CHAPITRE III

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PROPRE DES SAINTS

CHAPITRE III. PRATIQUE DU TEMPS DE LA SEPTUAGÉSIME.

 

Les joies du temps de Noël semblent avoir fui loin de nous. A peine avons-nous pu jouir quarante jours de l'allégresse que nous avait apportée la naissance de l'Emmanuel, et déjà le ciel de la sainte Eglise s'est assombri, et on nous annonce que bientôt il apparaîtra couvert de teintes plus lugubres encore. Avons-nous donc perdu pour jamais celui que nous attendîmes avec tant d'anxiétés et d'espérances durant les semaines mélancoliques de l'Avent ; et celui qui se montra enfin à nous comme le Soleil de justice, a-t-il donc détourné sa course, pour la diriger loin d'une terre coupable?

Rassurons-nous. Le Fils de Dieu, le fils de Marie, ne nous a point quittés. Le Verbe s'est fait chair, et c'est afin d'habiter parmi nous. Une gloire plus grande encore que celle de sa naissance au milieu des concerts angéliques, lui est réservée, et nous devons la partager avec lui. Mais cette gloire, il doit l'acheter au prix de mille souffrances : il ne l'obtiendra que par la plus cruelle et la plus ignominieuse des morts; et, si nous voulons avoir part au triomphe de sa Résurrection, il nous faut le suivre dans la voie douloureuse qu'il arrose de ses larmes et qu'il teint de son sang.

Bientôt la voix sévère et maternelle de l'Eglise se fera entendre pour nous convier à la pénitence

 

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quadragésimaie ; mais, auparavant, dans le cours rapide des trois semaines de préparation à ce laborieux baptême, elle veut que nous nous arrêtions à sonder la profondeur des plaies que le péché a faites à nos âmes. Rien n'égale, sans doute, les charmes et la douceur de l'Enfant qui nous est né ; mais les leçons d'humilité et de simplicité qu'il nous a données ne suffisent plus aux besoins de nos âmes. Cette victime de la plus redoutable justice a crû rapidement ; déjà l'autel sur lequel on l'immolera se dresse ; et comme c'est pour nous qu'elle y doit expirer, le temps presse de nous demander compte à nous-mêmes des obligations que nous avons contractées envers cette justice qui s'apprête à sacrifier l'innocent à la place des coupables.

Le mystère d'un Dieu qui daigne s'incarner pour les hommes a ouvert pour nous les sentiers de la Vie illuminative ; mais nos yeux sont appelés à contempler une lumière plus vive encore. Que notre cœur ne se trouble pas ; les divines merveilles de Bethléhem seront dépassées au jour de la victoire de l'Emmanuel ; mais notre œil, s'il veut contempler ces merveilles, a besoin de s'épurer, en plongeant sans faiblesse son regard jusqu'au fond de l'abîme de nos misères. La lumière de Dieu ne nous sera pas refusée pour accomplir cette œuvre de justice ; et si nous parvenons à nous connaître nous-mêmes, à nous rendre compte de la profondeur de la chute originelle, à apprécier la malice de nos fautes personnelles, à comprendre, du moins en quelque degré, l'immense miséricorde du Seigneur envers nous, c'est alors que nous serons préparés aux salutaires expiations qui nous attendent, aux joies ineffables qui doivent les suivre.

 

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Le temps où nous entrons est donc consacré aux plus graves pensées, et nous ne saurions mieux exprimer les sentiments que l'Eglise attend du chrétien dans cette partie de l'année, qu'en traduisant ici quelques traits de l'éloquente exhortation que, dans le XI° siècle, le grand Yves de Chartres adressait à son peuple, à l'ouverture de la Septuagésime. « L'Apôtre l'a dit : « Toute créature gémit, et elle est dans les douleurs de l’enfantement. Nous-mêmes, qui avons les prémices de l'Esprit, nous gémissons aussi, attendant l’adoption des enfants et le rachat de notre corps (1). Cette créature qui gémit, c'est l'âme retirée de la corruption du péché, et qui, déplorant son sort d'être assujettie encore à tant de vanités, souffre les douleurs de l'enfantement, aussi longtemps qu'elle est éloignée de la patrie. C'est le cri du Psalmiste : Hélas ! pourquoi mon exil se prolonge-t-il (2) ? L'Apôtre lui-même, qui avait reçu l'Esprit-Saint, étant l'un des premiers membres de l'Eglise, dans son anxiété de recevoir en effet l'adoption des enfants que déjà il possédait en espérance, disait : Je voudrais mourir et être avec Jésus-Christ (3). Nous devons donc durant ces jours, plus encore qu'en tout autre temps, nous livrer aux gémissements et aux larmes, pour mériter, par l'amertume et les lamentations de notre cœur, de retourner dans cette patrie dont nous exilèrent ces joies qui donnent la mort. Pleurons donc durant le voyage pour nous réjouir au terme ; parcourons l'arène de la vie présente, de manière à saisir au bout le prix de l'appel céleste. Ne soyons pas ces voyageurs insensés qui oublient leur patrie,

 

1. Rom. VIII, 22. — 2. Psalm. CXIX. — 3. Philip, I, 23.

 

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s'attachent au lieu de l'exil et restent en route. Ne soyons pas ces malades insensibles qui ne savent pas chercher le remède à leurs maux. On désespère de la vie de celui qui n'a pas conscience de son mal. Courons au médecin du salut éternel. Découvrons-lui nos blessures ; faisons-lui entendre ce cri intime : Ayez pitié de moi, Seigneur, car je suis  infirme : guérissez-moi, Seigneur, car tous mes os sont ébranlés (1). C'est alors  que notre médecin nous pardonnera nos iniquités, qu’il guérira  toutes nos langueurs, qu'il comblera tous nos désirs pour le bien. »

Comme on le voit, le chrétien au temps de la Septuagésime,  s'il veut entrer dans  l'esprit  de l'Eglise, doit faire trêve à cette fausse sécurité, à ce contentement de soi qui s'établissent trop souvent au fond des âmes molles et tièdes, et n'y produisent que la stérilité. Heureux encore lorsque ces dispositions n'amènent pas insensiblement l'extinction du véritable sens chrétien ! Celui qui se croit dispensé de cette vigilance  continuelle tant recommandée par le Sauveur (2), est déjà sous la main de l'ennemi ; celui qui ne sent le besoin d'aucun combat, d'aucune lutte pour se maintenir et pour cheminer dans le bien, à moins d'avoir été honoré d'un privilège aussi rare que dangereux, doit craindre de ne pas être dans la voie de ce royaume de Dieu  qui ne s'enlève que de vive force (3) ; celui qui oublie les péchés que la miséricorde de Dieu lui a pardonnes, doit redouter d'être le jouet d'une illusion périlleuse (4). Rendons gloire à Dieu dans ces jours que nous allons consacrer à la courageuse contemplation de nos misères,

 

1. Psalm. VI. — 2. Marc, XIII, 37. — 3.  Matth. XI, 12. — 4. Eccli. V, 5.

 

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et venons puiser, dans la connaissance de nous-mêmes, des motifs nouveaux d'espérer en celui que nos faiblesses et nos fautes n'ont point empêché de s'abaisser jusqu'à nous, pour nous relever jusqu'à lui.

 

 

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