à quel
point : « des fardeaux insupportables : sur les épaules (1) : » bien liés, en
sorte qu'ils ne puissent s'en défaire : et tout cela pour les tenir dans leur
dépendance sous prétexte d'exactitude.
C'est aussi un effet de la
superstition. La véritable piété étant fondée sur la confiance dilate le cœur :
mais la superstition qui se veut fonder sur elle-même met une chose sur une
autre, et se charge de fardeaux insupportables.
Mais voici le comble du mal :
ces faux docteurs, quand ils vous ont bien chargés, « ne vous aident pas du bout
du doigt : » impitoyables en toutes manières et parce qu'ils vous chargent, et
parce qu'ils ne songent pas à vous soulager. Voilà leur premier caractère,
rigoureux par ostentation et en même temps durs et impitoyables.
« Ils tiennent captives des
femmelettes chargées de péchés (2), » sous prétexte de leur donner des remèdes à
leurs péchés, et en effet pour les tenir dans leur dépendance, sous le beau nom
de direction.
Mais vous, ô véritables directeurs, si vous êtes obligés
d'ordonner
1 Matth., XXIII, 4. — 2 II
Timoth., III, 6.
208
des choses fortes, soyez encore plus soigneux à soulager
ceux à qui vous les imposez. Loin de vouloir vous attacher les âmes infirmes ,
rendez-les libres ; et autant que vous pourrez, mettez-les en état d'avoir moins
besoin de vous, et d'aller comme toutes seules par les principes de conduite que
vous leur donnez.
« Ils font tout pour être vus
des hommes (1). » Voilà la source de tout le mal. La véritable piété ne songe
qu'à contenter Dieu : ceux-ci n'ont que des vues humaines ; et ils sont sévères,
afin qu'on les loue : ils veulent conduire, ils veulent diriger, pour se donner
un grand crédit, afin qu'on voie qu'ils peuvent beaucoup, qu'ils sont de grands
directeurs, et qu'ils ont beaucoup de gens de grande considération à leurs
pieds.
a Ils aiment les premières places (2) : » les voilà peints
: non que tous ils aient tous ces défauts : les uns ne se soucient pas tant des
premières places : mais ils voudront qu'on les craigne, qu'on les visite, qu'on
leur fasse de grandes révérences, sensibles au dernier point si on leur manque
en la moindre chose. Les malheureux ! ils ont reçu leur récompense.
Mais ce qu'ils veulent sur toutes choses, c'est « qu'on les
appelle Rabbi (3), » et qu'on les tienne pour maîtres, qu'on révère leurs
décisions comme des oracles, et que tout le monde aille à eux comme à la règle.
Que ceux qui sont en place, où ces devoirs leur sont rendus
naturellement, craignent de s'y plaire : la tentation est délicate : car on
passe souvent de la fermeté qu'on doit avoir pour maintenir l'autorité légitime,
à une jalousie de grandeur tout humaine et toute mondaine. Le remède est dans
les paroles suivantes.
« Un seul maître (4) : » écoutez
le maître intérieur : ne faites rien qu'en le consultant : faites tout sous ses
yeux : songez ce que vous
1 Matth., XXIII, 5. — 2 Ibid.,
6. — 3 Ibid. 7. — 4 Ibid., 8.
209
feriez si vous aviez à chaque moment à lui rendre compte :
vous prendriez son esprit, comme vos subalternes prennent le vôtre : vous
craindriez de vous rien attribuer au delà des bornes, pour n'être point repris
d'un tel supérieur. Or, encore que vous n'ayez point à lui rendre compte en
présence à chaque moment, il viendra un jour que tout se verra ensemble : et en
attendant on observe tout : et celui à qui vous aurez à rendre compte, « viendra
lorsque vous y penserez le moins (1), » pour voir si vous n'avez point
insolemment abusé du pouvoir qu'il vous a laissé en son absence, « Vous êtes
tous frères (2). » Songez-y bien : vous qui êtes supérieur, vous êtes frère.
S'il faut donc prendre l'autorité sur votre frère, que ce soit pour l'amour de
lui, et non pour l'amour de vous : pour son bien, et non pour vous contenter
d'un vain honneur.
« Il n'y a qu'un Père ; il n'y a
qu'un Maître (3). » Si on vous appelle « Père, » parce que vous en faites la
fonction, elle est déléguée , elle est empruntée. Revenez au fond : vous vous
trouverez frère et disciple : ayez-en donc l'humilité : apprenez d'un moment à
l'autre ce que vous avez à enseigner. Ainsi vous serez un père, vous serez un
maître : car saint Paul a bien dit « qu'il était père et qu'il engendrait des
enfants (4) ; » mais la semence de Dieu, c'est sa parole (5). Recevez donc
continuellement de Dieu. Prêchez-vous, écoutez au dedans le Maître céleste et ne
prêchez que ce qu'il vous dicte. Conduisez-vous, conseillez-vous, consolez-vous.
Si vous parlez, que ce soient « des discours de Dieu : si vous servez quelqu'un
» en le conduisant, « que ce soit par la vertu que Dieu vous fournit (6) » sans
cesse.
« Un seul Maître : » une seule
« lumière qui éclaire tout homme venant au monde (7) : » qui a parlé au dehors,
et parle encore tous les jours dans son Evangile : mais qui parle toujours au
dedans, dès qu'on lui prête l'oreille. Dans quel silence faut-il être, pour ne
perdre pas la moindre de ses paroles ? « Le plus grand d'entre vous, c'est votre
serviteur (8) : » il ne dit
1 Matth. XXIV, 45, 50. — 2
Matth., XXIII, 8. — 3 Ibid., 9, 10. — 4 Cor., IV, 14, 15; Galat.,
IV, 19. — 5 Luc, VIII, 11. — 6 I Petr., IV, 11. — 7 Joan.,
I, 9. — 8 Matth., XXIII, 11.
210
pas qu'il n'y ait pas d'ordre dans son Eglise, et que
personne n'y soit élevé en autorité au-dessus des autres : mais il avertit que
l'autorité est une servitude : « Je me suis fait serviteur de tous, » disait
saint Paul : « tout à tous, afin de les sauver tous (1) : » l'exercice de
l'autorité ecclésiastique est une perpétuelle abnégation de soi-même.
Ecoutons bien ces Vœ : «
Malheur à vous (1) : » dès qu'on se fait maître pour soi-même et pour être
honoré, malheur à vous : c'est une malédiction sortie de la bouche de
Jésus-Christ : c'est une sentence prononcée, qui sera suivie d'une autre : «
Allez, maudits. »
Comment est-ce que les docteurs ferment le ciel? En
débitant de fausses maximes et mettant l'erreur en dogme.
Ils ne voulaient point croire en
Jésus-Christ, et empêchaient le peuple d'y croire. C'était véritablement fermer
la porte du ciel, puisque Jésus-Christ est cette porte.
Un autre moyen de la fermer,
c'est de la faire trop large, pendant que Jésus-Christ la fait étroite ; car dès
là ce n'est plus la porte que Jésus-Christ a ouverte : c'en est une autre que
vous ouvrez de vous-même ; et parce qu'elle est plus aisée, vous laites
abandonner l'autre qui est la véritable.
Mais ce ne sont pas seulement
les docteurs trop relâchés qui ferment la porte : Jésus-Christ attaque encore
plus, dans tout ce sermon, ceux qui augmentent les difficultés et les fardeaux.
Leur dureté rend la piété sèche et odieuse, et par là elle ferme le ciel.
Ces faux docteurs gâtent tout.
Il n'y a rien de meilleur que l'oraison : ils la gâtent, parce que, « pour
dévorer la substance des veuves, ils font semblant de prier Dieu longtemps »
pour elles, ou de leur vouloir apprendre «à prier longtemps : » mais leur
1 I Cor., IX, 19, 22. — 2
Matth., XXIII, 13.
211
jugement sera d'autant plus grand, que la chose dont ils
abusent est plus excellente.
« Les maisons des veuves, »
faibles par leur sexe, maîtresses de leur conduite et n'ayant plus de mari qui
saurait bien écarter le directeur intéressé : voilà un vrai butin pour
l'hypocrisie.
La plus parfaite action d'un docteur, c'est de convertir
les infidèles ' : plus ils étaient éloignés, plus il y a de mérite à les ramener
: ils gâtent cela : « ils le font doublement damner : » car ils l'attirent, et
puis ils l'abandonnent : ils le gagnent et puis ils le scandalisent, et ne lui
font que trop sentir qu'ils n'ont travaillé à le convertir que pour s'en faire
une matière d'un vain triomphe. Ces malheureux prosélytes se rebutent de la
piété et peut-être de la foi : et ils se damnent doublement, parce qu'ils
deviennent déserteurs de la religion , et que sachant la volonté du maître, ils
sont beaucoup plus punis : il valait mieux les laisser dans leur ignorance que
de manquer à ce qu'il leur faut, pour profiter de la doctrine de la foi. Ne
croyez donc pas avoir tout fait, quand vous les avez convertis ; c'est ici le
commencement de vos soins : autrement vous ne serez, comme vous appellent les
hérétiques par mépris, qu'un malheureux convertisseur.
Ne dites pas d'un pécheur : Il a
commencé : il a fait sa confession générale ; qu'il aille maintenant tout seul.
Vous ne songez pas que le grand coup est de persévérer : prenez garde que vous
ne vouliez que la gloire de convertir, et non pas le soin de conserver.
Le faux zèle est bien marqué
dans ces paroles : « Vous courez la mer et la terre, pour faire un seul
prosélyte (2) : » qu'il est zélé ! Tant de peine pour un seul homme ! faux zèle,
puisqu'il ne sert qu'à la vanité : il se repaît de la gloire d'avoir fait un
prosélyte. Plus la chose est sainte, plus il est détestable de la gâter. J'ai
fait cette religieuse, j'ai attiré cet homme à l'ordre : achevez donc : cultivez
cette jeune plante : ne la déracinez pas par les scandales que vous lui donnez :
qu'elle ne trouve pas la mort où elle a cherché la vie : en un mot, ne la damnez
pas davantage par le mauvais exemple. Le mauvais exemple du monde lui aurait été
moins
1 Matth., XXIII, LB. — 2 Ibid.
212
nuisible : le mauvais exemple des serviteurs et des
servantes de Dieu la perd sans ressource.
« Dieu dissipe les os de ceux
qui plaisent aux hommes : ils sont remplis de confusion , parce que le Seigneur
les méprise (1), » comme des hommes vains, qui préfèrent l'apparence au solide
et au vrai.
Jusqu'ici il ne les a appelés «
qu'hypocrites, » parce qu'ils mettaient la piété dans l'extérieur seulement.
Voici une autre qualité qu'il leur donne : « conducteurs aveugles ; » et encore
: « insensés et aveugles (2). »
Marquez la liaison de ces deux
paroles : « conducteurs et aveugles : guides aveugles et insensés : » Hélas ! en
quels abîmes tomberez-vous et ferez-vous tomber les autres? Car tous deux
tombent dans l'abîme, et l'aveugle qui mène et celui qui suit.
L'aveuglement qu'il reprend ici
est lorsque l'intérêt fait oublier les maximes les plus claires et les plus
certaines.
Il est bien manifeste que « le
temple et l'autel qui sanctifient les présents (3), » sont de plus grande
dignité que le don qu'on met dessus pour les sanctifier. Et cependant ces guides
aveugles étaient assez insensés pour dire que le serment qu'on faisait par le
don, et par l'or qu'on avait consacré dans le temple et sur l'autel, était plus
inviolable que celui qu'on faisait par le temple et par l'autel même. Pourquoi?
parce qu'ils voulaient qu'on multipliât les dons et l'or dont ils profitaient :
et c'est pourquoi ils en relevaient le prix, et ils poussaient leur aveuglement
jusqu'à préférer le présent au temple et à l'autel, où on le consacrait.
Lorsqu'il dit que le temple et l'autel sanctifient le don,
il parle pour l'ancienne loi, où en effet tous les dons et toutes les victimes,
qui n'étaient que choses terrestres, étaient bien au-dessous du
1 Psal. LII, 6. — 2 Matth., XXIII, 16 et
suiv. — 3 Ibid., 18, 19.
213
temple et de l'autel, qui étaient le manifeste symbole de
la présence de Dieu. Mais dans la nouvelle alliance, il y a un don qui sanctifie
le temple et l'autel. Ce don c'est l'Eucharistie, qui n'est rien de moins que
Jésus-Christ et le Saint des saints : et ce don est en même temps un temple. «
Détruisez ce temple, dit-il : et il parlait du temple de son corps (1) où la
divinité habitait corporellement (2). » Il est donc le temple et plus que le
temple : «Celui-ci est plus grand que le temple même (3). »
Il est l'autel, en qui et par
qui nous offrons « des victimes spirituelles, agréables par Jésus-Christ (4).»
comme dit saint Pierre.
Ceux qui estiment le don plus que le temple et plus que
l'autel, sont encore ceux qui, donnant quelque chose à Dieu, le font valoir en
eux-mêmes, au lieu de songer qu'on ne peut rien donner à Dieu qui ne soit
beaucoup au-dessous de la majesté de son temple et de la sainteté de son autel.
Comme il élève l'esprit! Du don
à l'autel et au temple : du temple au ciel dont il est l'image : du ciel à Dieu
qui y est assis, qui y règne, qui y tient l'empire de tout l'univers.
Apportez votre don :
apportez-vous vous-même à l'autel : et ne faites cas de vous-même qu'à cause que
vous êtes consacré à Dieu : tirez de là tout votre prix : attendez de là tout ce
que vous espérez de sainteté.
O le grand don que vous avez à
offrir à Dieu ! son corps et son sang que tous les jours vous pouvez offrir à
Dieu en sacrifice : don qui sanctifie l'autel et le temple, et ceux qui
s'offrent dans le temple.
Par quelle erreur de l'esprit
humain arrive-t-il qu'on observe la loi en partie, et qu'on ne l'observe pas
tout entière : qu'on en
1 Joan., II, 19, 21. — 2
Coloss., il, 9. — 3 Matth., XII, 6. — 4 Petr., II, 5.
213
observe les petites choses, comme de payer la dîme des plus
vils herbages, et qu'on omet les plus grandes, la justice, la miséricorde, la
bonne foi (1) ? Il y a là une ostentation et un air d'exactitude qui s'étend
jusqu'aux moindres observances. Mais il faut encore remarquer ici quelque chose
de plus intime. On observe volontiers dans la loi ce qui ne coûte rien à la
nature : où les passions ne souffrent point de violence. On le sacrifie aisément
à Dieu : on ne veut pas avoir à se reprocher à soi-même qu'on est sans loi,
qu'on est un impie ; on s'acquitte par de petites choses, et on se flatte
d'avoir satisfait : mais la lumière éternelle vous foudroie : « Il fallait
s'attacher à ces grandes choses, mais sans omettre » les moindres (2). Il ne
faut pas s'y attacher comme aux principales, ni les mépriser non plus à cause
qu'elles sont petites.
Voyez ce que Jésus estime : « la
justice, la miséricorde, la bonne foi. »
« Guides aveugles, qui coulez le
moucheron et qui avalez un chameau (3). » Que le monde est plein de ces fausses
piétés! Ils ne voudraient pas qu'il manquât un Ave Maria à leur chapelet. Mais
les rapines, mais les médisances, mais les jalousies, ils les avalent comme de
l'eau : scrupuleux dans les petites obligations, larges sans mesure dans les
autres.
C'est encore la même chose que
ce qui est dit au verset 5 : « Ils étendent les parchemins (4), » où ils
écrivaient des sentences de la loi de Dieu, conformément au précepte du
Deutéronome (5). Soit que ce fût une espèce d'allégorie, ou une obligation
effective, ils voulaient bien avoir ces sentences roulantes et mouvantes devant
les yeux : mais ils ne se souciaient pas d'en avoir l'amour dans le cœur. Il
était commandé aux Israélites, pour se distinguer des autres peuples, d'avoir
des franges au bord de leurs robes, qu'ils nouaient avec des rubans violets (6).
Ce qui leur était un signal qu'ils devaient être attentifs à la loi de Dieu, et
ne laisser pas errer leurs yeux et leurs pensées dans les choses qu'elle
défendait. Les pharisiens se faisaient de grandes franges, ou dilataient ces
bords de leurs robes, comme gens bien attentifs à la loi de Dieu, qui
1 Matth., XXIII, 23. — 2 Ibid.
— 3 Ibid. 23, 24. — 4 Ibid., 5. — 5 Deuter., VI, 8. — 6
Numer., XV, 38; Deuter., XXII, 12.
215
dilataient ce qui était destiné à en rappeler la mémoire.
C'est tout ce que Dieu en aura : une vaine parade, une ostentation, une
exactitude apparente aux petits préceptes aisés, un mépris manifeste des grands,
et un cœur livré aux rapines et à l'avarice.
Prenez garde dans les religions
: un voile, l'habit de l'ordre, les jeûnes de règle. Mais que veut dire ce
voile? Pourquoi est-il mis sur la tête, comme l'enseigne de la pudeur et de la
retraite? C'est à quoi il fallait penser, et ne mépriser pas les petites choses,
qui sont en effet la couverture et la défense des grandes : mais aussi ne se pas
imaginer que Dieu se paie de cette écorce et de ces grimaces.
« Aveugle pharisien, qui
nettoies le dehors d'une coupe et laisses dans la saleté le dedans » où l'on
boit. « Nettoie le dedans afin que le dehors soit pur (1) : » car la pureté
vient du dedans et se doit répandre de là sur le dehors : autrement, malgré ton
hypocrisie, l'infection du dedans se produira par quelque endroit : ta vie se
démentira : ton ambition cachée sera découverte : tu paraîtras de couleurs et de
figures différentes; et avec l'infamie de ton ambition, celle de ton hypocrisie
attirera la haine du genre humain.
Quelle affreuse idée d'un
hypocrite ! « C'est un vieux sépulcre : » tout s'y démentait : « on l'a
reblanchi et il paraît beau au dehors : » il peut même paraître magnifique. Mais
qu'y a-t-il au dedans? « Infection, pourriture, des ossements de morts (2), »
dont l'attouchement était une impureté selon la loi. Tel est un hypocrite : il a
la mort dans le sein : que sera-ce et où se cachera-t-il, lorsque Dieu révélera
le secret des cœurs, et qu'on verra « ces choses honteuses qui se passaient dans
le secret et qu'on a honte même de prononcer (3)? »
1 Matth., XXIII, 25, 26. — 2
Ibid., 27. — 3 Ephes., V, 12.
216
Voici le comble de l'hypocrisie
: des actions de piété pour donner couleur au crime, comme de bâtir les
sépulcres des prophètes. Qu'il est aisé de les honorer après leur mort, pour
acquérir la liberté de les persécuter vivans! Ils ne vous disent plus mot, et
vous pouvez les honorer sans qu'il en coûte à vos passions. On fait aisément les
actes de piété qui ne leur font point de peine. On parera un autel : on y
placera des reliques : tout y sera propre et orné : on bâtira des églises et des
monastères : les actions de piété éclatantes, loin de rebuter, on s'en fait
honneur. Venons à la pratique de la piété et à la mortification des sens : on
n'y veut pas entendre.
Les Juifs étaient prêts à faire
mourir le Prophète par excellence et ses apôtres; et ils disaient : « Si nous
eussions été du temps de nos pères, nous n'eussions pas persécuté les prophètes.
Vous êtes leurs vrais enfants (1), » puisque vous voulez faire comme eux, et
vous voulez avoir tout ensemble et la gloire de détester le crime, et le plaisir
de vous satisfaire en le commettant. Mais vous ne tromperez pas Dieu : au lieu
de recevoir les vaines excuses que vous semblez vouloir faire aux prophètes, il
vous punira de tous les crimes que vous aurez imités, à commencer par celui de
Caïn, dont vous avez imité la jalousie sanguinaire (2). Le moyen de désavouer
vos pères est de cesser de les imiter. Que si vous les imitez, les tombeaux que
vous érigez aux prophètes serviront plutôt de monument pour conserver la mémoire
des crimes de vos ancêtres que de moyen de les éviter. C'est pourquoi il y a
dans saint Luc : En bâtissant leurs sépulcres, pendant que dans votre cœur vous
désirez d'en faire autant aux prophètes que vous avez parmi vous, vous montrez
bien que cet extérieur de piété ne tend qu'à couvrir vos noirs desseins, et à
les exécuter plus sûrement en les cachant (3).
1 Matth., XXIII, 30, 31. — 2
Ibid., 35. — 3 Ibid., XI, 48.
217
« Remplissez la mesure de vos
pères : et que tout le sang juste vienne sur vous depuis Abel (1). » On mérite
le supplice de ceux qu'on imite : Dieu n'impute pas seulement le péché des pères
aux enfants, mais encore celui de Gain, quand on en suit la trace : et il y
aura parmi les méchants qui se seront imités les uns les autres une société de
supplices, comme parmi les bons qui auront vécu en unité d'esprit, une société
de récompenses.
Il prédit un supplice affreux
aux Juifs, et en effet le monde n'en avait jamais eu de semblable.
« Sur cette génération (2) : »
le temps approchait, et ceux qui étaient vivants le pouvaient voir.
Appliquons-nous à nous-mêmes ce
que nous venons de voir. Chacun persécute le juste, lorsqu'on le traverse,
lorsqu'on en médit, lorsqu'on le tourmente en cent façons. Et on dit en lisant
la Vie des Saints, où l'on voit la persécution des justes : Je ne ferais pas
comme cela : et on le fait, et on ne s'en aperçoit pas : et on attire sur soi la
peine de ceux qui ont persécute les gens de bien.
« Tout est écrit devant moi : je
ne m'en tairai pas : je vous rendrai» la juste punition de vos péchés : « je
mettrai dans votre sein vos péchés et ensemble les péchés de vos pères, et je
mettrai dans leur sein à pleine mesure leur ancien ouvrage (3). »
Comme il a pleuré Jérusalem !
Avec quelle tendresse il a présenté ses ailes maternelles à ses enfants qui
voulaient périr ! « Une poule, » c'est la plus tendre de toutes les mères. Elle
voudrait reprendre ses petits, non pas sous ses ailes, mais dans son sein s'il
se pouvait : digne d'être le symbole de la miséricorde divine.
Je trouve trois lamentations de
notre Sauveur, dont celles de Jérémie n'égaleront jamais la tendresse. A son
entrée : « Ah !
1 Matth., XXIII, 35. — 2 Ibid., 36. — 3
Isa., LXV, 6, 7.
218
si tu savais (1): » Ici : « Jérusalem, Jérusalem (2) ! »
Allant au Calvaire : « Filles de Jérusalem, pleurez sur vous-mêmes : Heureuses
les stériles : heureuses les entrailles qui n'ont point porté d'enfants, et les
mamelles qui n'en ont point allaité (3) ! » O malheureuse Jérusalem ! O âmes
appelées et rebelles ! que vous avez été amèrement pleurées! Revenez donc aux
cris empressés de cette mère charitable : ses ailes vous sont encore ouvertes :
« Ah ! pourquoi voulez-vous périr, maison d'Israël (4)? »
« Vous ne me verrez point
jusqu'à ce que vous disiez : Bienheureux, etc (5). »
Ces dernières paroles, depuis
ces mots : « Jérusalem, Jérusalem, » ont déjà été dites avant l'entrée du
Sauveur (6) : et alors il voulait dire qu'on ne le reverrait plus jusqu'au jour
de cette entrée. Ici l'entrée était faite; et il veut dire qu'il s'en allait
jusqu'au dernier jugement, qui n'arriverait pas que les Juifs ne fussent
retournés à lui et ne le reconnussent pour le Christ.
Le Sauveur a achevé ce qu'il
voulait : il a établi l'autorité de la chaire de Moïse : il a fait voir les abus
: il a expliqué le châtiment : il n'a pas tenu à sa bonté qu'ils ne l'aient
écouté, et ils ont voulu périr. Oh quel regret pour ces malheureux ! oh quelle
augmentation de leur supplice !
Apprenons à louer la miséricorde
divine dans les jugements les plus rigoureux : car ils ont toujours été précédés
par les plus grandes miséricordes.
« Combien de fois ai-je voulu !
» Ce n'est pas pour une fois que vous m'avez appelé, ô la plus tendre de toutes
les mères : et je n'ai pas écouté votre voix.
Ils remarquent tous deux
principalement l'affectation des
1 Luc., XIX, 42. — 2 Matth.,
XXIII, 37.— 3 Luc., XXIII, 28, 29. — 4 Ezech., XVIII, 31. — 5 Matth.,
XXIII, 39. — 6 Luc., XIII, 34, 35.
219
premières places et cet artifice de piller les veuves sous
prétexte d'une longue oraison, comme les choses les plus odieuses, comme les
plus ordinaires dans la conduite des pharisiens, dont aussi il se faut le plus
donner de garde. Dieu nous en fasse la grâce.
Tout ce que Jésus-Christ blâme
se réduit à ostentation, superstition, hypocrisie, rapine, avarice, corruption,
en un mot jusqu'à altérer la saine doctrine, en préférant le don du temple et de
l'autel au temple et à l'autel même.
Mais comment donc vérifier ici
ce qu'il a dit : « Faites ce qu'ils vous diront? » Car ils leur disaient cela
qui était mauvais : et ils avaient encore beaucoup de fausses traditions, que le
Fils de Dieu reprend ailleurs. Tous ces dogmes particuliers n'avaient pas encore
passé en décret public et en dogmes de la synagogue. Jésus-Christ est venu dans
le moment que tout allait se corrompre. Mais il était vrai jusqu'alors, que la
chaire n'était pas encore infectée, ni livrée à l'erreur, quoiqu'elle fût sur le
penchant. Qui nous dira, s'il n'en arrivera peut-être pas à peu près autant à la
fin des siècles ? Qui sait où Dieu permettra que la séduction aille dans les
docteurs particuliers? Mais avant que ces mauvais dogmes aient passé en décret
public, le second avènement se fera. Prenons garde cependant à ce levain des
pharisiens, et ne le faisons pas régner parmi nous.
Oh combien disent dans leur cœur
! Le temple n'est rien : l'autel n'est rien : le don, c'est à quoi il faut
prendre garde, et non-seulement ne le retirer jamais, mais l'augmenter, comme ce
qu'il y a de plus précieux dans la religion.
Prenons un esprit de
désintéressement, pour éviter ce levain des pharisiens.
Prenons garde, tout ce que nous
sommes de supérieurs, de ne nous réjouir pas de la prélature, mais de craindre
d'imiter les pharisiens dans ce point, que saint Marc et saint Luc ont observé
comme le plus remarquable.
Nous porterons la peine de tout
le sang juste répandu, de tous les canons méprisés, de tous les abus autorisés
par notre exemple : et tout sera imputé à notre ordre depuis le premier
relâchement.
La prodigieuse révolte du luthéranisme a été une punition
220
visible du relâchement du clergé, et on peut dire que Dieu
a puni sur nos pères et qu'il continue de punir sur nous tous les relâchements
des siècles passés, à commencer par les premiers temps où l'on a commencé à
laisser prévaloir les mauvaises coutumes contre la règle. Nous devons craindre
que la main de Dieu ne soit sur nous, et que la révolte ne dure jusqu'à ce que,
profitant du châtiment, nous ayons entièrement banni du milieu de nous tout ce
levain pharisaïque, cet esprit de domination, d'intérêt, d'ostentation; cet
esprit qui fait servir la domination au gain et à l'intérêt, soit que ce soit
celui de l'ambition, soit que ce soit celui de l'argent.
Pour mieux entendre notre devoir
et notre péril, considérons le même sermon de Notre-Seigneur, déjà fait dans
saint Luc une autre fois et avant son entrée.
L'occasion de ce discours fut
l'orgueil de ce pharisien, qui blâmait le Sauveur en son cœur, « parce qu'il ne
s'était pas lavé avant le repas. » Il commence à cette occasion à leur reprocher
« qu'ils lavaient le dehors, et négligeaient le dedans (1). »
La comparaison du sépulcre est
tournée ici au vers. 44 d’une manière différente de saint Matthieu. Car au lieu
que dans saint Matthieu Jésus-Christ propose des « sépulcres reblanchis, » ici
on parle de « sépulcres cachés, lorsque les hommes marchent dessus sans le
savoir (2) : » ce qui fait voir des hypocrites tout à fait cachés, avec qui on
converse sans les connaître pour ce qu'ils sont, tant leur malice est profonde.
Mais tout cela se révélera au grand jour : et plus leur désordre était caché,
plus leur honte, qui paraîtra tout d'un coup, sera éclatante.
Un docteur de la loi interrompt
cette pressante invective contre
1 Luc., XI, 38, 39. — 2 Matth.,
XXIII, 27; Luc, XI, 44.
221
les pharisiens, et présuma assez de lui-même pour croire
que le Sauveur se tairait, quand il lui aurait témoigné la part qu'il prenait à
son discours.: « Maître, lui dit-il, vous nous faites injure à nous-mêmes (1). »
Son orgueil lui attira ces justes reproches: « Malheur à vous aussi, docteurs de
la loi (2) ! » etc.
Ce qui est dit dans saint
Matthieu : « Je vous envoie des prophètes (3), » est expliqué en saint Luc : «
La sagesse de Dieu a dit (4) : » pour montrer que le Sauveur est la sagesse de
Dieu.
« Vous avez pris la clef de la
science. (5) » On distingue la clef de la science d'avec celle de l'autorité :
les docteurs voulaient s'approprier la clef de la science : que n'ouvraient-ils
donc au peuple? Mais ils se trompaient eux-mêmes et trompaient les autres : et
non contents de se taire, ce qui suffirait pour leur perte, ils étaient les
premiers à autoriser les fausses doctrines.
« Dès lors les pharisiens et les
docteurs de la loi commencèrent à le presser et à l'accabler de questions, en
lui dressant des pièges, pour exciter contre lui la haine du peuple (6). » Ils
sont pris dans les pièges qu'ils tendaient au Sauveur, et ils croient n'en
pouvoir sortir qu'en le perdant. Ainsi périt le juste pour avoir fait sou devoir
à reprendre les orgueilleux et les hypocrites.
Il venait de parler des
pharisiens et de leur artifice à tirer l'argent des veuves : il va montrer ce
qu'il faut estimer dans l'argent et quel en est le vrai prix.
« Jésus s'assit et regarde ceux
qui mettaient dans le tronc » ou dans le trésor: « Une pauvre veuve donna deux
petites pièces d'un liard : Elle a plus donné que tous (7). » Que l'homme est
riche ! Son argent vaut tout ce qu'il veut; sa volonté y donne le prix.
1 Luc., XI, 45.— 2 Ibid.,
46. — 3 Matth., XXIII, 34. — 4 Luc., XI, 49.— 5 Ibid.,
52. — 6 Ibid., 53, 54. — 7 Marc., XII, 43, 44; Luc, XXI,
1-3.
222
Un liard vaut mieux que les plus riches présents.
Manquez-vous d'argent : un verre d'eau froide vous sera compté, et on ne veut
pas même vous donner la peine de la chauffer. N’avez-vous pas un verre d'eau à
donner : un désir, un soupir, un mot de douceur, un témoignage de compassion; si
tout cela est sincère, il vaut la vie éternelle. Oh que l'homme est riche et
quels trésors il a en main !
Heureux les chrétiens d'avoir un
maître qui sait si bien faire valoir les bonnes intentions de ses serviteurs !
Aussitôt qu'il voit cette veuve qui n'adonné que deux doubles, ravi de sa
libéralité, « il convoque ses disciples, » comme à un grand et magnifique
spectacle.
« Elle a donné plus que tous les
autres, » quoique tous les autres eussent donné largement : « Mais les autres
ont donné le superflu et le reste de leur abondance, » sans s'apercevoir
d'aucune diminution ; « au lieu que celle-ci a donné tout ce qu'elle avait et
tout son vivre (1) : » s'abandonnant avec foi à la divine providence.
Voilà les aumônes que Jésus-Christ loue : celles où on
prend sur soi : car de telles aumônes sont les seules qui méritent le nom de
sacrifice.
Ce que Jésus-Christ avait prédit
de la ruine de Jérusalem, est ici plus particulièrement expliqué, et
Jésus-Christ y déclare ce qu'il n'avait pas encore dit, que le temple ne serait
pas excepté d'un malheur si prochain et périrait comme le reste. Il ne voulait
pas laisser ignorer à ses disciples un événement si important; et il choisit
pour s'en expliquer les jours prochains de sa mort, dont il devait être la
punition.
« Maître, voyez quelles pierres
et quelle structure (2)! » C'est ainsi que parlent les disciples en montrant le
temple au Fils de
1 Marc., XII, 43, 44; Luc., XXI, 4. — 2
Marc, XIII, 1.
223
Dieu : ces deux paroles en font la peinture : « Quelles
pierres, » de quelle beauté, de quelle énorme grandeur! «Quelle structure, »
quelle solidité, quelle ordonnance, quelle correspondance de toutes ses parties!
Saint Luc ajoute la richesse des dons, dont le temple était rempli (1), Il n'y
avait donc rien de plus solide, ni de plus riche : et néanmoins il périra : tant
de richesses, une si belle structure, tout sera réduit en cendres.
« Voyez-vous tous ces grands
bâtiments? En vérité, je vous le dis : il n'y demeurera pas pierre sur pierre
(2). » Enorgueillissez-vous de vos édifices, ô mortels: dites que vous avez fait
un immortel ouvrage et que votre nom ne périra jamais. Ce grand politique Hérode
croyait s'être immortalisé, en refaisant tout à neuf un si admirable édifice,
avec une magnificence qui ne cédait en rien pour la beauté de l'ouvrage à celle
de Salomon. Si quelque chose devait être immortelle, c'était un temple si
auguste, si suint, si célèbre : tout semblait le préserver des injures du temps
: sa structure, sa solidité. On épargne même dans les villes prises ces beaux
monuments comme des ornements, non des villes ni des royaumes, mais du monde.
Mais sa sentence est prononcée : il faut qu'il tombe. En effet Tite avait
défendu surtout qu'on ne touchât point à ce temple : mais un soldat animé par un
instinct céleste, comme Josèphe historien juif, qui était présent à ce siège et
qui a tout vu, le témoigne, y mit le feu et on ne le put éteindre (3). Les Juifs
avaient voulu le rebâtir sous Julien l'Apostat : le feu consuma les ouvriers qui
y travaillaient (4) : il fallait que tout fût détruit et à jamais: car
Jésus-Christ l'avait dit. Dieu voulait punir les Juifs, et en même temps par un
excès de miséricorde leur montrer qu'ils devaient chercher dans l'Eglise un
autre temple, un autre autel et un sacrifice plus digne de lui. Ainsi les
justices de Dieu sont toujours accompagnées de miséricorde, et il instruit les
hommes en les punissant. Il instruit les Juifs en deux manières : il leur fait
sentir leur crime en frappant jusqu'à sa maison : en la détruisant, il les
détache des ombres de la loi et les attache à la vérité.
1 Luc, XXI, 5. — 2 Marc.,
XIII, 2. — 3 Joseph., lib. De bell. Jud., cap. XVI. — 4 Amm.
Marcell., lib. XXIII, init.
224
Le temple avait accompli, pour
ainsi parler, tout ce à quoi il était destiné : le Christ y avait paru, selon
les oracles d'Aggée et de Malachie (1) : qu'il périsse donc, il est temps :
quelque saint que soit celui-ci par tant de merveilles et par le sacrifice
qu'Abraham y voulut faire d'Isaac son fils, il faut qu'il cède aux temples où
l'on offrira, selon le même Malachie, « un plus excellent sacrifice, depuis le
soleil levant jusqu'au couchant (2). »
« Dites-nous quand arriveront
ces choses, et quel est le signe de votre avènement et de la fin des siècles
(3). » C'est la demande que firent à Jésus ses principaux apôtres, Pierre,
Jacques, Jean et André, pendant qu'il était assis sur la montagne des Olives
(4). Remarquez que, dans leur demande, ils confondaient tout ensemble la ruine
de Jérusalem et celle de tout l'univers à la fin des siècles. C'est ce qui donne
lieu à Jésus-Christ de leur parler ensemble de l'une et de l'autre.
On demandera pourquoi il n'a pas
voulu distinguer des choses si éloignées. C'est, premièrement, par la liaison
qu'il y avait entre elles, l'une étant figure de l'autre : la ruine de
Jérusalem, figure de celle du monde et de la dernière désolation des ennemis de
Dieu. Secondement, parce qu'en effet plusieurs choses devaient être communes à
tous les deux événements. Troisièmement, parce que, lorsque Dieu découvre les
secrets de l'avenir, il le fait toujours avec quelque obscurité, parce qu'il
s'en réserve le secret ; parce qu'il ne veut pas contenter la curiosité, mais
édifier la foi; parce qu'il veut que les hommes soient toujours surpris par
quelque endroit. C'est pourquoi en les avertissant, pour les obliger à prendre
des précautions et encore pour leur faire voir que l'événement qu'il leur prédit
est un ouvrage de sa main, préparé
1 Agg., II, 8, 10; Malach.,
III, 1. — 2 Malach., I, 11. — 3 Matth., XXIV, 3; Marc,
XIII, 4; Luc, XXI, 7. — 4 Matth. et Marc., Ibid.
225
depuis longtemps, il ne laisse pas de réserver toujours
quelque chose qui surprenne, et qui inspire une nouvelle terreur lorsque le mal
arrive.
Voilà pourquoi la prédiction de
la ruine de Jérusalem, est en quelque sorte confondue avec celle du monde.
Apprenez, ô hommes, par l'obscurité que Jésus-Christ même veut laisser dans sa
prophétie, apprenez à modérer votre curiosité, à ne vouloir pas plus savoir
qu'on ne vous dit, à ne vous avancer pas au delà des bornes, et à entrer avec
tremblement dans les secrets divins.
Quoique Jésus-Christ confonde
ces deux événements, il ne laisse pas dans la suite, comme nous verrons, de
donner des caractères pour les distinguer.
Voilà de grandes choses, mais
encore en confusion. Considérons-les en particulier et tâchons de tirer de
chacune toute l'instruction que Jésus-Christ a voulu nous y donner.
Selon ce que nous venons de
dire, il faut qu'il y ait dans ces deux événements, dans le dernier jour de
Jérusalem et dans le dernier jour du monde, quelque chose qui soit propre à
chacun, et quelque chose qui soit commun à l'un et à l'autre.
Ce qui est propre à la
désolation de Jérusalem, c'est qu'elle sera investie d'une armée : c'est que
l'abomination de la désolation sera dans le lieu saint. C'est qu'alors on pourra
encore prendre la fuite, et se sauver des maux qui menaceront Jérusalem : c'est
que cette ville sera réduite à une famine prodigieuse, qui fait dire à notre
Sauveur : « Malheur aux mères : malheur à celles qui sont grosses : malheur à
celles qui nourrissent des enfants (1) ! » C'est que la colère de Dieu sera
terrible sur ce peuple particulier, c'est-à-dire sur le peuple juif : en sorte
qu'il n'y aura jamais eu
1 Luc., XXI, 23 ; Matth.,
XXIV, 19 ; Marc., XIII, 17.
226
de désastre pareil au sien. C'est que ce peuple périra par
l'épée, sera traîné en captivité par toutes les nations, et Jérusalem foulée aux
pieds par les gentils. C'est que la ville et le temple seront détruits, et qu'il
n'y restera pas pierre sur pierre, comme nous avons déjà vu. C'est que cette
génération, celle où l'on était, ne passera point, que ces choses ci ne soient
accomplies, et que ceux qui vivent les verront (1).
Ce qui sera particulier au
dernier jour de l'univers, c'est que le soleil sera obscurci, la lune sans
lumière, les étoiles sans consistance, tout l'univers dérangé : que le signe du
Fils de l'homme paraîtra : qu'il viendra en sa majesté : que ses anges
rassembleront ses élus des quatre coins de la terre, et le reste qui est exprimé
dans l'Evangile : que le jour et l'heure en sont inconnus; el que tout le monde
y sera surpris (2).
De là résulte la grande
différence entre ces deux événements, que Jésus-Christ veut qu'on observe. Pour
ce qui regarde Jérusalem, il donne une marque certaine : « Quand vous verrez
Jérusalem investie (3);» et ce qui est, comme nous verrons, la même chose : «
Quand vous verrez l'abomination de la désolation dans le lieu saint, où elle ne
doit pas être, sachez que sa perte est prochaine (4), » et sauvez-vous. On
pouvait donc se sauver de ce triste événement. Mais pour l'autre, qui regarde la
fin du monde, comme ce sera, non pas ainsi que dans la chute de Jérusalem un mal
particulier, mais un renversement universel et inévitable, il ne dit pas qu'on
s'en sauve, mais qu'on s'y prépare. Ce qui sera commun à l'un et à l'autre jour,
sera l'esprit de séduction, et les faux prophètes, la persécution du peuple de
Dieu, les guerres par tout l'univers et une commotion universelle dans les
empires, avec une attente terrible de ce qui devra arriver (5).
Considérons toutes ces choses
dans un esprit d'humiliation et d'étonnement. O Dieu, que votre main est
redoutable ! Par combien de terribles effets déployez-vous votre justice contre
les hommes ! Quelles misères précèdent la dernière et inexplicable
1 Luc., XXI, 32; Matth., XXIV, 34; Marc.,
XIII, 30. — 2 Matth., XXVI, 27, 36, 37. — 3 Luc., XXI, 20. — 4
Matth., XXIV, 15; Marc., XIII, 14; Luc, XXI, 20. — 5 Matth.,
XXIV, 4; Marc., XIII, 5; Luc, XXI, 8 et seq.
227
misère de la damnation éternelle ! « Qui ne vous
craindrait, ô Seigneur? qui ne glorifiera votre nom? O Seigneur tout-puissant,
vos œuvres sont grandes et merveilleuses! vos voies sont justes et véritables, ô
Roi des siècles! vous seul êtes saint, et toutes les nations vous adoreront (1)
! Tout genou se courbera devant vous (2), » les uns en éprouvant vos
miséricordes, les autres se sentant soumis à votre implacable et inévitable
justice.
En continuant la même lecture,
nous avons à considérer les marques de distinction des deux événements, qui nous
sont donnés dans l'Evangile. La distinction paraît assez clairement dans saint
Luc. Ce qui regarde en particulier Jérusalem, commence au chapitre XXI,
vers. 20, et se continue jusqu'au 25 ; et ce qui regarde le dernier jour de
l'univers commence au vers. 25, et se termine au vers. 31. La même chose paraît
à peu près en saint Matthieu, chap. XXIV, vers. 15, à ces paroles : «Lorsque
vous verrez l'abomination de la désolation, » d'où se continue le récit des maux
de Jérusalem jusqu'au vers. 27, où l'on commence à parler de l'avènement du Fils
de l'homme : ce qui se continue principalement depuis le vers. 29, jusqu'au 34.
On voit encore la même chose en saint Marc, chap. XIII, depuis le vers. 14, où «
l'abomination » nous est montrée « où elle ne doit point être : » d'où se
continue la ruine de Jérusalem jusqu'au vers. 24 : et là commence la prédiction
de la dernière catastrophe de l'univers jusqu'au vers. 30.
Il nous sera maintenant assez
aisé d'arranger la suite des événements, premièrement dans la ruine de
Jérusalem, et ensuite dans celle du monde, « L'abomination de la désolation dans
le lieu saint, » selon saint Matthieu, et « ou elle ne doit pas être, » dans
saint Marc, est visiblement la même chose que « Jérusalem
1 Apoc., XV, 3, 4. — 2 Isa., XLV, 24.
228
environnée d'une armée, » dans saint Luc, comme la
seule suite le fera paraître à un lecteur attentif. Mais ce qui ne laisse aucun
doute, c'est le rapport de ces mots : « Quand vous verrez l'abomination de la
désolation dans le lieu saint, » avec ceux-ci : « Quand Jérusalem sera investie
d'une armée. L'abomination, » selon le langage de l'Ecriture, signifie des
idoles. « L'abomination de la désolation, » ce sont donc des idoles désolantes,
tant à cause de l'affliction qu'elles causent par leur seul aspect au peuple de
Dieu, qu'à cause de la dernière désolation dont elles leur étaient un présage.
Or on sait que les armées romaines portaient dans leurs étendards les idoles de
leurs dieux, celles de leurs empereurs qui étaient du nombre de leurs dieux et
des plus grands : l'aigle romaine qui était consacrée avec des cérémonies qui la
faisaient adorer elle-même. Ainsi investir Jérusalem d'une armée romaine et en
porter les étendards aux environs de cette ville, c'était mettre des idoles dans
le lieu saint : auprès du temple qui était appelé par excellence le lieu saint :
dans la Judée dont la terre était consacrée à Dieu, sanctifiée par tant de
miracles, et pour cela appelée la terre sainte. Selon les ordres de Dieu, les
idoles n'y devaient jamais paraître. Et c'est pourquoi ce que saint Matthieu
exprime par ces mots : « L'abomination, » c'est-à-dire l'idole « dans le lieu
saint; » saint Marc l'explique par ceux-ci : « L'abomination » et l'idole « où
elle ne doit pas être : » c'est-à-dire dans un lieu et dans une terre dont la
sainteté la devait éternellement bannir de son enceinte : ce que saint Luc a
expliqué plus particulièrement, lorsqu'il a marqué « une armée autour de
Jérusalem : » une armée de gentils, puisque c'était « par les gentils que
Jérusalem devait être foulée aux pieds (1) : » par conséquent une armée remplie
d'idoles, puisque même elle les portait dans ses étendards et en un mot une
armée, romaine.
Ainsi le premier présage de la
ruine de Jérusalem, c'est d'être environnée d'idoles. Car auparavant on voit
dans Josèphe, que lorsqu'une armée romaine traversait la Judée, on obtenait des
princes qu'on n'y passât point avec les étendards, de peur de souiller d'idoles
une terre qui n'en devait jamais voir aucune.
1 Luc, XXI, 20, 24.
229
Mais à cette fois l'armée étalait ses idoles : on n'avait
plus de ménagement pour la terre sainte : c'était là le commencement de la
dernière hostilité contre Jérusalem et le prochain présage de sa chute.
Chrétien, ton corps et ton âme
sont la terre vraiment sainte, où jamais les idoles ne doivent paraître. Toute
créature mise à la place du Créateur, c'est une idole abominable, une idole
désolante : tout ce que tu aimes plus que Dieu, ou avec Dieu, ou au préjudice de
Dieu, renverse son trône ou le partage : c'est là le premier présage de ta
perte. Toute désobéissance, tout ce qui lève l'étendard contre Dieu, c'est le
commencement de ton malheur. De quelle affreuse désolation sera suivi ce
désordre ! de quels maux ne sera-t-il pas le présage !
Ces paroles de saint Matthieu et
de saint Marc : « L'idole dans le lieu où elle ne doit pas être ; » et celles de
saint Luc : « Jérusalem environnée d'une armée, » ne marquent pas encore le
dernier siège de Jérusalem sous Tite, où elle périt sans ressource. Car les
évangélistes disent ici : Quand vous verrez ces idoles, ce siège, « fuyez dans
les montagnes. » Or depuis le siège de Tite, il n'y avait pas moyen de fuir ni
de sortir de la ville : car elle était tellement serrée de tranchées, de
murailles et de forteresses, qu'il n'y avait plus aucune issue. C'est ce siège
que le Sauveur avait prédit en entrant dans Jérusalem, lorsqu'il disait avec
larmes : Ville infortunée, « tes ennemis t'environneront de tranchées, et te
fermeront de toutes parts (1) » Aussi ne leur parle-t-il pas alors, comme ici,
de prendre la fuite ; car il savait bien qu'en cet état il n'y en aurait plus
aucune espérance : mais d'une perte
1 Luc., XIX, 43.
230
totale et a d'un entier renversement, et pour la ville et
pour ses enfants (1). » Ici donc il parle d'un autre siège, qui arriva à
Jérusalem quelques années avant celui de Tite, lorsque Cestius Roms l'investit,
Ces deux sièges sont bien marqués dans Josèphe, et très-nettement distingués
dans l'Evangile. Dans le premier, dont il est parlé dans les chapitres que nous
méditons (2), on ne voit ni tranchées ni forts, mais seulement une année qui se
répand aux environs et ce qu'elle avait de plus détestable, c'était ses idoles.
Dans le second on voit des forts, des tranchées, et un siège dans toutes les
formes. On pouvait échapper dans la première occasion : car les troupes
n'arrivent pas tout à coup et la garde n'est pas si exacte : dans la seconde, il
n'y a rien à attendre qu'à périr.
On voit là deux états de l'âme.
Lorsque le péché commence à l'investir, pour ainsi dire, et à répandre de tous
côtés comme des idoles les mauvais désirs : cette année impure ne fait que nous
entourer, de manière que nous pouvons encore échapper. Les tram-liées, les
forts, le siège en forme, c'est le vice fortifié par L'habitude. Fuyons dès le
premier abord, dès que nous voyons paraître l'étendard du péché : car si nous
lui laissons élever ses forts et former ses habitudes, il n'y a presque plus
rien à espérer.
Si à ce premier abord de l'année
romaine, à cette première apparition de ses étendards et de ses idoles autour de
Jérusalem, on ne prend la fuite vers les montagnes; si sans en faire à deux
fois, on n'emporte d'abord tout ce qu'on pourra et de la ville et de la
campagne; si l'on ne sort promptement de cette ville réprouvée , ou que ceux qui
sont dehors osent y entrer : « on sera ravagé par l'épée : on sera traîné en
captivité par toute la terre (3). » La famine sera si horrible, que les mères
malheureuses verront périr leurs enfants entre leurs bras. C'est en effet ce qui
arriva à
1 Luc., XIX, 44. — 2 Matth., XXIV; Marc,
XIII; Luc, XXI. — 3 Luc, XXI, 24.
231
Jérusalem dans un si grand excès, que l'univers n'avait
jamais vu rien de semblable.
Jésus-Christ prédit encore la
même calamité allant au supplice : « Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur
moi, mais pleurez sur. vous et sur vos enfants, parce qu'il viendra des jours où
l'on dira : Bienheureuses les stériles : bienheureuses les entrailles qui n'ont
pas engendré, et les mamelles qui n'ont pas nourri (1) ! » Qui est précisément
la même chose qu'il marque ici par ces mots : « Malheureuses les mères :
malheureuses les nourrices (2)! » Et pour montrer l'excès de cette misère, il
finit par ces paroles : «Alors ils commenceront à dire aux montagnes : Tombez
sur nous; et aux collines : Couvrez-nous : car si l'on fait ainsi au bois vert,
» à la justice, à la sainteté, à Jésus-Christ même, « que fera-t-on au bois sec
(3), » qui n'est plus bon que pour le feu ; et aux pécheurs destitués de tout
sentiment de piété, qui n'ont plus à attendre que le dernier coup ?
Méditons ceci en tremblant,
pécheurs malheureux! Pesons les maux qui nous sont prédits. Tout l'univers
renversé sur nous, en sorte que les montagnes nous écrasent et que les collines
nous enterrent, ne sont rien en comparaison : ce renversement, qui en lui-même
paraît si affreux, devient désirable à comparaison des maux qui nous attendent.
Tombez sur nous, montagnes; enterrez-nous, coteaux. Plût à Dieu que nous en
fussions quilles pour cela! Déplus grands maux nous sont préparés : Dieu
déploiera sa main vengeresse par des coups plus insupportables. Et en voici la
raison : Si Jésus-Christ a tant souffert pour avoir seulement porté la
ressemblance du péché, que sera-ce de nous, en qui il a versé tout son venin,
qui en portons au dedans de nous toutes les horreurs ?
« O Seigneur, » chantait le
Psalmiste, « vous avez donné un signe à ceux qui vous craignent, afin qu'ils
pussent éviter l'arc tendu contre eux (4). » O Seigneur, vous avez aiguisé vos
flèches, elles ne respirent que le sang : votre arc est prêt à tirer et nos
cœurs seront percés de vos coups : mais avant que de lâcher la main, vous
menacez, vous avertissez, afin qu'on fuie votre colère
1 Luc, XXIII, 28, 29.—2 Ibid.,
XXI, 23.— 3 Ibid., XXIII, 30, 31.— 4 Psal. LIX, 6.
232
menaçante : c'est le signe de salut que vous nous donnez.
Mais vous ne le donnez qu'à ceux qui vous craignent : les autres, endormis dans
leurs péchés, ne veulent pas seulement vous entendre, ni écouter d'autre voix
que celle qui les porte au plaisir : mais ceux à qui il reste encore quelque
crainte de vos jugements, ô Dieu, qu'ils tremblent à vos menaces, afin qu'ils
évitent vos coups.
« Serpents, engeance de vipères,
qui vous apprendra à fuir la colère qui vous poursuit (1)? » C'est ce que saint
Jean disait aux Juifs. Jésus-Christ leur en dit encore beaucoup davantage ; et
il redouble ses menaces à la veille de sa mort, qui devait causer tous ces maux
à son peuple ingrat. Il leur avait montré tant d'amour: il avait confirmé sa
mission par tant de miracles : il leur dénonce encore le terrible châtiment
qu'ils avaient à craindre, « pour n'avoir pas profité du temps où il les avait
visités (2). » Il leur prédit ces maux avec larmes, afin de leur faire voir
qu'il n'en faisait pas seulement une sèche prédiction : ils sont insensibles :
nous nous en étonnons ; mais notre étourdissement n'est pas moins grand que le
leur : étonnons-nous de nous-mêmes.
« Ce sont ici les jours de
vengeance pour accomplir tout ce qui a été écrit : Malheur aux femmes grosses,
et à celles qui nourrissent ! Car il y aura de grandes nécessités et une grande
colère se déploiera sur ce peuple : ils passeront par le fil de l'épée : ils
seront emmenés captifs par toutes les nations ; et Jérusalem sera foulée aux
pieds par les gentils, jusqu'à ce que le temps des gentils soit accompli (3). »
Après que cette ville aura été investie, après qu'elle aura été assiégée
régulièrement et environnée de tranchées et de forteresses, trois plaies
tomberont sur elle : l'épée, la famine, la captivité.
L'épée : c'est la blessure de
l’âme : la division entre ses parties :
1 Matth. III, 7; XXIII, 33;
Luc, III, 7. — 2 Luc., XIX, 41-44. — 3 Ibid., XXI, 22-24.
233
nulle continuité : nulle union : le sang de l’âme
s'écoulera par cette ouverture : toutes ses forces se dissiperont : elle n'aura
plus de résistance. Ah quel état ! On ne résiste plus aux tentations : le péché
emporte tout : c'est la faiblesse de l’âme à qui tout échappe et qui s'échappe à
elle-même : les chutes sont continuelles et irréparables : on ne se peut plus
relever. Telle est la plaie de l'épée : le cœur est ouvert, et ne retient plus
ni la grâce ni la vérité.
La famine : c'est la
soustraction des aliments : non-seulement quand ils manquent ; mais encore, ce
qui est bien pis, quand le principe pour en profiter manque tout à fait. Tout
abonde autour du malade ; les restaurants sont tout prêts : mais ou on ne peut
les prendre ; ou l'estomac contraint par force à les recevoir, ni ne les digère,
ni ne les distribue, ni n'en profite. Au milieu des sermons, des bons exemples,
des saintes lectures, des observances d'une vie toute consacrée à Dieu, on
périt, on demeure sans nourriture : la vérité ne fait plus rien à cette âme :
elle ne s'en nourrit pas : elle n'en vit pas. Ses œuvres, qui sont les enfants
qu'elle nourrit, tombent en langueur : tout y dépérit visiblement : ou elle ne
produit rien de bon, ou si elle produit, ce bien ne se soutient pas. Hélas !
hélas ! qu'y a-t-il de plus déplorable que cette famine?
La captivité : « Jérusalem sera
foulée aux pieds par les gentils : » l’âme abattue par tous les vices : accablée
de fers qu'elle ne peut porter ni rompre, elle est traînée en captivité d'objet
en objet : toutes les passions la dominent et la tyrannisent tour à tour : elle
pense être en repos contre l'amour des plaisirs ; l'ambition la met sous le joug
: l'avarice l'assujettit, et ne lui laisse pas le temps de respirer; tant elle
l'accable d'affaires, de soins, de travaux. Hélas ! hélas! où en es-tu, âme
raisonnable, faite à l'image de Dieu? blessée, percée de tous côtés : outre cela
affamée : pour comble de maux captive : sans force, sans nourriture pour te
rétablir : sans liberté : ah, quel malheur est le tien !
Il faut remarquer ce dernier mot
: « Jusqu'à ce que les temps des nations soient accomplis'. » Il y a un temps
des nations: un temps que les gentils doivent persécuter l'Eglise : un temps
1 Luc, XXI, 21.
234
qu'ils y doivent entrer : après ce temps les Juifs que les
nations devaient jusqu'alors fouler aux pieds, reviendront; « et après que la
plénitude des gentils sera entrée, tout Israël, » tout ce qui en restera, « sera
sauvé (1) : » l'aveuglement d'Israël n'a été permis que pour préparer les voies
à l'accomplissement d'un si grand mystère.
Ame pécheresse, il y a pour toi,
malgré tes péchés, une ressource infaillible : l'excès même de ton malheur peut
être, comme à Israël, le commencement de ton retour. Israël fatigué de ses
révoltes, de ses malheurs, de sa vaine crédulité et de ses frivoles espérances :
las de toujours attendre sans rien voir, de soupirer après un Messie qui ne
vient point, parce qu'il est déjà venu, se réveillera : il commencera à
connaître combien il avait tort de se consumer en espérances frivoles, au lieu
de jouir de son Christ, qu'il avait si longtemps méconnu: et déplorant l'excès
de son aveuglement, il ouvrira enfin les yeux à la véritable lumière. Fais
ainsi, âme chrétienne : le péché a eu son temps : le temps que tu y as consumé
te suffit pour contenter des désirs frivoles, et nourrir des espérances
trompeuses. En un mot, comme dit saint Pierre , « le temps passé est plus que
suffisant pour accomplir la volonté des gentils (2) ; » pour mener une vie
païenne selon les désirs de la chair, comme si on n'avait point de Dieu et qu'on
ne connût pas Jésus-Christ. Nous avons passé assez de temps «dans la débauche,
dans la convoitise , dans le vin , dans la bonne chère, dans l'ivresse, » dans
le culte des idoles : non-seulement de celles que la gentilité adore, mais
encore de celles que nos passions érigent dans notre cœur. Il est temps de
revenir de si grands excès : l'égarement a été assez grand, pour être enfin
aperçu : il faut maintenant revenir à soi, et « qu'où le péché a abondé, la
grâce surabonde (3) » à son tour.
1 Rom.,
XI, 25, 26. — 2 1 Petr., IV, 3. — 3 Rom.,
V, 20.
230
Voilà ce qui regardait Jérusalem
désolée, et dans sa désolation la figure de l’âme livrée au péché. Ce qui
regarde la fin du monde, c'est l'obscurité dans le soleil : celle de la lune :
le dérangement dans les étoiles : le signe du Fils de l'homme, c'est-à-dire
connue l'interprètent les saints docteurs, l'apparition de sa croix : sa
descente sur les nuées en grande puissance et majesté : la trompette de ses
anges qui citeront tous les hommes à son jugement : le recueillement de ses élus
: l'assemblée de tous les aigles, c'est-à-dire de tous les esprits élevés autour
du corps du Sauveur (1) : le bruit de la mer et des flots, avec la commotion de
tout l'univers et des puissances célestes qui sont préposées à sa conduite : les
hommes sèches de frayeur dans l'attente de ce qui devait arriver au monde (2)
après tant de mouvements également violens et irréguliers. Pesez toutes ces
choses. Et afin de voir combien est ferme l'espérance du chrétien, et combien il
est au-dessus de tous les troubles et de tout le monde, accoisez (a) tous les
mouvements de votre intérieur pour écouter cette parabole : « Quand toutes ces
choses arriveront : » quand toute la nature déconcertée par des agitations si
imprévues, ne nous menacera de rien moins que d'une perte inévitable, « regardez
alors : » vous qui n'osiez seulement lever Les yeux , « levez la tête » comme
pour vous élever au-dessus des flots et des tempêtes, « parce qu'alors votre
rédemption approche (3). »
A quelle épreuve ne doit pas
être la confiance du chrétien, si la dernière révolution du monde, loin de le
troubler, ne lui inspire que de l'espérance et du courage ?
1 Matth., XXIV, 27-31. — 2 Luc.,
XXI, 25, 26. — 3 Ibid.,28.
(a) Rendez cois, apaises, calmez.
236
Sans lecture, sans raisonnement
étudié, je demande seulement ici que l'on considère d'un côté, la main puissante
de Dieu qui pousse à bout toute la nature, les astres, les terres, les mers, et
le courage de l'homme qu'il fait « sécher de frayeur (1) ; » et de l'autre, la
même main, qui dans ce renversement universel relève de telle sorte le courage
de ses enfants, que non-seulement ils ne tombent pas dans ce choc que souffre le
monde, mais ils s'élèvent au-dessus de ses ruines. « Regardez (2) : » loin de
vous cacher dans cette tempête, comme un autre Jonas, ouvrez tout et considérez
ce tumulte avec un regard assuré : loin de vous laisser abattre, « levez la tête
: » et voyez tout au-dessous de vous.
Tel qu'un homme qui lève la tète
au milieu des flots : tel que celui qui demeure ferme au milieu d'une maison qui
tombe : ou celui qui voit d'un œil tranquille le chariot où il est, que des
chevaux emportés, après avoir secoué les rênes et brisé leur mords, traînent
deçà et delà ; tel est le fidèle toujours immobile et inébranlable au milieu de
la nature troublée et de ses mouvements déconcertés, parce que le Dieu de la
nature le tient par la main. Tu crains, Pierre, au milieu des flots, et tu ne
connais pas celui qui te tient ! « Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté (3)
! »
« Celui qui se fie en Dieu, est
comme la montagne de Sion : celui qui a sa demeure dans Jérusalem, ne sera
jamais ébranlé. Comme les montagnes sont à l'entour de Jérusalem, ainsi Dieu est
à l'entour de son peuple pour le protéger (4). » La sainte montagne de Sion,
inébranlable par la puissance de Dieu qui l'affermit, communique son immobilité
et sa tranquillité à ses habitants.
Chantez aussi le Psaume
CXX : Levavi oculos, et apprenez à ne rien craindre sous la main de Dieu.
1 Luc, XXI, 25, 26. — 2 Ibid.,
28. — 3 Matth., XIV, 31. — 4 Psal. CXXIV, 1, 2;
237
« En vérité, en vérité, je vous
le dis : Cette génération-ci ne finira point, jusqu'à .ce que toutes ces
choses-ci soient accomplies : le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne
passeront point. Mais pour ce jour et cette heure-là, ni les anges mêmes qui
sont dans le ciel, ni le Fils ne la savent pas, ni personne que mon Père (1). »
Voilà deux temps bien marqués :
Hœc, et illa, en grec comme en latin, marquent deux temps opposés
: l'un plus proche, l'autre plus éloigné. « Cette génération-ci verra toutes ces
choses-ci accomplies : Generatio hœc : omnia hœc : omnia ista : Mais pour
ce jour-là , pour cette heure-là : De die autem illâ et horâ, personne ne
la sait. » Comme s'il disait : Je vous ai parlé de deux choses : de la ruine de
Jérusalem et de celle de tout l'univers au jugement : ce qui doit arriver dans
la génération où nous sommes, et dont les hommes qui vivent doivent être les
témoins, je vous en marque le temps et cette génération ne passera pas qu'il ne
s'accomplisse. Voilà pour l'événement auquel nous touchons. Mais pour ce
jour-là, ce jour où je viendrai juger le monde, personne n'en sait rien, et je
ne dois pas vous le découvrir. Il est donc marqué clairement que la chute de
Jérusalem était proche : et l'Eglise le devait savoir : mais pour ce jour-là,
pour ce dernier jour, où tout l'univers sera en trouble et où le Fils de l'homme
viendra en personne, on n'en sait rien : on ne sait ni s'il est loin, ni s'il
est près : et le secret en est impénétrable, et aux anges qui sont dans le ciel,
et à l'Eglise même, quoiqu'elle soit enseignée par le Fils de Dieu.
Il faut donc entendre ici, par
les choses que le Fils ne sait pas, celles qu'il ne sait pas pour son Eglise ni
dans son Eglise, et qu'il
1 Matth., XXIV, 34-30; Marc., 30-32.
238
ne doit point lui révéler, conformément à cette parole : «
Vous êtes mes amis, et je vous ai fait connaître tout ce que j'ai ouï de mon
Père (1) : » tout ce que j'ai ouï pour vous, tout ce qui était compris dans mon
instruction. Ou, comme il dit ici : « Je vous ai tout prédit (2), » tout ce que
je devais vous prédire. Le reste, je le sais bien par l'étroite société qui est
entre mon Père et moi : mais je ne le sais pas par rapport à vous, et selon le
personnage que je suis venu faire parmi les hommes.
Adorons l'impénétrable secret de Dieu , et renfermons-nous
dans les bornes où il a voulu terminer les lumières de son Eglise.
« Le Fils de Dieu doit venir
comme un voleur. Mille ans de délai, c'est devant lui le délai d'un jour (3) : »
ce n'est point en devinant les moments que vous éviterez la surprise : « il
viendra de nuit, » parmi les ténèbres, et sans bruit, « comme un voleur (4) : »
deux choses qui rendent sa marche impénétrable. Voulez-vous donc n'être pas
surpris, veillez toujours : ne dormez jamais pour votre salut; et « vivez comme
des enfants de lumière, sans participer aux œuvres infructueuses des ténèbres
(5). »
Sans entrer dans un esprit de
curiosité et de dispute, permettez-moi, ô Jésus, de vous demander d'où vient que
vous avez dit que « personne ne connaît l'heure du jugement dernier, non pas
même les anges ni le Fils? » Car vous n'avez pas ignoré combien on abuserait de
cette parole qui a tait dire aux ariens, ennemis de votre divinité, que vous
ignoriez quelque chose, même comme Dieu et comme Verbe : et que vous n'étiez pas
de même science ni par conséquent de même perfection ni de même nature que votre
Père. Et néanmoins en nommant ceux qui ne savent pas la
1. Joan., XV, 15. — 2 Marc., XIII, 23. — 3 II
Petr., III, 8, 10. — 2 Thessal. V, 2, 4.— 3 Ephes., V, 8,
11.
239
dernière heure, il vous a plu non-seulement de nommer les
anges ; mais encore votre évangéliste saint Matthieu n'ayant nommé qu'eux, votre
évangéliste saint Marc instruit par saint Pierre, le prince de vos apôtres et le
chef visible de votre Eglise , et votre Esprit qui les conduisait, a voulu que
nous sussions que vous avez dit : « Ni le Fils ni autre que le Père (1). »
Pour moi, mon Dieu, je confesse
avec votre apôtre saint Thomas que « vous êtes mon Seigneur et mon Dieu (2) : »
et avec votre apôtre saint Paul, que « vous êtes égal à Dieu (3); et Dieu béni
au-dessus de tout (4) : » et avec votre apôtre saint Jean, que « vous êtes le
Verbe qui était au commencement avec Dieu, et qui était Dieu lui-même (5), » et
que « vous êtes le vrai Dieu et la vie éternelle (6) : » et enfin avec toute
votre Eglise catholique, que vous êtes le Fils unique de Dieu, coéternel et
consubstantiel à votre Père : et loin de croire que comme Verbe vous ayez pu
ignorer quelque chose, et ignorer en particulier le jour du jugement, je ne veux
même pas croire que vous ayez pu l'ignorer comme homme et selon la dispensation
de votre chair.
Et premièrement malheur à ceux
qui osent dire que vous qui êtes le Verbe, la parole, la raison, l'intelligence,
la sagesse de votre Père : cette sagesse « qui lui assistiez lorsqu'il a créé
l'univers, avec laquelle il disposait et composait toutes choses (7), par qui
toutes choses ont été faites (8), » n'avez pas su de toute éternité ce qu'il
devait faire par vous. Or il devait faire par vous toutes choses, et plus
encore, s'il se peut, le siècle futur que le siècle présent, puisque vous êtes
celui dont il est écrit, que « par vous il a fait même les siècles (9). » Car
n'est-ce pas dire clairement que tous les siècles se développent par votre
ordre, et sont disposés dès L'éternité par votre volonté? Et si c'est par vous
que tous les siècles sont faits, le dernier jour ne sera-t-il pas aussi votre
ouvrage ! Et ce jour auquel aboutit tout votre ouvrage, qui en est la
consommation, qui en est la fin. sera-t-il Le seul que vous n'aurez pas fait? Ou
l'ayant fait, sera-t-il le seul que vous n'ayez pas
1 Marc., XIII, 32. — 2 Joan., XX;
28. — 3 Philipp., II, 6. — 4 Rom.,
IX., IX, 5. — 5 Joan., I, 1. — 6 Ibid., V, 20. — 7 Sapient.,
IX, 4, 9. — 8 Joan., I, 3. — 9 Hebr., I, 2.
240
connu ? Et ce jour, qui est le terme où se rapportent tous
vos conseils, n'aura-t-il pas entré dès le commencement dans vos desseins? Ou y
aura-t-il quelque chose que Dieu n'ait pas disposé par sa sagesse, ni ordonné
par sa parole? quelque chose qu'il ait caché à celui qui est sa sagesse et son
conseil? Et « le Fils unique qui réside dans le sein du Père, » n'y a-t-il pas
vu ce secret? Personne n'a vu Dieu que lui, et « c'est lui-même qui est venu
nous l'annoncer (1) » Mais y a-t-il quelque chose dans le sein de Dieu qui lui
ait été caché? Erreur, impiété, blasphème, retirez-vous : rentrez dans l'enfer
dont vous êtes sortis : car faudrait-il dire encore que le Saint-Esprit, « qui
sonde, qui pénètre tout, et même les secrets et les profondeurs de Dieu (2), »
ce qu'il y a de plus caché dans ses desseins, n'aura pas vu un secret si
important, ni connu le dernier jour? ou que cet Esprit l'aura vu, pendant que le
Fils « de qui il prend comme du Père (3), » l'aura ignoré? Absurdité par-dessus
l'impiété : que l'Esprit « qui annonce l'avenir, et qui distribue comme il veut
les dons et les connaissances (4), » n'ait pas tout dans la perfection qui
convient au principe et à la source. Car il faudrait l'excepter comme Fils, s'il
fallait prendre à la rigueur ce que vous avez prononcé, que « ni les anges ni le
Fils ne savent ce jour, ni aucun autre que le Père (5). »
Je continuerai, ô mon Sauveur, à
considérer en tremblant, cette parole que vous avez prononcée : « Ni le Fils. »
Où est donc cette autre parole où vous disiez : « Tout ce qu'a mon Père est à
moi (6) : toutes choses ont été mises entre mes mains par mon Père : et personne
ne connaît le Fils, si ce n'est le Père : et personne ne connaît le Père, si ce
n'est le Fils et celui à qui il a plu au Fils de
1 Joan., I, 18. — 2 I Cor.,
II, 10, 11. — 3 Joan., XVI, 15. — 4 I Cor., XII, 4. — 5 Marc,
XIII, 32. — 6 Joan., XXI, 15.
241
le révéler (1). » Tout est commun entre votre Père et vous
: et la connaissance du dernier jour ne vous sera pas commune? Vous qui seul
connaissez le Père, et qui seul le faites connaître à qui il vous plaît, ne
l'aurez pas connu tout entier, ni pénétré tout son secret ! S'il faut excepter
quelque chose dans la connaissance que vous avez de lui, il faudra donc excepter
quelque chose dans celle qu'il a de vous, puisqu'en parlant de cette
connaissance incommunicable à tout autre qu'à vous deux, que vous avez l'un de
l'autre, vous dites également : « Nul ne connaît le Père, si ce n'est le Fils :
et nul ne connaît le Fils, si ce n'est le Père? » Tout vous est donné par le
Père : « le Père aime le Fils et lui a tout mis entre les mains (2) : » et vous
ne saurez pas tout ce qu'il vous a mis entre les mains! Mais comment cela se
pourrait-il, puisque vous dites encore : « Le Père aime le Fils et lui montre
tout ce qu'il fait (3)? » Ainsi avec le même amour qu'il lui donne tout, il lui
montre tout aussi. Est-ce ici le seul endroit où il ait donné des bornes à son
amour? la seule connaissance qu'il lui ait déniée? le seul don qu'il ait reçu
avec mesure, « lui qui a reçu sans mesure tout le reste (4) » afin « que nous
reçussions tous , » et chacun de nous « ce qu'il a du fond de sa plénitude (5) !
»
Mais parmi toutes choses que
votre Père a mises entre vos mains, ce qu'il y a le plus mis, c'est le jugement,
puisqu'il s'en est en quelque sorte dépouillé lui-même pour vous le donner. D'où
vient que vous avez dit : « Le Père ne juge personne, mais il a remis au Fils
tout le jugement (6). » Mais en même temps vous avez dit, que « le Fils ne fait
que ce qu'il voit faire à son Père. » Ce qui fait aussi que « le Père l'aime et
lui montre tout ce qu'il fait (7), » comme on vient de voir.
Mais si vous devez connaître
tout ce que le Père a ordonné sur le jugement dernier, parce que c'est à vous
qu'il est remis, et que vous êtes vous-même ce souverain juge qui paraîtrez en
ce jour avec une majesté et une puissance divine, il s'ensuit que vous
connaissez tout cela même comme homme, parce que c'est comme homme que vous
devez juger. Ce qu'il vous a plu de nous expliquer
1 Matth., XI, 27. — 2 Joan., III, 35. — 3 Joan.,
V, 20. — 4 Joan., III, 34. — 5 Joan., I, 10. — 6 Joan., V,
22. — 7 Ibid., 19, 20.
242
en disant que « le Père a donné au Fils la puissance
déjuger, parce qu'il est le Fils de l'homme (1).» Vous savez donc tout, même
comme homme : vous savez tout ce qui regarde le jugement : vous en savez sans
difficulté le jour et l'heure, puisque vous en savez toute la sagesse, et que la
sagesse consiste principalement à prendre les moments, conformément à cette
parole : « Chaque chose a son temps (2), » et dans le monde tout est compassé;
tout est rangé dans son lieu ; « tout se passe au temps qui lui est marqué par
la sagesse qui règle tout. »
Vous êtes notre chef, et nous
sommes vos membres : vous savez toute l'économie de votre corps : vous
connaissez toutes vos brebis : vous savez celles qui sont venues, et celles qui
sont encore à amener : vous les connaissez et les nommez distinctement : vous
nommez tous ceux que votre Père vous a donnés, et tout vous est connu depuis le
premier jusqu'au dernier de vos élus : et vous marquez tous les temps où vous
les devez appeler, et les incorporer à votre corps (3). Car c'est vous qui les
devez recueillir; et en les recueillant vous ne faites qu'exécuter ce que vous
aviez destiné avec votre Père, dès que vous posâtes les fondements de votre
Eglise : vous en avez révélé les persécutions à votre apôtre saint Jean : il en
a vu tout le cours : il a vu la dernière comme les autres : et celle qui ne
finirait qu'avec la fin du monde « et avec le feu de votre dernier jugement (4)
» Les temps vous sont connus comme tout le reste : vous savez ce que veulent
dire ces mille ans où vous avez déterminé le règne de vos saints sur la terre ;
et ce que vous avez révélé en énigme à votre bien-aimé disciple, n'est pas
énigme pour vous. Tout vous est connu : « Vous êtes le scrutateur des reins et
des cœurs. » Vous avez en votre puissance le livre où sont écrits les secrets de
Dieu et ses décrets éternels; et les sept sceaux qui le ferment n'y sont pas
pour vous, puisque vous les ouvrez quand il vous plaît, à qui il vous plaît, et
pour les raisons qu'il vous plaît (5). Et sous le septième sceau étaient
enfermés tous les événements futurs, puisque c'est de là que se développent et «
les trompettes » et les Vœ (6), et tout le reste,
1 Joan., V, 27. — 2 Eccle., III, 1. — 3 Joan.,
X. — 4 Apoc, XX, 7-10. — 5 Apoc.,
II, 23 ; V, 1, 2 et seq. — 6 Apoc., VIII, 1 et seq.
243
qui était l'histoire de l'Eglise : c'est pourquoi lorsque
vos apôtres vous interrogeaient sur le temps où vous rétabliriez le royaume
d'Israël, vous leur répondîtes : « Ce n'est pas à vous à le savoir (1). »
O Seigneur, s'il m'est permis de
vous interroger encore, que ne parliez-vous en la même sorte à vos apôtres ; et
que ne leur disiez-vous : Ce n'est pas à vous à le savoir, au lieu de dire que «
le Fils ne le savait pas? »
Peut-être se faudrait-il taire
encore ici ; et qu'au lieu de se fatiguer à examiner ce .passage, il faudrait se
dire à soi-même : Ce n'est pas à moi à l'entendre : ce n'est pas à moi à savoir
pourquoi vous avez parlé en cette sorte : j'acquiesce, ô mon Sauveur, et je ne
recherche ce mystère que pour y trouver quelque instruction, s'il vous plaît de
me la donner. Mais peut-être qu'elle est déjà toute trouvée : peut-être que
cette parole : « Ce n'est pas à vous à entendre les temps ni les moments que le
Père a mis en sa puissance (2) : » est le dénouement de celle où vous avez dit :
« Pour ce jour et cette heure-là, nul ne la sait que le Père, et le Fils même ne
la sait pas (3). » Ce que le Fils ne sait pas en cet endroit, c'est ce qu'il ne
nous appartient pas de savoir : le Fils comme notre docteur, le Fils comme
l'interprète de la volonté de son Père envers les hommes, ne le sait pas, parce
que cela n'est pas compris dans ses instructions, ni dans tout ce qu'il a vu
pour nous, ainsi que nous l'avons dit. Et le Fils de Dieu parle ainsi pour
transporter en lui-même le mystère de notre ignorance, sans préjudice de la
science qu'il avait d'ailleurs, et nous apprendre, non-seulement à ignorer, mais
encore à confesser sans peine que nous ignorons, puisque lui-même qui n'ignorait
rien et surtout qui n'ignorait pas cette heure dont il était le dispensateur,
ayant trouvé un côté par où il pou voit dire qu'il l'ignorait, parce qu'il
l'ignorait dans son corps et qu'il était de son dessein que son Eglise
l'ignorât, il dit tout court qu'il l'ignore et nous enseigne à ne rougir pas de
notre ignorance.
J'ignore donc de tout mon cœur,
et ce mystère, et tous les autres que vous voulez me cacher et que vous ne savez
pas en moi ni pour moi. J'ignore le jour où vous viendrez, parce que
1 Act., I, 7.— 2 Ibid.— 3 Marc., XIII,
32.
244
vous m'avez dit « que vous viendriez comme un voleur. »
Mais si on ne sait pas quand le voleur viendra, le voleur n'en sait pas moins
quand il veut venir : vous savez donc, voleur mystique, vous savez quand vous
viendrez ; et les enfants de ce siècle ne seront pas plus prudents, plus avisés
dans leurs desseins, plus éclairés dans l'ordre qu'ils mettront à leur
exécution, que vous qui êtes la lumière même, la sagesse même. Vous savez donc,
encore un coup, quand vous viendrez à la dérobée , demander à chacun de nous, et
demander à tout le genre humain, le compte que nous vous devons de notre
conduite : vous le savez, et c'est pourquoi vous avez dit que « le père de
famille ne sait pas l'heure du voleur, » mais non pas que le voleur l'ignorât
lui-même. Et vous avez dit : « Veillez donc, parce que vous ne savez pas à
quelle heure le Seigneur viendra : » et non pas que le Seigneur qui doit venir,
l'ignore lui-même. Et vous avez dit en continuant la parabole : « Soyez prêts,
parce que vous ne savez pas à quelle heure viendra le Fils de l'homme (1). »
Vous vous êtes aussi comparé à
un père de famille, qui revenant de son voyage surprend son économe , « en
venant au jour que ce méchant serviteur ignore, et à l'heure qu'il n'attend pas
(2). » Mais vous, vous êtes le Seigneur, vous êtes le père de famille qui sait
bien quand il doit venir; et si le serviteur est imprudent, le père de famille
n'est pas pour cela ignorant de ses propres desseins. Vous savez donc, pour la
dernière fois, quand vous voulez venir, et vous ne voulez pas que nous le
sachions. Voilà que mon âme est prête, quand vous me la redemanderez : mon
compte est en état : recevez-le et me jugez en vos miséricordes. Voilà du moins
ce qu'il faudrait pouvoir dire : ô mon Sauveur, quand serai-je en cet état?
quand pourrai-je dire de bonne foi : « Mon cœur est prêt, ô Dieu, mon cœur est
prêt (3) ? »
1 Matth., XXIV, 42-44. — 2
Ibid., 50. — 3 Psal. LVI, 8.
245
Gardons-nous bien de conclure de
ces réserves mystérieuses du langage de notre' Sauveur, qu'il nous soit permis
d'user dans nos discours de dissimulation, d'équivoque et de restriction de
pensée. Car il ne nous appartient pas de nous donner à nous-mêmes divers
personnages, selon lesquels nous puissions nier en un sens ce que nous avouerons
en l'autre. Il ne nous appartient pas non plus de faire de nos réserves une
instruction, un exemple d'humilité, une espèce de parabole dont il faille
chercher le sens, un mystère Mont il faille approfondir le secret. Jésus-Christ
a sa science comme Verbe, et tout y est compris, le présent, le passé, le futur,
le possible, l'existant, tout en un mot, tout ce qui est dans la science du Père
: car il est lui-même cette Science, puisqu'il est son Verbe, sa raison, sa
parole extérieure. Il a sa science comme homme, par rapport à sa perfection, et
comme le dépositaire et l'exécuteur de tous les secrets de son Père : tout ce
qui regarde le genre humain est compris dans cette science, puisque toute
puissance lui est donnée dans le ciel et dans la terre (1) : c'est lui qui doit
tout faire : c'est lui qui doit venir pour juger : son Père ne l'avertit pas à
chaque moment de ce qu'il aura à faire par son ordre ; mais il lui donne tout
d'un coup une pleine compréhension de tout le^dessein dont il a l'exécution en
son pouvoir : autrement il agirait comme nous, en foi, en obscurité, par
morceaux, par pièces, au hasard en un certain sens, et à l'aveugle, sans
entendre le rapport de chaque partie avec la fin de l'ouvrage et avec le tout.
Il a outre cela sa science comme docteur de son Eglise, comme interprète envers
elle des volontés de son Père, comme faisant avec elle un même corps : dans
cette science est compris tout ce qu'il faut que l'Eglise sache : il fallait que
l'Eglise
1 Matth., XXVIII, 18.
246
sût ses persécutions pour s'y préparer : la chute prochaine
des Juifs, afin qu'ils en fussent avertis et qu'ils fissent pénitence; et pour
ôter aux fidèles la tentation de croire que le déicide et les autres déloyautés
de ce peuple, avec les cruautés qu'il a exercées sur la personne du Sauveur et
de ses apôtres, demeurassent longtemps impunies : Jésus-Christ a su tout cela
pour son Eglise et il l'a expliqué. Il fallait que l'Eglise sût les signes du
jugement à venir, afin d'être attentive à son approche : Jésus-Christ a su
encore cela pour elle et l'a prédit. Il ne fallait pas qu'elle sût le temps ni
l'heure : Jésus-Christ à cet égard ne le sait pas et n'en dit rien à ses
fidèles. Cette science, qui était en Jésus-Christ par rapport aux instructions
qu'il devait donner à son Eglise, avait sa perfection et sa totalité, qui lui
faisait dire : « Je vous ai découvert comme à mes amis tout ce que j'ai ouï de
mon Père (1) ; » et encore : « Je vous ai tout prédit (2), » tout ce qu'il
fallait que vous sussiez, tout ce que j'avais appris pour vous. Si je dis, pour
vous renfermer dans ces bornes , que je ne sais pas le reste, j'ai mes raisons
de parler ainsi selon la charge qui m'est imposée, selon le personnage que je
fais : ne soyez pas assez téméraires pour vouloir ou critiquer ou imiter ce
langage mystérieux qui ne vous convient pas : c'est à vous à dire avec sagesse
et avec simplicité tout ensemble : « Cela est : cela n'est point (3) : ne mentez
pas ; ne vous trompez pas les uns les autres, parce que vous êtes membres les
uns des autres *. »
Tâchons ici de nous revêtir de l'esprit de sincérité, à
l'exemple de Jésus-Christ, qui à la réserve de ces mystères où il était obligé à
nous ménager la lumière, nous a tout dit comme à ses amis, selon qu'il était
convenable et que nous le pouvions porter.
1 Joan., XV, 15. — 2 Marc,
XIII, 23. — 3 Matth., V, 37. — 4 Coloss., III, 9; Ephes.,
IV, 25.
247
Relisons les commencements de ce
discours prophétique de Notre-Seigneur, nous y trouverons les choses qui doivent
être communes aux deux événements qu'il prédisait, à la ruine des Juifs et au
jour du jugement dernier : c'est que l'un et l'autre devait être précédé de
grands mouvements, d'une grande persécution de l'Eglise, d'une grande séduction.
Ses disciples lui dirent en
secret : « Dites-nous quand ces choses arriveront, et quel sera le signe de
votre avènement et de la consommation des siècles. Et Jésus leur répondit :
Prenez garde à n'être pas séduits (1). »
Souvenez-vous toujours qu'ils
joignaient deux choses : la chute de Jérusalem et le dernier jour, comme devant
arriver dans le même temps. Et sans les désabuser d'abord, parce que cela
n'était pas nécessaire , Jésus-Christ leur va expliquer ce qui devait être
commun à ces deux événements.
« Prenez garde que personne ne
vous séduise. » Ils lui faisaient une demande curieuse : « Quand ces choses
arriveront-elles? » Il leur donne un avis utile : « Prenez garde qu'on ne vous
séduise ; » comme s'il disait : Il vous importe peu de savoir quand arriveront
ces choses : mais ce qu'il faut que vous sachiez, c'est qu'elles seront
précédées d'une périlleuse et horrible tentation pour vous séduire. « Car il
viendra plusieurs christs, et plusieurs seront trompés. » C'est ce qui arriva
devant la ruine de Jérusalem et aux environs de ces temps-là. C'est ce qui
arrivera encore à la fin des siècles : « Je suis venu au nom de mon Père, et
vous ne me recevez pas : si un autre vient en son nom, vous le recevrez (2). »
C'est ce qui est déjà souvent arrivé aux Juifs ; et quelque chose de semblable
leur arrivera encore une fois vers la fin des siècles ; « lorsque ce
1 Matth., XXIV, 3; Marc,
XIII, 4, 5; Luc, XXI, 7, 8. — 2 Joan., V, 43.
248
méchant, cet impie, qui s'assiéra dans le temple de Dieu,
pour s'y montrer comme un Dieu, paraîtra avec des prodiges trompeurs et avec
toute sorte de séduction : en sorte qu'ils soient livrés à l'esprit de mensonge
pour ne s'être pas voulu laisser gagner à l'amour de la vérité (1). » Ce qui
convient parfaitement avec la parole qu'on vient d'entendre de la bouche de
Jésus-Christ, et semble fait pour marquer d'une façon particulière l'aveuglement
volontaire avec l'endurcissement du peuple juif. Quoi qu'il en soit, le démon
développera toute sa malignité aux approches du dernier jour; et la même chose
arriva aux approches de la ruine de Jérusalem, n'y ayant jamais eu tant de faux
christs ni tant de faux prophètes. Remarquez dans saint Matthieu les versets 5,
11, 23, 24, 25, 20; et à peu près la même chose dans saint Marc et dans saint
Luc.
« Voilà que je vous l'ai prédit : Prenez-y garde (2). » La
séduction sera si puissante, que Jésus-Christ ne craint point de dire « qu'elle
ira, s'il se peut, jusqu'à induire en erreur même les élus (3). S'il se peut : »
fait voir deux choses : l'une, l'extrême péril; l'autre, le secours présent de
la main toute-puissante de Dieu.
Pesons ces paroles : considérons
à quelles épreuves Dieu met notre foi : jusqu'où il veut que nous lui soyons
soumis : ce qu'ont à craindre les esprits superbes : les pièges que Dieu permet
qui leur soient tendus : combien ils sont délicats, combien subtils, combien il
est dangereux que les saints mêmes ne s'y prennent, « avec quelle frayeur et
quel tremblement ils doivent donc opérer leur salut (4). »
Cet esprit de séduction qui se
développera tout entier à la fin des siècles, se fait souvent sentir avant ce
temps dans les subtilités des hérétiques : une apparence de réforme : un air de
piété et de modestie : des paroles douces, tirées le plus souvent de l'Ecriture
: une véhémente répréhension des abus criants, qui semble marquer un vrai zèle,
une vraie horreur des vices, un vrai amour de la vertu. La chrétienté s'émeut :
les nations se cantonnent : les élus, s'il se pouvait, devaient être pris dans
ce piège. Mais ceux
1 II Thessal., II, 3, 4, 9-11.— 2 Matth.,
XXIV, 25; Marc., XIII, 23. — 3 Matth., XXIV, 24. — 4 Philipp., II,
12.
249
qui y ont été pris doivent songer que nous aurons bien à
soutenir d'autres illusions à la fin des siècles : une hypocrisie bien plus
délicate, bien plus raffinée : lorsque les prodiges trompeurs se joindront à une
doctrine séduisante. O Dieu, je tremble pour ceux qui seront mis à cette épreuve
: tremblez dès à présent à la tromperie de vos passions, aux belles couleurs
dont elles parent vos vices secrets, à ces instincts trompeurs de l'ennemi, à
ces illusions secrètes que vous prenez pour inspirations. « Qui a des oreilles
pour ouïr, qu'il écoute (1) : » Ah! c'est de quoi séduire, s'il se peut,
jusqu'aux élus. Concluez avec saint Paul : « Opérez votre salut avec crainte et
tremblement. » Mais ne croyez pas l'opérer de vous-même : croyez que « c'est
Dieu qui opère en vous le vouloir et le faire (2) : » opérez et croyez que Dieu
opère : ne soyez ni lâche ni présomptueux : abandonnez-vous à cette grâce qui
agit en vous, mais avec une courageuse et fidèle coopération : c'est ce qui
soutient les élus, c'est ce qui les empêche de périr.
« Les élus, s'il se peut, seront
induits à erreur (3). S'il se peut : » cela donc ne se peut pas : une main
toute-puissante , contre laquelle rien ne prévaut, détourne ce coup. O conduite
miséricordieuse et toute-puissante, qui empêchez vos élus de pouvoir périr, je
vous reconnais, je vous adore, je m'abandonne à vous : mais dans cet esprit, qui
en nous disant : « Dieu opère, » nous dit en même temps : « Opérez : »
travaillez : agissez avec une infatigable ferveur.
Un grand mouvement dans le monde
: « des guerres, des bruits de guerre, des pestes, des famines, des tremblements
de terre (4), » seront les tristes avant-coureurs de ces deux événements. Voyez-
1 Matth., XI, 15. — 2 Philipp., II, 12, 13. — 3 Marc.,
VII, 22. — 4 Marc., XIII, 7, 8; Luc., XXI, 9-11.
250
les, Matth., XXIV, 6,7, et la même chose en saint
Marc et en saint Luc. C'est ce qui arriva un peu devant la guerre de
Judée et dans la dernière année de Néron ; et c'est ce qui arrivera encore d'une
manière plus formidable aux approches du dernier jour.
« Des guerres, des bruits de
guerre : » de grandes guerres en effet : de plus grandes appréhensions de
mouvements nouveaux : il semblera que l'esprit de guerre, les haines, les
jalousies, la nature même voudra enfanter quelque chose de funeste aux grands
Etats : on remarquera dans le monde un esprit d'ébranlement universel : au
milieu de tout ce tumulte : « prenez garde de n'être pas troublés ; car il faut
que cela arrive, et ce n'est pas encore la fin (1). »
De quoi donc sera-t-on troublé,
si on ne l'est de telles choses? de rien du tout. Car le chrétien n'est troublé
de rien que de son péché et de la colère de Dieu qui le doit punir. « Prenez
donc garde de n'être point troublés : » vous vous enquérez de ce qui se passe,
non-seulement avec curiosité, mais encore avec frayeur : que deviendront ces
grandes armées qui sont en présence ? Quel ravage, quel embrasement, quel
carnage, quel déluge de maux, si une fois la digue est rompue! (ah ! je m'en
meurs.) Vous n'êtes pas chrétien : le sort des empires est entre les mains de
Dieu : ils meurent en leur temps, comme le reste des choses humaines : priez
pour votre patrie : humiliez-vous : faites pénitence : mais ne craignez point,
ne vous troublez pas : il faut que cela arrive. Il le faut, non par une aveugle
et fatale nécessité, qui nous mettrait au désespoir : mais il le faut par une
raison, par une sagesse, par une bonté qui prépare de grands biens par tous ces
maux. « Ne craignez point, petit troupeau, puisque le royaume qu'il a plu à
votre Père céleste de vous préparer (2), » est hors d'atteinte. Toutes les
puissances ennemies, visibles et invisibles, n'ont point de prise dessus, et il
ne vous peut être ravi.
« C'est ici le commencement des
douleurs (3) : » des douleurs de l'enfantement : de celles qui font jeter de
plus grands cris; qui s'augmentent de plus en plus : on croit être à la fin, ce
n'est encore qu'un commencement.
1 Matth., XXIV, 6. — 2 Luc,
XII, 32. — 3 Matth., XXIV, 8.
251
Quoi! ce mouvement effroyable des royaumes qui
s'entrechoquent, ces famines, ces pestes, ces tremblements de terre ne sont que
« le commencement des douleurs ! » O Dieu, que vos derniers coups sont
redoutables, si ceux-là qui sont si terribles, dont on ne peut seulement
entendre les noms sans être saisi de frayeur, ne sont qu'un prélude! Il est
ainsi, Seigneur, il est ainsi. Par tous ces grands coups, les corps seuls sont
menacés : mais voici ce qui est terrible au delà de toutes les terreurs : «
Craignez, craignez celui qui, après avoir fait mourir le corps, enverra l'aine
dans la géhenne : Oui, je vous le dis, craignez celui-là (1). » O Seigneur , si
je sais bien craindre cela, je ne craindrai autre chose, et je verrai tous les
éléments se mêler et la nature se confondre sans effroi. Ah! je ne puis craindre
que ce qui tue l’âme : mais je puis ne le craindre pas, si je commence
sérieusement à me convertir. Je n'ai rien à penser que la pénitence, ni rien à
craindre que de mourir dans mon péché : mourir, ce n'est rien, de quelque
douleur que la mort soit accompagnée ; quelque étrange, quelque imprévue,
quelque cruelle et insupportable que la mort paroisse : mourir dans le péché,
c'est tout le mal et le seul qui soit à craindre. Malheureux, ingrats, pécheurs
endurcis : « Vite, vite, convertissez-vous et vivez (2). »
1 Luc, XII, 5. — 2 Ezech., XVIII, 32.
Un autre avant-coureur, la
persécution. Elle a ces terribles circonstances : une haine implacable de tout
le genre humain contre l'Eglise : la fureur au dehors : la trahison au dedans :
on se livrera les uns les autres : les frères livreront leurs frères, et le père
même son enfant : les enfants se soulèveront contre leurs pères : et les
familles mêmes seront divisées : les scandales seront horribles à cause des
chutes fréquentes de ceux qu'on croyait les plus fermes. Au milieu de tout cela
la séduction redoublera, et de
252
faux docteurs gagneront ceux que la violence n'aurait pu
abattre : la cruauté et la séduction iront ensemble au dernier degré : c'est ce
qui est arrivé à l'Eglise naissante, à commencer vers les dernières années de
Néron, un peu avant la guerre de Judée. C'est ce qui arrivera d'une manière bien
plus terrible à la fin des siècles (1).
Ce n'était pas une chose aisée à
prédire, comme on le pourrait penser d'abord, qu'une telle haine et une telle
persécution contre l'Eglise : et on n'aurait pas pu prévoir que le monde qui
laissait en paix toutes les religions et jusqu'aux sectes les plus impies, comme
celle des épicuriens, ne pourrait souffrir le christianisme. Mais Jésus-Christ
l'a voulu prédire, et avertir ses fidèles d'une chose aussi singulière et
jusqu'alors autant inouïe que celle-là.
Il joint selon sa coutume la
consolation aux maux. « Tout le monde vous haïra : mais vous ne perdrez pas un
seul cheveu : vous posséderez votre âme par votre patience (2), » non en
combattant, mais en souffrant : « vous serez traînés à tous les tribunaux »
comme des criminels : « mais cela leur sera en témoignage (3) : » vous y
paraîtrez comme des témoins de la vérité, comme les maîtres du genre humain : «
Je vous donnerai une bouche » que nulle impudence, nulle violence ne pourra
fermer : « une sagesse, » une force « contre laquelle il n'y aura point de
résistance (4) : vous n'aurez rien à préméditer : le Saint-Esprit parlera par
votre bouche (5), » et le reste qu'on peut voir dans l'Evangile.
Ce qui sera de plus déplorable, c'est que « la malice
s'augmentant sans fin, la charité se refroidira dans la multitude (6) : » c'est
ce qui arriva à saint Paul, lorsqu'il disait : « Tous m'ont quitté : personne ne
m'a assisté dans ma première défense : Dénias même m'a abandonné, attiré par
l'amour de ce siècle : il n'y a que Luc avec moi : qu'il ne leur soit point
imputé (7). » Mais ce refroidissement de la charité dans ses frères ne changeait
point envers eux le cœur de Paul. Ce refroidissement de la charité paraîtra
beaucoup
1 Matth., XXIV, 9 et seq.; Marc., XIII, 12;
Luc., XXI. — 2 Luc, XXI, 17-19. — 3 Ibid., 12, 13; et Marc,
XIII, 9 et seq. — 4 Luc, XXI, 14, 15. — 5 Matth., X, 19, 20. — 6
Matth., XXIV, 12. — 7 II Timoth., IV, 9, 11, 16.
253
davantage dans la fin des siècles : « car lorsque le Fils
de l'homme viendra, pensez vous qu'il trouve de la foi sur la terre (1) ? »
Mais à ce comble de maux, il n'y
a qu'un seul remède : « Qui persévérera jusqu'à la fin sera sauvé (2). »
Remarquez ce mot : « jusqu'à la fin. » Dix ans, vingt ans, trente ans, cinquante
ans, ce n'est rien : il faut aller jusqu'à la fin. Ne vous lassez point de
travailler ; car la moisson que vous recueillerez sera éternelle.
« Il faut que cet Evangile soit
prêché par toute la terre (3) : » de peur qu'on ne pense que la persécution
qu'on vient de voir si déchaînée en arrête le cours. « Paul était lié : mais la
parole de Dieu ne l'était pas (4) : elle courait (5), » dit cet Apôtre : le
bruit en retentissait par toute la terre : « la foi des Romains y était annoncée
(6) : l'Evangile, qui était venu jusqu'à Colosse, était et fructifiait et
croissait en même temps par tout le monde (7). » Ainsi la prédiction du Sauveur
s'accomplissait déjà en quelque façon, avant la dissipation des Juifs : mais le
grand accomplissement en est réservé à la fin des siècles, et la prédication
aura percé par tout le inonde avant qu'il finisse.
O Dieu, donnez vigueur à votre
parole : bénissez les prédicateurs apostoliques : envoyez vos ouvriers dans
cette grande moisson que votre ennemi ravage. O Seigneur, je me joins en esprit
à ces hérauts de votre Evangile et à ceux qui croiront en vous par leur parole.
Sanctifiez-les en vérité, et que leur sainteté naissante; répare les ravages que
fait le péché dans votre héritage. Sauvons-nous, sauvons-nous de la corruption
de cette race mauvaise. Mon âme, sauve-toi toi-même : ô Dieu, sauvez-moi; je
péris.
« Priez que votre fuite n'arrive
point dînant l'hiver ou dans le jour du sabbat : » vous aurez besoin des plus
grands jours, de la
1 Luc XVIII, 8. — 2 Matth.,
XXIV, 13. — 3 Ibid., 14. — 4 II Timoth., II, 9. — 5 II Thessal.
III, 1. — 6 Rom., I, 8. — 7 Coloss., I, 6.
254
saison la moins embarrassante, de la liberté d'agir la plus
entière, pour précipiter votre fuite dans les déserts et dans les montagnes, et
pourvoir à tant de pressants besoins. « Jamais il n'y eut, jamais il n'y aura
d'affliction semblable : » jamais peuple n'aura été, ni ne sera plus
impitoyablement livré à la vengeance : « et si Dieu n'avait abrégé le temps, nul
homme ne se sauveroit : mais Dieu a abrégé le temps pour l'amour de ses élus
(1). » Ce fléau de Dieu sera si terrible et la force en sera si insupportable,
qu'il y aurait de quoi accabler tout le genre humain. Mais il fallait qu'il
restât des hommes sur la terre pour enfanter les élus et les saints, qu'il y
avait encore à recueillir. Voilà un sens. Dieu fléchi par les prières de ses
élus, a tempéré sa colère : ils sont le sel de la terre, pour en empêcher la
totale corruption : il faut qu'ils y soient répandus deçà et delà et de tous
côtés : autrement, le genre humain qui n'est conservé que pour eux, périrait en
entier : c'est un autre sens. Le dernier : Dieu a abrégé le temps des
souffrances, de peur que ses élus n'en fussent enfin accablés : et il n'a pas
voulu qu'ils fussent tentés par-dessus leurs forces.
« Pour l'amour des élus qu'il a
choisis (2), » dit saint Marc. Us ne sont pas élus par un autre : c'est
par lui-même : l'amour qui les lui a fait élire, l'oblige à tout faire pour eux,
et il n'épargne la terre qu'à leur considération.
Respectons les saints qui sont
parmi nous : nous leur devons tout : et Dieu s'apaise en les voyant, comme un
père qui voit ses enfants parmi ses ennemis retient sa main. Après la
séparation, que n'auront pas à souffrir les pécheurs ?
Ce qui est vrai en un certain
sens, à l'égard des Juifs, est encore plus véritable à l'égard de tout l'univers
dans les approches du dernier jour : après que la patience de ses saints aura
été épurée jusqu'au degré qu'il voulait, il mettra fin au temps des épreuves,
pour donner lieu aux récompenses.
S'il y a cinquante justes dans
Sodome, s'il y en a quarante, s'il y en a dix, je pardonnerai pour l'amour d'eux
à toute la ville (3). » Dieu aime tant les siens, que non-seulement il les
épargne, mais il épargne les autres pour l'amour d'eux. Si on n'aimait pas les
1 Matth., XXIV, 20-22. — 2 Marc., XIII, 20. —
3 Genes., XVIII, 26, 28 et seq.
255
justes, si on ne les protégeait pas pour eux-mêmes, il les
faudrait protéger pour le bien public. Que notre maison soit leur asile : que
nos bras leur soient toujours ouverts : que notre secours les suive partout. Les
prêtres, les religieux les représentent par leur état.
« Si l'on vous dit : Le voici
dans le désert : le voici dans les lieux retirés de la maison : ne le croyez
point (1). » Ceci regarde les derniers temps, lorsque les Juifs fatigués de tant
attendre et d'avoir si souvent été trompés sur le sujet du Messie, s'en diront
les uns aux autres des nouvelles comme en secret : « Il est venu, » mais il se
cache : « il est dans ce désert ; il est dans les lieux secrets de cette maison
: ne croyez point tout cela. » Ce n'est plus le temps qu'il doit venir de cette
sorte, d'une maison particulière, d'une ville obscure, d'un désert, tantôt
caché, tantôt découvert ; il paraîtra tout d'un coup avec un éclat surprenant ;
« et un éclair ne se fait pas voir plus rapidement du levant jusqu'au couchant,
et d'un côté du ciel à l'autre, que le Fils de l'homme paraîtra dans toute la
terre (2). » Voilà la première chose qu'il marque de ce grand événement : une
apparition soudaine et un éclat qui en un moment se fera sentir d'une extrémité
du monde à l'autre. Mais voici la seconde : « Où sera le corps, là
s'assembleront les aigles (3). » Si les aigles sentent leur proie de si loin et
s'assemblent rapidement de toutes parts autour d'un corps mort : combien plus
s'assembleront les élus où sera le Fils de l'homme ?
Le grec porte, au lieu de corps,
« un corps mort, un cadavre : » et le Fils de Dieu se compare à un corps de
cette sorte, à cause que les élus seront rassemblés par le mystère de sa mort,
et que c'est par là qu'ils auront part à sa résurrection. Tout cela regarde
visiblement l'apparition dernière et le dernier jour de Jésus-Christ.
1 Matth., XXIV, 26. — 2 Ibid.,
27. — 3 Luc, XVII, 24; Matth., XXIV, 28.
256
Et c'est pourquoi il ajoute : a Mais aussitôt après
l'affliction de ces jours-là, » de ces joursoù le Fils de l'homme devra paraître
si vite et rassembler autour de lui tous les élus, « aussitôt après cette
affliction, » car il a dit qu'il y en aurait d'étranges vers ces jours-là, « le
soleil s'obscurcira (1), » etc.
Il ne faut donc pas entendre
cette affliction ni ces joins, de l'affliction ou des jours qui seront fâcheux
pour les Juifs, mais de l'affliction de tout l'univers, vers le jour où le Fils
de Dieu devra paraître, qui sont ceux dont il venait de parler. Le même paraît
dans saint Marc : «Mais dans ces jours-là; dans cette affliction-là; le soleil
s'obscurcira (2), » etc. Comme s'il disait : Il arrivera de grands maux aux
Juifs : mais ce n'est point dans ces maux ou dans ces temps qu'arriveront ces
prodiges du soleil obscurci, et les autres : mais « dans ces jours » dont je
viens de parler : « dans ces jours » où le Fils de l'homme devra paraître ; aux
approches de cette dernière apparition, et peu après les afflictions dont elle
sera précédée ; « le soleil s'obscurcira, » etc.
Mettons-nous en esprit dans ce
dernier jour, si heureux pour les uns, si funeste aux autres. Représentons-nous
l'étonnement où l'on sera, de cette nouvelle lumière que jettera le Sauveur, de
ce prodigieux éclat qui se fera sentir d'une extrémité du monde à l'autre, avec
la rapidité d'un éclair: contemplons ces aigles mystiques : les esprits sublimes
à qui le monde n'aura rien été et qui n'auront pas été troublés de tant de
persécutions; ni de cet ébranlement universel de la nature éperdue : prendre
tout à coup leur vol; et, comme dit saint Paul, « être enlevés dans les nuées au
milieu des airs, à la rencontre de Jésus-Christ, pour être ensuite toujours avec
lui (3). » Heureux jour! heureux spectacle! heureux changement! heureux ceux qui
verront ce beau feu, cet éclair nouveau, cette vive et admirable lumière ! qui
verront ce corps que la mort a consacré à notre salut, ces aigles qui voleront
après et qui seront enlevés avec lui! Soyons de ces aigles par la contemplation
en foi et en vérité et par une noble élévation au-dessus des choses mortelles :
faisons notre proie de ce corps que la mort a fait nôtre : nous l'avons dans
l'Eucharistie, ce corps mort
1 Matth., XXIV, 29. — 2 Marc.,
XIII, 24. — 3 I Thessal, IV, 16, 17.
257
autrefois, à présent vivant, mais couvert d'un signe de
mort; dévorons-le : prenons-en toute la substance, tout le suc : vivons de Jésus
et de sa vérité et de ses souffrances et de sa mort qui est notre vie :
imitons-la : portons-la sur nous : « Portons sur nos corps la mortification de
Jésus, afin que la vie de Jésus paroisse en nous (1). » Si parmi les ténèbres du
monde et celles qui nous environnent, il lui plaît de faire tout à coup reluire
sur nous comme une espèce d'éclair, une lumière rapide qui se répande en un
moment dans toute notre âme, et qui se fasse sentir de la partie haute jusqu'à
la plus basse, ô lumière, je vous adore! ô lumière, je vous veux suivre! Si vous
vous retirez comme un éclair, et que vous laissiez mes yeux éblouis d'un éclat
si vif, je me souviendrai de vous avoir vue : je me réjouirai de l'espérance de
vous revoir à d'autres moments : je tâcherai de mettre à profit tout ce que vous
me montrerez dans ces moments rapides ; et j'aspirerai nuit et jour à ce jour
unique de l'éternité où vous luirez sans vous retirer, sans être obscurcie; où
votre levant sera sans couchant; où nous jouirons à jamais de vous, ô Père, ô
Fils, ô Saint-Esprit, qui êtes la véritable et seule lumière.
De tout ce que nous avons vu, il
y avait deux sortes d'instructions particulières à recueillir : dans la ruine de
Jérusalem il y avait à s'en sauver par la fuite : « Alors, que ceux qui sont
dans Jérusalem, s'enfuient aux montagnes (1). » C'est ce que firent les
chrétiens, qui s'enfuirent en effet vers les pays montagnards, à la ville de
Pella, comme marquent les histoires: ce qui fut cause qu'on ne voit point qu'ils
aient souffert dans Jérusalem, ni qu'il s'y en soit trouvé aucun durant le siège
de Tite. A l'égard des calamités qui devaient arriver à la fin du monde, il
fallait ne pas
1 II Cor., IV, 10. — 2 Matth.,
XXIV, 16.
258
songera s'en sauver, puisqu'elles sont universelles et
inévitables; mais s'y préparer, et cette préparation nous est expliquée dans le
reste de ce chapitre.
Elle consiste premièrement à
veiller, à être attentif, à se tenir toujours prêt, en accompagnant de prières
son attention et sa diligence : « Prenez garde, veillez et priez : car vous ne
savez pas le temps ni si le maître viendra sur le soir ou vers le minuit, ou au
chant du coq, ou le matin. Veillez donc et priez en tout temps, afin d'être
rendus dignes d'éviter ces choses (1), » c'est-à-dire la rigueur du dernier
jugement, « et de comparaître devant le Fils de l'homme (2). » Il ne faut donc
pas seulement prier mais prier en tout temps.
Secondement il faut songer à
l'effet de ce terrible jugement, ou « de deux qui seront ensemble l'un sera pris
et l'autre laissé (3). » Et pour aller où? « Où sera le corps, là s'assembleront
les aigles. » Qui ne tremblerait, en voyant tout à coup une si terrible
séparation ? L'un enlevé à Jésus-Christ, l'autre laissé au milieu des maux, d'où
il ne sortira que pour rentrer dans de plus grands et n'en sortir jamais.
Troisièmement il ne faut point
reculer ni regarder en arrière : « sou venez-vous de la femme de Lot (4), » qui
pour avoir seulement tourné la tète vers Sodome, reçut un châtiment si prompt et
si rigoureux. Il ne suffit pas d'éviter les mauvaises compagnies, ni de fuir le
monde qu'on a quitté : il ne faut pas seulement tourner les yeux de ce côté-là.
Quatrièmement il faut faire
toutes ses actions avec une activité et une diligence extraordinaire : se sauver
à quelque prix que ce soit : laisser périr beaucoup de choses qu'on aimerait
plutôt que de hasarder son salut : « si l'on est dans le haut de la maison, ne
se point embarrasser de sauver les meubles qui sont en bas (5) : » se contenter
de sauver ce qui est en haut : emporter et sauver d'abord à la corruption tout
ce qu'on peut : ne pas dire : Je laisserai cela, mais je retournerai demain le
quérir ; demain je commencerai à me corriger de ce vice; je me contenterai pour
aujourd’hui
1 Marc, XIII, 33-35. — 2 Luc,
XXI, 36. — 3 Matth., XXIV, 40, 41; Luc, XVII, 34-37. — 4 Luc,
XVII, 31, 32. — 5 Ibid., 31; Matth., XXIV, 17, 18.
259
de modérer celui-ci : ne laissez rien qu'il vous faille
aller requérir : ne laissez rien à faire à une autre fois : car le temps vous
manquera tout à coup et votre attente sera vaine.
Cinquièmement il faut se retirer
de tout ce qui attache trop l'esprit, de tout ce qui « appesantit le cœur ; » et
non-seulement « de l'ivrognerie » où la raison est absorbée, mais encore o de la
bonne chère et des soins de cette vie (1). » Et sur les soins de la vie, il faut
remarquer ces paroles : « Aux jours de Noé ils buvaient, ils mangeaient, ils se
mariaient, ils marioient leurs enfants : et aux jours de Lot ils buvaient et
mangeaient, ils vendaient et ils achetaient, ils plantaient et ils bâtissaient :
et ils périrent tous d'un coup dans les eaux du déluge et par le feu du ciel
(2). » Car il ne dit pas : Ils tuaient, ils commettaient des adultères, et le
reste : il parle des occupations les plus ordinaires et les plus innocentes de
la vie : parce qu'elles occupent, elles embarrassent, elles accablent, elles
enchantent, elles attachent, elles trompent, en nous menant d'un soin à un autre
et d'une affaire à une autre. Il ne suffit donc pas d'éviter les actions
criminelles ; mais il faut encore prendre garde à ne se pas laisser jeter par
les autres dans cet esprit d'empressement et d'occupation, qui fait qu'on n'est
jamais à soi.
Sixièmement on ne saurait assez
songer au grand mal dont nous sommes menacés : ce sera comme le déluge aux temps
de Noé ; comme le feu du ciel aux temps de Lot ; « comme un lacet où nous serons
pris tout à coup (3), » à la manière des oiseaux, par un vain appât, pour être
la proie de ceux qui veulent nous dévorer. Le mauvais serviteur qui ne songeait
qu'à passer sa vie dans le plaisir, se trouvera tout d'un coup « séparé » de
Dieu, de sa grâce, de tout le bien : « et il sera mis avec les hypocrites, où ii
y aura un pleur et un grincement de dents * » éternel. Terribles paroles : «
Séparé, mis avec les hypocrites : pleurs et grincement de dents » et douleur
jusqu'à la rage. A quoi donc penserons-nous, si nous ne pensons à ces choses? Ah
! périssent toutes nos pensées , afin que celles-là vivent seules dans nos cœurs
!
1 Luc, XXI, 31. — 2 Luc,
XVII, 20-29. — 3 Luc., XXI, 35. — 4 Matth., XXII, 51.
260
Conférez le chapitre XXIV de
saint Matthieu, depuis 45 jusqu'à la fin, avec le chapitre XII de saint Luc,
depuis 35 jusqu'à 49.
Le Fils de Dieu instruit ici,
premièrement tous les chrétiens sous la figure du père, de famille et de ses
serviteurs : et encore sous la figure du même père de famille et d'un voleur.
Secondement il instruit en particulier les supérieurs ecclésiastiques, sous la
figure du père de famille qui retourne à sa maison, et de son économe ou
principal domestique qui le doit attendre.
Voici pour les premiers ce que
nous trouvons dans saint Luc. Premièrement : « Les reins ceints (1) : »
les passions resserrées, comme une robe qui se répandrait faute de ceinture.
C'est l'état d'un homme laborieux et toujours prêt à marcher. Car lorsque l’âme
se répand dans les passions, elle est lâche, sans force, sans ordre, sans
bienséance.
Secondement : « Des flambeaux allumés à la main. » C'est
encore l'état d'un homme prêt à aller au-devant « du maître, » à quelque heure
de la nuit qu'il vienne, pour l'éclairer.
« Des lampes allumées : » c'est
un esprit attentif et un cœur ardent. On a comme des flambeaux en soi-même, dans
le fond du raisonnement : mais ils ne sont allumés que par l'attention. Que sert
d'avoir de l'esprit, du raisonnement, de la foi même, si tout cela n'est
réveillé par l'attention ? autant que nous serviraient des flambeaux bien
préparés dans notre coffre, mais sans amorce, sans feu.
« Les lampes allumées à la main,
» sont aussi le bon exemple. Ce n'est pas assez de l'attention ; il en faut
venir aux œuvres, à l'application sur nous-mêmes : autrement le flambeau nous
est inutile.
1 Luc., XII, 35.
261
Troisièmement : « Semblables à
des hommes qui attendent (1) : » par conséquent très-attentifs. Et qui
attendent-ils ? Leur maître : celui qui les peut punir, pour peu qu'il les
trouve négligents.
Quatrièmement : « Quand il
viendra, et qu'il frappera. » Il vient à chaque moment : car chaque heure nous
avance vers la mort. Il frappe par les maladies : il faut donc être attentif et
se tenir prêt dès le premier coup. Mais à peine s'éveille-t-on au dernier, et
lorsque la mort est déjà presque dans le cœur : et alors il n'y a plus de
flambeaux, plus d'attention, ni de réflexion : tout est presque éteint.
Cinquièmement : « Aussitôt ils
lui ouvrent. » Comme tout ici est actif! Il faut ouvrir soi-même au maître qui
vient, être bien aise de le recevoir : mais ouvrir avec diligence, « aussitôt :
» ouvrir par conséquent avec joie ; ne pas murmurer, ne pas se plaindre de la
mort qui vient sitôt. Au reste, il n'a pas besoin qu'on lui ouvre, afin qu'il
prenne notre âme qu'il vient requérir. Car il saura bien la reprendre sans qu'on
la lui donne. Bon gré, malgré, il faut mourir. Et souvent il frappe si fort, que
les portes brisées s'ouvrent d'elles-mêmes, sans que vous ayez le loisir
d'ouvrir, ni de lui offrir vous-même votre âme qu'il vous redemande. Il n'a donc
que faire de vous pour la retirer : mais pour l'amour de vous, afin que vous
puissiez lui en faire le sacrifice, il veut que ce soit vous qui lui ouvriez, et
promptement, et avec joie. Car vous ouvrez, non pas à la mort, mais à un maitre
bienfaisant.
Car, sixièmement, « s'il trouve
ses serviteurs vigilants, il se retroussera , et les fera asseoir, et passera de
l'un à l'autre pour les servir (2). » Il ne faut pas chercher dans les paraboles
à tout expliquer : il y a des circonstances, comme celles-ci, qui ne servent que
pour la peinture. Le fond est ici, que Jésus-Christ s'est fait serviteur de ses
fidèles : « Le Fils de l'homme, dit-il, est venu servir, » et ce service est «
de se donner lui-même en rédemption pour plusieurs (3). » C'est de lui que nous
tenons tout, et en ce monde et en l'autre : et nul ne demeurera sans récompense
; car il passera de l'un à l'autre pour les servir tous. Il leur donnera
abondamment tous les biens. Car pour lui il n'a pas besoin de
1 Luc, XII, 30. — 2 Ibid.,
37. — 3 Matth., XX, 28.
262
vos services, ni de rien : il est heureux, il est dans la
gloire : il vient pour vous; et sous la figure de la mort, qui vous paraît si
hideuse, il vous apporte sa grâce, son royaume, sa félicité éternelle, des
richesses inestimables, des plaisirs sans fin. Ouvrez donc à un si bon maître,
et donnez-lui de bon cœur cette âme qu'il ne redemande que pour la rendre
bienheureuse.
Septièmement : « S'il vient à la
seconde veille, et s'il vient à la troisième (1). » Remarquez : il ne parle
point qu'il vienne jamais de jour : il surprend toujours. On ne le voit pas et
il se cache dans les ombres de la nuit : et cependant l'homme insensé veut le
deviner. Je me porte bien, je ne mourrai pas ; on se donne toujours bien des
années, et cependant l'expérience fait voir qu'il surprend toujours : « il vient
à l'heure qu'on n'attend pas et au jour qu'on n'espère pas (2). »
Huitièmement : ce père de
famille, qui vient avec tant d'amour pour nous donner des biens éternels sous la
figure de la mort, prend encore une autre figure : celle « d'un voleur (3) : »
c'est-à-dire celle d'un ennemi qui vient nous ravir tout ce que nous possédons
et que nous aimons. Premièrement, les biens temporels et les plaisirs des sens,
dont nous faisions notre bonheur. Tout d'un coup tout nous sera enlevé : ces
biens passeront en d'autres mains : ces plaisirs se dissiperont comme une fumée,
comme une paille que le vent emporte. Secondement, il nous ôtera les biens
spirituels : tant de pensées de conversion, tant de désirs imparfaits qui nous
amusaient, qui nous endormaient dans la mort. Tout cela nous sera ôté ; et nous
verrons malgré tous ces faibles commencements de bonne volonté, de bons
sentiments et de vertus qui nous faisaient dire : « Je suis riche : » nous
verrons « que nous sommes pauvres, misérables, aveugles, nus, dignes de pitié, »
ou plutôt indignes de pitié à cause de notre malice; sans aucun de ces biens qui
nous ouvrent la porte du ciel, ainsi qu'il est écrit dans l'Apocalypse (4).
En neuvième et dernier lieu. Pesons ce mot : « Soyez prêts
(5) : » que vos comptes soient en état : que vos dettes soient payées :
1 Luc., XII, 38. — 2 Matth.
XXIV, 30. — 3 Luc, XXII, 39. — 4 Apoc, III, 17. — 5 Matth., XXIV,
44.
263
que vos desseins soient accomplis : car après ce moment il
n'y a rien à espérer. Quelle angoisse ! quelles sueurs à la vue de ce maître
rigoureux qui vous pressera de rendre compte ! Vous payerez par le dernier et
inévitable supplice ce que vous n'aurez pas volontairement payé par vos bonnes
œuvres.
Pierre lui dit : « Seigneur,
est-ce pour nous que vous dites cette parabole ou pour tout le monde (1) ? »
Nous tromperez-vous comme les autres, nous qui sommes les dispensateurs de vos
mystères? Nous serez-vous un voleur qui nous surprendra, ou un maître
impitoyable qui arrivera tout d'un coup pour nous punir? Il lui répond par la
parabole de l'économe ou de l'intendant d'une maison , à qui le maître a donné
la charge de tout et en particulier celle de ses conservateurs. C'est la figure
des supérieurs et supérieures, chacun selon son degré et le poste où il est
établi.
« Le maître a établi cet économe, » cet intendant, ce
dispensateur, pour être « fidèle : » pour être « prudent : pour donner la
nourriture à sa famille : » pour la lui donner « dans le temps : » pour la lui
donner « avec mesure (2). » Te voilà, ô Pierre : vous voilà, pasteurs : il faut
être fidèles : donner fidèlement ce que le maître a mis en vos mains pour le
distribuer, les instructions, les sacrements : voilà ce que c'est qu'être
fidèles : ne s'attribuer rien; ne rien retenir de ce qu'il a voulu que vous
donnassiez. O économe, ô intendant spirituel, tu n'as rien à toi, tu n'as rien
pour toi, puisque toi-même tu es tout aux autres : « Tout est à vous, soit Paul,
soit Ce plias, tout est à vous : et vous êtes à Jésus-Christ (3), » disait saint
Paul. « Tout est à vous. » Il faut donc être fidèle et se donner tout entier au
peuple de Dieu. Mais outre la fidélité, il faut la prudence pour donner dans le
temps, pour donner avec mesure : prendre les moments favorables d'une
affliction, du ralentissement
1 Luc., XI., 41. — 2 Ibid.,
42. — 3 I Cor., III, 22, 23.
264
d'une passion, d'une maladie, d'une grande perte : être
attentifs à ce moment : voyez : Dieu vous avertit : Dieu vous frappe : Dieu vous
réveille : voilà le premier effet de la prudence : « prendre le temps : » sinon
on rendra compte à Dieu du moment perdu et de la damnation de son frère. Le
second, « donner avec mesure : » pas plus qu'on ne peut porter : « ne donner pas
le saint aux chiens, ni les perles aux pourceaux (1) : » ne prêcher pas les
hauts mystères de la communication avec Dieu aux âmes encore impures, qui ont
besoin qu'on les étonne, qu'on les effraie : ne donner pas l'absolution ni la
communion précipitamment : ne la donner pas aux chiens et aux pourceaux : aux
âmes encore impures. Aller par degrés : gagner peu à peu : mais néanmoins il
vient un temps qu'il n'y a point de temps, qu'il n'y a point de mesure à garder.
Ici on dit : « Ne reprenez pas, » mais « avertissez (2) : » là : « Il faut
reprendre avec modestie (3) ; » ailleurs : « Reprenez durement (4); » ailleurs :
« Dans le temps, hors du temps, à propos et hors de propos (5) : » autrement
tout est perdu. Voilà donc la fidélité et la prudence d'un bon serviteur.
Deux choses nécessaires à régler, le fond et la manière :
le fond, il faut donner : soyez fidèle : la manière, il faut donner à propos et
avec les proportions, les convenances requises : autrement vous n'êtes pas ce
serviteur digne que le maître l'emploie à gouverner sa famille, parce que vous
ne donnez rien par infidélité, ou lorsque vous donnez, ce que vous donnez tourne
à rien par votre imprudence.
Remarquez ici le faux zèle. Un
supérieur, un pasteur ne prêche pas : il est infidèle. Il prêche, il instruit,
mais rudement, mais hors de propos : il ne fait rien, parce qu'il est imprudent.
A un tel serviteur, qui dispense
bien ce qui lui est confié, « le maître lui donnera tout ce qu'il possède (6) :
» et non-seulement son royaume, mais encore lui-même. Car si le père de famille
qui n'est qu'un homme, est si juste que trouvant son serviteur qui a bien usé du
pouvoir et des biens qu'il lui a mis en main pour les dispenser, il l'élève à de
plus hauts emplois, et lui donne un plus
1 Matth., VII, 6. — 2 I Timoth.,
V, 1. — 3 II Timoth., II, 25. — 4 Tit., I, 13. — 5 II Timoth., IV,
2. — 6 Luc., XII, 44; Matth., XXIV, 47.
265
grand pouvoir : combien plus Jésus-Christ, qui est la
justice même, augmentera-t-il les biens de ses serviteurs, qui auront bien
dispensé ceux qu'il leur a déjà donnés?
Pesez ces mots : « Il leur
donnera tout ce qu'il possède : » c'est un Dieu qui parle : que ne possède-t-il
pas ? Mais tout est à nous, dès que nous usons bien de ce qu'il nous donne.
Nous avons vu le bon serviteur
avec ses deux bonnes qualités, la fidélité et la prudence : voyons maintenant la
peinture que Jésus-Christ fait du mauvais dispensateur de ses grâces et de ses
mystères.
« Ce serviteur dit en son cœur (1). » Il ne le dit pas en
termes exprès : mais il agit sur ce fondement et il le dit par ses œuvres.
« Mon maître tarde : »
malheureux qui croit échapper ses mains à cause qu'il ne frappe pas d'abord, ou
qui s'estime heureux à cause qu'il retarde son dernier supplice.
« Il bat les serviteurs et les
servantes : » il abuse de son pouvoir : il les maltraite : quelquefois en les
frappant véritablement : ce que saint Paul défend, en disant que « l'évêque ne
doit point frapper, ni être violent (2) : » à quoi il faut aussi rapporter les
injures et les duretés qu'il leur dit, qui sont une espèce de plaie à la
réputation et à la vie de l'honneur. Mais le grand coup que donne ce mauvais
économe à ses conservateurs, c'est lorsqu'il les scandalise : car alors il
frappe leur conscience faible : en quoi il pèche contre Jésus-Christ et fait
pécher son « frère, pour qui Jésus-Christ est mort (3). »
« Manger, boire, s'enivrer (4) :
le royaume de Dieu n'est pas la viande ni le boire, mais la justice et la paix
et la joie dans le Saint-Esprit (5). » Voilà le festin du bon économe de
Jésus-Christ.
1 Luc. XII, 45. — 21 Timoth.,
III, 3. — 3 I Cor., VIII, 11, 12. — 4 Luc., XII, 45. — 5
Rom., XIV, 17.
266
« Le serviteur qui connaît la
volonté de son maître (1). » Il veut dire que celui qui est établi dispensateur
, sachant mieux que les autres ce que veut le maître, puisqu'il le doit prêcher
aux autres, « sera plus puni : mais celui qui ne la sait pas ne sera pas exempt
du supplice (2) : » et cette moindre punition que le maître de famille lui
réserve ne laissera pas d'être terrible : car il n'y a rien de (bible ni de
médiocre dans le siècle futur.
Deux règles de la justice éternelle : l'une, « de punir
davantage celui qui sait davantage, » parce qu'il pèche contre sa science et par
malice : l'autre, « de redemander plus à celui à qui on a plus donné (3), »
parce qu'il est chargé de plus de choses, et par conséquent il a un plus grand
compte à rendre. Ne vante donc pas ta science, qui ne sert qu'à te rendre plus
coupable. Ne te glorifie pas de tes dons, qui ne font que t'obliger à un plus
grand compte : ne t'excuse pas aussi sous prétexte que tu ne sais pas : car
c'était à toi à l'instruire : ne te flatte pas sous prétexte que le maître ne te
menace que de peu : car c'est un peu par comparaison , qui ne laisse pas en
soi-même d'être très-grand, parce que tout est grand, tout est fort dans le
règne de la vérité et de la justice, où Dieu se veut faire sentir tel qu'il est.
C'est sous une autre figure, un
autre avertissement de se tenir prêt. Combien Jésus le répète-t-il? Et cependant
nous sommes sourds : il semble n'avoir destiné les derniers jours de sa vie qu'à
nous préparer à la mort, et que ce soit là son unique affaire : c'est en effet
celle d'où tout dépend.
« Dix vierges (4) » C'est un
état saint, qui n'est pas donné à tout le monde : ainsi qu'il le dit ailleurs :
« Tous n'entendent pas cette parole, mais ceux à qui il a été donné (5). » En
voici dix qui ont
1 Luc., XII, 47. — 2 Luc., XII, 58. — 3
Ibid.— 4 Matth., XXV, 1.— 5 Matth., XIX, 11, 12.
267
entendu cette haute parole, à qui ce don excellent a été
donné : et néanmoins il y en a cinq qui périssent. Tremblez donc, vous tous qui
avez reçu ce don, et apprenez à le faire valoir.
« Cinq étaient folles (1) : »
sans précaution, sans prévoyance.
« Ces folles ne prirent pas de
l'huile. » Elles disent : « L'huile nous manque, nos lampes s'éteignent. » La
charité leur manque : les bonnes œuvres leur manquent : la charité , le plus
excellent de tous les dons, sans quoi tous les autres et même celui de la
prophétie, et même celui du martyre , n'est rien : ni par conséquent celui de la
virginité.
« Elles sommeillèrent et elles
dormirent (2). » Celles qui ont de l'huile leur provision, peuvent demeurer
tranquilles : mais les autres, elles doivent profiter du temps pour acheter de
l'huile et amasser de bonnes œuvres.
« Donnez-nous de votre huile (3)
: » ainsi parlent ceux qui, sans se soucier de faire eux-mêmes de bonnes œuvres,
mettent toute leur espérance aux prières et aux mérites des saints.
Remarquez : « Elles s'éveillent
toutes : toutes elles se lèvent : toutes elles préparent leurs lampes (4) : » et
néanmoins cinq périssent et sont exclues du festin. Ce ne sont point des
personnes vicieuses, ni insensibles, ni tout à fait sans bonnes œuvres : elles
commencent beaucoup, et n'achèvent rien. O combien périront par ce défaut !
« Nous n'en avons pas pour nous
et pour vous (5) : chacun de nous portera son fardeau » au tribunal de
Jésus-Christ. « Que chacun s'éprouve soi-même : car en cette sorte il aura sa
gloire en lui-même et non dans les autres (6) : » car encore qu'en un autre sens
« nous devions par la charité porter les fardeaux les uns des autres, »
néanmoins en ce dernier jugement chacun sera jugé , non selon les œuvres des
autres, « mais selon les siennes (7). »
« Allez à ceux qui en vendent
(8) : » Vous à qui l'huile manque :
vous qui ne méritez pas de véritables louanges , allez à
ceux qui les vendent : allez aux flatteurs, qui par un bas intérêt vous feront
accroire avec tous vos vices que vous êtes vertueux.
1 Matth., XXV, 3, 8. — 2 Ibid.,
7. — 3 Ibid., 8. — 4 Ibid., 7. — 5 Ibid., 9. — 6 Galat.,
VI, 2, 4, 5. — 7 Matth., XVI, 27. — 8 Matth., XXV, 9.
268
« Pendant qu'elles allaient
acheter : » pendant que leurs flatteurs les amusaient par la vaine opinion
qu'ils leur donnaient de leur sainteté : « l'Epoux vint : elles vinrent tard et
la porte leur fut fermée (1). »
Elle est fermée pour ne s'ouvrir
plus, et votre exclusion est sans remède.
« Seigneur, Seigneur,
ouvrez-nous (2) : » voyez qu'elles ne sont pas de celles qui n'ont point de
soin de bien faire, ou qui négligent entièrement leur salut : ce sont des
vierges, séparées des sens et des plaisirs : il n'est pas dit qu'elles souillent
leur chasteté : elles ont des lampes : elles dorment à la vérité et ne sont pas
sans beaucoup de langueur : mais enfin elles s'éveillent : elles vont avec
diligence acheter de l'huile : elles font imparfaitement quelques bonnes œuvres
: enfin elles accourent et avancent jusqu'à la porte : elles frappent même et
disent : « Seigneur, Seigneur. » Mais «tous ceux qui m'appellent, Seigneur,
Seigneur, n'entreront point pour cela dans le royaume des cieux (3). Je n'ai pas
trouvé tes œuvres pleines devant mon Dieu (4). »
La pénitence tardive frappe
vainement, parce qu'elle n'est pas pleine ni sincère. Viendra le temps qu'encore
qu'on frappe, on n'entrera point. C'est ce que disait saint Jacques : « Vous
demandez et vous n'obtenez pas, parce que vous demandez mal (5) : » ce qui
arrive à ceux qui demandent la prolongation de leurs jours, non pour faire
pénitence, mais « pour les employer à leurs convoitises. » Vient enfin le
dernier moment, et les hommes croient qu'on demande bien : mais celui qui sonde
les cœurs sait le contraire, et il nous renvoie « avec les hypocrites et les
infidèles, où il y aura des pleurs et un » éternel « grincement de dents (6). »
« En vérité, je vous le dis : Je
ne vous connais pas (7) : » c'est la vérité éternelle qui vous parle, et qui se
prend elle-même à témoin. Vos flatteurs vous promettent tout; mais moi je vous
tiens un autre langage : et quel langage ? « Je ne vous connais pas : » malgré
vos bons désirs, vos volontés imparfaites, vos commencements de vertu, je ne
connais en vous ni mon image que j'y avais
1 Matth., XXV, 10. — 2 Ibid.,
11. — 3 Matth., VII, 21. — 4 Apoc. III, 2. — 5 Jacob.,
IV, 3. — 6 Matth., XXIV, 51. — 7 Matth., XXV, 12.
269
formée, ni le caractère de chrétien, ni celui d'homme
raisonnable, ni rien enfin de solide ni de véritable. Allez, « je ne vous
connais point : » vous n'êtes donc pas de mes brebis ; « car je connais mes
brebis et je leur donne la vie éternelle (1). » Vous n'avez donc rien à
prétendre, vous que je ne connais pas. O que me serviront tant d'amis, tant de
connaissances? Tout le monde, toutes les cours vous louent, vous connaissent ;
de grandes entrées partout ; mais que vous sert tout cela, si Jésus-Christ ne
vous connaît pas?
Cherchez pourquoi Jésus-Christ
ne connaît pas ceux qui semblent le connaître si bien, et qui l'appellent deux
fois, « Seigneur, Seigneur. » C'est que « celui qui dit qu'il le connaît, et ne
garde pas ses commandements, est un menteur (2). » Mais il en garde une partie :
« Je ne vous connais pas : soyez parfait comme votre Père céleste est parfait
(3) : » autrement il ne vous connaît pas.
La parabole des talens, et celle
des mines semble avoir été prononcée en confirmation des dernières paroles que
nous avons lues de saint Luc : « Celui à qui on donne beaucoup, on lui redemande
beaucoup. »
« A chacun selon sa vertu (4) :
» il parle ici des grâces qui sont données en récompense ou du moins en
conséquence d'autres grâces : mais il faut toujours se souvenir qu'il y a les
premières grâces qui ne sont pas données de cette sorte et qui sont absolument
gratuites : ce qui paraît en d'autres lieux de l'Evangile. Ici nous avons à
considérer la distribution des grâces qui sont les suites des autres et l'ordre
des récompenses. Et ce qu'il y a premièrement à observer, c'est la proportion et
les convenances. « On donne à chacun selon sa vertu : » chacun travaille et
profite à proportion de ses talens : chacun est récompensé selon son travail : «
Celui qui a cinq talens gagne cinq talens : celui qui en
1 Joan., X, 14, 18. — 2 I
Joan., II, 4. — 3 Matth.,
V, 48. — 4 Matth., XXV, 25.
270
reçoit deux en gagne deux (1) : celui dont la mine en a
produit dix reçoit dix villes : » et « celui dont la mine en a produit cinq
reçoit cinq villes (2) : » et il ne reste qu'à admirer l'exactitude de la divine
justice par rapporta l'exactitude et à la fidélité d'un chacun.
Celui qui enfouit son talent et
sa mine, a est jeté lui-même dans le cachot et dans les ténèbres ; » et
non-seulement il ne reçoit rien, ce qui lui était dû trop visiblement, mais
encore il est puni de sa négligence.
Outre la récompense particulière
que chacun reçoit à proportion de son travail, tous reçoivent la commune
récompense; « d'entrer dans la joie de leur Seigneur (3) » et d'être rendus
participons de sa fidélité.
Tout est donc ici dans une entière proportion : la peine,
la récompense. Il y en a une commune à tous pour la fidélité qui l'est aussi :
il y en a de particulières selon la diversité du travail et tout l'ordre de la
justice est accompli : ô Dieu, je chanterai vos louanges sur votre justice et
sur votre vérité.
Il paraît par la même raison de
proportion et d'égalité , que si celui qui avait reçu cinq talens ou deux talens
avait été paresseux, il aurait été plus puni que celui qui n'en avait reçu
qu'un, et il n'y a plus à chacun qu'à examiner ce qu'il a reçu pour voir ce
qu'il a à craindre. O mon Dieu, que vous ai-je rendu pour la foi que vous m'avez
donnée : pour tant de saintes instructions : pour tant de lumières : pour tant
de crimes pardonnes : pour tant de temps et pour votre longue patience? O Dieu,
que vous ai-je rendu? et ne vous ayant rien rendu, que dois-je craindre?
« Entrez dans la joie de votre
Seigneur : jetez ce mauvais serviteur dans les ténèbres extérieures (4). » L'un
est mis dedans, l'autre dehors : l'un dans la joie et dans la lumière, l'autre
dans le désespoir et dans les ténèbres : ô heureux sort de l'un, ô cruel partage
de l'autre !
« Entrez dans la joie de votre
Seigneur. » « La joie entre en nous, lorsqu'elle est médiocre : mais nous
entrons dans la joie, » dit saint Augustin, » quand elle surmonte la capacité de
notre
1 Matth., XXV, 20, 22. — 2
Luc, XIX, 16, 17, 19. — 3 Matth., XXV, 21, 23. — 4 Ibid., 22,
30.
271
âme, qu'elle nous inonde, qu'elle regorge, et que nous en
sommes absorbés : qui est la parfaite félicité des saints. »
Ce qui fait le malheur de ces
ténèbres, c'est qu'elles sont extérieures : la seule séparation rend le malheur
des réprouvés extrême et insupportable : de là ce pleur éternel, de là ce
grincement de dents. Si vous n'êtes mis dedans, si vous n'entrez dans la joie,
toutes sortes de maux tombent sur vous et la seule séparation vous les attire.
Chassez le serviteur inutile, et
mettez-le où règne le désespoir. S'il n'avait rien reçu, il n'aurait pas tant à
s'affliger : mais il a eu le talent : il l'a négligé : c'est pourquoi son
déplaisir n'a point de mesure.
« Pleur et grincement de dents
(1) : » profonde tristesse dans l'un et rage dans l'autre : il est en fureur
contre lui-même, parce qu'il n'a à imputer qu'à lui-même le malheur dont il est
accablé.
« Je sais que vous êtes un homme
difficile : vous moissonnez où vous n'avez point semé : vous ramassez où vous
n'avez point répandu (2). » A Dieu ne plaise que Dieu soit ainsi ! car où
n'a-t-il pas semé, et quels dons n'a-t-il pas répandus? Mais Jésus-Christ nous
veut faire entendre par cette espèce d'excès combien est grande la rigueur de
Dieu dans le compte qu'il redemande : car il n'y a rien qu'il n'ait droit
d'exiger de sa créature infidèle et désobéissante, dont le fonds étant à lui
tout entier, il a droit de punir son ingratitude des plus extrêmes rigueurs.
« Serviteur mauvais et paresseux
(3) : mauvais, » parce qu'il est « paresseux : » qui doit tout à la divine
justice, seulement pour n'avoir rien mis à profit pour elle.
« Tu seras jugé par ta bouche
(4) : » la lumière de la vérité qui parle en nous prononcera notre sentence :
chacun avouera son crime et ordonnera son supplice : on aura d'autant moins de
consolation, qu'il ne restera aucune excuse : ni par conséquent aucune espérance
: aucun adoucissement : car on prononcera cela même contre soi, qu'il n'y en
doit avoir aucun. De là cette profondeur et cet abîme de tristesse. O mon Dieu,
la seule vue m'en fait horreur : que sera-ce du sentiment et de l'effet ?
1 Matth., XXV, 30. — 2 Ibid,
24. — 3 Ibid., 26. — 4 Luc., XIX, 22.
272
« Otez-lui son talent : ôtez-lui
sa mine et donnez-la à celui qui en a dix (1). » Comment est-ce que les élus
profitent des grâces que les réprouvés auront perdues? « Tiens bien ce que tu
as, dit-il, de peur qu'un autre ne reçoive ta couronne (2). » Les justes
profitent de tout, et autant de la négligence des autres qui les instruit que de
leur propre travail.
« A celui qui n'a pas, ce qu'il
semble avoir lui sera ôté (3). Ce qu'il semble avoir : » il n'a rien en effet,
parce qu'il ne garde rien. Un panier, un vaisseau percé n'a jamais d'eau, parce
que celle qu'il reçoit, il la perd dans le même instant : âme cassée et brisée,
où l'eau de la grâce ne tient pas, elle n'a jamais rien de propre : et cependant
ce qu'elle semble avoir lui sera encore ôté : elle demeurera sèche, dépouillée,
sans bien, sans lumière, sans aucune consolation même passagère : et il est
juste : car il fallait lui ôter tout ce qu'elle gardait mal. O mon Dieu, mon
Dieu, mon Dieu ! puis-je souffrir la vue de ma pauvreté, de ma douleur, de mon
désespoir en cet état malheureux ? Il faut donc prévenir ce mal pendant qu'il
est temps.
Après avoir préparé ses fidèles
au jugement dernier avec tant de soin, il est temps qu'il nous fasse voir ce
jugement; et c'est ce qu'il fait dans le reste de ce chapitre.
« Quand le Fils de l'homme
viendra en sa majesté et tous ses anges avec lui (4). » Quelle majesté ! quelle
suite! que d'exécuteurs de sa justice ! Mais comment viendra-t-il ? « dans une
nuée éclatante (5) : » du plus haut des cieux : de la droite de son Père : «
avec ses anges : » il est donc le Seigneur des anges comme des hommes. « Il
s'assiéra dans le siège de sa majesté, et toutes les nations seront assemblées
devant lui (6) : » quelle journée ! quelle séance ! Qui ne
1 Luc, XIX, 24.— 2 Apoc., III, 11. — 3
Matth. XXV, 29. — 4 Ibid., 31.— 5 Luc, XXI, 27. — 6 Matth.,
XXV, 32.
273
tremblera alors : « devant ce grand Roi assis dans le trône
de son jugement : » qui « dissipera tout le mal par un coup d'œil ? Qui osera
alors se glorifier d'avoir le cœur pur; et qui osera dire : Je suis innocent (1)
? » Qui pourra paraître devant celui « qui a les yeux » comme un flambeau ardent
: « comme la flamme du feu » le plus pénétrant et le plus vif : « qui sonde les
cœurs et les reins et qui donne à chacun selon ses œuvres (2)? » Toutes les
consciences seront ouvertes en un instant, et tout le secret en sera manifesté à
tout l'univers : où se cacheront ceux qui mettaient toute leur confiance à se
cacher : « dont les actions étaient honteuses même à dire et à penser (3), » et
qui verront tout à coup leur turpitude révélée devant tous les anges, devant
tous les hommes ; et ce qui renferme en un mot toute confusion et toute honte,
devant le Fils de l'homme, dont la présence, dont la sainteté, dont la vérité
convaincra et confondra tous les pécheurs? Voilà celui que vous nommiez votre
Maître : pourquoi ne gardiez-vous pas sa parole ? Voilà celui que vous appeliez
votre Sauveur : quel usage avez-vous fait de ses grâces ? Voilà celui que vous
attendiez comme votre Juge : comment ne trembliez-vous pas à son approche et à
la seule pensée de son jugement? Vous croyez avoir tout gagné en vous cachant,
en détournant vos yeux, en gagnant du temps : vous y voilà maintenant devant ce
tribunal : la sentence va être prononcée : sans délai : en dernier ressort, et
elle sera suivie d'une prompte et inévitable exécution.
« Il les séparera les uns des
autres, comme un pasteur sépare les brebis d'avec les boucs. » Il dit ailleurs
que « les anges feront cette séparation, et sépareront les justes d'avec les
impies : les uns seront à la droite, et les autres à la gauche (4). » Que n'aura
1 Prov., XX, 8, 9. — 2 Apoc., II, 18, 23. — 3
Ephes., V, 12. — 4 Matth., XXV, 32, 33; XIII, 49.
274
point à craindre alors la troupe des impies ? Ce qui est
cause que Dieu ne répand pas sur elle toute sa colère, c'est le mélange des bons
et des mauvais, et il épargne les uns pour l'amour des autres : après la
séparation, quelle vengeance ! Mais quelle horreur aura-t-on des mauvais ? Ils
se cachent ici parmi la foule, et se mêlent avec les bons : là, que toute leur
difformité paraîtra et qu'on les comparera avec les justes « plus
resplendissants que le matin (1), » et avec le Fils de l'homme qui est la
justice même : qui les pourra souffrir, et qui se pourra souffrir soi-même ? « O
montagnes, cachez-nous : ô collines, tombez sur nous (2) : » dans quelle
compagnie es-tu, malheureux ! On a honte de se trouver avec un seul scélérat :
tu seras avec tous les méchants, et tu en augmenteras le nombre infâme : chacun
portera sur le front le caractère de son péché : ô comment pourra-t-on soutenir
la lumière d'un si grand jour, et comparaître devant le Fils de l'homme ?
Qu'attendons-nous davantage ? La
séparation est faite : hypocrite , qui cachais si bien ton iniquité, et qui te
joignais à la troupe des gens de bien, te voilà tout d'un coup à la gauche :
avec Caïn, avec Nemrod, avec Antiochus, avec Judas, avec Caïphe, avec tous ceux
qui ont crucifié Jésus-Christ et massacré ses prophètes, ses apôtres, ses
martyrs; avec tous les scélérats, tous les impies, tous les hérétiques, tous les
infidèles, tous les idolâtres, tous les Juifs, tous les impudiques, tous les
voleurs; avec ceux dont le seul nom fut horreur : pis que tout cela, avec les
démons, qui ont inspiré et animé tous ces méchants : c'est avec eux qu'il faudra
vivre, si c'est là une vie, que de ne vivre que pour son supplice ou pour sa
honte ! O néant, je t'invoque : c'est en toi que je mets mon espérance : ô
néant, reprends-moi dans tes abîmes : pourquoi en suis-je sorti ? par où y
rentrerai-je ? Il faut être pour périr toujours. Toi qui disais : Tout meurt
avec moi : mon âme s'en ira comme un souffle : la voilà toute vivante : voilà
même ton corps dissipé qui a repris sa forme et sa consistance : te voilà tout
entier. Mais pourquoi ? « pour un opprobre » éternel : « pour voir toujours (3)
: » et quoi? son crime, son infamie, son ordure, celle des autres : les méchants
: leur infâme société, le peuple
1 Prov., IV, 18. — - Luc, XXIII, 30. — 8
Dan., XII, 2.
275
ennemi, les démons, une implacable justice contre une
méchanceté incorrigible. O mes tristes yeux, que verrez-vous donc alors? Ah !
que ne peut-on être aveugle, pour ne voir point ces horreurs ! Mais on verra,
mais on sentira tout le mal possible : tout le mal qui est dans le crime, tout
le mal qui est dans la peine. Fuyons, fuyons le péché, puisque si on ne le fuit,
on ne pourra fuir le supplice. Pénitence, pendant qu'il est temps : fléchissons
la face du juge : prévenons-la par la confession de nos péchés : « Pleurons,
pleurons devant celui qui nous a faits (1) : » pleurons, avant que de tomber
dans ces pleurs irrémédiables et intarissables : pleurons avec saint Pierre, de
peur d'aller pleurer éternellement et inutilement avec Judas et tous les
méchants.
« Alors le roi dira à ceux qui
sont à la droite : Venez (2) ; » aux autres : « Allez ; » à ceux-ci : « Venez :
» vous êtes déjà avec les justes : venez avec moi : « venez à mon trône, dans
lequel vous serez assis avec moi (3) : » car je l'ai promis.
O paroles qu'on ne peut assez
méditer ! « Venez : Allez : » taisons-nous : tais-toi, ma langue : tes
expressions sont trop faibles : mon âme, pèse ces mots qui comprennent tout le
bonheur et le malheur, et toute l'idée de l'un et de l'autre : « venez : allez :
» venez à moi, où est tout le bien : allez loin de moi, où est tout le mal.
« Venez, les bénis, les
bien-aimés de mon Père : » autrefois maudits et haïs des hommes; mais dès lors
bénis de mon Père, dont la bénédiction se déclare en ce jour : « venez posséder
le royaume qui vous était préparé (4) : » venez, « petit troupeau : ne craignez
plus rien, puisqu'il a plu à votre Père de vous donner son royaume (5) : »
venez, venez, venez : « entrez dans la joie de
1 Psal. XCIV, 6. — 2 Matth.,
XXV, 34, 41. — 3 Apoc., III, 21.— 4 Matth., XXV, 34. —
Luc., XII, 32.
276
votre Seigneur (1) : » jouissez de son royaume éternel. O
venez, venez : quelle parole ! quelle joie ! quelle douceur! quel transport !
« Un royaume : » quelle grandeur
! « Un royaume préparé de Dieu » et de Dieu comme Père : et préparé pour un Fils
unique, éternellement bien-aimé : car c'est le même qui est aussi préparé pour
les élus : enfants de dilection et d'élection éternelle, vous avez assez
souffert, assez attendu : venez maintenant le posséder. On ne possède que ce
qu'on a pour l'éternité : le reste échappe et se perd.
« J'ai eu faim, j'ai eu soif,
j'ai été nu, j'ai été malade et en prison (2) : » c'est par la même raison qui
lui fait dire : « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ?» Et : « Je suis Jésus
que tu persécutes (3) : » c'est par la société, ou plutôt par l'unité qui est
entre le chef et les membres, c'est parce qu'il est le cep et que nous sommes
les branches (4). Mais il faut ici remarquer que les pauvres sont de tous ses
membres ceux dans lesquels il est le plus.
Tous les Pères relèvent ici
l'avantage et le mérite de l'aumône, qu'il vante tant et qu'il vante seule dans
le siège de sa majesté, dans son dernier jugement, à qui seule il attribue la
vie éternelle. Ils démontrent aussi par le même endroit la nécessité de
l'aumône, puisque manquer de la faire est un crime, et le seul crime qu'il
allègue pour la cause de la damnation. Et la raison en est évidente , en ce que
Premièrement, si le précepte de
la charité est l'abrégé de la loi et des prophètes, comme il dit lui-même, il
était juste de renfermer dans la charité toutes les bonnes œuvres, et dans la
privation de la charité toutes les mauvaises.
Deuxièmement, comme dit saint
Jean, « celui qui n'aime pas
1 Matth., XXV, 21, 23.— 2
Ibid., 35, 36.— 3 Act., IX, 4, 5.— 4 Joan., XV, 1, 5.
277
son frère qu'il voit, comment aimera-t-il Dieu qu'il ne
voit pas (1)? » Ainsi la même justice qui l'oblige à punir le monde pour le
défaut de la charité, l'oblige aussi à marquer le défaut de la charité dans son
effet le plus sensible, qui est la charité envers les frères.
Troisièmement, les deux
préceptes de la charité, dans lesquels, comme on vient de dire, consistent la
loi et les prophètes, sont renfermés manifestement dans ces paroles : « J'ai eu
faim, j'ai eu soif; » et : « Toutes les fois que vous l'avez fait à un de mes
frères, vous me l'avez fait à moi-même (2), » puisqu'il nous montre par là que
le motif d'exercer la charité envers le prochain, est la charité envers Dieu.
Quatrièmement, tous les péchés
sont en quelque sorte renfermés dans le défaut de l'aumône. parce que dans
l'aumône était renfermé le remède de tous les péchés, conformément à cette
parole : « Rachetez vos péchés par l'aumône (3) ; » et encore : « La charité
couvre la multitude des péchés (4) ; » et encore : « Faites l'aumône, et tout
sera pur pour vous (5). » Ainsi tous les hommes étant pécheurs et par là exclus
en rigueur du royaume des cieux, ce qui les en exclut en dernier lieu, c'est de
négliger le remède.
Cinquièmement, la vie éternelle
nous étant donnée à titre de miséricorde et de grâce, la justice demandait que
cette miséricorde nous fût accordée au prix de la miséricorde, conformément à
cette parole : « Bienheureux les miséricordieux, parce qu'ils obtiendront la
miséricorde (6)! » et encore : « Jugement sans miséricorde à celui qui ne fera
pas miséricorde (7) ! »
Sixièmement, comme « les
miséricordes de Dieu éclatent au-dessus de toutes ses œuvres (8), » selon ce que
dit David : ainsi en est-il des miséricordes de l'homme ; et les œuvres de
miséricorde devaient principalement être célébrées au jugement dernier, comme
les plus éclatantes de toutes les autres, et comme celles qui nous rendent le
plus semblables à Dieu, conformément à cette parole : « Soyez miséricordieux
comme votre Père céleste est miséricordieux (9). » Ce qui répond à cette parole
: « Soyez parfaits
1 1 Joan., IV, 20.— 2 Matth.,
XXV, 35, 40.— 3 Dan., IV, 24. — 4 I Petr., IV, 8. — 5 Luc.,
XI, 11. — 6 Matth., V, 7. — 7 Jacob., II, 13. — 8 Psal.
CXLIV, 9. —. 9 Luc, VI, 36.
278
comme votre Père céleste est parfait (1) : » ainsi que la
conférence des deux passages le fera paraître. Ainsi la perfection où nous
devons tendre principalement et par là nous rendre semblables, comme le doivent
de vrais enfants, à notre Père céleste, est celle d'exercer la miséricorde.
Pour ces raisons, tout est renfermé dans les œuvres de
miséricorde, et on en pourrait rapporter une infinité d'autres que chacun pourra
suppléer.
Il reste donc à s'examiner sur l'obligation de l'aumône; et
sans écouter les vaines excuses dont se flatte notre dureté, considérer
sérieusement si nous pouvons apaiser véritablement notre conscience sur un point
si décisif de notre éternité.
Seigneur Jésus, ma vie et mon
espérance, je me mets en votre sainte présence, pour voir et considérer dans
votre lumière, en foi et en perpétuelle reconnaissance de vos bontés, comment
vous avez transporté en vous nos misères et nos infirmités, jusqu'à pouvoir dire
: « J'ai eu faim, j'ai eu soif, j'ai été nu, prisonnier, malade, » en la
personne de tous ceux qui ont eu à souffrir des maux semblables.
Le fondement de ce transport, ô
Jésus, c'est l'amour qui vous a porté à prendre notre nature, et à la prendre
non point immortelle et saine, comme vous l'aviez faite dans son origine : car
vous êtes le « Verbe par qui tout a été fait (2) ; » vous êtes celui à qui le
Père a dit : « Faisons l'homme (3) : » et vous l'avez fait avec lui et avec
votre Saint-Esprit, qui est avec le Père et avec vous un seul Dieu
souverainement parfait. C'est donc vous qui avez fait la nature humaine ; et
quand vous l'avez prise, vous n'avez pris que votre propre ouvrage. Mais vous ne
l'avez pas prise, encore un coup, saine, parfaite, immortelle et selon l’âme et
selon le corps, telle qu'elle
1 Matth., V, 48. — 2 Joan.,
I, 2. — 3 Genes. I, 26.
279
était d'abord sortie de vos mains : vous l'avez prise telle
que le péché et votre justice vengeresse l'avaient faite, mortelle, infirme,
pauvre : parce que vous vouliez porter notre péché : vous le vouliez porter sur
la croix, victime innocente : vous le vouliez porter durant tout le cours de
votre vie, « Agneau qui ôtez les péchés du monde (1), » mais qui ne les ôtez
qu'en les transportant premièrement sur vous. Mais vous êtes le Saint des
saints, « oint d'une huile excellente au-dessus de tous ceux qui prennent avec
vous » et en figure de votre personne « le nom de Christs (2) : » car cette
huile dont vous êtes oint et sanctifié, c'était la divinité, qui unie à votre
sainte âme et par elle à votre corps virginal, les sanctifié d'une manière
ineffable : en sorte qu'étant le vrai Christ de Dieu, le Juste par excellence et
le Saint des saints, comme vous ne pouviez pas transporter sur vous l'iniquité
et la tache de notre péché, vous en avez seulement transporté sur vous la peine,
le juste supplice, c'est-à-dire la mortalité et toutes ses suites. Par là donc
vous êtes devenu sensible à nos maux, « Pontife compatissant (3), » qui les avez
expérimentés : car comme dit votre Apôtre, « il fallait que vous vous fissiez en
tout semblable à vos frères, afin que vous devinssiez un pontife miséricordieux
et fidèle, pour expier les péchés du monde (4) » Car qui doute que vous ne
puissiez nous aider dans les choses que vous avez éprouvées, puisque vous ne les
avez éprouvées que parce qu'il vous a plu, et parce que vous vouliez on les
souffrant, faire naître en vous la compassion secourable que vous avez pour ceux
qui ont aussi à les souffrir (5)? Soyez donc loué à jamais, ô grand Pontife, qui
avez pitié de nos maux, non pas comme les heureux ont pitié des malheureux, mais
comme les malheureux ont pitié les uns des autres par le sentiment de leur
commune misère : non que vous vous soyez jamais tenu pour malheureux parmi les
maux que vous avez soufferts, vous qui n'avez souffert ni la douleur ni la mort
que parce que vous le vouliez; à qui aussi personne n'a ôté son âme, mais qui
l'avez donnée de vous-même : mais parce qu'il vous a plu de vous mettre au rang
de ceux que le monde appelle
1 Joan., I, 29. — 2 Psal.
XLIV, 9. — 3 Hebr., V, 1, 2. — 4 Hebr., II, 17. — 5 Ibid.,
18.
280
malheureux ; qu'on vous a vu « comme un lépreux : comme un
homme chargé de plaies, que Dieu a frappé et humilié, » en un mot « comme un
homme de douleurs et qui savait par expérience ce que c'est que l'infirmité et
la faiblesse (1). » En sorte qu'ayant passé par toutes les misères de notre
nature pécheresse « et ayant tout éprouvé excepté le péché, vous ressentez tous
nos maux, et vous y compatissez (2) » comme à des maux qui vous ont été communs
avec nous. Et quoique vous n'ayez point été malade de ces maladies particulières
dont nous sommes si souvent exercés : vous avez porté la faim, la soif, la
lassitude, la défaillance, qui sont les maladies communes de notre nature : vous
avez porté la frayeur , la crainte, l'ennui, la détresse jusqu'à l'agonie , qui
sont d'autres maladies des plus terribles : vous avez porté des plaies, qui ont
comme mis en pièces votre saint corps et vous ont fait dire par la bouche de
votre prophète que vous n'aviez plus de figure humaine (3), et que vous étiez «
un ver et non un homme (4). » Ce qui a fait dire encore à un autre de vos
prophètes : « Nous nous sommes approchés de lui, nous l'avons regardé de près,
et nous ne l'avons pas connu : il nous a paru le dernier des hommes, et un homme
abîmé dans la douleur (5). » Vous avez donc ressenti les plus grandes, les plus
terribles et les plus douloureuses infirmités du genre humain malade; et si vous
n'avez pas eu la fièvre et les maladies de cette nature, qui pouvaient ne
convenir pas à la perfection de votre tempérament, parce qu'elles viennent d'un
dérèglement des humeurs, que peut-être vous n'avez pas voulu souffrir en vous;
vous les avez toutes éprouvées dans la mortalité qui en est la source. C'est
pourquoi par cette même sensibilité qui vous a fait compatir à nos autres maux,
vous avez aussi compati à nos maladies; et vous n'avez jamais guéri les malades
ou ressuscité les morts, ou considéré nos maux que cette tendre compassion de
votre cœur attendri ne vous ait ému. Ainsi vous pleurâtes avant que de
ressusciter le Lazare. Ainsi vous multipliâtes les pains, touché de compassion
du peuple épuisé de travail (6). Dans une occasion semblable , vous dîtes encore
: « J'ai
1 Isa., LIII, 2-4. — 2 Hebr., IV, 15. — 3 Isa.,
LIII, 2. — 4 Psal., XXI, 7. —
5 Isa, LIII, 2, 3. — 6 Matth., IX, 30.
281
pitié d'une si grande multitude d'hommes : et je ne veux
pas les renvoyer sans manger, de peur que les forces ne leur manquent (1). » Ces
aveugles, qui connaissent combien vous êtes sensible à nos maux , vous disaient
à cris redoublés : « Ayez pitié de nous, Seigneur, Fils de David. » Vous
écoutâtes leur voix : touché de compassion vous mîtes votre main miséricordieuse
sur leurs yeux privés de la lumière, et ils reçurent la vue (2). Lorsque vous
vîtes ce sourd et ce muet, vous commençâtes par gémir en levant les yeux au ciel
(3). Vous pleurâtes sur les malheurs prochains de Jérusalem (4). Ce sentiment de
compassion vous suit toujours, quoiqu'il ne soit pas toujours exprimé. C'est ce
cœur tendre et compatissant, ce cœur ému de pitié qui sollicitait votre bras
tout-puissant en faveur de ceux dont vous voyez les souffrances. Ainsi cette
compassion fut la source de vos miracles. Ce qui a fait dire à votre évangéliste
que lorsque vous « guérissiez tous les possédés et tous ceux qui se trouvaient
mal, cela se faisait pour accomplir cette prédiction du prophète : Il a pris nos
infirmités et il a porté nos maladies (5). » Vous les portiez véritablement par
la compassion, et vous soulagiez votre cœur en les guérissant.
O mon Sauveur, vous avez porté
ces sentiments dans le ciel ; et quoique vous n'y ayez pu porter ces larmes, ces
gémissements, ces émotions de vos entrailles, ces souffrances intérieures, que
vous ressentiez à la vue de tant de maux dont notre nature est accablée, vous y
en avez porté le souvenir, qui vous rend tendre, miséricordieux, compatissant
envers tous vos membres et envers tous ceux qui souffrent sur la terre. Car vous
êtes ce charitable Samaritain (6), qui avez pitié de tous les blessés, de
quelque nation qu'ils soient, plus que les prêtres et les lévites de la loi. Je
ressens donc, mon Sauveur, la vérité de cette parole : « J'ai eu faim ; j'ai eu
soif; j'ai été infirme » dans tous ceux que tous ces maux ont affligés :
ôtez-moi, ô mon Sauveur, ce cœur de pierre : que je sois compatissant comme vous
: que je puisse dire avec votre Apôtre : « Qui est infirme, sans que je le sois?
Qui est troublé et scandalisé, sans qu'un feu intérieur me consume (7)? Que je
me réjouisse,»
1 Matth., XV, 32. — 2 Matth., XX, 30 et seq.
— 3 Marc., VII, 24.— 4 Luc., XIX, 41. — 5
Matth., VIII, 16, 17; Isa., LIII, 4. — 6 Luc., X, 33. — 7 II Cor.,
XI, 19.
282
selon son précepte, « avec ceux qui se réjouissent, » ce
qui est facile et agréable à la nature. Mais a que je pleure » sincèrement
« avec ceux qui pleurent (1) : » que je puisse dire avec vous : « J'ai faim,
j'ai soif, je suis étranger et sans logement; je suis prisonnier, je suis malade
» en ceux et avec tous ceux qui le sont : que ma compassion ne soit pas vaine,
et qu'elle me porte au secours : que je les soulage efficacement comme cherchant
moi-même à me soulager : mais que je porte ma vue plus loin : que je médite sans
cesse que vous avez transporté en vous leurs infirmités : que vous souffrez en
eux tous : enfin que vous avez dit et que vous répéterez en votre dernier
jugement : « Toutes les fois que vous avez donné ce secours à un de mes frères,
» et encore « des plus petits, » afin que vous ne méprisiez aucune sorte de
petitesse, « vous me l'avez donné à moi-même (2). » A vous la gloire, à vous la
louange, à vous l'action de grâces de tous ceux qui souffrent, c'est-à-dire de
tous les hommes, pour la bonté que vous avez eue de vous approprier et d'adopter
leurs souffrances , et de les recommander à tous vos enfants par un précepte qui
est le seul dont vous parliez, sur votre trône, à la face du ciel et de la
terre, en présence des hommes et des anges! Amen. Amen.
« Venez, les bénis de mon Père :
Allez, maudits (3). Venez : » parole d'amour et d'union : parole de l'Epoux : «
Venez, mon épouse, ma bien-aimée (4) : » venez dans ma couche nuptiale : venez à
la jouissance de mes immortelles beautés : car tout cela, sous une autre figure,
c'est « le royaume qui vous a été préparé : » c'est un trône, pour signifier la
magnificence et la gloire : c'est la couche nuptiale, pour signifier l'abondance
de la joie et l'accomplissement de l'amour divin, en faisant avec Dieu un même
esprit. Ace « Venez » de l'Epoux céleste, l'épouse de son côté doit dire un
autre « Venez : Venez, mon bien-aimé (5). » C'est ce qu'il faut dire
1 Rom., XII, 15.— 2 Matth., XXV, 40.—3 Ib.,
34,41. — 4 Cantic., IV,8.—5 Ib.,VII, 11.
283
en foi, en espérance, en amour , dans l'esprit et avec les
sentiments d'une épouse ardente et fidèle. « Et l'esprit, et l'épouse disent :
Venez : Que celui qui entend, dise : Venez (1) : » qu'il appelle à chaque moment
et du fond du cœur l'Epoux céleste. « Que votre règne arrive (2) : Que celui qui
a soif vienne : » qu'il vienne, celui qui a faim et qui a soif de la justice, «
et qu'il reçoive gratuitement l'eau vive (3) » que je lui prépare gratuitement,
par pur amour, par pure miséricorde : car encore que je récompense les œuvres,
c'est dans les œuvres mes dons que je récompense : c'est à remonter à l'origine
, ma grâce que je couronne : c'est moi qui préviens, c'est moi qui attire, c'est
moi qui donne le premier : il faut donc venir, et en venant m'inviter à venir
moi-même, et à dire ce dernier « venez, » qui consomme la félicité et l'œuvre de
la rédemption. « Oui, je viens bientôt : il est ainsi : Amen : » je scelle cette
vérité dans les cœurs : «Venez, Seigneur Jésus, venez (4) : » c'est par où finit
l'Ecriture. C'est le dernier avertissement qu'elle nous donne, comme celui
qu'elle veut laisser le plus vivement empreint dans nos cœurs.
« Venez, les bénis, les chéris
de Dieu. » O mon Sauveur, que j'entende le mystère de cette secrète bénédiction,
par laquelle vous nous avez bénis avant l'établissement du monde, en nous
préparant votre royaume! Mais qu'est-ce, ô Seigneur, votre royaume !, sinon
votre justice, votre vérité régnante sur les esprits, pour en animer tous les
mouvements ? « lorsque Jésus-Christ mettra à vos pieds tout le peuple racheté,
se l'assujettissant totalement par l'opération de sa toute-puissance , » en
sorte qu'il n'y paroisse « que lui, et que Dieu soit tout en tous et nous avec
lui un même esprit (5) » par l'effusion de sa gloire et la parfaite conformité
de notre volonté avec la sienne. Ainsi ce qui fera notre règne, c'est le règne
de Dieu sur nous. Lorsque tout lui sera assujetti, tout ira selon le mouvement
de son esprit. Maintenant il y a en nous quelque chose de sujet et aussi quelque
chose de rebelle : mais alors tout sera sujet ; et cette sujétion bienheureuse
qui est notre parfaite félicité, étant accomplie dans le chef et dans les
membres, « l'œuvre de
1 Apoc., XXII, 17. — 2 Matth.,
III, 10. — 3 Apoc., XXII, 17. — 4 Ibid., 20. — 5 I Cor.,
XV, 24, 25 et seq.; Philpp., III, 21 ; I Cor., XI, 17.
284
Jésus-Christ sera parfaite. » Venez donc, ô bénis de Dieu;
venez à
ce bienheureux royaume : entrez dans la joie de votre
Seigneur.
Au lieu de ce « venez » si
ravissant, plein d'une admirable douceur, qui satisfera le cœur de l'homme sans
lui laisser rien à désirer : les méchants, les impénitents entendront cet
impitoyable « Allez, retirez-vous (1) : » et où iront-ils, les malheureux? Où ,
en s'éloignant du souverain bien, sinon au souverain mal? Où, en s'éloignant de
la lumière éternelle , sinon à ces ténèbres extérieures; ténèbres affreuses,
plus palpables que celles de l'Egypte ? Où, en perdant la joie éternelle, si ce
n'est aux pleurs, au désespoir, à la rage, au grincement de dents, à l'éternelle
fureur? « Allez : retirez-vous, ouvriers d'iniquité. Retirez-vous, je ne vous
connais pas. » Ma marque n'est point en vous : « je ne vous ai jamais connus
(2). «Vos œuvres ont été trompeuses, défectueuses, passagères en tout cas et
destituées de persévérance : vous n'êtes point de ceux sur lesquels est ce sceau
de Dieu : « Le Seigneur connaît ceux qui sont à lui (3). Allez, maudits. Vous
avez aimé la malédiction, et elle viendra sur vous : elle vous est attachée
comme votre habit, comme la ceinture qui vous environne; elle a pénétré la
moelle de vos os (4); allez au feu,» arbre infructueux, qui n'êtes plus bon qu'à
brûler : « allez au feu éternel (5) : » nulle goutte de rosée, nul
rafraîchissement ne viendra jamais sur vous : « allez à ce feu qui est préparé
au diable : » à celui qui dès le commencement n'ayant point voulu « demeurer
dans la vérité, est menteur et père de mensonge, meurtrier (6), » calomniateur,
tentateur et accusateur des saints; d'où vient toute iniquité : allez en sa
détestable compagnie; imitateurs de son orgueil et de son impénitence,
participez à ses peines; qu'il soit votre tyran, votre bourreau. Puisque vous
avez voulu vous mettre dans son esclavage,
1 Matth., XXV, 41. — 2 Matth., VII, 23; XXV,
12. — 3 II Timoth., II, 9. — 4 Psal., CVIII, 18, 19. — 5 Matth.,
XXV, 41. — 6 Joan., VIII, 44.
280
portez éternellement ce joug de fer, vous qui avez refusé
le doux joug de Notre-Seigneur.
Mais voici le comble des maux :
Dieu contre vous avec toute sa justice et sa puissance. Ecoutez, tremblez; c'est
lui qui parle : « Si vous ne m'écoutez pas, si vous méprisez mes commandements,
je mettrai ma face contre vous : j'écraserai votre dureté et votre orgueil : je
multiplierai vos plaies : comme vous marchez contre moi, je marcherai contre
vous avec un cœur d'ennemi (1). Vous serez frappé » tout ensemble dans le corps,
« de pauvreté, de peste, de froid et de chaud : dans l'esprit, de folie,
d'aveuglement et de fureur : le ciel sera de fer sur vos têtes, et la terre
d'airain sous vos pieds : votre rosée sera la poussière (2) : » vous ne porterez
jamais de fruit, « parce que vous n'aurez pas voulu servir le Seigneur en joie
et dans l'abondance de toutes sortes de biens , vous serez mis dans l'esclavage
de votre ennemi, dans la faim, dans la soif, dans la nudité , dans l'indigence
de tout : il mettra sur vos épaules un joug de fer (3) : outre toutes ces plaies
que vous entendez, « Dieu vous en enverra » de plus terribles « qui ne sont
point écrites dans ce livre, » et qui passent tout ce qu'on peut exprimer par le
langage humain : « et comme le Seigneur s'est réjoui en vous faisant du bien, il
prendra plaisir maintenant à vous perdre, à vous renverser (4). » Vous serez à
jamais sous cette impitoyable verge : sous cette « verge veillante » qu'a vue le
prophète (5) : car le Seigneur veillera éternellement sur votre iniquité (6) et
« ne cessera de vous briser, de vous mettre en pièces (7). Pourquoi criez-vous
inutilement? Votre plaie est incurable : je l'ai faite à cause de votre iniquité
et de votre dure malice (8), » dit le Seigneur parla bouche de Jérémie : votre
endurcissement a causé le mien : vous m'avez rendu inexorable, impitoyable,
inflexible : «Allez. Et ils iront au supplice éternel, et les justes à la vie
éternelle (9). » C'est par là que Jésus finit sa prédication : c'est ce qu'il
nous laisse à méditer, et il n'a rien de plus important à dire au peuple.
1 Levit., XXVI, 14, 17, 19, 21,
27, 28. — 2 Deuter., XXVIII, 22, 28, 23, 24. — 3 Ibid., 47, 48 — 4
Ibid., 61, 62. — 5 Jerem., I, 11, 12. — 6 Dan., IX, 14. — 7
Deuter., XXVIII, 48, 61. — 8 Jerem., XXX, 15. — 9 Matth., XXV,
41, 46.
286
« Après donc qu'il eut fini tous ces discours (1), » il ne
songe plus qu'aux préparatifs de sa mort : à la pâque ancienne, à la nouvelle :
aux dernières instructions qu'il voulait laisser à ses apôtres, à la cène, et
après la cène à la dernière prière par laquelle il commença son sacrifice,
finalement à sa mort.
1 Matth., XXVI, 1.
|