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LETTRES DE SAINT JEAN CHRYSOSTOME

 

LETTRES

AVERTISSEMENT.

A INNOCENT, ÉVÊQUE DE ROME.

A INNOCENT, ÉVÉQUE DE ROME, JEAN, ÉVÊQUE , SALUT DANS LE SEIGNEUR.

A SON BIEN-AIMÉ FRÈRE JEAN, INNOCENT, ÉVÊQUE.

L'ÉVÊQUE INNOCENT

LETTRE DE L'EMPEREUR HONORIUS A L'EMPEREUR D'ORIENT ARCADIUS.

AUX ÈVÊQUES, AUX PRÊTRES ET AUX DIACRES JETÉS EN PRISON A CAUSE DE LEUR PIÉTÉ.

 

 

AVERTISSEMENT.

 

La première lettre au pape Innocent fat écrite après la fête de Pâques, avant le second exil de saint Chrysostome. Il y raconte en effet tout ce qui s'est passé à Constantinople depuis l'arrivée de Théophile. Le saint est déposé par un conciliabule , puis rétabli dans son siège ; puis encore persécuté, accusé, chassé de l'église. On envahit l'église et le baptistère. C'est par ce dernier fait que se termine le récit, et il n'est pas question des actes de violence qui s'accomplirent ensuite. Comme l'observe Baronius (année 404), puisque le saint raconte les faits dans l'ordre où ils ont eu lieu , et qu'il achève sa lettre par le récit de violences du samedi-saint, sans rien dire des crimes commis plus tard, il est certain qu'il a remis cette lettre dans un temps voisin des scènes dont il parle en dernier lieu. C'était donc après la fête de Pâques de l'année 404.  « Quand vint ce grand jour, dit saint Jean Chrysostome, tout le peuple sortit de la ville, se réfugia sous les arbres et dans les bois, et y célébra la fête comme un troupeau dispersé. » Le Saint était en exil depuis trois ans déjà, quand il écrivit la seconde lettre : c'est lui-même qui nous l'apprend. Dans cette lettre, il ne s'adresse pas seulement au pape, mais aussi à plusieurs évêques qui se trouvaient à Rome ou dans le voisinage de cette ville. Il les remercie de leur charité à son égard et du zèle qu'ils déploient pour apaiser une si violente tempête.

La lettre d'Innocent à saint Chrysostome nous a été conservée par Sozomène. Innocent s'applique à consoler le saint évêque. Sa lettre respire le respect et la charité la plus tendre. Elle traite de la patience dans l'adversité et de la couronne réservée à ceux qui souffrent avec résignation. C'est la réponse à une lettre du Saint apportée par un diacre nommé Cyriaque.

La lettre d'Innocent au clergé de Constantinople est la réponse à une lettre du même clergé, que le prêtre Germain et le diacre Cassien avaient remise au pape. Innocent y déplore les calamités de l'Eglise d'Orient. Pour guérir tant de maux, il est nécessaire de tenir un concile, et son plus vif désir est de voir s'apaiser ces mouvements tumultueux.

La lettre de l'empereur Honorius à l'empereur d'Orient Arcadius se rapporte à la cause de saint Jean Chrysostome. L'empereur y parle d'abord de cette image d'Eudoxie, que l'on promenait par les provinces en l'honneur de l'impératrice. On avait, auparavant érigé une,statue d'Eudoxie devant l'église de Sainte-Sophie. A cette occasion , s'étaient donnés des jeux et des spectacles peu honnêtes et capables de détourner le peuplé des exercices de piété. Saint Chrysostome, dans ses discours, s'éleva contre ces scandales et s'attira ainsi la haine de l'impératrice. Honorius, dans sa lettre , s'indigne de tout ce qui s'est passé à Constantinople, lors dé l'injuste déposition du saint évêque. Il rappelle l'autel arrosé de sang humain, les prêtres envoyés en exil, et Jean de Constantinople chassé de son église.

Quant à la lettre aux évêques et aux prêtres jetés en prison à cause de leur piété, elle fut écrite, à ce que l'on croit, à Cucuse l'année 404. Saint Chrysostome leur adressa une autre lettre qui est la 118e.

 

 

A INNOCENT, ÉVÊQUE DE ROME.

 

A MON TRÈS-VÉNÉRÉ ET TRÈS-PIEUX SEIGNEUR INNOCENT, ÉVÉQUE DE ROME, SALUT EN JÉSUS-CHRIST.

 

1. Avant d'avoir reçu ma lettré, votre piété a sans doute appris les crimes qui viennent de se commettre ici. Ils sont si grands, si affreux, si tragiques, que le bruit s'en est répandu dans tout l'univers. Oui , jusqu'aux extrémités du monde ils ont fait couler bien des larmes et pousser bien des sanglots. Mais il ne suffit point de pleurer: il faut guérir le mal et chercher le moyen d'apaiser cette tempête qui agite si violemment l'Eglise. Nous avons cru nécessaire d'engager nos vénérables frères Démétrius, Pansophius, Pappus et Eugénius, ces évêques si pieux, à quitter leurs églises, à s'exposer aux dangers de la mer, à entreprendre ce long voyage, à courir vers votre charité, pour l'informer de toutes choses, afin d'apporter au mal un prompt remède. Avec eux nous avons envoyé nos chers et vénérables diacres Paul et Cyriaque; et nous-même nous voulons par cette lettre vous instruire en peu de mots de ce qui se passe.

L'évêque d'Alexandrie, Théophile, mandé (390) par le très-pieux empereur, auprès duquel on avait porté plainte contre lui, devait se rendre seul à Constantinople. Mais il a rassemblé bon nombre des évêques d'Egypte, laissant ainsi pressentir qu'il y venait avec des intentions hostiles. Dès son arrivée dans cette grande et pieuse cité, il ne se rendit pas à l'église, comme c'est depuis si longtemps la coutume et la règle; il ne se mit en rapport avec nous, ni par une visite, ni par des prières, ni par aucun signe de communion. A peine débarqué , il passa devant le vestibule de l'église, pour aller se fixer hors de la ville. Et cependant nous l'avions prié, lui et ceux qui l'accompagnaient, de descendre dans- notre maison, où nous mettions à leur disposition des appartements commodes et tout ce qu'il fallait. Mais ils ne voulurent point céder à nos instances. Cette conduite nous jeta dans un grand embarras; et nous ne pouvions savoir la cause d'une aversion si injuste. Toutefois nous n'avons cessé de leur rendre tous les bans offices qu'exigeaient les convenances. Que de fois nous avons conjuré Théophile de se réunir avec nous, de nous dire pourquoi, dès son arrivée, il allumait une telle guerre et jetait la discorde au sein d'une si grande ville.  Il refusa de nous faire connaître ses motifs, et, comme j'étais vivement pressé par ses accusateurs, notre pieux empereur me manda et m'enjoignit d'aller trouver l'évêque d'Alexandrie pour m'informer des griefs soulevés contre lui. On lui reprochait des usurpations, des meurtres et mule autres crimes, Mais nous connaissions les décrets des Pères, nous étions pleins de respect pour lui, il nous avait d'ailleurs écrit pour nous rappeler que les affaires d'une province devaient se traiter dans la province et nulle autre part; nous nous sommes donc obstiné à ne pas vouloir nous charger de cette cause. Mais lui, pour mettre le comble à ses premières tentatives contre nous, fait acte d'autorité, mande mon archidiacre, comme si l'église eût été veuve et privée de son évêque, et par l'archidiacre il attire à lui tout le clergé. Les églises furent bientôt désertes : car on emmenait les clercs, on les excitait à nous accuser et à produire contre nous des libelles accusateurs. Ensuite il nous cita lui-même à son tribunal, avant de s'être justifié, ce qui est contraire à tous les canons et à toutes les lois.

2. Or, sachant bien que nous irions, non pas devant un tribunal (nous nous serions mille fois présenté), mais devant un implacable ennemi (ce que nous montre assez et ce qui s'était déjà passé et ce qui se passa depuis), nous lui avons député plusieurs évêques, Démétrius, évêque de Pessinonte , Eulysius d'Apamée, Lupicinus d'Appiarie, et les prêtres Germain et Sévère, pour lui dire de notre part, avec toute la modestie convenable, que c'était non pas un juge, mais un adversaire, un ennemi déclaré que nous voulions éviter. Comment en effet cet homme, qui, avant d'avoir reçu aucun libelle d'accusation, s'était éloigné des prières et de la communion de l'Eglise, avait suborné des accusateurs, attiré à lui le clergé, rendu les églises désertes, pouvait-il être digne de s'asseoir dans un tribunal si peu fait pour lui? Est-il juste qu'un égyptien vienne juger un évêque qui habite la Thrace, surtout quand cet égyptien est lui-même sous le coup d'une accusation , et se déclare l'ennemi de celui qu'il cite à comparaître? Non rien ne l'arrête; il a hâte de voir ses desseins se réaliser. Nous protestions que nous étions prêt à nous justifier, à déclarer cette innocente, dont nous avions conscience, en présence de cent, de mille évêques : il ne voulut pas nous entendre. Nous étions absent, nous en appelions à un concile, nous réclamions un jugement; et ce que nous fuyions, ce n'était pas un tribunal, mais l'acharnement d'un ennemi; lui, cependant, il accueillait nos accusateurs, il donnait l'absolution à ceux que nous avions excommuniés, et il recevait des libelles de ceux-là même qui n'avaient pas encore répondu aux griefs soulevés contre eux; il faisait dresser des actes ; toutes choses que défendent les lois et les canons. Que vous dirai-je encore? Il ne cessa toutes ces menées qu'après nous avoir, de sa pleine autorité, expulsé violemment de la ville et de l'église, et cela, pendant la nuit, au milieu d'un peuple qui nous poursuivait en désordre. Je fus donc entraîné de vive force du milieu de la ville par le préfet, jeté dans un navire, et obligé de naviguer toute la nuit, parce que j'en avais appelé à un concile et réclamé un tribunal où présiderait l'équité. Ne faudrait-il pas avoir un coeur dur comme la pierre pour entendre ces choses sans verser des larmes?

Mais, comme je le disais, il ne suffit pas de déplorer le mal qui s'est fait; on doit y porter remède: et c'est pourquoi je conjure votre (391) charité de compatir à mes douleurs, et de faire tout ce qui sera en son pouvoir, pour mettre tsar terme à l'injustice. Mais là ne se bornent point leurs excès: ils sont allés plus loin encore. L'empereur cependant chassa de Constantinople ces hommes qui avaient envahi l'église avec tant d'impudence, et plusieurs des évêques présents, témoins de tant d'audace, retournèrent chez eux, fuyant devant cette invasion comme devant un incendie qui porte le ravage de tous côtés; pour nous, on mous rappela dans cette ville et dans cette église d'où l'on nous avait arraché, et rions y fûmes ramené par plus de trente évêques et par le notaire même de l'empereur, qui nous avait été envoyé. L'évêque d'Alexandrie prit aussitôt la fuite. Pourquoi, pour quel motif ? C'est qu'à peine rentré, nous avions demandé à l'empereur de convoquer un concile pour juger les actes qui venaient de se commettre comme il avait conscience de sa conduite inique, et qu'il redoutait une condamnation (car la lettre de l'empereur avait été envoyée partout), il s'embarqua en secret, au milieu de la nuit, et s'enfuit avec tous les siens.

3. Mais plein de confiance dans notre cause, nous ne nous sommes point désisté de notre poursuite, nous avons au contraire redoublé d'efforts auprès de l'empereur. Celui-ci agissant conformément à sa piété, enjoignit à Théophile de venir à Constantinople avec tous ses complices pour y rendre compte de ses actes. Il devait bien penser, lai disait-il, que ce qui s'était fait en notre absence, était une violation flagrante des canons, loin de suffire à le justifier lui-même. Au lieu d'obéir aux ordres du prince, il resta chez lui , alléguant certains mouvements populaires, je ne sais quel zèle intempestif de ses partisans; tout au contraire cependant, le peuple, même avant l'arrivée de la lettre, l'avait accablé de mille injures. Mais nous ne donnerons aucun détail; nous en avons dit assez pour montrer qu'on ne se trompait point sur ses menées criminelles. Nous ne nous sommes pas tenu en repos; nous avons persisté à prier l'empereur de former un tribunal où nous pourrions défendre notre cause. Car nous étions prêt à établir notre innocence et à prouver qu'ils avaient indignement transgressé les lois. Les Syriens qui l'avaient suivi à Constantinople et qui avaient agi de concert avec lui, étaient restés dans cette ville; nous allâmes les trouver, demandant à être jugés par eux, les pressant vivement de nous entendre, de nous remettre les actes d'accusation , de nous dire au moins la nature des griefs que l'on nous reprochait, de nous faire connaître les accusateurs; nous ne pûmes rien obtenir et on nous chassa de l'église une seconde fois. Comment vous dire le reste? Comment vous raconter ces actes plus que tragiques? qui pourrait les ouïr sans horreur? Pendant que je faisais tant d'instances, le jour même du grand samedi, une troupe de soldats entra, sur le soir, dans les églises, en chassa de vive force tout le clergé qui nous était favorable, et assiégea le sanctuaire. Les femmes mêmes qui à ce moment avaient ôté leurs vêtements pour recevoir le baptême, saisies de crainte à la vue de cette irruption, s'enfuirent toutes nues, et on ne leur laissa pas le temps de se vêtir, comme l'exigeait la décence; un grand nombre même furent blessées, les piscines étaient remplies de sang, et le sang rougissait ces bains sacrés. Mais ce ne fut pas tout. Les soldats envahirent le lieu où se gardaient les choses saintes, plusieurs d'entre eux, nous le savons, n'étaient pas même initiés à nos mystères, et ils virent tout ce qui devait être dérobé à leurs regards. Bien plus, le sang divin de Jésus-Christ, chose inévitable dans un pareil tumulte, fut répandu sur leurs vêtements : on les eût pris pour des barbares se livrant à tous les excès. Le peuple était chassé loin de la ville : Constantinople, était déserte, et dans une si grande fête, les églises étaient vides. Plus de quarante évêques de notre communion , avec le peuple et le clergé, avaient été chassés sans aucun motif. Ces monstrueux forfaits excitaient partout , sur les places, dans les maisons, hors de la ville, dans la ville, des gémissements et des lamentations. Tous fondaient en larmes, et ce n'était pas seulement ceux que l'on maltraitait, mais ceux même qui n'avaient rien à souffrir; ce n'étaient pas seulement les fidèles, mais les hérétiques, les juifs, les païens, qui déploraient avec nous ces atrocités. On eût dit une ville prise d'assaut, tant il y avait de tumulte et d'effroi, tant on entendait de gémissements. Voilà ce que l'on a osé, malgré notre pieux empereur, au milieu des ténèbres de la nuit. C'étaient des évêques qui avaient tout disposé; ils dirigeaient eux-mêmes des bandes armées, et leurs diacres étaient les maîtres de camp (392) qui les précédaient. Dès que le jour eut paru, tous les habitants sortirent des murs de la ville, et allèrent célébrer la fête de Pâques sous des arbres et au milieu des bois, comme des brebis dispersées.

4. Par là vous pouvez juger de tout le reste ; car raconter en détail ce qui s'est passé , je le répète, c'est chose impossible. Mais, ce qu'il y a de plus fâcheux, c'est que ces maux si nombreux et si grands n'ont pas encore disparu, et on ne sait quand ils finiront. Le péril s'accroît de jour en jour, et nous sommes devenus pour la plupart un objet de risée; ou plutôt personne ne rit, pas même les plus pervers; mais, comme je le disais, tous déplorent ces derniers excès, qu'il serait difficile de surpasser. Et qui pourrait dire aussi le trouble qui agite les autres églises ? Le mal en effet ne désole pas seulement Constantinople, il s'est propagé dans tout l'Orient. Quand les mauvaises humeurs découlent de la tète, les autres membres se corrompent aussi. Cette grande cité a été comme la source du mal, et le trouble s'est peu à peu répandu dans toutes lés autres contrées. Partout les clercs se soulèvent contre les évêques ; on voit des évêques et des peuples s'éloigner les uns des autres; leur exemple sera suivi; le mal est sur le point d'éclater partout, et l'univers entier sera dans l'agitation. Je vous en conjure donc , vénérable et pieux seigneur, maintenant que vous êtes instruit de notre situation , employez tout votre courage et tout votre zèle à mettre un terme à ces violences qui fondent sur les églises. Si cette coutume venait à prévaloir, et qu'il fût loisible au premier venu de s'ingérer dans les affaires d'une église, même éloignée de la sienne, de chasser de leurs sièges ceux qu'il voudrait, de tout décider de sa propre autorité et selon son caprice, oui, bientôt l'univers serait en proie à une guerre interminable; on ne verrait plus qu'évêques chassés, et chassant à leur tour. Pour empêcher une telle confusion d'envahir toute nation qui est sous le soleil, mandai moi, je vous prie, que tout ce qui se fait contrairement aux canons, pendant mon absence, et par une seule partie, sans que j'aie refusé de comparaître, est non avenu , comme cela doit être; obligez les transgresseurs à subir les peines déterminées par les lois ecclésiastiques. Pour nous , qui n'avons été ni surpris dans aucune faute, ni convaincus, ni déclarés coupables, accordez-nous d'être avec vous, comme par le passé , en communion de lettres et de charité. Mais si nos ennemis , qui ont fait preuve de tant d'iniquité, forgent encore de nouveaux griefs pour se justifier de nous avoir chassé de Constantinople, sans nous donner ni les actes, ni les libelles d'accusation, sans faire connaître les accusateurs, alors qu'ils réunissent des juges incorruptibles et nous plaiderons volontiers devant eux notre cause, nous leur prouverons que nous n'avons rien à nous reprocher de ce dont ils nous accusent, que pour eux, au contraire, ils ont agi sans aucune raison, et violé les lois et les canons ecclésiastiques. Que dis-je, les canons ecclésiastiques? mais jamais on n'a rien osé de semblable dans les tribunaux des païens , ni. même des barbares; non, ni les Scythes, ni les Sarmates n'ont jamais remis le jugement d'une cause à l'une des parties en l'absence de l'autre, quand celle-ci récuse, non pas des juges, mais des ennemis, quand au contraire, elle demande plusieurs milliers de juges, quand elle proclame son innocence, et offre de la prouver sur tous les points, en face de l'univers. Réfléchissez donc à toutes ces choses, et quand nos vénérables frères et seigneurs vous auront tout exposé avec détail , accordez-nous , nous vous en prions, l'assistance qu'ils vous demanderont. Ce n'est pas nous seulement que vous réjouirez, mais l'Eglise tout entière, et Dieu vous en récompensera, Dieu qui fait tout pour la paix des Eglises. Adieu, et riez pour moi, seigneur très-vénérable et très-pieux.

 

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A INNOCENT, ÉVÉQUE DE ROME, JEAN, ÉVÊQUE , SALUT DANS LE SEIGNEUR.

 

Ecrite, à ce que l'on croit, l'an 406.

 

Notre corps, il est vrai, n'occupe qu'une seule place, mais la charité nous perte sur ses ailes dans l'univers entier. Aussi, bien que séparé de vous par une telle distance , chaque jour cependant nous sommes avec vous : les yeux de la charité aperçoivent votre courage, votre attachement sincère, votre fermeté, votre constance, et ces consolations nombreuses, continuelles et puissantes que vous nous adressez. Plus lés flots s'amoncèlent , plus les écueils se multiplient, plus la tempête redouble de fureur, plus aussi s'accroît votre vigilance. Rien ne peut vous rebuter : ni la longueur du chemin , ni les temps , ni les difficultés de la route. Mais vous ne cessez d'imiter ces pilotes excellents, qui déploient tout leur zèle quand ils voient les flots se soulever, la mer se gonfler, et une nuit profonde couvrir l'océan au milieu du jour. Aussi vous rendons-nous de nombreuses actions de grâces, et désirons-nous vous envoyer lettre sur lettre : c'est notre plus grande consolation. Mais le désert où nous vivons, nous prive de ce bonheur; car il n'est pas facile d'arriver jusqu'à nous. C'est chose difficile, non-seulement pour ceux qui sont loin d'ici, mais encore pour ceux qui habitent les contrées voisines; car ceux-ci même sont loin de nous, et le lieu que nous habitons est à l'extrémité de la contrée. D'ailleurs les voleurs assiègent toutes les routes. Que notre silence vous fasse compatir à nos douleurs, loin de vous porter à nous accuser de négligence ! Non , ce n'est point négligence de notre part, si nous gardons le silence; après avoir attendu bien longtemps , nous avons enfin rencontré le prêtre Jean, que nous vénérons et que nous chérissons, et le diacre Paul, et depuis nous ne cessons de vous remercier de nous avoir témoigné une bienveillance, un dévouement tout paternel. Vous avez fait tous vos efforts pour ramener le calme, pour faire disparaître tant d'infamies et de scandales, pour rendre aux Eglises une paix, une sérénité sans nuage, pour rétablir le courant interrompu, pour venger l'honneur des lois méprisées et des saints canons foulés aux pieds. Efforts impuissants, hélas ! puisque les auteurs des premiers troubles y ont mis le comble par de nouveaux crimes. Je ne veux pas vous les exposer en détail. Je ne le pourrais dans une lettre; les bornes mêmes d'un récit historique ne sauraient les contenir. Je vous prie cependant, malgré le peu d'espoir qu'il y a de guérir les auteurs de ces troubles, atteints, ce semble, d'un mal incurable , et incapables de repentir, je vous conjure, puisque vous avez entrepris de les guérir, de ne pas vous rebuter, de ne pas vous décourager en considérant la grandeur d'une telle entreprise. C'est pour l'univers entier que vous combattez, c'est pour les églises renversées, pour les peuples dispersés, pour le clergé que l'on attaque, pour les évêques que l'on exile, pour les constitutions des Pères que l'on viole. Aussi nous vous prions et nous vous conjurons de redoubler de zèle, à mesure que s'accroît la violence de la tempête. Nous espérons que le temps amènera quelque changement. Quoi qu'il arrive, vous recevrez du Dieu miséricordieux la couronne due à vos efforts, et la ferveur de votre charité remplira de consolations ceux qu'accable l'injustice. Voilà trois ans déjà que nous vivons dans l'exil, que nous sommes éprouvé par la famine, par la peste, par la guerre, par des sièges continuels, que nous vivons dans une affreuse solitude, que nous mourons chaque jour, sans cesse exposé aux glaives des Isauriens ; et ce qui, nous console, c'est votre attachement si ferme, si constant, si plein de sincérité; ce qui nous réjouit, (394) c'est votre charité si tendre et si bienveillante. Oui, elle est pour nous comme un rempart qui nous met à l'abri des coups, comme un port qui nous protége contre les flots, comme un trésor de biens innombrables ; elle nous remplit d'une joie délicieuse. Fussions-nous jeté dans un désert bien plus affreux encore, nous partirions consolé déjà de tant de souffrances.

 

 

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A SON BIEN-AIMÉ FRÈRE JEAN, INNOCENT, ÉVÊQUE.

 

Celui dont l'âme est innocente, devrait vivre au sein du bonheur et n'implorer que la divine miséricorde : cependant, voici que nous vous exhortons à la patience dans cette lettre, que vous remettra le diacre Cyriaque. Si l'injustice accable par sa violence, que du moins une conscience pure fasse concevoir une douce espérance. Vous n'ignorez pas, en effet, vous, le maître et le pasteur de tant de peuples, que Dieu ne cesse d'éprouver les gens de bien ; qu'il veut connaître l'étendue de leur patience, savoir s'ils sont capables de résister à toute espèce de fatigues et d'ennuis. Vous savez que la conscience est ce qu'il y a de plus. fort contre l'injustice : ne pas supporter l'injustice avec courage, c'est donner de soi-même une idée peu avantageuse. Car on doit tout supporter, quand on se confie en Dieu d'abord, et ensuite en sa propre conscience. On peut exercer la patience de l'homme de bien; en triompher, jamais : car les divines Ecritures gardent son âme. Que d'exemples ne renferment-elles pas, ces divines lectures que nous faisons à nos peuples! Elles nous montrent presque tous les saints, tourmentés de mille manières, soutenant pour ainsi dire un examen et obtenant ainsi la couronne de la patience. Que cette bonne conscience que vous avez de vous-même, soit donc votre consolation, vénérable frère! telle, est en effet dans le malheur la consolation de l'homme vertueux. Ainsi visitée par le Christ, Notre-Seigneur, toute conscience droite et pure entrera dans un port sûr et tranquille.

 

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L'ÉVÊQUE INNOCENT

 

AUX PRÊTRES ET AUX DIACRES, A TOUT LE CLERGÉ ET AU PEUPLE DE L'ÉGLISE DE CONSTANTINOPLE, SES FRÈRES BIEN-AIMÉS, SOUMIS A L'ÉVÊQUE JEAN, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

 

La lettre que vous m'avez envoyée par le prêtre Germain et le diacre Cassien, m'a mis sous les yeux une scène qui m'a rempli de tristesse . J'ai lu et relu ces maux sans nombre qui accablent la religion. Il n'y a vraiment que la patience qui puisse consoler nos coeurs. Car Dieu saura donner un terme à tant de désordres, et nous nous réjouirons d'avoir souffert. Ce motif de consolation, je le trouve au début même de votre lettre, et je vous loue d'y avoir inséré tant de témoignages si propres à consoler. Vous nous avez ainsi prévenu nous-même. Que pourrions-nous dire autre chose en effet pour soutenir votre courage ! Notre-Seigneur arme de patience ceux de ses serviteurs qui vivent au milieu des souffrances : ils savent se consoler eux-mêmes en se rappelant que les saints aussi ont eu beaucoup à souffrir. Bien plus, nous pouvons à notre tour puiser dés consolations dans votre lettre : car nous partageons toutes vos douleurs; en vous persécutant, on nous persécute avec vous. Qui pourrait supporter tant de crimes de la part de ceux qui devraient aimer le calme, la paix et l'union? Par un déplorable renversement de tout ordre, voilà que l'on chasse de leurs sièges des prêtres innocents. La première victime de cette violence, c'est notre frère Jean, votre évêque, dont on n'a pas instruit la cause, contre lequel on ne peut alléguer, on ne tonnait même aucun motif d'accusation. Quelle perfidie! Pour écarter toute occasion de jugement, pour qu'on ne songe pas même à la chercher, on substitue des évêques à la place d'évêques encore vivants; comme si en débutant par un acte aussi criminel, on pouvait se taire regarder comme capable d'aucune action bonne et conforme à la justice. Nos pères ont-ils jamais rien fait de semblable? Il était au contraire défendu d'ordonner un évêque à la place d'un autre qui vivrait encore. S'imagine-t-on qu'une ordination illégitime puisse nuire en rien à la dignité d'un évêque? Est-il évêque celui qui usurpe le siège d'un autre? Quant à l'observation des canons, les seuls auxquels on doive obéir, sont ceux du concile de Nicée ; ce sont les seuls que doive reconnaître l'Eglise catholique. Si l'on en produit d'autres qui diffèrent de ceux-là, et qui soient manifestement l'œuvre des hérétiques, les évêques catholiques ne peuvent les recevoir. II ne faut pas joindre aux canons de l’Eglise catholique ceux qui ont été forgés par des hérétiques : que veulent-ils autre chose, sinon affaiblir l'autorité du saint concile par des canons illicites et absolument contraires aux siens? Non-seulement donc il ne faut pas s'y conformer, mais il faut les condamner, comme on condamne les dogmes pervers des hérétiques et des schismatiques. C'est ce que firent au concile de Sardique les évêques qui nous ont précédé. Mieux vaudrait, vénérés frères, condamner ce qui est bien, que de maintenir ce qui s'est fait contrairement aux canons. Mais que ferons-nous maintenant contre cette audace coupable? Nous soumettrons l'affaire à ce concile, que depuis longtemps nous regardons comme nécessaire. C'est le seul moyen d'apaiser ces troubles. Pour que ce concile puisse se réunir, n'attendons le remède à tant de maux que de la volonté du Dieu tout-puissant et de son Christ, Notre-Seigneur. Tous ces troubles que vient d'exciter la. haine du démon contre ceux que Dieu veut éprouver, s'apaiseront; si nous sommes fermes dans la foi, il n'est rien que nous ne devions espérer de la divine miséricorde. Nous nous occupons sans cesse de la célébration d'un concile, afin que, par la volonté de Dieu, ces mouvements puissent se calmer enfin. Sachons donc attendre un peu, munissons-nous de patience, espérons que le secours de Dieu rétablira l'ordre dans l'Eglise. Tous les maux que vous souffrez, nous en avions été informé déjà par les évêques qui se sont réfugiés à Rome à diverses époques, c'est-à-dire par Démétrius, Cyriaque, Eulysius et Palladius.

 

 

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LETTRE DE L'EMPEREUR HONORIUS A L'EMPEREUR D'ORIENT ARCADIUS.

 

Je vous ai averti au sujet de cette image promenée dans les provinces, chose inouïe jusque là; je vous ai parlé des bruits injurieux qui se répandaient dans tout l'univers. Je souhaitais de vous voir renoncer à cette résolution, vous repentir de l'avoir prise, et faire, tomber ainsi ces fâcheuses rumeurs, en sorte que les peuples n'eussent pas à censurer votre conduite. L'affection que je vous porte m'a déterminé pareillement à attirer votre attention sur l'Illyrie menacée de périr, et à vous dire combien j'étais affligé de penser que vous ne vouliez pas reconnaître ce danger pressant de la république, et de l'apprendre par une autre voie que vos lettres. Cependant nous ne pouvons cacher à votre sérénité ce que la renommée, toujours prompte à annoncer le mal, n'a pu nous taire au sujet des affaires de la religion et des malheurs que fait craindre votre conduite. C'est , le propre de la nature humaine; tout incident nouveau offre aux hommes une occasion de blâme, et leur goût pour la médisance fait éclater leur méchanceté contre leur époque.

Voici donc ce qu'on nous a rapporté : A Constantinople, au jour sacré de la fête de Pâques, de cette fête où la religion rassemble en un même lieu les populations des villes voisines pour célébrer cette grande solennité en présence des princes; tout à coup les églises catholiques furent (396) fermées, et les prêtres jetés en prison. Dans ce temps où l'on use plus particulièrement d'indulgence, où l'on brise les fers des criminels, on n'a pas craint de jeter en prison les ministres de la loi sacrée, les ministres de la paix. Les saints mystères ont été troublés, comme si la guerre eût sévi, on a commis des meurtres dans les sanctuaires eux-mêmes, et telle a été la violence exercée autour des autels, que de vénérables évêques ont été exilés, et les augustes sacrements, chose inouïe jusque-là, inondés de sang humain.

Ces nouvelles, je ne puis le dissimuler, nous ont vivement ému. Après un tel sacrilège, qui ne redouterait le courroux du ciel? Comment ne pas croire que l'univers romain, que le monde entier court les plus grands périls ? l'auteur de notre puissance, le suprême gouverneur de cette république qu'il nous a confiée, ne doit-il pas être irrité par tant d'actions funestes et exécrables? ô mon frère, ô vénérable descendant d'Auguste, s'il s'élève entre les prélats quelque différend au sujet de la religion; n'est-ce pas aux évêques qu'il appartient dé prononcer? Oui; c'est d'eux que relèvent les affaires religieuses; pour nous, notre devoir est d'obéir à la religion. Mais passe encore que l'empereur se soit arrogé trop de puissance en ce qui concerne les questions religieuses et catholiques; fallait-il donc exiler les prêtres, et répandre le sang humain? N'est-ce pas là pousser l'indignation jusqu'à l'excès? Quoi! dans ce lieu où prient les coeurs purs, où se forment des voeux pieux, où s'offrent d'augustes sacrifices, on a vu briller le glaive, que l'on doit à peine tirer du fourreau pour sévir contre les coupables! Les faits eux-mêmes nous ont montré de quel oeil la majesté divine a vu ces choses. Ils ont justifié les reproches que je vous adresse en ce moment; et puissions-nous ne rien voir de plus fâcheux! L'âme saisie de crainte, à la pensée de tant de crimes, redoute une vengeance plus terrible encore, après avoir déjà ressenti les coups d'une justice irritée. Veuille le ciel ne pas réaliser ces tristes prévisions!

J'apprends que cette église vénérable, enrichie parles empereurs, si magnifiquement ornée par leur piété, rendue si auguste par leurs prières, est devenue la proie des flammes. Cette brillante lumière de l'église de Constantinople est convertie maintenant en un monceau de cendres , d'où s'échappent des nuages de fumée. Dieu n'a pas empêché ce malheur. Il semble avoir en exécration la profanation des saints mystères, il semble avoir détourné ses yeux de ce sanctuaire où a coulé le sang humain; il ne veut pas qu'on vienne implorer la divine miséricorde au pied d'autels ensanglantés. Les édifices divins, remarquables aussi par leur splendeur, ont été dévores par les flammes dont on excitait la fureur, et qui se répandaient au loin. Ces ornements, qui charmaient les yeux du peuple, ces ornements, dons de nos ancêtres, ont été brûlés, comme si l'on eût l'ait les funérailles de l'univers. Sans cesse accablé d'injures, peut-être aurais-je dû garder le silence, et ne pas, avertir si fidèlement un frère qui partage avec moi le trône. Toutefois, les liens du sang l'emportent sur l'aiguillon de la douleur; je vous conseille, je vous presse de porter remède à tant de maux, de faire cesser une conduite déplorable. Apaisez, par des voeux empressés la colère de Dieu, irrité contre nous, ainsi que le montrent les événements.

Recevez un témoignage de ma droiture et de ma franchise. J'ai cru devoir donner ces conseils à votre clémence, pour n'être suspect à qui que ce soit. peut-être, si j'eusse gardé le silence, aurait-on cru que je me félicitais en secret de ce qui avait eu lieu. On aurait pu penser que je donnais mon consentement à de telles actions, et qu'après avoir souvent conseillé de ne pas les commettre, je n'étais. pas fâché. de les voir accomplies. Comment ne pas éprouver de douleur si l'on se rappelle son titre de chrétien, quand on voit. tout à coup la religion troublée et la foi catholique rendue chancelante? C'était un différend survenu entre les évêques; un concile devait se réunir et décider. Les deux partis avaient envoyé des députés aux prêtres de la Ville Eternelle et de l'Italie; on attendait d'eux une sentence qui devait servir de règle. Jusqu'à ce qu'elle eût été prononcée, il ne fallait rien exécuter, ni rien innover. Cependant on précipite toute chose avec une étrange ardeur, et, sans attendre la lettre que l'on avait sollicitée de part et d'autre, sans rien examiner, on exile les prélats, on sévit contre eux, avant d'avoir reçu la décision demandée. Rien de plus prématuré que cette condamnation, comme l'événement l'a montré. Car ceux à l'autorité desquels on en avait appelé, sont demeurés en communion avec l'évêque Jean, ont décidé qu'il fallait entretenir la concorde, et qu'on ne devait excommunier personne avant de l'avoir jugé.

Comment empêcher maintenant que les schismes ne divisent l'Église et ne déchirent la foi catholique; que d'un tel dissentiment ne naissent des hérésies, toujours si ennemies de l'union ? Peut-on reprocher au peuplé de se diviser pour suivre divers partis? Voici que la puissance suprême donne le signal des discordes et se plait à  (397) entretenir un foyer de sédition. Si l'on veut prévenir des maux terribles, il faut se hâter de prier le Dieu miséricordieux de rétablir ces affaires que l'on a conduites avec si peu de prudence. Pour ce qui est de nos actes, nous avons tout lieu de craindre; mais on peut toujours fléchir la divine miséricorde; et alors ce n'est pas la faute qui demeure impunie; c'est la miséricorde qui s'exerce à l'égard du pécheur.

 

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AUX ÈVÊQUES, AUX PRÊTRES ET AUX DIACRES JETÉS EN PRISON A CAUSE DE LEUR PIÉTÉ.

 

Bienheureux, vous tous qui avez été jetés en prison, chargés de chaînes et de liens. Oui, vous êtes bienheureux, trois fois bienheureux. Vous vous êtes attiré l'admiration et l'amour de l'univers. Partout , sur la terre, sur la mer, on chante vos glorieux exploits, votre courage, votre invincible constance, votre âme vraiment libre et généreuse. Rien n'a pu vous effrayer, ni les tribunaux, ni les bourreaux, ni les plus cruelles tortures, ni la mort dont on vous a menacés. En vain les lèvres du juge lançaient la flamme contre vous, en vain vos ennemis grinçaient les dents, vous dressaient mille embûches, vous calomniaient, vous chargeaient d'impudentes accusations, en vain vous mettaient-ils chaque jour la mort devant les yeux. Vous avez trouvé dans ces supplices mêmes d'abondantes consolations. C'est pourquoi tous vous décernent des couronnes, et publient votre vertu, non-seulement vos amis, mais encore vos ennemis, et ceux qui vous ont persécutés. Vos ennemis ne le font pas ouvertement sans doute; mais si l'on pouvait lire dans leur conscience, on les trouverait remplis d'admiration pour votre conduite. Telle est en effet la vertu, elle excite l'admiration de ceux-mêmes qui lui font la guerre: la méchanceté est au contraire condamnée même par les méchants. Voilà votre récompense dans cette vie; mais qui pourrait dire les biens qui vous sont réservés dans les cieux? Vos noms sont inscrits au livre de vie, avec ceux des martyrs. J'en suis certain. Je ne suis pas monté au ciel, il est vrai, mais les divins oracles me l'ont enseigné. Jean, le fils de la femme stérile, l'habitant du désert, témoin de l'adultère d'Hérode, blâma ce prince, sans pouvoir le convertir; on le jeta en prison, on lui trancha la tête; il eut ainsi l'honneur d'être martyr et le premier des martyrs. Quelle récompense n'obtiendrez-vous donc pas, vous qui avez défendu les lois et les constitutions des Pères, quand on les foulait aux pieds, soutenu le sacerdoce audacieusement outragé et profané; vous qui avez souffert tant de supplices pour la vérité, pour confondre la calomnie ? Il ne vous est point permis d'avoir la femme de votre frère (Matth. XIX, 4), disait le courageux, le sublime précurseur de Jésus, et c'en fut assez pour prouver son intrépidité. Vous aussi, vous avez dit voici que nos corps vont être livrés aux supplices et aux tourments; eh ! bien, faites-les mourir, accablez-les des supplices les plus cruels, vous ne pourrez nous contraindre à proférer des calomnies; nous aimons mieux mourir mille fois.

On ne vous a point tranché la tête; mais le traitement qu'on vous a fait subir n'est-il pas encore plus affreux? Il y a certes moins de mérite à perdre la vie par un supplice d'un instant, que de lutter si longtemps contre de telles douleurs, et de telles menaces, que d'être jeté en prison, traîné devant les tribunaux, livré aux mains des bourreaux, aux langues impudentes des calomniateurs, à leurs injures, à leurs sarcasmes, à leurs railleries. Il n'est point de lutte plus glorieuse que celle-là; c'est saint Paul qui nous l'apprend en ces termes Rappelez-vous les jours anciens, oie éclairés par la lumière de la foi, vous avez soutenu le glorieux combat des afflictions. (Hébr. X, 32.) Il énumère ensuite les phases diverses de cette lutte: On a donné en spectacle vos opprobres et vos afflictions; et vous avez compati aux douleurs des affligés. (Ibid. XXXIII.) Compatir aux douleurs d'autrui, c'est engager un combat; n'est-ce donc pas combattre aussi que de souffrir soi-même? Vous êtes morts, non pas une fois ou deux seulement, mais mille fois; non point dans la réalité, mais par la volonté. Réjouissez-vous donc, et tressaillez d'allégresse. Le Seigneur vous ordonne, non-seulement de ne pas vous attrister, de ne pas vous laisser abattre, mais encore de vous réjouir et de tressaillir d'allégresse, quand on en viendra à proscrire votre nom, comme détestable. S'il faut se réjouir à (398) propos des calomnies, songez quelles récompenses, quelles couronnes méritent ceux qui sont non-seulement calomniés, mais encore battus de verges, mis à la torture, percés de glaives acérés, chargés de chaînes, envoyés en exil, menés de pays en pays, assaillis par des légions d'ennemis. Réjouissez-vous donc et tressaillez d'allégresse. (Matth. V, 12.) Montrez-vous pleins de courage et de force, songez que par votre exemple vous avez ranimé le courage des chrétiens, raffermi ceux qui chancelaient, les absents comme les présents; songez que les chrétiens les plus éloignés ont retiré de vos souffrances les plus grands avantages sans en avoir été les témoins, mais pour les avoir entendu raconter. Ayez toujours à la bouche ces paroles de l'Apôtre. Les souffrances de cette vie ne sont point proportionnées â la gloire dont nous serons environnés dans les cieux. (Rom. VIII, 18.) Encore un peu de temps: le terme de vos épreuves, le moment de la délivrance approche. Ne vous lassez point de prier pour nous. Une longue distance nous sépare, et il y a longtemps que nous vivons loin de vous; mais nous vous aimons comme si nous étions près de vous, nous couvrons de nos baisers vos tètes chéries et ornées de couronnes, nous vous serrons affectueusement dans nos bras; nous savons bien que vous nous offrez en retour cette charité qui ne s'est jamais démentie. Si l'on peut s'attendre à une récompense uniquement parce que l'on vous aime, songez quelles récompenses sont réservées à ceux, qui comme vous, se sont couverts de gloire dans de si nombreux combats.

 

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