Lettres XLI-LXIII
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LETTRE XLI.
BOSSUET A LOUIS XIV (a).

 

SIRE,

 

Le jour de la Pentecôte approche, où Votre Majesté à résolu de communier. Quoique je ne doute pas qu'elle ne songe sérieusement à ce qu'elle a promis à Dieu, comme elle m'a commandé de l'en faire souvenir, voici le temps que je me sens le plus obligé de le faire. Songez, Sire, que vous ne pouvez être véritablement converti, si vous ne travaillez à ôter de votre cœur, non-seulement le péché, mais la cause qui vous y porte. La conversion véritable ne se contente pas seulement d'abattre les fruits de mort, comme parle l'Ecriture c'est-à-dire les péchés ; mais elle va jusqu'à la racine, qui les ferait repousser infailliblement si elle n'était arrachée. Ce n'est pas l'ouvrage d'un jour, je le confesse : mais plus cet ouvrage est long et difficile, plus il y faut travailler. Votre Majesté ne croirait pas s'être assurée d'une place rebelle, tant que l'auteur des mouvements y demeurerait en crédit. Ainsi jamais votre cœur ne sera paisiblement à Dieu, tant que cet amour violent, qui vous a si longtemps séparé de lui, y régnera.

Cependant, Sire, c'est ce cœur que Dieu demande. Votre Majesté a vu les termes avec lesquels il nous commande de le lui donner tout entier : elle m'a promis de les lire et les relire souvent. Je vous envoie encore. Sire, d'autres paroles de ce même Dieu, qui ne sont pas moins pressantes, et que je supplie Votre Majesté de mettre avec les premières. Je les ai données à Madame de Montespan, et elles lui ont fait verser beaucoup de larmes. Et

 

1 Rom., VII, 5.

 

(a) Cette lettre est sans date dans l'original; mais il est évident qu'elle a précédé la suivante, également adressée à Louis XIV ; et tous les faits nous assurent qu'elle fut envoyée en 1075, lorsque le Roi commandait en personne ses armées des Pays-Bas. Cependant comme nous ne pourrions marquer le temps précis où elle a été écrite, nous avons pris le parti de réunir ces deux lettres, qu'on sera bien aise de lire sans interruption. (Les édit.)

 

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certainement, Sire, il n'y a point de plus juste sujet de pleurer, que de sentir qu'on a engagé à la créature un cœur que Dieu veut avoir. Qu'il est malaisé de se, retirer d'un si malheureux et si funeste engagement ! Mais cependant, Sire, il le faut, ou il n'y a point de salut à espérer. Jésus-Christ, que vous recevrez, vous en donnera la force, comme il vous en a déjà donné le désir.

Je ne demande pas, Sire, que vous éteigniez en un instant une flamme si violente ; ce serait vous demander l'impossible : mais, Sire, tâchez peu à peu de la diminuer ; craignez de l'entretenir. Tournez votre cœur à Dieu ; pensez souvent à l'obligation que vous avez de l'aimer de toutes vos forces, et au malheureux état d'un cœur qui, en s'attachant à la créature, par là se rend incapable de se donner tout à fait à Dieu, à qui il se doit.

J'espère, Sire, que tant de grands objets qui vont tous les jours de plus en plus occuper Votre Majesté, serviront beaucoup à la guérir. On ne parle que de la beauté de vos troupes et de ce qu'elles sont capables d'exécuter sous un aussi grand conducteur : et moi, Sire, pendant ce temps, je songe secrètement en moi-même à une guerre bien plus importante et à une victoire bien plus difficile que Dieu vous propose.

Méditez, Sire, cette parole du Fils de Dieu : elle semble être prononcée pour les grands rois et pour les conquérants : « Que sert à l'homme, dit-il, de gagner tout le monde, si cependant il perd son âme, et quel gain pourra le récompenser d'une perte si considérable (1) ? » Que vous servirait, Sire, d'être redouté et victorieux au dehors, si vous êtes au dedans vaincu et captif ? Priez donc Dieu qu'il vous affranchisse ; je l'en prie sans cesse de tout mon cœur. Mes inquiétudes pour votre salut redoublent de jour en jour, parce que je vois tous les jours de plus en plus quels sont vos périls.

Sire, accordez-moi une grâce : ordonnez au Père de la Chaise de me mander quelque chose de l'état où vous vous trouvez. Je serai heureux, Sire, si j'apprends de lui que l'éloignement et les occupations commencent à faire le bon effet que nous avons espère. C’est ici un temps précieux. Loin des périls et des occasions,

 

1 Marc., VIII, 36, 37.

 

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vous pouvez plus tranquillement consulter vos besoins, former vos résolutions et régler votre conduite. Dieu veuille bénir Votre Majesté : Dieu veuille lui donner la victoire, et par la victoire la paix au dedans et au dehors. Plus Votre Majesté donnera sincèrement son cœur à Dieu, plus elle mettra en lui seul son attache et sa confiance, plus aussi elle sera protégée de sa main toute-puissante.

Je vois, autant que je puis, Madame de Montespan, comme Votre Majesté me l'a commandé. Je la trouve assez tranquille : elle s'occupe beaucoup aux bonnes œuvres ; et je la vois fort touchée des vérités que je lui propose, qui sont les mêmes que je dis aussi à Votre Majesté. Dieu veuille vous les mettre à tous deux dans le fond du cœur et achever son ouvrage, afin que tant de larmes, tant de violences, tant d'efforts que vous avez faits sur vous-mêmes ne soient pas inutiles.

Je ne dis rien à Votre Majesté de Monseigneur le Dauphin : M. de Montausier lui rend un fidèle compte de l'état de sa santé, qui, Dieu merci, est parfaite. On exécute bien ce que Votre Majesté a ordonné en partant, et il me semble que Monseigneur le Dauphin a dessein plus que jamais de profiter de ce qu'elle lui a dit. Dieu, Sire, bénira en tout Votre Majesté, si elle lui est fidèle. Je suis, avec un respect et une soumission profonde,

 

SlRE,

de Votre Majesté,

Le très-humble, très-obéissant, et très-fidèle sujet et serviteur,

J. BÉNIGNE, anc. Év. de Condom.

 

 

LETTRE XLII.
BOSSUET A LOUIS XIV. A Saint-Germain, ce 10 juillet 1675.

 

Votre Majesté m'a fait une grande grâce, d'avoir bien voulu m'expliquer ce qu'elle souhaite de moi, afin que je puisse ensuite me conformer à ses ordres, avec toute la fidélité et l'exactitude

 

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possibles. C'est avec beaucoup de raison qu'elle s'applique si sérieusement à régler toute sa conduite : car après vous être fait à vous-même une si grande violence dans une chose qui vous touche si fort au cœur, vous n'avez garde de négliger vos autres devoirs, où il ne s'agit plus que de suivie vos inclinations.

Vous êtes né, Sire, avec un amour extrême pour la justice, avec une bonté et une douceur qui ne peuvent être assez estimées; et c'est dans ces choses que Dieu a renfermé la plus grande partie de vos devoirs, selon que nous l'apprenons par cette parole de son Ecriture : « La miséricorde et la justice gardent le Roi; et son trône est affermi par la bonté et par la clémence » Vous devez donc considérer, Sire, que le trône que vous remplissez est à Dieu, que vous y tenez sa place, et que vous y devez régner selon ses lois. Les lois qu'il vous a données sont que parmi vos sujets votre puissance ne soit formidable qu'aux médians, et que vos autres sujets puissent vivre en paix et en repos, en vous rendant obéissance. Vos peuples s'attendent, Sire, à vous voir pratiquer plus que jamais ces lois que l'Ecriture vous donne. La haute profession que Votre Majesté a faite, de vouloir changer dans sa vie ce qui déplaisait à Dieu, les a remplis de consolation : elle leur persuade que Votre Majesté se donnant à Dieu, se rendra plus que jamais attentive à l'obligation très-étroite qu'il vous impose de veiller à leur misère et c'est de là qu'ils espèrent le soulagement dont ils ont un besoin extrême.

Je n'ignore pas, Sire, combien il est difficile de leur donner ce soulagement au milieu d'une grande guerre, où vous êtes obligé à des dépenses si extraordinaires, et pour résister à vos ennemis et pour conserver vos alliés. Mais la guerre qui oblige Votre Majesté à de si grandes dépenses l'oblige en même temps à ne laisser pas accabler le peuple par qui seul elle les peut soutenir. Ainsi leur soulagement est autant nécessaire pour votre service que pour leur repos. Votre Majesté ne l'ignore pas ; et pour lui dire sur ce fondement ce que je crois être de son obligation précise et indispensable, elle doit avant toutes choses s'appliquer à

 

1 Prov., XX, 28.

 

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connaître à fond les misères des provinces, et surtout ce qu'elles ont à souffrir sans que Votre Majesté en profite, tant par les désordres des gens de guerre que par les frais qui se font à lever la taille, qui vont à des excès incroyables. Quoique Votre Majesté sache bien sans doute combien en toutes ces choses il se commet d'injustices et de pilleries ; ce qui soutient vos peuples, c'est, Sire, qu'ils ne peuvent se persuader que Votre Majesté sache tout; et ils espèrent que l'application qu'elle a fait paraître pour les choses de son salut, l'obligera à approfondir une matière si nécessaire.

Il n'est pas possible que de si grands maux, qui sont capables d'abîmer l'Etat, soient sans remède ; autrement tout serait perdu sans ressource. Mais ces remèdes ne se peuvent trouver qu'avec beaucoup de soin et de patience : car il est malaisé d'imaginer des expédients praticables, et ce n'est pas à moi à discourir sur ces choses. Mais ce que je sais très-certainement, c'est que si Votre Majesté témoigne persévéramment qu'elle veut la chose ; si malgré la difficulté qui se trouvera dans le détail elle persiste invinciblement à vouloir qu'on cherche ; si enfin elle fait sentir, comme elle le sait très-bien faire, qu'elle ne veut point être trompée sur ce sujet, et qu'elle ne se contentera que des choses solides et effectives : ceux à qui elle confie l'exécution se plieront à ses volontés, et tourneront tout leur esprit à la satisfaire dans la plus juste inclination qu'elle puisse jamais avoir.

Au reste Votre Majesté, Sire, doit être persuadée que quelque bonne intention que puissent avoir ceux qui la servent pour le soulagement de ses peuples, elle n'égalera jamais la vôtre. Les bons rois sont les vrais pères des peuples ; ils les aiment naturellement : leur gloire et leur intérêt le plus essentiel est de les conserver et de leur bien faire, et les autres n'iront jamais en cela si avant qu'eux. C'est donc Votre Majesté qui par la force invincible avec laquelle elle voudra ce soulagement, fera naître un désir semblable en ceux qu'elle emploie : en ne se lassant point de chercher et de pénétrer, elle verra sortir ce qui sera utile effectivement. La connaissance qu'elle a des affaires de son Etat, et son jugement exquis lui fera démêler ce qui sera solide et réel

 

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d'avec ce qui ne sera qu'apparent. Ainsi les maux de l'Etat seront en chemin de guérir ; et les ennemis, qui n'espèrent qu'aux désordres que causera l'impuissance de vos peuples, se verront déchus de cette espérance. Si cela arrive, Sire, y aura-t-il jamais ni un prince plus heureux que vous, ni un règne plus glorieux que le vôtre?

Il est arrivé souvent qu'on a dit aux rois que les peuples sont plaintifs naturellement, et qu'il n'est pas possible de les contenter quoi qu'on fasse. Sans remonter bien loin dans l'histoire des siècles passés, le nôtre a vu Henri IV votre aïeul, qui par sa bonté ingénieuse et persévérante à chercher les remèdes des maux de l'Etat, avait trouvé le moyen de rendre les peuples heureux, et de leur faire sentir et avouer leur bonheur. Aussi en était-il aimé jusqu'à la passion; et dans le temps de sa mort on vit par tout le royaume et dans toutes les familles, je ne dis pas l'étonnement, l'horreur et l'indignation que devait inspirer un coup si soudain et si exécrable, mais une désolation pareille à celle que cause la perte d'un bon père à ses enfants. Il n'y a personne de nous qui ne se souvienne d'avoir ouï souvent raconter ce gémissement universel à son père ou à son grand-père, et qui n'ait encore le cœur attendri de ce qu'il a ouï réciter des bontés de ce grand roi envers son peuple, et de l'amour extrême de son peuple envers lui. C'est ainsi qu'il avait gagné les cœurs ; et s'il avait ôté de sa vie la tâche que Votre Majesté vient d'effacer, sa gloire serait accomplie, et on pourrait le proposer comme le modèle d'un roi parfait. Ce n'est point flatter Votre Majesté, que de lui dire qu'elle est née avec de plus grandes qualités que lui. Oui, Sire, vous êtes né pour attirer de loin et de près l'amour et le respect de tous vos peuples. Vous devez vous proposer ce digne objet, de n'être redouté que des ennemis de l'Etat et de ceux qui font mal. Que tout le reste vous aime, mette en vous sa consolation et son espérance et reçoive de votre bonté le soulagement de ses maux. C'est là de toutes vos obligations celle qui est sans doute la plus essentielle; et Votre Majesté me pardonnera si j'appuie tant sur ce sujet-là, qui est le plus important de tous.

Je sais que la paix est le vrai temps d'accomplir parfaitement

 

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toutes ces choses : mais comme la nécessité de faire et de soutenu-une grande guerre exige aussi qu'on s'applique à ménager les force! des peuples, je ne doute point, Sire, que Votre Majesté ne le fasse plus que jamais ; et que dans le prochain quartier d'hiver, aussi bien qu'en toute autre chose, on ne voie naître de vos soins et de votre compassion tous les biens que pourra permettre la condition des temps. C'est, Sire, ce que Dieu vous ordonne, et ce qu'il demande d'autant plus de vous, qu'il vous a donné toutes les qualités nécessaires pour exécuter un si beau dessein : pénétration, fermeté, bonté, douceur, autorité, patience, vigilance, assiduité au travail. La gloire en soit à Dieu, qui vous a fait tous ces dons, et qui vous en demandera compte. Vous avez toutes ces qualités, et jamais il n'y a eu règne où les peuples aient plus de droit d'espérer qu'ils seront heureux que sous le vôtre. Priez, Sire, ce grand Dieu qu'il vous fasse cette grâce, et que vous puissiez accomplir ce beau précepte de saint Paul, qui oblige les rois à faire vivre les peuples, autant qu'ils peuvent, doucement et paisiblement, en toute sainteté et chasteté (1).

Nous travaillerons cependant à mettre Monseigneur le Dauphin en état de vous succéder, et de profiter de vos exemples. Nous le faisons souvent souvenir de la lettre si instructive que Votre Majesté lui a écrite. Il la lit et relit avec celle qui a suivi, si puissante pour imprimer dans son esprit les instructions de la première. Il me semble qu'il s'efforce de bonne foi d'en profiter : et en effet je remarque quelque chose de plus sérieux dans sa conduite. Je prie Dieu sans relâche qu'il donne à Votre Majesté et à lui ses saintes bénédictions ; et qu'il conserve votre santé dans ce temps étrange, qui nous donne tant d'inquiétudes. Dieu a tous les temps dans sa main, et s'en sert pour avancer et pour retarder, ainsi qu'il lui plait, l'exécution des desseins des hommes. Il faut adorer en tout ses volontés saintes, et apprendre à le servir pour l'amour de lui-même.

Je supplie Votre Majesté de me pardonner cette longue lettre : jamais je n'aurais eu la hardiesse de lui parler de ces choses, si elle ne me l'avait si expressément commandé. Je lui dis les choses

 

1 I Timoth., II, 2.

 

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en général ; et je lui en laisse faire l'application, suivant que Dieu l'inspirera. Je suis, avec un respect et une dépendance absolue aussi bien qu'avec une ardeur et un zèle extrême, etc.

 

INSTRUCTION
DONNÉE A LOUIS XIV, EN 1675 (a). Quelle est la dévotion d'un roi.

 

L'essentielle obligation que la religion impose à l'homme, c'est d'aimer Dieu de tout son cœur comme la source de tout son être et de tout son bien, et de ne rien aimer qui ne se rapporte à lui. C'est à quoi doit tendre toute la vie chrétienne; et on n'a ni piété véritable, ni pénitence sincère, tant qu'on ne se met point en état, et qu'on n'a point le désir de faire régner en soi-même un tel amour. En cet amour consiste la vraie vie, selon que Notre-Seigneur l'a enseigné dans son Evangile.

 

(a) Cette instruction étant relative aux deux lettres qu'on vient de lire, nous avons cru ne pouvoir lui assigner une place plus convenable que celle que nous lui donnons. Le lecteur lira sans doute avec plaisir quelques anecdote» qui ont trait à cette instruction, et qui sont rapportées par l'abbé Ledieu, secrétaire de Bossuet.

« On ne peut douter, dit-il, que cette règle de vie n'ait été donnée au Roi par M. de Condom, après l'éclat de l'éloignement de Madame de Montespan, à Pâque 1675, puisqu'alors le Roi étant à l'armée entretint un commerce suivi de lettres avec ce prélat, jusqu'à son retour à la Cour, qui eut les funestes suites que j'ai marquées ailleurs.» Ces funestes suites, dont parle ici M. Ledieu, regardent les nouvelles liaisons que le Roi entretint à son retour avec Madame de Montespan, sous prétexte d'une amitié honnête, qui firent bientôt évanouir tous les projets de conversion, et se terminèrent à la naissance de plusieurs enfants naturels, dont le comte de Toulouse fut du nombre.

« Le mois d'août 1701, ajoute M. Ledieu. on a beaucoup parlé à la Cour de la satisfaction que Madame la duchesse de Bourgogne témoigna avoir eue de M. le prieur de Marli, à qui elle se confessa dans sa maladie de ce temps-là. M. l'archevêque de Reims disait tout haut : Elle est plus contente du curé que de son jésuite. Il est certain que ce prieur lui dit de grandes vérités, qu'elle avoua n'avoir jamais sues. Elle dit à Monseigneur l’évêque de Meaux qu'il parlait bien de Dieu, qu'elle en avait été très-touchée, qu'elle voulait servir Dieu avec plus de soin, et qu'elle croyait que cette maladie lui avait été envoyée pour l'en avertir.

» Ce fut à ce propos que Monseigneur l'évêque de Meaux nous dit à Versailles, le mardi 23 d'août, MM. les abbés Fleury et Cattellan présents : J'ai autrefois donné au Roi une instruction par écrit, où je mettais l'amour de Dieu pour fondement de la vie chrétienne. Le Roi l'ayant lue, me dit : Je n'ai jamais ouï parler de cela, on ne m'en a rien dit. » (Les édit.)

 

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Cet amour n'est autre chose qu'une volonté ferme et constate de plaire à Dieu, de se conformer entièrement à ses ordres, et d'arracher de son cœur tout ce qui lui déplaît, quand il en devrait coûter la vie.

Cet amour nous doit faire aimer notre prochain comme nous-mêmes, selon le précepte de l'Evangile (1) ; ce qui nous oblige à lui procurer tout le bien possible, chacun selon son état.

Un roi peut pratiquer cet amour de Dieu et du prochain, à tous les moments de sa vie ; et loin d'être détourné par là de ses occupations, cet amour les lui fera faire avec fermeté, avec douceur, avec une consolation intérieure, et un repos de conscience qui passe toutes les joies de la terre.

Ainsi aimer Dieu, à un roi, ce n'est rien faire d'extraordinaire ; mais c'est faire tout ce que son devoir exige de lui, pour l'amour de celui qui le fait régner.

Un roi qui aime Dieu, le veut faire régner dans son royaume comme le véritable Souverain, dont les rois ne sont que les lieutenants; et en lui soumettant sa volonté, il lui soumet en même temps les volontés de tous ses sujets, autant qu'elles dépendent de la sienne.

Il protège la religion en toutes choses ; et il connaît, en protégeant la religion, que c'est la religion qui le protège lui-même, puisqu'elle fait le plus puissant motif de la soumission que tant de peuples rendent aux princes.

Il aime tendrement ses peuples à cause de celui qui les a mis en sa main pour les garder ; et prend pour ses sujets un cœur de père, se souvenant que Dieu, dont il tient la place, est le Père commun de tous les hommes.

Par là il reconnaît qu'il est roi pour faire du bien, autant qu'il peut, à tout l'univers, et principalement à tous ses sujets; et que c'est là le plus bel effet de sa puissance.

Ainsi ce n'est qu'à regret qu'il est contraint de faire du mal à quelqu'un : par son inclination, il préférerait toujours la clémence à la justice, s'il n'était forcé à exercer une juste sévérité pour retenir ses sujets dans leur devoir.

1 Matth., XXII, 39.

 

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Il n'en vient aux rigueurs extrêmes que connue les médecins, lorsqu'ils coupent un membre pour sauver le corps.

En se proposant le bien de l'Etat pour la fin de ses actions, il pratique l'amour du prochain dans le souverain degré, puisque dans le bien de l'Etat est compris le bien et le repos d'une infinité de peuples.

Lorsqu'il agit fortement pour soutenir son autorité, et qu'il est jaloux de la conserver, il fait un grand bien à tout le monde, puisqu'en maintenant cette autorité, il conserve le seul moyen que Dieu ait donné aux hommes pour soutenir la tranquillité publique, c'est-à-dire le plus grand bien du genre humain.

Quand il rend la justice ou qu'il !a fait rendre exactement selon les lois, ce qui est sa principale fonction, il conserve le bien à un chacun, et donne quelque chose aux hommes qui leur est plus cher que tous les biens et que la vie même, c'est-à-dire la liberté et le repos en les garantissant de toute oppression et de toute violence.

Quand il punit les crimes, tout le monde lui en est obligé ; et chacun reconnaît en sa conscience que dans ce grand débordement de passions violentes, qu'on voit régner parmi les hommes, il doit son repos et sa liberté à l'autorité du prince qui réprime les méchants.

En réglant ses finances, il empêche mille pilleries qui désolent le genre humain, et mettent les faibles et les pauvres, c'est-à-dire la plupart des hommes, au désespoir. Ainsi l'amour du prochain le dirige dans cette action ; et il sert Dieu dans les hommes que Dieu a confiés à sa conduite.

S'il fait la paix, il met fin à des désordres effroyables, sous lesquels toute la terre gémit.

Etant contraint de faire la guerre, il la fait avec vigueur : il empêche ses peuples d'être ravagés, et se met en état de conclure une paix durable en faisant redouter ses forces.

Lorsqu'il soutient sa gloire, il soutient en même temps le bien public ; car la gloire du prince est l'ornement et le soutien de tout l'Etat.

S’il cultive les arts et les sciences, il procure par ce moyen de

 

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grands biens à son royaume, et y répand un éclat qui fait honorer la nation et rejaillit sur tous !es particuliers.

S'il entreprend quelque grand ouvrage, comme des ports, de grands bàtimenset d'autres choses semblables, outre l'utilité publique qui se trouve dans ces travaux, il donne à son règne une gloire qui sert à entretenir ce respect de la majesté royale, si nécessaire au bien du monde.

Ainsi quoi que fasse le prince, il peut toujours avoir en vue le bien du prochain, et dans le bien du prochain le véritable service que Dieu exige de lui.

Par tout cela, il paraît qu'un prince appliqué, autant qu'est le Roi, aux affaires de la royauté, n'a besoin, pour se faire saint, que de faire pour l'amour de Dieu ce qu'on fait ordinairement par un motif plus bas et moins agréable.

Le bien public se trouve même dans les divertissements honnêtes qu'il prend, puisqu'ils sont souvent nécessaires pour relâcher un esprit qui serait accablé par le poids des affaires, s'il n'avait quelques moments pour se soulager.

Que fera donc le Roi en se donnant à Dieu, et que changera-t-il dans sa vie? Il n'y changera que le péché; et faisant pour Dieu toutes ses actions, il sera saint sans rien affecter d'extraordinaire.

L'amour de Dieu lui apprendra à faire toutes choses avec mesure, et à régler tous ses desseins par le bien public, auquel est joint nécessairement sa satisfaction et sa gloire.

Cet amour du bien public lui fera avoir tous les égards possibles et nécessaires à chaque particulier, parce que c'est de ces particuliers que le public est composé.

Il n'est ici question ni de longues oraisons, ni de lectures souvent fatigantes à qui n'y est pas accoutumé, ni d'autres choses semblables. On prie Dieu allant et venant, quand on se tourne à lui au dedans de soi. Que le Roi mette son cœur à faire bien les prières qu'il fait ordinairement; c'en sera assez. Du reste tout ira à l'ordinaire pour l'extérieur, excepté le seul péché, qui dérègle la vie, la déshonore, la trouble, et attire des châtiments rigoureux de Dieu et en ce monde et en l'autre. Qu'on est heureux d'ôter de

 

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sa vie un si grand mal! Au surplus, le grand changement doit être au dedans; et la véritable prière du Roi, c'est de se faire peu à peu une douce et sainte habitude de tourner un regard secret du côté de Dieu, qui de sa part veille sur nous et nous regarde sans cesse pour nous protéger, sans quoi à chaque moment nous péririons.

 

LETTRE XLIII.
BOSSUET A M. DIROIS, DOCTEUR DE SORBONNE. A Versailles, ce 23 août 1675.

 

Je suis très-aise, Monsieur, de recevoir des marques de votre cher souvenir. Les soins que vous prenez pour notre version sont bien obligeants. Je nie repose sur vous de toute la suite; et je m'attends que vous me direz de quelle manière et par quelle sorte de présent je pourrai reconnaître les soins de M. l'abbé Nazzari  (1), quand son ouvrage sera achevé. La lettre du révérendissime Père Maître du sacré Palais est très-obligeante. Je vous supplie, dans l'occasion, de m'entretenir dans ses bonnes grâces, et de l'assurer de ma part d'une estime extraordinaire. Je vous suis très-obligé des bons sentiments que vous avez de moi; j'ai aussi pour vous, Monsieur, toute l'estime possible, et suis très-sincèrement, etc.

 

LETTRE (extrait) XLIV.
M. DE PONTCHATEAU (2) A M. DE CASTORIE  (3). Ce 9 octobre 1675.

 

Avez-vous lu le livre de M. de Condom? le trouvez-vous bon? ne serait-il pas propre à être traduit en latin? Si vous !e jugez

 

1 François Nazzari, très-distingué par son savoir et ses écrits. Il est le premier auteur du Journal des Savants, qui fut entrepris en Italie, à l'imitation de celui qui s'imprimait en France. — 2 Sébastien-Joseph du Cambout de Pontchâteau, parent du cardinal de Richelieu, fut pourvu de plusieurs bénéfices, auxquels il renonça pour vivre dans la retraite et la pratique de la pénitence. Il mourut en 1690. — 3 Jean de Neercassel, Hollandais, fut sacré évoque de Castorie in partibus infidelium, et exerça avec beaucoup de zèle dans les Provinces-Unies les fonctions de vicaire apostolique. Il mourut en 1686. (Les édit.)

 

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ainsi, on pourrait le faire dire à M. de Condom, et lui demander s'il ne voudrait point en prendre lui-même le soin ; car assurément il se trouvera honoré de ce dessein, si vous l'avez. Mais avant toutes choses, il faudrait regarder si vous le trouvez bien, s'il n'y aurait rien à changer ; car on lui en pourrait parler. J'attends de vos nouvelles sur cela.

 

EX EPISTOLA XLV.
CASTORIENSIS AD ABBATEM DE PONTCHATEAU.

 

Exegesim Fidei catholicœ, quam composuit illustrissimus Episcopus Condomensis, cum magnà voluptate legi : undè etiam uni domesticorum meorum, qui est vir magni ingenii, et tùm Gallicae tùm Batavicae linguae valdè peritus, eam dedi in nostrum idioma vertendam, quod populo mihi credito non inutile futurum spero. Converteremus hic eumdem librum in linguam latinam, nisi forsan illustrissimus Episcopus istam versionem ipse vellet adornare ; quod tanto elegantiùs ipse perficeret, quantô latinum ejus eloquium puritati gallici sermonis propiùs accedit. Crastinà die denuò legam istam Exegesim, et videbo si quid sit quod mutatum vellem : tibi istud proximo cursore indicabo.

 

30 Octob. 1675.

 

EPISTOLA XLVI.
CASTORIENSIS AD ABBATEM DE PONTCHATEAU.

 

Relegi Expositionem Fidei catholicœ, quam composuit illustrissimus Episcopus Condomensis. Ut mihi valdè placuit cùm eam ante annos legerem, ità nunc repetita ejus lectio me singulari affecit voluptate, spemque praebuit quòd ista Expositio tùm catholicis, tùm acatholicis nostri Relgii foret utilissima, si verteretur in linguam latinam, nostramque vernaculam. Haec versio jam inchoataest et brevi absolvetur. Illam aggrediemur, si eruditissimus Episcopus non decrevit ipse eam adornare, quod ex te scire desidero.Vellem etiam illum consuleres nùm pagina 27 et 28 non sint aliqua mutanda aut illustranda. Etenim videtur illic primo supponi inutiles

 

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fore quas ad Sanctos preces dirigimus, si ipsi eas ignorarent : secundo esse ab Ecclesià defmitum nostras à Sanctis sciri orationes. Haec duo existimo egere nonnullà castigatione.

Pagina 58 verba Expositionis videntur insinuare quod remissionem criminum post Raptismum commissorurn, lege ordinariâ, satisfactio subsequatur, cùm tamen sit magis conforme instituto Christiet moribus antiquaj Ecclesiae, ut satisfactio praecedat absolutionem. Optarem itaque ut ea quae paragraphe vm conti-nentur ità scriberentur, ut nihil officerent praxi saluberrimae, quà, in sacramento Pcenitentiae, non relaxatur pœna aeterna, nisi postquàm pœns temporales istam indulgentiam aliquatenùs promeruerint. Dignaberis haec illustrissimo Episeopo insinuare, et unà meam ipsi testari observantiam.

 

28 Novemb. 1675.

 

EX EPISTOLA XLVII.
CASTORIENSIS AD ABBATEM DE PONTCHATEAU.

 

Non potui tam citò atque animo destinaverain, relegcre eruditum libellum illustrissinii Condomensis Episcopi, cujus humanitatem, ante annos mihi exhibitam, recordari non possum quin eximias ejus dotes, ac praesertim eminentem eruditionem summae junctam modestiae, suspiciam atque collaudem.

 

12 Decemb. 1675.

 

LETTRE XLVIII.
L'ABBÉ DE PONTCHATEAU A M. DE CASTORIE. Ce 28 décembre 1675.

 

J'ai reçu votre lettre du 12 de ce mois ; et comme j'avais aussi reçu les précédentes, j'avais fait un extrait de ce qui regarde le livre de M. de Condom que je lui ai fait donner. Mais je n'ai pas encore eu réponse, parce que la Cour est présentement à Saint-Germain. En atténuant, je vous dirai qu'il traduit son livre en latin : je ne sais pas s'il sera en état d'être bientôt imprimé.

 

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LETTRE XLIX.
L'ABBÉ DE PONTCHATEAU A M. DE CASTORIE. Ce 23 janvier 1676.

 

Je reçus hier au soir le Mémoire de M. de Condom, dont je vous envoie une copie, parce que l'original est de si gros caractère, qu'il tient dix ou douze pages, au lieu des trois dans lesquelles je l'ai réduit. Il n'est point signé de lui ; et comme vous ne lui aviez pas écrit, il s'est servi de la même voie pour répondre à vos remarques. Il attend donc présentement votre pensée, c'est-à-dire si vous souhaitez qu'il vous envoie sa traduction latine pour la faire imprimer : car ce qu'il dit, qu'on la fera peut-être à Rome, ne doit pas en empêcher. Il me semble donc qu'il serait bon que vous prissiez la peine de lui écrire sur ce Mémoire, et lui demander son livre pour le faire imprimer. Je souhaiterais que vous lui eussiez fait présenter un des vôtres : De cultu Sanctorum, etc. Si vous le souhaitez, vous n'avez qu'à lui en parler dans votre lettre ; et je lui ferai donner le mien en lui donnant votre lettre. Mais si vous lui écrivez, ne parlez point par qui vous avez reçu son Mémoire, parce que je n'ai pas de commerce immédiat avec lui : et c'a été par M. Arnauld et par un de nos amis, que je lui ai fait remettre le Mémoire de vos difficultés, auquel j'avais ajouté un extrait de ce que vous m'aviez mandé d'obligeant pour la personne de M. de Condom.

 

LETTRE L.
CONDOMENSIS AD CASTORIENSIS OBSERVATIONES RESPONSUM. DE LIBELLO EXPOSITIONIS FIDEI.

 

Quòd illustrissimus Episcopus Trajeclensis de me tam amanter tamque honorificè sentiat, id ego ex animo gaudeo, atque ejus humanitati acceptum fero. Quod meum de Eœpositione Fidei libellum tantoperè probet, ac Ratavicà linguà interpretandum curet,

 

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id ipsi libello vehementissimè gratulor, gratissimumque habeo laudari illum ab eo Antistite quem omni honore atque amore prosequor ; atque unum existimo Ecclesiae  Batavicae, gravitate, prudentià, doctrinà et apostolicà charitate, his miserrimis temporibus sustentanda (3) divinà Providentià natum. De interpretatione verò latinà, jam à me signification est quo in loco res sit, atque eà de re ejus expecto sententiam. Observationes in ipsum libellum accepi lubens, neque me ab ejus mente discessisse puto.

Pagina 25, -20, 27, 28 et 29 id ago primo, ut si Sanctis nostrarum precum notitia tribuatur, certum sit nihil eis supra creaturae sortem attribui : secundo, ut certum quoque sit, de mediis quibus etiam notitiam habeant, nihil esse ab Ecclesià definitum. Rem ipsam ab Ecclesià esse a perte definitam, aut ullum ejus extare decretum quo ea Sanctis notifia tribuatur, vel eâ sublatà judicetur nostras ad eus pièces esse inutiles, nullibi à me est dictum.

Quanquàm eam notitiam Sanctis non denegandam, si non apertissimà Ecclesiœ definitione, firmissimà lamen Patrum traditione certum puto. Is enim est communis fidelium sensus ab ipsà antiquitate omnibus inditus, ut in ipsis precibus Sanctos alloquamur tanquàm audientes et intelligentes. Eò nempè spectal probata illa Augustino et miraculo confirmata piae mulieris deprecatio : « Sancte Martyr, meum dolorem vides. » Et iterùm : « Quare plangam vides (1). » Eôdem quoque pertinet illud Gregorii Theologi ad Athanasium atque Basilium : « Tu verò, ô divinum caput, de alto me respice (2), » et caetera in eamdem sententiam. Oregorius quoque Nyssenus Theodorum Martyrem orat (3), ut nostris festis intersit ; multaque cum eo agit, quae nisi sentientem affari se putet, non modo frigida, sed etiam inepta sint. Paulinus vero, a sancto Felice in lumine Christi res nostras cerni saepissimè commemorat (4). Hieronymus item atque alii Patres, nemine, quod sciam, discrepante, Sanctorum eà in re scientiae favent; ut utraque sententia, et quod orandi sint Sancti, et quod nos orantes audiant, eodem ad nos tenore, eàdem traditione devenisse videatur.

 

1 S. August., serm. CCCXXIV.—  2 Orat. XX et XXI. — 3 Orat. De S. Theod. Mart. — 4 Poem., VI, de S. Felic.

 

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Eam ergò sententiam quae scientiam Sanctis tribuit, cùm fidei catholicœ magis congruat ac certissimâ Patrum consensione firmetur, mihi explicandam potissimùm atque illustrandam duxi ; sic tamen ut ab Ecclesià expresse definitam neque dixerim neque supposuerim : verùm eà de re penitùs tacendum censui. At si quis vel à Sanctis nostras non exaudiri preces, vel id certum apud nos non esse pronuntiet, gravissimae dabitur offensioni locus : quod à meo consilio perquàm alienissimum esse oportebat ; ne qui ad pacem haereticos adhortabatur, idem inter catholicos belli causas sereret.

De satisfactione sic egi, ut concilii Tridentini sententiam quàm simplicissimè exponerem ; nempè in Pœnitentiae sacramento non ita dimitti culpam, ut omnis quoque pœna dimittatur. An verò ante vel post absolutionem ea pœna subeunda sit, ex meis dictis colligi non potest, si quis eorum sensum strictiùs pervestiget. Ego ab eà quaestione, ut loquuntur, abstrahendum putavi ; quòd catholica fides de satisfactions necessitate stet immota ac tuta, sive in antiquâ disciplina, sive in eà quam nostra potissimùm sequitur aetas, quamque à concilio Tridentino magis esse spectatam, vel ex eo intelligimus quòd de satisfactione agit, perfecto de absolutione tractatu.

Haec habui dicenda ad doctissimi Praesulis notas. Caeterùm in libello meo, nisi error aliquis demonstretur, nihil mutandum existimo, tùm ad evitandas nostrorum haereticorumque calumnias, tùm quòd ipse libellus jam in alias linguas sit transfusus, tùm eò maxime quòd, uti se habet, Romae sit probatus, atque ibi propemodùm excudendus esse videatur. Dabo sanè operam, ut in interpretatione latinâ, de quà à me signification est, observationum doctissimi Prœsulis, quantum libelli sinet integritas, ratio habeatur.

 

EPISTOLA LI.
CASTORIENSIS AD ABBATEM DE PONTCHATEAU.

 

Quòd non scripserim illustrissimo Condomensi, ex meâ ergà ipsum observantià factum est. Illa enim mihi videbatur prohibere

 

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ne meis lilteris occupatissimum Prœsulem interpellare praesumerem. Verùm cùm advertam tan tam esse ipsius ergà me benevolentiam et humanitatem, quantam illius litterae ad illustrissimum Arnaldum prae se ferunt, ausus fui adjunctas ipsi litteras dirigera, quas subsequetur exemplar quatuor tractatuum quos composui de Cultu Sanctorum.

 

5 Februarii 1676.

 

EPISTOLA LII.
CASTORIENSIS CONDOMENSI.

 

Quas ad Dominum Arnaldum de me scribis, licèt meis sint meritis longe majora, eò tamen sunt gratissima, quò mihi vestrum testantur affecturn. Non enim potest non esse jucundum ab eo Praesule diligi, quem virtutis excellentia Superis charissimum, et quem splendor ductrinae mortalibus reddit venerandum. Plurimùm vestrae gratiae me agnosco debere, quòd singulari humanitate ad meas observationes respondere fueris dignatus. Rationes ob quas censés in libro nihil esse mutandum amplector lubens. Vidi quas calumnias effutierit nescio quis Calvinista, qui notat in quo differant exemplaria typis edita, ab illis quae calamus expressif. Quare, ne maledicis ulla praebeatur calumniœ occasio, pradenter statuis nihil esse mutandum. Post paucos dies Batavis meis batavicè loquetur vestra Fidei Expositio. Non dubito quin proderit quàm plurimis, qui non alià magis de causa à nobis manent aversi, quàm quia sanctimoniam et majestatem cathohcae veritatis non distinguunt ab opinationibus scholasticorum, saepè non castis, saepè non veris.

Catechismum (a) quem métro composuisti, nobilis apud Batavos poeta batavicis numeris non expressit inepte : ut ille nostris catechumenis fiat familiaris, brevi etiam evulgabitur. Multùm igitur tibi, Antistes illustrissime, nostra debebit Batavia : tuis enim lucubrationibus illustrabitur in fide, et crescet in scientià

 

(a) Errat Castoriensis, hunc Catechismum Bossuetio adscribendo : ejus auctor fuit Ludovicus le Bourgeois de Heauville, qui multa etiam alia pia carmina galicè scripsit, à Bossuetio pluribusque Episcopis et Doctoribus approbata. Vite functus est circa an. 1680 (Les edit.)

 

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Dei. Huic favori alium adderes, si latinum exempter Expositionis Fidei mihi mittere dignareris. Curam gererem ut hic typis, ad instructionem eorum qui libenter latina legunt, quàm primùm ederetur. Magno me beneficio ditabis, si hoc à vestrâ gratià merear obtinere.

Sopiendis turbis, quae anno elapso occasione cultûs Deiparae in Belgio fuerunt concitatae, composui quatuor tractatus de Cultu Sanctorum ac praesertim Deiparae. Horum exemplar vestrae gratiae arrdeo offerre, quo meum illi tester obsequium, et unà significem quantà cum aestimatione tuarum virtutum, et observantiâ meritorum me profitear, illustrissime, etc.

 

5 Februarii 1676.

 

LETTRE LIII.
BOSSUET AU P. BOUHOURS, JÉSUITE (a). Versailles, 12 septembre 1676.

Votre Histoire (b), mon révérend Père, m'a servi d'un doux entretien pendant ma maladie. Je ne puis assez vous remercier de m'avoir fourni de quoi m'occuper d'une manière si agréable. Excusez si je ne vous témoigne pas, de ma main, la satisfaction que j'ai eue dans cette lecture. Un reste de faiblesse me le défend. Mais rien ne m'empêchera jamais, mon révérend Père, d'être à vous de tout mon cœur avec une estime particulière.

 

J. BÉNIGNE, a. év. de Condom.

 

LETTRE LIV.
BOSSUET AU MARÉCHAL DE BELLEFONDS. A Saint-Germain, ce 16 mars 1676.

 

Je vous écris peu, Monsieur; car il y a peu à vous dire : Dieu vous parle, et vous l'écoutez. Les hommes ont peu à vous dire,

 

(a) Publiée par M. Floquet. — (b) Histoire de Pierre d'Aubusson, Grand-Maître: de Rhodes, Paris 1676.

 

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quand cela est ainsi. Prêtez l'oreille au dedans, ayant les yeux de l’esprit toujours tournés et toujours attachés à cette lumière intérieure, où Ton voit que Dieu est tout, et que tout le reste n'est rien. Heureux qui caché au monde et à soi-même, ne voit que cette première vérité !

Après la mort de M. de Turenne, on a ici fort pensé à vous rappeler; cela a été détourné : en apparence les hommes l'ont fait, et nous en savons les raisons. En effet c'est Dieu qui a tout conduit ; et nous savons aussi sa raison, qui est de vous renfermer avec lui. Voilà, Monsieur, quel doit être votre exercice. Dieu fera de vous ce qu'il lui plaira : peut-être veut-il vous appliquer un jour à quelque bien; peut-être vous veut-il tenir sous sa main retiré du monde. Qui sait les conseils de l'Eternel? Ses pensées ne sont pas les nôtres : adorons-les, soumettons-nous ; n'attendons rien que sa gloire et son règne ; ne l'attendons pas de nous-mêmes, qui ne sommes et ne pouvons rien : soyons prêts à tout ce qu'il voudra ; écoutons-le dans le fond du cœur : qu'il soit notre conducteur et notre lumière; il le sera, si nous l'aimons, et si nous mettons en lui seul notre confiance.

Je travaille sans relâche dans les heures de loisir que j'ai, à faire quelque chose pour le salut des hérétiques : ce n'est que le peu de temps qui me reste qui empêche le progrès de cet ouvrage. Priez Dieu qu'il me, fasse la grâce de le continuer pour l'amour de lui, et qu'il me donne des lumières pures. J'ai fort dans le cœur M. et Madame de Schomberg : ils sont encore bien loin ; mais Dieu est bien près. Adorons-le en secret et eu public ; écoutons-le dans la solitude et dans le silence de toutes choses : souffrons ce qu'il veut, faisons ce qu'il veut ; c'est là tout l'homme.

 

LETTRE LV.
BOSSUET A M. DIROIS, DOCTEUR DE SORBONNE.  A Saint-Germain, ce 25 novembre 1676.

 

Il  y a longtemps que je ne vous ai donné de mes nouvelles, quoique j'aie reçu de vos lettres. Une maladie, les affaires, et si

 

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vous voulez un peu de paresse, en ont été cause. Je rentre présentement en commerce par une prière qui ne vous sera pas désagréable : c'est. Monsieur, de vous informer des ouvrages d'Holstenius (a). On m'a dit qu'il en avait laissé de très-excellents et très-dignes d'être imprimés. N'y a-t-il pas moyen d'exciter sur cela ceux qui les ont? Il nous a donné les Actes du martyre de saint Boniface, qui ont beaucoup de marques d'une grande antiquité : il doute, ce me semble, si le latin est pris sur le grec, ou le grec suite latin. Pourriez-vous éclaircir cela par une bonne critique? Il y a un mot dans le latin, tout sur la fin, qui marque qu'Aglaé acheva sa vie inter Sonctimoniales. Qu'il y ait toujours eu des Vierges sacrées, c'est chose constante : qu'elles aient été appelées Sanctimoniales, ou même qu'elles aient vécu en communauté dès le temps de Dioclétien, on en peut douter : il faudrait voir comment parle et de quel mot se sert le grec. Vous avez sans doute grande habitude avec M. l'abbé Gradi (b), bibliothécaire apostolique, par qui vous pourrez voir ces pièces : vous me ferez plaisir de le faire.

Par occasion, vous pourrez assurer ce docte prélat que j'ai vu, entre les mains de M. de Montausier, une oraison funèbre du cardinal Rasponi, dont j'ai eu une extrême satisfaction tant pour les choses que pour le style. J'ai vu aussi un autre ouvrage manuscrit, plein d'érudition et de droiture; ce qui nie fait beaucoup estimer l'auteur de, ces belles choses.

A propos de sentiments droits sur la morale, est-il possible qu'un Pape si saint ne soit point un jour inspiré de mettre fin à tant d'opinions corrompues et très-dangereuses, qui se répandent dans l'Eglise, et dont ses ennemis tirent avantage contre la pureté de ses sentiments? Alexandre VII avait commencé d'y mettre la main, et l'accomplissement d'un si grand ouvrage est dû à la piété et aux grandes lumières d'Innocent XI.

M. l'évêque de Hollande (c), homme très-capable, comme vous

 

(a) Il était garde de la Bibliothèque du Vatican, et jouissait de la plus grande considération parmi les savants de l'Europe. — (b) Etienne Gradi, poète célèbre et très-estimé, dont Ferdinand de Furstemberg, évêque de Paderborn, a fait imprimer les poésies dans le recueil qui a pour titre : Septem virorum illustrium Poemata. — (c) De Neercassel, évêque de Castorie.

 

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savez, fait imprimer mon traité de l’Exposition en hollandais, et le veut faire imprimer en latin; c'est ce qui m'a obligé de revoir moi-même une version qu'un de mes amis (a) en a faite. Si vous jugez qu'à Rome la version latine toute faite put être plus tôt imprimée que l'italienne, je vous l'enverrai. Mandez-moi, s'il vous plaît, votre sentiment, et si vous croyez que par ce moyen on évitât les longueurs. Continuez-moi votre amitié, et croyez que je suis avec une estime particulière, etc.

 

EPISTOLA LVI.
CONDOMENSIS CASTORIENSI.

 

Ad te mitto tandem, Praesul illustrissime, Expositionis meae quam dudùm flugitas interpretationem latinam à viro doctissimo Claudio Fleury, serenissimorum Principum Contiorum Praceptore, summà diligentià accuratam, atque à me recognitam ; elegantissimam illam quidem, ut quae ab optimo interprète site laborata, in quà tamen perspicuitati magis quàm elegantiae consultum voluit. Atque ea quIdem interpretatio, si ad te perveniat tardiùs quàm oportuit, id eò contigit, quòd morbo implicitus, atque aliis curis districtus necessariis, opus recensere non potui.

Nunc igitur, Praesul illustrissime, totum illud opus permitto tibi, ac maxime gaudeo, quòd auctoritate, tuà in lucem prodeat, quam non modo tua dignitas, verùm etiam doctrina singularis, quodque prœcipuum, verè christiana pietas ac pro grege tibi commisso suscepti labores, deniquè evangelicâ illà et sanctà simplicitate condita prudentia, eommendatissimam omnibus facit. Mitto quoque ad te titulum operi prœfigendum, quo quidem profitendum existimavi interpretationem à me fuisse recognitam, ut mea, si qua est, eà in re auctoritas nec ipsi interpretationi desit.

Tractatus verò tuos de Cultu Sanctorum, quibus et nostros doces et adversarios amantissimè castigas, summâ animi voluptate perlegi ; tuamque illam ex optimis fontibus, de Christo in Maria et Sanctis colendo, deductam doctrinam penitùs infigi mentibus et cupio, et precor.

 

(a) L'abbé Fleury. ( Les édit.)

 

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Tu me, Praesul illustrissime, tui amantissimum atque observantissimum diligas, nostramque operam intanto Principe christianis maxime prœceptis informando, Deo commendatam velis. Vale.

 

Datum Parisiis, 15 feb. 1677.

 

EPISTOLA LVII.
CASTORIENSIS  CONDOMENSI.

 

Quod precibus meisannuens, latinam fieri, mihique praeceperis mitti tuam Catholicœ Fidei Expositionem, Autistes illustrissime, Domine mihi observantissime, acceptum fero eminenti in Christum studio, quo non contentas ipsius doctrinam eique placitam religionem à tuà Gallià cognosci, insuper satagis ut ab aliis quoque gentibus honoretur. Simul atque istum doetrinae thesaurum accipere merebor, diligenter curabo ne illi typorum elegantia desil.

Preces quas vestra à me modestia requirit, libenter impenderem, si dignus forem qui pro tanto Prœsule ad thronum divinae gratis precator accederem. Non tamen omittam toto corde desiderare, ut in serenissimi Discipuli virtutibus optimi Praeceptoris mérita celebrentur, Autistes illustrissime, etc.

 

29 Aprilis 1677.

 

LETTRE LVIII.
BOSSUET AU MARÉCHAL DE BELLEFONDS. A Versailles, ce 6 juillet 1677.

 

L'occasion est trop favorable pour la laisser passer sans vous écrire et sans vous demander de vos nouvelles. Je crois que Dieu vous continue ses grâces, et que vous apprenez tous les jours de plus en plus, à être moins content de vous-même, à mesure que vous le devenez de lui. En vérité, c'est un état désirable, de vouloir s'oublier soi-même à force, de se remplir de Dieu. Je trouve

 

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qu'on se sent trop, et de beaucoup trop, lors même qu'on tâche le plus de s'appliquer à Dieu. Dévouons-nous à lui en simplicité, soyons pleins de lui : ainsi nos pensées seront des pensées de Dieu, nos discours des discours de Dieu; toute notre action sortira d'une vertu divine. Il me semble qu'on prend cet esprit dans l'Ecriture. Dites-moi, je vous prie, comment vous vous trouvez de ce, pain de vie. N'y goûtez-vous pas la vie éternelle? ne s'y découvre-t-elle pas de plus en plus? ne vous donne-t-elle pas une idée de la vie que nous mènerons un jour avec Dieu? Les patriarches, les prophètes, les apôtres, ne vous paraissent-ils pas, chacun dans son caractère, des hommes admirables, de dignes figures de Jésus-Christ à venir, ou de dignes imitateurs de Jésus-Christ venu?

Il y a près d'un an que je n'ai reçu de vos lettres. Ma consolation est que je sais que vous ne m'oubliez pas. Pour moi, je vous offre à Dieu de tout mon cœur au saint autel ; et je le prie de vous changer en Jésus-Christ avec le pain qui figure toute l'unité du peuple de Dieu, en sorte qu'il n'y reste plus que la figure extérieure d'un homme mortel.

Me voilà quasi à la fin de mon travail. Monseigneur le Dauphin est si grand, qu'il ne peut pas être longtemps sous notre conduite. Il y a bien à souffrir avec, un esprit si inappliqué : on n'a nulle consolation sensible; et on marche, comme dit saint Paull, en espérance contre l'espérance. Car encore qu'il se commence d'assez bonnes choses, tout est encore si peu affermi, que le moindre effort du monde peut tout renverser. Je voudrais bien voir quelque chose de plus fondé ; mais Dieu le fera peut-être sans nous. Priez Dieu que sur la fin de la course, où il semble qu il doit arriver quelque changement dans mon état, je sois en effet aussi indifférent que je m'imagine l'être.

Adieu, Monsieur ; aimez-moi toujours. Il me semble que je vois votre prélat de plus en plus satisfait de vous. Quoiqu'il ait été à Paris assez longtemps, il a peu paru ici. Dieu veuille nous faire selon son cœur, et non selon le nôtre; car nous serions trop pervers et trop pleins de petites choses.

 

1 Rom., IV, 18.

 

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LETTRE LIX.
BOSSUET A M. LE ROI, ABBÉ DE HAUTE-FONTAINE  (a). A Versailles, ce 10 août 1677.

 

Je ne sais par quel accident il est arrivé que j'aie reçu votre écrit, sur la lettre de M. l'abbé de la Trappe (b), plus tard que vous ne l'aviez ordonné. Il m'a enfin été remis ; et j'ai été fort édifie des sentiments d'humilité, de, charité et de modestie que Dieu vous a inspirés en cette occasion.

Je reconnais avec vous qu'on ne peut vous condamner sans

 

(a) Guillaume le Roi, abbé de Haute-Fontaine, prêtre aussi recommandable par sa piété que par son savoir, avait des liaisons très-étroites avec le célèbre M. de Rancé, abbé de la Trappe. Quoique pénétré pour sa personne de tous les sentiments dus à son mérite, il ne put s'empêcher de Lui témoigner son improbation pour une pratique usitée à la Trappe. On y était dans l'usage, sous prétexte d'humilier et de mortifier les religieux, de leur imposer des pénitences souvent fort rudes pour des fautes qu'ils n'avaient point commises, et qu'on leur imputait sans peine qu'il leur fût permis de se justifier. On croyait leur rendre service et honorer Dieu, en leur attribuant par une pieuse fiction des défauts que rien ne manifestait au dehors. L'abbé de Haute-Fontaine témoigna combien ces sortes de fictions lui paraissaient contraires à la vérité et à la charité. L'abbé de la Trappe et dom Rigobert, qui prétendaient s'appuyer de l'autorité de saint Jean Climaque, répondirent qu'ils regardaient cette pratique « comme un point capital, pour faire acquérir aux religieux la perfection de leur état. » M. le Roi leur allégua contre ce sentiment beaucoup de raisons, qu'ils le prièrent de mettre par écrit. Il le fit dans un ouvrage qu'il intitula : Lettre à un abbé régulier, ou Dissertation sur le sujet des humiliations et autres pratiques de religion. Cette Dissertation, quoique très-solide et très-sage, déplut à l'abbé de la Trappe, qui s'imagina que l'auteur accusait lui et son monastère d'aimer les mensonges et les équivoques. Rien n'était cependant plus éloigné de la pensée de M. le Roi, qui n'attribuait qu'à un zèle indiscret ou peu réfléchi la conduite qu'il blâmait. La dispute s’échauffa. M. de Rancé entreprit de réfuter l'écrit de M. le Roi par une longue lettre qu'il adressa à M. Vialart, évêque de Châlons, dans laquelle il laissa échapper beaucoup de traits de vivacité contre l'auteur de la Dissertation. L'évêque de Châlons communiqua sa lettre à M. l'abbé de Haute-Fontaine, qui se borna à y faire des apostilles, après quoi il la renvoya au prélat. Cette affaire n'aurait pas eu d'autres suites, si l'abbé de la Trappe n'avait donné des copies de sa lettre : elle devint bientôt publique par l'impression, quoiqu'à l'insu et contre la volonté de l'auteur, qui le déclara ainsi à M. le Roi dans une lettre du 14 avril 1677. L'abbé de Haute-Fontaine se sentit alors pressé de faire imprimer sa Dissertation. Néanmoins la crainte de préjudicier à la réputation du respectable réformateur le retint; et avant de prendre aucun parti, il voulut consulter ses amis les plus sages et les plus éclairés. Bossuet fut de ce nombre. Ce prélat lui conseilla de ne point répondre à l'abbé de la Trappe. (Les édit ) — (b) Il s'agit d'un éclaircissement donné par M. le Roi, sur la lettre de M. l’abbé de la Trappe contre sa Dissertation. (Id.)

 

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avoir vu la Dissertation qui a donné lieu à la lettre ; et ceux qui ne l'ont pas vue n'ayant aucune raison de vous blâmer, doivent présumer pour votre innocence.

Sans juger ce qu'il y a ici de personnel, il y a sujet de louer Dieu de ce que vous et M. l'abbé êtes d'accord dans le fond, puisqu'il convient que les corrections fondées sur le mensonge n'ont point de lieu parmi les chrétiens ; et que vous avouez aussi qu'on ne peut avec raison rejeter celles qui se fondent sur des fautes présumées par quelque apparence.

Ainsi la vérité ne souffre point dans votre contestation ; et il me semble aussi, Monsieur, jusqu'ici que la charité n'y est point blessée.

Si M. l'abbé de la Trappe vous a imputé, comme vous le dites, un sentiment que vous n'avez pas (a), vous-même vous ne croyez pas qu'il l'ait fait dans le dessein de vous nuire ; et tout au plus, il se pourrait faire qu'il aurait mal pris votre pensée ; erreur qui après tout est fort excusable.

Les paroles fortes et rudes dont il se sert dans sa lettre ne tombent donc pas sur vous, mais sur une opinion que vous jugez fausse et dangereuse aussi bien que lui.

Quant à l'impression, vous croyez sur sa parole qu'il n'y a point eu de part ; et je puis vous assurer que l'affaire s'est engagée par des conjonctures dont il n'a pas été le maître.

J'avais vu sa lettre manuscrite, parce qu'elle s'était répandue sans la participation de M. l'abbé : et le récit, que m'ont fait des personnes très-sincères, de tout ce qui s'est passé, m'a convaincu que l'impression était inévitable.

Une chose qui s'est faite sans dessein et par un accident qui ne pouvait être ni prévu ni empêché, n'a pas dû offenser un homme aussi équitable que vous, et aussi solidement chrétien.

Et en effet votre écrit, plein de sentiments charitables, ne montre en vous, Monsieur, aucune aigreur ; mais il me semble seulement que vous croyez trop que M. l'abbé a tort.

 

(a) L'abbé de la Trappe disait que l'opinion de M. le Roi tendait à ruiner les pratiques de pénitence usitées dans les plus saints monastères et pour me servir de son expression, allait à ravager la Thébaïde. ( Les édit.)

 

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Ce que je viens de dire en toute sincérité et avec une certaine connaissance, vous doit persuader qu'il n'en a aucun. Et pour moi je crois. Monsieur, que Dieu a permis la publication de cet écrit afin que l'Eglise fût édifiée par un discours où toute la sainteté toute la vigueur et toute la sévérité de l'ancienne discipline monastique est ramassée.

J'ai lu et relu cette sainte Lettre ; et toutes les fois que je l'ai lue, il m'a semblé, Monsieur, que je voyais revivre en nos jours l'esprit de ces anciens moines dont le monde n'était pas digne ; et cette prudence céleste des anciens abbés, ennemie de la prudence de la chair, qui traite par des principes et avec une méthode si sûre les maux de la nature humaine.

Laissez donc courir cette lettre, puisque Dieu a permis qu'elle vît le jour. Il arrivera sans doute qu'elle donnera occasion de blâmer et vous et M. l'abbé de la Trappe : vous, qu'on verra accusé par un si saint homme; et lui, pour avoir accusé si sévèrement un ami dont le nom est grand parmi les gens de piété et de savoir.

Mais si vous demeurez tous deux en repos et que vous, Monsieur, en particulier, qui êtes ici l'attaqué, méprisiez les discours des hommes en l'honneur de celui qui étant la sagesse même, n'a pas dédaigné d'être l'objet de leur moquerie, ces blâmes se tourneront en louanges et en édification, et même bientôt.

Ainsi loin d'être d'avis que la Dissertation soit imprimée, je ne puis assez louer la résolution où vous êtes de communiquer vos réflexions à très-peu de personnes ; et je me sens fort obligé de ce que vous avez voulu que je, fusse de ce nombre.

Les réflexions, Monsieur, toutes modestes qu'elles sont, sont tournées d'une manière à vouloir qu'on donne un grand tort à M. l'abbé de la Trappe, et un tort certainement qu'il n'a pas, puisqu'il n'a aucune part aux copies qui ont couru de sa Lettre en manuscrit, ni à l'impression qui s'en est faite.

Pour ce qui est de la Dissertation, de quelque part qu'elle fût imprimée, soit de la sienne, soit de la vôtre, elle ne peut plus servir qu'à montrer un esprit de contestation parmi des personnes qui ont la paix et la charité dans le fond du cœur.

 

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Pardonnez-moi, Monsieur, la liberté que je prends de vous dire mes pensées : je vous assure que je le fais sans aucune partialité, et dans le dessein de servir également les uns et les autres. Quand vous ne direz mot, votre humilité et votre silence parleront pour vous, et devant Dieu et devant les hommes.

Permettez-moi encore un mot sur ce que vous dites des prosternements pour fautes légères. J'avoue qu'étant employés sans discrétion, ils font plus de mal que de bien, et font recevoir indifféremment les pénitences ; mais étant ordonnés à propos, ils humilient les superbes, et les font rentrer en eux-mêmes : et je ne crois pas que ce soit un doute qu'ils puissent être utilement employés pour les fautes les plus légères, puisque même, comme vous savez beaucoup mieux que moi, il n'y en a point de légères à qui a sérieusement pensé de quel fonds elles viennent toutes, à quoi elles portent et à qui elles déplaisent.

Au reste en finissant cette lettre, je ne puis m'empêcher de vous témoigner combien je désire de vous connaître autrement que par vos ouvrages. Votre esprit que j'y ai connu, et la bonté que vous avez eue de m'en faire toujours des présents, m'ont attaché particulièrement à votre personne. Excusez si, pour vous sauver la peine que vous donnerait ma méchante écriture, je n'ai pas écrit de ma main. Je suis avec tout le respect et l'attachement possible, etc.

 

LETTRE (extrait) LX.
LE MARÉCHAL DE BELLEFONDS A BOSSUET (a).

 

Dans la vérité, je ne saurais avoir la complaisance de blâmer beaucoup de gens qui, je crois, ne le méritent pas. Cependant je ne me mêle point de justifier personne sur la doctrine : mais l'on ne peut souffrir que je témoigne de la joie que les quatre évêques(b) soient bien avec Sa Sainteté; et que des hommes

 

(a) Nous n'avons que cet extrait de la lettre de M. de Bellefonds. qui s'est trouvé dans le recueil des lettres que Bossuet lui a écrites. (Les premiers édit.) — (b) Les évêques d'Alet, Nicolas Pavillon; de Pamiers, François de Caulet; de Beauvais, Nicolas Choart de Buzenval; d'Angers, Henri Arnauld. (Les édit.)

 

 

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qui donnent de si grands exemples dans la morale et dans la discipline, soient purgés du soupçon d'une méchante doctrine.

Personne n'a connaissance de ce que je vous écris, et peu de gens l'auront à l'avenir : car j'ose vous assurer que si je n'étais pas d'un certain rang où je dois une espèce d'exemple, je serais très-content d'être humilié et scandalisé, afin de garder un silence où je trouverais beaucoup plus de sûreté. Je vous demande réponse et l'honneur de vos bonnes grâces.

 

LETTRE LXI.
BOSSUET AU MARÉCHAL DE BELLEFONDS.

 

Je réponds suivant que vous le souhaitez, à la suite de votre lettre que j'ai reçue aujourd'hui. Si le confesseur qui vous oblige à ne point parler des cinq propositions sans ajouter qu'elles sont dans Jansénius, prétend vous empêcher seulement de dire qu'elles n'y sont pas, il a raison. Car vous ne devez pas dire qu'elles n'y sont pas, puisque même ceux qui Pont soutenu ont reconnu que par respect pour le jugement ecclésiastique, qui déclare qu'elles y sont, ils étaient tenus au silence. Par la même raison il ne faut rien dire qui tende à faire voir qu'on doute si elles y sont, ou que le jugement du saint Siège, qui déclare qu'elles y sont, soit équitable; car ce serait manquer au respect qui est dùà ce jugement, l'attaquer indirectement, et scandaliser ses frères.

Que si ce pieux religieux prétend que jamais vous n'osiez nommer les cinq propositions, en disant, par exemple, qu'elles ont fait grand bruit dans l'Eglise, et autres choses historiques et indifférentes, sans ajouter aussitôt qu'elles sont dans Jansénius, il vous impose un joug que l'Eglise n'impose pas, puisqu'il n'y a rien dans ses jugements qui oblige les laïques à se déclarer positivement sur cette matière. On n'a rien à vous demander, quand vous ne direz jamais rien contre le jugement qui décide la question de fait, et que dans l'occasion vous direz que vous vous rapportez sur tout cela à ce que l’Eglise ordonne à ses enfants. Vous avez donc bien fait de ne vous engager pas à davantage : car la

 

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sincérité ne permet pas de donner des paroles en l'air, surtout dans un sacrement ; et il est contre la prudence et contre la liberté chrétienne, de se laisser charger, sans nécessité, d'un nouveau fardeau qui pourrait causer des scrupules. Du reste vous auriez tort de blâmer des évêques (a) qui sont dans la communion du saint Siège, et dont la vie est non-seulement irréprochable, mais sainte. Dites sans hésiter que vous condamnez ce que l'Eglise condamne, que vous approuvez ce qu'elle approuve, et que vous tolérez ce qu'elle a trouvé à propos de tolérer : dites cela quand il le faudra, sans affectation et quand l'édification du prochain, ou quelque occasion considérable le demandera. Persistez à demeurer dans le dessein de garder le silence sur ces matières, autant que vous le pourrez, sans trop gêner votre esprit dans la conversation : qui vous en demandera davantage excède les bornes.

En voilà assez pour répondre à votre question : du reste je suis bien aise de vous dire en peu de mots mes sentiments sur le fond. Je crois donc que les propositions sont véritablement dans Jansénius, et qu'elles sont l’âme de son livre. Tout ce qu'on a dit au contraire me parait une pure chicane, et une chose inventée pour éluder le jugement de l'Eglise. Quand on a dit qu'on ne devait ni on ne pouvait avoir à ses jugements sur les points de fait une croyance pieuse, on a avancé une proposition d'une dangereuse conséquence, et contraire à la tradition et à la pratique (b). Comme pourtant la chose était à un point qu'on ne pouvait pas pousser à toute rigueur la signature du Formulaire, sans causer de grands désordres et sans faire un schisme, l'Eglise a fait selon sa prudence d'accommoder cette affaire, et de supporter par charité et condescendance les scrupules que de saints évêques et des prêtres, d'ailleurs attachés à l'Eglise, ont eus sur le fait. Voilà ce que je crois pouvoir établir par des raisons invincibles: mais

 

(a) Les quatre évêques. — (b) Voici comment le cardinal de Bausset cite cette phrase dans l’Histoire de Bossuet, liv. II, chap. XVIII, p. 196 (éd. de Vers.) : « Quand on dit qu’on ne devait, ni on ne pouvait avoir à ses jugements, sur les points de fait, qu’une (au lieu de une) croyance pieuse, on a avancé une proposition, » etc. On voit que l'historien, par l'addition de la particule exclusive que, dénature e sentaient de Bossuet sur une matière importante et délicate. Et ce n’est pas la première fois que nous le surprenons dans de pareilles manœuvres.

 

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cette discussion vous est, à mon avis, fort peu nécessaire. Vous pouvez sans difficulté dire ma pensée à ceux à qui vous le trouverez à propos, toutefois avec quelque réserve. J'ai appris de l'Apôtre à ne point trahir la vérité, et aussi à ne point donner d'occasion de troubles à ceux qui en cherchent.

 

LETTRE LXII.
BOSSUET AUX RELIGIEUSES DE PORT-ROYAL, Sur la signature pure et simple du Formulaire contre le livre de Jansénius (a).

 

Mes très-chères-Sœurs,

 

Quoique les dissensions qui sont nées au sujet des cinq propositions et des signatures fassent une grande plaie dans l'Eglise,

 

(a) En 1664, Bossuet eut, devant M. de Péréfixe, archevêque de Paris, une conférence avec les religieuses de Port-Royal, pour les engager à reconnaître purement et simplement, sans la distinction du fait et du droit, le Formulaire contre les cinq propositions de Jansénius. Son éloquence incomparable et son invincible dialectique échouèrent devant de funestes préventions. Cédant à la voix de la charité, il écrivit une lettre qui résumait ses raisonnements; et M. de Péréfixe la publia dans le texte, ou plutôt à la suite d'un mandement.

Des difficultés nouvelles et de nouveaux écrits vinrent compliquer une situation déjà si critique et si périlleuse, où les résistances et les obstacles se multipliaient les uns par les autres. En 1665, l'archevêque de Paris donna un second mandement, qui demandait comme le premier la soumission au Formulaire; et le grand orateur modifia sa lettre fondamentalement, remplaçant dans plusieurs paragraphes les faits par d'autres faits, les raisonnements par d'autres raisonnements. Cette seconde lettre ne fut pas publiée comme la première, mais seulement lue aux religieuses de Port-Royal.

L'abbé Ledieu dit, dans une note de la copie qui la renferme : «Je n'ai point trouvé de date dans l'original de cette lettre ; niais elle porte deux caractères certains du temps qu'elle a été écrite. Dans un premier projet de cette lettre, il est beaucoup parlé du mandement de M. de Péréfixe, où il réduisait à la foi humaine la créance du fait de Jansénius : et à la fin de cette copie au net l'on a pu remarquer ce qui est dit  de la signature du Formulaire faite par M. Arnauld, évêque d'Angers. J'ai aussi trouvé au bout de cette même lettre une note de l'auteur contre la quatrième partie de l’Apologie des religieuses  de Port-Royal, ce qui suppose que cet ouvrage était public. Or le mandement de M. de Paris pour la foi humaine était du septième de juin 1664. Le formulaire contenu dans la bulle d'Alexandre VII, du 15 de février 1665, donna occasion à une nouvelle ordonnance de M. de Péréfixe, du 13 de mai 1665, pour la signature de ce nouveau formulaire avec un simple acquiescement et sans plus parler de La foi humaine : et c'est pourquoi L'auteur de celle lettre en a aussi retranché tout ce qui regarde cette sorte de créance. La quatrième partie de l'Apologie des religieuses de Port-Royal fut publiée le 20 d'avril 1665 et la première Ordonnance

 

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et qu'en quelque part que l'on découvre des effets d'un mal si dangereux, tous ceux qui ont un cœur et des entrailles chrétiennes ne puissent pas en être touchés médiocrement, il me paraît toutefois que nos peines et nos périls attirent une compassion plus particulière; et je ne puis sans une extrême douleur vous voir si avant engagées dans un tumulte duquel non-seulement votre retraite et votre profession, mais encore votre sexe même semblait vous avoir si fort éloignées. C'est ce qui me donne pour vous une continuelle inquiétude ; les dangers et les tentations auxquelles vous êtes exposées me sont présentes nuit et jour; et je vous porte sans cesse devant Dieu, le priant humblement et avec ardeur par la grâce qu'il vous a faite de quitter le siècle, qu'il lui plaise de consommer en vous son ouvrage jusqu'à la fin, et de vous éclairer par sa grâce sur ce que vous avez à faire dans cette importante conjoncture.

Je connais si clairement vos obligations que je ne puis en douter, et l'amour que j'ai pour votre salut et pour la paix de l'Eglise me presse de vous en écrire mes pensées. Car, encore que je ne présume pas de pouvoir rien ajouter à ce qui a été expliqué par ceux qui vous ont parlé devant moi, néanmoins me souvenant des instructions de l'Apôtre, je vous dirai avec lui « qu'il ne doit pas nous être à charge de vous répéter les mêmes choses et qu'il vous est nécessaire» de les entendre Lisez donc, mes chères Sœurs, avec patience ces réflexions du moindre de ceux qui vous ont entretenues de vos devoirs : et trouvez bon que laissant à part tout ce qu'il faudrait peut-être traiter si l'on parlait à

 

1 Philip., III, 1.

 

de M. d'Angers, pour la signature du Formulaire, est du huitième de juillet de la même année. Celte lettre supposant toutes ces pièces rendues publiques, il faut qu'elle leur soit postérieure, c'est-à-dire apparemment vers la lin même de juillet 1665, temps auquel M. de Péréfixe lit un dernier effort pour amener à l'obéissance les religieuses de Port-Royal, qu'il avait toutes fait rentrer en leur maison des champs, après leur avoir ôté celle de Paris, se servant à cette fin de M. l'abbé Bossuet, comme il avait fait de tant d'autres avant lui. »

Ainsi, deux lettres aux religieuses de Port-Royal : l'une incomplète et défectueuse, l'autre soigneusement revue par l'auteur. Or la première a seule été publiée jusqu'à ce jour; la seconde paraît ici pour la première fois. Le manuscrit se trouve à la bibliothèque du séminaire de Meaux. Comme on a pu te voir dans ce qui précède, c'est une copie faite par l'abbé Ledieu sur l’autographe de Bossuet.

 

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des docteurs, je me réduise précisément à ce qui suffit pour votre état, n'y ayant rien de moins à propos que de vous jeter dans de longues et inutiles discussions, dans le temps que vos besoins et vos périls demandent que l'on vous donne un moyen facile de vous résoudre.

Pour y parvenir, mes Sœurs, et retrancher autant qu'il se peut les difficultés, je pose pour fondement la déclaration que vous avez faite dans vos Actes, que vous êtes résolues d'obéir sans réserve (à vos Supérieurs ecclésiastiques) en tout ce que, la conscience peut permettre. Ainsi (toute la question) est réduite à votre égard à examiner, si la signature pure et simple qu'on vous demande est mauvaise en soi : et pour vous montrer clairement que vous devez l'accorder à M. l'archevêque, il suffit de vous faire voir que vous le pouvez sans blesser votre conscience, puisque selon les termes de vos Actes, hors cela vous êtes prêtes de tout exposer.

Considérons donc, mes Sœurs, ce point unique et nécessaire ; et examinons en détail toutes les difficultés qui vous peinent dans cette souscription qu'on vous propose.

Premièrement, je ne pense pas qu'après tant de déclarations et publiques et particulières que vous a faites M. l'archevêque, vous ayez encore l'appréhension que l'on attende de vous la même attache au fait qui est contenu dans le formulaire, qu'aux vérités révélées. Et certainement, mes Sœurs, c'était une vaine terreur qu'on vous donnait, que vous y fussiez obligées par la force des termes de ce formulaire. Car il n'y a personne qui ne sache que dans les professions de loi des fidèles, il n'ait été ordinaire dès la première antiquité de joindre la condamnation des mauvaises doctrines avec celles de leurs défenseurs : et néanmoins on ne dira pas que c'ait été jamais l'intention de l'Eglise, que ce qui touchait les personnes fût un article de foi. Il n'est pas besoin de vous rapporter ici le fait de Théodoret, tant de fois rebattu en cette affaire. On sait assez que les Pères de Chalcédoine ne voulurent pas même écouter sa profession de foi, que l'anathème à Nestorius ne fût à la tête (1). Si donc nous disons avec lui anathème à Nestorius et à

 

1 Conc. Chalced., act. VIII, tom. IV ; Concil., Labb., p. 620, 621.

 

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quiconque ne dit pas que la sainte Vierge est mère de Dieu, personne ne pensera que, pour joindre le fait et le dogme dans une même profession de foi, nous nous soumettions à l'un et à l'autre par le même genre de soumission et dans le même degré de certitude.

Ecoutez, mes très-chères Sœurs, la profession de foi de saint Grégoire, vraiment grand parce qu'il a été vraiment humble, envoyée par ce saint pape aux églises d'Orient après son exaltation au saint Siège : « Parce que l'on croit de cœur à justice, et que l'on confesse de bouche à salut, je confesse que je reçois el que je révère les quatre conciles comme les quatre livres de l'Evangile, à savoir : celui de Nicée, où l'hérésie d'Arius est détruite ; celui de Constantinople, où l'erreur d'Eunomeetde Macédonius est convaincue ; celui d'Ephèse, où l'impiété de Nestorius est jugée; celui de Chalcédoine, dans lequel la mauvaise doctrine d'Eutychès et de Dioscore est réprouvée. Je reçois pareillement le cinquième concile, où la lettre dite d'Ibas, pleine d'erreurs, est condamnée, Théodore convaincu, les écrits de Théodoret contre la foi de saint Cyrille rejetés. Je réprouve toutes les personnes que ces vénérables conciles réprouvent, et j'embrasse celles qu'ils vénèrent. Quiconque, donc pense autrement, qu'il soit anathème (1). » Voyez, mes Sœurs, combien de faits sont mêlés dans la profession de foi de ce grand pape, et avec quelle autorité il fait tomber le même anathème tant sur les faits que sur les dogmes ; et néanmoins il est inouï qu'on ait jamais soupçonné qu'il rejetât les uns et les autres avec la même soumission de foi catholique.

Il me serait aisé de tirer des Actes des saints conciles, comme des registres publics de l'Eglise, plusieurs professions de foi solennelles de même style et de même esprit que celle de saint Grégoire. Je puis vous assurer qu'elles sont très-ordinaires dans l'antiquité : et il ne servirait de rien d'objecter que les faits qu'on insérait dans ces professions de foi étaient tellement notoires, que les hérétiques mêmes en convenaient. Premièrement, il n'est pas ainsi : on n'insérait dans ces professions de foi que des faits jugés par l'Eglise ; mais on n'attendait pas pour cela que tout le monde

 

1 Lib. I, epist. XXIV.

 

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en convint. Saint Grégoire ne pouvait ignorer combien de personnes disconvenaient du fait de Théodore, de Théodoret et d'Ibas: il ne l'en comprend pas moins avec les autres dans la même profession de foi et sous le même anathème, parce qu'il lui suffisait qu'il fût jugé, et personne n'a jamais pensé qu'en cela il fit rien contre les canons. Mais quand la remarque serait véritable, elle ne ferait rien à la question. Car dans quelque notoriété que ces faits fussent connus aux fidèles, elle n'était pas capable de les élever au rang de vérités révélées : par conséquent, il est clair, qu'encore qu'ils fussent proposés avec les dogmes dans la même profession de foi, ils n'étaient pas reçus pour cela par le même genre de soumission et de créance. On recevait chaque chose dans son degré et dans son ordre. Qui ne voit donc manifestement qu'on vous a effrayées par un vain scrupule, lorsqu'on a voulu vous faire craindre par les termes du formulaire que ce qui touche le livre de Jansénius, ne vous y fût proposé avec la même certitude que les vérités de foi ? Cette crainte n'avait aucune apparence ; et on ne devait pas vous engager à cette distinction de fait et de droit entièrement inouïe dans ces sortes de souscriptions, étant très-indubitable que parmi un si grand nombre de professions de foi, dans lesquelles il y a eu des faits insérés par l'autorité de l'Eglise, il ne se trouvera pas que cette distinction ait jamais été jugée nécessaire, ni que personne ait eu un pareil scrupule.

Que si nous venons à approfondir les autres difficultés desquelles on fait tant de bruit, nous ne les trouverons pas plus considérables. Je vois qu'on répand dans le inonde et qu'on pose pour très-assurée une infinité de fausses maximes qui troublent les consciences sur le sujet des souscriptions et des faits jugés par l'Eglise, rejetant autant que l'on peut l'autorité de ses jugements; parce qu'ils ne sont pas infaillibles comme ceux qui regardent la foi catholique, il semble qu'on veuille établir qu'ils ne méritent aucune créance ; on vous les fait regarder comme des choses purement indifférentes et sur lesquelles l'Eglise n'a rien à exiger de ses enfants. C'est pourquoi on vous persuade que vous avez satisfait à tout, lorsque vous déclarez dans vos actes que vous n'y prenez nulle part, comme s'il s'agissait seulement d'une

 

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dispute qui fût née entre les savants, et non d'un jugement ecclésiastique qui regarde tous les fidèles et futilité de toute l'Eglise.

Bien plus, on vous fait appréhender que vous ne portiez un faux jugement et que vous ne rendiez un faux témoignage, en condamnant un auteur dont vous ne savez pas la doctrine ; et encore qu'on ne vous propose de le faire que sur l'autorité du jugement de l'Eglise, cette forte considération ne lève pas votre peine : au contraire vous répondez dans vos Actes que ne sachant, point si les hérésies condamnées sont dans le livre d'un évêque catholique que vous êtes incapables de lire, vous êtes incapables aussi de rendre témoignage de ce fait que vous savez être contesté. Tellement que !a chose en est réduite à ce point., que non-seulement vous ne croyez pas que l'Eglise ait droit de vous obliger à souscrire la condamnation de cet auteur; mais encore vous publiez hautement qu'il ne vous est pas permis de le faire sur la seule autorité de sa sentence ; et que tant que ce fait sera contesté par les partis, vous croirez blesser votre conscience en souscrivant le décret du juge.

Je vous confesse, mes Sœurs, que je ne puis entendre sans étonnement ces maximes nouvelles et inouïes qu'on pose pour fondement à votre conduite présente. Car, je vous prie, qui a jamais ouï dire qu'on ne puisse ni rien croire ni rien assurer, même dans des choses de fait, que sur sa propre science? Que si l'on peut et si l'on doit souvent s'en rapporter à l'autorité d'autrui, y en a-t-il au monde une plus grande sur l'esprit des chrétiens que cette d'un jugement canonique reçu unanimement dans toute l'Eglise comme celui dont il s'agit ? Qu'y a-t-il donc de plus vain, mais qu’y a-t-il de plus dangereux que cette appréhension de blesser sa conscience, en souscrivant un jugement de l'Eglise universelle, sous prétexte qu'on n'est pas instruit par soi-même des motifs qu'elle a eus pour le prononcer? Quoi ! lorsqu'un particulier entendra publier par son pasteur un jugement ecclésiastique contre quelques personnes ou quelques écrits, s'il n'est informé par lui-même de la vérité du fait, il ne pourra plus sans péché dire en imitant le grand saint Grégoire : J'approuve les personnes

 

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Et les écrits que L'Eglise approuve, et je condamne ceux qu'elle condamne: et cette humble déclaration non-seulement ne doit plus être buée, mais ne peut plus être soufferte ? Voilà, mes très-chères Sœurs, les excès où vous engagent vos actes et vos excuses présentes. Car si elles sont recevables et si, pour être capable de consentir à un jugement ecclésiastique de cette nature, il faut avoir pénétré le mérite de la cause, en même temps que ce particulier docile enfant de l'Eglise sera prêt de déclarer hautement l'approbation qu'il donne à sa sentence sans s'enquérir davantage, nous serons obligés de l'avertir qu'il précipite son jugement, qu'il témoigne ce qu'il ne sait pas, et que l'Eglise ne peut exiger ni même recevoir de lui aucune autre soumission que celle de son silence, puisque ne connaissant pas le fait par lui-même, il n'est pas même capable d'en rendre aucun témoignage. Y aurait-il rien de plus nouveau, de plus dangereux ni de plus étrange, que cette conduite ?

C'est pourquoi je vous conjure d'envisager avec moi les mauvais effets qu'elle opérerait dans l'Eglise, et le prodigieux renversement qu'elle ferait dans sa discipline, si elle était établie : et pour cela trouvez bon que je vous propose des maximes très-véritables, par lesquelles vous connaîtrez l'origine, l'autorité et la fin des jugements ecclésiastiques sur les personnes et sur les écrits suspects ; desquelles quand nous aurons fait l'application au fait particulier dont il s'agit, j'espère que vous y découvrirez une lumière certaine pour sortir du labyrinthe où vous êtes. Au reste, je vous supplie de croire que voyant vos perplexités, je ne prétends point vous embarrasser dans des questions et des doutes ; et au contraire je ne veux avancer ici que des vérités très connues, par lesquelles vous puissiez trouver la fin de vos peines et le repos de vos âmes dans l'obéissance.

Je suppose pour premier principe, que l'Eglise a reçu d'en haut un commandement précis de reprendre et de censurer ceux qui corrompent la saine doctrine, de les séparer, de les éviter, de les noter même publiquement, en sorte qu'on ne puisse pas les méconnaître. Les Ecritures apostoliques sont pleines de pareils préceptes que l'Eglise ne peut accomplir sans prononcer des

 

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jugements, non-seulement sur la doctrine en général, mais encore sur les personnes et sur les écrits. Tellement qu'il ne suffit pas, lorsque quelqu'un est accusé d'avoir enseigné une doctrine suspecte, que l'Eglise examine seulement si cette doctrine est bonne ou mauvaise en soi ; mais il faut, pour satisfaire à ces commandements divins, qu'elle entre en connaissance du fait, et qu'elle recherche s'il est véritable qu'elle ait été enseignée par cet homme et qu'elle soit contenue dans tel écrit : autrement elle n'obéit pas à l'ordre qu'elle a reçu de noter et « censurer l'homme hérétique (1) ; » et il n'y a personne qui ne voie que ravir à l'Eglise cette puissance, c'est l'exposer nue et désarmée aux séducteurs et trompeurs, desquels elle a été si souvent avertie de se donner de garde. C'est pourquoi (nous voyons dans presque toutes) les pages de l'histoire ecclésiastique que (l'Eglise en prononçant) contre les mauvaises doctrines, notait en même (temps et censurait) par l'autorité du même décret ceux qui en étaient les auteurs ou les défenseurs. En quoi certes elle a suivi, non-seulement le précepte, mais encore l'exemple de l'Apôtre, qui ayant ordonné de noter tout frère qui marche désordonnément et contre la tradition qu'il avait laissée (2), le pratique lui-même de la sorte en désignant expressément dans ses Epîtres un Hyménée, un Phygelle, un Hermogène (3) et les autres qui erraient et engageaient dans l'erreur. Par où l'Eglise a été instruite à rechercher avec soin ceux qui altéraient la bonne doctrine et ensuite à les découvrir, les notant en leur propre nom et par un décret exprès qu'on envoyait à toutes les villes et à toutes les Eglises : ainsi qu'il fut pratiqué à l’égard d'un hérétique de la secte des monothélites que saint Eloi découvrit à Autun (4), et qu'il se pratiquait constamment dans les autres rencontres semblables. Il est donc très-clair et très-manifeste que l'Eglise est obligée de rendre des sentences solennelles sur les faits de cette nature; et elle a fait voir à ses enfants de quelle importance lui étaient de tels jugements, par deux circonstances remarquables.

 

1 Tit   III, 10.—  2 II Thess., III, 6. — 3 II Timoth., I, 15 : 1 Sics hoc... Phygellus et Hermogenes ; ibid., II, 17 : Ex quibus est Hymenaeus et Philetus. »  — 4 Vita S. Eligii, lib. I, cap. XXXV; Spicileg., tom. V.

 

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La première, c'est qu'après avoir jugé les novateurs, elle insérait leur condamnation avec une telle autorité dans ses professions de foi solennelles, que même elle en faisait une partie très-considérable. Vous venez de lire, mes Sœurs, celle du pape saint Grégoire. Le grand pape saint Léon ordonne à ceux qui étaient suspects de l'hérésie pélagienne, de condamner par écrit dans leur profession de foi « les auteurs de leur superbe doctrine, » Il commande la même chose aux manichéens qu'il avait découverts dans Rome (1). Je n'achèverais jamais ce discours, si j'entreprenais de vous raconter tous les exemples pareils, qui sont infinis dans l'histoire et dans les actes particuliers de l'Eglise. J'ajouterai seulement que le pape saint Hormisdas exigea et reçut par écrit la confession de foi de tout l'Orient, en laquelle était énoncée la condamnation expresse de tous ceux que, l'Eglise avait jugés, et nommément celle d'Acace patriarche de Constantinople ; ce pape très-saint et très-docte, défenseur très-zélé de la doctrine de saint Augustin, ayant gravement averti les évêques « qu'il ne suffisait pas d'enfermer les errants dans une condamnation générale, mais que leur profession de foi dont il leur envoyait le modèle devait condamner en particulier, nommément et par écrit tous ceux que l'Eglise catholique avait jugés condamnables (2). » Je vous ai déjà dit, mes Sœurs, que cette pratique était constante et universelle; par où vous devez entendre de quel poids étaient les jugements de tels faits, puisqu'ils faisaient comme vous voyez, une partie principale de la profession de foi de l'Eglise : non qu'elle ait jamais prétendu (donner) le dénombrement de ceux qu'elle condamnait comme une (doctrine) révélée ; mais parce qu'on ne peut mieux témoigner son aversion contre les dogmes pervers, qu'en condamnant avec, eux par une même déclaration, ceux que l'Eglise réprouve comme en étant les auteurs et les défenseurs; selon ce que dit le même pape : « Celui-là prouve, qu'il répugne aux erreurs, qui condamne les errants ; et on ne laisse aucun lieu à l'égarement quand on ne pardonne pas à ceux qui excèdent (3). »

 

1 Léon., epist. LXXXVI, ad Nicetam Aquileiens. ,tom. III, Concil., Labbe, p. 1388, c. 1389, e; et epist. II ad Episc. per Italiam, ibid., p. 1295, c. — 2 Epist. VIII, XXIX, LI; tom. IV, Concil., Labbe, p. 1441, 1443, b, etc. Voy. les citations plus au long à la fin de la lettre. — 3 Hormisd., epist. XI, tom. IV, Concil., Labbe, p. 1448, e.

 

 

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C'est pourquoi, et c'est la seconde observation, les jugements de cette nature et sur ces sortes de faits ont paru à toute l'Eglise d'une telle conséquence et elle les a estimés tellement conjoints à la cause de la foi, que pour accorder la grâce de sa communion, elle ne se contentait pas qu'on fût convenu de la condamnation des erreurs, si l'on ne souscrivait aussi la condamnation des personnes légitimement réprouvées. C'est ce qui paraît clairement par ce célèbre accord entre saint Cyrille d'Alexandrie et Jean patriarche d'Antioche. Nous en voyons tous les actes à la fin du concile d'Ephèse, dans lesquels nous remarquerons en premier lieu que l'empereur Théodose ayant beaucoup désiré cette conciliation, il assembla les évêques qui se trouvèrent à Constantinople, pour agir en cette affaire selon leur avis, ainsi qu'il se pratiquait ordinairement dans les grandes affaires de l'Eglise. Là il fut convenu avant toutes choses qu'il fallait poser pour fondement le consentement dans la foi ; mais on ajouta aussi comme une condition nécessaire, que Jean d'Antioche serait obligé d'anathématiser les dogmes de Nestorius, et d'approuver par écrit sa déposition Voilà quel fut le projet de cet accommodement; en exécution duquel saint Cyrille d'Alexandrie déclare que lui et les orthodoxes ne reçurent à leur communion les évêques d'Orient ni Jean leur chef et leur patriarche, que sous cette condition nécessaire d'anathématiser par écrit Nestorius et ses dogmes, et de consentir aussi par écrit exprès à sa déposition et à l'ordination de Maximien son successeur. Ce qui fut fait de la sorte avec un consentement unanime. D'où il résulte que Jean d'Antioche et les évêques d'Orient n'auraient point eu de part à la paix et à la communion des orthodoxes, s'ils n'eussent consenti formellement, non-seulement à la foi, mais encore en particulier à la condamnation de Nestorius.

Le pape saint Hormisdas, dont je, vous ai déjà proposé l'exemple, en usa de la même sorte avec Jean, patriarche de Constantinople et

 

1 Voyez Les lettres de Jean d'Antioche et Les déclarations des Orientaux, XXVI, XXVII, XXXI, XXXII; et les lettres de saint Cyrille à Jean d'Antioche, Acace et autres, XXXIV, XXXV, XXXVII; Conc. Ephes., p. 3, tom. III, Concil., Labbe, p. 1088 etc., nos, etc. (Voyez encore les citations qui sont à la fin de cette lettre.)

 

 

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les autres évêques grecs (a) : car leur ayant lui-même envoyé un formulaire de foi, qui comprenait expressément la condamnation de tous ceux qui avaient été notés par les jugements de l'Eglise et en particulier celle d'Acace patriarche de Constantinople, que le pape Félix III avait justement condamné, nonobstant leurs excuses el leur résistance, il leur ordonna de le souscrire. Et encore que Jean de Constantinople lui eût déclaré par écrit qu'il recevait le concile de Chalcédoine et les lettres du grand pape saint Léon, ce, qui suffisait pleinement pour l'intégrité de la foi, il ne laissa pas toutefois de lui refuser (constamment la communion) jusqu'à ce qu'il lui eût envoyé sa souscription (à leur condamnation). Car lui répond ce grand pape : « Si ce concile et ces lettres (vous plaisent, et) que la défense d'Acace justement condamné ne vous plaise pas, je saurai alors, poursuit-il, que vous révérez avec moi ce que je révère, si vous détestez avec moi ce que je déteste (1). » Et encore dans une autre Epître : « Recevoir, dit saint Hormisdas, le concile de Chalcédoine et les lettres de saint Léon, et cependant vouloir défendre le nom d'Acace, c'est entreprendre de soutenir des choses contraires. C'est pourquoi, conclut-il enfin, si vous voulez que nous vivions ensemble en communion, envoyez-moi la profession que vous trouverez attachée au bas de cette lettre souscrite de votre main. » Voilà, mes Sœurs, en quelle manière ce pape très-savant et très-pieux pressait la souscription sur des faits, et y obligeait par son autorité les évêques des plus grands sièges de l'Eglise. Et quoique nous voyions par une lettre du pape saint Gélase, que l'on objectait alors ce que quelques-uns objectent encore à présent, que « Acace n'avait pas été jugé par un concile, lui qui était évêque d'une Eglise si considérable (2) : » néanmoins le pape saint Hormisdas pressa toujours les Orientaux par la force des choses jugées : « Pourquoi m'arrêter, disait-il, à discourir de choses déjà décidées, puisque je n'ai plus rien à faire qu'à exhorter (3)?» Il croyait que s'agissant d'une affaire déjà terminée par le jugement authentique de Félix son prédécesseur,

 

1 Epist. XXIX. — 2 Gelas., epist. XIII; tom. IV, Concil., Labbe, p. 1199, c d. Hormisd., epist. XXXII. — 3 Ibid., p. 1479, b. c.

 

(a) Voyez ci-dessus, et les citations qui sont plus au long à la fin de cette lettre.

 

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il n'avait plus rien à faire que d'exhorter tout le monde à y obéir. Et en effet tout l'Orient se crut obligé de céder à l'autorité du Pape avec une incroyable satisfaction de toute l'Eglise catholique, qui vit par l'autorité de ce grand et saint pontife sa foi et sa paix universellement établies.

Vous voyez par ces exemples constants, avérés, approuvés par tous les orthodoxes, qu'il faut dire nécessairement ou que l'Eglise s'est horriblement trompée dans sa conduite, ou bien que ses décisions sur les faits ne sont pas de si petite importance qu'on veut vous !e faire entendre. Et certes si tes nouvelles maximes qu'on veut établir à présent eussent eu lieu en ces temps, qu'y eût-il eu de plus facile à ceux que l'on pressait pour ces souscriptions, que de répondre qu'ils avaient donné leur déclaration sur la foi si nette et si décisive, qu'il, n'y avait aucune raison de les soupçonner d'hérésie : tellement qu'on ne pouvait après cela les pousser plus loin sur des faits et des condamnations personnelles sans une extrême violence ? Mais l'Eglise ne recevait pas ces excuses : au contraire le pape saint Hormisdas répondait ainsi à ceux qui croyaient avoir satisfait à tout, en confessant la foi de l'Eglise romaine : « Après cela, disait-il, que reste-t-il autre chose, sinon que vous suiviez sans hésiter les jugements du siège apostolique, duquel vous professez que vous embrassez la foi (1) ?» Où il se voit clairement qu'il parlait du jugement rendu contre Acace. Nous vous disons, mes chères Sœurs, la même chose. Si vous embrassez la foi du Siège apostolique, suivez sans crainte ses jugements, ne craignez pas de vous exposer à aucun péril de pécher en souscrivant humblement sur l'autorité de sa sentence.

Avant que d'aller plus loin, je me sens obligé de vous avertir qu'en rapportant ces exemples, je n'entends faire aucun préjudice à la personne de Jansénius, lequel on estime tant que l'on vous exhorte publiquement à l'imiter. Je vous déclare, mes Sœurs, que je ne prétends pas qu'on puisse tirer aucun préjugé de sa personne en faveur de son livre, je ne pense pas non plus qu'il y ait rien à conclure de son livre contre sa personne; et si j'ai

 

1 Epist. XXIX, tom. IV, Concil., Labbe, p. 1472, 1473, c.

 

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produit les exemples de personnes condamnées, ce n'est pas pour les mettre en aucune sorte de comparaison avec un évêque mort dans la paix et dans la soumission, mais pour établir seulement les maximes générales touchant les jugements sur les faits, lesquelles doivent être réduites aux personnes ou aux écrits suivant l'exigence de la matière.

Je n'ignore pas qu'on répond que les faits sur lesquels intervenaient de tels jugements étaient constants et notoires par l'aveu même des partis : mais il n'y a rien de plus vain ni de plus mal fondé que cette réponse. Car par exemple, mes Sœurs, dans les faits que j'ai rapportés, peut-on dire que Jean d'Antioche demeurât d'accord que la déposition de Nestorius eût été bien faite dans le, concile d'Ephèse, lui qui avait rempli toute l'Eglise de plaintes si outrageuses contre les décrets et la procédure de ce saint concile, et qui peu de temps après l'union et lors même qu'elle se traitait, avait encore écrit à saint Cyrille qu'il s'y était « dit et fait plusieurs choses qui n'étaient pas selon l'ordre (1)? » Le pape Félix III avait-il attendu l'aveu d'Acace pour prononcer sa sentence? Et si Jean de Constantinople eût reconnu d'abord la nécessité de condamner son prédécesseur, eût-il persisté si longtemps à défendre son nom et sa personne? Qui ne voit donc que ce patriarche, aussi bien que Jean d'Antioche, céda par la force des décrets, et se rendit par l'autorité des choses jugées?

Et sans m'arrêter ici à une longue discussion de faits infinis, je demanderai seulement si quelqu'un peut assurer que les chefs des hérésies et leurs sectateurs convinssent qu'on eût bien pris leur pensée, et qu'ils demeurassent toujours d'accord d'avoir enseigné les dogmes qui leur étaient attribués. Au contraire, n'est-il pas véritable qu'ils affectaient ordinairement de les cacher et de parler comme, les orthodoxes, surtout quand leur parti était faible; qu'ils ne cessaient jamais de se plaindre qu'on les avait calomniés, et qu'encore même qu'ils convinssent d'avoir dit les paroles qu'on leur reprochait, ils ne convenaient pas toujours qu'on eût bien entendu leur sens? Ce serait perdre le temps et faire le savant

 

1 Cyril., Epist. ad Donatum Nicopolit.; conc. Ephes., p. 3, epist. XXXVIII, tom. III, Concil., Labbe, p. 1155, e.

 

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mal à propos, que de ramasser ici les exemples d’une semblable conduite, et de prouver par un long discours une vérité qui ne sera pas disputée. Celui-là certainement aurait peu connu les profondeurs de Satan dans l'établissement des hérésies, qui ne se serait pas aperçu que le piège le plus ordinaire que tendent leurs défenseurs aux enfants de Dieu, c'est de couvrir-de ténèbres leurs desseins et leurs sentiments, de leur donner le change, pour ainsi parler, en détournant l'état de la question et réduisant la difficulté à des choses qui semblent légères et où il ne paraît aucun péril, dans lesquelles néanmoins est renfermé en effet tout le secret du parti, tout le venin de la doctrine et, comme dit l'apôtre saint Paul, toute « l'efficace de l'erreur (1). » Parmi tous ces artifices et dans cette confusion, vous voyez bien, mes Sœurs, à quelles séductions l'Eglise serait exposée, si elle accordait aujourd'hui cette maxime, que les jugements qu'elle rend sur les personnes et sur les ouvrages hérétiques n'ont point de force, jusqu'à ce que les faits soient avérés par le consentement des partis. Et s'ils ne veulent jamais en convenir, et s'ils soutiennent toujours qu'on n'a pas bien entendu le sens de leurs discours et de leurs écrits, l'Eglise sera-t-elle à bout par cette ruse ou par cette opiniâtreté? et ne pourra-t-elle plus obéir à l'ordre qu'elle a reçu d'en haut, de noter les hommes hérétiques? C'est-à-dire, demeurera-t-il établi qu'elle ne pourra plus crier contre les loups, tant qu'ils garderont leur peau de brebis? Ou bien, si elle fait son devoir en notant par une censure publique leurs personnes ou leurs écrits suivant l’exigence des cas, eux et leurs disciples en seront-ils quittes pour dire que ces jugements regardent des faits dont ils ne conviennent point? Il n'y a personne qui ne voie quelles ouvertures donneraient de telles maximes au bouleversement total de l’Eglise. Il faut donc nécessairement en établir de contraires, et poser pour tout assurer, que l'Eglise peut et doit juger des personnes et des écrits de ceux qui enseignent les fidèles, soit que l'on convienne des faits, soit que l'on n'en convienne pas, n’y ayant rien de plus injuste ni qui ouvre une plus grande porte à la rébellion manifeste que de soutenir que ses jugements ne

 

1 II Thess., II, 10.

 

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puissent avoir leur force entière jusqu'à ce que les partis acquiescent.

Aussi voyons-nous, mes Sœurs, que l'Eglise procédant au jugement de ceux qui lui étaient déférés, dans quelque évidente notoriété que leurs sentiments fussent reconnus et même de leur aveu, n'a pas appuyé sur ce fondement la censure qu'elle a prononcée contre leurs personnes ou contre leurs livres. Car si elle n'eût regardé que cette notoriété et leur propre consentement, elle s'en serait tenue à cette évidence sans aucune plus ample recherche. Mais au contraire, ayant procédé à l'examen de leurs discours et de leurs ouvrages, ainsi qu'il se voit dans tous les conciles, il paraît manifestement que l'Eglise s'est toujours sentie obligée de prendre une connaissance juridique des pensées et des sentiments des docteurs suspects par leurs discours et écrits publics, et qu'elle n'a jamais prétendu faire dépendre de leur aveu particulier l'effet ni l'autorité de sa sentence.

Vous voyez donc clairement, mes Sœurs, que c'est la pratique constante et la tradition de l'Eglise, non-seulement de prononcer des sentences solennelles sur le sentiment des auteurs, mais encore de n'attendre pour cela ni leur aveu, ni celui de leurs partisans. Vous voyez qu'ayant rendu de tels jugements, elle les croit, et si importants, et si bien fondés, et si certains, qu'elle ne craint point de les insérer dans ses professions de foi publiques, et d'en exiger la souscription comme une condition nécessaire pour recevoir sa communion et sa paix. Or, il n'y a personne qui ne voie qu'elle ne pourrait faire ces choses, si elle ne tenait pour maxime certaine et indubitable, qu'il y a une autorité suffisante dans de tels décrets pour obliger ses enfants à y souscrire sans peine. De sorte que c'est aller directement contre son esprit et sa conduite, que de craindre de mentir ou de rendre un faux témoignage en souscrivant sur la foi de ses jugements canoniques.

Et certainement, mes Sœurs, le soin que l'Eglise a toujours pris de faire signifier, prêcher, publier, avec tant d'autorité et de gravité à tous ses enfants, ses saintes décisions, tant sur les dogmes que sur les personnes et sur les écrits suspects, est une preuve convaincante qu'elle ne doute nullement qu'on ne puisse s'en

 

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rapporter tout à fait à elle sans approfondir plus avant. Autrement ces publications solennelles faites dans les mêmes chaires où elle annonce les jugements de Dieu seraient non-seulement une illusion, mais une tentation manifeste et un piège qu'elle tendrait à la crédulité des peuples. Car elle n'ignore pas que les chrétiens écoutant prononcer de telles sentences d'une place si sainte et si éminente, sous ce nom si vénérable de l'Eglise, ne soient puissamment induits, pour ne rien dire davantage, à y donner leur créance sur la seule autorité de son décret. Si donc cette, déférence ne leur était pas permise, il faudrait avouer nécessairement que l'autorité de l'Eglise qui les y conduit leur serait une tentation et un scandale. Et qui ne sait que si les noms de Nestorius, de Pelage, de Dioscore et autres semblables ont été portés par tout l'univers, chargés des anathèmes de tous les peuples, ce n'était pas que tous les fidèles sussent par eux-mêmes la malice de leurs discours et de leurs écrits? Un petit nombre les connaissait de la sorte; niais tout le reste de la multitude, depuis le soleil levant jusqu'au couchant, et depuis le septentrion jusqu'au midi, s'en fiait à l'autorité de l'Eglise sans s'informer davantage; et l'Eglise qui leur inspirait une répugnance extrême pour les personnes et pour les écrits condamnés, sans qu'ils en connussent par eux-mêmes la malignité, ne craignait pas pour cela de les engager à des jugements téméraires, ni de leur faire porter de faux témoignages, parce qu'au contraire elle savait combien il leur était salutaire de les fuir plutôt que de les connaître, et de condamner par soumission et par conformité avec elle ceux qu'elle avait condamnés par autorité et par connaissance.

Ainsi je ne comprends pas sur quoi peut être fondée cette nouvelle doctrine, qu'à moins de connaître par soi-même la vérité de quelque fait, on ne peut signer en conscience le jugement de l'Eglise qui le décide, comme s'il n'était pas permis de, s'en reposer sur son autorité et de souscrire sur son témoignage.

On dit que c’est la coutume de n'exiger les souscriptions que des évêques, surtout en ce qui touche les faits. Si l'on veut inférer de là que l'intention de l'Eglise fût de laisser la chose dans

 

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l'indifférence à l'égard des peuples, on pourrait conclure de même touchant les décisions de la foi, lesquelles nous ne lisons pas qu'on prit soin de faire signer par des souscriptions générales. Mais qui ne sait que l'Eglise avait d'autres témoignages publics de la soumission très-entière de ses enfants? Il ne faut qu'une médiocre connaissance de l’antiquité pour savoir que c'était une coutume reçue de prêcher et de publier dans l'Eglise, non-seulement les décisions des conciles et des papes contre les erreurs, mais encore leurs anathèmes contre les errants : et qu'il était si ordinaire aux chrétiens d'y répondre, d'y consentir, de les approuver par leurs acclamations, que l'Eglise n'avait pas besoin d'exiger d'eux aucun témoignage, puisqu'ils lui en donnaient volontairement de si authentiques.

Au reste, je n'avoue pas que ce fût une coutume établie, de n'exiger la souscription que des seuls évêques pour des faits de cette nature. Nous voyons en l'action vu du concile de Constantinople, sous saint Flavien, que les archimandrites souscrivirent la déposition d'Eutychès (1). Les légats du pape saint Hormisdas obligèrent pareillement les archimandrites, c'est-à-dire les Pères des monastères à souscrire expressément la condamnation d'Acace (2). Et personne ne peut nier que l'Eglise n'ait souvent demandé même des laïques un consentement exprès sur des jugements de fait, quand elle l'a jugé ainsi nécessaire ou pour rétablissement de la foi, ou pour le bien de la paix et de la concorde publique.

Le concile huitième, dans sa neuvième action, ordonne à quelques laïques de déclarer publiquement « qu'ils reçoivent ceux que le concile reçoit, et qu'ils anathématisent ceux qu'il anathématise, et nommément Photius (3) : » encore qu'ils s'excusassent sur leur condition disant que « ce n'était pas à eux de prononcer des anathèmes, » toutefois ils le font enfin par le commandement exprès du concile; lequel dans sa dernière action exige en particulier des laïques qui étaient présents comme une espèce de profession de foi la déclaration suivante : « Recevant ce saint et

 

1 Act. VII Concil. Const., relat. act. — 2 Concil. Chalced., tom. IV; Concil., Labbe, p. 230, etc., Dioscori ad Hormisdam, tom. IV ibid., inter Epistolas Hormisdae, p. 1400, c. — 3 Concil. Eph., act. IX. tom. VIII, Concil., Labbe, p. 1366 b, c, e, p. p. 1367 a.

 

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universel concile, je reçois ceux qu'il reçoit et j'anathématise ceux qu'il anathématise (1). » Et si vous voulez encore un exemple d'un concile universel, je vous allègue celui de Constance, lequel ayant défini plusieurs faits contre Jean Wiclef et Jean Huss dans les sessions VIIIe et XVe, comme « qu'ils étaient hérétiques et avaient prêché et soutenu plusieurs hérésies, et nommément que Wiclef était mort opiniâtre et impénitent, anathématisant lui et sa mémoire (2). » Le pape Martin V ordonne dans ce concile et avec son approbation expresse, que tous ceux qui seraient suspects d'adhérer à ces hérétiques, sans aucune distinction, « soient obligés de déclarer en particulier qu'ils croient que la condamnation faite par le saint concile de Constance de leurs personnes, de leurs livres, de leurs enseignements, a été très-juste et doit être retenue et fermement assurée pour telle, par tous les catholiques et qu'ils sont hérétiques et qu'ils doivent être crus et nommes tels (3). »  Pourrait-on jamais exiger une déclaration plus formelle sur les faits jugés au concile, et aurait-on fait davantage si l'on eût demandé la souscription ?

Mais au fond, quand nous n'aurions à vous produire que ce qui a toujours été pratiqué par les évêques, il n'en faudrait pas davantage ; et c'est assez pour l'instruction du troupeau que de faire voir l'exemple de ceux qui doivent en être la forme. Les évêques souscrivaient en deux manières aux jugements ecclésiastiques : quelquefois par autorité, quelquefois par consentement et par obéissante. J'appelle souscrire par autorité, lorsqu'ayant été jugés, ils souscrivaient le jugement, et ce n'est point cette manière de souscription que je vous propose pour exemple. Mais il est certain que, même n'ayant point été jugés, ils souscrivaient souvent sur l'autorité des jugements canoniques qui avaient été rendus par l'Eglise. C'est ainsi que vous avez vu que deux patriarches, Jean d'Antioche et Jean de Constantinople, souscrivirent avec un grand nombre d'évêques, le premier à la déposition

 

1 Act. X, ibid, in fine,  p. 1379 d. — 2 Concil. Constanc sess. VIII et XV, tom. XII ; Concil., Labbe, p. 49 c, p. 128 e, p. 129 a, b. (Voyez la dernière addition à la fin de cette lettre.) — 3 Bulla Martini V, de Error. Johan. Wiclef. et Joan. Huss., sess. XIV ; Concil. Const., tom. XII; Concil., Labbe, p. 259, 261 d, et p. 268 e.

 

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de Nestorius faite sans lui et malgré lui au saint concile d'Ephèse, et le second par l'autorité du pape saint Hormisdas à la condamnation d'Acace son prédécesseur. Et il n'y a personne qui ne sache quelle grande quantité d'évêques qui n'avaient point été juges au concile de Sardique, souscrivirent sur l'autorité de son décret, non-seulement le rétablissement de saint Athanase, mais encore la condamnation des évêques ses persécuteurs (1). Vous voyez donc, mes Sœurs, que si les évêques souscrivaient par autorité, ils souscrivaient aussi souvent par obéissance; ou si vous voulez que nous l'expliquions, et peut-être mieux, d'une autre manière, quelquefois ils souscrivaient en définissant et quelquefois en obéissant. Cette distinction est si importante, que nous voyons même que quelques évoques l'ont exprimée expressément dans leurs signatures. Dans la IIIe action du concile de Chalcédoine, après que tous les évêques qui avaient assisté au jugement et à la déposition de Dioscore eurent souscrit en cette manière : « Anatolius, évêque de Constantinople, j'ai souscrit en définissant (2), » et ainsi des autres. Juvénal patriarche de Jérusalem et avec lui quelques évêques qui n'avaient pas assisté, ou qui avaient même été exclus de ce jugement, souscrivirent en cette sorte : « Juvénal, évêque de Jérusalem, obéissant à la sentence des saints évêques et y consentant, j'ai souscrit (3); » et un autre souscrit ainsi : « Thalassius, évêque de Césarée en Cappadoce, j'ai souscrit en suivant la forme des saints évêques (4); » et un autre en cette façon : « Sozon, évêque de Philippes, sachant l'examen des saints évêques et devant obéir à leur jugement, j'ai souscrit (5). » Que si l'autorité de ces jugements est telle, que les évêques mêmes qui ont caractère de juges y trouvent un fondement suffisant pour les souscrire par obéissance, en se reposant sur la discussion qui a été faite selon l'ordre des canons, combien plus des religieuses qui sont si fort dans la dépendance et sous la discipline de l'Eglise, doivent-elles se reposer sur la connaissance que leurs supérieurs ont prise des choses, et ensuite souscrire par

 

1 Synodi Sardicensis Epist. ad Jul., Papam, tom. II ; Concil., Labbe, p. 660, 661 c, 662 b. ; Ejusdem concilii Epist. ad omnes episcopos, ibid., p. 670, 675 e, 678 a, b, d. — 2  Conc. Chalced., act. m, tom. IV ; Concil., Labbe, p. 448. —  3.  Ibid., p. 458  — 4. Ibid. — 5 Ibid., p. 459.

 

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obéissance, lorsqu'on leur commande de le faire ou pour le bien de leurs âmes, ou pour l'édification publique?

Ainsi pour recueillir mon raisonnement, je soutiens que vous n'avez aucune raison qui vous empêche de souscrire purement et simplement la profession de foi que l'on vous propose. Vous ne pouvez pas en être empêchées à raison du dogme condamné, puisque vous le réprouvez : ou parce qu'on en a désigné l'auteur dans le formulaire de foi, puisque c'est la coutume de l'Eglise dès les premiers siècles d'en user ainsi : ni à cause que vous ne savez pas par vous-mêmes si cet auteur a enseigne de tels dogmes, puisqu'il vous doit suffire que l'Eglise l'ait jugé et qu'on ne vous demande pas que vous souscriviez en définissant, ce qui ne convient point à votre état, mais seulement en obéissant : ni enfin sous prétexte que tous ne conviennent pas que le sens de cet auteur ait été bien entendu, puisque c'est sur ce doute-là que le jugement de l'Eglise est intervenu, et qu'il n'y a aucune justice de faire dépendre l'autorité de cette décision de l'acquiescement des partis.

Certainement si vous prenez soin de vous dégager de toute préoccupation pour peser ces choses, vous découvrirez bientôt que les raisons que vous alléguez pour votre défense, vous pressent plutôt d'obéir qu'elles ne vous en excusent. Vous croyez vous être excusées de la signature par une raison invincible, quand vous avez dit que vous n'avez nulle connaissance de ces matières et nulle obligation de vous en instruire : et c'est là justement le cas que l'on peut sans aucune apparence de difficulté s'en rapporter à ceux « qui ont obligation de connaître et autorité de juger, » c'est-à-dire aux supérieurs ecclésiastiques. Vous croyez avoir satisfait à tout, quand vous déclarez que vous soumettez, votre jugement à toutes les décisions de foi de l'Eglise Romaine : et elle vous répond par la bouche du pape saint Hormisdas : « Si vous embrassez ma foi, suivez aussi mes jugements (1). » Vous croyez qu'il n'y a plus rien à vous demander, quand vous avez dit que vous ne prenez point de part aux contestations. A la bonne heure, mes Sœurs, ne prenez jamais de part aux contestations ;

 

1 Epist. XXIX, tom., IV, Concil., Labbe, p. 1473

 

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mais n'est-ce pas trop d'indifférence de n'en vouloir point prendre aux décisions? Et si vous y persistez, ne donnerez-vous point sujet de penser que le motif qui vous y oblige, c'est que vous en avez trop pris aux contestations? Cédez donc enfin au commandement de M. l'archevêque, cessez de trouver étrange qu'il ne se contente pas de votre silence, puisqu'il a raison d'espérer du temps et de votre docilité une soumission plus effective.

Quant à ce que vous ajoutez et ce qui semble être le fort de votre défense, que vous ne pouvez rendre témoignage de ce que vous ne connaissez point : premièrement, qui de nous a jamais ouï dire qu'on ne puisse rien croire ni rien assurer même dans des choses de fait que sur sa propre science? Que si l'on peut et si l'on doit souvent s'en rapporter à l'autorité d'autrui, y en a-t-il au monde une plus grande sur les esprits des fidèles que celle de la sainte Eglise? Ainsi quoique tous ceux qui n'entendent pas de quoi il s'agit soient touchés de cette raison, j'ose assurer que vous ne vous en servirez jamais si vous concevez nettement quel témoignage on vous demande. Certainement si l'on demandait votre témoignage pour faire le procès au livre de Jansénius et pour appuyer la sentence sur votre déposition, il n'y a personne qui ne vous accorde qu'alors vous seriez tenues de déposer sur ce fait avec connaissance de cause. Mais le jugement est rendu, les papes l'ont prononcé, tous les évêques l'ont reçu sans contradiction et le témoignage qu'on attend de vous ne regarde plus que vous-mêmes et vos propres dispositions, c'est-à-dire la chose du monde que vous connaissez le mieux. Et si vous nous répondez que c'est là aussi ce qui vous arrête, parce que doutant que le pape et les évêques aient bien jugé en ce qui touche le fait, vous ne pouvez pas l'assurer, c'est ici que vous vous trouverez convaincues de manquer de déférence pour l'Eglise. Car si son autorité était telle dans votre esprit qu'elle y doit être, il n'y a personne qui ne voie qu'elle pourrait facilement emporter un doute et encore un doute comme le vôtre, lequel de votre aveu même ne peut pas être appuyé sur aucune raison essentielle tirée du fond de la chose, puisque vous confessez hautement que vous n'en avez nulle connaissance. Il  n'est donc plus question d'appeler ici

 

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votre intelligence, c'est une affaire de soumission et d'humilité. Il s'agit de déclarer nettement si vous pouvez croire, que le pape et les évêques, et enfin tous ceux qui ont dans l'Eglise la puissance de juger, ont assez de lumière et d'autorité pour vous obliger d'y faire céder, je ne dis pas un jugement arrêté, puisque vous ne pouvez pas en avoir aucun sur une matière que vous ne connaissez pas, mais des doutes et des scrupules et une autorité étrangère. Voilà de quoi il s'agit : voilà la déclaration que l’on vous demande ; et vous m'avouerez, mes Sœurs, que pour rendre un tel témoignage, il ne faut point d'autre connaissance que celle qu'on ne perd jamais quand on est humble et docile.

Que si après cela vous nous repartez pour dernière réponse, que les sentences de l'Eglise en ce qui touche les faits ne sont pas tenues infaillibles, et que vous vous laissiez encore troubler par ceux qui ramassent avec tant de soin les jugements de cette nature, dont il y a eu quelque plainte ou quelque soupçon : trouvez bon que sans vous engager à une longue discussion de ces faits, par laquelle vous verriez peut-être qu'on n'en peut tirer aucun avantage, je vous demande seulement si vous pouvez dire ou penser, et si quelqu'un est capable de vous persuader, que vous ne pouvez rien croire sur l'autorité de l'Eglise et de vos supérieurs, que lorsqu'ils vous parlent avec une autorité infaillible; et si vous ne demeurez pas d'accord au contraire, sans que je me mette en peine de vous le prouver, que c'est une vertu chrétienne et religieuse de soumettre et d'anéantir son jugement propre, même hors des cas des vérités révélées, surtout dans les choses qu'on ne sait pas et desquelles on n'a nulle obligation de prendre aucune connaissance ; enfin s'il n'est pas certain et indubitable qu’au-dessous de la foi théologale, il y a un second degré de soumission et de créance pieuse, laquelle peut être souvent appuyée sur une si grande autorité, qu'on ne peut la refuser sans une rébellion manifeste. Je suis assuré, mes Sœurs, que pour peu que vous y pensiez, vous ne pourrez jamais disconvenir de ces maximes. Or, si elles sont véritables, il faut que vous accordiez qu'encore que les décisions de l'Eglise en ce qui touche les faits ne soient pas crues infaillibles comme celles qui touchent la

 

 

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foi catholique, il ne s'ensuit pas pour cela qu'elles ne méritent aucune créance; et que quand on aura fait voir qu'il y aura eu quelque surprise dans quelques-uns de ces jugements de l'Eglise, ce n'est pas une conséquence qu'on ne puisse plus sans offenser Dieu la croire dans des matières semblables. Ainsi au lieu de perdre le temps à vous alléguer si souvent les faits d'Honorius et des trois chapitres, il valoit bien mieux vous apprendre : premièrement, qu'on ne convient pas qu'il y ait de l'erreur de fait dans ces jugements, mais que tout le monde convient qu'on.y a souscrit et en Orient et en Occident sans aucune crainte et sans aucun péril de péché; ce qui doit mettre en repos votre conscience. Secondement, que l'Eglise ayant reçu tant de grâces pour juger sainement de ceux dont la doctrine n'a pas été droite, et môme ces deux ou trois jugements tant de fois produits en cette affaire et tant appuyés, de sorte qu'il est beaucoup plus aisé de les soutenir que de les combattre, les sentiments qu'en ont eus quelques auteurs catholiques, ni même l'erreur de fait quand il y en aurait eu par quelque surprise, ne doit diminuer en rien l'autorité des jugements de l'Eglise, ni par conséquent l'obligation qu'ont toujours eue ses enfants d'y prendre une entière créance : ou même que Dieu a pourvu d'ailleurs à leur sûreté, tous les docteurs étant d'accord que si nous ne sommes pas autant assurés que des articles de foi, que l'Eglise ne se trompe point dans ces faits, nous ne laissons pas de l'être toujours qu'on ne pèche pas en la croyant; surtout ceux qui, confessant comme vous qu'ils n'ont nulle connaissance du fond de l'affaire et nulle obligation de s'en éclaircir davantage, ne peuvent prendre de meilleur parti que celui de s'en rapporter aux supérieurs qui ont grâce et autorité, et qui sont préposés par le Saint-Esprit pour connaître de ces matières.

Et ne vous laissez pas émouvoir aux histoires que l'on vous fait pour vous décrier la conduite du Saint-Père et des évêques, reconnaissez au contraire à quelles tentations les fidèles seraient exposés, s'il fallait écouter tous ces narrés au préjudice des décrets publics. Nous entendons tous les jours ce que disent nos adversaires du saint concile de Trente et des papes qui les ont jugés :

 

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et si vous voulez des exemples de l'antiquité, que ne disait pas un Nestorius de sain! Cyrille archevêque d'Alexandrie, le principal auteur de ses maux; des inimitiés qui étaient entre eux, que les historiens de ce temps-là n'ont pas dissimulées; de la jalousie de leurs sièges; de la précipitation de ce patriarche à prononcer à Ephèse le jugement contre lui en l'absence de Jean d'Antioche, lequel arriva deux jours après et qui avait donné avis à saint Cyrille de son arrivée prochaine? Et s'il fallait s'amuser à discuter tous ces faits et tout ce qu'entassent contre leurs juges ceux qui ont été condamnés, ne serait-ce pas s'engager à des recherches sans fin, à des disputes folles et sans discipline (1), » contre le précepte de l'Apôtre? Mes Sœurs, ne vous jetez pas dans ce labyrinthe : car ne vous apercevez-vous pas quelle illusion ce serait, si vous étiez détournées de vous soumettre dans un fait si authentiquement jugé, par une attache à des faits particuliers, desquels la discussion peut être très-dangereuse et ne peut jamais être que très-inutile? Laissez donc à part ces narrés d'intrigues et de cabales que les hommes ne cesseront jamais de se reprocher mutuellement, peut-être de part et d'autre avec vérité et du moins presque toujours avec vraisemblance; et croyez que parmi ces troubles et dans ce mélange de choses, la sûreté des particuliers, c'est de s'attacher aux décrets et à la conduite publique de la sainte Eglise.

Suivez, mes Sœurs, cette voie, et cessez de vous égarer plus longtemps dans un chemin si facile. Vous trouverez votre sûreté dans celui de l'obéissance, en mettant en repos votre conscience sur l'autorité de l'Eglise. Si vous quittez ce sentier unique, outre que vous chargerez votre conscience d'une désobéissance scandaleuse, sachez que de part et d'autre vous ne trouverez que des précipices. Car ou vous serez contraintes de dire qu'il n'est pas permis en conscience de croire respectueusement que l'Eglise ait bien jugé dans un fait qui est de sa connaissance, et sur lequel elle a donne une définition canonique : ou si vous êtes touchées d'une juste appréhension des suites épouvantables de cette doctrine même, il faut que vous vous rejetiez dans un autre abîme,

 

1 I Timoth., I, 4 ; II, II 2 ; Tit., III, 9.

 

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en croyant que les décrets.de deux papes, reçus, approuvés, publiés unanimement par tous les évêques et lesquels plusieurs d'eux, à ce que j'ai appris, et nommément M. l'évêque d'Angers que je nomme par honneur et avec respect, ont souscrit à deux genoux, ne peuvent être censés canoniques. Et considérez où vous jetterait cette malheureuse pensée, s'il fallait que croyant, comme on vous le dit, que les formes canoniques ont été méprisées dans le jugement des papes et qu'on y a tout donné à la brigue et à la cabale, vous les vissiez néanmoins reçus et approuvés avec une vénération si universelle, sans qu'il y ait dans toute l'Eglise un seul évêque qui s'oppose à une injustice que l'on publie si visible. Dieu vous préserve, mes Sœurs, de ce sentiment : il vous jetterait peu à peu dans un état bien terrible, et vous ferait regarder avec le temps tout l'ordre épiscopal d'un étrange œil. Dans ce dégoût secret de votre cœur contre tout le corps des évêques, que vous verriez unanimement adhérer à un jugement qui vous paraitrait prononcé contre les canons, croyez que l'amour de l'Eglise serait exposé, pour ne rien dire de pis, à de grandes tentations. Peu à peu vous vous verriez détachées de la conduite ordinaire de la sainte Eglise et attachées à des conduites particulières de personnes desquelles je ne veux rien dire, sinon qu'ils sont à plaindre plus que je ne puis l'exprimer, d'en être réduits à ce point qu'ils semblent mettre toute leur défense à décrier hautement, et de vive voix et par écrit, tout le gouvernement présent de l'Eglise. Dieu vous préserve, mes Sœurs, encore une fois, de tels inconvénients ! Que si vous les craignez avec raison, croyez donc que le jugement d'Innocent X et celui d'Alexandre VII, que vous voyez reçus par tous ceux qui ont autorité de juger dans l'Eglise catholique, sont légitimes et valables. Et ceux qui vous diront après cela que vous ne pouvez sans péché y soumettre humblement le vôtre, et pour le fait et pour le droit, chacun néanmoins dans son ordre, laissez-les disputer sans fin, et répondez-leur seulement avec l'Apôtre : « S'il y a quelqu'un parmi vous qui veuille être contentieux, nous n'avons pas une telle coutume, ni la sainte Eglise de Dieu (1). » Voilà, mes très-

 

1 I Cor., XI, 16.

 

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chères Sœurs, le repos assuré de vos consciences, le dégagement unique des embarras où vous êtes, l'ouverture assurée à la paix et à la charité de votre Prélat, et peut-être la dernière perfection du sacrifice de dépouillement et d'abnégation de vous-mêmes, que vous avez voué à Dieu solennellement au jour de votre profession.

 

ANTIQUA EXEMPLA SUBSCRIPTIONUM SUB HORMISDA. Suggestio Gennani et Johannis episcoporum, Felicis et Dioscori diaconorum et Blandi presbyteri, quae incipit : « Non miramur apostolatûs vestri precibua cuncta nobis prospera successisse, etc.....» Eo die sub senatùs cuncti prœsenlià, episcopi qu ique quatuor adfuerunt, quos Johaunes episcopus Coiistantinopolitanus, pro partis suae defensione transmiserat, quibus aposlolicœ Sedis libelluin ostendimus, omniaque

in eo recta canonicaque esse probavimus. Postremo quintà ferià.....Episcopus.....

consenticus..... subscripsit (1), etc.

Suggestio Dioscori diaconi qua? incipit : « Ineffabilis Dei omnipotentis misericordie, etc.....» De episcopo Thessalonicensi : Post multa certamina praefatus

episcopus ratione convictùs libellum subscribere voluit.....Nos respondimus....

(libellus legatorum) et si est in ipso quod ignoretur aut verum esse non credatur, dicant, et tunc ostendemus nihil extra judicium ecclesiasticum in eodem

libella esse conscriptum .... Relectus est libellus..... Nos statim subjunximus :

Dicant presentes quatuor episcopi, si haec quae in libelle leguntur gestis ecclesiasticis minime continentur? Responderunt omnia vera esse. Post quae nos subjunximus, etc..... Episcopus Constantinopolitanus. ... suscepit à nobis libellum ... Subscriptio ab eodem facta est libella conveniens »....

 

SENTIMENT DU P. ALEXANDRE, DOMINICAIN, SUR LES SOUSCRIPTIONS. Passages

de ce Père où il prouve qu'il faut se soumettre même aux décisions de l'Eglise sur les faits : Histor. Eccles., t. V, in-folio, sœcul. VI, dissertat, V, p. 522, col. 2, ad litteram F, Si de facto doctrinali, etc., et p. 523, col. 1, ad litleram B, Quia vialatœ reverentiœ, etc., et col. 2, ad eamdem litteram, Respondeo temerarios esse. etc.....

On peut voir toute cette dissertation cinquième, Defens. Anathematismorum quintœ Synodi.

Il faut aussi voir dans le même tome V in-folio, dissertat, XIV, De disciplina erga Theodoretum observatâ, actione VIII concilii Chalcedonensis, p. 256, et particulièrement la p. 258 où sont rapportés les passages de saint Léon sur une pareille affaire, et ceux de saint Jérôme contre les origénistes.

Il y a encore à voir la théologie morale de ce Père sur le même point de doctrine : c’est aussi de l'édition in-folio, t. II, de Peccatis; de Pertinaciâ régula, V, Lethalis pertinacia reus est, etc., p. .100, où sont répétés les passages ci-dessus de saint Léon au sujet des fauteurs des pélagiens, aussi bien que ceux de saint Jérôme contre les origénistes : et la souscription (a) ce : où aussi l’on a remarqué en cette dernière c'… 'auteur; superbe recusare, qui n'est pas dans…

Et enfin sa décision contre les équivoques…  t. II, de Decalogo, de Juramento et perjurio, regulà X, Lethalis perjurii reus est, etc., où se trouve le canon : Quacumque arte, causa XXXI, q. V, tiré de saint Isidore de Séville, lib. II, Sententiarum, cap. XXXI, ibid., p. 687, col. I, ad litteram C.

 

1 Tom. IV Concil. Labe, inter Epistolas Horsmidae, p. 1487. E, B. — 2 Ibid., 1488, E, 1489, B, D, E, 1490, A.

 

(a) Les mots qui manquent  sont détruits dans le manuscrit.

 

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LETTRE LXIII. BOSSUET A M. ***.

 

« Sur la demande que l’on fait (a) savoir si une personne qui n'est pas d'ailleurs instruite, ni capable par elle-même de s'instruire, ni même désireuse, offenserait Dieu d'ajouter foi à la déclaration de son supérieur sur un fait, et s'il lui est défendu de croire au témoignage de son prélat et de signer un fait sur sa foi.

» On répond 1° que généralement parlant cette personne pourrait ajouter foi à la déclaration de son supérieur sur un fait sans offenser Dieu; et qu'il ne lui est défendu de croire au témoignage de son prélat, et de signer un fait sur sa foi, sinon que ce fait fût évidemment faux et qu'il lui parût tel, quand même elle douterait auparavant de la vérité : car il semble qu'il lui est libre de déposer son doute et renoncer aux raisons qui l'appuient, pour déférer à celles de son prélat qu'elle peut croire pieusement meilleures, quoiqu'elles ne paraissent pas telles à son jugement ; et c'est même une espèce d'humilité de préférer le jugement de son supérieur au sien, surtout dans une matière où il a droit de donner son jugement, et de laquelle on a sujet de présumer qu'il a pris connaissance.

» 2°. Il se peut faire néanmoins que la personne trouverait ledit fait revêtu de tant de circonstances qui feraient que la soumission de jugement qu'elle y rendrait, aurait des suites si dangereuses et préjudiciables à la doctrine de l'Eglise, à son ordre et discipline, et même à la réputation du prochain, que le mal qui en résulterait serait évidemment plus grand que le bien de sa soumission, à laquelle on présuppose qu'elle n'aurait aucune obligation de conscience du côté de la matière dont il s'agit, qu'en ce cas elle serait obligée de se départir plutôt du bien qui

 

(a) Les passages guillemetés, jusque vers la fin, ne sont pas de Bossuet; il envoie, à une personne inconnue, le sentiment de l'évêque d'Aleth sur le formulaire, et ne parle lui-même qu'au dernier alinéa.

 

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reviendrait de son obéissance que d'être cause du mal qui arriverait de sa soumission.

» J'attends de jour à autre des nouvelles du traitement qu'on aura fait à ces pauvres religieuses, et du succès de l'exposition de mes sentiments sur cette affaire. Cependant je vous prie d'être assuré que je ne les oublie point au saint autel, et de la confiance que Dieu me donne, que s'il les éprouve d'une manière qui semble forte, non-seulement il ne les abandonnera pas, mais il leur fera connaître et sentir en temps et lieu la puissance de sa protection. J'écris à monsieur votre frère les raisons de mes divers sentiments sur cette affaire, selon les divers temps et conjonctures qui s'y sont rencontrées, m'en ayant sollicité pour en faire l'usage qu'il jugera à propos pour l'intérêt public et particulier. Nous sommes dans le temps et la nécessité de croire en l'espérance contre l'espérance, et de nous conforter par les règles et vérités de la foi, nous assurant que Dieu fera vers ceux qui le servent fidèlement, connaître et ressentir les vérités de ses promesses. »

Voilà l'extrait delà lettre de M. d'Alet. Je vous l'envoie pour vous faire connaître plus clairement que jamais ses sentiments : et cette preuve est si convaincante, qu'il veut bien qu'on les dise à M. de Paris, en sorte que je doute que vous puissiez déférer à ceux qui n'en sont pas d'avis. Je vous permets de le transcrire et de le faire, voir à M. de Saint-Nicolas, et même à M. de Paris, si cela est nécessaire : mais ôtez les mots qui peuvent faire voir à ce dernier que cela s'adresse à moi.

 

J. BÉNIGNE BOSSUET.

 

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