IV - LETTRE à Mgr de TOULOUSE

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INSTITUTIONS LITURGIQUES

 

PAR

 

LE R. P. DOM PROSPER GUÉRANGER

 

ABBÉ DE SOLESMES

 

Sanas  Pontifici  Juris  et  sacrae Liturgiœ
traditiones labescentes confovere

 

DEUXIÈME ÉDITION

 

TOME QUATRIÈME

 

POLÉMIQUE  LITURGIQUE

 

 

PARIS SOCIÉTÉ GÉNÉRALE DE LIBRAIRIE CATHOLIQUE

Victor PALMÉ, éditeur des Bollandistes, directeur général
76, rue des Saints-Pères, 76

 

BRUXELLES

SUCCURSALE

12,  rue des Paroissiens,   12

 

GENÈVE

SUCCURSALE

4, rue Corraterie, 4

 

1885

POLÉMIQUE  LITURGIQUE

NOTE DE L'ÉDITEUR

PREMIÈRE  DÉFENSE DES INSTITUTIONS    LITURGIQUES  LETTRE  A MONSEIGNEUR   L'ARCHEVÊQUE   DE   TOULOUSE

PRÉFACE

LETTRE  A MONSEIGNEUR  L'ARCHEVÊQUE DE TOULOUSE

§ I

§ II

§ III

APPENDICE

TEXTE DE MONSEIGNEUR L'ARCHEVÊQUE DE  TOULOUSE

§ IV

§ Ier . Reproches faits au Bréviaire de François de Harlay.

§ II. Bréviaire du cardinal de Noailles.

§ III. Bréviaire et Missel de Ch. de Vintimille.

§ V. BEAUTÉ DU BRÉVIAIRE DE PARIS.

PIÈCE JUSTIFICATIVE

 

 

NOTE DE L'ÉDITEUR

 

Nous donnons dans ce IV° volume des Institutions liturgiques les deux Défenses que Dom Guéranger dut faire paraître de 1843 à 1847;  la première est composée d'une Lettre à Mgr d'Astros, archevêque de Toulouse, écrite pour répondre à un livre publié sous le nom du vénérable Prélat; la seconde se compose de trois Lettres destinées à réfuter l’Examen des Institutions liturgiques par Mgr Fayet, évêque d'Orléans. La préface de cette nouvelle édition, en tête du premier volume, trace le cadre dans lequel se placèrent ces œuvres de polémique, dont quelques pages de la préface du troisième volume forment le complément. Nous avons réuni ces quatre opuscules sous le titre général de Polémique liturgique, titre imposé par leur forme même. Toutefois nous tenons à faire observer au lecteur des Institutions que ce dernier volume n'offre pas seulement un intérêt historique, comme retraçant les épisodes de la lutte qui amena la chute des liturgies nouvelles et la résurrection de la Liturgie romaine en France. Les deux Défenses constituent surtout un ensemble de principes fondamentaux qu'il faut nécessairement posséder, si l'on veut comprendre la Liturgie, son essence, son importance, sa valeur au double point de vue de la foi et de la discipline. Dom Guéranger n'avait pas cru que la révolution anti-liturgique

 

II

 

du XVIII° siècle eut été jusqu'à effacer des esprits tous les principes théologiques sur ces matières; il n'avait pas soupçonné, en écrivant ses deux premiers volumes, qu'on pût l'attaquer sur des affirmations absolument conformes à l'enseignement de l'Eglise, et qui, à cause de cela, ne lui semblaient pas « avoir si grand besoin de preuves (1). » Les écrits dirigés contre lui vinrent bientôt révéler, par les erreurs qu'ils posaient en principes, combien le mal était profond, et par là même combien les Institutions liturgiques étaient un ouvrage opportun et nécessaire. Dom Guéranger posa donc à nouveau et développa dans cette polémique les principes qu'il avait seulement affirmés, en les entourant cette fois de preuves dont l'évidence gagna la cause de la Liturgie contre les plus dangereuses erreurs.

C'est pourquoi, en rééditant ces deux Défenses, nous appelons sur elles toute l'attention du lecteur soucieux de trouver dans les Institutions liturgiques un enseignement sérieux et complet. La table analytique placée à la fin du volume l'aidera puissamment à dégager de tout l'ouvrage la quantité considérable de principes solides qui s'y trouvent réunis.

 

(1) Première Lettre à Mgr l'évêque d'Orléans, § IV.

 

 

PREMIÈRE  DÉFENSE DES INSTITUTIONS    LITURGIQUES
LETTRE
A MONSEIGNEUR   L'ARCHEVÊQUE   DE   TOULOUSE

 

MDCCCXLIV

 

 

PRÉFACE

 

Plusieurs personnes, dont les désirs sont pour moi des ordres, m'ont témoigné leur étonnement de ne pas voir paraître encore la Défense de mes Institutions liturgiques, si solennellement promise l’année dernière. Je remplis aujourd'hui mon engagement, en produisant cette Défense imprimée déjà depuis plus de huit mois.

J'avais cru pouvoir suspendre quelque temps toute réplique, dans la pensée que le public catholique, occupé tout entier des incidents de la grande controverse qui s'est élevée sur la liberté de l'enseignement, trouverait difficilement assez de loisir pour feuilleter les pages assez nombreuses de mon plaidoyer. Mais, tout bien considéré, ce serait se flatter vainement que de s'imaginer qu'une telle controverse, dans laquelle est mise en question la liberté même de l'Eglise, doive s'assoupir de sitôt. Je suis même de ceux qui pensent qu'elle ne s'éteindra qu'au jour de la victoire, et Dieu seul connaît de combien d'années ce jour est encore éloigné de nous.

Il m'était donc impossible  de demeurer  indéfiniment sous le poids des accusations si graves qui ont été portées , contre ma personne, plus encore que contre mon livre, dans la brochure de Monseigneur l'archevêque de Toulouse (1).

Si l'on ne m'eût reproché que d'avoir enseigné  sur la matière   du droit   liturgique  des opinions nouvelles,

 

(1)  Mgr d'Astros.    V. la préface de  la  nouvelle édition, tom.  I, page XLVII.

 

IV

 

j'aurais eu à répondre simplement que cette matière non seulement n'est pas même touchée dans les deux premiers volumes de mes Institutions liturgiques, mais qu'elle y est même, en plus d'un endroit, formellement exceptée. J'aurais pu ajouter que, ayant depuis consacré une dissertation spéciale à cette importante matière, sous le titre de Lettre à Monseigneur l'archevêque de Reims, personne, jusqu'ici, n'a contesté mes conclusions qui s'appuient d'ailleurs sur l'enseignement des meilleurs canonistes, en même temps qu'elles semblent empreintes de la plus évidente modération. Enfin, la question d'application au temps présent ayant été surabondamment résolue par le bref de Sa Sainteté à Monseigneur l'archevêque de Reims, il m'eût suffi de protester de ma parfaite soumission à ce document apostolique que j'ai publié moi-même, tout le premier, dans mon opuscule sur le droit liturgique.

Si l'on ne m'eût reproché que des erreurs historiques, le défaut de discernement dans l'emploi des autorités, l'ignorance des faits et de la doctrine, j'aurais pu garderie silence, et prendre mon parti sur ces accusations, soit parce que le livre étant sous les yeux du public, chacun est maître de juger par les citations continuelles que j'apporte à l'appui de mes assertions, si ces assertions sont réellement fondées ou non ; soit enfin parce que ma profession monastique qui m'impose l'obligation d'être probe, ne me confère en aucune façon le privilège de ne jamais prendre des apparences pour des faits, pas plus que celui de n'être jamais attaqué mal à propos.

Dans l'un et l'autre cas, j'aurais donc pu me taire, et laisser au public la décision ultérieure dans cette controverse, sans me mettre en devoir de présenter une Défense.

Malheureusement, l'illustre adversaire n'a point borné son attaque à des reproches sur mon indiscrétion en matière de droit liturgique, et sur  mon  ignorance  en fait

 

V

 

d'histoire ecclésiastique. C'est ma réputation de catholique, c'est ma probité qu'il a mise en question : que dis-je ? qu'il a anéantie autant qu'il lui était possible. Je suis accusé dans la brochure d'avoir voulu flétrir l'Église de France, et, d'avoir, à cet effet, entassé les calomnies, les falsifications les plus odieuses et les plus grossières; et de plus, on a cru devoir pronostiquer sur moi la fin malheureuse de l'abbé de La Mennais.

Si pourtant j'ai quelque justification à produire, puis-je, en gardant le silence, prolonger indéfiniment le scandale donné à l'Église par la publication de mon livre ? N'est-ce pas une obligation de chercher à dissiper des accusations qui, mettant en suspicion mon orthodoxie et ma probité, compromettent, d'un seul coup, ma réputation d'honnête homme, mon caractère sacerdotal, et aussi l'honneur de mon ordre et de ma congrégation ? Personne, je l'imagine, ne contestera mon droit et mon devoir, en de telles circonstances ; et tout homme désintéressé comprendra aisément que plus est élevé le caractère, plus haute est la dignité de mon accusateur, plus aussi devient grave pour moi l'obligation de me laver des impressions fâcheuses qu'ont dû faire naître contre ma moralité les insinuations expresses dont il a cru devoir me poursuivre.

Sans doute, si je pouvais espérer que toutes les personnes dont se compose le public intéressé dans cette polémique prissent la peine de lire l'ouvrage, dans le but de vérifier la portée des accusations dont il a été l'objet, une Défense publiée en dehors du livre pourrait sembler moins nécessaire. Cette lecture ferait voir, je m'en flatte, aux plus prévenus, que mon ouvrage, qui sera considérable, d'après le plan exposé dans la préface du premier volume, n'a nullement été composé dans le but de susciter des troubles ; que les assertions qu'il renferme sont le résumé de travaux sérieux, et de plus, n'appartiennent

 

VI

 

pas plus à moi qu'aux auteurs approuvés dont je me suis servi et dont j'allègue sans cesse l'autorité ; que mes attaques ne tombent jamais que sur des personnes notoirement hétérodoxes ; que je rends justice à tout ce qui s'est fait de bon dans l'Église de France comme ailleurs, et plus qu'ailleurs ; que je n'ai écrit, ni insinué nulle part que le Bréviaire romain, proprement dit, soit le seul qu'on puisse licitement réciter dans toute l'Église ; que j'ai, au contraire, exalté en cent endroits le mérite et la beauté des liturgies particulières anciennes et autorisées ; que, tout en rapportant l'origine fâcheuse du Bréviaire de Paris, je n'ai jamais dit qu'il contînt des hérésies; enfin, que j'ai protesté formellement contre tout changement violent de l'ordre de choses actuellement établi en beaucoup de diocèses de France, sous le rapport de la liturgie.

Mais je n'ai aucun droit, je le sens, d'exiger du public qu'il veuille bien s'imposer la rude tâche de lire deux gros volumes, dans le but unique de savoir à quoi s'en tenir sur une polémique fort inégale entre un illustre et savant prélat, et un auteur d'ailleurs assez obscur. La décision doit naturellement être basée sur d'autres données, et je ne me flatte pas assez pour me dissimuler que les préjugés défavorables sont de mon côté. Or, c'est le motif qui m'a déterminé à publier cette Défense que d'ailleurs j'ai pris soin d'adapter scrupuleusement à la forme du réquisitoire lancé contre moi, afin de la rendre en quelque sorte moins étrangère à tous ceux qui ont pris connaissance de celui-ci.

Cette publication, qui semblera peut-être, au premier abord, tant soit peu isolée au milieu de la vaste et brillante polémique qui dure depuis un an sur les questions de l'affranchissement de l'Église, s'y rattache néanmoins plus qu'on ne pense par le fond même du sujet. Il va sans dire que les intentions sont pures et droites de part et d'autre;

 

VII

 

mais de quoi s'agit-il, après tout? Du degré d'unité qui doit paraître dans la forme religieuse. L'unité liturgique n'a jamais existé entre Rome et l'Orient ; l'Orient, depuis de longs siècles, est impuissant à produire et à conserver même l'ombre d'une société chrétienne. Depuis un siècle et demi, la France a rompu l'antique lien liturgique; quelle décadence de la foi et des mœurs ne nous a-t-il pas fallu subir depuis la même époque ?

On dira tout ce qu'on voudra, mais il n'est pas absolument ridicule de voir avec Charlemagne, saint Grégoire VII et le concile de Trente, un des principes fondamentaux de l'unité sociale de l'Occident dans l'unité de la Liturgie romaine. A quoi bon conserver la langue latine dans les offices divins, comme garantie de l'immobilité du dogme, si les formules sacrées conçues en cette langue ne sont pas mises à l'abri des vicissitudes de temps et de lieux ?

Certes, les moments sont graves ; l'heure a laquelle nous vivons est solennelle : déjà, nous sommes remués, et nous le serons plus profondément encore. L'unité seule, acceptée dans toutes ses applications, fera notre force, et assurera notre triomphe. La question catholique ne sera pas toujours agitée dans l'enceinte des États particuliers ; elle deviendra tôt ou tard la question européenne. Le jour approche où le cri doit se faire entendre : Dieu le veut! C'est alors que l'unité de formes assurant l'unité de vues et d'efforts, l'Église se débarrassera des entraves nationales qui la meurtrissent si cruellement, et respirera librement sur le plus glorieux des champs de bataille.

En attendant, ce grand travail va se préparant ; car l'œuvre de Dieu, toujours humble dans ses commencements, doit avoir son cours ordinaire. Le bel exemple donné par Monseigneur l'évêque de Langres, et qui lui a mérité les éloges du Souverain Pontife, n'est déjà plus sans imitateurs. En outre, plusieurs de nos prélats

 

VIII

 

n'attendent plus que l'instant favorable pour rendre à leurs églises la Liturgie romaine. D'autres ont pris des mesures énergiques pour arrêter un mouvement déplorable qui menaçait de l'enlever à leurs diocèses. D'autres ont cru devoir pressentir les désirs de leur clergé sur cette question, par voies de circulaires, ou en synode. Enfin, en divers lieux, la réimpression des livres liturgiques s'est opérée sous l'influence de principes totalement opposés à ceux qui présidèrent à leur rédaction, au siècle dernier. On peut citer en ce genre le nouveau Bréviaire de Lyon, dont les correcteurs récents ont fait disparaître nombre de passages qui sont précisément ceux-là mêmes que j'avais notés dans mes Institutions liturgiques. Qu'il me soit permis aussi de féliciter en passant Son Éminence le cardinal-archevêque de ce que, par ses soins, la fête de saint Grégoire VII se célèbre désormais dans l'Église primatiale.

Ce mouvement ne s'arrêtera pas ; il est du moins permis de le penser ; mais je ne veux pas aller plus loin sans faire observer qu'il est en tout conforme à l'ordre et aux règles ecclésiastiques. Je sais qu'on n'a pas craint de dire, dans un journal, que les doctrines de mon livre tendaient à soulever le clergé du second ordre contre l'épiscopat ; comme si des principes fondamentaux du droit ecclésiastique, réclamés et appliqués, pouvaient jamais être une occasion de désordre ; comme si je n'avais pas constamment enseigné que la rénovation liturgique ne peut être durable et utile qu'autant qu'elle s'opérera par l'action directe des premiers pasteurs !

Je le répéterai donc encore une fois : si les droits de la hiérarchie pouvaient être aujourd'hui méconnus, si l'Église de France semble en ce moment environnée de périls qu'il n'est plus guère possible de se dissimuler, du moins les défenseurs de la prérogative romaine ne se trouvent pas dans les rangs ennemis. Quiconque, en effet,

 

IX

 

est zélé pour les droits de la chaire de saint Pierre, doit l'être par là même pour l'autorité sacrée de l'épiscopat qui en émane. C'est la doctrine du Siège Apostolique, que celui qui exalte le pouvoir du Pontife romain, exalte par là même l'épiscopat ; comme aussi celui qui attaque les attributions sacrées de l'épiscopat insulte par là même la chaire de saint Pierre. Je l'ai remarqué ailleurs : jusqu'ici on ne compte pas de presbytériens parmi les adversaires de la déclaration de 1682 ; mais en revanche, on serait fort en peine de citer un auteur presbytérien qui n'ait fait profession d'être à cheval sur les quatre articles. Des jours viendront peut-être où tout enfant de l'Église en état de manier une plume devra consacrer ses efforts à la défense des droits sacrés de nos premiers pasteurs ; nous n'attendrons pas la dernière extrémité pour nous lever aussi et soutenir la cause de ceux que le Sauveur lui-même appelle les Anges des églises. J'ai cru devoir formuler ici cette protestation ; on doit éviter de scandaliser les faibles, et d'ailleurs à la veille des troubles qui se préparent peut-être, c'est un devoir et une consolation de rendre par avance témoignage de sa foi et de ses sentiments.

En finissant cette préface, je me permettrai quelques! réflexions sur un incident assez étrange de la controverse liturgique. On a entendu des légistes, fameux d'ailleurs par leur zèle contre la liberté de l'Église, M. Dupin et M. Isambert, attaquer dans des discours à la tribune et dans des écrits, la doctrine des Institutions liturgiques comme attentatoire aux libertés gallicanes et aux franchises du pays.

Il y aurait pourtant matière à une dissertation curieuse sur la question de l'unité liturgique dans ses rapports avec la légalité, et je regrette vivement que le temps ne me permette pas de l'entreprendre : toutefois, qu'il me soit permis de demander ici aux deux célèbres magistrats quel

 

X

 

genre de légalité leur semble de nature à être invoquée contre le Bréviaire romain.

S'il s'agit de l'ancien droit des parlements, on trouve que les auteurs les plus accrédités au palais n'ont cessé de combler le Bréviaire romain des témoignages de leur vénération. Ainsi l'avocat général Marion, en 1575, dans la cause de Kerver, imprimeur privilégié de ce bréviaire pour la France; l'avocat général Servin, dans l'affaire du chapitre de Chinon, où il représente, dans son plaidoyer, le Bréviaire romain comme le plus repurgé et le plus autorisé de tous; Chopin, dans son Monasticon; Févret, dans son Traité de l'Abus, enseignent tous constamment que l'introduction de ce bréviaire dans les cathédrales du royaume est louable, désirable même, et ne discutent que sur les formalités à observer pour l'y introduire. Je rapporterai même ici les paroles par lesquelles l'illustre Antoine d'Hauteserre, professeur de droit en la faculté de Toulouse, dans ses Vindiciœ ecclesiasticœ jurisdictionis, répond à ceux qui regarderaient comme une nouveauté l'introduction du Bréviaire romain dans les églises de France : « Nihil novi affert qui dumtaxat sequitur ritus romanas Ecclesiae quae est parens et magistra omnium ecclesiarum; nihil novum comminiscitur, sed antiqua et meliora restituit, Ecclesiœ rugas et maculas tollit, qui « se et suam ecclesiam romanœ conciliat, sublata difformitate rituum. » (Lib. II cap. XXII, page 74, édition de Naples.) Nos anciens magistrats étaient donc bien loin de regarder l'usage du Bréviaire romain comme une servitude pour les églises ; aussi ne trouvons-nous pas un seul mot contre ce bréviaire dans le recueil de nos prétendues Libertés, pas plus qu'on ne saurait découvrir dans les motifs de ne pas recevoir en France la discipline du concile de Trente, motifs discutés fort au long par les jurisconsultes du palais, la plus légère répugnance  contre le canon  de  ce concile qui  renvoya au

 

XI

 

Pontife romain la publication du Bréviaire et du Missel universels.

Si maintenant il s'agit du droit actuel de la France, il est bien clair que la charte de 1800, qui ne prescrit aux Français la profession d'aucune religion en particulier, ne saurait ni favoriser telle forme de bréviaire comme plus légale, ni proscrire telle autre comme moins constitutionnelle. Ici donc, si on veut aller plus loin, il faut se résigner à tomber d'aplomb dans le ridicule.

S'appuiera-t-on sur les Articles organiques ? Mais, outre qu'ils sont absurdes au point de vue constitutionnel, et un grand nombre d'entre eux gravement et notoirement contraires à la conscience des catholiques, le seul de ces articles qui fasse allusion à la liturgie ne saurait, recevoir d'application qu'au moyen de l'introduction de la Liturgie romaine en France.

Il est ainsi conçu : Article 39. Il n'y aura qu'une liturgie pour toutes les églises de l'Empire Français. — Mais quelle sera cette liturgie ? Les églises la choisiront-elles ? Dans ce cas, la question est loin d'être vidée. Chaque église tiendra pour ses usages, et d'ailleurs les anciens canons antérieurs aux bulles papales pour l'unité romaine, recommandent simplement aux évêques de suivre les rites de la métropole; mais ils n'ont rien qui favorise des circonscriptions nationales qui n'existent pas dans l'Église.

Le gouvernement imposera-t-il cette liturgie, élaborée dans les bureaux du ministère des cuites? Je ne le lui conseille pas, nos évêques étant peu disposés à reconnaître un pape civil.

Reste donc le pape de Rome, et lui seul. Or, on n'ira pas croire, j'imagine, que mille ans après Charlemagne, trois siècles après le concile de Trente, et les huit conciles français qui ont accepté la bulle de saint Pie V, le Saint-Siège

 

XII

 

consente à reconnaître pour la France une autre liturgie que la Liturgie romaine. Le bref de Sa Sainteté à Monseigneur l'archevêque de Reims n'a rien appris là-dessus à la généralité des catholiques; tout au plus aura-t-il servi à distraire de leur illusion quelques honnêtes gens qui s'étaient plu à rêver pour la France une liturgie nationale qui ne serait pas la romaine.

Mais il est temps de clore enfin cette préface; je le fais en soumettant au jugement et à la correction du Siège Apostolique tout ce que renferme la Défense qu'on va lire. Puisse-t-elle aider au développement de cette unité extérieure qu'il sera toujours permis aux catholiques français de réclamer, et qu'il est facile au Dieu tout-puissant de leur octroyer de nouveau, pour la glorification de son nom, la plus grande sécurité de la foi, le ravivement de la piété, le maintien de la subordination hiérarchique, la réunion de tous les peuples dans une seule famille, par le moyen d'un seul langage, comme aux premiers jours du monde. Erat terra labii iinius et sermonum eorumdem! (Gen., XI, I).

 

8 décembre 1844.

 

 

LETTRE
A MONSEIGNEUR
L'ARCHEVÊQUE DE TOULOUSE

 

MONSEIGNEUR,

 

Dès les premières années de ma jeunesse, je sentis en moi un attrait puissant pour l'étude de l'histoire ecclésiastique, et je me reconnais grandement redevable à Dieu qui, dans sa providence paternelle, fit naître en mon âme cette disposition, dont l'un des principaux résultats devait être de fixer les facultés de mon intelligence sur un objet grave à la fois et surnaturel.

De bonne heure j'appris donc à m'identifier avec les destinées delà sainte Église catholique, colonne et soutien de la vérité. De bonne heure, j'appris à compatir à ses souffrances, à suivre ses combats, à jouir de ses triomphes, à soupirer pour sa liberté. Je compris que tout cœur catholique devait aimer cette Mère commune des enfants de Dieu, cette Épouse sans taches ni rides, qui a ravi le cœur  de notre divin et aimable Sauveur Jésus-Christ.

 

2

 

C'est pourquoi, je lui dévouai pour jamais, à cause de son Époux, tout ce que mon cœur aurait d'amour sur cette terre, tout ce que mes faibles efforts pourraient produire, dans la sphère étroite qui m'était réservée.

Mais dans la recherche des monuments à l'aide desquels l'œil catholique aime à suivre la marche de l'Église à travers les âges, je ne me bornai pas à ces premiers siècles, resplendissants de la pourpre des martyrs en même temps qu'illuminés par la doctrine des Pères. Je voulus accompagner l'Épouse du Christ jusqu'aux dernières épreuves de son pèlerinage, et l'histoire contemporaine du sacerdoce me sembla mériter mon attention et mon étude, non moins que celle de l'Église au moyen âge et dans les siècles primitifs.

J'avais quinze ans, Monseigneur, lorsque votre nom m'apparut pour la première fois. Il brillait d'un éclat immortel sur une des plus sombres pages des annales de l'Église, en ce siècle.

Un joug de fer pesait sur la chrétienté; Rome était veuve de son Pontife qui languissait dans les fers. Les plus fidèles serviteurs du Siège Apostolique expiaient leur courage dans la captivité. Les églises frappées de viduité par la mort de leurs évoques, tombaient aux mains des mercenaires. Le siège de Paris, capitale de l'Empire, était usurpé avec scandale par un homme qui n'avait pas su respecter la double barrière des bienfaits et des serments, et sur l'Église s'étendait une terreur rendue plus profonde encore par le silence que gardaient les sentinelles d'Israël.

Cependant, le cri du Pontife captif se fit entendre. Il réclamait pour ces droits sacrés de la hiérarchie dont la violation entraîne la ruine de l'édifice entier du christianisme; mais aucune voix n'osait servir d'écho à celle du Pontife. D'affreux périls attendaient celui qui eût osé transmettre  à  l'oreille du  coupable prélat l'anathème

 

3

 

lancé contre sa prévarication. Tout à coup, dans l'Église de Paris, un prêtre se leva et dénonça au faux pasteur l'arrêt apostolique qui flétrissait sa conduite. Quelques heures s'étaient à peine écoulées, et ce prêtre avait entendu se fermer sur lui les verrous d'un cachot à Vincennes.

Ce prêtre, dont le nom vivra à jamais dans les fastes de la liberté ecclésiastique, ce prêtre qui ne fléchissait pas lorsque tant de pontifes tremblaient, ce fut vous-même, Monseigneur. Avec quelle vénération je lus un nom si glorieux ! Avec quelle admiration je recueillis le récit d'un si généreux sacrifice ! Depuis lors, je désirai ardemment voir et connaître le glorieux confesseur de cette époque redoutable, durant laquelle, pour emprunter les paroles du Prophète, on peut dire que toute tête était languissante, tout cœur abattu, tout genou tremblant.

L'occasion tant désirée se présenta lors du séjour que vous eûtes lieu de faire à Paris, Monseigneur, à l'époque de votre translation sur le siège métropolitain de Toulouse. Je m'empressai avidement d'assister aux saints Mystères célébrés par vous, d'entendre les exhortations que votre voix paternelle prononçait quelquefois au milieu des cérémonies saintes. Je ne me rassasiais pas de contempler le dernier confesseur de la liberté ecclésiastique, le prêtre devenu pontife qui n'avait pas craint d'exposer sa vie pour le lien sacré de l'unité et de la subordination canonique. Depuis lors, rien n'a été capable d'altérer en moi le culte sincère que vous avait voué ma jeunesse; mais j'étais loin de croire qu'un jour dût venir où votre voix me dénoncerait devant l'Église comme un écrivain dangereux et téméraire.

Vous avez cru dans votre sagesse, Monseigneur, devoir i attaquer par un écrit imprimé, mes Institutions liturgiques, et, certes, je respecte les intentions qui vous ont fait agir.  Il me serait même doux de m'avouer vaincu dans

 

4

 

le combat, si j'avais la conscience de ma défaite ; malheureusement, je ne l'ai pas, cette conscience. Je pourrais, il est vrai, garder le silence et ne pas entreprendre ma justification; mais, d'autre part, il me semble qu'un devoir impérieux, celui de défendre la vérité, me presse de prendre la parole et de présenter des explications nécessaires : je dirai plus (car je m'en flatte), une  justification complète.

Je sais, Monseigneur, toute la distance qui me sépare, moi humble moine, de la personne d'un prélat vénérable par ses cheveux blancs, par la confession de la foi, par le rang éminent de l'épiscopat; mais, dans ma conviction de ne mériter pas vos reproches, n'ai-je pas d'autant plus raison de m'affliger de les voir déversés sur ma tête, que toutes les présomptions demeurent contre moi dans l'esprit de tant de catholiques, étrangers à la controverse qui les a occasionnés. Si je suis coupable des témérités, des inconvenances, des calomnies, des falsifications dont vous m'accusez, Monseigneur, j'ai mérité assurément la flétrissure que vous cherchez à m'imprimer;  mais si je suis en mesure de prouver que ces imputations ne sont pas fondées, n'est-ce pas une chose dure pour un écrivain catholique de  les  avoir  subies, surtout  avec  les suites qu'elles ont entraînées après elles ?

J'ai écrit mon livre avec conviction, après de longues et sérieuses études;  il ne renferme que des principes et des faits. Les principes sont ceux de l'Église catholique sur la liturgie, tels qu'ils sont professés dans les bulles des Souverains Pontifes, dans les  conciles, celui de Trente en particulier, dans les canonistes les plus approuvés : on peut voir sur cela ma Lettre à Monseigneur l’archevêque de Reims, sur le droit de la liturgie. Quant aux faits, ils sont du domaine de l'histoire et de la critique, et s'ils sont vrais, il n'est ni  en votre pouvoir, Monseigneur, de les anéantir, ni au mien  d'en absorber

 

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l'existence et la  portée,  par le silence,  ou  par  un désaveu complet.

Mais je ne sais pourquoi je chercherais à m'excuser devant vous, Monseigneur, d'entreprendre ma justification lorsque je n'ai besoin que de me rappeler les principes admis de tout temps dans l'Eglise, au sujet des écrivains catholiques, pour demeurer parfaitement en repos sur l'effet que doit produire ma défense à vos yeux si éclairés. N'est-ce pas un point de droit dans l'Église comme dans le for civil, que l'accusé parle toujours le dernier ? L'acception des personnes n'est-elle pas interdite par la loi divine, plus encore que par les lois humaines ? Et vous savez avant moi et mieux que moi, Monseigneur, quelles facilités ont toujours été données, soit dans les conciles, soit dans les jugements du Siège Apostolique (1), aux écrivains de défendre, d'expliquer et d'éclaircir leurs écrits, s'il arrive qu'ils soient appelés à en rendre compte. Ces explications que j'ai l'honneur de vous adresser, je me serais fait un devoir de vous les transmettre confidentiellement, si vous eussiez jugé à propos de me les demander; aujourd'hui que le public est mis par vous dans la confidence des griefs que vous croyez devoir me reprocher, il est bien évident que je ne puis me dispenser d'employer la voie de la presse.

Or voici, Monseigneur, la manière dont j'ai cru devoir procéder dans ma Défense. La brochure que vous avez publiée attaque les Institutions liturgiques, par rapport à certains principes ou faits généraux que j'ai mis en avant; j'essayerai de satisfaire dans cette Lettre aux oppositions que vous avez produites contre mes thèses. Une partie de votre opuscule est employée à discuter certains détails de mon livre; je joindrai à ma lettre un tableau

 

(1) Voyez, entre autres, la constitution de Benoît XIV, sur la censure des livres. VII des Ides de juillet 1753.

 

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des objections, et je placerai en regard mes réponses. En cette manière, mes torts, si j'en ai, seront faciles à constater; comme aussi s'il arrivait que mon livre se relevât des attaques que vous avez cru devoir lancer contre lui, sa justification aurait du moins ce caractère d'être prononcée en pleine connaissance de cause.

Je ne m'arrêterai  point, Monseigneur, à récriminer contre la forme que vous avez cru devoir employer dans votre discussion contre moi. J'ai ouï dire que des personnes  fort haut placées, et plus ou  moins  favorables d'ailleurs à votre point de vue, trouvaient cette forme tant soit peu acerbe. Pour moi, je vous l'avouerai, j'ai souri parfois en lisant sur vos pages énergiques ces rudes qualifications qui s'échappent de votre plume, et me viennent imprimer les notes d'imprudence (1), de témérité (2), d'injustice (3), d'absurdité (4), de calomnie (5), de fureur (6), de blasphème (7),  d'indécence (8), d'obscénité (9) ; sans parler  de l'endroit où vous signalez dans mon style les caractères qui font celui d'un jeune impie (10). Pour moi, je ne suis point ennemi de la franchise du langage, sans aller pourtant jusqu'à regretter les aménités littéraires de certains écrivains des XVI° et XVII° siècles ; et d'ailleurs, dans ces jours où l'on voudrait, sous prétexte d'une soi-disant modération, bannir des discussions la vigueur et l'énergie, j'aime à voir une aussi imposante autorité que la  vôtre, Monseigneur, rappeler dans une polémique importante cette âpreté sans façon dont ne se scandalisaient pas nos pères.

Toutefois, Monseigneur, il y a bien dans votre brochure certains procédés de discussion que j'aurais désiré n'y pas voir, parce qu'ils ne tiennent pas essentiellement à cette franche allure que je me fais gloire d'estimer. Ainsi, par

 

( 1) Page 6. — (2) Page 7. — (3) Ibidem. — (4) Page 38. — (5) Page 34. — (6) Page 77. — (7) Page 122. —(8) Page i35. — (9) Ibidem. — (10) Page 12.

 

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exemple, à la page 48, vous déclarez n'avoir pu vous procurer aucun exemplaire des Bréviaires de Paris antérieurs à celui de François de Harlay, et aux pages 49, 57, 58, 60, 68, vous me contestez, sans preuves par conséquent, les faits que j'ai puisés dans ces bréviaires que chacun, après tout, peut aller consulter dans les bibliothèques de Paris.

A propos d'une post-communion que je signale dans le Missel du cardinal de Noailles que vous convenez n'avoir pas non plus entre les mains, vous citez le Missel de Charles de Vintimille, dans lequel cette post-communion fut réformée , et vous dites à vos lecteurs : Dom Guéranger A CHANGE LE TEXTE ET A MIS, etc. (1) : ce qui est une accusation de faux ni plus ni moins : mais accusation fâcheuse pour celui qui l'a lancée, puisqu'il est facile tous les jours à vos lecteurs de consulter le fameux Missel, et d'y voir que Dom Guéranger n'a pas changé le texte, ce qui serait infâme, et n'a pas eu besoin de mettre ce que le cardinal de Noailles avait mis.

Chacun sait ou doit savoir que le Bréviaire de Paris de 1736, publié par Charles de Vintimille, excita de si vives réclamations dans l'Église de Paris, que le prélat fut contraint de retirer l'édition et d'en donner immédiatement une seconde, avec un grand nombre de cartons aux endroits qui avaient choqué davantage. Pour apprécier les intentions des rédacteurs de ce bréviaire, je devais donc remonter jusqu'à cette première édition, antérieure aux cartons. Or, j'ai raconté avec toute franchisent même avec éloges, le fait de l'insertion de ces mêmes cartons; je croyais donc avoir prévenu toute possibilité de confusion. Quelle n'a donc pas été ma surprise, lorsque j'ai vu, Monseigneur, que c'était avec la seconde édition de 1736 que vous prétendiez réfuter les reproches que j'avais faits à la

 

(1) L'Eglise de France injustement flétrie, 81.

 

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première, donnant ainsi le change au public sur l'état même de la question, et faisant peser sur moi gratuitement l'odieuse accusation de calomnie grossière et audacieuse !

Vous avouerai-je toute ma pensée, Monseigneur ? Bien des pages de votre brochure, celles entre  autres que je viens  de signaler  et dont je demande justice à  votre loyauté, m'ont porté à croire, et j'ai accueilli cette pensée avec bonheur, que d'autres  mains que les vôtres avaient conduit la rédaction de l'opuscule auquel je réponds en ce moment. J'en trouverais encore une preuve dans ce qui est écrit, page 70, savoir, que Sédulius est né en 1537 et mort en  i63t.  L'antiquité ecclésiastique vous est trop familière, Monseigneur, pour qu'on puisse vous imputer avec justice un tel  anachronisme au sujet d'un auteur chrétien dont les œuvres sont dans toutes les  Bibliothèques des Pères, dont l'autorité est invoquée en théologie, auquel l'Église a emprunté, outre l'introït Salve, sancta parens, deux antiennes, lesquelles, ainsi que l’introït lui-même, se trouvent citées  et commentées  plusieurs fois dans les homélies les plus populaires du Vénérable Bède et de saint Bernard. Au  reste,  dans la seconde édition de votre  brochure,  le public verra  avec plaisir que cette  erreur a été corrigée. Je  regrette  qu'on n'ait pas modifié de  même  l'endroit de la  page i3o,  où l'on attribue  des hymnes à saint Augustin, dont les œuvres sont cependant bien plus connues encore que celles de Sédulius.

Au reste, je ne suis pas de ceux qui jugent et condamnent un livre, ou un mémoire, pour deux ou trois méprises dans lesquelles serait tombé l'auteur. Les hommes sérieux doivent porter leur vue plus loin; et je souscris de tout mon cœur au jugement de Monseigneur l’évêque de Chartres sur l'excellent livre du Monopole universitaire, par M. le chanoine Desgarets.

 

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« Qu'il me soit permis d'observer ici, dit le prélat,  que, dans un débat où l'on allègue mille griefs, ou mille raisons contre un adversaire, lors même que, parmi ces  raisons et ces griefs, il y en aurait cinquante ou même cent de mal assurés et d'incomplets, il suffit qu'il y en ait neuf cents qui l'accablent et le condamnent d'une manière péremptoire (1). »

De même aussi, dans le cas où je ne pourrais me justifier sur quelques points de l'accusation que vous avez cru, Monseigneur, devoir intenter contre moi (et j'espère fermement me justifier sur tous, sans exception), il ne s'en pourrait rien suivre contre le fond des idées émises dans un ouvrage déjà considérable, et dont votre critique effleure à peine la dixième partie.

Mais laissons pour le moment les détails, et résumons un peu la question débattue entre nous.

Or, voici tout simplement ce que j'ai prétendu en publiant mon livre :

I. Dans le but de ranimer, du moins en quelque chose, les traditions liturgiques qui ont faibli chez nous (2), j'ai pris la liberté de publier un ouvrage longuement élaboré, dans lequel mon but est uniquement de rappeler les principes de tous les temps, les maximes de la tradition catholique sur le culte divin.

Ces maximes sont que la liturgie doit tendre à l'unité des formules ; que cette unité est le vœu de l'Eglise ; que les Souverains Pontifes, interprètes de la volonté de l'Eglise, l'ont recherchée dans tous les temps; que l'obligation, pour les églises du Patriarcat d'Occident, d'embrasser et de conserver la liturgie de Rome, est incontestable.

 

(1)  Lettre sur la Liberté d'enseignement.

(2)  Sacras Liturgiœ traditiones labescentes confovere. Bref de N. S. P. le Pape Grégoire XVI, du 1er septembre 1837.

 

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Niera-t-on ces principes fondamentaux ? Ce serait donner un démenti à tous les théologiens et canonistes orthodoxes et me faire trop beau jeu dans la question.

II. En racontant l'histoire de la liturgie, je me suis trouvé amené à faire voir comment les livres liturgiques actuellement en usage dans un grand nombre d'églises de France ont détruit l'unité de culte qui existait avant leur fabrication, comment ils ont été rédigés contrairement à tous les principes admis dans tous les temps, en matière de liturgie ; quelle part ont prise les sectateurs de l'hérésie jansénienne à cette grande révolution qui a tant influé sur le sort de la piété chrétienne parmi

nous.

Me trouvant, par le plan même de mon ouvrage, dans la  nécessité de traiter à fond de la prière liturgique de toutes les églises, pouvais-je passer sous silence celle de l'Église actuelle de France ? N'aurais-je pas rendu comme inutile tout mon travail en le privant d'une de ses principales applications ? Quant à la vigueur avec  laquelle j'ai procédé, depuis quand est-ce  un  crime de traiter avec énergie la cause  de l'Église ? Ai-je d'ailleurs manqué d'égards aux contemporains ? Ai-je insulté, comme on le dit,  les prélats  de nos églises ?  J'en appelle à mes lecteurs.  Qu'ils disent si j'ai jamais attaqué d'autres hommes que  les sectateurs ou  les fauteurs de l'hérésie; si j'ai manqué une occasion de relever le mérite de tant de grands évêques, qui, au siècle dernier, se mesurèrent, sans calcul et sans respect humain, contre l'hydre maudite, trop souvent caressée, ou du moins ménagée par d'autres.

III. Enfin, si après avoir cherché par mes cris à rompre le sommeil trop général sur la situation liturgique, j'ai paru souhaiter et même prédire à la France un retour vers l'unité de la prière romaine ; ai-je accusé la lenteur ou la prudence de nos évêques ? Ai-je réclamé  la

 

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destruction immédiate des livres actuels ? Ai-je cherché à exciter des troubles dans les diocèses ?

Je sais qu'on cherche à faire peser sur moi cette calomnie. Heureusement, mon livre est là; et sur ce point comme sur bien d'autres, il demeure lui-même la plus belle réponse à toutes les diatribes lancées contre lui.

Voilà, Monseigneur, ce que je pourrais me borner à répondre aux attaques dont mon ouvrage est l'objet. Cet exposé général pourrait suffire à beaucoup de personnes, et si je retranche du nombre de mes adversaires, ceux qui déclament contre mon livre sans l'avoir lu, et c'est le grand nombre, comme toujours, les autres trouveraient dans la déclaration que je viens de faire, de quoi se rassurer sur mes intentions et sur la portée de mon attaque contre les liturgies modernes. Toutefois, je ne m'en tiendrai pas là, et je me ferai un devoir de vous suivre, Monseigneur, dans toutes les particularités de la polémique que vous avez cru devoir diriger contre moi.

 

§ I

 

Et premièrement sur les principes généraux de la matière, j'ai prétendu que la liturgie tend à l'unité des formules et que cette unité est le voeu de l'Église. En cela du moins ma pensée s'est rencontrée avec la vôtre, Monseigneur, car vous avez dit, en parlant de moi : « Que dans cet ouvrage, Dom Guéranger eût exprimé le désir de voir l'unité de liturgie établie, s'il était possible, dans toute l'Église catholique, au moins dans l'Église d'Occident; qu'il eût exposé avec la chaleur qui lui est propre, les avantages de cette unité; nous aurions approuvé un désir si raisonnable et si orthodoxe. Nous aurions été également d'accord avec lui sur ce principe que la liturgie doit être stable; qu'il est nuisible à la

 

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piété et même dangereux pour la foi d'y apporter sans cesse des changements (1). »

Que j'aime cet accord de nos principes, Monseigneur ! Combien je désirerais qu'il continuât de se montrer dans tout le cours de votre brochure ! Mais  bientôt vous en venez à déclarer qu'il vous est impossible de tolérer mes maximes et  ma manière  de procéder dans mon livre. Pourtant, s'il est indubitable à vos yeux que le désir de l'imité liturgique est un désir raisonnable et orthodoxe; s'il est vrai, pour vous comme pour moi, que la liturgie doit être stable, et  qu'il est nuisible à la piété et même dangereux pour la foi d'y apporter sans cesse des changements, pourquoi n'estimeriez-vous pas, comme moi, un souverain malheur, une faute insigne, le renouvellement de la liturgie fait au dernier siècle dans les deux tiers des diocèses de France !  Pourquoi ne regretteriez-vous pas comme moi cette unité qui existait il y a un siècle, unité décrétée par le saint concile de Trente, resserrée par  la bulle de saint Pie V, proclamée par huit conciles  de France, l'un desquels est celui de votre propre métropole de Toulouse, reconnue enfin par plusieurs Assemblées du Clergé  de France ? Pourquoi cette unité  et stabilité de la liturgie vous tiennent-elles si peu à cœur, dans la pratique, que, pour juger du  mérite et de l'opportunité de tel  bréviaire  ou missel,  vous  en appelez simplement au goût  personnel d'un  chacun, disant  franchement comme pour dernière raison : « J'ai suivi le rit parisien pendant près de  cinquante  ans,  à Paris,  à Bayonne, à Toulouse, et je déclare que je l'ai  trouvé très beau (2),  » avec la  même tranquillité  que vous dites plus haut à propos d'un bonnet : « Ce que je sais par  expérience, c'est que mes bonnets de chœur, sans

 

(1)  Page 5.

(2)  Page 138.

 

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être écrasés, ont toujours été assez carrés pour bien tenir sur ma tête (1). »

Mais, Monseigneur, du moment que, dans une matière ecclésiastique, il est question d'unité à établir, vous savez qu'il devient nécessaire d'invoquer la prérogative romaine, laquelle, faisons-y bien attention, ne peut s'exercer sans emporter avec elle, pour tous ceux qui la reconnaissent, l'obligation d'obéir. Aussi, est-ce un fait incontestable que l'unité liturgique n'est point simplement une utopie sur laquelle il soit loisible à chacun de faire des phrases, mais bien un point de droit positif dans l'Église, en sorte qu'on n'y peut admettre que de ces exceptions rares et régulières qui confirment la règle.

Au XVIII° siècle, à l'époque du renouvellement de la liturgie en France, les consciences n'étaient pas si délicates qu'elles le sont généralement aujourd'hui sur l'article de la soumission au Saint-Siège en cette matière. C'est pourquoi nous voyons les évêques, auteurs ou promulgateurs des nouveaux bréviaires et missels, en appeler simplement à leur autorité ordinaire pour justifier leur conduite, jusqu'au point d'interdire expressément tout bréviaire et missel, autres que ceux qu'ils publiaient. Depuis on est devenu, grâce à Dieu, plus timoré. On a cherché à justifier l'innovation par le silence de Rome; on a fait circuler des mots plus ou moins authentiques, proférés, dit-on, par un pape, par un cardinal, quelquefois par un simple prélat romain ; tant on avait besoin d'une Rome quelconque pour légitimer la fausse position dans laquelle on se trouvait ! Mais, de bonne foi, le gouvernement de l'Église serait-il possible, si, désormais pour suspendre l'effet des lois les plus sacrées et les plus générales, il suffisait de produire plus ou moins mystérieusement une simple dérogation verbale et personnelle,

 

(1) Page II.

 

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émanée le plus souvent d'une autorité incompétente. Il ne resterait donc plus qu'à jeter au feu les Conciles et le Bullaire,qu'à anéantir l'enseignement du Droit canonique pour se borner uniquement au voyage de Rome, par le moyen duquel on pourrait obtenir quelqu'une de ces explications favorables qui mettent à l'aise. J'oserais cependant émettre le vœu qu'on les fît reconnaître et certifier, comme il est d'usage pour les décisions verbales qu'on appelle dans le droit, Oracles de vive voix, et qui, dans tous les cas, n'émanent que de la personne même du Souverain Pontife, parlant et agissant comme tel.

En attendant voici un bref de Sa Sainteté Grégoire XVI, adressé  à  Monseigneur  l'archevêque de Reims, dans lequel  le Siège Apostolique considère  comme toujours existante l'obligation statuée par le concile de Trente et les bulles de saint Pie V ; dans lequel tout en reconnaissant à certaines églises de la Liturgie romaine, le droit de garder la forme de bréviaire et de missel dont elles usaient deux cents ans avant la bulle, le Siège Apostolique leur refuse le droit de changer à volonté ces bréviaires et missels, condamnant par là même l'innovation du XVIII° siècle ; dans lequel la conduite de Monseigneur l'évêque de Langres,  qui  a rétabli dans son diocèse la Liturgie romaine, est préconisée comme digne de tous les éloges; dans lequel enfin le Souverain Pontife exprime le désir et l'espoir de voir les autres Évêques de France se  ranger tour à tour à la même conduite, pour faire enfin disparaître cette variété de livres liturgiques, scandaleuse pour les peuples et périlleuse en elle-même, ce sont les expressions du Souverain Pontife.

Telle est, Monseigneur la substance de ce bref important que j'ai publié moi-même dans ma Lettre à Monseigneur l'archevêque de Reims, d'où l'Ami de la Religion l'a fait passer dans ses colonnes. J'avais pensé qu'une autorité aussi imposante suffisait pour faire cesser toutes

 

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les discussions, et d'autant plus que l'Ami de la Religion, dans un article spécial, n'avait fait nulle difficulté d'affirmer que votre manière de penser était identique à la doctrine du bref; en sorte que, dans toute cette affaire, il ne me restait que l'insigne témérité d'avoir remis en question une matière sur laquelle tout le monde est d'accord, en me donnant, de plus, le tort d'accumuler force mensonges, calomnies et inconvenances. J'avais beau chercher à comprendre quelque chose dans toute cette mêlée, je n'en pouvais venir à bout. On m'accusait; sans me faire mon procès, on me condamnait ; et, au milieu de tout cela, mes principes me semblaient toujours catholiques, les faits allégués toujours évidents; je ne pouvais retenir sur mes lèvres le fameux e pur si muove !

Bientôt, on annonce la deuxième édition de votre brochure, Monseigneur; je m'empresse de me la procurer, espérant que j'allais y trouver l'explication du mystère, et, sur la question même, des développements inattendus. J'ouvre le livre, et dès les premières lignes d'une introduction particulière à cette édition, je trouve les paroles suivantes :

« A peine cet opuscule avait-il paru, que j'ai lu dans les feuilles publiques deux pièces d'une haute importance, où l'on semble avoir voulu confirmer ce que j'ai dit, et sur la liturgie en général, et à la gloire de l'Eglise de France. La première pièce est émanée de la plus grande autorité qui soit dans l'Église. C'est le bref  de Sa Sainteté Grégoire XVI, à Monseigneur l'archevêque de Reims (1). »

Ravi d'une si solennelle déclaration, et plein d'espoir de voir enfin l'unité liturgique appliquée à la France dans le sens du bref de Sa Sainteté, je cours à la fin du volume au

 

(1) Page V.

 

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chapitre intitulé : Beauté du Bréviaire de Paris, pour voir en quelle manière a été modifiée une certaine proposition qui me semblait totalement contraire à la doctrine nouvellement professée. Quelle n'est pas ma surprise de trouver page 137, la même proposition, dans les mêmes termes, après le bref connu et apprécié ?

« Tel est, y est-il dit, le Bréviaire que l'abbé de Solesmes veut enlever à  la France. En plus  d'un endroit  il exprime cette espérance qu'il  fonde sans doute sur le « grand effet que doivent produire les déclamations continuelles et injustes de ses Institutions liturgiques. Heureusement le Saint-Siège est plus sage que cet auteur. »        Mais,  Monseigneur, comment avez-vous pu laisser cette phrase dans une seconde édition, lorsque maintenant vous savez positivement que le Saint-Siège réprouve le changement de la liturgie opéré dans les diocèses mêmes qui avaient un bréviaire particulier légitime ? Si je  ne suis pas sage de  réclamer le rétablissement de  l'unité romaine, ne voyez-vous pas que vous faites peser le même reproche sur  le Souverain  Pontife qui comble d'éloges Monseigneur  l'évêque de Langres, et témoigne le désir et  l'espoir de voir  ses  illustres collègues  suivre son exemple ? Savez-vous que certains reproches finiront par me sembler doux à porter lorsque je les sentirai tomber sur moi en semblable compagnie ?

Je reviens ensuite à votre Introduction, Monseigneur, afin de saisir mieux votre pensée, m'imaginant aussi que peut-être des explications inattendues viendront donner une autre face à la question; mais ma surprise redouble, lorsque je lis ces paroles : « Il n'y a rien (dans le bref) qui ne soit au moins implicitement dans notre écrit ; comme on pourra s'assurer par la lecture de notre écrit qu'il ne renferme rien qui soit contraire au bref (1).  »

 

(1) Page vij.

 

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J'avoue que je m'y perds de plus en plus : mais c'est bien autre chose quand je rencontre plus loin ces mots inexplicables :

« Il y aurait peut-être un moyen d'y mettre quelque unité (dans la liturgie), d'en assurer l'orthodoxie et de lui donner une stabilité convenable. Ce serait de mettre en vigueur la règle du concile de Tolède, lequel ordonne que, dans toutes les églises de chaque province ecclésiastique, les offices publics, vêpres, matines, la messe, soient célébrés suivant l'usage de l'Église métropolitaine (1).  »

Comment,  Monseigneur, vos sentiments  sur l'unité liturgique sont identiques à ceux du Souverain Pontife, et lorsqu'il proclame la nécessité de maintenir et de rétablir l'unité décrétée par le concile de Trente,  en reprenant le Bréviaire et le Missel romains de saint Pie V, vous venez proposer les livres de la métropole! L'unité provinciale  vous  paraît  un moyen suffisant  d'assurer l’orthodoxie des formules liturgiques, et après avoir, quelques pages plus haut, transcrit le bref, en entier, vous lui donnez un tel démenti ! Je le répète, il doit y avoir au fond de tout cela un malentendu que l'on ne s'explique pas : mais, pour le moment, une chose demeure  claire; c'est que, malgré que vous trouviez dans le bref du Saint-Père  la confirmation de ce que vous  avez écrit  contre moi, vous n'entendez  pas du tout sacrifier aux désirs de Sa Sainteté votre Bréviaire toulousain,  quand bien même l'occasion favorable insinuée dans le bref viendrait à se présenter.

En effet, il ne saurait se présenter une occasion plus favorable d'en finir avec la discordance liturgique qu'une injonction pontificale de reprendre en France les usages romains.  Or, dans ce cas-là même, d'après vos propres

 

(1) Page xj.

 

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paroles, Monseigneur, le Saint-Siège devrait compter sur toute autre chose que sur une adhésion pure et simple.

« Bien convaincu, dites-vous, Monseigneur, de cette haute sagesse et de cette indulgence du Saint-Siège, s'il arrivait que certains esprits qui ne voient ni aussi clair ni aussi loin que le Vicaire de Jésus-Christ, fissent des efforts pour obtenir que, par un acte de son autorité suprême, il proscrivît la liturgie propre à un grand nombre de diocèses de France, nous recourrions nous-mêmes avec une pleine confiance à Sa Sainteté, pour qu'elle daignât accorder à nos églises, en faveur de leur liturgie, le privilège qu'ont obtenu jadis certaines églises d'Espagne et d'Italie, pour le rit mozarabique et le rit ambrosien.  »

« Dans ce cas, nous n'appuierions pas notre demande sur la crainte des dissensions qui pourraient résulter de la proscription des liturgies auxquelles nous sommes attachés; nous laisserions à Sa Sainteté le soin d'apprécier ce motif. Pour nous, nous commencerions au contraire par protester de notre soumission sans réserve aux ordres qu'il plairait à Sa Sainteté de donner; après quoi nous nous permettrions de lui présenter des considérations encore plus importantes aux yeux de l'Épiscopat français; elles seraient tirées de l'honneur même et de la gloire de l'Église romaine (1).  »

Ainsi, le Souverain Pontife aurait méconnu l'honneur et la gloire de l'Église romaine, lorsqu'il se flatte dans son bref de voir tour à tour Nosseigneurs les évêques de France imiter le grand exemple de Monseigneur l'évêque de Langres, puisque, pour imiter cet exemple, il ne faut rien moins que se débarrasser des liturgies modernes. Ainsi, dans le cas où le Souverain  Pontife

 

(1) Page X.

 

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jugerait à propos de passer du conseil au précepte en faveur de l'unité liturgique, il céderait aux efforts de certains esprits qui ne voient ni aussi clair, ni aussi loin que le Vicaire de Jésus-Christ, et cesserait par conséquent d'y voir clair et loin comme devant. En vérité, ce n'est point à moi, j'en conviens bien volontiers, Monseigneur, de critiquer votre langage à l'égard du Chef de l'Église; mais aussi pourquoi nous dire que le bref de Sa Sainteté ne renferme que votre pensée sur la question liturgique ?

Au reste, Monseigneur, je ne vois aucune raison qui doive vous faire redouter de la part de Rome la proscription directe des livres liturgiques propres à un grand nombre de diocèses de France; je suis persuadé, au contraire, que la grande révolution liturgique s'accomplira d'elle-même. Vous avez vu que telle est la pensée du Souverain Pontife. Il ne doute pas que les évêques de France, les uns après les autres, alii atque alii, ne rentrent dans l'intention du concile de Trente et des bulles de saint Pie V. Pour votre métropole, Monseigneur, il faut ajouter : et dans l'intention du concile de Toulouse de 1590.

Quant à réclamer pour la liturgie de 1736 le privilège des liturgies ambrosienne et mozarabe, la question n'est pas du tout la même. Jamais la Liturgie romaine n'a régné à Milan, et les chapelles de Tolède, exceptées de l'obligation de garder la forme de l'Office romain, s'étaient maintenues dans la pratique du rite mozarabe jusqu'au temps de Jules II, qui leur concéda régulièrement ce privilège. Au contraire, la France, depuis le VIII° siècle, est romaine dans la liturgie; plusieurs fois, depuis mille ans, ce lien a été resserré. Pour ne parler que de l'époque postérieure au concile de Trente et aux bulles de saint Pie V, nous comptons huit conciles provinciaux (dont un de la province de Toulouse), enregistrés parmi les actes les plus

 

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solennels de l'Église gallicane, sans parler des résolutions des Assemblées du Clergé, proclamant hautement l'obligation pour la France de suivre Rome dans la liturgie. Il n'est donc pas libre de remonter à tel ou tel concile de Tolède pour en exhumer je ne sais  quelle unité métropolitaine  de la  liturgie, quand l'unité  patriarcale est devenue tout à la fois un fait et un droit dans l'Occident depuis tant de siècles. Il serait superflu de discuter ici ce qui vient de se passer à Carcassonne: je me bornerai à dire en passant que si, pour établir le règne du Bréviaire de Toulouse dans ce diocèse, il devient nécessaire de supprimer, ne fût-ce que dans  une seule église, l'usage des livres de la Liturgie romaine, la mesure est nulle, par défaut de droit, quant à cette église.  Maintenant, si on se rappelle en combien de milliers d'églises il fallut, au siècle dernier et en celui-ci, abolir la Liturgie romaine pour faire place aux nouveaux livres, on a plus de peine encore à croire que Rome puisse reconnaître les titres vénérables du rite ambrosien ou du rite mozarabe, dans les productions modernes qui sont venues détrôner, après neuf siècles, la prière de saint Grégoire. Mais encore une fois, la question n'est pas là; le bref de Sa Sainteté à Monseigneur l'archevêque de Reims  suffit parfaitement aux nécessités présentes, et Pierre n'aura pas  parlé  en vain par la bouche de Grégoire.

 

§ II

 

Passant maintenant à la seconde partie de ma Défense, je dirai que, du moment où il est reconnu par tout le monde que l'unité dans la liturgie est un principe incontestable, et que les règlements ecclésiastiques la réclament aujourd'hui comme dans le passé, il me sera facile de démontrer que si, dans l'application de cette doctrine aux

 

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faits, je me suis trouvé dans le cas de raconter des choses pénibles, cet inconvénient, totalement inévitable, ne peut m'être imputé comme un grief.

Or, ces faits sont que, dans le XVIII° siècle, l'unité liturgique a été brisée; qu'elle l'a été arbitrairement et sans ménagement pour l'autorité du  Saint-Siège et pour les anciennes traditions de la prière. Il suffit, pour en demeurer entièrement  convaincu, de  prendre d'une main  le Bréviaire et le Missel parisiens des archevêques François de Harlay et Antoine de Noailles, et de l'autre, ceux de Charles de Vintimille, pour voir que ce sont des livres totalement différents. Les livres des deux premiers archevêques, malgré les modifications qu'ils ont subies, sont encore, dans l'ensemble et dans la plupart des détails, conformes aux livres de Jean-François de Gondy, lesquels portent en tête ces mots : Breviarium ou Missale Parisiense, ad formam  sacrosancti concilii  Tridentini; ce qui veut dire qu'ils sont romains. Les seconds ne ressemblent qu'à eux-mêmes et ont été évidemment rédigés par de simples particuliers, d'après tel système de composition préconçu, et abstraction faite de l'élément traditionnel dans la plus grande partie de leur teneur. L'unité liturgique qui existait antérieurement à la rédaction de ces livres, a donc cessé d'exister par le fait de leur promulgation, et surtout de leur extension à un si grand nombre de diocèses. Qui pourrait nier cette conclusion ? Et aussi qui pourrait interdire à un auteur catholique qui veut traiter de la liturgie, de relever un fait si important, sans la connaissance duquel cette science devient un vrai dédale par l'impossibilité où l'on se trouve de faire cadrer les explications des saints  Pères, des mystiques, des liturgistes et des canonistes, sur  les formules et les rites, avec la réalité de la plupart des formules et des rites aujourd'hui en usage, par  le  fait de ce changement inouï dans  les fastes  de l'Église ?

 

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Je dis inouï dans les fastes de l'Eglise; car lorsqu'au VIII° siècle, la Liturgie romaine fut substituée en France à la liturgie gallicane, la perte que faisaient nos églises de leurs anciennes coutumes était compensée abondamment par la richesse et l'autorité des traditions romaines. Traditions pour traditions, c'était un échange auquel l'Église de France avait plus à gagner qu'à perdre; sans parler du grand bien de l'unité dans la forme religieuse et de la parfaite sécurité qui en résulte pour le dépôt de la foi; double conséquence de l'introduction de la Liturgie romaine, qui consola promptement nos pères de la suppression des livres gallicans.

Une fois admise la nécessité de rapporter, dans un ouvrage sur la science liturgique, le fait d'un bouleversement des notions sur la matière, à partir du XVIII° siècle; je ne devais pas sans doute me borner à jeter en avant ce fait, sans  garanties, sans explications. La science ecclésiastique ne procède point ainsi en aveugle. Elle pèse les faits et leurs conséquences; elle éclaire les obscurités, et, comme elle  est la  science  des  choses de Dieu et de l'Église, elle procède avec franchise et sans acception de personnes. D'où il suit que, dans mon plan, je devais un récit fidèle des motifs  et  des incidents de la moderne réforme  de la  liturgie  en France.  Maintenant,  que je me sois trouvé dans la nécessité de dire que les hommes d'un certain parti qui n'est pas celui de la foi catholique, ont eu de  l'influence dans l'œuvre  de cette innovation, comme promoteurs, comme rédacteurs même ; cela s'ensuit de ce que je viens d'établir tout à l'heure,  à la condition, bien entendu, que je ne produise que des faits véritables et avérés. Soutenir le contraire, ce serait vouloir bâillonner l'histoire,  et cela n'est plus possible aujourd'hui; quant à la fidélité des récits, je ne les débite pas dans l'ombre; j'écris pour le public : il n'est personne qui n'ait le droit de me dire, s'il y a lieu : vous en avez menti.

 

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Ici, je le sens bien, Monseigneur, je me trouve en face de l'accusation que vous m'avez intentée, de malveillance et de calomnie contre l'Église de France ; accusation grave, humiliante, fâcheuse, mais uniquement toutefois dans l'hypothèse qu'elle soit fondée. Je pourrais assurément demander tout d'abord si ce système de dénigrement et de calomnie contre l'Église de France est supposable; quel genre d'intérêt je pourrais avoir à déverser le mépris sur une portion de la catholicité au sein de laquelle je suis né et j'ai été initié au sacerdoce : car, sachez-le bien, Monseigneur, je suis Français tout aussi bien que vous, et non pas un religieux à peine arrivé en France (1). Je suis tout aussi jaloux qu'un autre de nos gloires nationales; aucun engagement politique, aucun antécédent ne m'obligent à renier le moindre de ces honorables souvenirs, qui nous rendent chère la commune patrie. Comment donc aurais-je pu avoir la pensée de flétrir l'Église de France ?

Il est vrai, j'en conviens, que, si en ma qualité de Français, je suis tout aussi zélé qu'un autre pour l'honneur de ma nation, en revanche, comme catholique, je fais profession de n'avoir d'autre patrie que Rome. Et pourquoi cela ? Parce que Rome est la seule localité à laquelle soient attachées les destinées de l'Église et par là même de la révélation chrétienne; parce que je ne crois pas pouvoir adhérer d'une manière inviolable, en matière de christianisme, à un autre centre qu'à celui qui, établi par Jésus-Christ, possède l'infaillibilité de la doctrine et la plénitude de la juridiction. L'Église de France aurait-elle reçu du Siège Apostolique comme les églises d'Alexandrie et d'Antioche, une participation solennelle de la prérogative romaine ? Non que je sache.

Si donc cette sublime distinction n'a cependant pas empêché ces deux grands sièges de s'écrouler dans l'hérésie,

 

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comment  oserais-je embrasser d'une manière expresse la solidarité de tout ce qui se ferait dans le sein de l'Église de France ? Je n'adhérerai donc aux actes ecclésiastiques qui ont lieu dans ma patrie, qu'autant qu'ils seront en harmonie avec la direction donnée par le Siège Apostolique ; je redouterai les conséquences de ces actes, dans la proportion de ce que cette harmonie me semblera moins visible; je m'en défierais tout à fait, si je voyais évidemment Rome d'un côté et la France de l'autre. Encore une fois, je ne comprends pas l'Église autrement, et si mon langage manque de courtoisie, je  le  regrette; mais je parle en France, comme je parlerais en Espagne, au Mexique, aux  États-Unis, en un mot partout où les  vraies notions de  la foi et de la discipline existent par le fait, il est vrai, mais non en vertu d'une promesse divine.

Je vous avoue, Monseigneur, que j'ai lu avec peine certains  endroits  de  votre  brochure, dans  lesquels  vous avez cru pouvoir dire que l’ Église de France fut toujours, après l'Église   romaine,  la plus ferme colonne  de l’Église de Jésus-Christ (1) ; qu'aucune autre église, après celle de Rome, ne peut se glorifier d'avoir été protégée d'une manière plus éclatante (2). Ces sortes de rapprochements, dont l'intention, certainement, n'a rien  de mauvais, me semblent peu conformes au respect que nous devons porter à cette Église, Mère et Maîtresse, dont la solidité appuyée sur la parole de Jésus-Christ ne saurait convenablement être mise en parallèle avec la fidélité plus ou moins  constante  de  toute autre église  particulière. Les dons de la miséricorde divine, soit qu'ils s'appliquent aux particuliers, soit qu'ils aient pour but les  nations, semblent bien  plutôt l'objet d'une humble et discrète reconnaissance  qu'un sujet de se  glorifier, surtout en

 

(1)  Page 6.

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présence d'une œuvre aussi divinement imposante que la permanence du Siège Apostolique, dans l'infaillible enseignement de la foi, pour le salut de tout le troupeau de Jésus-Christ.

Pour moi, je crois dans ma simplicité que l'humilité et le silence sur les grâces reçues, disposent davantage le ciel à nous en continuer l'aumône, et quand j'entends des catholiques français, prêtres ou laïques, parler de manière à faire croire qu'il y aurait dans l'Église de France quelque garantie de plus que dans toute autre église, pour la conservation de la foi et de l'unité, je m inquiète et même je ne comprends pas.

Au reste, cette prétention du mérite d'une église particulière au-dessus des autres n'est pas ancienne. Elle a été inconnue à l'antiquité. Longtemps on a dit les églises d'Asie, les églises d'Afrique, les églises des Gaules, etc. ; c'est presque constamment le langage des Pères. Le génie catholique veillait à écarter tout ce qui tendait à nationaliser l'Église dans le sens même le plus inoffensif. Le moyen âge n'eut point d'autre manière de sentir sur ce point ; la France alors donnait des évêques à l'Allemagne, à l'Angleterre, à l'Italie, qui lui en rendaient à leur tour; tant était étroite l'union des provinces de la catholicité, sous le Chef suprême dont l'autorité était alors reconnue de tous, en toutes choses et dans son entier.

Plus tard, les souverainetés modernes se sont constituées, la politique a isolé les nations, et pendant que les frontières se tranchaient de plus en plus, les soi-disant libertés nationales sont venues donner à chaque église une allure plus locale. L'orgueil de pays s'est mis de la partie, et c'est alors que l'on a vu l'Église de France, non contente de formuler ses doctrines positives sur la nature et les applications de la constitution de l'Église et sur les prérogatives du Chef suprême, en venir jusqu'à se créer à elle-même une pratique de la morale chrétienne,

 

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regardant comme en pitié le soi-disant relâchement par le moyen duquel les Alphonse de Liguori, les Léonard de Port-Maurice, les Paul de la Croix, trouvaient le secret de guérir les plaies du péché dans les autres, en s'élevant eux-mêmes au sommet de cette sainteté qui commande aux éléments, et est un des caractères essentiels de l'Église catholique.

Oui, certes, Monseigneur, vous avez bien raison de dire à la gloire de notre Église, que la foi fut apportée dans les Gaules dès les temps apostoliques ; que le sang des martyrs y coula abondamment ; mais je n'oserais pas répéter avec vous ce que vous ajoutez : « Dans quel lieu du monde la doctrine évangélique s'est-elle conservée constamment plus pure, et l'hérésie a-t-elle été plus fortement repoussée (1) ? »

Laissons de côté l'hérétique Vigilance pour un moment, si vous voulez ; ne parlons ni des  terribles convulsions qui signalèrent chez nous le treizième siècle, à  l'époque de l'hérésie des Albigeois, des Vaudois, etc. ; ne remontons pas plus haut que le seizième  siècle, et confessons que si l'Allemagne donna  alors Luther au monde,  la France eut à son tour le malheur de donner naissance à Calvin; que l'hérésie sacramentaire  parvint à s'établir dans notre patrie sur un pied formidable, ainsi que l'attestent ses affreux ravages, et aussi les  larges privilèges qui lui furent accordés par l'Édit de Nantes. Assurément, il y avait alors, en Europe, des royaumes, des états, au sein  desquels la doctrine évangélique se conservait plus pure, et où l’hérésie était plus fortement repoussée.

Bientôt j'aurai à parler du jansénisme, cette lèpre qui nous a travaillés si longtemps ; mais passons plus loin. N'est-ce pas la France qui est apparue comme la citadelle du philosophisme,  au  siècle  dernier ? N'est-ce  pas au

 

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milieu d'elle que s'est dressée l'Encyclopédie, comme une Babel superbe? Notre langue n'est-elle pas allée porter par le monde entier les écrits infâmes de Voltaire et des autres? S'est-il remué quelque doctrine perverse, dans un coin quelconque de l'Europe, que nos efforts directs, ou notre coopération, n'y aient paru avec évidence? Certes, les affreux malheurs qui ont pesé si longtemps sur la France, et qui, peut-être, la menacent encore, sont loin de prouver que notre nation ait fait toujours des magnifiques dons de Dieu un aussi bel usage qu'on voudrait bien nous le dire.

Dans aucun lieu du monde, la doctrine évangélique ne s'est conservée plus pure et l'hérésie n'a été plus fortement repoussée ! Et quand je l'accorderais, malgré l'histoire, est-il possible de se flatter à ce point, lorsque, non plus simplement l'hérésie, mais le scepticisme, mais le panthéisme, mais l'impiété disputent le terrain de toutes parts à la vraie foi ; lorsque les mandements de nos évêques ne cessent de signaler les progrès de l'indifférence et des doctrines funestes ?

L'Église de France n'est donc plus aujourd'hui ce qu'elle a été aux temps anciens; ce serait une illusion et une contradiction que de le soutenir aujourd'hui. Maintenant comment l'or s'est-il obscurci ? Comment les efforts du clergé sont-ils devenus stériles ? Comment l'héritage du Seigneur a-t-il dépéri entre nos mains ? Il est permis, sans doute, de s'interroger sur ce terrible mystère, de rechercher les causes de cet humiliant châtiment, d'étudier le passé pour voir s'il ne renfermerait pas le secret des remèdes du présent. Pour moi, j’ai cru comme bien d'autres, que nous n'étions pas tombés tout d'un coup, mais insensiblement, dans ce malheureux état ; que cette désolante défection, d'une part, cette triste stérilité de l'autre, accusaient dans le passé quelque grande faute. Comme bien d'autres, je l'ai cherchée et j'ai cru la trouver

 

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dans la prépondérance fatale de certaines doctrines d'isolement, qui n'ont que trop prévalu chez nous depuis deux siècles, et dont la liturgie a été l'un des points principaux duplication.

Mais, ô Eglise de France ! je n'ai point eu la pensée, Dieu le sait, de vous humilier dans votre détresse. Mon livre est là pour attester avec quel amour  j'ai  enregistré les noms et les services de ceux de vos pasteurs dont la fidélité a été sans tache, comme les cardinaux de Bissy et de Tencin,  les archevêques Fénelon,  Languet,  Saint-Albin, de Beaumont, de Juigné, etc. ; les  évêques  Belzunce, de Fumel, la Parisière, de Froullay, de la Mothe-d'Orléans, etc. Pour quiconque a lu mon livre, rien n'est plus évident que le témoignage que j'ai rendu à la sainteté des Vincent de Paul, des Olier, des Éveillon, des Gourdan, etc., à la science des  l'Aubespine,  des Hugues Ménard, des du Saussay, des Théophile  Raynaud, des Morin, des Sirmond, des Fronteau, des Guyet, des Thomassin, des Mabillon, des Ruinart, des Honoré de Sainte-Marie, des  Renaudot, des Lebrun, des Grancolas, des Martène, etc. J'ose dire que mon livre est un monument, si humble qu'il soit, à la gloire de tant de grands hommes. Il est vrai, ô Église de  France ! que j'ai donné à entendre que vous  n'êtes ni Mère, ni Maîtresse, mais fille et sujette de l'Église romaine ; que vous n'avez de vie et de lumière qu'autant que  vous la puisez  à cette source unique établie de Dieu ; que des périls vous ont environnée, et que vous avez été blessée dans les combats qui vous furent livrés par des ennemis intérieurs  et extérieurs, mais avec quelle joie aussi j'ai entonné, dans les dernières pages  de ce  livre calomnié, le cantique de votre résurrection, et redit ces coups merveilleux de la main du Très-Haut, par lesquels vous avez été ramenée des portes de la mort, et le progrès de cette convalescence qui fera place bientôt à la vigueur des anciens jours, alors

 

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que vous n'aviez qu'une prière avec l'Église romaine, et que les traditions de sa discipline vous assuraient le triomphe contre tous vos ennemis ! Oui, je l'avoue, je me suis souvenu de cette parole de l'apôtre : Qu'il n'y a en Jésus-Christ ni scythe, ni barbare (1), et je l'ai comprise dans ce sens qu'il n'y a dans l'Église ni Français, ni Allemands, ni Chinois, ni Péruviens ; mais seulement des hommes initiés sans distinction de races, ni de frontières, à la lumière d'une même Foi, à la sanctification des mêmes Sacrements. J'ai pensé, et je pense encore, que si un plus grand honneur devait être attribué à quelqu'une des provinces de la catholicité, ce devrait être uniquement en proportion de sa fécondité à produire des enfants de Dieu, de vrais fidèles, et j'ai vu, ô Église de France ! que, depuis deux siècles, votre sein a cessé d'être aussi fécond, le lait de vos mamelles aussi abondant, la famille qui autrefois se pressait autour de vous aussi nombreuse. Dieu sait d'ailleurs les vœux que je lui adresse pour le retour de votre ancienne gloire ; il sait que mon cœur, s'il a ressenti vos humiliations, n'a point été assez avili pour se complaire à les révéler, et malgré tout ce qu'on a dit, j'ose affirmer que ma plume n'a point fait défaut aux sentiments de mon cœur.

Quelques personnes, en ce siècle, ont fait la remarque que le cœur des catholiques français était devenu plus tendre pour Rome ; que cette Mère commune, qui naguère était pour eux simplement l'objet d'une vénération plus ou moins froide, devenait de jour en jour le centre de plus vives affections ; que les pèlerinages vers cette Cité sainte se multipliaient dans une progression qui nous reportera bientôt aux jours les plus fervents du moyen âge ; que l'amour toujours croissant des fidèles pour le Siège Apostolique s'épanchait sans cesse par les cent bouches

 

(1) Coloss., III, 11.

 

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de la presse, en protestations, en hommages, en vœux, en désirs plus chaleureux les  uns que les autres. Oui, certes, il en est ainsi, et c'est là le grand fait religieux qui s'accomplit aujourd'hui en France; mais, qu'est-ce à dire ? sinon que dans la détresse où se trouve la foi dans notre patrie, nous recourons au foyer de la lumière et de la vie, pour obéir à l'instinct même de la conservation. Ne nous y trompons pas :  si de nobles et  incessantes conquêtes promettent à notre  sainte foi des triomphes pour une époque plus ou moins éloignée, si le mérite des œuvres de l'apostolat auxquelles tant de catholiques français ont trouvé l'admirable secret de concourir, si les vœux incessants qui  montent vers  le Cœur miséricordieux de la Vierge Immaculée doivent, comme il n'en faut pas douter, abréger les jours de l'humiliation  et de l'épreuve ; il n'est pas du tout démontré que cette épreuve et cette humiliation soient encore arrivées au terme que la justice divine a fixé. Hâtons-nous donc de chercher la seule vraie sécurité à l'ombre de la Chaire Apostolique ; aspirons la vie qui nous échappe de toutes parts, en nous rapprochant plus encore  de ce  centre  unique où  elle est immortelle, et renions avec franchise toutes autres maximes, tous autres usages que ceux qui s'accordent avec la pleine et parfaite obéissance dans laquelle nous devons précéder les autres églises, nous Français initiés à la foi par les pontifes romains, dès les premiers siècles, et tout récemment rappelés de la mort à la vie par leur toute-puissante sollicitude.

Aussi, je vous l'avoue, Monseigneur, ai-je regardé comme un des plus graves inconvénients de la position que vous avez prise en attaquant mon livre, la nécessité invincible dans laquelle vous vous êtes trouvé d'essayer, encore une fois, la justification des actes de la trop fameuse Assemblée de 1682. En ce moment encore, les feuilles publiques dévouées au monopole universitaire, ces mêmes

 

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feuilles saturées chaque jour d'impiété et d'immoralité, ces feuilles qui ont eu l'audace de souiller de leurs éloges la brochure que vous avez cru devoir diriger contre moi, réclament en faveur de ce qu'on nomme la Religion de Bossuet ; elles se plaignent avec menaces de ce que le clergé a cessé d'attacher son affection aux maximes et aux libertés nationales de notre église. Pourquoi faut-il que vous hésitiez encore à flétrir cet odieux manifeste des quatre articles, dont vous avouez pourtant qu'il fournit dans la suite des armes et des prétextes aux ennemis de la Foi (1)?

Cette fameuse Déclaration, vous l'appelez malheureuse; car, dites-vous, Monseigneur, elle refroidit l'affection de l'Église romaine pour l'Eglise de France. — Oh! dites plutôt qu'elle refroidit l'affection de l'Église de France pour l'Eglise romaine, qu'elle nous mit sous le joug de la puissance séculière dans les choses spirituelles; qu'elle éleva de notre côté vers Rome, un mur de séparation en deçà duquel l'hérésie janséniste et le philosophisme nous décimèrent cruellement ; qu'elle donna un corps et une consistance légale et positive aux doctrines d'insubordination, desquelles sont sortis le presbytérianisme et le laïcisme, qui se produisirent enfin à l'état d'institution, dans la Constitution civile du Clergé; qu'elle a été le protocole obligé de toutes les révolutions postérieures contre la puissance du Saint-Siège dans les divers états, ayant été colportée par Pereira en Portugal, par Febronius en Allemagne, par Ricci en Toscane, par les prélats adulateurs de Napoléon dans toute la France, et le royaume d'Italie, en 1811, Vous le savez mieux que personne, Monseigneur; car ce fut après qu'on eût scellé les portes de votre cachot, que le Chapitre métropolitain de Paris, ouvrant la scène par un acte trop fameux, dans lequel il

 

(1) Page 21.

 

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désavouait aussi hautement votre noble courage que témérairement il insultait au Pontife prisonnier, on vit paraître sur le Moniteur l'ignoble suite de ces Adresses à l'empereur qui, pour être rédigées dans le but de canoniser à jamais la Déclaration de 1682, n'en sont pas moins demeurées un des plus grands scandales de cette

époque.

Déclaration malheureuse ; car elle refroidit l'affection de l’Église romaine pour l'Eglise de France ! — Non, Monseigneur ; appelons-la plutôt malheureuse, parce qu'elle exposa le dépôt sacré de la foi au danger des nouveautés profanes. En effet, sans parler  de l'autorité des insignes théologiens qui ont déclaré certaines en matière de foi, et approchantes de la foi, les propositions contredites par cette Déclaration, nous apprenons de Benoît XIV que le Saint-Siège, malgré  son attention à s'abstenir de toute note de  censure  contre les quatre articles, a sérieusement songé à condamner la Défense de la Déclaration par Bossuet, ouvrage qui ne renferme que la pure doctrine de 1682, et qu'on n'a sursis à cette flétrissure que par la crainte d'exciter de  nouveaux troubles (1). Bien plus, la  sacrée Pénitencerie  romaine,  ce  tribunal d'une si haute autorité, n'a-t-il pas déclaré dans une décision connue de tout le monde  qu'un prêtre qui  adhère encore à la doctrine de la Déclaration, après les solennels avertissements que le  Saint-Siège a donnés du déplaisir que  lui  cause cette coupable entreprise, ne  peut recevoir  l'absolution  qu'autant qu'il  serait  dans la bonne foi (2).

Déclaration malheureuse ;  car elle refroidit l'affection de l’Église romaine  pour l'Église de France.

 

(1)  Epist. pro Card. Henrico Norisio ad supremum Hispaniae Inquisitorem. Inter opuscula Benedicti XIV, page 117.

(2)  Décision du 27 septembre  1820, citée entre autres dans la Théologie de Monseigneur l'évêque du Mans.

 

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— Non, l'affection de cette Mère tendre ne s'est point refroidie à l'égard de l'Église de France : autrement, qui a donc retenu les foudres aux mains du pieux Pontife Innocent XI ? Qui a donc inspiré tant d'égards à Alexandre VIII, lorsque, sur son lit de mort, il publiait la bulle contre les actes de la célèbre Assemblée ? Qui a donc inspiré à Clément XI des paroles si pleines de charité dans son admirable bref aux évêques de l'Assemblée de 1705 ? Qui a donc fait supporter aux Pontifes romains, durant tout le xvin0 siècle, des évêques comme le cardinal de Noailles, Caylus d'Auxerre, Colbert de Montpellier, François de Lorraine de Bayeux, Soanen de Senez, Bossuet de Troyes, Coislin de Metz, Montazet de Lyon, Loménie de Toulouse, etc. ? Qui a donc inspiré cette affection si tendre, ces encouragements si paternels, ces soins si charitables de Pie VI, envers nos prélats et nos prêtres fidèles, quand le jour de la confession fut arrivé? Et cette condescendance inouïe de l'angélique Pie VII, pour sauver au moins les débris de l'Eglise de France, plus mutilée encore par le schisme que par la persécution, d'où provenait-elle sinon de ce fonds inépuisable d'amour que Dieu a placé au cœur des mères, et qui se retrouve agrandi et purifié au cœur de cette Église Maîtresse, mais qui estime plus cher encore le nom de Mère des autres églises. Oh! qu'il est donc bien plus juste de dire : Déclaration malheureuse ; car elle refroidit l'affection de l'Église de France pour l'Eglise romaine!

Je vous ai suivi sur ce terrain, Monseigneur, parce que vous avez voulu vous y placer, et je le répète, c'était une des nécessités de la situation que vous avez choisie. Permettez encore que je réclame avec la même simplicité sur ce que vous dites plus loin que « l'Assemblée fut guidée  dans ce qu'elle fit par son attachement à la foi, et par son désir de conserver inviolable l'autorité du Saint-Siège. » Et qui sera donc arbitre entre l'Assemblée et

 

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le Saint-Siège, si ce dernier juge que la Déclaration est si peu un monument d'attachement à la foi, de la part de ceux qui l'ont rédigée, qu'il la casse, l'irrite, l'annule, en fait l'objet d'une solennelle protestation devant Dieu (1) ? A ce compte, il faudrait donc dire aussi que le Vénérable Innocent XI, ce Pontife dont le procès de béatification est ouvert, s'y est mépris aussi bien que moi, lorsqu'il appréciait avec tant de sévérité la conduite des prélats de 1682, dans cette lettre si apostolique où il leur disait :

« Vous avez craint, là où il n'y avait pas sujet de craindre. Une seule chose était à craindre pour vous ; c'était qu'on pût avec raison vous accuser, devant Dieu et devant les hommes, d'avoir manqué à votre rang, à votre honneur, à la dette de votre devoir pastoral. Il fallait avoir en mémoire les exemples de constance et de force épiscopales que ces anciens et très saints évêques, imités par beaucoup d'autres, en chaque siècle, ont, en semblable circonstance, donnés pour votre instruction............ Qui d'entre vous a osé plaider devant le Roi une cause si grave, si juste et si sacrée ? Cependant vos prédécesseurs, dans un péril semblable, la défendirent plus d'une fois, cette cause, avec liberté, auprès des anciens Rois de France, et même auprès de celui-ci, et ils  se retirèrent victorieux de la présence du Roi, rapportant de la part de ce Roi très équitable la récompense du devoir  pastoral vigoureusement  accompli. Qui d'entre vous est descendu dans l'arène pour s'opposer comme un mur en faveur de la maison d'Israël ? Qui a seulement prononcé un mot qui rappelât le souvenir de l'antique liberté ? Cependant, ils ont crié, eux, les gens du Roi, et dans une mauvaise cause, pour le droit royal ; tandis  que vous, quand il s'est agi de la

 

(1) Voyez la bulle Inter multiplices d'Alexandre VIII.

 

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meilleure des causes, de l'honneur du Christ, vous avez gardé le silence (1) ! »

Pour en finir sur cette matière, je crois nécessaire de rappeler ici les dernières paroles de la lettre par laquelle les prélats de l'Assemblée adressaient à leurs collègues la fameuse Déclaration. Il est salutaire de considérer de temps en temps certains faits et d'en peser la portée : autrement, on court le risque de les oublier... Donc, les prélats disaient : « A l'exemple des Pères du premier concile de Constantinople, écrivant aux évêques du synode de Rome, pour leur faire passer les actes de ce concile, nous prions votre fraternité et votre piété, Révérendissimes Évêques, de se féliciter avec nous des mesures au moyen desquelles se conservera à jamais intacte la paix de l'Eglise gallicane; en sorte que n'ayant qu'un même sentiment avec nous, vous fassiez efficacement recevoir, chacun dans vos églises, et aussi dans les universités et écoles soumises à votre charge pastorale, la doctrine que nous avons cru, d'un commun accord, devoir publier, en sorte que rien de contraire à cette doctrine ne soit enseigné. De là il adviendra que de même que,

 

(1) Timuistis ergo ubi non erat timor. Id unum timendum vobis erat, ne apud Deum, hominesque redargui jure possetis, loco atque honori vestro, et pastoralis officii debito defuisse. Memoria vobis repetenda erat quae antiqui illi sanctissimi Praesules, quos quam plurimi postea qualibet œtate sunt imitati,  episcopalis constantia: et  fortitudinis exempla, in hujusmodi casibus, ad vestram eruditionem ediderunt..... Ecquis vestrum tam gravem, tam justam causam, tam sacrosanctam oravit apud Regera ? Cum tamen praedecessores vestri eam in simili periculo constitutam non semel apud superiores Gallite Reges, imo apud hune ipsum libera voce defenderint, victoresque a regio conspectu discesserint, relatis etiam ab œquissimo Rege praemiis pastoralis officii strenue impleti? Quis vestrum in arenam descendit, ut opponeret murum pro domo Israël ? Quis vel unam vocem emisit memorem pristinae libertatis? Clamaverunt interim sicut scribitis, et quidem in mala causa, pro regio jure, clamaverunt Regis administri; cum vos in optima, pro Christi honore, sileretis. Bref du 11 avril 1682.

 

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par le consentement des Pères du synode de  Rome, le concile de Constantinople est devenu universel et œcuménique, ainsi, par  notre  commun  sentiment, notre Assemblée deviendra le concile national du  royaume entier ; et les articles de doctrine que nous Vous envoyons, seront les canons de l'Église gallicane, vénérables aux fidèles et immortels à jamais (1). »

Voilà, Monseigneur, dans ce passage bien authentique d'une Lettre synodale rédigée par Bossuet, voilà l'intention  finale  de  l'Assemblée de 1682. Constituer  pour l'Église de France une doctrine nationale que les évêques maintiendront, à l'exclusion de toute autre qui lui serait contraire;  une doctrine impérissable, qui  s'enseignera dans les églises, aussi bien que dans les universités, et qui sera proposée à  la vénération des fidèles. Or, comme les sociétés vivent par les doctrines,  et que les doctrines se produisent dans les institutions, nous avons dans la  Déclaration la raison  première  d'un nombre considérable  d'actes  ecclésiastiques depuis 1682, mais surtout de ce grand fait de la suppression de la Liturgie romaine, et de son remplacement par  de  nouvelles liturgies purement nationales. C'est pour cela, Monseigneur,

 

(1) Rogamus  porro  fraternitatem pietatemque vestram, reverendissimi praesules, ut quondam  Concilii  Constantinopolitani primi  patres rogabant Romanae synodi  episcopos, ad quos synodalia sua gesta mittebant;  ut  de iis, quœ  ad  Ecclesiae Gallicanea perpetuo sartam tectam conservandam  pacem explicuimus, nobis congratulemini ; et idem nobiscum sentientes, eam, quam communi consilio divulgandam esse censuimus, doctrinam in vestris singuli ecclesiis,  atque etiam universitatibus et scholis vestrae pastorali curae commissis, aut apud vestras diœceses constitutis, ita procuretis admitti, ut  nihil unquam ipsi contrarium doceatur. Sic eveniet ut quemadmodum, Romana; synodi patrum consensione, Constantinopolitana universalis et œcumenica synodus effecta est, ita et communi  nostrum omnium sententia noster Consessus fiat Nationale totius regni Concilium; et quos ad vos mittimus doctrinae nostrœ articuli, fidelibus venerandi et nunquam intermorituri Ecclesiae Gallicans canones evadant. Œuvres de Bossuet, tome VII, page 255.

 

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que, dans la défense de celles-ci, vous êtes contraint de faire entrer l'apologie de la célèbre Assemblée ; comme moi-même, pour établir les causes d'une si grande révolution, j'ai dû remonter jusqu'à ce fait qui me semble avoir eu la haute influence dans tout ce qui s'est accompli depuis. Mais j'en ai assez dit sur cette partie du vaste réquisitoire que vous avez dirigé contre mon livre : je passe à des accusations d'une nature plus sérieuse.

Vous m'accusez, Monseigneur, d'avoir voulu faire peser sur l'Église de France la note d'hérésie, et de toutes parts cette assertion se répète sur votre parole. Examinons ensemble la vérité du fait.

D'abord, quand j'aurais eu la maladresse de tomber dans une erreur historique aussi grave, ce serait un malheur pour moi, sans doute; mais, grâce à Dieu, l'orthodoxie proprement dite de mon livre n'en souffrirait aucune atteinte. La conservation de la foi en France, à telle ou telle époque, n'est qu'un fait, et non un droit. L'Église de Rome est la seule dont la foi repose sur les promesses, et j'entends souvent la voix de nos évêques dans leurs mandements, de nos prêtres dans leurs prédications, rappeler aux fidèles que le don précieux de la Foi peut être enlevé à une nation et transféré à une autre. Si donc, à aucune époque, cette semence précieuse n'a été arrachée de notre sol, bien que depuis longtemps elle n'y développe plus sa fécondité première, l'historien doit raconter les causes de cette stérilité partielle, et faire ressortir, avec actions de grâces, les prodiges de la miséricorde divine à laquelle, dit le prophète, nous devons de n'avoir pas été consumés (1). C'est ce que j'ai voulu faire.

Cela posé, j'en viens au fait. Or, vos raisons, Monseigneur, pour prouver que j'ai  accusé d'hérésie l'Église : de France, sont au  nombre de trois :  1° Un syllogisme :

 

(1) Jerem. Thren., III, 22.

 

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plus ou moins rigoureux que j'aurais dirigé contre la foi de l'Église de France; 2° la création d'une nouvelle hérésie dite antiliturgique, que j'ai fabriquée tout exprès pour l'adapter à l'Église de France; 3° deux propositions hérétiques que j'ai prétendu relever dans le Bréviaire de Paris, et qui ne s'y trouvent pas. Vous voyez, Monseigneur, que je ne dissimule pas vos accusations : discutons-les, s'il vous plaît, en commençant par le fameux syllogisme.

I. Vous dites donc, Monseigneur : « L'accusation d'hérésie intentée par Dom Guéranger contre  l'Eglise de  France, comme je  l'ai dit, est expresse; rien n'y manque; il la prouve par un argument en forme. Voici la majeure : Le jansénisme est pour jamais inauguré au dictionnaire des hérésies. (Tome II, préface, page X). Nous sommes bien loin de le contester. Écoutez la mineure :  Le jansénisme a été le protestantisme  de notre pays, le seul qui  ait  su se faire accepter. (Ibid., page IX.) Cela est-il clair? Il ne faut pas être fort habile pour tirer la conclusion. L'Église de France est donc hérétique, puisqu'elle a accepté une hérésie, celle de Jansénius (1).  »

Voilà, j'en conviens, un syllogisme assez brutal et dont l'auteur  a eu évidemment  en  vue d'accuser  d'hérésie l'Église de France. Mais, Monseigneur, qui l'a fabriqué, ce syllogisme? Est-ce vous ou moi? Quant à moi, je le renie, pour deux raisons : la première, parce qu'il n'est pas plus dans mon livre que dans ma tête; la seconde, parce qu'il n'est pas en forme.

1° Ce syllogisme n'est pas dans mon livre. Non, Monseigneur, il ne suffit pas, dans  une discussion, quand on veut réfuter un adversaire, d'aller prendre çà et là dans son livre des phrases qu'on range ensuite dans un

 

(1) Page 35.

 

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rapport arbitraire, pour leur faire dire tout ce qu'on veut. La phrase qui sert de majeure au syllogisme, et celle qui sert de mineure, loin d'être alléguées par moi dans le rapport que la brochure leur attribue, n'appartiennent pas même à une même page. Après avoir pris la majeure à la page X, on a été contraint, pour trouver une mineure, de remonter à la page IX, et quant à la conséquence, où l'a-t-on prise ? Assurément ce n'est pas dans mon livre. La proposition contradictoire y est exprimée si souvent et en tant de manières, qu'il faut ne m'avoir pas lu pour s'imaginer le contraire un seul instant.

Je reprends donc le syllogisme.

MAJEURE. Le jansénisme est pour jamais inauguré au dictionnaire des hérésies.

Oui, j'ai dit cela, et c'est pour moi une profession de foi que de le répéter.

MINEURE. Le jansénisme a été le protestantisme de notre pays, le seul qui ait su se faire accepter.

Oui, encore, j'ai dit cela et je le répète. D'abord, personne n'ignore le rapport des dogmes de Jansénius ] avec ceux de Luther et de Calvin. Quant au fait de la présence du jansénisme en France, pendant un siècle ets plus, il ne peut y avoir à le contester que ceux qui n'auraient pas connaissance des efforts continuels des deux puissances pour l'extirper; efforts stériles, qui n'ont servi qu'à constater plus évidemment la prépondérance qu'avait obtenue, dans notre pays, une secte qui a constamment compté plusieurs représentants avoués dans l'épiscopat, des milliers d'adhérents dans le clergé du second ordre et les corporations religieuses, enfin un nombre proportionné de laïques dévoués ; une secte soutenue avec intrépidité par les diverses Cours de justice du royaume, et principalement par le Parlement de Paris, environnée dans l'opinion publique de cette faveur qui manque rarement de s'attacher à ceux qui  lèvent d'une

 

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manière quelconque l'étendard de l'indépendance, surtout quand ils ont à leur disposition la triple influence de la puissance matérielle, du mérite littéraire et de la richesse ; une secte enfin qui, dans un  siècle, a produit pour sa défense et sa propagation, environ  deux mille  volumes imprimés  en  langue française,  malgré  la censure,  ou souvent  avec  la  connivence des censeurs  eux-mêmes, sans parler d'un déluge de pamphlets, satires, chansons, et d'un  journal arrivé à sa  soixante-quinzième année, en dépit des mesures et des arrêts de la police. En vérité, si,  après tout cela,  il n'est pas permis de dire que le jansénisme avait pris pied en France, je n'y comprends plus rien. On ne saurait nier assurément que le philosophisme à son tour n'ait réussi à se faire accepter en notre pays, qui peut bien être considéré comme  sa seconde patrie : dira-t-on que les faits par lesquels on le démontre sont  d'une nature différente  de ceux que  je viens de rappeler au sujet du jansénisme?

CONSEQUENCE. L'Église de France est donc hérétique.

Je le répète, cette proposition n'est point dans mon livre, et même le contraire y est en toutes lettres d'un bout à l'autre, puisque je traite partout l'Église de France comme une église catholique. L'auteur de la brochure l'a senti, et aussi  il s'est bien gardé de citer une page en particulier; il donne cette conclusion comme si évidemment incluse dans  les prémisses,  qu'un homme peu habile d'ailleurs l'en peut extraire à volonté. Malheureusement, je crois  qu'il en est tout  autrement, et je  vais prouver que le fameux syllogisme n'est point en forme, précisément par le fait de la malencontreuse conclusion qu'on lui impose.

2° Un syllogisme, en effet, n'est pas en forme, quand la conséquence n'est pas contenue dans les prémisses; or, la conséquence du syllogisme qui m'est attribué dans la brochure qui porte le nom de Monseigneur l'archevêque

 

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de Toulouse, n'est pas contenue dans les prémisses, et de plus, le conséquent lui-même n'y est pas inclus davantage. En effet, voici une troisième fois ce syllogisme sous les yeux du lecteur.

MAJEURE. Le jansénisme est pour jamais inauguré au dictionnaire des hérésies.

MINEURE. Or, le jansénisme a été le protestantisme de notre pays, le seul qui ait su se faire accepter.

Donc..... devra conclure tout logicien, habile ou non, donc, il y a eu des jansénistes plus ou moins nombreux dans notre pays.

Pas du tout, on voudrait conclure de cette façon : Donc, l'Église de France est hérétique.

Mais cette conclusion ne serait légitime que dans le cas où le mot notre pays, qui signifie une circonscription territoriale au sein de laquelle peuvent vivre les individus les plus opposés en fait de croyances religieuses, serait identique à cet autre mot l'Église de France, qui représente, au contraire, une société spirituelle unie dans la croyance des mêmes dogmes et dans l'obéissance à la même hiérarchie. Or, qui ne voit que ces deux dénominations sont totalement distinctes, et que l'Église d'un pays, pour exister et pour n'être pas hérétique, n'a aucunement besoin d'occuper matériellement toute la superficie de ce pays? Autrement, quand on dit : L'anglicanisme est le protestantisme de l’Angleterre, et s'est fait accepter dans ce pays, on serait aussi en droit de conclure : Donc l'Église catholique qui est en Angleterre est hérétique. Qui voudrait jamais tirer une aussi étrange conclusion ?

En second lieu, pour que la conséquence que l'on m'impute dans la brochure fût légitime, il faudrait encore que la mineure renfermât ce qu'elle ne renferme pas plus que le livre lui-même. Il faudrait qu'en disant : le jansénisme a été le protestantisme de notre pays, j'eusse voulu

 

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dire et exprimer en effet que ce protestantisme de notre pays avait tellement envahi la France, qu'il ne restât pas un lieu libre de son influence. Ai-je dit cela, explicitement ou implicitement ? Il faudrait qu'en disant que le jansénisme a été le seul protestantisme qui ait su se faire accepter dans notre pays, j'eusse voulu dire et exprimer en effet que son envahissement a été tel que, moralement parlant, nul homme, clerc ni laïque, n'a su s'y soustraire. Ai-je dit cela, explicitement ou implicitement? Non, mille fois non. Le syllogisme par lequel on s'est chargé de rendre ma pensée au public, n'est donc pas en forme, et je n'en suis pas responsable.

C'est pourquoi, Monseigneur, je crois que vous n'êtes nullement fondé à ajouter les phrases qui suivent. Je les transcris ici pour nos lecteurs.

« Pour expliquer mieux sa pensée, Dom Guéranger nous dit que le jansénisme est le protestantisme de notre pays, c'est-à-dire que nous l'avons accepté en France, comme on a accepté le protestantisme en Angleterre, en Prusse, en Danemark. L'Église gallicane est janséniste comme les églises de ces royaumes sont protestantes. Rien de plus positif que cette accusation. »

Non, Monseigneur, rien de moins positif que cette accusation. Je viens de montrer qu'en bonne logique on ne pouvait me l'attribuer; quant au fait en lui-même, l'énumération des personnages catholiques appartenant à la France, que j'ai donnée tout à l'heure, comme extraite de mon livre, suffit à prouver combien je suis loin d'avoir prétendu que l'Église de France fût tombée en masse dans l'hérésie.

En terminant cette discussion sur le fameux syllogisme, j'ajouterai encore un mot pour repousser une imputation non moins injuste lancée contre moi dans ces paroles de la brochure : « Peut-on excuser de témérité, y est-il dit, un  prêtre,  un  religieux  qui accuse la  plupart  des

 

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catholiques français d'être dans une déviation universelle relativement à la doctrine (1) ? » D'abord, Monseigneur, je ne parle pas m présent, mais bien au passé dans la phrase à laquelle la brochure fait allusion. Voici cette phrase : « La déviation était universelle dans les doctrines admises par la plupart des catholiques français (2). S'il y avait là une injure, elle ne serait pas du moins pour les contemporains.

En second lieu, je ne dis pas la doctrine, mais bien les doctrines; ce qui est fort différent : le mot doctrine au singulier ne pouvant s'entendre en matière religieuse que de la foi elle-même; tandis que, par les doctrines au pluriel, on peut entendre, dans le langage ordinaire, mais surtout avec le contexte, des principes et des maximes d'une importance moins capitale. On dit les doctrines romaines, pour exprimer les principes du Saint-Siège opposés à la Déclaration de 1682 qui renferme les doctrines gallicanes.

En troisième lieu, le mot catholiques, appliqué aux Français dont je parle, montre bien assez clairement par lui-même qu'il n'est point ici question d'hérésie; puisque le premier effet de l’hérésie est de faire perdre à celui qui la professe le nom et la qualité de catholique.

En quatrième lieu, que cette déviation à l'égard des maximes romaines ait été presque universelle en France au XVIII° siècle, c'est ce qu'attestent les actes des Assemblées du Clergé, les ouvrages de théologie et de droit canonique, les arrêts des Cours de justice, lesquels forment tout ensemble, pour cette époque, la plus solennelle et la plus constante profession delà doctrine de 1682. On ne citerait peut-être pas dix volumes écrits en France, au XVIII° siècle, dans lesquels on ait osé enseigner ce qu'on

 

(1)  Page 13.

(2)  Institutions liturgiques, tome II, page 342.

 

appelait les doctrines ultramontaines. Or, c'est là tout simplement le sens de mon texte, comme il appert, non seulement de la grammaire, mais de ce qui précède et de ce qui suit. Une lecture plus attentive et plus bienveillante m'eût donc épargné cette nouvelle imputation.

II. Je passe maintenant à mon second grief contre l'orthodoxie de l'Église de France.

Vous dites, Monseigneur, que j'ai imaginé une hérésie de ma façon, qu'il m'a plu d'appeler l’hérésie antiliturgique, tout exprès pour pouvoir l'appliquer à l'Église de France, et vous demandez en quel lieu de la France on enseigne une hérésie de cette nature (1) ?

A cela je réponds que je n'ai point imaginé d'hérésie dans un but odieux à l'Église de France, pas plus que je n'ai signalé tel ou tel lieu de la France où s'enseigne cette hérésie. Après tout, quand l'erreur que j'ai dénoncée aurait ses apôtres directs en France, y aurait-il beaucoup lieu de s'en étonner, inondés que nous sommes de toutes sortes de prédicateurs d'impiétés et d'hérésies, dans notre malheureux pays? Je dirai même plus; il s'enseigne pis que l'hérésie antiliturgique : vous savez mieux que moi, Monseigneur, que M. Catien Arnoult (2), n'en est plus là.

Mais venons au fait. Comme il est reconnu de tout le monde, et vous le savez mieux que moi, Monseigneur, que le cercle des erreurs possibles contre la révélation chrétienne est borné, en sorte que l'on peut ramener à un petit nombre de systèmes hétérodoxes, à quelques erreurs-mères, toutes les hérésies, sans exception, qui ont cherché à souiller et à anéantir la doctrine catholique, les théologiens ont cherché à assigner ces points principaux de la doctrine hérétique, afin  de  rendre  plus lumineuse la

 

(1)  Pages 36 et 37.

(2)  Professeur de Faculté à Toulouse.

 

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marche de l'enseignement et plus victorieuse la polémique qu'ils dirigent contre les hétérodoxes.

Ainsi a-t-on reconnu les caractères de l'hérésie panthéiste, bien qu'ils l'aient professée à divers degrés, chez les valentiniens et autres sectaires des deux premiers siècles, dont le système tendait plus ou moins à l'identification des substances; chez les eutychiens, qui enseignaient que, dans le Verbe incarné, la nature humaine a été absorbée dans la nature divine; chez les jansénistes, qui prétendaient que l'opération divine sur les actions bonnes de l'homme était absolue et sans aucun concours de la liberté d'indifférence ; chez les quiétistes, qui soutenaient que l'homme parfait arrivait à une telle union avec la substance divine, qu'il devait suspendre, comme imparfait, tout acte propre, même vertueux, et réputer comme indifférent tout acte mauvais.

Ainsi a-t-on reconnu les caractères de l'hérésie dualiste, non seulement dans le manichéisme, qui reconnaît deux principes indépendants, l'un bon, l'autre mauvais; mais aussi dans le nestorianisme, qui divise en deux personnes la personne du Verbe incarné; dans le système qui, non content de la distinction essentielle des deux puissances, les déclare absolument indépendantes l'une de l'autre dans tous les cas (1); dans le jansénisme avec son système de la double délectation, au moyen de laquelle l'homme devient tour à tour, et sans le concours de sa volonté proprement dite, le jouet de Satan, ou l'organe de Dieu.

Ainsi a-t-on reconnu l'hérésie rationaliste ou le système de l'indépendance de la raison, dans le mouvement théologique imprimé par Luther, mais surtout par Calvin, au seizième siècle, et poussé aujourd'hui jusqu'à ses dernières conséquences chez les protestants d'Allemagne; dans le socinianisme  qui, s'attaquant de front à la divinité  de

 

(1) Voir la Bulle Unam Sanctam, au Corps du Droit.

 

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Jésus-Christ, montra dès l'abord que tous les autres dogmes chrétiens ne lui tenaient pas davantage à cœur; dans l'hermésianisme qui, de nos jours, tout en laissant subsister en apparence la confession de foi catholique, la mine sourdement par une doctrine diamétralement opposée à l'essence de la foi.

Je pourrais pousser beaucoup plus loin cette énumération des erreurs-mères, et d'autant plus qu'elles ont elles-mêmes produit des subdivisions plus ou moins fécondes; mais ce que je viens de rappeler suffira, je pense, à expliquer comment j'ai pu songer à ramener à un même principe les diverses manifestations, qu'on rencontre à travers les siècles, d'un esprit frondeur et diamétralement opposé aux formes du culte divin. J'ai donné à cette tendance le nom d’antiliturgisme, et je la définirais volontiers : « Un désir de s'affranchir de la servitude extérieure qu'imposent les pratiques du culte liturgique, en tant que traditionnelles, mystérieuses et imposées

par une autorité supérieure. »

Or, il est certain que, de même qu'on trouve dans certaines hérésies des éléments provenant soit du panthéisme, soit du dualisme, soit du rationalisme, etc., on trouve aussi dans divers systèmes d'erreurs, à différents degrés, la tendance que je viens de signaler.

Il est certain que l'Orient, moins sec, moins froid que l'Occident, n'a pas connu autant que les peuples occidentaux cette action du rationalisme pratique. Chez les races sémitiques, les hérétiques comme les catholiques gardent les formes du culte traditionnel avec une fidélité sans bornes, tandis que les peuples occidentaux, de même que dans leurs systèmes d'erreurs ils se montrent généralement incroyants, portent avec plus de peine le joug du service extérieur de la liturgie. J'ai cité Vigilance comme le point de départ de cette tendance parmi nous, et c'est à tort qu'on prétendrait qu'il

 

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n'attaque que l’objet de la liturgie et non la liturgie même (1). Quand, par exemple, il poursuit de ses sarcasmes la coutume liturgique d'allumer dans l'église des cierges en plein jour ; c'est bien assurément à la forme qu'il s'en prend. Je dirai de plus, mais sans y attacher d'importance, que cet hérésiarque était né dans les Gaules, et peut être réputé Gaulois, quoique ses ancêtres aient été originairement des barbares transplantés d'Espagne en deçà des Pyrénées par Pompée, quelque trois cents ans avant la naissance de Vigilance (2) ; lequel étant déjà prêtre en 394, devait, quoiqu'on en dise, appartenir par sa naissance au quatrième siècle et non au cinquième. Mais laissons ces légères chicanes, et continuons.

Il est certain encore que les divers principes d'erreurs qui se combinent dans chaque système général d'hérésie, n'y entrent pas tous au même degré. Ainsi l'hérésie antiliturgique, pleinement appliquée dans le calvinisme, ne reçoit pas tous ses développements dans le jansénisme; puisque cette dernière hérésie ayant pour principe constitutif de feindre l'union avec l'Église, ne peut pas rompre ouvertement avec elle sur tous les points du culte extérieur. Son système est d'affaiblir, de miner, de pousser à une transformation insensible vers le calvinisme dont elle est sortie et qui doit l'absorber tôt ou tard. Je crois avoir suffisamment fait sentir ces diverses nuances dans mon second volume, lorsque j'ai eu à appliquer les caractères de l'hérésie antiliturgique déterminés dans le XIV° chapitre du premier volume.

Cela posé, et laissant bien volontiers à votre jugement, Monseigneur, la question de savoir si, métaphysiquement, j'ai eu raison, ou non, d'abstraire en cette manière les caractères d'une tendance perverse qui s'est fait remarquer

 

(1)  Page 37.

(2)  Page 39.

 

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dans la plupart des phénomènes hérétiques de l'Occident, durant une longue suite de siècles, j'en viens à la plus grave partie de votre accusation. C'est que, non content d'avoir forgé une nouvelle hérésie, je me suis avisé de l'appliquer à l'Église de France, afin de ranger tout doucement les évêques de ce pays au nombre des hérétiques (1).

J'avoue que je ne m'étais pas encore aperçu de ce résultat. En effet, pour qu'il fût de nature à m'être imputé, il faudrait que j'eusse dit quelque part dans mon livre que les évêques de France ont professé ou professent l'hérésie antiliturgique. Où trouvez-vous cela dans mon livre, Monseigneur, dites-le moi, de grâce !

Oui, il est bien vrai que j'ai écrit que les livres de la liturgie parisienne de 1736, qui se sont étendus depuis à un grand nombre de diocèses, ont eu pour rédacteurs des hommes appartenant à ce calvinisme mitigé qu'on appelle l'hérésie janséniste. Il est bien vrai que j'ai signalé dans leur œuvre les caractères de l'anti-liturgisme qu'ils ont imprimés à tout ce qu'ils ont produit; mais il est complètement faux que j'aie imputé indistinctement aux évêques qui ont eu le malheur de propager ces livres, la note quelconque d'hérésie, antiliturgique ou autre. Ceux qui ont lu attentivement mon livre, savent que, de ces trois assertions, la dernière n'est pas moins fondée que les deux premières : mais reprenons-les toutes les trois, le livre en main.

Il est bien vrai que j'ai écrit que les livres de la liturgie parisienne de ijS6, ont eu pour rédacteurs des hommes appartenant au jansénisme. Or, cette assertion, je l'ai démontrée par les faits; j'attends encore la réfutation de ces faits. En attendant, je vais placer ici un choix d'autorités propres à éclairer la matière.

 

(1) Page 36.

 

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La première autorité que j'alléguerai sera celle de Charles de Vintimille lui-même. Que signifient les cartons qu'il fit mettre au nombre d'environ cinquante dans la seconde édition de son bréviaire, dès 1736, si ce n'est qu'il reconnaissait fondées les réclamations des catholiques parmi lesquels on comptait jusqu'à deux de ses grands vicaires, des curés respectables, les directeurs des séminaires de Saint-Sulpice et de Saint-Nicolas du Chardonnet (1) ? Que signifie l'étrange précaution que prend le prélat dans la lettre pastorale pour la publication du nouveau missel, deux ans après le bréviaire, lorsqu'il dit à son clergé : « Nous pouvons affirmer que les vérités du dogme catholique exprimées dans les anciennes oraisons, ont été religieusement conservées par nous dans toute leur intégrité et inviolabilité (2) ? » Quel motif de se justifier ainsi du soupçon d'avoir altéré le dogme catholique, si ce n'est la rumeur qui s'était élevée au sein de l'Église de Paris, lorsqu'elle avait vu ses livres de prières livrés aux mains des hérétiques, et soumis ensuite à une humiliante expurgation ?

Je citerai encore un nouveau témoignage de la gravité des circonstances qui accompagnèrent la publication du Bréviaire de Paris de 1736. C'est une lettre du cardinal de Fleury, au cardinal Quirini, évêque de Brescia, en date du 22 juillet iy'36. « A l'égard d'un exemplaire du Bréviaire de Paris, dit ce premier ministre du Roi de France, j'en enverrai volontiers à Votre Éminence un exemplaire, quand l'édition en sera achevée avec les cartons qu'on y a mis; car on n'en vend plus des anciens, tels qu'ils avaient paru il y a trois ou quatre

 

(1) L'Ami de la Religion, tome XXVI.

(2) Veritates catholici dogmatis quas precationes illœ ferebant affirmare possumus illœsas a nobis inviolatasque magna esse religione servatas.

 

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mois. Mais vous trouverez bon que je ne vous l'envoie pas sous mon nom, ne voulant pas que M. l'archevêque de Paris croie que j'en adresse un au bibliothécaire du Vatican. Je n'en ai rien lu, mais je sais qu'on en a fait de fort mauvaises relations à Rome, et je ne puis que suspendre mon jugement jusqu'à ce que je l'aie examiné par moi-même, ou que quelque personne assurée m'en ait dit son sentiment. M. l'archevêque de Paris est fort jaloux de son ouvrage, et je me suis contenté jusqu'ici de toutes les observations qu'on m'avait envoyées (1).  »

En attendant, voici le jugement non suspect que portait sur le bréviaire le trop fameux Colbert, évêque de Montpellier, écrivant, sous la date du 9 mars 1736, à son célèbre ami Caylus, évêque d'Auxerre : « On me dit beaucoup de bien du Bréviaire de Paris. Si mon Chapitre me le demande, je l'adopterai pour mon diocèse. La vérité ne peut être sans témoignage dans l'Église. Un homme d'esprit de cette ville compare M. l'archevêque de Paris au prophète Balaam, qui était appelé pour maudire et que Dieu força de bénir le peuple d'Israël (2).  »

J'ai raconté ailleurs comment, au milieu de la jubilation que causait aux jansénistes la faveur inespérée qu'on leur accordait, le saint et orthodoxe évêque de Marseille, Belzunce, s'affligeait et recommandait l'Église de Paris aux prières de ses diocésains. Voici, dans une autre lettre de Colbert, en date du 21 août 1706, une allusion à cette courageuse et apostolique protestation : « M. de Marseille a fait un mandement où il attaque le Bréviaire de Paris sans le nommer. Pour couvrir son jeu, il a demandé au

 

(1)  Commentarii de rebus pertinentibus  ad Ang. Mar. S. R. E. cardinalem Quirinum. Pars secunda, lib. II., pag. 293.

(2) Lettres  de  messire  Charles-Joachim  Colbert,  évêque  de  Montpellier. Édition in-12, tom. IV, page 342.

 

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Pape une indulgence en faveur de ses diocésains qui réciteront le Sub tuum prœsidium et l’ Ave maris Stella, tel qu'il est dans le Bréviaire romain approuvé par le Saint-Siège. La publication de l'indulgence fait le sujet du mandement, et donne lieu à l'auteur de déclamer contre les novateurs (1). »

Le pieux, savant et vigoureux Languet, archevêque de Sens, le marteau du jansénisme, dans son troisième mandement contre le Missel de Bossuet, évêque de Troyes, en mai 1708, s'exprime en ces termes sur la coopération récente des hérétiques à la rédaction des livres de la liturgie : « Que si, dans un nouveau bréviaire, quelqu'un affectait de composer des antiennes avec les textes obscurs de l'Écriture, dans lesquels les hérétiques vont puiser les objections que les théologiens réfutent, l'artisan d'un tel bréviaire ne mériterait-il pas d'être repris? Et, dans ce royaume, combien de bréviaires, sans en excepter le nôtre, dans lesquels cette misérable affectation s'est glissée (2) !  »

Le bruit de ces scandales s'étant répandu jusqu'en Italie, le docte Catalano, dans son célèbre Commentaire du Pontifical romain, laissait exhaler sa douleur dans les termes que je vais transcrire : « Sur l'autorité du Bréviaire romain, dit-il, on pourrait ajouter encore plusieurs témoignages, au moyen desquels on serait à même de montrer abondamment quelle a été récemment l'insigne audace et insolence de certains évêques qui, sans consulter le Pontife romain, ont non seulement changé ce bréviaire, mais l'ont souillé, et ont donné aux hérétiques l'occasion d'établir leurs sentiments pervers (3). »

 

(1)  Lettres de messire Charles-Joachim Colbert, évêque de Montpellier. Edit. in-12, tom. IV, page 384,

(2)  Langueti opp. Tom. II, page 1376.

(3)  Jam  prasertim pro  auctoritate Breviarii romani plura  possent afferri  testimonia  quibus  abunde ostendi  posset, quanta  fuerit nuper quorumdam episcoporum insignis audacia atque insolentia, dum illud inconsulto Romano Pontifice, non  modo immutarunt, sed et fœdarunt, hœreticisque ansam dederunt constabiliendi suas pravas sententias. Commentar. in Pontific. Rom. Tom. I, p. 189.

 

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Vient ensuite Benoît XIV, qui, dans son traité de la Canonisation des Saints, fait voir qu'il n'ignorait pas non plus l'affaire des cartons, et la nature des inconvénients qui les avaient rendus nécessaires : « Il semble qu'on peut affirmer, dit-il, que le parti le plus sûr serait que ceux même des évêques qui pensent, après la bulle de Pie V, pouvoir ajouter et changer quelque chose au bréviaire, ou publier un nouveau bréviaire, demandassent préalablement le sentiment du Siège Apostolique; attendu qu'il est démontré par l'expérience que des erreurs contraires à la saine doctrine se sont glissées dans plusieurs des bréviaires ainsi publiés, moins peut-être par la faute de ces évêques, que par celle d'autrui; en sorte qu'il est devenu nécessaire de prohiber ces bréviaires après la publication, ou d'en ordonner la correction (1). »

Si nous rentrons en France, nous trouvons le courageux et éloquent Père Hongnant, l'un des rédacteurs du Journal de Trévoux, qui prêta sa voix éloquente aux réclamations des catholiques. J'ai cité sa seconde Lettre en entier. Dans la troisième, qui n'est pas moins intéressante, l'auteur s'exprime ainsi sur le Bréviaire de Paris : « Tous les artifices qu'on devrait mettre en œuvre, si Ton avait résolu de composer un bréviaire en faveur de Quesnel, et contre la bulle,  vous les voyez employés

 

 (1) Quod autem videtur asseri posse, est, tutius esse, ut etiam episcopi, qui putant, se post bullam Pii V, posse aliquid addere, vel immutare in breviario, aut novum breviarium edere, praevium Sedis Apostolicœ judicium requirant; cura experientia teste in nonnulla breviaria ab ipsis édita errores aliquando irrepserint sanae doctrinœ adversantes, non ipsorum fortasse, sed aliorum culpa, ita ut opus fuerit vel edita breviaria prohibere, vel eorum correctionem demandare. Lib. IV, vart, II, cap. XIII. 6.

 

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par nos réformateurs avec tout l'art dont ils sont capables. Suppression affectée de presque tous les endroits de l'Écriture et des Pères qui déposent le plus clairement contre les erreurs nouvelles; substitution adroite de textes qui semblent les favoriser, empruntés des anciens hérétiques, cités de nouveau dans les Hexaples en faveur des propositions condamnées ; altération grossière de l'Écriture et des Pères si indécemment défigurés, qu'à peine peut-on les reconnaître; affectation marquée dans le choix et la fabrique des homélies et des canons, les plus propres à remplir l'esprit des lecteurs des idées nouvelles; langage partout équivoque, mais partout déterminé par le corps de l'ouvrage à un seul sens, c'est-à-dire au sens janséniste ; on n'a négligé aucun des moyens qui conduisent naturellement à l'exécution de ce projet.

« On a beaucoup parlé du bréviaire, dès qu'il a paru; on a écrit pour et contre. Du côté des catholiques, il n'y a eu qu'une voix générale qui proscrivait l'ouvrage, et le condamnait aux ténèbres dont il est sorti. Les représentations si souvent réitérées, les oppositions formées à la réception du bréviaire, sont des preuves qu'il est bien difficile de dissimuler (1). »

En 1772, parurent les Mémoires liturgiques de Bertrand de la Tour, chanoine de Montauban, sur lequel M. Picot s'exprime ainsi : « Élevé au Séminaire Saint-Sulpice à Paris, il en conserva toujours l'esprit. Il était fort attaché au Saint-Siège, et zélé pour le bien de l'Eglise (2). » Dans celui de ces Mémoires qui est intitulé : Entreprise des hérétiques sur la liturgie, on lit ce qui suit: « Enfin, sous M. de Vintimille parut, par les intrigues de l'abbé Couet, le fameux Bréviaire de

 

(1) Troisième Lettre sur le nouveau Bréviaire de Paris. Page 14.

(2)  L'Ami de la Religion, tome XXVI, page 294.

 

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Paris,  enfant chéri du jansénisme, qui,  malgré la défense de ce prélat, se répandit partout, et fut vanté avec fureur par tous les jansénistes. Il est étonnant que des évêques catholiques préfèrent à la source pure de Rome, les eaux bourbeuses de l'erreur, et lui fassent le dangereux hommage d'adopter son langage et ses idées. Quelque bon que fût d'ailleurs cet ouvrage, ce  qui n'est certainement pas, la tache de son origine devait le  faire  rejeter :  Timeo Danaos et  dona ferentes. L'Eglise est-elle assez pauvre pour avoir besoin d'emprunter  de  ses  ennemis?  Ce malheureux enfant  du jansénisme eut d'abord tous les airs de son père. Il a été depuis modifié; on en a ôté les ESTAMPES SCANDALEUSES qu'on avait mises à la tête,  les  noms  de Coffin, de Santeul, et des autres poètes, qu'on avait mis à la tête des hymnes, et surtout plusieurs passages,  de tous côtés répandus, qui favorisaient les nouvelles opinions.

« On avait surpris la bonne foi de M. de Vintimille, dont la doctrine et les intentions furent toujours bonnes. Ce ne fut qu'un cri quand il parut; le bruit en vint enfin à ses oreilles; il ouvrit les yeux et fit faire plusieurs corrections à  différentes reprises, ce qui le rendit plus supportable. Mais, tout corrigé qu'il est, il y reste encore des choses bien répréhensibles (1).

Quatre ans après, en 1776, une partie des membres du Chapitre insigne de la métropole de Lyon, ayant formé opposition à l'archevêque Charles de Montazet, janséniste notoire, qui voulait implanter dans cette primatiale des Gaules le Bréviaire parisien de 1706, rédigea un premier mémoire sous ce titre : Motifs de ne pas admettre la nouvelle liturgie de M. l'archevêque de Lyon. On y lisait entre autres choses ces paroles sur le Bréviaire de 1736 :

 

(1) Entreprises des hérétiques sur la liturgie, page 30.

 

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« S'il fallait nommer l'auteur du Bréviaire de Paris, on pourrait dire qu'il s'appelle Légion. Combien de mains suspectes se sont réunies pour élever ce fameux monument, et ensuite pour le placer dans le sanctuaire de la capitale ! Comme le veau d'or, il fut formé de tout ce que les rebelles avaient de plus précieux, et, dès qu'il parut, ils poussèrent de  grands cris de joie  pour célébrer leur idole. Tout concourt donc à faire redouter le  prétendu zèle de  perfectionner la liturgie.  Tout annonce qu'il  a été soufflé par l'esprit d'erreur. Peu favorable à la piété qui  ne dédaigne pas les prières anciennes, et qui ne se plaint pas de leur simplicité, il tache d'introduire dans l'Office  sinon des  erreurs palpables, au moins des expressions ambiguës, susceptibles de divers sens, et dont les novateurs ne manqueraient pas d'abuser (1) ».

Il ne s'agit pas de savoir si les auteurs des réclamations que je viens de citer ont obtenu l'insignifiante, ou plutôt l'honorable flétrissure d'un arrêt du Parlement de Paris; moins encore aurait-on droit de s'étonner du petit nombre de ces voix réclamant contre l'innovation, à une époque où chacun sait qu'il n'y avait nulle liberté d'écrire dans un sens contraire aux maximes admises par les Cours de justice; mais que l'on joigne à ces témoignages défavorables à l'origine du bréviaire de 1736, le sentiment et la conduite de deux des plus pieux évêques du XVIII° siècle, Henri de  Belzunce  à Marseille,  et Félix  de  Fumel  à Lodève  : le  premier, adressant un  mandement à son peuple pour l'engager à redoubler de zèle dans le culte de la sainte Vierge et des saints, menacé par de téméraires innovations;  le  second,  à peine monté  sur son siège, expulsant, avec vigueur, du sanctuaire, le Bréviaire parisien

 

(1) Motifs de ne pas admettre la nouvelle liturgie de M. l'archevêque de Lyon, page 60.

 

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que son prédécesseur y avait introduit. Que Ton se rappelle en même temps l'estime hautement professée pour l'œuvre de 1736, par Scipion de Ricci et son synode, par Grégoire et ses deux conciles de Paris en 1797 et 1801 ; il faut bien qu'il y ait une raison de ces antipathies d'un côté et de ces sympathies de l'autre.

Mais nous avons mieux que tout cela, s'il est possible; c'est le témoignage de la secte elle-même s'applaudissant, en 1765, de voir désormais régner sans obstacle dans l'Église de Paris, ce bréviaire qui, tout mutilé qu'il soit par les cartons, lui semble encore, dans l'état où il est, digne de ses plus chères complaisances. Écoutons ces paroles de triomphe, et méditons-en la portée.

« Parmi les maux dont Dieu a permis dans sa justice que l'Église de France soit affligée depuis le commencement de ce siècle, il est aisé de remarquer quelques traits éclatants de sa miséricorde, au nombre desquels on doit mettre la composition et la publication qui s'est faite du nouveau Bréviaire de Paris. Depuis qu'il est en usage, une heureuse expérience fait sentir que ce bréviaire, par le bon goût qui règne dans toutes ses parties, fournit aux ecclésiastiques chargés du soin  des âmes un secours  toujours  présent,  une ressource toujours féconde  et  assurée,  soit pour  se nourrir eux-mêmes des vérités chrétiennes, soit pour en nourrir les autres, et que, par sa traduction, il supplée, jusqu'à un certain point, au  défaut d'instructions solides, dont la disette ne fait qu'augmenter tous les jours dans les paroisses. Plus  on  fera  réflexion sur les  circonstances  où cet ouvrage a paru, et sur le caractère du prélat qui en a  conçu et  exécuté le dessein, plus on demeurera persuadé  que, sans une  providence toute singulière, jamais  un homme tel que M.  de  Vintimille n'aurait soutenu jusqu'au bout une telle entreprise, malgré les contradictions de la cabale molinienne, et surtout

 

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des jésuites, auxquels il ne pouvait que céder sur tout le reste (1).  »

Il me semble, après tout cela, Monseigneur, que l'on est en droit de conclure, sur l'autorité des témoignages contemporains, ce que les noms seuls de Vigier, Mésenguy et Coffin suffisaient bien à mettre hors de doute, savoir, que les livres de la liturgie parisienne de 1736 ont eu pour rédacteurs des hommes appartenant au jansénisme. Je passe à ma seconde assertion.

Il est bien vrai que f ai signalé, dans l'œuvre de ces auteurs, les caractères de l’antiliturgisme qu’ils ont imprimés à tous leurs autres produits. Or, cette seconde  assertion, c'est par des faits que je l'ai démontrée. J'ai ] prouvé ce qu'avaient d'ailleurs établi les divers auteurs catholiques cités plus haut, savoir, que la liturgie parisienne de 1736 fut rédigée de manière à bannir un nombre immense de prières traditionnelles, remplacées désormais par des textes de la Bible choisis arbitrairement, et souvent dans un but suspect ; à diminuer les manifestations de la piété catholique à l'égard de la sainte Vierge et des saints ; à restreindre la confiance des peuples aux faits miraculeux ; à comprimer la notion et l'exercice du pouvoir apostolique qui réside dans le Souverain Pontife. Mes preuves ont été nombreuses ; cependant, je suis loin d'avoir cité la moitié de ce que j'aurais pu alléguer. Dans votre brochure, Monseigneur, vous avez cherché à répondre à une partie de mes arguments, qui d'ailleurs ne sont pas seulement les miens, mais ceux des auteurs catholiques qui m'ont précédé dans la carrière. Vous trouverez à la fin de cette lettre, mes réponses en regard de vos objections, et, je le répète encore, je me flatte d'avoir satisfait à tout. Je passe donc à ma troisième assertion.

 

(1) Nouvelles ecclésiastiques, 20 mars 1765.

 

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Il est complètement faux que j'aie imputé indistinctement aux évêques qui ont eu le malheur de propager les nouveaux livres parisiens, la note quelconque d'hérésie, antiliturgique ou autre. Mon livre est là, Monseigneur ; c'est à lui que j'en appelle, à lui que vous ne pouvez en aucune façon récuser dans cette cause où il s'agit de lui, et où il ne s'agit même que de lui. Citez, je vous en prie, les pages : je m'avouerai tout aussitôt convaincu.— Mais, me direz-vous, du moment que vous prétendez que les livres parisiens sont l'œuvre de la conspiration antiliturgique, n'accusez-vous pas par là même les prélats qui les ont propagés ? — A cela, je réponds qu'il faut faire ici une distinction toute naturelle. Parmi les évêques qui introduisirent ces livres dans leurs églises, les uns étaient appelants de la bulle Unigenitus, ou du moins ne la regardaient pas comme règle de foi; les autres avaient franchement accepté ce jugement de l'Église universelle. Les premiers, hérétiques jansénistes, rebelles à la foi catholique, n'ont rien à perdre quand je les rangerais au nombre des antiliturgistes ; les autres furent inconséquents, je ne crains pas de le dire; mais y aurait-il justice d'interpréter à la rigueur une démarche à laquelle ils étaient entraînés par les idées du temps, dans un pays où la mode exerce un empire si irrésistible, démarche que d'ailleurs tout l'ensemble de leur conduite désavouait hautement ? Non, Monseigneur, il ne serait pas équitable de poursuivre la mémoire de tant de prélats honorables, pas plus qu'il ne serait conforme à la loyauté d'un écrivain catholique de sacrifier, pour des questions de personne, les principes sacrés de l'Église en matière de liturgie.

Je dirai donc avec franchise : ces évêques ont eu un grand tort en rompant le lien liturgique avec Rome, en acceptant de la main des hérétiques ce qu'ils ne voulaient plus recevoir de celle du Vicaire de Jésus-Christ, en préparant par cette démarche des résultats lamentables dans

 

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un avenir plus ou moins éloigné ; mais nulle raison n'oblige à faire peser sur eux le soupçon d'une préméditation que rien n'atteste. Nous donc, victimes d'un passé désastreux, jugeons les faits et les doctrines; c'est notre droit, c'est notre devoir ; mais gardons-nous de prononcer sans preuves contre les personnes ; laissons à Dieu sa justice et sa miséricorde. Tels sont les principes que j'ai eus sans cesse devant les yeux, en écrivant mon livre, et c'est pour cela, Monseigneur, que je me sens si à l'aise quand je me permets de vous demander la page de ce livre qui contient les calomnies que vous m'imputez. Peut-être aurais-je pu réclamer aussi, moi écrivain catholique, quelque chose de cette bienveillance qui, si elle est un droit pour les morts, ne laisse pas d'en être un aussi pour les vivants.

III. Je passe au troisième argument au moyen duquel vous avez cru, Monseigneur, pouvoir démontrer que j'avais accusé d'hérésie l'Église de France. Ce dernier argument vous paraît même plus fort que les deux autres; vous me permettrez donc de l'examiner avec tout le sérieux que comporte la matière.

« Jusqu'à présent, dites-vous, Monseigneur, Dom Guéranger n'a découvert dans le Bréviaire de Paris que des intentions hérétiques ; il veut maintenant nous y montrer des hérésies (1).  »

Comme je n'ai nulle souvenance d'avoir lancé une imputation de ce genre dans l'un ou l'autre de mes deux volumes, je m'étonne tout d'abord de l'aplomb avec lequel ce nouveau délit m'est attribué ; mais bientôt je reprends votre brochure, Monseigneur, et j'y lis :

« Il n'a pu en trouver que deux : ce serait déjà beaucoup trop (2).  »

 

(1) Page 95.

(2) Ibid.

 

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Je le crois, en effet ; mais,  de grâce, en quel coin du bréviaire les ai-je déterrées, ces deux hérésies ?

« Il voit la première dans un canon, la seconde dans la strophe d'une hymne? (1). »

Me voici donc orienté davantage : c'est pourquoi laissant, pour un moment, une digression sur les canons du bréviaire, à laquelle je répondrai bientôt, je passe à l'examen du grief. Il consiste à avoir écrit ces paroles que vous enregistrez, Monseigneur, comme le corps du délit :

« On avait trouvé moyen de placer au mardi de la IVe semaine de Carême quelques paroles du onzième canon du troisième concile de Tolède qui enchérissaient sur la quatre-vingt-septième proposition de Quesnel (2). »

Eh quoi ! Monseigneur, avoir écrit ces lignes, c'est accuser le Bréviaire de Paris de renfermer des hérésies ? Pour moi, je ne le crois pas, et je suis persuadé que vous conviendrez avec moi qu'il n'en est rien, quand vous aurez relu le passage. Est-ce que par hasard j'aurais dit que ce canon enchérissait sur la quatre-vingt-septième HERESIE de Quesnel ? Non : j'ai dit simplement : Sur la quatre-vingt-septième PROPOSITION; ce qui n'est pas la même chose. Vous savez mieux que moi, Monseigneur, que les cent une propositions de Quesnel ne sont pas cent une hérésies; que la plupart même sont condamnées comme simplement fausses, captieuses, malsonnantes, offensives des oreilles pieuses, scandaleuses, pernicieuses, téméraires, injurieuses à l'Eglise et à sa pratique, etc., etc.; en sorte que, dans cette censure in globo, on ne peut appliquer avec certitude la note d'hérésie qu'au petit nombre de celles qui sont identiques à des propositions déjà notées comme telles. Le  canon renferme donc, sans aucun doute,  une

 

(1)  Page 95.

(2)  Institutions liturgiques. Tome II, page 270.

 

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doctrine digne de censure, puisque dans le  fait elle a été censurée par l'Eglise universelle; mais, encore une fois, rien n'oblige à la qualifier d'hérétique, et j'ai eu bien soin de ne le pas faire.

En outre, quand bien même j'aurais dit que le canon en question est identique à la quatre-vingt-septième hérésie de Quesnel, il ne s'ensuivrait pas le moins du monde que j'eusse accusé d'hérésie l'Église de France; car voici, Monseigneur, les paroles que vous ajoutez et qui me justifient complètement:

« Ce canon du concile de Tolède ne se trouve pas dans le bréviaire, et Dom Guéranger nous dit plus tard que, sur les vives réclamations qui avaient été faites, on l'avait retranché; il n'y a donc pas à l'examiner (1).

En effet, Monseigneur, puisque ce canon fut enlevé du bréviaire dès l'an ij36 et remplacé par un autre, suivant l'ordre de Charles de Vintimille qui fit mettre des cartons aux endroits de son bréviaire qui avaient le plus soulevé les catholiques, il suit de là que, lorsque ce bréviaire, dans le cours des années suivantes, jusqu'à nos jours, fut étendu à un si grand nombre d'églises de France, il ne contenait plus le canon, hérétique ou non, qui fait l'objet de la discussion. Je n'ai donc pu en aucune façon accuser l'Église de France d'hérésie, pour le fait de réciter dans l'office divin un canon que mon livre lui-même n'a pas accusé de contenir une hérésie, et qui d'ailleurs n'existe plus au bréviaire. Franchement, Monseigneur, convenez qu'il faut ne pas avoir de grands reproches à faire à un livre pour lui en adresser de si singuliers. Nous voilà donc, j'espère, quittes du canon; passons à la strophe.

Je vais d'abord transcrire vos paroles, Monseigneur, je répondrai plus facilement ensuite.

 

(1) Page 95.

 

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« Les jansénistes, dit Dom Guéranger, se délectaient dans cette strophe (1); il est impossible de (la) justifier, si l'on prend les termes dans la rigueur... Dieu seul sait combien de temps elle doit retentir encore dans nos églises; mais qu'il nous soit donné de protester contre une tolérance qui dure malheureusement depuis plus d'un siècle, et de dire en passant un solennel anathème à trois propositions de Quesnel, que Clément XI, et avec lui toute l'Eglise, a proscrites (et que) les quatre vers de la strophe en question... rendent avec tant d'énergie.  »

« Voilà une hérésie bien manifeste (2). »

Eh non ! Monseigneur : l'accusation d'hérésie n'est pas le moins du monde manifeste dans ce passage. Quelle que soit la note théologique que méritent les trois propositions prises en elles-mêmes, j'ai eu du moins l'attention de ne leur en appliquer aucune en particulier. Il me suffisait de dire qu'elles sont proscrites par toute l'Eglise, qu'elles méritent un solennel anathème : je ne suis pas allé plus loin pour les, propositions elles-mêmes; donc, je n'ai pas pu traiter la strophe d'hérétique, puisque je ne l'ai dénoncée qu'à raison de son identité avec les propositions.

Remarquez bien encore ceci, Monseigneur : j'ai dit (c'est vous-même qui me citez), qu'il est impossible de justifier celte strophe, si l'on prend les termes dans la rigueur : donc, je n'ai pas dit le moins du monde qu'elle serait toujours répréhensible, lors même que, par une interprétation bénigne, on voudrait y ajouter, ainsi que vous faites plus loin, des choses qui n'y sont pas matériellement.

 

(1)  Voici cette strophe d'une hymne des Évangélistes, par Santeul :

 

Insculpta saxo lex vetus

Prœcepta, non vires dabat :

Inscripta cordi lex nova

Quidquid jubet dat exequi.

 

(2)  Page 96.

 

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Si on voulait faire le même travail de glose officieuse sur la moitié des propositions de Quesnel condamnées dans la bulle Unigenitus, on nous aurait bientôt démontré aussi que l'Eglise a eu tort de condamner une grande partie de  ces assertions  maudites.  Vous  savez mieux que moi, Monseigneur, que le but spécial de la bulle Unigenitus, cette admirable constitution à qui nous devons le salut de la foi, a été principalement de poursuivre l'hérésie janséniste  dans ses  retranchements, en flétrissant toutes ces façons de parler captieuses et à deux tranchants, à l'aide  desquelles elle  se cramponnait  à l'Eglise, quand on voulait l'en mettre dehors. La question est là tout entière et non pas ailleurs ; et quant aux livres liturgiques dont nous parlons, croyez bien, Monseigneur, que si, au lieu des simples échantillons que j'ai produits, j'avais voulu signaler une à une toutes les reproductions malicieuses  des maximes de Quesnel qu'on y trouve, même aujourd'hui, soit dans les  coupures de la Bible et  des  saints Pères, soit dans  les formules de composition  récente, ce  travail eût  pris une dimension bien  autrement considérable.

Je reprends votre texte, Monseigneur :

«Voilà une hérésie bien manifeste. La strophe signalée rend avec une énergie remarquable trois propositions condamnées.  Aussi l'Abbé de Solesmes  regarde-t-il comme un problème insoluble à résoudre, de savoir comment quelqu'un peut être obligé, sous peine de péché, à réciter une hymne qui contient matériellement une doctrine  qu'on  ne pourrait soutenir sans encourir l'excommunication (1).  »

Oui, Monseigneur, ce problème me semble toujours insoluble; car enfin la bulle ne défend pas seulement, sous la peine de l'excommunication, de soutenir les

 

(1) Page 97.

 

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propositions hérétiques qu'elle condamne ; elle défend sous la même peine de soutenir chacune des propositions condamnées par elle, prises même séparément; d'en traiter publiquement, ou en particulier, si ce n'est pour les combattre, etc.

C'est pour ce motif que, lorsque le Bréviaire parisien de 1736 fut étendu à divers diocèses de France, plusieurs évêques n'y consentirent qu'à la condition d'y faire certains changements, indépendamment de ceux qu'avaient opérés les cartons de Charles de Vintimille ; mais la fameuse strophe fut l'objet principal de leur sollicitude. A Évreux, on la modifia dans un sens; au Mans, dans un autre. Vint ensuite le Bréviaire de Toulouse de 1772 qui essaya une nouvelle variante assez peu poétique, mais d'un sens plus orthodoxe. On peut voir pour tous ces faits le deuxième volume des Institutions liturgiques, où je parle les pièces en main (1). On peut consulter encore les Nouvelles ecclésiastiques, qui jettent les hauts cris contre l'audace de ces prélats assez osés pour corriger les hymnes de Santeul d'après la bulle Unigenitus. Il serait important de lire aussi la curieuse brochure publiée, soi-disant à Avignon, par manière d'apologie du Bréviaire de Toulouse de 1772, et dans laquelle l'auteur janséniste prend avec tant d'énergie la défense de ce bréviaire, et de la strophe en particulier (2).

Mais si l'on désire quelque chose de plus actuel et de plus éloquent que tout cela, on n'a qu'à lire un article récemment donné dans le recueil périodique publié aujourd'hui même par les jansénistes, à Paris. On connaîtra alors si la secte a renoncé à voir dans la célèbre

 

(1)  Pages 33o, 355, 5o9.

(2)  Doctrina septem praesulum vindicata seu epistola romani theologi ad septem Galliœ praesules. De iniquo animadversore, qui catholicam doctrinam in breviario ab ipsis recens promulgato consignatam notare ausus est. 1774, in-8°.

 

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strophe la glorification de son système condamné, si elle ne réclame pas de toute sa force contre les interprétations bénignes auxquelles on voudrait soumettre cette formule; si elle ne s'applaudit pas, en ce siècle comme au siècle dernier, non seulement d'avoir fourni à l'Église de France la formule de la prière publique, et par conséquent la confession de la foi, mais encore de contraindre la bouche de tant de prêtres français à protester contre l'un des jugements les plus solennels de l'Église universelle. Mais lisez plutôt vous-même :

« L'opposition est manifeste entre la doctrine de la bulle et celle de cette hymne, qui n'est pas seulement tolérée, mais dont la récitation est prescrite, ainsi qu'on le dit fort bien, depuis plus d'un siècle, dans plusieurs diocèses d'une des plus importantes Églises du monde. Lors donc qu'on arrive à constater au sein de l'Église, d'un côté la condamnation formelle d'un enseignement aussi important que celui qui est contenu dans les propositions indiquées du Père Quesnel, et de l'autre l'adoption non moins formelle de ce même enseignement, matériellement contenu dans des prières approuvées non pas d'hier, non pas tacitement, ni dans un coin reculé du globe, mais depuis longues années, mais en France, et malgré des réclamations restées sans effet; une conclusion ressort de là, il faut inévitablement le reconnaître, quoiqu'elle heurte directement les idées qu'on a coutume de se faire sur l'état de la vérité dans l'Église; c'est que la lutte qui, depuis deux siècles et plus, a pris naissance sur ces matières, n'est point finie; c'est qu'il n'est point intervenu de décision certaine, et que l'unité de doctrine ne s'est point établie sur ce point (1). »

Certes, le témoignage n'est pas suspect; et, quant à sa portée en lui-même, il est bien évident qu'elle est fort

 

(1) Revue ecclésiastique, 63° livraison. Août 1843, page 88.

 

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au-dessus de tout ce que j'ai dit sur la strophe. Oui, je m'en flatte : tôt ou tard, on ouvrira les yeux, et alors les attaques dont mon livre et ma personne ont été l'objet seront jugées comme elles doivent l'être. En attendant, j'ai démontré jusqu'à l'évidence, ce me semble, que je n'ai qualifié d'hérétiques ni la strophe, ni le canon; j'ai montré plus haut que je n'avais point appliqué aux évêques de France la note de l'hérésie antiliturgique ; j'ai fait voir aussi que le syllogisme qui m'était attribué comme tendant à flétrir l'Église de France, dans sa foi, ne m'appartenait en aucune manière :

Donc, il n'est ni vrai, ni juste de dire que j'ai accusé d'hérésie l’ Église de France.

Maintenant, Monseigneur, me sera-t-il permis de me plaindre à vous-même d'un procédé malheureux dont vous avez cru devoir user à mon égard, en terminant votre brochure? Après avoir accumulé contre mon livre toutes les accusations auxquelles j'ai répondu, et toutes celles auxquelles je vais répondre, vous avez cru devoir me jeter à la tête le nom de l'abbé de Lamennais, dans le but d'amener votre lecteur à faire un rapprochement (c'est votre mot) (1), entre un homme tombé dans les plus coupables erreurs, et moi, prêtre et religieux catholique, qui défends les droits de l'unité. Et c'est après avoir si mal prouvé que j'ai calomnié l'Église de France à propos de certains faits qui, après tout, sont du domaine de l'histoire, que, cherchant contre moi dans l'avenir des armes que ni le passé, ni le présent ne vous fournissent, vous vous hasardez à prophétiser sur moi une chute pareille à celle de ce prêtre infortuné.

Dom Guéranger, dites-vous, Monseigneur, s'offensera peut-être; il sera blessé, nous n'en doutons pas. — Non, Monseigneur,  je  ne suis ni offensé, ni  blessé : je vous

 

(1) Page 15o.

 

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plains seulement de la dure nécessité qui vous a contraint, pour attaquer mon livre, de lui faire dire si souvent ce qu'il ne dit pas, pour prédire ensuite, sur de si étranges motifs, l'apostasie prochaine de son auteur.

Je le sais, Monseigneur, je ne suis qu'un homme pécheur, à qui l'indéfectibilité dans la foi n'est aucunement promise; mais, à part le Pontife romain, en qui Pierre vit et parle à jamais, quel homme sur cette terre peut se promettre, d'une manière absolue, qu'il ne scandalisera pas l'Église par sa chute ? Dans la pratique des vertus, de la foi par conséquent, nous sommes tous fils de nos œuvres, et si le moine s'élevant dans son orgueil peut choir des humbles degrés de la chaire abbatiale dans l'abîme de l'hérésie, l'histoire nous apprend que le Pontife aussi est tombé plus d'une fois jusque des sommets du trône patriarcal, entraînant après lui, dans sa chute, ce qui est bien plus triste encore, le peuple qu'il devait éclairer. Gardons-nous donc de prophétiser la chute de ceux qui sont encore debout ; mais, bien plutôt, selon le conseil de l'Apôtre qui parle pour tout chrétien : que celui qui est debout veille à ne pas tomber (1).

Or donc, pour éviter la chute lamentable du malheureux prêtre dont nous parlons, que tous les catholiques s'appliquent à ranimer en eux les principes de soumission au Siège Apostolique, et considérant que ce prêtre n'est tombé que pour avoir hésité d'abord à se soumettre à un jugement du Pontife romain, jugement qu'il ne voulait plus croire irréformable, abjurons pour jamais les désastreuses maximes de 1682, qui furent sa première station dans la voie rétrograde qu'il a suivie depuis, le premier écueil sur lequel vint heurter sa nacelle désormais flottante à tous vents.

 

(1) I Cor. X, 12.

 

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Il me resterait beaucoup à ajouter sur ce sujet; je ne veux dire qu'un mot, c'est qu'il semble étrange que ceux-là mêmes qui n'ont que des excuses pour les prélats de 1682, s'avisent tout d'un coup de pronostiquer la révolte contre les décisions du Saint-Siège, à ceux qui naguère, dans la plus glorieuse des défaites, ont remporté la victoire de l'obéissance (1). Il est des faits de ce siècle pour lesquels l'histoire est déjà ouverte; il est aussi des hommes que l'on calomniait sur tous lestons, il y a dix ans, et qui n'ont, depuis dix ans, répondu à de dures attaques que par le silence et par des services. Que l'on prophétise donc tant qu'on voudra contre eux; ils n'en vivront pas moins; ils continueront d'implorer l'appui de Celui qui les fortifia au jour de l'épreuve.

 

§ III

 

J'aborde enfin la troisième partie de ma Défense. Dans la première, je crois avoir suffisamment démontré que je , n'ai point professé d'autres maximes sur le droit liturgique en général, que celles de l'Église, et spécialement du bref de Sa Sainteté Grégoire XVI. Dans la seconde, on a pu voir que si la nature de mon travail m'amenait nécessairement à raconter des faits déplorables, je me suis gardé d'en étendre la responsabilité à ceux qui ne méritaient pas de la porter, et que je n'ai jamais fait usage de la note  d’hérésie et d'hérétique, si ce n'est dans les cas où elle était bien et dûment applicable. Maintenant, il me reste à démontrer que je ne suis pas moins innocent du reproche que l'on m'adresse d'avoir cherché à exciter du trouble dans les diocèses, en poussant à des bouleversements violents dans les choses de la liturgie.

 

(1) Prov., XXI, 28.

 

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Je pourrais d'abord faire observer que,  dans  le cas même où il me fût échappé des indiscrétions en ce genre, j'aurais du moins cette excuse à produire, que, des bouleversements liturgiques provoqués par moi dans le but de rétablir l'unité romaine seraient plus excusables en eux-mêmes que  les bouleversements occasionnés  au siècle dernier, lorsqu'on arracha des mains du peuple et qu'on mit, pour ainsi dire, au pilon, dans les deux tiers  de la France, les livres vénérables de la prière romaine qui régnaient seuls depuis mille ans  dans nos sanctuaires, pour les remplacer par les neuves  et suspectes productions de quelques  obscurs contemporains. Car enfin, il faut bien en convenir : la partie n'est pas égale. Tout Français que nous sommes, les lois générales de l'Eglise sont au-dessus de nous : or, l'unité liturgique est une loi générale de l'Eglise (1). Si donc nous l'avons enfreinte cette loi,  la conséquence toute naturelle est que nous devons y revenir, pour peu que nous attachions quelque prix à l’ordre et à la subordination. La question de temps n'est qu'une question secondaire et d'une moindre importance. Mieux vaudrait donc pour moi avoir failli en poussant trop vivement au redressement de ce tort immense, que d'avoir contribué à un mouvement liturgique en sens inverse de celui-là. Si, par exemple, j'avais eu le malheur de contribuer au renversement de  la Liturgie romaine dans le diocèse de Quimper où elle régnait tranquillement en 1835, je me croirais, je l'avoue, une bien autre responsabilité sur la conscience, que si je devenais tout d'un coup la cause d'un retour instantané, mais violent, à cette forme vénérable de la prière publique contre laquelle le nouveau bréviaire  ne  pourra jamais prescrire. Cependant, les auteurs  de cette triste révolution  n'ont encore  été  ni

 

(1) Lettre à Monseigneur  l'archevêque de Reims  sur le Droit de  la Liturgie. Institutions liturgiques, tome III, pages 511, 537.

 

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dénoncés, ni flétris ; et moi, me voilà contraint de me justifier devant l'Église de ces reproches qu'on n'adresse qu'aux novateurs, tandis que je ne fais, toute la journée, que réclamer contre les innovations. Mais il est bien d'autres mystères plus étranges que celui-là : je reviens à mon livre.

Pour l'usage de ceux qui ne l'ayant pas entre les mains, ne peuvent pas le lire, et aussi en faveur de ceux qui l'ayant entre les mains, ne le lisent pas (ce qui est très permis aux uns et aux autres), je vais transcrire les pages de mon second volume desquelles il appert que, bien loin de provoquer des bouleversements violents dans la liturgie, j'ai su convenir qu'on ne devait procéder qu'avec prudence, dans l'œuvre de restauration à laquelle j'aspire.

Au tome II, page 627, après avoir rapporté le texte de la Lettre pastorale de Monseigneur l'évêque de Langres, par laquelle ce prélat rétablit dans tout son diocèse  la Liturgie romaine, accompagnant cette démarche de tous les ménagements exigés par les circonstances, j'ajoute ces paroles : « Qui n'admirerait dans cette lettre vraiment pastorale le zèle de la maison de Dieu, tempéré par cette discrétion si recommandée par l'Apôtre, et dont saint Pie V, au XVI° siècle, donna un si éclatant exemple, lors même qu'il promulguait plus haut  le grand principe de l'unité liturgique. Tous les actes du même genre que notre siècle  pourra voir s'accomplir dans l'Église de France, seront d'autant plus efficaces dans leurs  résultats,  qu'ils  seront à la  fois empreints de vigueur et de modération; car nous n'avons garde de penser qu'on puisse guérir la partie malade en la froissant durement et sans pitié. »

Dans la préface du même volume, craignant que mes intentions ne fussent méconnues, et qu'on ne tirât des principes et des faits que j'ai exposés, des conséquences contraires à la tranquillité et au bon ordre des diocèses,

 

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je n'ai pas craint de m'exprimer ainsi : « Toutefois nous éprouvons le besoin de protester contre un abus dans lequel, malgré nous, la lecture de notre livre pourrait peut-être entraîner quelques personnes. Il  ne serait pas impossible que certains ecclésiastiques, apprenant par nos  récits l'origine peu honorable de tel  ou tel livre liturgique en usage dans leur  diocèse depuis un siècle, crussent faire une œuvre  agréable à  Dieu  en renonçant avec éclat à l'usage de ces livres. Notre but n'est certainement pas d'encourager de pareils actes qui n'auraient guère d'autre résultat final que de scandaliser le peuple fidèle, et d'énerver le lien sacré de la subordination cléricale.  Pour produire  un  bien  médiocre, on s'exposerait à opérer un mal  considérable. Nous désavouons donc à l'avance  toutes démonstrations imprudentes et téméraires, propres seulement à compromettre une cause qui n'est pas mûre encore. Sans doute notre intention est d'aider à l'instruction de cette cause, et nous la voudrions voir jugée déjà et gagnée par la tradition contre la nouveauté; mais une si grande révolution ne s'accomplira qu'à l'aide du temps, et la main de nos évêques devra intervenir, afin que toutes choses soient comme elles doivent être dans cette Église de Dieu qu'il leur appartient de régir (1). » Enfin, l'année dernière, ayant donné au public, pour satisfaire au désir de Mgr l'archevêque de  Reims, une dissertation canonique en forme de Lettre sur le Droit de la Liturgie, après avoir démontré dans cet opuscule, aussi bien que dans mon grand ouvrage, que ce n'était point les liturgies diocésaines légitimes que j'attaquais, mais uniquement les produits de l'innovation qui a chassé de nos églises la Liturgie romaine ; que le droit de correction liturgique dans les églises non astreintes aux livres

 

(1) Page XIII.

 

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de saint Pie V n'entraîne en aucune façon le pouvoir d'enlever les bréviaires et les missels à la forme romaine qui est de droit dans tout le patriarcat d'Occident ; j'en venais à considérer la situation extrême dans laquelle se trouvent tant d'églises de France, au sein desquelles le culte divin n'est plus qu'une grande ruine, par l'anarchie et le désaccord flagrant qui existe entre plusieurs des livres liturgiques, et l'absence totale de quelques autres. Or, je disais tout tranquillement :

« Cependant mon intention, dans tout ceci, n'est rien moins que d'exciter des troubles ou de causer dans les églises de France des embarras d'une nature d'autant plus pénible, qu'une grave question matérielle viendrait les compliquer encore. Dans les sociétés, les déviations sont l'œuvre du temps; le temps seul peut y apporter remède. J'ai professé à ce sujet, dans mes Institutions liturgiques, des principes qui, si on s'était donné la peine d'en prendre connaissance, m'auraient garanti du reproche d'injustice et d'exagération que l'on ne m'a pas épargné (1). »

Ensuite, pour appuyer cette conclusion modérée, j'en venais à produire le bref de Sa Sainteté à Monseigneur l'archevêque de Reims; car, encore une fois, Monseigneur, c'est à moi que vous devez la publication de ce bref, dans lequel vous voulez ne voir que la confirmation de vos principes sur le Droit liturgique. Quoi qu'il en soit, je faisais suivre le texte du bref des réflexions qu'on va lire, toujours dans le même but de prévenir les agitations et les mouvements violents :

« Qui n'admirerait cette modération apostolique qui recule devant les mesures de rigueur; qui, après avoir, dans un langage si ferme et si précis, montré jusqu'où s'étend le droit des églises non assujetties aux Constitutions

 

(1) Institutions liturgiques, tome III,  573.

 

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de saint Pie V, et déclaré que ce droit ne saurait aller jusqu'à changer et remanier à volonté les livres liturgiques, insinue cependant, avec une bonté paternelle, que le retour aux traditions de l'Église romaine, ce retour que le Saint-Père attend avec confiance, devra s'opérer dans le moment favorable et avec les conseils de la prudence? Il ne serait point d'un habile et paternel médecin de brusquer la guérison d'une plaie dangereuse et envieillie. Il en arrêtera d'abord les progrès, il la circonscrira dans des limites de plus en plus étroites, et ainsi il préparera le jour où il la pourra fermer entièrement.»

« L'usage des livres liturgiques, arbitrairement rédigés en France depuis un siècle environ, sera donc toléré encore, et c'est un acte de justice apostolique d'insinuer cette conclusion pratique; car la génération cléricale d'aujourd'hui est innocente de la faute de ses pères, et d'ailleurs de grands obstacles matériels viennent à la traverse. Prions donc pour que ces jours d'isolement soient abrégés, pour que naissent bientôt ces circonstances favorables dont la prudence de nos prélats profitera avec empressement (1). »

C'est donc maintenant, Monseigneur, une chose bien claire et bien démontrée que je n'ai poussé ni à des mesures violentes, ni à des résistances scandaleuses, dans le but de rétablir l'unité romaine de la liturgie, et que les personnes qui se plaisent à me charger de ce grief font peser sur moi une pure calomnie. Quant à la question considérée en elle-même, il m'est impossible, ce semble, d'aller plus loin sans désavouer les principes du bref de Sa Sainteté et ceux qui, dans tous les temps, ont été professés par tout le monde en cette matière.

Au reste, la portée du bref a été généralement sentie, et de toutes parts  on se réveille,  étonné de voir  que  la

 

(1) Page 577.

 

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liturgie soit une chose si importante, que, trois siècles après le concile de Trente, Rome vienne encore réclamer l'exécution des décrets que fît cette sainte et auguste assemblée sur le Bréviaire et le Missel. Pourtant, il eût été possible de s'épargner cette surprise, en ruminant tant soit peu l'axiome de la tradition : Legem credendi statuat lex supplicandi ; car, après tout, quoi de plus grand, mais aussi de plus invariable, de plus élevé au-dessus de toute autorité individuelle que la confession même de la foi? De plus, quand on se rappelle que les trois grandes forces catholiques des temps modernes ont poussé à l'unité liturgique; quand on voit Charlemagne, dirigé en cela par les grands Papes de son siècle, saint Grégoire VII, mû par l'Esprit divin qui reposait en lui, le concile de Trente, éclairé des lumières du même Esprit, poursuivre avec une vigueur égale l'établissement et l'organisation de la prière grégorienne dans tout l'Occident; il faut bien convenir que le génie du catholicisme est là, ou qu'il n'est nulle part. L'homme même qui n'a pas le bonheur d'être membre vivant de l'Église, sent et confesse qu'il y a ici quelque chose de grand, qu'il s'agit de la principale force sociale du catholicisme, de celle qui est à la fois lumière par la confession la plus haute du dogme, chaleur et vie par l'onction de la prière !

Après cela, il m'est bien égal d'entendre quelques-uns qui, n'ayant compris la Liturgie que comme une forme mobile, à l'état diocésain, réglée sans appel par l'autorité de tel ou tel directeur de séminaire, ne se sont jamais demandé ce que c'est dans l'Église que la prière publique, de les entendre me dire et me répéter que je perds mon temps dans des questions de rubriques. Certes, il s'agit bien ici d'autre chose que de rubriques, et dans tous les cas, ne s'agît-t-il que de rubriques, il s'agirait de grandes choses, et je le montrerai. Tout dépend du point de vue; mais, malheur à celui chez qui les instincts de la foi ne

 

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tiennent pas lieu d'une science spéciale, quand, par une cause ou par une autre, cette science vient à manquer dans son intelligence! Mais je sens que je m'écarte trop de votre brochure, Monseigneur; permettez, néanmoins, qu'avant de terminer cette discussion générale, j'ajoute encore quelques mots.

Si, dans une matière aussi grave que la liturgie, j'avais lancé des propositions nouvelles et malsonnantes ; si je m'étais avisé de créer des points de vue inouïs et des  applications étranges, je concevrais l'irritation qu'on a fomentée contre moi. Mais, lorsque je viens à feuilleter mon livre, et que j'y retrouve cette masse de témoignages puisés dans les monuments les plus authentiques de la science et de l'histoire ecclésiastiques, je suis tenté, je l'avoue, de soupçonner quelque partialité en ceux qui se sont élevés contre moi avec autant de vigueur que si j'eusse pris dans les délires d'un cerveau malade les assertions de mon livre. Pourtant, ce n'est pas avec des épithètes plus ou moins dures qu'on se défait de tout un ensemble de faits historiques et d'autorités respectables : tôt ou tard, un livre, s'il a quelque fond, se relève de cette épreuve passagère, et la justice commence.

Quand ce jour sera venu (et il est déjà venu pour beaucoup de personnes), que dira le public de la prévention avec laquelle ont procédé ceux, par exemple, qui, si jaloux des traditions de la Sorbonne et du Clergé de France, n'ont eu rien de mieux à faire que de passer sous un silence prudent les censures motivées de cette même Sorbonne contre les innovations liturgiques du XVI° siècle (1), et les magnifiques extraits que j'ai produits des mandements de l'illustre archevêque Languet, contre le Missel de Troyes, dans lesquels ce grand prélat expose sur la liturgie les mêmes principes qui me font honnir

 

(1) Institutions liturgiques, tome I, pages 364, 438, 439.

 

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aujourd'hui (1)? Encore une fois, tout cela n'aura qu'un temps, et je fais bon marché des attaques lancées contre moi, tant que je vois que personne de mes adversaires n'a consenti encore à établir une large et franche discussion, dans laquelle on daignât prendre acte de mon livre et de tout ce qu'il contient.

Je dois relever ici un fait caractéristique de la discussion, quoique franchement j'aie honte de discuter gravement de si puériles imputations. Ce fait demeurera comme un monument de la controverse actuelle : on pourrait certainement le donner à deviner à ceux qui ne lisent pas certains journaux, sans aucune crainte qu'ils le pussent jamais découvrir. Mais enfin quelle est donc cette redoutable fin de non-recevoir lancée contre un ouvrage dont d'autres estiment du moins la portée grave, pensant qu'on ne réunit pas pour rien, sur une matière quelconque, un tel ensemble de faits?

« C'est, dit-on, que l'auteur prétend que la pointe de nos bonnets carrés est exagérée, que nos chasubles ressemblent à des étuis de violon; enfin, que dans les livres liturgiques du siècle dernier on avait introduit des estampes remplies d'inconvenance. »

Là-dessus, le livre et son auteur sont jugés; l'un et l'autre sont décidément pour l'Église un objet de scandale. Puisqu'on m'accuse, je répondrai. D'abord, si les cinq ou six pages qui contiennent ces détails vous déplaisent, arrachez-les, je vous les livre de grand cœur ! La portée du livre, s'il en a une, n'est pas là. Revenez à l'unité liturgique; et l'auteur renoncera bien volontiers à ces quelques lignes qui vous ont blessés. Voilà ma première réponse.

Entrant maintenant dans le détail, je dirai que j'ai bien eu le droit de signaler dans la forme des ornements sacrés

 

(1) Institutions liturgiques, tome II, pages 141, 173.

 

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les déviations qui s'y font remarquer, si ces déviations sont réelles et si elles se sont introduites sans le concours d'aucune autorité ecclésiastique. Or, ces deux choses sont certaines, de l'aveu de tout le monde.

Qu'il y ait déviation dans la forme de nos ornements sacrés, il ne faut, pour s'en convaincre, que se donner la peine de revoir les ornements fabriqués avant 1789, tels qu'on les retrouve encore dans les sacristies, principalement des cathédrales. Il ne faut que consulter, comme je l'ai fait souvent, les souvenirs des membres vénérables de l'ancien clergé. On verra alors que les chasubles et les chapes de cette époque n'étaient pas raides et étriquées comme aujourd'hui, que les surplis étaient soumis à un tout autre système de plissage, que les bonnets carrés n'étaient ni aussi allongés, ni aussi pointus. Il existe, au reste, de nombreux tableaux, de nombreuses gravures des XVII° et XVIII° siècles sur lesquels figurent tous ces divers ornements; qu'on se donne la peine de les rechercher, et qu'après avoir comparé, on prononce.

Maintenant, que ces déviations se soient introduites sans le concours de l'autorité ecclésiastique, c'est un fait non moins patent. Dans les anciens conciles, dans les anciens statuts synodaux, dans les anciens rituels, dans les anciens cérémoniaux, je trouve, sous le titre de mensurœ sacrœ supellectilis, toutes les règles pour la longueur, la largeur, la hauteur de chacune des pièces du mobilier sacré de nos églises. Qui, aujourd'hui, se met en peine de ces règles? Qui s'avouera l'auteur officiel de la nouvelle mesure des bonnets, du nouveau système de plissage des surplis, du choix des dessins à placer sur les étoles, sur les chasubles, sur les chapes, de l'introduction de ce ridicule bougran qui ôte pour jamais la qualité de vêtement aux ornements dans lesquels on l'introduit, etc. Assurément, aucune autorité ecclésiastique n'a sanctionné de pareilles choses :  toute la responsabilité  en est aux

 

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industriels qui fabriquent pour le culte, et poussent sans cesse à de nouvelles modes acceptées avec la même indifférence que les anciennes ont été rejetées. Avec cela, le sens de l'esthétique sacrée s'en va de plus en plus : on cesse d'attacher une idée à des formes extérieures dont rien ne garantit le sérieux et la stabilité ; et le laid, le bizarre, l'insignifiant s'établissent là même où devraient se trouver en permanence le beau, le grave, le sublime.

Il faudra pourtant sortir de là. J'ai signalé dans mon livre les améliorations récentes déjà considérables et toutes dans le sens d'un retour à l'esthétique des anciens jours. Mais, puisqu'on m'a reproché d'avoir parlé du bonnet carré et de l'avoir trouvé peu sérieux dans sa forme pointue, je suis déjà en mesure de produire contre lui de plus graves autorités que la mienne. Plusieurs de nos archevêques et évêques l'ont proscrit et remplacé par le bonnet romain; c'est faire assurément beaucoup plus que je n'ai fait. On laisse dire un auteur; mais, quand un premier pasteur commande, il faut obéir. J'estime donc l'avenir du bonnet pointu plus gravement compromis par les actes de ces prélats que par toutes mes invectives.

Pour ce qui est des étuis de violon, entendons-nous bien. La comparaison est juste, sans doute ; mais elle n'est pas de moi. L'illustre Welby Pugin qui jouit de la haute estime de tout l'épiscopat catholique d'Angleterre et même de l'admiration de bien des gens sur le continent, a trouvé que le devant de nos chasubles offrait cette similitude malencontreuse : je me suis permis de le répéter, en citant mon auteur. Quand je le rétracterais aujourd'hui, s'ensuivrait-il que ce grand et pieux artiste n'a pas écrit cette parole? Ou encore, ces devants de chasuble en demeureraient-ils modifiés le moins du monde ? Au reste, c'est encore par l'effet d'une distraction qu'on m'a imputé d'avoir adopté ce jugement d'un artiste étranger, pour toute espèce de chasubles. Voici mes paroles : 

 

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Ces chasubles qu'un inflexible bougran a rendues, dans leur partie antérieure, semblables à des étuis de violon, pour nous servir de l'expression trop vraie de l illustre artiste anglais Welby Pugin (1). Il est donc bien clair que l’inflexible bougran est la seule cause de ce malheureux effet contre lequel je m'élève. Ce bougran dont la vogue est inexplicable était inconnu il y a quarante ans : nos ornements tant soit peu anciens n'en ont jamais eu. Otez-le, et la ressemblance avec l’étui de violon disparaît avec lui. Le vêtement se prête de lui-même ; il n'est plus semblable à une planche qu'on a adaptée à un être humain ; il prend la forme du corps : en un mot, il habille celui qui le porte.

C'est donc un jugement plus que sévère que celui qui m'impute d'avoir ridiculisé des objets dont le respect se confond, dans l'esprit du commun des fidèles, avec celui qui est dû à la religion même (2) : d'abord parce que je me joins de tout mon cœur au commun des fidèles pour confondre dans mon respect les ornements sacrés avec la religion même dont ils font partie : en second lieu, parce qu'il est évident pour tout le monde que ce ne sont pas les ornements en eux-mêmes que j'ai attaqués, dans cet ouvrage destiné à faire ressortir la grandeur et la sainteté du culte ; mais bien les corruptions et altérations qu'on a faites, sans règle et sans contrôle, de ces objets dont la forme était déjà fixée par l'autorité compétente. Je passe aux gravures des missels et bréviaires.

J'ai dit, il est vrai, que les quatre volumes des Bréviaires de Paris et de Poitiers, et aussi le frontispice du Missel de Chartres offraient des gravures qui me paraissaient inconvenantes : on m'a reproché d'avoir relevé ce fait. Franchement, je ne m'attendais pas à ces réclamations.

 

(1)  Institutions liturgiques, tome II, page 629.

(2)  L'Eglise de France injustement flétrie, etc., page 12.

 

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Premièrement, parce que les personnes qui ont commandé ces gravures, aussi bien que les artistes qui les ont exécutées, ont disparu de ce monde, depuis assez longtemps. Les livres qui contiennent ces images sont déjà usés en grande partie, et remplacés par d'autres, sans gravures la plupart du temps.

Deuxièmement, parce que je ne suis pas le premier à avoir trouvé de l'inconvenance dans ces estampes peu liturgiques. Je citerai entre autres le pieux chanoine de la Tour. Dans le passage que j'ai rapporté plus haut (1),on a vu qu'il qualifiait de scandaleuses les estampes du Bréviaire de Paris de 1736 qui furent enfin retranchées dans l'édition de 1765. Ai-je dit davantage ?

Troisièmement, parce que je ne pouvais pas croire qu'il y eût si grand crime à signaler le premier fait d'envahissement de la forme grossière dans les objets d'église, aujourd'hui que les bréviaires sont pour l'ordinaire sans estampes, mais que, en revanche, les murs de nos églises étalent avec profusion, sous les yeux du peuple, les toiles et les fresques les plus déplorables. Le libertinage des artistes ne se borne plus à enfouir dans les livres liturgiques ses fantaisies graveleuses, et plût à Dieu qu'il n'y eût à souiller nos églises que les tableaux commandés et imposés par le gouvernement.

Pour moi, contraint par mon sujet d'expliquer une tolérance qui est pour beaucoup de monde un continuel objet de réclamations, j'ai cru qu'il y avait justice de l'excuser par cette indifférence en matière d'esthétique dont nous sommes saisis depuis longtemps, et voilà qu'on m'accuse moi-même de scandale. Oui, certainement, j'ai été surpris de ces clameurs, et d'autant plus que je m'étais imaginé tout simplement que si quelqu'un en cela méritait un blâme, c'étaient bien plutôt les artistes

 

(1) Page 54.

 

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auteurs des gravures que moi-même qui les dénonçais, après un siècle.

Au reste, le nom seul de Boucher, auteur des gravures du Bréviaire de Paris de 1736, suffirait bien à tous ceux qui n'ont pas vu ces gravures pour les leur faire apprécier. Quand je veux m'expliquer certaines lettres apologétiques de ces misérables estampes, publiées dans un journal et ailleurs, et me rendre compte des motifs qui ont pu porter tout d'un coup des gens respectables à prendre fait et cause pour ce peintre dont la licence est proverbiale, je suis obligé encore de recourir à cette innocence complète en fait de connaissances en peinture qu'ils regarderont peut-être comme une injure. Mais, en bonne conscience, est-il permis de parler de peinture et de gravure, quand on ne sent pas que le nom de Boucher au bas d'une gravure de bréviaire est déjà à lui seul une haute inconvenance ? Si l'on croit pouvoir, sans blesser les bienséances, appeler le trop fameux peintre des Grâces à représenter les Vertus théologales dans un livre liturgique, pourquoi ne pas demander des cantiques à Voltaire ou à Béranger ? Ils rimeraient leurs strophes aussi richement pour le moins que Boucher a su dessiner chastement les Vertus dont il reçut la commande.

On a dit ensuite (1) : mais ces Vertus, après tout, ne sont pas dans un état de nudité si complète. — Triste excuse pour des images de bréviaire ! D'ailleurs, quel est le degré de nudité requis dans une gravure de Boucher pour qu'elle ne puisse plus être admise dans le livre du prêtre ? Ce qu'il y a de certain, c'est que ces gravures dans l'édition in-4° de 1736 sont pires que dans les éditions in-12 de la même année, et de 1738; que, dans l'édition de 1758, elles furent un peu gazées dans un but

 

(1) J'ai honte, je le répète, d'entrer dans une pareille discussion; mais il faut bien aller jusqu'au bout.

 

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de bienséance, et qu'elles disparurent enfin dans l'édition de 1765 et les suivantes. Certes, pour être habillée, tant que l'on voudra, l'image d'une courtisane n'en est pas moins repoussante dans un bréviaire.

Dans tous les cas, je le répète, personne aujourd'hui ne peut être responsable de ces produits de l'art du XVIII° siècle. Les estampes du Bréviaire poitevin disparaîtront à leur tour comme celles du parisien; et il y a fort à parier qu'une nouvelle édition du Missel de Chartres ne reproduira pas la gravure que portait en tête celui de 1782. En parlant de ces choses, je croyais donc écrire de l'histoire ; je serais désolé d'avoir blessé qui que ce fût, et à plus forte raison des personnes que j'honore profondément et à bien des titres.

Après ces réclamations que j'adresse à ceux qui m'ont attaqué si violemment sur ce que j'ai dit de l'altération des ornements sacrés, et des gravures de certains livres liturgiques, pressé de finir enfin cette lettre, je prends néanmoins la liberté, Monseigneur, d'ajouter quelques mots encore sur un reproche que vous m'avez fait, et qui me paraît exiger de ma part une justification.

Vous avez dit, Monseigneur, que l'histoire de la fabrication des nouvelles liturgies, telle que je l'ai racontée, était de nature à diminuer le respect que doit avoir pour ces liturgies le clergé qui en use dans la célébration des offices divins.

Je réponds à cela que ce serait en effet un grand malheur que la déconsidération qui s'attacherait à ces formules s saintes et vénérables de la prière publique, dans lesquelles, suivant l'axiome connu, nous devons aller chercher la règle de la foi. C'est pour cela même qu'on ne peut se défendre d'un sentiment pénible en lisant les lettres pastorales placées en tête de la plupart des nouveaux bréviaires du XVIII° siècle, lorsqu'on entend les prélats déclarer qu'ils ont retranché du bréviaire antérieur les

 

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choses vaines, superstitieuses et peu édifiantes qu'il renfermait, tandis qu'en définitive on voit qu'ils ont fait disparaître presque  tout l'ensemble vénérable du Bréviaire romain.

Mais, s'il s'agit des livres modernes, dont nous connaissons les auteurs, et qui ont été implantés sur les ruines de ce qui était antique et décrété par l'Église, le mal ne me semble réel que selon la manière dont on envisage le fait et le droit dans cette innovation. Pour ceux qui croient que tout a été régulier dans le passé, et qu'il n'est nul besoin de revenir sur ses pas, je conçois que toute attaque à la considération dont ils voudraient voir jouir les nouveaux livres leur soit sensible. Quant à ceux, au contraire, qui penseraient que le remaniement de la liturgie a été à la fois irrégulier et funeste, et qui appelleraient de tous leurs vœux, dans le sens du bref de Sa Sainteté, un retour aux anciennes prières de l'Eglise catholique, il est bien clair qu'ils ne peuvent pas envisager la question du même point de vue. Je n'ai pas besoin, sans doute, d'affirmer que ma manière de penser est bien plutôt dans le sens des seconds que dans celui des premiers. Je devais donc agir en conséquence.

Quant à croire que le silence gardé par moi sur ces matières eût empêché le clergé de s'occuper des origines liturgiques, ou que du moment qu'il s'en fût occupé, on aurait pu l'empêcher d'être choqué d'événements certains en eux-mêmes, mais déplorables ; c'est une idée qui malheureusement ne se pourrait soutenir. La trouée est faite désormais par la science moderne dans le domaine des origines et antiquités religieuses, et l'étude de la liturgie compte maintenant parmi les accessoires obligés de toute science archéologique et esthétique. Déjà l'éveil nous avait été donné du dehors sur l'importance architectonique de nos églises. Les symboles confiés à nos antiques sculptures, à nos vitraux vénérables étaient déjà inspectés avec zèle

 

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par des étrangers, et l'érudition profane en allait exploiter le monopole, avec plus d'un péril, si un rare et magnifique dévouement ne fût venu se jeter à la traverse  pour sauver notre honneur clérical (1).  Le Comité historique des arts et monuments  poursuit en ce  moment,  avec activité, des recherches intelligentes sur les couleurs liturgiques, sur la forme des vêtements  sacrés ; et tandis que nous en sommes encore à produire périodiquement ces misérables méthodes de plain-chant, destinées à éterniser la dégradation de cette principale branche de la liturgie, des  sociétés savantes dissertent sur  l'histoire, sur  les monuments, et sur la réhabilitation de l'œuvre  immortelle de saint Grégoire. L'étude  des chartes  et des chroniques a fait découvrir aux apprentis  de la science diplomatique que nous avions remis à neuf les Introït de nos messes, aussi bien que les verrières de nos absides.  Les travaux  récents  entrepris  sur  la poésie  légendaire,  la nécessité de rétablir les textes liturgiques cités en nature ou par allusion dans tous les monuments du  moyen âge, ont fini par faire remarquer à plus d'un homme  sérieux que les livres, dans lesquels nous chantons aujourd'hui, diffèrent essentiellement de ceux dans lesquels on chantait au moyen âge. Il est naturel de  rechercher la  cause de cette refonte de la  prière publique  qu'on croyait inviolable ; arrêterons-nous ces  investigations ? N'est-ce pas après tout la plus facile des confrontations que celle qui peut se faire, en quelques minutes, par la comparaison des diverses  éditions du  missel, ou du bréviaire de telle ou telle église ? Mais, quand on aura fixé, au  moyen

 

(1) Je veux parler de la magnifique publication des RR. PP. Arthur Martin et Cahier, sur les vitraux de la cathédrale de Bourges. Au reste, sur plusieurs points de la France, des travaux sont publiés sur l'archéologie religieuse par des ecclésiastiques; j'oserai faire observer que tous ces écrivains sont favorables au rétablissement de l'antique liturgie, et qu'ils veulent bien avoir quelque bienveillance pour mes faibles essais.

 

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des dates typographiques, l'époque  de l'innovation, n'en viendra-t-on pas tout naturellement à  en rechercher les auteurs ? Les monuments du XVIII° siècle sont là, au service des savants laïques aussi bien qu'au nôtre. Seulement, si nous ne prenions les devants pour désavouer une entreprise contraire, après tout, au génie de l'Église catholique, et dont, encore une fois, nous ne sommes pas les complices, ne serions-nous pas en quelque manière responsables des inconvenances de plus d'un genre qui seraient proférées et écrites sur ces matières délicates ? Que d'idées incomplètes ! Quelle confusion de faits et de principes ! Disons le mot, que de scandales au milieu d'une pareille mêlée !

Ne nous faisons donc pas illusion.  La science  épuisée de rationalisme et  de  recherches matérielles avance de. plus en plus sur le terrain de la religion qu'elle a entrepris de défricher, trop humainement,  sans doute. Il y a du danger, assurément, dans cette tendance un peu aveugle et surtout impétueuse ; il y a du bien aussi. Éclairons donc la route avant le passage de ces hommes trop désintéressés dans tout ce qui  nous occupe le plus. Afin  de montrer nos institutions dans toute leur grandeur à ces yeux profanes, réformons ce qui a besoin  de l'être ; désavouons du moins les contradictions dont nous ne pouvons encore anéantir les conséquences matérielles.  Cela nous est d'autant plus facile, que notre jeune Église du Concordat de 1801 n'a pas de traditions gênantes,  et  si, pour nous rétablir en harmonie parfaite avec toutes les autres églises par celle de Rome, il nous faut retourner à la pure source grégorienne  de la  liturgie, disons,  à notre tour, avec franchise, et personne ne s'en scandalisera : Nous n’aurions pas aujourd'hui à changer de  bréviaire et  de missel, si nos pères du XVIII°  siècle  n’en eussent changé les premiers.

Mais si le public laïque et profane  est déjà si peu  loin de nous sur ce terrain de la liturgie, j'ose me  permettre de

 

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de croire, Monseigneur, que la publication de votre brochure est destinée à hâter sa marche. Mes deux volumes n'avaient pas occupé la presse profane comme cet  opuscule a su le faire. On veut désormais savoir ce qu'il y a au fond de ces questions, et les plus incompétents, sous le point de vue scientifique, ouvrent néanmoins les oreilles, au bruit des libertés du royaume de France  violées  et foulées aux pieds. On entend prendre fait et cause en cette matière toute cléricale maintes gens qui seraient fort  en peine de réciter couramment leur Pater, ou leur Credo. Le plus étrange dans tout cela, c'est que les invectives et les menaces de cette foule  me viennent chercher, moi novateur insigne, tandis que les éloges, les félicitations montent vers vous, Monseigneur,dans un accord vraiment inexplicable. Après le Journal des Débats, il vous a fallu subir le Siècle, la Gazette de France, le Courrier Français, et plusieurs autres non moins profanes, entre lesquels je dois citer l’ Émancipation, qui a cru devoir intituler un article : Opposition de Monseigneur l'archevêque de Toulouse à  la réaction jésuitique.   Puis, est  venu M. Dupin, dans  son célèbre éloge de Pasquier;  puis M. Isambert, dans sa philippique annuelle à la Chambre des députés, et chacun sait si l'un et l'autre ont parlé dans le sens de mon livre. Ce n'est  donc pas tout à fait ma faute si la question liturgique a pris tout d'un coup  un si vaste développement, et, assurément, ce n'est pas moi non plus qui lui ai imposé cette étrange couleur.

Le moment est venu, Monseigneur, de clore cette lettre déjà beaucoup trop longue; mais l'importance du sujet, la vigueur de votre attaque, la gravité des reproches que vous m'avez adressés m'ôtaient la possibilité d'être court

dans ma défense.

J'ai parlé avec liberté et franchise, comme il convenait devant le public, au tribunal duquel vous avez cru devoir

 

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en appeler contre moi. C'est à lui maintenant de juger et de prononcer.

Que si, dans le cours de cet écrit, il m'était  échappé : quelque chose qui outrepassât les bornes de la légitime i défense, je serais prêt à le désavouer comme contraire non seulement à mon devoir, mais encore à mon  intention.

Enfin, Monseigneur, permettez-moi de finir cette lettre comme je l'ai commencée, c'est-à-dire en rappelant le souvenir de l'action glorieuse, qui, il y a trente ans, vous marqua pour jamais du sceau des confesseurs de la liberté ecclésiastique. Qu'importe, après tout, que vous ayez vaincu ou non, aujourd'hui, dans cette polémique d'un moment avec un homme obscur, quand l'Eglise garde chèrement la mémoire des combats que vous livrâtes pour elle sur le plus formidable des champs de bataille ? Regardez en arrière, Monseigneur : votre triomphe est assez beau. Si donc, en ce moment, par la permission divine, je me trouvais avoir remporté une humble victoire, ce ne serait pas à moi qu'elle serait due, mais à la Vérité seule, à la Vérité qui est au-dessus de tous, parce qu'elle est la Lumière et la Vie.

Agréez, je vous en supplie, Monseigneur, l'hommage du profond respect avec lequel je veux toujours être,

 

DE VOTRE  GRANDEUR,

 

Le très humble et très obéissant serviteur,

 

Fr. Prosper GUÉRANGER,

Abbé de Solesmes.

 

 

APPENDICE

 

TEXTE DE MONSEIGNEUR L'ARCHEVÊQUE DE  TOULOUSE

 

L'ÉGLISE DE FRANCE INJUSTEMENT FLÉTRIE, ETC.  (*)

 

§ IV

 

Examen des reproches faits par Dom Guéranger aux Bréviaires et Missels de Paris, adoptés dans les trois quarts des autres diocèses (1). [p. 45]

 

Le premier prélat français que Dom Guéranger accuse de l'hérésie liturgique (2) est François de Harlay, archevêque de Paris, et il faut voir comment il le traite (3). Cet archevêque, comme plusieurs prélats, faisait une guerre opiniâtre au Saint-Siège et à ses doctrines. Et ne croyez pas que cette guerre ne regardât que les principes dits ultramontains : il est trois points sur lesquels l’école française d'alors (par conséquent Fr. de Harlay) n'était que trop unanime: 1° diminuer le culte des saints; 2° restreindre les marques de dévotion envers la sainte Vierge ; 3° comprimer l'exercice de la puissance des Pontifes romains. Aussi trouve-t-on dans le Missel de Harlay, de honteuses et criminelles mutilations, des témérités coupables ; encore est-on loin d'avoir signalé toutes celles qui paraissaient dans cette œuvre ; elle renfermait en outre les plus singulières contradictions... Étrange nécessité que subira la révolte jusqu'à la fin, de se contredire d'autant plus grossièrement, qu'elle se donne pour être plus conséquente à elle-même (4). [p. 46]

 

(*) Les renvois placés en marge reportent le lecteur à la brochure de Monseigneur d'Astros, et non au livre de Dom Guéranger. (N. de l'É.)

 

 

COUP D'OEIL SUR LES  ACCUSATIONS DE  DETAIL PORTEES  PAR MONSEIGNEUR  l'ARCHEVÊQUE  DE  TOULOUSE  CONTRE  LES Institutions liturgiques.

 

Dans cette courte revue, je mets sous les yeux du lecteur le texte même du Prélat, plaçant en regard mes observations et mes réponses, à l'aide de renvois.

 

(1) Vous voulez sans doute, Monseigneur, insinuer par cette expression dans les trois quarts des autres diocèses, que ma témérité est montée jusqu'à insulter les trois quarts de l'Église de France. Permettez-moi de vous faire observer d'abord que les Bréviaires et Missels de Paris,publiés par les archevêques de Harlay et de Noailles ne sont adoptés dans aucun diocèse, et que les Bréviaire et Missel de Vintimille occupent moins de quarante diocèses sur quatre-vingt-un ; encore ont-ils été, et sont-ils encore tous les jours modifiés dans la plupart des diocèses où ils ont été adoptés.

 

(2)  Je n'ai point parlé d'hérésie liturgique, mais bien d'hérésie antiliturgique ; ce qui n'est pas tout à fait la même chose. De plus je n'ai point accusé François de Harlay de l'hérésie antiliturgique ; j'ai dit que, dans son œuvre, des principes ont été émis sous prétexte de perfectionnement qui se trouvent être identiques à plusieurs de ceux que nous avons signalés comme formant le système antiliturgiste. Je suis bien loin de rétracter cette assertion qui n'est que trop démontrée par les faits ; mais enfin elle n'est pas identique à celle que l'on m'attribue.

 

(3)  Je le traite, en empruntant les propres paroles de Fénelon qui connaissait parfaitement ce malheureux prélat.

 

(4)  Il faut voir l'ouvrage lui-même pour vérifier la valeur de ces assertions. Faire imprimer en italiques et même en capitales les phrases d'un auteur, ce n'est pas tout à fait les réfuter.

 

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Voilà bien l'œuvre liturgique de Fr. de Harlay qualifiée de révolte, accusée de criminelles mutilations, de témérité coupable. Eh bien ! qui croirait que le même prélat se trouve, quelques pages plus haut et quelques pages plus bas, justifié par son accusateur lui-même, presque sur tous ces chefs (1). « On ne peut nier, dit-il, que l'archevêque de Harlay n'eût le droit de travailler à la réforme du bréviaire de son Église, puisque l'Église de Paris s'était maintenue en possession d'un bréviaire particulier.

« Il ne pouvait être blâmable d'avoir rétabli certains usages... dont la pratique avait été momentanément suspendue.

« Dans le cas d'une correction....., c'était une chose louable de remplacer certaines homélies (2) de livres faussement attribués aux saints Pères.

« Il était louable également de choisir dans les monuments de la tradition, des endroits où les saints Docteurs réfutent... les erreurs anciennes et modernes.

« Il est vrai même de dire que le Bréviaire de Harlay présenta dans sa rédaction un certain nombre de passages dirigés expressément contre la doctrine des cinq propositions.

« Les légendes des saints... pouvaient avoir besoin d'être épurées. [p. 47]

« Il pouvait être besoin d'ajouter quelques hymnes pour accroître la solennité de certaines fêtes (3). »

Il y a quelque chose de plus, et qui doit être d'un grand mérite aux yeux de Dom Guéranger ; c'est que le Bréviaire de Harlay avait retenu un vaste ensemble du Bréviaire romain (4).

Mais à tel point que « l'on peut dire encore, sous l'épiscopat de François de Harlay, et sous celui du cardinal de Noailles, que la Liturgie de Paris était et demeurait la Liturgie romaine... Aussi  voyons-nous  le docteur

 

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(1) Il y a donc contradiction dans mon langage. Voyons-en  la preuve.

 

(2) J'ai dit tirées de livres, etc. A force d'abréger mes phrases, on en fait disparaître des mots essentiels au sens.

 

(3)  Je reconnais toujours le droit de François de Harlay sur les points ci-dessus énumérés. C'est aussi la doctrine de ma Lettre à Monseigneur l'archevêque de Reims. Je suis donc bien loin de vouloir retirer en détail ce que j'accorde en thèse générale. Au contraire, voici la conclusion que je place à la suite de cette énumération : je suis fâché, Monseigneur, que vous ne l'ayez pas reproduite, elle eût tout éclairci : Mais le Bréviaire de Harlay ne se bornait pas aux améliorations dont nous venons de parler.

 

(4)  Ce n'est pas seulement aux yeux de Dom Guéranger que la conservation du Bréviaire romain est un grand mérite; c'est aussi aux yeux de l'Église catholique.

 

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Grancolas consacrer un chapitre entier à démontrer en détail l'identité générale du Bréviaire de Paris avec le romain. »

Pour achever l'éloge du Bréviaire de François de Harlay (1), Dom Guéranger nous dit que le nouveau bréviaire avait résisté à l'envahissement des nouveautés, et fortifié même en plusieurs endroits les dogmes de l'Église attaqués à cette époque.

Je laisse à d'autres le soin de concilier ces éloges avec les accusations que nous avons vues plus haut (2). Il ne nous reste qu'à examiner dans le détail les reproches faits à ce bréviaire, dont on reconnaît cependant à peu près l’identité presque générale avec le romain ; ces reproches ne manquent pas (3). [ p. 48]

 

§ Ier . Reproches faits au Bréviaire de François de Harlay.

 

Pour ne rien oublier, l'Abbé de Solesmes attaque d'abord le titre du bréviaire (4), « qui était purement et simplement celui-ci : Breviarium Parisiense. »

« On ne lisait plus à la suite de ces deux mots, comme dans toutes les éditions précédentes depuis 1584,. ces paroles, ad formam Concilii  Tridentini restitutum...

Certes, cette suppression..... présageait bien ce qu'on allait trouver dans l'ouvrage. »

Comme je n'ai pu me procurer aucun exemplaire des Bréviaires de Paris antérieurs à celui-ci (5), je ne me permettrai pas de nier qu'ils portaient le titre que Dom Guéranger leur donne; mais j'en doute beaucoup. Ce qui prouverait qu'ils ne le portent pas, c'est que, dans le chapitre précédent, où cet auteur énumère les diocèses qui, depuis le concile de Trente, adoptèrent purement et simplement le Bréviaire de saint Pie V, ou qui se contentèrent

 

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(1)  Non, Monseigneur, ce n'est point pour achever l'éloge du Bréviaire de Harlay que je fais cette remarque : c'est tout simplement pour être impartial. Seulement, je dois réclamer contre la distraction qui vous a fait rapporter inexactement mon texte. Veuillez retourner à la page même que vous citez : vous y verrez que je n'ai point dit : le nouveau bréviaire avait résisté à l'envahissement des nouveautés ; mais, ce qui est tout différent : Le Bréviaire de Harlay avait, DU MOINS SUR CE POINT, résisté à l'envahissement des nouveautés. Il est question en cet endroit des matières de la grâce sur lesquelles, ainsi que je l'ai constamment remarqué, le Bréviaire de Harlay est exact.

 

(2)  Tout se concilie parfaitement, attendu que les accusations ne sont pas du tout sur les mêmes objets que les éloges.

 

(3) Grâce à Dieu, ces reproches tombent sur tout autre chose que sur les parties  u bréviaire qui sont identiques au romain.

 

(4) Un titre est bien quelque chose dans un livre, surtout quand ce titre est appelé à faire connaître l'autorité du livre lui-même.

 

(5) Et comment osez-vous, Monseigneur, prononcer dans une cause, sans vous être muni des pièces du procès ? C'est du moins s'exposer beaucoup.

 

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de réformer leur propre bréviaire à l'aide des livres romains, il marque avec soin ceux qui ajoutèrent au titre la clause : ad romani formam, ou ex decreto Concilii Tridentini. Or, quand il s'agit du Bréviaire de Paris, il dit que l'on ne fit qu'épurer les anciens livres à l'aide de ceux de saint Pie V, sans dire un mot de la clause en question (1). [p.49]

Ensuite, après quelques reproches vagues de changements, l'Abbé de Solesmes en vient aux détails ; écoutons-le.

« L'office presque entier de la sainte Trinité avait été réformé. »

Toutes les leçons sont les mêmes ; les hymnes sont sans comparaison plus belles dans le parisien; nous parlons ailleurs du choix des antiennes (2).

« Les leçons de l'octave du Saint Sacrement, si belles dans le romain, avaient été remplacées par d'autres. »

On en a conservé plusieurs du romain, particulièrement celles qui servent à prouver, par la tradition des saints Pères, la présence réelle de Notre-Seigneur dans l'Eucharistie. Celles qu'on a remplacées par d'autres, renfermaient, il est vrai, des leçons de piété, et on a mis à la place d'autres textes des Pères qui font un ensemble de preuves accablantes contre les hérétiques modernes (3). [p. 50]

Il est vrai que Dom Guéranger ne trouve pas cela fort bon (4).

« Étrange préoccupation, dit-il, de considérer le Bréviaire comme un arsenal de controverse, un supplément aux traités qu'on étudie dans l'école ! »

Mais quoi de plus utile que de faciliter aux ecclésiastiques la connaissance des saints Pères, par lesquels on peut combattre victorieusement l'hérésie (5) ?

Du reste, ici Dom Guéranger me paraît tomber en contradiction avec lui-même, puisqu'il trouve mauvais que les bréviaires renferment ces beaux monuments de la tradition ;

 

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(1) Une conjecture ne peut jamais suppléer un fait, quand le fait existe et est évidemment démontrable. Les bréviaires de Jean-Francois de Gondy, qui sont l'édition immédiatement antérieure à celle de Harlay, sont encore assez nombreux dans les bibliothèques publiques. Il était tout naturel d'aller les consulter : on y eût vu en toutes lettres, ainsi que sur les missels de la même époque, le fameux ex decreto sacrosancti Concilii Tridentini.

 

(2)  Si les hymnes et les antiennes sont nouvelles, à quoi il faut ajouter encore une partie des psaumes de matines, des répons et des versets, ne suis-je pas en droit de dire que l'office presque entier avait été réformé ?

 

(3)  Pourquoi enlever des livres de la prière les textes que l'Eglise a choisis elle-même pour nourrir la piété des prêtres et des fidèles? C'est toujours la même prétention de savoir mieux que l'Eglise ce qui convient aux livres liturgiques. D'ailleurs, les nombreuses leçons retranchées par François de Harlay étant empruntées aux saints Docteurs, aussi bien que les nouvelles, avaient à la fois le mérite de prouver la doctrine, et de nourrir l'amour envers le grand Sacrement.

 

(4)  Ni l'Eglise non plus, j'imagine : car le supérieur n'aime pas à voir ses œuvres mutilées et défigurées par un inférieur. C'était à l'Eglise romaine de donner la leçon à François de Harlay, et non de la recevoir de lui.

 

(5)  Les livres de liturgie sont des livres pratiques : ils ont valeur de tradition dans ce qu'ils contiennent, quand l'autorité de ceux qui les rédigent est grave, quand la rédaction des formules et le choix des passages de l'Écriture et des Pères qui les composent ont pour eux l'antiquité. L'idée de les rédiger sous forme de manuel des sciences ecclésiastiques est moderne ; elle tend à  ôter de plus en plus à la liturgie son caractère populaire ; quant aux fruits de science produits dans le clergé par ce moyen, j'avoue que je ne les connais pas. Je sais seulement que le clergé, au dix-septième siècle, étudiait et produisait beaucoup plus qu'au dix-huitième.

 

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tandis qu'ailleurs, il reproche aux rédacteurs d'avoir voulu n'employer dans les offices que les paroles de la sainte Écriture, pour abandonner, comme Luther, la tradition (1).

« Si l'on demande, dit-il, à quelles sources avaient été puisées ces modernes formules; » (ne dirait-on pas que source en est mauvaise ?) (2) « on trouvera que des phrases de l'Écriture sainte  en avaient exclusivement fait les frais. Les paroles consacrées  par la tradition avaient dû céder la place à ces centons bibliques (expression bien inconvenante) (3), choisis par des mains suspectes. » Plus bas il attribue formellement aux rédacteurs des bréviaires, et par là aux évêques qui les  ont approuvés, l'intention hérétique de Luther, d'exclure la tradition (4). [p. 51]

« C'est aussi, dit l'Abbé de Solesmes, le principe de Luther dans sa réforme liturgique, quand il disait : Nous ne blâmons pas ceux qui voudront retenir les introït des Apôtres, de la Vierge et des autres saints ; lorsque ces trois introït sont tirés des Psaumes et autres endroits de l'Écriture. » Il venait de dire : Nous ne saurions nous empêcher de protester énergiquement contre cette maxime protestante. »

On ne pouvait pas intenter une accusation plus injuste. Il prétend que François de Harlay, dans la préface de son bréviaire, a avoué en partie cette intention. « Maxime protestante, dit-il, qu'on n'avait pas osé  avouer tout entière dans la préface du bréviaire. » On l'avait donc avouée en partie.

Veut-on voir comment ? Écoutons François de Harlay

dans cette même préface : « Ce que nous avons, dit-il, ajouté, a été tiré, ou des écrivains les plus recommandables, la plupart contemporains, ou à peu près, des événements qui sont rapportés, ou des sources les plus authentiques des saints Pères, préférant même les plus [p.52]

 

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(1) Je vous demande pardon, Monseigneur, il n'y a point ici de contradiction; je ne trouve pas du tout mauvais que les bréviaires renferment ces monuments de la tradition ; mais seulement qu'on ait expulsé d'autres monuments de la tradition pour placer ceux-ci et quand je reproche aux rédacteurs de chercher à n'employer dans les offices que l'Ecriture au préjudice de la tradition, j'entends par tradition les pièces liturgiques composées par l'Église et qu'on a remplacées arbitrairement par des versets de la Bible, dans les nouveaux livres.

 

(2)  Ce n'est pas la parole de Dieu qui est mauvaise; mais on peut faire de la parole de Dieu un usage mauvais: les saints Pères nous disent qu'elle est un glaive à deux tranchants.

 

(3)  L'expression est de saint Jérôme, qui appelle ces mosaïques bibliques composées par des particuliers d'après un plan préconçu, des centons, pareils à ceux qu'on a tirés d'Homère et de Virgile, Homerocentonas, Virgiliocentonas.

 

(4)  Il ne s'agit pas ici de la tradition en général, mais des prières traditionnelles de la liturgie.

 

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anciens ; ou enfin, et surtout,  des oracles sacrés de la sainte Écriture (1).

La maxime protestante, que Ton ne veut se servir que de l'Écriture et qu'on rejette la tradition, est-elle ici le moins du monde avouée? N'est-elle pas au contraire manifestement combattue (2) ? Et qui pourrait croire qu'elle eût été énoncée dans la préface du missel, comme ose le dire Dom Guéranger ? Les paroles qu'il en cite, fussent-elles fidèlement rapportées (3), sont bien loin de contenir une semblable hérésie.

Mais allons au fait : Y a-t-il au monde un bréviaire où l'autorité de la tradition soit plus expressément reconnue et les monuments traditionnels plus multipliés que dans le Bréviaire de Paris, même dans celui donné par Charles de Vintimille ?

 

(Suit une discussion à l’ effet de montrer par des passages du Bréviaire de Vintimille, que dans ce livre on admet les monuments de la tradition comme dépositaires de la foi catholique. Qui jamais a nié cela ? Les jansénistes en appelaient à saint Augustin et aux autres Pères qu'ils prétendaient leur être favorables ? Ils compilaient même les passages des saints Pères en faveur de la présence réelle, témoin la Perpétuité de la foi. Cela les empêchait-il de remplacer par des textes nouveaux les formules traditionnelles de la liturgie qui contenaient la foi de l'Église, et qui avaient pins d'autorité pour appuyer les dogmes que telles phrases de l'Écriture et des Pères, nouvellement et arbitrairement alléguées par une autorité individuelle et locale ? On peut voir sur cette question l'archevêque Languet.)

 

Revenons à l'examen des reproches de détail. [ p. 55]

« Les correcteurs du bréviaire déshéritèrent l'Église de Paris de sa  vieille gloire, d'être fille de saint Denys

 

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(1)  Encore une fois entendons-nous bien, et ne changeons pas l'état de la question. François de Harlay fait des retranchements à la Liturgie romaine dans un but systématique. Il remplace des formules traditionnelles par des passages de l'Écriture. C'est là ce que j'appelle faire la guerre à la tradition. En disant cela, je parle comme deux grands évêques du siècle dernier, Languet de Sens et Froullay du Mans, dont on peut voir les passages cités dans mon second volume.

 

(2) Oui, s'il était vrai que les écrits des Pères sont les seuls dépositaires de la tradition catholique; mais si l'on considère, avec tous les théologiens, les paroles de l'Eglise dans la Liturgie comme une plus haute expression de la foi que celle-là même qui est contenue dans les livres des saints Docteurs, il est bien clair que rejeter d'un côté les prières liturgiques universelles, et de l'autre insérer dans les leçons du bréviaire de nouveaux extraits des saints Pères, ce n'est pas du tout prendre un parti favorable à la tradition telle que l'entend l'Eglise.

 

(3)  Vous n'avez donc pas en main le Missel de Harlay, Monseigneur, puisque vous vous bornez à insinuer que je n'ai pas rapporté fidèlement les paroles de ce prélat? Il vous serait pourtant bien facile de me confondre, si j'ai altéré le passage que je cite. Ce missel se trouve dans les bibliothèques de la capitale; faites-le consulter. Autrement s'il est permis d'insinuer sans preuves qu'un auteur s'est laissé aller à des falsifications, que deviennent la justice et la charité? Mais nous en verrons bien d'autres.

 

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l’Aréopagite ; ils portèrent leur main audacieuse sur le fameux prodige qui suivit la décollation du saint fondateur de leur propre Église. »

Je sais que des auteurs graves soutiennent que le premier évêque de Paris a été saint Denys l'Aréopagite;mais l'opinion contraire a prévalu. Dom Guéranger convient que les légendes des saints propres aie Bréviaire de Paris pouvaient avoir besoin d'être épurées. On a cru devoir épurer celle-là; Dom Guéranger pense autrement : la question est de savoir qui a raison (1).

Je fais la même réponse aux questions semblables, par exemple à celle de savoir si Marie, sœur de Lazare, était la femme pécheresse dont parle saint Luc ; il me semble difficile de le croire d'après le texte de l'Évangile (2). [ p. 56]

Quant au fameux prodige qui suivit la décollation de saint Denys,  qui, d'après l'ancienne légende, porta sa tête, en faisant quelques pas, après qu'on la lui eut coupée, j'en demande pardon à Dom Guéranger; mais il ne fait pas ici preuve d'une saine critique : on peut  dire que personne n'admet ce fait comme probable. Les partisans mêmes  de l’aréopagitisme, c'est  l'expression  de Dom Guéranger (3), ne se sont pas mis en peine de le défendre. Hilduin est  le premier,  et peut-être le seul,  qui Tait sérieusement rapporté. L'auteur de l’ Histoire de l'Église gallicane, que l'Abbé de Solesmes  ne doit pas suspecter, traite ce miracle de tradition populaire, qui a pu venir de ce que les peintres représentent quelquefois les martyrs qui ont été décapités, portant leur tête entre leurs mains (4).

Notre auteur passe ensuite au culte de la sainte Vierge. « Nous voyons, dit-il, qu'il avait été grandement diminué. On avait supprimé les bénédictions de  l'office de Beata qui étaient propres à l'Église de Paris.  » Pour connaître la vérité de ceci, de même  que de tous les changements que l'on dit avoir été faits dans le bréviaire nouveau, il faudrait avoir sous les  yeux un exemplaire

 

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(1) Je vous prie d'observer d'abord, Monseigneur, que la légende de saint Denis dont il est ici question n'était point une légende propre au Bréviaire de Paris, mais purement et simplement la légende proposée par l'Eglise romaine à toutes les églises pour la fête de saint Denis. Il n'y avait donc pas lieu d'appliquer ici le droit de correction dont j'ai parlé. Quant au fait, j'ai dit et je soutiens qu'une église particulière manque à sa propre dignité, lorsqu'elle abdique ses traditions particulières pour abonder dans le sens de quelques critiques sans autorité. Dans une église, comme dans une famille, toutes les gloires sont bonnes à recueillir; c'est un héritage qu'on doit défendre à outrance contre les étrangers, sous peine d'être accusé de trahison par les générations futures.

 

(2) Quand le sentiment qui identifie Marie, sœur de Lazare, avec la femme pécheresse de saint Luc, n'aurait pour lui qu'une probabilité respectable, et c'est bien le moins que les adversaires puissent lui reconnaître, toujours est-il que la profession expresse que font de ce sentiment l'Église latine et l'Église grecque suffisait pour interdire à François de Harlay toute tentative de l'expulser de la Liturgie. Il s'agissait là de ce qu'il y a de plus populaire et de plus universel dans le Bréviaire et le Missel, et nullement de légendes propres au Bréviaire de Paris.

 

(3) Et des savants français et étrangers qui ont traité cette controverse.

 

(4) Ce n'est point ici le lieu de discuter ce prodige qui n'a sans doute rien de supérieur à la puissance de Dieu. Il suffira de répéter pour la centième fois que si le fait iconographique de saint Denis portant sa tête dans sa main n'atteste pas autre chose, sinon que ce saint a été décollé, on devrait donc représenter de même tous les saints qui ont subi ce genre de martyre ; tandis que chacun sait qu'il n'y a que quatre saints martyrs, honorés de cette distinction parce que les traditions portent que ces saints ont marché, leur tête dans la main. De plus, quand on ne ferait remonter qu'à Hilduin la mémoire de ce fait glorifié dans la Liturgie des deux Eglises d'Orient et  d'Occident, c'en serait toujours assez pour

 

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des  bréviaires antérieurs,  et je n'ai pu  m'en procurer aucun (1).

Du reste, cette allégation n'a, à mes yeux, aucune vraisemblance. Dans le Bréviaire de Harlay, je trouve pour deuxième bénédiction de l'office de Beata in sabbato, celle-ci qui est toute en l'honneur de la sainte Vierge : Alma virgo virginum intercedat pro nobis ad Dominum. Les trois bénédictions du petit office sont toutes à la louange de la Mère de Dieu : quel motif aurait pu engager a faire le changement dont on parle (2) ?

« Les capitules du même office, dans lesquels 1 Eglise romaine applique à Marie plusieurs passages des livres sapientiaux qui ont rapport à la divine Sagesse, avaient été sacrifiés. »

Ces capitules étaient donc propres au Bréviaire romain. Pourquoi voudrait-on que le Bréviaire de Pans eut abandonné ses propres capitules tirés des prophètes, et qui annoncent les grandeurs de la sainte Vierge, pour prendre ceux du romain, fort beaux, je l'avoue, mais qui ne s’appliquent à Marie que dans un sens accommodatif (3) ? Ce qui est remarquable, c'est que nous verrons Dom Guéranger blâmer les rédacteurs du Bréviaire parisien de l'emploi de l'Écriture dans ce même sens (4). [ p. 57]

« Le Bréviaire de Paris ne contenait plus cette antienne formidable à tous les sectaires : Gaude, Maria Virgo, cunctas hœreses sola interemisti ; ni cette autre . Dignare, etc., etc. »

Il faut toujours en venir à savoir si ces antiennes étaient dans l'ancien Bréviaire parisien (5); et quand cela serait, il y aurait encore à examiner si elles n'ont pas été remplacées par des textes de l'Écriture au  moins  aussi expressifs (6).

« Mais on ne s'était pas arrêté là : le Bréviaire de Paris... fournira désormais des armes contre la vente de la glorieuse Assomption de Marie; car, pourquoi avoir

 

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établir que cette  tradition  n'a pas passé  Je l'iconographie dans l'histoire, mais bien de l'histoire dans l'iconographie ; à moins qu'on n'ait à nous produire des statues ou des peintures antérieures à Hilduin : ce que je désirerais beaucoup savoir pour le progrès de la science liturgique et archéologique. En attendant, je persiste à croire que ce n'était pas à l'Église de Paris de renier la première un fait illustre que tant d'églises d'aujourd'hui encore confessent comme un des titres de gloire de son saint fondateur.

 

(1)  C'est un malheur; car la simple inspection d'un de ces bréviaires eût fait éviter la nouvelle erreur que je suis obligé de relever.

 

(2)  Voilà l'inconvénient de raisonner par conjectures quand il s'agit de faits positifs. Des bénédictions propres aux fêtes de la sainte Vierge n'ont heureusement pas cessé pour cela d'être lisibles dans les bréviaires parisiens antérieurs à celui de Harlay. Il y en a trois propres pour le premier nocturne, trois pour le second, une pour le troisième, sans parler de celles qui sont marquées pour les jours dans les octaves.

 

(3)  Mais, Monseigneur, il y a ici évidemment un malentendu. Les capitules de l'Eglise romaine pour les fêtes de la sainte Vierge, se lisent dans toute l'Église latine : ils étaient dans tous les bréviaires de Paris antérieurs à celui de Harlay. Ceux dont vous parlez, et qui sont tirés des Prophètes, sont précisément ceux que le nouveau bréviaire substitua aux anciens. Antérieurement, l'Église de Paris n'en avait pas d'autres que ceux de l'Église romaine.

 

(4)  Rien de plus naturel cependant. Il est évident que de simples individus, et même une église particulière, ne sauraient revendiquer sur l'Écriture sainte le même droit que peut avoir l'Église romaine. J'ai traité cette question dans ma Lettre à Monseigneur l'archevêque de Reims. Elle tient profondément à la matière des Lieux théologiques.

 

(5)  Oui, Monseigneur, elles y étaient, et même dans le Responsorial de saint Grégoire, et par suite dans tous les bréviaires de l'Eglise latine. Je regrette de plus en plus que vous n'ayez pas eu entre les mains les  pièces d'un procès que vous avez jugé si vite.

 

(6) Mais encore une fois, si, sous le prétexte de placer dans les livres liturgiques des textes plus expressifs, une église particulière

 

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retranché ces belles paroles de saint Jean Damascène dans la sixième leçon : Hanc autem verè beatam, etc.  [ p. 59]

Que dom Guéranger se rassure : le Bréviaire de Harlay a des leçons du même Saint qui disent l'équivalent en ces termes : Si tamen sanctissimum ac vitalem ipsius somnum mortem appellare fas est : nam quœ veram vitam cunctis protulit, qui tandem mortem degustare aut ei obnoxia esse queat (1).

Un prélat italien, très peu favorable aux Français, faisait au Bréviaire de Paris un reproche tout opposé ; et il remarquait que l'on était allé plus loin que Rome, en faveur de l'Assomption delà sainte Vierge,en ce que l'oraison de cette fête dans le Bréviaire romain ne dit pas un mot de l'Assomption de la sainte Vierge; tandis que l'oraison du Bréviaire de Paris dit expressément que la Mère de Dieu, tout en subissant la mort, n'a pu être retenue dans ses liens : In qua sancta Dei genitrix mortem subiit temporalem, nec tamen mortis nexibus deprimi potuit, quœ Filium tuum, etc. (2). Il est assez clair que l'Église enseigne moins expressément le fait de la résurrection de Marie en rapportant le texte d'un saint Père qui le suppose ou le raconte, qu'en l'affirmant elle-même (3).

« Pourquoi, le quatrième jour dans l'octave, avoir retranché les trois leçons dans lesquelles le même saint Jean Damascène raconte la grande scène de la mort et de l'Assomption corporelle de la mère du Sauveur ? » Il y a une réponse fort simple à faire ; c'est que ce jour-là l'Église de Paris a pour leçons du deuxième nocturne le récit de la victoire de Philippe le Bel, qu'elle attribue, avec ce Roi vainqueur, à la protection de la sainte Vierge et dont elle lui rend grâces (4). [ p. 60]

On peut penser encore que les rédacteurs du bréviaire n'ont pas jugé les faits racontés par saint Jean Damascène assez authentiques pour les consigner dans la liturgie. Benoît XIV, qui les  a discutés avec soin, n'a voulu rien

 

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peut se débarrasser des formules anciennes et universelles, c'en est fait de l'autorité hiérarchique et de la tradition.

 

(1) Non, Monseigneur, ces termes ne sont point équivalents à ceux qui ont été retranchés. Ils sont beaucoup moins clairs et beaucoup moins énergiques en faveur de l'Assomption corporelle de Marie, que cette phrase, par exemple : Quomodo corruptio invaderet corpus illud in quo vita suscepta est ? Et quand il y aurait identité absolue, quel motif de s'en venir changer des leçons que l'Eglise universelle récite ce jour-là, pour les remplacer par un équivalent?

 

(2)  Cette célèbre collecte qui se lit au Sacramentaire de saint Grégoire, s'est conservée à Paris et dans plusieurs autres églises. On doit en féliciter ces églises, tout en respectant les motifs pour lesquels l'Église romaine et la plupart des autres ne l'ont pas gardée. Quoi qu'il en soit, de ce que l'Église de Paris confesse l'Assomption corporelle de la sainte Vierge, dans la collecte, il ne s'ensuit pas le moins du monde qu'elle ait eu raison de remplacer par d'autres textes moins expressifs sur ce prodige, ceux qu'on lisait précédemment à matines. C'est là toute la question.

 

(3)  Je suis charmé, Monseigneur, de vous voir d'accord avec moi sur ce grand principe que, dans la Liturgie, l'Église enseigne moins expressément en rapportant un texte, qu'en affirmant elle-même les choses contenues en ce texte. Voilà précisément ce que je ne cesse de crier. La parole directe de l'Église, c'est celle par laquelle elle affirme directement; donc, les répons, les antiennes, les leçons, rédigés par l'Église, renferment directement sa doctrine; donc, une réforme de la Liturgie qui fait table rase de ces répons, de ces antiennes, de ces leçons, fait un tort immense à l'Église, à qui elle enlève sa voix en lui enlevant ses affirmations. On peut revoir là-dessus les magnifiques paroles de Languet.

 

(4)  Reste à savoir si cette commémoration d'une victoire politique insérée dans l'office divin donnait le droit de s'isoler de la forme liturgique suivie ce jour-là dans toute l'Église.

 

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affirmer à cet égard : Nos in utraque controversia, tum de anno, tum de loco quo obiit B. Virgo, nullius partes sequimur (1).

Voici une accusation plus sérieuse, mais qui repose sur un fait absolument faux.

« On avait supprimé le bel office de la Visitation en masse. »

On n'a qu'à ouvrir le Bréviaire de Fr. de Harlay, et même celui de Charles de Vintimille, et on y trouvera, au 2 juillet, l'office de la Visitation de la très sainte Vierge en masse, du rit double-majeur, avec ses belles hymnes, ses neuf leçons, ses antiennes propres (2). Dans le Bréviaire de Vintimille, il y a une hymne de plus, ce qui prouve que l'on n'était pas devenu plus hostile au culte de la sainte Vierge (3).

Dom Guéranger n'accuse pas la commission du bréviaire d'avoir supprimé en masse l'office de l'Annonciation de la sainte Vierge ; mais il lui fait un crime presque aussi grand d'avoir changé seulement le titre de cette fête. « Dans la plupart des églises de l'Occident comme de l'Orient, la solennité du 25 mars était appelée l’ Annonciation de la sainte Vierge; par quoi l'Église voulait témoigner de sa foi et de sa reconnaissance envers celle qui prêta son consentement pour le grand mystère de l'incarnation du Verbe. La commission osa s'opposera cette manifestation de la foi et de la reconnaissance... et décréta que cette fête serait désormais et exclusivement une fête de Notre-Seigneur, sous ce titre : Annuntiatio Dominica. » [ p. 61]

Nous verrons plus tard, que, d'après Dom Guéranger lui-même, la commission qu'il accuse de cette intention impie, était composée presque en entier d'hommes savants et respectables, qui ne pouvaient vouloir s'opposer à la manifestation de la foi et de la reconnaissance envers la Mère de Dieu (4).

 

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(1)  Benoît XIV ne dit pas un mot des leçons en question, et s'il en eût parlé, il n'eût pas manqué assurément, comme toujours, de recommander les usages de l'Église romaine. Quoi qu'il en soit de l'opinion privée de tel ou tel savant sur les circonstances de la mort de la sainte Vierge, l'Église, sur ces faits non dogmatiques, adopte une fois un parti dans la Liturgie, et s'y tient ensuite, donnant à l'opinion qu'elle a embrassée un genre d'autorité qui manquera toujours au sentiment opposé.

 

(2)  Est-ce que j'ai nié par hasard qu'il y eut une fête de la Visitation dans le Parisien moderne? C'est assurément la première fois que le mot office et le mot fête ont été pris l'un pour l'autre. Les nouveaux bréviaires ont supprimé en masse les offices de Pâques, de Noël, etc. : ils leur ont substitué d'autres offices inconnus jusqu'alors : mais personne ne les a accusés d'avoir supprimé les fêtes en supprimant les offices.

 

(3) Il vaudrait mieux restituer aux vêpres de la Visitation l'Ave maris Stella, ou rétablir l'octave de la Conception que François de Harlay avait du moins respectée, plutôt que de produire ainsi de nouvelles hymnes, inconnues à toute la chrétienté. Le profit n'est pas clair du tout, ni pour la piété des fidèles, ni pour la gloire de la sainte Vierge.

 

(4) A fructibus eorum cognoscetis eos. C'est Notre-Seigneur lui-même qui nous a appris à connaître les hommes par leurs œuvres, et non par leurs intentions.

 

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Le seul mot Annonciation rappelle nécessairement la Vierge pleine de grâces à qui le grand mystère de l'Incarnation du Fils de Dieu fut annoncé. [p. 62]

Comment Dom Guéranger peut-il imputer à la commission d'avoir par ce seul titre décrété que cette fête serait désormais EXCLUSIVEMENT une fête de Notre-Seigneur ? Tandis, surtout, que l'office tout entier, les hymnes, les versets, l'invitatoire, les leçons, les répons, tout enfin est en l'honneur de la sainte Vierge ; partout il y est parlé de sa virginité et de sa maternité divine : et on vient nous dire qu'on a voulu l'exclure de cette fête (1) !

Tels sont les reproches faits au Bréviaire de Fr. de Harlay pour prouver qu'on a voulu diminuer la dévotion à la sainte Vierge. Dom Guéranger passe ensuite à ce qui regarde l'autorité du Pontife romain. [p. 63]

« D'abord, dit-il, François de Harlay décréta que la fête de saint Pierre serait descendue au rang des fêtes solennelles mineures. »

Si, dans le bréviaire antérieur, cette fête était en effet du rit solennel majeur, je ne chercherai pas à excuser le changement (2).

Dans le Bréviaire de 1828, elle a été élevée (3} au rit solennel majeur ; il en a été de même dans le Bréviaire de Toulouse.

« Les légendes qui racontaient les actes d'autorité des Pontifes romains dans l'antiquité, furent modifiés d'une manière captieuse... Nous n'en citerons qu'un exemple entre vingt; c'est dans l'office de saint Basile. Il y est dit de ce Saint : Egit apud sanctum Athanasium et alios Orientis episcopos ut auxilium ipsi ab Occidentalibus episcopis postularent. » [ p. 64]

Voilà qui est bien positif. On a modifié captieusement, dans Tintention d'affaiblir l'autorité du Saint-Siège, la légende de saint Basile. Mais quelle est cette légende qu'on a modifiée? Est-ce celle du  Bréviaire romain (4)?

 

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(1) Il est bien évident que ce n'est pas ici le lieu de discuter cette question en elle-même. J'y reviendrai ailleurs longuement; pour le présent, je me bornerai  à dire avec le grand archevêque Languet qui avait reproché à l'évêque de Troyes cette même innovation : « Nous n'avons d'autre désir que celui que nous inspire l'Église universelle : nous ne réclamons que ce que cette même Église a établi, institué, observé depuis  tant de siècles.  Elle n'oublie point, dans la messe grégorienne de l'Annonciation, ni Jésus-Christ, ni son Incarnation ; mais elle veut que nous honorions la Mère avec le Fils, que nous allions au Fils par la Mère, de même que par la Mère le Fils est venu à nous. En cela rien n'est enlevé au Fils, puisque ce sont seulement ses dons divins que nous honorons  dans sa Mère. Est-ce donc à l'Église de Troyes de réformer l'Église universelle? »  (Œuvres de Languet, tome II, in-fol., p. 1388)

 

(2) Je vous remercie, Monseigneur, de cette première concession. Du moment qu'il vous plaira d'ouvrir un bréviaire parisien antérieur à 1680, vous y verrez au calendrier la vérité de ce que j'avance; en attendant, trouvez bon que moi et tous ceux qui ont ce bréviaire entre les mains prenions acte de ce bienveillant aveu.

 

(3) Ce n'est pas élevée, mais restituée qu'il faut dire, Monseigneur. Vous savez que j'ai rapporté avec tous les éloges qu'elle mérite cette mesure de réparation qui honore la mémoire de Monseigneur de Quélen.

 

(4) C'est la légende du Bréviaire de Jean-François de Gondy, qui était celle du romain. Si vous vouliez bien, Monseigneur, rapporter mes textes dans leur entier, au lieu de les tronquer, comme vous l'avez fait jusqu'ici dans presque toutes les citations que vous avez données, tantôt en remplaçant par des points les mots supprimés, tantôt en réunissant plusieurs phrases en une seule, sans en avertir, ma pensée eût été facilement saisie. Or, j'ai dit que, au lieu de se contenter du récit de la vie des saints, tel que l'Église universelle l'emploie dans les légendes du Bréviaire romain qui étaient avant François de Harlay celles du parisien, on modifia ces légendes d'une manière captieuse, sous couleur de conserver les

 

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Elle ne fait aucune mention du recours des évêques d'Orient au Saint-Siège. Sont-ce les monuments anciens d'où le fait est tiré, qui ont été modifiés, altérés par les correcteurs du Bréviaire de Paris ? Du tout ; le monument où l'on a pris ce fait, c'est la lettre même où saint Basile dit à saint Anathase qu'il faudrait recourir aux évêques d'Occident. Or, la légende du Bréviaire de Paris rend très fidèlement le texte de la lettre de saint Basile. L'Église d'Orient étant persécutée par Valens, empereur arien, ce grand évêque écrit à saint Athanase qu'il ne sait qu'un moyen de soutenir la foi attaquée, qui est d'exposer les maux dont ils sont accablés, aux évêques d'Occident, afin que ceux-ci viennent à leur secours. Voici les propres paroles de saint Basile : Dudum novi... unam Ecclesiis nostris viam, si nobiscum conspirent Occidentales episcopi.. Mitte aliquos ex sancta tua Ecclesia viros in sana doctrina potentes ad Occidentales episcopos : expone illis calamitates quibus premimur. [ p. 65]

Où est donc l'altération de la lettre de saint Basile (1) ? L'Abbé de Solesmes voudrait-il blâmer les correcteurs de l'avoir rendue fidèlement? C'est en vain qu'il nous parle d’appel, lequel ne pouvait avoir lieu qu'autant que c'était au Saint-Siège qu'on avait recours. Il ne s'agit pas ici d'appel : l'affaire avait été jugée par le concile de Nicée ; c'est l'unité de doctrine entre les évêques de l'Occident et de l'Orient que l'on veut opposer aux ariens et à Valens qui les soutenait ; saint  Basile le  dit expressément (2).

Il y a d'ailleurs une réflexion bien simple à faire, pour justifier les auteurs de la légende. Qui les obligeait de rapporter un fait, dont il n'est pas question dans le Bréviaire romain, et qui est favorable à l'autorité du Saint-Siège ?  Ils n'avaient qu'à le passer sous silence (3).

Dom Guéranger a donc calomnié ici les rédacteurs du bréviaire. Il les calomnie encore, quand il cite les légendes de saint Athanase et de saint Etienne comme ayant été [ p. 66]

 

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paroles mêmes des Pères. Dans les légendes romaines, l'Église tient surtout à faire un récit clair et facile à saisir; elle évite avec soin les expressions ambiguës qui pourraient devenir pour les faibles une pierre d'achoppement. Que diriez-vous, Monseigneur, d'un bréviaire qui, dans l'octave du Saint Sacrement, viendrait nous donner en leçons les passages de saint Augustin, dans lesquels ce Père nous dit que l'Eucharistie est la figure du corps de Jésus-Christ ; ou si vous voulez encore, dans la fête de saint Pierre, les textes du même saint Docteur qui disent que ce Prince des Apôtres recevant les Clefs était la figure de l'Eglise? Vous trouveriez cette façon d'agir fort suspecte. Eh bien! Monseigneur, je trouve, dans ma simplicité, que cette expression : Occidentales episcopi, pour signifier le Souverain Pontife, est plus qu'imprudente aussi. Elle rappelle le trop malheureux système d'après lequel le Pontife romain ne pourrait exercer sa prérogative que dans la dépendance de l'Épiscopat. A cette époque, on était bien près de 1682, et vous savez mieux que moi, Monseigneur, que ce texte de saint Basile est exploité par les Ellies Dupin, les Pereira, les Febronius, etc., pour prouver que, dans le sentiment de l'antiquité, le gouvernement de l'Eglise n'est pas un gouvernement monarchique.

 

(1)  Personne, que je sache, n'a parlé d'altération de la lettre de saint Basile. Il n'est question que de légendes  modifiées.

 

(2) Si vous pensez, Monseigneur, que l'idée du Siège Apostolique n'est pas même incluse dans cette expression : Occidentales episcopi, vous vous déclarez pour un sentiment, qui assurément n'est pas celui de nous autres, ignorants ultramontains ; mais vous nous contraignez à nous défier davantage des motifs de l'insertion de cette phrase dans le Bréviaire de Harlay.

 

(3)  Comment ce fait pourrait-il être favorable à l'autorité du Saint-Siège, s'il n'est question que des évêques d'Occident pris en général. Il y a ici contradiction, et c'est une raison de plus de tenir pour suspectes les intentions des rédacteurs du bréviaire. Oui, ils pouvaient parfaitement passer sous silence ces expressions, dont l'école française de ce temps-là était si capable d'abuser.

 

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altérées, toujours dans l'intention d'affaiblir l'autorité du Saint-Siège.

La légende de saint Athanase, du Bréviaire parisien, en dit plus en faveur de cette autorité, que celle du Bréviaire romain. Le Bréviaire romain dit seulement que ce saint fut souvent rétabli dans son siège par l'autorité de Jules, Pontife de Rome, par la protection de l'empereur Constant, et par les décrets des conciles de Sardique et de Jérusalem : Sœpè è sua Ecclesia ejectus, sœpè etiam in eamdem, et Julii Romani Pontifias auctoritate, et Constantis Imperatoris patrociniis, decretis quoque concilii Sardicensis, ac Jerosolymitani restitutus est.

Le Bréviaire de Paris dit, de plus, que les ennemis de saint Athanase l'accusèrent auprès du Pape Jules ; ce qui montre que les Orientaux reconnaissaient l'autorité du Pontife de Rome: Ab inimicis, tam apud Julium Papam, quam apud Constantium Imperatorem, est impetitus. On ajoute que le Pape Jules le déclara innocent dans un concile de cinquante évêques : A Julio Papa in Synodo quinquaginta episcoporum innocens declaratus, etc. Où est donc cette altération qui tend à diminuer l'autorité du Pape dans la légende de saint Athanase (1) ?

Quant à la légende de saint Etienne, le Bréviaire parisien y dit les mêmes choses que le romain sur la controverse relative au baptême des hérétiques. Il rapporte ce mot si concis par lequel le Pape décida la question : Nihil innovetur nisi quod traditum est.

Il est vrai que l'on y fait mention de la fraude par laquelle Basilide, évêque d'Espagne, qui avait été déposé dans un concile pour cause d'idolâtrie, parvint à être rétabli par le Pape Etienne ; mais ceci ne nuit en rien à l'autorité du Saint-Siège : le recours de Basilide au Pape prouve au contraire cette autorité (2). Il faut en dire autant de ce qui est rapporté dans la même légende, que Marcien, évêque d'Arles, s'étant joint au parti des Novatiens,

 

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(1) Voici la modification captieuse de la légende de saint Athanase. Le Bréviaire romain, résumant les témoignages de l'histoire dans une expression claire et précise, dit que saint Athanase fut rétabli sur son siège par l'autorité de Jules, Pontife romani. Le Bréviaire de Harlay dit qu'il fut déclaré innocent par le Pape Jules, dans un concile de cinquante évêques. L'Eglise romaine nous enseigne que l'acte de saint Jules ne fut pas seulement une déclaration de l'innocence de saint Athanase, mais un acte d'autorité pour rétablir ce grand évêque sur son siège. Le Bréviaire de Harlay, sous couleur, je le répète, de conserver les paroles mêmes des Pères, affaiblit la valeur de l'acte pontifical de saint Jules, et ne manque pas de parler du concile dont était assisté le Pape dans ce jugement. C'est le système de Tillemont et de Fleury avec lequel on est parvenu à amoindrir dans l'idée d'un si grand nombre de Français, la notion du pouvoir papal qui, suivant les conciles œcuméniques de Lyon et de Florence, est un pouvoir plein et parfait au-dessus de tous les sièges même patriarcaux, et qui n'emprunte rien du concile, fût-il même œcuménique. Au reste, tous les passages que j'ai relevés des légendes de saint Basile, de saint Athanase, de saint Etienne, furent signalés dès l'apparition du Bréviaire de Harlay dans les célèbres Remarques sur le nouveau Bréviaire de Paris. Chacun sait combien on était loin alors d'avoir la liberté d'écrire dont nous jouissons aujourd'hui.

 

(2) C'est-à-dire que ce fait prouve qu'on avait surpris la bonne foi du saint Pape. Or, chacun sait que le principe de l'Église catholique dans la rédaction des légendes de l'office, est de n'y admettre que les faits qui peuvent servir à l'édification du peuple chrétien. Quelle édification peut résulter de ce fait qui occupe à lui seul la cinquième partie de la légende, et qui n'est ni expliqué ni adouci par ce qui l'entoure?

 

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Faustin de Lyon, et ensuite saint Cyprien, en donnèrent avis à saint Etienne, et lui conseillèrent (1) d'adresser des lettres aux évêques de la province et au peuple d'Arles, pour que l'on rejetât Marcien, et qu'un autre fût mis à sa place : his (Novatianis) cum se Marcianus Arelatensis adjunxisset, Stephanns primum à Faustino Lugdunensi, subindè à sancto Cypriano monitus est in hune modum : Dirigantur in provinciam et ad plebem Arelate consistentem à te litterœ, quibus, abstento Marciano, alius in loco ejus substituatur.

Ce récit  confirme  parfaitement, au lieu de  l'attaquer, l'autorité de l'Église romaine (2).

Dans tous les cas, il faudrait vérifier  si cette légende n'était pas dans les anciens bréviaires de Paris (3). [p. 68]

« L'esprit qui animait l'archevêque de Harlay parut surtout dans la suppression de deux pièces. La première est le fameux répons de saint Pierre, où on lisait ces paroles : Tibi tradidit Deus omnia regna mundi. »

Ce répons était-il dans les bréviaires antérieurs ? J'en doute fort (4). Une raison assez simple de ne pas l'y introduire, était la règle qu'on s'était faite, de n'employer que des paroles  de  l'Écriture  dans  ces parties de l'office (5).

Si l'on veut prendre littéralement les paroles citées, il faut dire que,même sous le rapport temporelle Souverain Pontife est le roi universel du monde : était-il sage de susciter en France des disputes à cet égard (6) ?

« La seconde (pièce) est une antienne... où on loue (les saints Papes) de n'avoir pas craint les puissances de la terre ? Dùm esset summiis Pontifex, terrena non metuit, sed ad cœlestia régna gloriosus migraine. » Il faut vouloir tout blâmer pour faire un pareil reproche.

 

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(1)  Lui conseillèrent ; l'expression est plus gracieuse, j'en conviens; mais la légende que vous citez, Monseigneur, porte : Monitus est, qui est un peu moins respectueux. Quelle nécessité, pour raconter ce fait, de mettre dans la légende ces paroles de saint Cyprien, d'après lesquelles on serait en droit de conclure (si le reste de la tradition ne les expliquait heureusement) que tous les jours un évêque peut dicter au Pape sa règle de conduite ? Encore une fois, tel n'est point le ton des légendes de l'office divin : l'Eglise catholique savait les rédiger avant François de Harlay.

 

(2)  Oui ; cette autorité de l'Église romaine, telle qu'elle est conçue par les Ellies Dupin, les Tillemont et les Fleury: un Chef ministériel, caput ministeriale, un pouvoir exécutif, un premier entre les pairs. Heureusement, rien ne nous empêche plus de dire anathème à cette doctrine.

 

(3)  Ainsi, Monseigneur, de votre propre aveu, vous tranchez une question sans avoir vérifié les faits.

 

(4)  Toujours le même aveu, pour la neuvième fois. Que ne me faisiez-vous l'honneur, Monseigneur, de me demander les livres dont vous aviez besoin pour me réfuter ? Je vous assure que je me serais fait un plaisir de vous les faire passer. Il est vrai que votre attaque contre mon livre eût été peut-être moins violente, si nous eussions pu nous entendre préalablement.

 

(5)  Qui avait fait cette règle? est-ce le Bréviaire de Gondy ? Mais nous voyons le contraire, puisqu'on en expulse des répons de style ecclésiastique. Est-ce le Bréviaire de Harlay? Mais il contient encore la plupart des antiennes et répons de style ecclésiastique que le Bréviaire de Gondy avait empruntés au romain. Au reste, vous savez mieux que moi, Monseigneur, que le répons dont il est ici question est dans les œuvres de saint Grégoire le Grand, aussi bien que dans la Liturgie de l'Église universelle, qui l'a toujours répété depuis ce saint Pontife.

 

(6)  On ne saurait admettre que la Liturgie puisse être modifiée, surtout dans les prières qui sont à l'usage de l'Église universelle, pour le seul fait de ne pas déplaire à Louis XIV, ou à tout autre prince temporel.

 

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D'ailleurs Dom Guéranger altère (1) le texte ; terrena ne signifie pas les puissances, mais tous les maux que l’on peut craindre sur la terre (2).

« Nous ne pouvons nous dispenser de mentionner deux changements, dont les motifs nous paraissent du moins inexplicables... Le public se demanda donc par quel motif François de Harlay avait retranché dans l'hymne du dimanche à matines...  les strophes suivantes  Jam nunc, etc. »

Ce reproche est si mal fondé, que je me dispenserai d'y répondre : à coup sûr le public  ne  s'occupa guère du retranchement (3).

Après la critique du bréviaire,  l'Abbé de Solesmes attaque le missel.

« François de Harlay (en ne voulant composer les introït que des paroles de l'Écriture) expulsa de l'Antiphonaire grégorien toutes ces formules solennelles, touchantes, poétiques, mystérieuses, dogmatiques. » Nous avons déjà répondu au reproche de n'employer que les textes de l'Écriture (4).

« Ainsi tombèrent ces introït qui avaient, il est vrai, déjà été interdits par Martin Luther, tels que celui de la sainte Vierge : Salve, sancta parens, etc. » Je ne veux pas me donner le tort que Dom Guéranger s'est donné, en critiquant des formules de prières consacrées par l'Église (5) ; mais on peut dire que cet introït n'est pas de ceux que l'on peut appeler touchants et poétiques (6). Il n'est pas tiré des anciens Pères de l'Église : on l'a pris dans Sédulius, né en 1537, mort en

1631 (7).

« Et cet autre, de l'Assomption, Gaudeamus omnes in Domino,  etc. »

Cet introït ne dit rien de spécial pour la fête de l'Assomption ; il peut aller à toutes les solennités de la sainte Vierge, en changeant seulement le nom de la fête. On en

 

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(1)  Je vous demande pardon, Monseigneur. Dites que je traduis mal, je le veux bien ; mais ne dites pas que j'altère le texte, quand je le reproduis purement et simplement. J'ai bien écrit terrena.

 

(2)  Et quels sont les maux terrestres qui menacent un Pontife fidèle, si ce n'est la colère des princes, avec toutes ses suites? S'il ne s'agissait que des tribulations communes au reste des hommes, telles que celles dont Job fut assailli, l'Eglise ne relèverait pas la constance pontificale du saint qu'elle veut honorer, quand elle dit: Dum esset summus Pontifex.

 

(3)  Je vous demande pardon, Monseigneur; le public s'en occupa : vous pouvez en voir la preuve dans les Remarques sur le nouveau Bréviaire de Paris, qui parurent à l'époque même du bréviaire. On trouva étrange la suppression de ces trois strophes, ainsi que celle, des paroles si belles et si chrétiennes de la reine Blanche à saint Louis, sur la gravité du péché mortel, paroles qui disparurent de la légende de ce saint, par le fait de François de Harlay. La cour et la ville savaient assez que le malheureux prélat, sans parler de ses propres débordements, vivait depuis plusieurs années, à Paris et à Versailles, en face des plus scandaleux adultères, sans avoir jamais dit au roi non licet.

 

(4)  Je ne sais, Monseigneur, si vous avez répondu. Que le lecteur remonte quelques pages, et qu'il juge.

 

(5) Mais par quelle Église ? Je l'ignore. L'Église latine tout entière, y compris celle de Paris, use de certaines formules liturgiques durant des siècles : critiquer ces formules, c'est donc évidemment une témérité contre l'Eglise; les chasser honteusement des livres liturgiques, doit être bien pis encore. Or, maintenant, voici de nouvelles formules introduites dans un diocèse particulier, contradictoirement à toutes les règles, malgré l'Eglise, qui s'est expliquée sur l'unité liturgique et sur telle forme en particulier ; et voilà qu'on sera obligé de regarder comme consacrées par l'Eglise ces innovations! J'avoue, encore une fois, que je n'y comprends plus rien.

 

(6)  Il est permis, sans doute, d'avoir un autre sentiment sur cette  pièce si mélodieuse dans sa diction et dans le beau chant

dont elle est ornée.

 

(7)  Pour le coup, Monseigneur, ce n'est point à vous que j'ai affaire ici, et j'en suis vraiment heureux. Je ne doute pas un instant que vous ne connussiez Sédulius  avant même que je fusse au

 

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a fait l'introït de la fête du saint Cœur de Marie (1), de Notre-Dame de la Merci au 24 septembre (2), et même de la Toussaint. Nous avons en effet à nous réjouir aussi du triomphe des saints, et les saints Anges ne cessent d'en louer le Seigneur.

 

(Monseigneur l’Archevêque  de  Toulouse emploie les six pages suivantes à faire la comparaison des introït, offertoires, etc., substitués par François de Harlay aux pièces romaines qui se lisaient dans le parisien antérieur. Il trouve les morceaux nouveaux supérieurs aux anciens. On sent qu'il est impossible de suivre le prélat dans cette discussion. Tout serait renversé dans l'Église,  comme dans toute société, s'il était permis aux pouvoirs  inférieurs de refaire sous prétexte de perfectionnement  les formules sociales imposées par l’autorité supérieure.  Ce serait proclamer l'insurrection. Nous pouvons raconter ces faits, chercher peut-être à les excuser ; mais les justifier,  c'est vouloir  ébranler cent autres principes bien autrement importants  qu'un introït, ou un offertoire. Quant à la  question  littéraire,  sa solution dépend du point de vue que l'on prend. Y a-t-il dans Homère  un seul vers qu'on ne pût refaire avec plus ou moins de succès ? et cela empêche-t-il l'Iliade d'être une œuvre sublime ? Ainsi en est-il de la Liturgie romaine : il faut la voir d'ensemble, dans tous ses rapports avec l'antiquité, l'histoire, le droit canonique, la mystique, la poésie : faute de cela, on ne la comprendra jamais.

Après l’énumération dont je viens de parler, Monseigneur l'archevêque de Toulouse reprend en ces termes la série des reproches qu'il a cru devoir m'adresser) :

 

Enfin, parlant toujours de François de Harlay avec cette indécence qu'il emploie envers d'autres prélats, l'Abbé de Solesmes déclare être bien loin d'avoir signalé [ p. 75]

 

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monde. Je veux croire ici à une faute d'impression, à une méchanceté d'éditeur, à tout ce qu'on voudra, plutôt que de m'imaginer un seul instant que vous eussiez pu faire naître en 1537 et mourir en 1637,  le célèbre poète  chrétien qui dédia à Théodose le beau poème intitulé : Opus paschale.

 

(1) Il y a ici erreur de fait. Le Missel romain n'a point de Messe du saint Cœur de Marie, et dans les suppléments approuvés de ce Missel, la messe de cette fête n'a pas d'introït Gaudeamus.

(2) L'introït de Notre-Dame de la Merci n'est pas non plus Gaudeamus, mais bien le Salve sancta Parens de Sédulius. Au reste, je ne sais pourquoi je relève ces méprises, le Missel romain étant, grâces à Dieu, plus commun que le Bréviaire parisien de Gondy.

 

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toutes les témérités qui paraissaient dans cette œuvre.

« Elle renfermait en outre, ajoute-t-il, les plus étonnantes contradictions. Suivant le plan de réforme tracé dans la lettre pastorale, toutes les parties chantées du Missel devaient être tirées de l'Écriture sainte ; cependant les proses ou séquences, qui sont bien des parties destinées à être chantées, avaient été conservées.....Étrange

nécessité que subira la révolte jusqu'à la fin, de se contredire d'autant plus grossièrement qu'elle se donne pour être plus conséquente à elle-même. »

 

Tel est le langage respectueux de l'Abbé de Solesmes quand il parle des Évêques (1). Mais qui peut croire (2) que François de Harlay ait annoncé par sa lettre pastorale que, dans le Missel, tout ce qui devait être chanté, serait tiré de l'Écriture ; tandis qu'il faisait composer des proses qui doivent plus que tout le reste être chantées ?

Qu'y a-t-il dans les missels qui ne doive être chanté ? Outre les proses, ne doit-on pas chanter encore les collectes, les préfaces, les postcommunions (3) ? En supposant que François de Harlay ait dit ce qu'on lui fait dire (4), la raison ne demandait-elle pas qu'on l'entendît dans un sens moral, et que l'on supposât quelque faute de rédaction ou d'impression, plutôt que d'attribuer à des hommes qui ont le sens commun, une absurdité aussi palpable, et pour eux sans aucun intérêt. Mais non : Dom Guéranger aime mieux admettre un tel prodige de contradiction [ p. 77]

 

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(1) Permettez-moi, Monseigneur, de vous faire observer que je parle de François de Harlay, et non pas des évêques. L'épiscopat est divin; mais ceux qui en sont revêtus sont des hommes. S'il n'était pas permis de qualifier la conduite et les actes répréhensibles de certains prélats, qui, comme François de Harlay, ont été la honte du clergé, il faudrait renoncer à la vérité et à la moralité de l'histoire. Notre-Seigneur nous a prévenu qu'il y aurait des pasteurs mercenaires aussi bien que des pasteurs fidèles, et il nous a donné des règles pour discerner les uns d'avec les autres. Quand donc un écrivain catholique croit devoir signaler dans quelque prélat les caractères du mauvais pasteur, il peut se tromper sur le fait, comme dans toute question de personnes; mais nul n'a le droit de l'accuser d'avoir voulu flétrir les pasteurs fidèles.

 

(2)  Celui-là peut et doit le croire, qui s'est donné la peine de lire le texte de la lettre pastorale elle-même. Il y verra ces propres paroles : Quin et ea quae cantum attinent, ex solo Scripturarum sacrarum canone desumpsimus ; rati nihil quidquam aut convenientius, aut ad commendandam augustissimi sacramenti majestatem appositum magis, quam si divina res, in qua Dei Verbum secundum formant servi quam accepit, sacerdos simul est et oblatio, ipso verbo quo sese in sacris Scripturis expressit, tractaretur.

 

(3)  Mais, Monseigneur, léchant de l'Eglise proprement dit, celui qu'entendent tous les liturgistes, tous les musiciens, c'est le chant collectif, soit psalmodié alternativement, soit exécuté à l'unisson par le chœur. Les collectes, les préfaces, les postcommunions sont un récit à une seule voix, une sorte de déclamation faite par le prêtre, au nom de toute l'assemblée qu'il préside. L'Eglise grecque est d'accord avec nous dans cette estimation, ainsi que l'antiquité profane à qui nos usages de chœur ont été empruntés.

 

(4)  Mais, Monseigneur, si j'ai fait parler François de Harlay, au moyen d'une imposture, pourquoi ne me confondez-vous pas? Cela vous serait bien facile pourtant. Est-ce que par hasard vous n'auriez pas plus entre les mains le Missel dont vous parlez maintenant, que le Bréviaire dont vous avez parlé si longuement tout à l'heure? En vérité, c'est pourtant trop fort de jeter si gratuitement des insinuations sur la probité d'un écrivain catholique, prêtre et religieux, quand on n'a pas même vu les pièces du procès qu'on juge à propos de lui faire. Veuillez donc, Monseigneur, je vous le demande pour

 

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pour y voir une peine que la REVOLTE subira jusqu'à la fin (1).

Il appelle ici révolte dans François de Harlay ce qu'il a reconnu ailleurs être parfaitement conforme au droit (2).

Après cela, nous laisserons cet auteur attaquer à tort ou à bon droit, tout ce qui s'est fait ou écrit en France en matière de Liturgie, comme le Bréviaire de Cluny, les Missels de Meaux et de Troyes, Claude de Vert, Grancolas, Foinard, etc. (3), pour ne nous occuper que des livres liturgiques de Paris, qui ont été pris pour modèles dans le plus grand nombre des diocèses de France, et que Dom Guéranger attaque, on peut le dire, avec une sorte de fureur, comme on vient de le voir par celui de François de Harlay ; voyons ce qu'il dit du Bréviaire parisien publié sous le cardinal de Noailles.

 

§ II. Bréviaire du cardinal de Noailles.

 

« Il y a très peu de différence, dit l'Abbé de Solesmes, entre les Bréviaires et Missels de François de Harlay et du cardinal de Noailles ; cependant nous signalerons quelques traits fortement caractéristiques. « Entre autres, la postcommunion de saint Damase au 11 décembre : Nullum primum nisi Christian sequenles et Cathedrae Petri communione sociatos, da nos, Deus, Affnum semper in ea domo comedere in qua beatus Damasus successor piscatoris et discipulus crucis meruit appellari. »

Cette postcommunion, tirée d'une lettre de saint Jérôme au pape Damase, exprime clairement ce que ce saint docteur dit, dans cette lettre au pape sur l'autorité du Souverain Pontife, sur la nécessité d'être uni à la Chaire de Pierre, Cathedrœ Petri communione sociatos, et de

 

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votre honneur comme pour le mien, puisque le public nous considère, veuillez donc profiter de la première occasion pour consulter ou faire consulter à Paris, dans les bibliothèques, le Missel de Harlay : c'est alors que vous serez en droit de prononcer avec prudence dans la. question de savoir si j'ai reproduit fidèlement la lettre pastorale que tout le monde peut lire en tête de ce Missel.

 

(1) Ces invectives ne sont que des invectives et tombent devant les faits. François de Harlay parle comme tout le monde, en distinguant les parties de la Messe chantées par le chœur de celles que le chœur ne chante pas. Au reste, la contradiction que j'ai relevée se retrouve dans la Préface de la plupart des nouveaux missels, et elle n'a plus rien de nouveau. Toute l'innovation liturgique est bâtie sur une contradiction, puisque ses auteurs, tout en parlant sans cesse de la vénérable antiquité qu'ils veulent venger des superfétations gothiques, nous ont débarrassé en masse de l'Antiphonaire et du Responsorial de saint Grégoire, ont bouleversé et altéré profondément son Sacramentaire, ont remplacé saint Ambroise et Prudence par Santeul et Coffin, etc.

 

(2) Où ai-je reconnu cela, s'il vous plaît, Monseigneur? Dans quelle partie de mon livre ai-je dit ou insinué qu'un évêque particulier avait droit de remplacer les pièces traditionnelles et universelles de la prière publique, par des formules de son choix? Il me semble à moi que si mon livre dit quelque chose, il dit d'un bout à l'autre tout le contraire de cette doctrine.

 

(3) Il y aurait eu pourtant bien de l'utilité, Monseigneur, a discuter ces différents faits liturgiques. Les extraits de Languet surtout, dans l'affaire du Missel de Troyes, auraient, ce semble, figuré avec avantage dans notre controverse. Pourquoi même ne pas remonter jusqu'au premier volume, qui contient, entre autres, certaines censures de la Sorbonne bien instructives sur la matière des innovations liturgiques ? A une discussion large et complète, on a préféré une guerre de détails : eh ! bien, poursuivons la guerre de détails.

 

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manger l'Agneau dans cette maison, c'est-à-dire dans cette Église, où saint Damase dont on célèbre la fête, a mérité d'être appelé le successeur du pêcheur, et le disciple de la croix ; in ea domo, etc.

Dans la Messe du même jour, telle qu'elle est dans le Missel romain, il n'y a pas un seul mot relatif à l'autorité du Saint-Siège. Qui obligeait le cardinal de Noailles, s'il était ennemi de l'Église romaine, de mettre cette postcommunion dans son Missel (1) ? Qui le croirait? c'est cette postcommunion même que Dom Guéranger incrimine comme étant dirigée contre les Papes.

 

S'il y a quelque obscurité dans les premiers mots : nullum primnm; l'obscurité est la même dans saint Jérôme ; mais ce qui suit en explique assez le sens (2).

Il faudrait que les prêtres qui liront cette Messe de saint Damase, eussent l'esprit bien mal fait pour prendre dans un sens hostile au Saint-Siège, une prière où l'on demande à Dieu pour toute grâce, d'être toujours  uni de

 

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(1)  C'est peut-être la première fois qu'un écrivain catholique met en doute l'état d'hostilité du cardinal de Noailles à l'égard de l'Église romaine. Pourtant, cette scandaleuse rébellion a duré quatorze ans, à la face de toute l'Église : elle a résisté à toutes les condescendances, à tous les ménagements, à toutes les interventions tant de la Cour de France que de l'Épiscopat français lui-même. Benoît XIII s'est vu réduit à examiner s'il n'était pas nécessaire de dégrader l'opiniâtre prélat en le privant de la pourpre, et il ne s'en est abstenu que dans la crainte d'aggraver une situation déjà extrême. Maintenant, voici que ce cardinal, au fort de sa rébellion contre Rome, imagine, à propos de saint Damase, d'insérer en son Missel une oraison propre dans laquelle il s'est avisé de parler de Rome. Mais y a-t-il un moyen de parler de Rome sans l'injurier directement» et néanmoins de manière à lui faire sentir l'antipathie qu'on a pour elle? Les jansénistes, qui voulaient rester dans l'Église et par conséquent retenir une notion quelconque du Pape, avaient trouvé ce moyen. Il consistait à réduire à un simple lien de communion avec le Saint-Siège le devoir absolu de soumission et de dépendance qui résulte, pour tout catholique, de la nature même des pouvoirs donnés par Jésus-Christ à saint Pierre et à ses successeurs. Les écrits de la secte regorgent de propositions en ce sens. Si les jansénistes rencontrent dans la tradition des Pères ou des conciles une expression qui semble réduire à ce lien de communion les relations des fidèles avec Rome, ils s'en emparent, ils le font retentir bien haut, et taisent profondément mille autres passages qui prescrivent cette véritable obéissance au Pontife romain, qui est exigée dans la Profession de foi de Pie IV. L'Église d'Utrecht ne craint pas de se dire unie de communion à la Chaire de saint Pierre : la Constitution civile du clergé exigeait aussi la même chose de ses évêques. Cela veut dire, ce me semble, que dans un temps où de pareilles doctrines sont à l'ordre du jour, le devoir des catholiques est de tenir pour suspecte toute démonstration dans le sens de ces mêmes doctrines, surtout quand l'auteur est connu d'ailleurs pour le co17phée du parti qui les professe. Voilà toute la question.

 

(2)  Ainsi, vous convenez vous-même, Monseigneur, qu'il y a obscurité dans ces mots: Nullum primum nisi Christum sequentes ; reste à savoir maintenant si l'on a eu raison d'aller prendre précisément des mots obscurs pour les mettre dans une postcommunion, en ajoutant pour correctif quelques termes empruntés à saint Jérôme, mais qui ne forment encore qu'un sens ambigu, et

 

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communion avec la Chaire de Pierre, et de manger toujours l'agneau dans cette maison, etc.  (1).

Dom Guéranger n'est pas heureux dans les raisons sur lesquelles il appuie son odieuse interprétation. « Si saint Jérôme, dit-il, eût vécu au temps de Luther ou de Jansénius, il eût marqué avec son énergie ordinaire que, s'il n'entendait suivre d'autre chef que Jésus-Christ, il ne voulait parler que du chef invisible. » Est-ce que du temps de saint Jérôme, il n'y avait pas d'hérétiques ennemis du Saint-Siège (2)? Ce saint Docteur n'avait-il pas, dans le moment même, un motif puissant de relever l'autorité suprême du successeur de Pierre, et ne le fait-il pas réellement, et dans ce qui précède, et dans ce qui suit ? Si donc il n'a pas marqué avec son énergie ordinaire, qu'il ne voulait parler que du chef invisible, c'est qu'il n'a pas eu la pensée que ce fût nécessaire (3).

« Et ces paroles, Cathedrœ Petri communione consociatos, signifiaient-elles uniquement dans la bouche de saint Jérôme un simple lien extérieur sans dépendance sous le double rapport de la foi et de la discipline ? » Et moi je demande : où Dom Guéranger a-t-il vu que le cardinal de Noailles parle ici d'un simple lien extérieur sans dépendance (4) ?

Quelle justice y a-t-il à donner aux mêmes paroles, insérées dans un missel catholique, un autre sens que celui qu'elles ont dans le lieu d'où on les a tirées (5) ? Fallait-il, dans une oraison, dire bien explicitement que l'on reconnaît dans le Pape, non seulement une primauté d'honneur, mais encore de juridiction (6) ? Une postcommunion doit-elle renfermer un traité de théologie (7)? Mais voici une accusation encore plus singulière.

« La dernière partie de la postcommunion offre encore matière à observation ; l'on voit que l'auteur profite des paroles de saint Jérôme, pour flétrir, à propos de l'humilité de saint Damase, ce que la secte appelle le faste

 

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dont les jansénistes, à la secte desquels le cardinal de Noailles appartenait, pouvaient user, sans abjurer en rien leurs erreurs. La lettre de saint Jérôme renferme d'ailleurs beaucoup d'autres choses sur l'autorité proprement dite du Pontife romain : pourquoi ne les employait-on pas? Que si on me répond qu'on ne peut pas tout mettre dans une postcommunion : je demanderai alors pourquoi on ne se contentait pas de la postcommunion du Missel romain et des Missels parisiens antérieurs? C'est ici le cas de dire, comme le spirituel chanoine de la Tour, cité plus haut : Timeo Danaos et dona ferentes.

 

(1)  En effet, ils avaient l'esprit bien mal fait et plus que mal fait, les jansénistes notoires qui formaient la cour épiscopale du cardinal de Noailles : et c'est une raison de plus pour nous, qui n'avons rien de commun avec eux, de nous débarrasser de leurs œuvres.

 

(2)  Non, Monseigneur : au temps de saint Jérôme, le système janséniste de l'Eglise avec un Chef ministériel à qui on est uni par un lien de communion, sans perdre le droit de lui résister, ce système n'existait pas encore. C'est un produit moderne de l'esprit d'erreur.

 

(3)  Je suis parfaitement d'accord avec vous, Monseigneur ; mais il ne s'agit pas de justifier saint Jérôme : la suite de sa lettre en dit plus que la postcommunion, je le sais fort bien; mais c'est la postcommunion toute seule qui est ici en question.

 

(4)  Dans tous les écrits du parti auquel appartenait le cardinal de Noailles.

 

(5)  Tout dépend des intentions de ceux qui ont fait l'extrait. Tous les jours les hérétiques citent les paroles de l'Ecriture et des Pères, pour les détourner à leur profit. Voilà dix-huit siècles que ce manège dure.

 

(6)  Cela n'était pas nécessaire : mais il n'était pas nécessaire non plus d'insérer des expressions louches dans une oraison.

 

(7)  Cela serait impraticable, et personne ne l'a jamais demandé; mais il n'y aurait pas de mal à ce que les paroles de la Liturgie renfermassent de temps en temps une expression formelle de la foi : quand ce ne serait que pour justifier l'axiome : Legem credendi statuat lex supplicandi.

 

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et l'orgueil de la cour romaine. On y demande à Dieu la grâce de manger  l’Agneau dans cette maison où Damase a mérité d'être appelé le successeur du pécheur et le disciple de la Croix. »

A-t-on jamais imaginé, avant Dom Guéranger, que Ton ne pût louer les vertus des saints Papes, sans être accusé de vouloir rappeler les vices contraires de ceux de leurs successeurs qui ont pu en être entachés (1) ?

Mais j'ai ici un reproche plus grave à faire à cet auteur: il change le texte de la postcommunion (2). La voici telle qu'elle est dans le Missel de Paris, au moins dans celui de Ch. de Vintimille (3). Après ce que nous en avons vu plus haut, on y dit : Da nos, Deus, Agnum semperinea domo comedere quant beatus Damasus Petri successor, doctrinœ et virtutum splendore illustravit ; c'est-à-dire, donnez-nous de manger l'Agneau dans cette maison que le bienheureux Damase, successeur de Pierre, a illustrée par sa doctrine et par ses vertus ; ce qui ne fait aucun contraste avec le faste et l'orgueil dont on a prétendu accuser la cour romaine. Mais Dom Guéranger, pour pouvoir incriminer les rédacteurs du Bréviaire, a changé le texte et a mis (4) : In ea domo comedere in qua beatus Damasus successor piscatoris et discipulus crucis meruit appellari ; c'est-à-dire, donnez-nous de manger l'Agneau dans cette maison où Damase a mérité d'être appelé le successeur du pêcheur et le disciple de la Croix. [ p. 81]

 

Ce qui achève de montrer l'injustice de l'accusation de Dom Guéranger, c'est que, dans la secrète de saint Damase, dans la même Messe, on relève la pureté de la foi de l'Église romaine, en lui donnant le titre le plus glorieux, [ p. 82]

 

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(1) Je me suis bien gardé de dire une si énorme absurdité. Il nous est bien permis, à nous catholiques, de louer les vertus des saints Papes, sans paraître avoir intention de rappeler les fautes de quelques-uns de leurs successeurs; mais le ton des écrits jansénistes est assez connu. On sait du reste les satires incessantes que ces amis et fauteurs du cardinal de Noailles lancent contre ce qu'ils appellent la Cour de Rome, toutes les fois qu'ils trouvent l'occasion d'un rapprochement entre les Evêques de Rome, au beau temps de l'Eglise primitive, et les Papes de nos siècles d'obscurcissement. La haute vertu de Clément XI n'a pas désarmé les historiens fauteurs du livre des Réflexions morales.

 

(2) Pour le coup, Monseigneur, je suis un misérable, et vous avez bien eu raison de me dénoncer aux fidèles. Comment! j'ai osé changer le texte d'une postcommunion, afin de l'attaquer ensuite. Un homme capable d'un tel faux est capable de tout. Toutefois, avant d'accepter ma sentence, me sera-t-il permis d'examiner comment vous vous y prenez pour constater le délit ?

 

(3) La voici telle qu'elle est dans le Missel de Paris! — Je tremble, Monseigneur; mais, de grâce, achevez. —AU MOINS DANS CELUI DE CH. DE VINTIMILLE. —Mais quoi, Monseigneur? Nous ne sommes pas au Missel de Vintimille, nous sommes, s'il vous plaît, au Missel de Noailles. Ainsi, vous n'avez pas entre les mains le Missel de Noailles, pas plus que vous n'aviez précédemment le Missel de Harlay, ni le Bréviaire de Gondy : et vous traitez par conjectures des questions toutes positives ! Laissons de côté la charité et la justice : ne parlons que de votre honneur; à quoi vous exposez-vous, Monseigneur?

 

(4) DOM GUERANGER A CHANGE LE TEXTE ET A MIS : IN EA DOMO, etc.!!! Non, Monseigneur, je n'ai pas commis cette indignité. Procurez-vous le Missel de Noailles, ou permettez-moi de vous l'envoyer : vous y trouverez la postcommunion telle que je la donne, à la page 495, colonne à droite, lignes 12-18.

 

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celui de l’Église vierge (1) ; Domine, da illam animi corporisque munditiem ob quam romanae Ecclesiœ judicio tuo electus Sacerdos Damasus, virginis Ecclesiœ doctor virgo mentit appellari : Donnez-nous, Seigneur, cette pureté d'esprit et de corps qui a mérité à Damase, élu par votre jugement Prêtre de l'Eglise romaine, d'être appelé le docteur vierge de l'Église vierge.

 

§ III. Bréviaire et Missel de Ch. de Vintimille.

 

Si Dom Guéranger a traité si mal, comme on l'a vu, les Bréviaires et les Missels de François de Harlay et du cardinal de Noailles, c'est bien pire quand il en vient au Bréviaire et au Missel de Ch. de Vintimille. Écoutons-le.

Dans ce bréviaire, « tout ou presque tout était nouveau ; mais la nouveauté seule ne faisait pas le caractère de cette liturgie. Elle donnait prise aux plus justes réclamations..... Si les auteurs de la correction du Bréviaire de Harlay s'étaient proposé de diminuer le culte et la vénération des Saints, de restreindre principalement la dévotion envers la sainte Vierge, d'affaiblir l'autorité du Pontife romain, ce plan avait été fidèlement continué dans le Bréviaire de 1736 ; mais de plus, on avait cherché à infiltrer les erreurs du temps sur les matières de la grâce et autres questions attenantes à celles-ci. » [ p. 83]

Voilà l'accusation : écoutons les preuves (*). « Pour infirmer le dogme de la mort de Jésus-Christ pour tous les hommes, on avait retranché de  l'office du vendredi

 

(*) Dom Guéranger assure, p. 298, que, sur les vives réclamations qui s'élevèrent contre le nouveau Bréviaire, on plaça des cartons dans les endroits qui avaient le plus révolté les amis de la saine doctrine. Nous n'aurons pas à nous occuper des endroits corrigés (2). Il avoue d'ailleurs que ces corrections furent peu nombreuses.

 

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(1) Cet éloge de saint Damase et de l'Église romaine est de saint Jérôme; mais son insertion dans la secrète ne prouve nullement l'orthodoxie du cardinal de Noailles à l'époque où ce Missel parut. C'était même une affectation des jansénistes de rappeler sans cesse la pureté de la foi romaine dans l'antiquité, pour l'opposer à la corruption qui avait produit la bulle Unigenitus. Les produits de l'innovation liturgique font corps avec toute la littérature du parti : c'est pour cela que, quand on veut bien saisir l'esprit de cette œuvre, il faut de toute nécessité la comparer avec tout ce qui l'entoure.

 

(2) Je prends acte de cet engagement, Monseigneur.

 

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saint l'antienne tirée de saint Paul : Proprio filio suo non pepercit Deus ; sed pro nobis omnibus tradidit illum. »

C'était la première antienne de laudes. Il est difficile de prouver que telle a été l'intention des rédacteurs dans le changement des antiennes des laudes. Il paraît, au contraire, qu'ils ont voulu raconter toutes les circonstances de la passion de Notre-Seigneur, dans les répons de matines, les antiennes de laudes et celles de vêpres (1).

Le neuvième répons de matines dit que Jésus-Christ est mort sur la croix pour nous : Peccata nostra ipse pertulit in corpore suo, super lignum; ut peccatis mortui, justitiœ vivamus. Dom Guéranger objectera que l'antienne supprimée dit de plus qu'il est mort pour nous tous (2). Eh bien ! qu'il lise la troisième antienne de laudes du jeudi saint; il y verra que les rédacteurs n'ont pas craint de rapporter les textes sacrés qui prouvent que Notre-Seigneur est mort pour nous tous : Omnes nos quasi oves erravimus... posuit Dominas in eo iniquitatem omnium nostrum (3). [p. 84]

« On avait fait disparaître d'une leçon du lundi de la Passion, ces paroles : Magnum enim facinus erat cujus consideratio illos faceret desperare ; sed non debebant desperare pro quibus in Cruce pendens Dominus est dignatus orare. »

Dans le Bréviaire de François de Harlay, chaque férié du Carême a un évangile, suivi d'une homélie en trois leçons. Dans celui de Ch. de Vintimille, chaque férié a d'abord deux leçons de l'Écriture, ensuite l'évangile suivi de l'homélie en une seule leçon. Or, le lundi dans la semaine de la Passion, on n'a pas retranché d'une leçon le passage ci-dessus ; mais on a retranché deux leçons ; et c'est dans la dernière que le passage en question se trouvait (4).

 

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(1) Mais qui obligeait donc les rédacteurs du bréviaire de s’imposer cette règle, quand ils voyaient bien que son premier effet était de faire disparaître des antiennes populaires et chantées de temps immémorial dans  l’Église ? Des gens qui font la règle sont responsables des inconvénients de cette règle. Quant à l’intention perverse des rédacteurs, il me semble que rien n’est plus certain, quand on les connaît d’ailleurs.

 

(2) En effet, il est bien évident que ce dernier texte n'est pas identique au premier.

 

(3) Dans le système de Quesnel, ces paroles ne sont pas identiques pour le sens aux paroles supprimées. Celles-ci disent que Jésus-Christ a été livré pour chacun de nous, qu'il est notre rançon à tous ; pro nobis omnibus tradidit illum : celles-là disent simplement que toute notre iniquité a été placée sur lui. Les jansénistes n'ont jamais nié que les péchés même des réprouvés n'aient été aussi la cause de la mort du Christ : seulement, ils disent que cette mort n'était pas offerte pour eux.

 

(4) Pourquoi ce changement arbitraire par lequel on rompait avec le Bréviaire romain et tous les autres admis jusqu'alors? Quiconque pose une règle arbitraire doit répondre des conséquences, surtout s'il est suspect d'ailleurs de vouloir ces conséquences. On pourrait, avec un pareil système, légitimer tous les abus : il ne s'agirait que de faire des lois qui décréteraient ces abus en principes

 

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Je ne sache pas qu'une des erreurs des jansénistes  ait été d'admettre des péchés irrémissibles (1).

La trahison de Judas fut certainement un péché plus grand que celui des Juifs qui crucifièrent Notre-Seigneur. Eh bien ! on trouvera dans la IV° leçon du jeudi saint, du Bréviaire de Ch. de Vintimille, un passage de saint Chrysostôme qui enseigne la même vérité que le passage supprimé dans les leçons du lundi de la Passion. Saint Chrysostôme y dit, en parlant de Judas : O Christi benignitatem ! O Judœ dementiam et insaniam ! Ille namque vendidit illum triginta argeneis ; Christus autem postea non recusavit hunc ipsum sanguinem venditum vendenti dare in remissionem peccatorum, si ipse voluisset... ita et sacrœ mensœ particeps ille fuit, ut nullum excusationis locum haberet. C'est-à-dire : O bonté de Jésus-Christ ! ô folie et fureur de Judas ! Il a vendu son Maître pour trotte deniers; et après cela Jésus-Christ n'a pas refusé de donner ce même sang à celui qui l'avait vendu pour lui mériter la rémission de ses péchés, s'il avait voulu l'obtenir... Ainsi il participa (avec les autres disciples) au banquet sacré, pour qu'il ne lui restât aucune excuse, s'il persévérait dans son péché (2). [ p. 85]

Continuons.

« A la fête de sainte Agathe, une autre homélie du même saint docteur avait pareillement disparu, parce qu'on y lisait ces mots : Quod ideo dixit, ut ostenderet superiore nobis auxilio opus esse (quodquidem omnibus illud petentibus paratum est) si volumus in hac luctatione superiores evadere. »

Dans le Bréviaire de François de Harlay, les fêtes semi-doubles, comme celle de sainte Agathe, avaient trois nocturnes et neuf leçons ; dans le Bréviaire de Ch. de Vintimille, ces fêtes n'ont qu'un nocturne et trois leçons, la première de l'Écriture occurrente, et les deux autres composées  de  la légende du  Saint ;  c'est [ p. 86]

 

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(1) Il ne s'agit pas ici de péchés irrémissibles. Saint Augustin, parlant des juifs réprouvés, les reprend d'avoir désespéré de leur pardon, parce que, dit-il, le Seigneur avait daigné prier pour eux sur la croix. Cette proposition tendant à prouver que Notre-Seigneur a prié même pour les réprouvés, était pour ce motif odieuse aux jansénistes, et voilà pourquoi ils s'en débarrassèrent.

 

(2) Je n'ai pas nié, j'ai même dit expressément que les rédacteurs du bréviaire y avaient inséré certains textes qui pouvaient être favorables au sentiment catholique sur les questions agitées alors dans l'Eglise. Ce fut la matière de la Défense du bréviaire qui parut dès 1736 ; mais l'auteur de cette brochure perdait son temps à vouloir persuader le public de l'innocence complète de ce nouveau livre liturgique. Le parti janséniste désavouait une telle Défense, et n'en prônait que plus haut son cher bréviaire. « Cette apologie, disait le Journal de la secte, fait peu d'honneur au bréviaire, qui n'en avait pas besoin et qui se défend assez par lui-même. »

 

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ainsi que l'homélie de la fête de sainte Agathe a été supprimée (1).

« On avait retranché pareillement la deuxième leçon du lundi de la Pentecôte, qui renfermait ces paroles : Ergo quantum in medico est sanare venit œgrotum (Christus). Ipse se interimit quiprœcepta medici servare non vult. Salvari non vis ab ipso : ex te judicaberis. » Dans le Bréviaire de François de Harlay, il n'y a pas de leçon de l'Écriture pendant l'octave de la Pentecôte ; mais seulement une homélie en trois leçons sur l'évangile. Dans celui de Ch. de Vintimille, il y a toujours une leçon de l'Écriture, une deuxième tirée d'un saint Père, et une troisième qui consiste dans une homélie sur l'évangile en une seule leçon, au lieu d'une homélie en trois leçons. On a donc retranché dans le Bréviaire de Ch. de Vintimille, les deux dernières leçons et le passage cité par Dom Guéranger qui se trouvait dans la deuxième (2).

 

« Dans la deuxième leçon de l'office de saint Léon, des : paroles de ce saint docteur qui semblaient mises là tout exprès pour commander l'acceptation du formulaire et la soumission à la bulle, avaient  été effacées. Mais aussi combien elles étaient expressives ! Damnent (hœretici) apertis prqfessionibus sui superbi erroris auctores, et quidquid in doctrina eorum universalis Ecclesia exhorruit detestentur; omniaque decreta synodalia quœ ad excisionem  hujus haereseos Apostolicœ Sedis confirmavit auctoritas, amplecti se et in omnibus approbare, plenis et apertis ac propria manu subscriptis protestationibus eloquantur. » [ p. 87]

Et de quel Bréviaire ces paroles avaient-elles été effacées (3) ? Ce ne peut pas être du Bréviaire romain,  puisqu'elles ne s'y trouvent pas. Ce qu'il y a de remarquable, et que Dom Guéranger ferait bien de nous expliquer, c'est qu'elles ont été insérées dans le Bréviaire même de Paris,

 

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(1) Même réponse que plus haut. Les rédacteurs faisaient la loi, ils sont responsables de toutes les conséquences de la loi.

 

(2) Même réponse encore. C'est une chose curieuse, Monseigneur, que tout-à-l'heure, à propos du Bréviaire de Harlay, vous avez pris acte, avec triomphe, de ce que j'ai dit que dans ce bréviaire on avait inséré des textes des Pères contre les erreurs jansénistes, attendu que François de Harlay n'aimait pas la secte et savait la contenir; et maintenant, que nous voyons nos jansénistes de 1736 occupés à démolir pièce à pièce l'œuvre de François de Harlay, à laquelle appartenaient les divers textes dont nous parlons, vous n'avez plus que des paroles d'excuse et d'approbation pour le nouveau système. Si pourtant François de Harlay est loué par vous, Monseigneur, aussi bien que par moi, d'avoir fortifié le Bréviaire parisien par ces divers textes, Charles de Vintimille ne peut pas être également sage de les avoir expulsés cinquante ans après, quand le parti contre lequel ils étaient dirigés était devenu plus audacieux et plus fort.

 

(3) Du Bréviaire de François de Harlay, le seul en question.

 

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dans lequel Dom Guéranger prétend que les jansénistes les ont supprimées (1).

«  Un passage  de  la troisième leçon de saint Martin, Pape et Martyr, avait également disparu.  On en devinait sans peine la raison, quand on se rappelait qu'il y était parlé de l'édit de l'empereur Constant, qui prescrivait le silence sur les questions de la foi, et de la résistance du saint Pape à une mesure qui compromettait si gravement les intérêts de l'orthodoxie. Les partisans du silence respectueux avaient donc retranché les paroles suivantes : Interim Constans, ut suo Typo ab omnibus  subscriberetur, silentiumque in eo  de quœstione catholicos inter  et monothelitas agitata indictum observaretur... ; Romam misit Calliopam a quo Martinus, cum edicto  impio juxta  Lateranense concilium resisteret, Roma vi abductus est. »  [ p. 88]

Le 10 novembre, on fait l'office de saint Léon le Grand, et seulement mémoire de saint Martin (2).  A la fin de la troisième leçon, on lit une légende abrégée de saint Martin, où l'on parle, et du  Type de Constant que ce saint Pape  condamna dans un concile de cent cinq évêques, et de sa courageuse résistance, qui lui  valut  l'exil et  le martyre ; voici le texte : Qui, condemnata, in concilio Lateranensi centum et quinqua  episcoporum, cum suis principibus hœresi, jussu Constantis imperatoris,  cujus Typum quemadmodum et antea Ecthesim  Heraclii, reprobaverat, per Calliopam Ravennensem Exarchum de Ecclesia raptus, etc. Si c'est avec  intention  que l'on a supprimé la mention du silence prescrit  par le Type, on ne peut que blâmer une pareille suppression (3), quoique l'on parle de la condamnation du Type qui prescrivait le silence ; mais la nécessité de réduire  les deux leçons de saint Martin en une seule, a pu donner lieu au retranchement (4). Du  reste, il ne faut pas croire que le  silence ordonné par l'empereur Constant fût la même chose que [ p. 89]

 

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(1) Je vais vous l'expliquer, Monseigneur. Rien de plus simple. Ces paroles furent restituées par le moyen d'un des fameux cartons. Vous aviez pourtant dit, Monseigneur, que nous n'avions pas à nous occuper des endroits corrigés. Il eût été bon de s'en souvenir, dans l'intérêt même du bréviaire et de sa réputation.

 

(2) Pourquoi supprimer ainsi la fête de ce grand et saint Pape, et la réduire à une simple mémoire ? Au reste, les rédacteurs trouvaient double avantage à cette suppression : débarrasser le calendrier de la fête d'un saint Pape (ils en avaient déjà biffé cinq autres), et faire disparaître un texte qui les offusquait.

 

(3) J'ai donc raison aussi de la blâmer, comme la blâmèrent les catholiques qui écrivirent contre le bréviaire. Quant aux intentions, on est bien en droit de les conclure de tout l'ensemble de la conduite et des écrits des rédacteurs. Tout se tient dans une œuvre pareille.

 

(4) Mais qui donc avait statué cette nécessité ?

 

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le silence demandé par les jansénistes : Constant prescrivait le silence aux défenseurs de la vérité; les jansénistes voulaient que l'on n'exigeât d'eux qu'une soumission extérieure et un silence respectueux (1).

« C'était dans le même esprit que l'on avait supprimé, au 26 novembre, l'office de sainte Geneviève du miracle des Ardens. »

Il y a ici une fausseté et un contre-sens : une fausseté, parce que cet office n'a pas été supprimé (2) ; seulement il est semi-double, et comme les semi-doubles n'ont que trois leçons, tandis qu'auparavant ils en avaient neuf, on a dû retrancher ici l'homélie de saint Irénée (3).

Il y a ensuite, un contre-sens. « Si l'on a fait cette suppression, c'est, dit Dom Guéranger, a cause de certaines leçons tirées de saint Irénée, et dans lesquelles étaient données les règles pour discerner les miracles des hérétiques d'avec ceux de l'Eglise catholique ; ce qui devenait par trop embarrassant, si on en voulait faire l'application aux prodiges du Bienheureux Diacre. » Il n'est nullement question, dans les leçons de saint Irénée, de règles pour distinguer les miracles des hérétiques d'avec ceux de l'Eglise catholique. Ce saint Docteur dit que les hérétiques ne peuvent en faire aucun ; tandis qu'il s'en opère beaucoup dans toute l'Église catholique : Non possunt hœretici cœcis donare visum, etc. Pourquoi les jansénistes auraient-ils supprimé un texte qui leur était si favorable, au moment où ils se vantaient des prodiges du Bienheureux Diacre (4) ? [ p. 90]

« Les jansénistes, déconcertés de leur petit nombre..... imaginèrent... que la vérité ne triompherait qu'à l'arrivée d'Élie qui était prochaine. (Dans cette idée), le nouveau Bréviaire avait consacré tout le corps des répons du VII° Dimanche après la Pentecôte, à célébrer de si belles espérances.  »

 

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(1) Et le saint Pape Martin condamnait tout silence à la faveur duquel l'erreur aurait tenté d'envahir le troupeau. Quand l'Église ordonne de confesser une vérité, le silence est un crime, soit que les hérétiques condamnés affectent de le garder, soit que les tyrans l'enjoignent à leurs sujets. L'application pratique au prétendu silence respectueux est évidente, et on le sentit,

 

(2)  Je vous demande pardon, Monseigneur; ce n'est pas moi qui me trompe ici. L'office de sainte Geneviève du miracle des Ardens fut supprimé dans le Bréviaire de 1736. Il est vrai qu'on mit un carton pour le rétablir, par suite des réclamations qui furent faites. Il serait à désirer que vous eussiez eu aussi entre les mains un Bréviaire de Vintimille avant les cartons : cela m'eût épargné bien des accusations tout à fait dénuées de fondement, et à vous-même le désagrément de contredire publiquement l'engagement que vous aviez pris de ne pas vous occuper des endroits corrigés. J'aurais eu un de ces bréviaires à votre disposition, Monseigneur, vous eussiez pu, en le consultant un peu, diminuer votre brochure de quelque vingt pages, et je n'aurais point été accusé d'avoir dit des faussetés. Ce serait un bien pour tout le monde.

 

(3)  Pourquoi réduire cet office, quand on daigna le rétablir après trois mois de suppression? Loin d'être une excuse, cette mesure a plutôt besoin d'être excusée.

 

(4)  Parce que, d'après les principes de saint Irénée, tels qu'ils sont énoncés dans le passage en question, les fidèles, avant de croire à la divinité d'un prodige, doivent regarder à la foi de celui qui l'opère. Si celui-ci est en révolte contre l'Eglise, s'il est hérétique, les catholiques doivent penser que les prestiges plus ou moins réels qu'il opère ne viennent pas de Dieu, mais du diable : d'après saint Irénée, qui pose ce principe dans la leçon supprimée : Non possunt hœretici cœcis donare visum, etc. Tel est mon contre-sens, digne de servir de pendant à ma FAUSSETE. Au reste, les catholiques, dans la polémique contre les miracles du diacre Paris, ont fait un usage fréquent de ce texte, et sont par conséquent complices aussi bien que moi du contre-sens. On peut voir, entre autres, les célèbres écrits de l'Évêque de Bethléhem, Dom La Taste.

 

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Je n'irai pas transcrire ici les trois pages de répons, expliqués par Dom Guéranger comme il l'entend (1). Je me contenterai de dire que si les rédacteurs du bréviaire ont eu l'intention qu'on leur prête, il faut des yeux bien perçants pour l'apercevoir, surtout pour reconnaître avec Dom Guéranger dans ces répons, les Molinistes, les docteurs de la morale relâchée, M. Vincent ; c'était là le secret de la secte, suivant Dom Guéranger : secret difficile à pénétrer. Je suis bien persuadé que très peu de prêtres qui récitent le Bréviaire de Paris, se doutent de l'intention des auteurs (2). [ p. 91]

Dom Guéranger dit qu'il nous fait grâce de la complète énumération des passages scabreux du Bréviaire de Vintimille. « Cependant, ajoute-t-il, nous en signalerons encore quelques-uns. » Il faut croire que l'auteur a choisi les plus décisifs.

« Dans la Liturgie romaine, le capitule de vêpres (du Dimanche) est celui-ci : « Benedictus Deus et Pater Domini nostri Jesu Christi, Pater misericordiarum et Deus totius consolationis, qui consolatur nos in omni tribulatione nostra. Béni soit le Dieu et le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, le Père des miséricordes et le Dieu de toute consolation, qui nous console de tous nos maux. » Voici comment (la secte janséniste) a frauduleusement remplacé le sublime capitule que nous venons de lire : « Benedictus Deus et Pater Domini nostri Jesu Christi, qui benedixit nos in omni benedictione spirituali in cœlestibus in Christo, sicut elegit nos in ipso ante mundi constitutionem, ut essemus sancti et immaculati in conspectu ejus in charitate. Béni soit le Dieu et le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui nous a comblés en Jésus-Christ de toutes sortes de bénédictions spirituelles pour le ciel ; comme il nous a élus en lui avant la création du monde, pour que nous soyons saints et sans tache dans son amour.  » [ p. 92]

 

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(1) Vous venez devoir, Monseigneur,  qu'il y a bien d'autres

 

pages que vous eussiez pu vous épargner la peine de transcrire.

(2) La question n'est pas là, Monseigneur. Si quelques prêtres ignorent ou oublient l'histoire de l'Église, ce n'est pas une raison pour que tous les catholiques fassent de même. Tous les jours un ecclésiastique passera pour ignorant, s'il n'est pas au fait des systèmes hétérodoxes de Nestorius et de Macédonius; sera-t-il permis d'être moins familier avec le système janséniste, quand nous sommes encombrés de livres favorables à ce système, quand les façons de parler imposées par la secte sont encore en usage, quand ses maximes, oubliées comme théories, ont passé à l'état pratique dans les mœurs? Il se peut que plusieurs personnes n'aient plus la clef du Bréviaire de Paris; mais cela ne détruit pas le fait de son origine, ni les réclamations des catholiques lors de son apparition. La question maintenant est de savoir s'il convient de préférer ce livre au Bréviaire  très pur de l'Église romaine.

 

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Si l'on me donnait à choisir entre ces deux textes, quoi qu'en dise Dom Guéranger, je préférerais le second (1). Premièrement, parce qu'il est bien plus énergique dans ce qu'il dit des bienfaits que nous avons reçus de Dieu.  Le premier texte dit seulement que Dieu nous console dans nos maux ; le second dit que Dieu nous a comblés de toutes sortes de bénédictions spirituelles. Deuxièmement, parce qu'il nous remplit d'espérance et d'amour, en nous apprenant que le Seigneur nous a aimés le premier, qu'il a jeté ses regards de miséricorde sur nous dès avant la création du monde, et nous a choisis dès lors pour nous combler de ses bénédictions. Troisièmement, parce qu'il nous rappelle que  si  nous  voulons  correspondre aux volontés miséricordieuses du Seigneur, nous devons nous conserver saints et sans tache en sa présence dans son amour (2).

Toutes les raisons que Dom Guéranger emploie pour blâmer le choix qu'on a fait de ce dernier texte, se réduisent à dire  qu'il  y est parlé de prédestination,  et que l’Église n'approuve pas qu'on effraye les fidèles, en mettant trop souvent sous leurs yeux les terribles mystères de la prédestination et de la réprobation (3). De la réprobation, j'y consens; mais de la prédestination, c'est-à-dire de cet amour par lequel Dieu, suivant l'expression du Psalmiste, nous a prévenus par les bénédictions de sa douceur (4) ; je le nie... C'est cet amour prévenant de Dieu que saint Paul emploie pour nous inspirer une grande confiance dans le Seigneur : Je  suis plein de confiance, dit-il aux Philippiens, que celui qui a commencé en vous la bonne œuvre (de votre salut), la perfectionnera jusqu'au jour de l'avènement de Jésus-Christ ; et dans sa lettre aux Romains : Si nous avons été réconciliés à Dieu par la mort de son Fils pendant que nous étions ses ennemis ; à plus forte raison, étant maintenant réconciliés avec lui, serons-nous sauvés par la vie de ce même Fils.

 

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(1) Heureusement, l'Église ayant fait son choix, nous n'avons plus à choisir.

 

(2) Il m'est impossible d'entrer dans ce parallèle, attendu que la partie n'est pas égale. Le texte choisi par l'Eglise romaine a par devers lui l'autorité de l'Église Mère et Maîtresse, et l'autorité de toutes les Églises de la langue latine; je ne nie permettrai donc pas d'entreprendre la comparaison des deux capitules. Seulement j'oserai, Monseigneur, vous faire observer que vous ne rendez pas exactement le texte de saint Paul. Toute la seconde partie de ce texte a pour but de relever le privilège de l'élection éternelle des prédestinés, élection qui n'exclut, sans doute, ni le mérite, ni la liberté, mais qui est en nous le principe de la sainteté et de la justice. Or, cette élection n'est pas accordée à tous les enfants de l'Église : c'est là un point de foi. J'ai dit que le capitule du Bréviaire romain n'entrait pas dans cette question terrible, tandis que celui du Bréviaire parisien la mettait expressément sous les yeux des fidèles : c'est là toute ma proposition. Je suis fâché, Monseigneur, que dans cette occasion comme dans la plupart des autres, vous ne citiez jamais mon texte que par fragments décousus, et le plus souvent entrecoupés de points et de parenthèses.

 

(3)  Je prie le lecteur de revoir le passage de mon livre auquel Monseigneur fait allusion. Il jugera s'il est cité d'une manière loyale et complète.

 

(4)  Je pense que c'est la première fois que la prédestination est définie de cette manière : mais ce n'est pas à moi de réformer cette définition. Les textes qui suivent n'entrent pas davantage dans la question de ce profond mystère. D'ailleurs, la définition fût-elle exacte, il faudrait toujours en venir à dire que tous les fidèles prévenus des bénédictions de la douceur divine, en qui Dieu a commencé la bonne œuvre de leur salut, et qui ont été réconciliés à Dieu par la mort de son Fils, ne sont pas pour cela prédestinés à la gloire éternelle. Il reste toujours là un abîme de justice et de miséricorde que la raison humaine ne peut sonder.

 

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Mais voici un reproche plus étrange : Dom Guéranger se scandalise de ce que, dans l'hymne de vêpres, qu'il appelle d'ailleurs une pièce d'un langage élevé et correct, on adresse à Dieu cette prière tirée de saint Paul : Ad omne nos apta bomun; Rendez-nous disposés à toute bonne œuvre (1). Sa raison est que les jansénistes ont voulu prouver par ces paroles et par d'antres semblables, l’irrésistibilité de la grâce. Nous ne poumons donc plus nous servir des termes de l'Écriture, une fois que les hérétiques en auraient abusé pour soutenir leurs erreurs (2). [ p. 94]

Les autres reproches contenus pages 273, 274, 275, sont si dépourvus de raison, que ce serait perdre le temps que de les répéter en détail. Voici le plus sérieux : on peut juger des autres.

« Le nouveau Bréviaire avait gardé le R/ In manus tuas, Domine, etc.; mais voyez ici la différence... L'Église romaine, afin que chaque fidèle puisse répéter avec confiance ces douces paroles : In manus tuas, etc., émet tout aussitôt le motif qui produit cette confiance dans le cœur du dernier de ses enfants. Tous ont droit d'espérer; car tous ont été rachetés : Redemisti nos. Écoutez maintenant les rédacteurs du Bréviaire parisien : Redemisti me, etc., la Rédemption, suivant eux, n'est pas une faveur générale, le Christ n'est pas mort pour tous. »

Mais quand on aurait conservé le redemisti nos, il s'ensuivrait seulement que Notre-Seigneur est mort pour tous ceux qui font cette prière, et non pour tous les hommes (3).

Tous ceux qui disent ce répons In manus tuas, disent aussi redemisti me; ils déclarent donc qu'ils ont été rachetés (4).

Puisqu'on dit au singulier : Commendo spiritum meum, il était naturel de dire : Redemisti me (5). [p. 95]

Du reste, le Bréviaire parisien n'a fait que rapporter ce passage du Ps. XXX, tel qu'il est dans la Vulgate (6).

 

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(1)  La traduction n'est pas littérale, Monseigneur. Je ne me permettrai pourtant pas de crier au contre-sens.

 

(2)  Je vous demande pardon, Monseigneur; nous pourrons toujours nous servir de l'Écriture; mais vous savez mieux que moi que, à l'époque des diverses hérésies, l'Église a interdit, pour un temps, de certaines façons de parler que les hérétiques empruntaient captieusement à l'Écriture : la pureté de la foi en dépendait, et l'Église est juge de l'emploi de l'Écriture par ses enfants. Parmi les propositions de Quesnel, il en est plusieurs qui semblent mot à mot extraites de saint Paul. Ce fut le triomphe de l'audacieuse astuce des jansénistes, d'avoir osé se prévaloir du patronage de ce grand Apôtre; ce fut le triomphe de la sagesse et de l'autorité de l'Église, d'avoir su les en dépouiller.

 

(3) Je vous demande encore une fois pardon. Monseigneur. Quand l'Église, dans sa Liturgie, prie au pluriel, et elle le fait constamment, elle prie non seulement au nom de ceux qui remplissent matériellement l'édifice où se trouve le prêtre qui récite les formules saintes, mais au nom de tous ses enfants d'un bout du monde à l'autre. C'est la première fois, je l'avoue, que je vois contestée une vérité pratique qui jusqu'ici m'a semblé la base du culte divin tout entier. A force de faire du Bréviaire un livre de cabinet ou de bibliothèque, on finirait par perdre jusqu'à la notion de la Liturgie même.

 

(4)  Oui, mais ils ne disent pas que d'autres ont été rachetés, et c'est là la question.

 

(5)  Il s'agit bien ici de grammaire et d'alignement de style ! Au reste, s'il y a une faute, c'est l'Église qui l'a faite. Il fait bon se tromper avec elle, et s'abstenir des perfectionnements qui sont suggérés par ses ennemis.

 

(6)  Cela doit vouloir dire que le Bréviaire de Paris s'entend mieux à citer l'Écriture que l'Église romaine. La différence qu'il y a pourtant entre le Bréviaire de Paris et l'Église romaine, c'est que celle-ci a autorité sur l'Écriture, et que l'autre n'avait d'autre droit que celui de suivre le chemin battu, sous peine d'éveiller des susceptibilités trop légitimes, dans de telles circonstances de temps, de lieux, et de personnes.

 

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( Ici, Monseigneur l’Archevêque de Toulouse m'accuse d'avoir attaqué comme hérétique le Bréviaire de Paris, au sujet d'un canon du troisième concile de Tolède, et d'une strophe de Santeul. J'ai répondu suffisamment à cette imputation dans la Lettre ci-dessus, pages 60-66. Je ne reviendrai donc pas sur ce sujet: je remplirai seulement ma promesse en répondant à un reproche que Monseigneur m'adresse en passant. Voici ses paroles : )

Dom Guéranger commence par avancer un fait entièrement dénué de vérité.

«Une suite de canons des conciles à l'office de prime... avait été, dit-il, conduite de manière à ce qu'on n'y rencontrât pas une seule citation des décrétales des Pontifes romains. » [ p. 96]

En ouvrant le Ier volume du bréviaire, j'ai trouvé dans les trois premières semaines seulement de Tannée ecclésiastique, cinq canons tirés des décrétales des Papes, de saint Léon IV, de saint Innocent Ier , de saint Léon Ier, de saint Gélase, et encore de saint Léon Ier. On en trouve vingt-quatre dans le reste du bréviaire. On en a mis le tableau à la fin de cet écrit (1).

« Si maintenant nous considérons la manière dont on avait traité le culte des saints, etc. » C'est toujours l'accusation  d'avoir voulu diminuer le culte des saints, qui revient (2). [ p. 101]

Dom Guéranger rappelle ici ce qu'il a dit sur le texte de la lettre pastorale de Ch. de Vintimille : « On a conservé au dimanche sa prérogative d'exclure toutes sortes de fêtes, si ce n'est celles qui ont dans l'Église le premier degré de solennité. » Et il dit là expressément : « Le but avoué est de diminuer le culte des saints. » Je voudrais bien que cet auteur nous montrât quelque part cet aveu, qu'on a voulu diminuer le culte des saints (3).

S'il avait lu les rubriques du bréviaire qu'il censure, il

 

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(1) C'est bien assurément en pure perte qu'on a fait les frais de ce tableau, pour prouver ce qui n'est pas en question. Quand je me suis permis de reprocher à un bréviaire qui promet dans sa lettre pastorale de fournir à tous les clercs une utile connaissance de la discipline ecclésiastique, au moyen d'un choix de canons places à l'office de prime, quand je lui ai reproche, dis-je, de ne pas emprunter ses citations aux décrétales des Pontifes romains qui ont dans l'Eglise une autorité bien supérieure à celle de tant de conciles particuliers et même de synodes que l'on trouve cités dans ce bréviaire, il était pourtant bien naturel d'entendre, comme tout le monde, par ce mot Décrétales, les cinq livres publiés par Grégoire IX et qui renferment la discipline actuelle de l'Église, et non pas les lettres et constitutions des anciens Papes, qui sont plutôt des monuments de la tradition que des prescriptions positives du droit.

 

(2) Cette accusation revient souvent, parce qu'il y a lieu, ainsi que nous allons le voir.

 

(3) Rien n'est plus évident. Dans les bréviaires antérieurs, de Noailles, de Harlay, de Gondy, etc., les dimanches non privilégiés cédaient à toutes les fêtes doubles des saints : le Bréviaire de

 

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n'aurait pas calomnié, comme il le fait, l'intention des rédacteurs. Car il aurait vu que le dimanche ne cède pas seulement aux fêtes du rit solennel mineur et au-dessus; mais encore aux doubles fêtés par le peuple, aux fêtes de Notre-Seigneur, de la sainte Vierge, de saint Denys et du jour de l'octave, aux fêtes propres des lieux, c'est-à-dire, dans les églises où il y a un certain concours de peuple pour honorer des reliques, ou pour tout autre objet de culte particulier. Je le demande à l'Abbé de Solesmes : pouvait-on apporter plus d'attention à ne pas diminuer le culte des Saints (1) ? [p. 102]

Cavalieri, liturgiste très estimé et commentateur des décrets de la sainte Congrégation des Rites, pense tout autrement que l'Abbé de Solesmes sur le privilège des dimanches (2). Au lieu d'y voir l'intention et l'inconvénient de diminuer le culte des Saints, il blâme au contraire le zèle mal entendu qui fait solliciter sans cesse de nouveaux offices des Saints ; la manière dont il s'exprime est remarquable : « La démangeaison (ce sont ses propres termes que je rapporte ici), la démangeaison d'avoir beaucoup de fêtes, s'est tellement emparée des esprits..., que l'on voudrait qu'il y en eût presque chaque jour..., et je crains que, sous le prétexte spécieux de piété, on ne cache le désir naturel à bien des gens d'avoir des offices plus courts (3). »

Ensuite, parmi les raisons qu'il oppose à ce zèle prétendu, il met la suppression de l'office d'un grand nombre de dimanches : il nous apprend combien la sainte Congrégation des Rites est opposée à cet abus, et cite à l'appui l'autorité de Clément VIII (4). [ p. 103]

Benoît XIV pense de même, et, le croirait-on ? c'est Dom Guéranger qui nous l'apprend; il en fait le sujet du plus grand éloge. Ce grand Pape, dit-il, « versé profondément dans la connaissance des usages de l'antiquité, ne vit pas avec indifférence..., que, depuis l'époque de

 

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Vintimille revenant sur cette rubrique qui est celle de l'Église romaine, et voulant conserver ( il aurait dû dire tout au plus restituer) au dimanche sa prérogative d'exclure toutes sortes de fêtes hors celles qui ont dans l'Église le premier degré de solennité enlevait par là même à toutes les fêtes d'un rite inférieur le droit d'être célébrées par le peuple, qui aimait à les voir tour à tour embellir le dimanche de leur agréable et pieuse variété.

 

(1)  Oui, Monseigneur, on le pouvait. Il n'y avait qu'à laisser les choses comme elles étaient, et continuer d'admettre tous les doubles aux dimanches non privilégiés, comme on fait dans toute l'Église latine. Par ce moyen, les saints honorés de ce degré auraient réjoui de temps en temps le peuple du souvenir de leurs vertus, de leurs miracles, et de l'espérance de leur protection.

 

(2)  Non, Monseigneur : ni Cavalieri, ni la sacrée Congrégation des Rites ne pensent autrement que moi sur le privilège des dimanches. Veuillez les consulter plus sérieusement, et relire les passages de mon livre auxquels vous faites allusion ; vous verrez qu'il n'y a pas l'ombre de contradiction.

 

(3) Je blâme moi-même, Monseigneur, comme tous les liturgistes, ce zèle mal entendu qui fait demander sans motif, à Rome, des fêtes nouvelles, différentes de celles qui sont de précepte au calendrier romain. Mais il ne s'agit ici que de ces dernières qui, lorsqu'elles sont du rite double, l'emportent sur les dimanches non privilégiés. Le Bréviaire parisien de 1736 leur déniait cette prérogative, et en cela il allait contre Cavalieri et contre la sacrée Congrégation des Rites, qui veulent avant tout qu'on suive les rubriques romaines. Déjà, en ce siècle, l'Église de Paris a commencé à revenir sur ses pas, et j'ai rendu justice au Bréviaire de 1822 qui décrète que désormais, le dimanche cédera comme autrefois, UT OLIM, aux fêtes des Apôtres et aux autres doubles-majeurs. Il n'y a plus qu'un pas à faire, et, du moins sous ce rapport, l'Église de Paris rentre dans la pratique romaine. Honneur donc à la mémoire du pieux Hyacinthe de Quélen !

 

(4)  Tous les liturgistes, encore une fois, pensent de même sur cette question ; le malheur est qu'il s'agit ici de tout autre chose. Je n'ai jamais reproché au Bréviaire de Vintimille d'avoir sacrifié des fêtes surajoutées au calendrier romain. Le calendrier de

 

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saint Pie V, les fériés se trouvaient diminuées dans une proportion énorme par l'accession de plus de cent offices nouveaux. Le rang de doubles assigné à la plupart de ces offices entraînait de fait la suppression d'une grande partie des dimanches. Il était bien clair que l'antiquité n'avait pas procédé ainsi. » Ch. de Vintimille procédait donc comme l'antiquité. Benoît XIV, en voulant conserver l'office des dimanches, avait-il l'intention de diminuer le culte des Saints (1)?

 

« Le calendrier avait subi les plus graves réductions. » [ p. 104]

J'avoue qu'elles sont nombreuses. Étaient-elles motivées? C'est là la question ; plusieurs raisons ont pu y décider. Le désir de conserver, autant que possible, l'office des dimanches et celui des fériés pendant le Carême, a dû en faire retrancher ou renvoyer plusieurs (2).

Du reste, parmi ces Saints, il y en avait un grand nombre dont on ne faisait, dans le bréviaire antérieur, qu'une simple mémoire ; plusieurs n'avaient pas même  de légende (3). Ces mémoires multipliées pouvaient apporter quelque embarras dans les offices (4). Sans prétendre justifier les systèmes suivis par les rédacteurs, qui auraient dû, à mon avis, conserver surtout les mémoires des saints Papes, dont le sang répandu pour la foi est une des gloires  de l'Église catholique ; je ne crois pas qu'ils  aient voulu diminuer le culte des Saints (5). Quelques auteurs ont pu pousser trop loin la sévérité de la critique sur l'authenticité des vies de ces héros du  christianisme et de leurs miracles ; mais en général les jansénistes n'étaient pas ennemis de leur culte; même ils aimaient assez à parler de faits miraculeux, surtout quand ces faits pouvaient

 

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François de Harlay, sur lequel portèrent les réductions des auteurs du nouveau bréviaire, était même bien loin de contenir toutes les fêtes doubles ou autres qui sont de précepte sur le calendrier romain ; c'était donc sur un calendrier déjà considérablement réduit que s'exercèrent les réductions de 1736. Cavalieri et la sacrée Congrégation des Rites sont donc venus là en pure perte.

 

(1)  Permettez-moi de vous arrêter ici un moment, Monseigneur. Si vous eussiez daigné citer tout mon texte, vos lecteurs eussent pu voir que Benoît XIV, dans l'application de ses idées à cette question, se borna à ne pas ajouter de nouveaux offices au Bréviaire, et qu'il se garda bien de changer la rubrique universelle, en vertu de laquelle toutes les fêtes doubles l'emportent sur les dimanches non privilégiés. Quoique l'antiquité n'eût pas procédé ainsi, Benoît XIV, tout Pape qu'il était, crut devoir respecter la discipline de son temps ; ses successeurs, jusques et y compris Grégoire XVI, reprirent l'usage d'ajouter, de temps en temps, de nouveaux doubles au calendrier. Maintenant, qu'on nous dise qui est dans la véritable voie, ou de ces Pontifes romains, ou de Charles de Vintimille, qui préféra procéder comme l'antiquité.

 

(2) Je viens de montrer combien l'affectation de conserver l'office des dimanches était contraire au vœu de l'Église romaine : nous parlerons bientôt des fériés de Carême.

 

(3) Par conséquent, toute suppression qui tombait sur eux anéantissait, au Bréviaire, leur mémoire que les siècles y avaient consacrée. L'Eglise romaine garde ses simples, et même ses commémorations, depuis plus de mille ans ; ils survivent à tous les changements et à toutes les réformes du calendrier.

 

(4)  Étrange raison de se débarrasser des saints pour ne pas avoir l'ennui de dire une antienne, un verset et une oraison. Il suffira donc d'un embarras qui dure moins d'une minute, pour briser la tradition du culte d'un saint, dans une Église;aussi importante que celle de Paris.

 

(5)  Je ne conçois pas qu'on puisse blâmer et justifier tour à tour le même système. Quant à la volonté de diminuer le culte des saints, il suffit de parcourir les ouvrages du parti pour s'assurer que telle était bien l'intention des jansénistes. Ils ont poussé

 

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servir à accréditer leurs erreurs (1). Nous devons ajouter ici quelques observations sur les retranchements reproches par Dom Guéranger.

 

« En janvier, dit-il, on avait supprimé les octaves de saint Jean, des saints Innocents, et même de sainte Geneviève. »

Les trois mémoires qu'il fallait faire tous les jours, pour les trois premières octaves, à l'office de la Nativité de Notre-Seigneur, compliquaient beaucoup cet office; il faut l'avouer (2). D'ailleurs, d'après les rubriques, on n'attribuait une octave qu'aux fêtes du rit solennel majeur. L'office de saint Etienne, dans le bréviaire antérieur, n'était que solennel mineur ; les autres seulement doubles majeurs ou mineurs. La fête de sainte Geneviève était seulement du rit double majeur (3).

« La Chaire de saint Pierre à Antioche avait disparu. » Il est vrai qu'on a réuni la Chaire de saint Pierre à Antioche avec celle de Rome; mais on fait mention des deux dans le même office, et on célèbre sous cette double dénomination, le Pontificat du chef des Apôtres; voici le titre de l'office : In festo Pontificatûs seu Cathedrœ S.  PETRI, qui primum Antiochiœ sedit, tum Romœ; et en effet, cet office renferme tous les titres de la puissance du chef des Apôtres. Je suis persuadé que, même à Rome, on ne blâmerait pas cette fête et cet office du Pontificat de saint Pierre (4). [ p. 106]

« En mars, saint Aubin n'avait plus qu'une simple mémoire. » L'Abbé de  Solesmes se trompe : s'il arrive hors du Carême, on en fait tout l'office. En juin, on ne retrouvait plus les octaves de saint Jean-Baptiste et de saint Pierre et saint Paul. »

 

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partout à l'abolition des pèlerinages et des autres manifestations de la piété populaire envers les saints. Les Mémoires de Tillemont, l'Année Chrétienne de Le Tourneux, les Vies des Saints de Baillet et Mésenguy, les légendes du Bréviaire de Paris, leur appartiennent : c'est montrer assez qu'ils ne gâtaient pas les saints. Au reste, je ne connais personne qui ait jamais contesté ce fait.

 

(1) Singulière manière de prouver qu'un homme est partisan d'une chose, dans le cas où elle lui est avantageuse. Au reste, je ne connais point de saints dont les miracles aient été favorables aux jansénistes : car sans doute, il n'est pas question ici du diacre Paris, à propos des saints du Bréviaire. Quant à dire que les jansénistes n'étaient pas ennemis du culte des saints, il ne s'agit que de s'entendre. Ils admettaient aussi le culte de la sainte Eucharistie ; ils avaient même écrit la Perpétuité de la foi ; mais dans la pratique ils abolissaient la fréquente communion. C'est partout le même système.

 

(2)  C'est-à-dire que ces mémoires, que l'on fait dans toute l'Eglise, allongeaient l'office de quelques minutes; mais elles le compliquaient peu, attendu que rien n'est plus facile à trouver au Bréviaire, que la mémoire d'une octave. C'est là, malheureusement, un des innombrables faits qui prouvent qu'on avait songé avant tout à diminuer le service divin.

 

(3)  Cette suppression arbitraire n'était qu'une témérité de plus ; puisqu'elle était contraire aux usages de l'Eglise romaine, aussi bien qu'à ceux de l'Eglise de Paris qui, même dans le bréviaire antérieur, faisait ces octaves. Ce bréviaire ne peut donc être invoqué comme un moyen de justification.

 

(4)  On blâmerait si peu à Rome la fête et l'office du Pontificat de saint Pierre, que si vous voulez, Monseigneur, vous donner la peine de consulter le Saint-Siège sur cette question, il vous sera répondu, sans aucun doute, que, après que vous aurez célébré le Pontificat de saint Pierre, le 18 janvier, comme à Rome, il ne vous manque plus, pour être en complète obéissance au décret de Paul IV, que de célébrer chaque année une seconde fois le Pontificat de saint Pierre, le 22 février, comme à Rome. A Rome, on pense qu'un aussi grave sujet mérite bien d'occuper chaque année deux jours au calendrier.

 

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C'est que leur fête était du rit solennel mineur (1).

« En juillet était effacé saint Thibault. »

Il n'est que renvoyé au 3o.

« En novembre on avait ôté saint Véran

C'est une erreur : dans le bréviaire précédent on n'en faisan que mémoire le 10 ; dans le Bréviaire de 1736 on en fait l'office le 13 (2).

 

« Sainte Félicité. »

Dom Guéranger se trompe encore ; on en fait l'office le 10 juillet (3).

 

« Sainte Geneviève du miracle des Ardents . »

Nous avons déjà signalé cette erreur : la fête en est marquée au 26 du même mois de novembre (4).

 

« Décembre enfin avait vu disparaître l'octave de la Conception. »

La fête n'est que du rit solennel mineur (5).

 

« Saint Thomas de Cantorbéri était transféré au  mois de juillet. »

Quel mal y a-t-il ? c'est le jour de la translation de ses reliques (6). [107]

 

«  Saint Sylvestre réduit à une simple mémoire. »

 

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(1)  Qui donc avait fait cette loi, si ce n'est les auteurs du nouveau bréviaire, responsables, par conséquent, de ses suites outrageantes à l'égard de deux des plus illustres fêtes du calendrier de l'Église latine ? Ces deux octaves sont célèbres dans toute l'Église, et on a vu, en 1822, l'archevêque Hyacinthe de Quélen rétablir déjà celle de saint Pierre. De pareils actes sont plus éloquents encore que mes invectives.

 

(2)  Ces diverses modifications du calendrier sont dues en partie aux cartons, dont plusieurs portèrent sur ces endroits du Bréviaire.

 

(3)  Le Bréviaire de Harlay, comme le Bréviaire romain, plaçait sainte Félicité au 23 novembre,parce, que c'est le jour de son martyre, cinq mois environ après celui de ses sept fils. Le nouveau bréviaire, en les réunissant tous au même jour, 10 juillet, allait donc contre l'histoire et les traditions liturgiques.

 

(4)  Parce que, ainsi que je l'ai dit plus haut, on daigna mettre un carton pour la rétablir.

 

(5)  Mais, encore une fois, qui a donc fait cette loi terrible et inviolable à laquelle il faut que tout soit sacrifié ? Louis XIV avait sollicité et obtenu de Clément IX le privilège de cette octave pour la France : Innocent XII l'avait ensuite étendue à toute la chrétienté; et voilà Vigier et Mésenguy qui entreprennent de la biffer, et ils en viennent à bout ! Ce sont là de ces faits inexplicables qui étonnent la postérité; j'avoue que j'ai peine à croire qu'elle consente à y voir autre chose que le triomphe du parti qui avait résolu d'humilier le culte de la sainte Vierge.

 

(6)  On peut donc indifféremment bouleverser le calendrier, en transportant à volonté les saints, du jour de leur martyre à celui de leur translation ! La tradition des siècles, la dévotion des peuples, l'unité des formes, tout cela n'existe donc plus en face des idées et des rancunes de Vigier et Mésenguy! Bossuet admirait, dans ce beau panégyrique de saint Thomas, que l'Église eût placé le premier Martyr de la liberté ecclésiastique à côté du premier Martyr de la foi, l'un et l'autre près du berceau de l'Enfant-Dieu : qu'il aille maintenant chercher au mois de juillet.

 

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C'est que l'octave de Noël n'admet pas les semi-doubles (1).

Dom Guéranger revient souvent sur les mêmes reproches, et répète les mêmes erreurs (2).

« Il ne peut, dit-il, s'empêcher de signaler comme déplorable, le système d'après lequel on privait l'Église de Paris, de deux des fêtes de sa glorieuse patronne. » C'est, je crois, la troisième fois que Dom Guéranger fait cette accusation dénuée de toute vérité. Les deux fêtes dont il veut parler sont celle du Miracle des Ardents, qui se trouve, comme nous venons de le dire, au 26 novembre, et celle de la Translation de la Sainte, dont on fait mémoire, tout comme dans l'ancien Bréviaire, le 28 octobre (3).

Saint Aubin, saint Eutrope, saint Thibaut, saint Véran, dont il venait de déplorer mal à propos la disparition, dans la page précédente, sont de nouveau l'objet de ses regrets (4).

Voici un autre sujet de blâme : « Le désir de donner plus de tristesse au temps du Carême avait porté nos réformateurs à rejeter plusieurs saints à d'autres jours. » [ p. 108]

Dom Guéranger avait déjà attaqué cette disposition contre laquelle il fait ce raisonnement : « Ou le Bréviaire de Paris a atteint, par cette mesure, le véritable esprit de l'Église dans la célébration du Carême, ou ses rédacteurs se sont trompés sur cette grave matière. Dans le premier cas, l'Église romaine... reçoit ici la leçon... de sa fille l'Église de Paris ; dans le second cas, y a-t-il donc si grand mal de supposer que Vigier et Mézenguy... aient failli quelque peu dans une occasion où ils avaient contre eux l'autorité de l'Église romaine. »

Rien de plus mal fondé que ce reproche, et le raisonnement sur lequel Dom Guéranger veut l'appuyer, ne vaut pas mieux. Vigier et Mézenguy n'ont pas failli, en renvoyant à un autre temps les fêtes de plusieurs saints qui

 

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(1) Et depuis quand? Toujours Vigier et Mésenguy faisant la loi et l'appliquant.

 

(2) Le public jugera de la légitimité de mes reproches, et de la gravité de mes erreurs.

 

(3)  Non, Monseigneur, l'accusation n'est pas dépourvue de vérité. Par ces deux fêtes de sainte Geneviève, j'entends la fête du miracle des Ardens, qui fut supprimée et ensuite rétablie par un carton, et l'Octave de cette même Sainte qu'on ne jugea pas à propos de restituer.

 

(4)  Quand vous jugerez à froid cette dernière phrase, Monseigneur, je doute que vous la trouviez parfaitement à sa place.

 

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arrivaient dans le Carême, et bien loin de vouloir faire la leçon à l'Église romaine, ils se conformaient à son esprit et à celui de l'antiquité (1). Ecoutons le savant liturgiste que nous avons déjà cité. « D'après le décret du concile de Laodicée, nous dit cet auteur, on ne devait célébrer pendant le Carême les fêtes d'aucun martyr. » (Il n'y avait guère d'autres fêtes de Saints dans les premiers siècles.) « Les Églises du rit Ambrosien, aujourd'hui encore, conservent très rigoureusement cette règle. L'Église romaine admet, il est vrai, quelques fêtes pendant ce temps, mais en petit nombre, et les octaves furent supprimées, lorsqu'on revit le Bréviaire. » [ p. 109]

Vigier et Mézenguy se sont donc conformés, non seulement à l'esprit de l'antiquité, mais encore à celui de l'Eglise romaine, et ils n'ont pas voulu lui faire la leçon (2).

L'argument de Dom Guéranger est d'ailleurs fort peu théologique. Cet auteur suppose qu'il s'agit ici d'un point de foi sur lequel toutes les Églises doivent essentiellement garder l'unité avec l'Église romaine (3). De plus, il raisonne comme si le Bréviaire et le Missel romains étaient nécessairement parfaits ; mais s'il en était ainsi, l'aurait-on corrigé après le concile de Trente ? Et les Papes auraient-ils voulu, à diverses époques, y apporter encore des améliorations (4) ?

Oublions un moment tous ces raisonnements pour considérer la chose en elle-même. L'esprit de l'Église n'est-il pas d'inspirer aux fidèles, dans le temps du Carême, des sentiments de componction et de pénitence (5) ? N'est-ce pas dans cet esprit qu'elle prend ses habits de deuil, que ses prières sont pleines de douleurs et de gémissements (6) ? N'est-il pas vrai, en même temps, que, dans les fêtes des Saints, elle invite les fidèles à une sainte joie, se souvenant de ceux de leurs frères qui sont déjà dans la gloire, et se consolant par l'espérance d'y arriver un jour eux-mêmes ? Or, comment l'intention de l'Église qui nous invite à la [p. 110]

 

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(1) Écoutons les preuves.

 

(2)  Je vous demande pardon, Monseigneur. Vigier et Mésenguy se seraient conformés à l'esprit de l'Eglise romaine, s'ils eussent conservé au calendrier du Carême les saints, quoique en petit nombre, que l'Eglise romaine y célèbre. Voici les noms de ces saints dont l'Église romaine impose la fête à neuf leçons, durant le Carême : Saint Romuald, saint Jean de Matha, sainte Scholastique, saint Pierre Damien, saint Casimir, saint Thomas d'Aquin, saint Jean-de-Dieu, sainte Françoise, les Quarante Martyrs, saint Grégoire-le-Grand, saint Patrice, saint Joseph, saint Benoit, saint François de Paule, saint Isidore, saint Vincent Ferrier, saint Léon le Grand et saint Herménégilde. J'omets à dessein saint Mathias, l'Annonciation et la fête des Sept-Douleurs. L'esprit de l'Église romaine ne peut pas être, à la fois, de célébrer ces saints et de les biffer du calendrier. La citation de Cavalieri est donc totalement perdue, quand on veut l'employer pour justifier ceux qui ont été jusqu'à chasser du Carême la fête de saint Joseph.

 

(3) Où ai-je supposé qu'il s'agit ici d'un point de foi? Et ne sommes-nous obligés de garder l'unité avec l'Église romaine que dans les choses de la foi?

 

(4)  Il ne s'agit pas ici de la correction du Bréviaire romain, auquel ceux de France auraient d'ailleurs mauvaise grâce de reprocher ses imperfections. Personne n'a jamais songé que cette correction pourrait consister à chasser saint Joseph du 19 mars, saint Grégoire du 12, saint Thomas du 7, saint Benoît du 21, saint Léon du 11 avril, etc. Il est de ces bornes sacrées que Rome ne remue jamais, bien qu'on se fit un jeu en France de les déplacer, au XVIII° siècle.

 

(5)  Qui nous a appris ce que c'est que l'esprit de l'Eglise, si ce n'est l'Église romaine elle-même, notre mère, notre nourrice, notre chef et notre maîtresse?

 

(6)  Elle a donc tort cette Église, la Règle universelle, de revêtir les couleurs des martyrs et des confesseurs pendant une partie notable du Carême ?

 

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componction pendant le Carême, sera-t-elle remplie, si presque tous les jours en sont consacrés à célébrer dans la joie les fêtes des Saints (1) ? Cette observation a plus de force aujourd'hui où la discipline de l'abstinence et du jeûne étant beaucoup trop affaiblie, fait moins sentir aux fidèles que l'on est dans un temps de pénitence (2).

J'arrive à une nouvelle infidélité de Dom Guéranger (3). Pour la rendre palpable, je n'ai besoin que de rapprocher deux endroits du second tome de son ouvrage, en les rapportant sans y rien changer. On trouvera le premier à la page 256, et le second à la page 282.

Dans le premier, l'Abbé de Solesmes cite ce passage de la lettre pastorale que Ch. de Vintimille a mise à la tête de son Bréviaire : « Les saints doivent être honorés, non par une stérile admiration, mais par une imitation fidèle des vertus qui ont brillé en eux. » [ p. 111]

Maxime sage, tout-à-fait dans l'esprit de la religion, mille fois répétée par les saints Pères, les Docteurs de l'Église, les prédicateurs de la sainte parole. Il ne faut pas se contenter d'admirer les Saints d'une admiration stérile, il faut les imiter ; rien de plus vrai, « rien de plus incontestable qu'une telle doctrine, » dit Dom Guéranger lui-même.

Passez maintenant à la page 282. Là, il lui a plu de changer le texte de la lettre pastorale, et de faire dire à Ch. de Vintimille, parlant de son Bréviaire, cette absurdité : « On a évité tout ce qui pourrait nourrir, à l'égard des saints, une stérile admiration (4). »

Mais quoi ! quand notre admiration à l'égard des Saints est stérile, et que nous nous contentons de les admirer sans les imiter, est-ce la faute des choses admirables que nous voyons en eux ? N'est-ce pas notre faute à nous ? Si c'était la faute de ce que nous voyons d'admirable en eux, il ne faudrait plus rien rappeler de ce qui mérite notre admiration, ni leurs miracles, ni leurs martyres, ni leurs

 

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(1)  Elle va donc contre l'intention de l'Eglise, en imposant au monde catholique le devoir de tempérer les tristesses du Carême par les pieuses joies du triomphe des amis de Dieu.

 

(2)  Il est bien malheureux que l'Église romaine s'obstine à ne pas sentir des observations qui ont tant de force.

 

(3) Voyons si cette infidélité (le terme est gracieux, comme toujours) ne serait point de la même force que les autres qui m'ont été imputées.

 

(4) Ceux de vos lecteurs, Monseigneur, qui n'ont pas mon livre sous les yeux, ne manqueront pas. de croire que les paroles que vous mettez ici entre ces guillemets sont données par moi de la même manière, c'est-à-dire comme extraites textuellement de la lettre pastorale de Charles de Vintimille. Cependant, malgré la complète assurance avec laquelle vous m'accusez d'avoir changé le texte, il faut bien que je dise en toute simplicité que ce nouveau reproche n'a pas de fondement. A la page 256, je cite la lettre pastorale: à la page 282, j'interprète démon propre fonds cette lettre pastorale, sans la citer textuellement. Que l'on m'accuse de l'avoir mal comprise, j'y consens, sauf discussion : mais que l'on m'impute une falsification, je ne le puis souffrir sans en appeler à mon texte qui heureusement fait foi de tout. Naturellement, j'ai dû chercher à m'expliquer par le bréviaire lui-même une pièce qui en est comme l'introduction et la démonstration; or, je vois que le Bréviaire de 1736 a expulsé les trois quarts des faits merveilleux qu'on lisait dans les légendes des saints des bréviaires antérieurs. Comme il faut bien qu'il y ait un motif pour un fait aussi grave, je n'ai rien trouvé dans la lettre pastorale qui l'expliquât mieux que ces paroles qu'on dirait empruntées aux Vies des Saints de Mésenguy : « Les saints doivent être honorés non par une stérile admiration, mais par une imitation fidèle des vertus qui ont brillé en eux. »

 

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héroïques vertus, de peur que nous ne nous contentions de les admirer. Tel est le principe absurde que l'Abbé de Solesmes ose attribuer à Ch. de Vintimille (1). Il n'hésite pas davantage à lui reprocher d'avoir tiré de ce principe les conséquences également absurdes qui en découlent. [ p. 112]

« Cette crainte (de nourrir à l'égard des Saints une stérile admiration) a été cause que l'on a gardé le silence sur les stigmates de saint François. »

« C'est sans doute dans une semblable intention que l'on avait retranché les célèbres paroles par lesquelles il exhorte en mourant ses disciples à garder... la foi de la sainte Église romaine. » Le premier fait est vrai, mais non pas le second (2).

Il est vrai que, dans le Bréviaire de 1736, la légende de saint François ne fait pas mention des stigmates du Saint ; si c'est parce qu'aux yeux des rédacteurs le fait n'était pas assez prouvé, on peut bien les accuser d'un excès de sévérité dans leur critique (3). Ce miracle, appuyé sur des témoignages irrécusables, est pour nous d'autant plus facile à croire que, de nos jours, où Dieu paraît vouloir confondre nos incrédules en multipliant des faits surnaturels, il paraît certain qu'il existe plusieurs personnes stigmatisées, quoique d'une manière moins miraculeuse que ne l'a été saint François (4). [ p. 113]

Mais il est faux que l'on ait retranché de la légende de ce Saint « les célèbres paroles par lesquelles il exhorte ses disciples à garder... la foi delà sainte Eglise romaine. » Les voici telles qu'elles sont rapportées dans le Bréviaire de 1736 : Docebat eos honorare prœcipuâ reverentiâ sacerdotes, et fidei quam Romana tenet Ecclesia firmiter adhœrescere (5).

Je ne m'arrêterai pas aux reproches de Dom Guéranger sur les changements que l'on avait voulu faire à l'hymne Ave maris stella, et à d'autres hymnes (6).

 

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(1) Je n'attribue point gratuitement un principe absurde ou non à Charles de Vintimille. Je pèse les faits ; je les rapproche de la lettre pastorale; je me rappelle les Vies des Saints de Baillet, de Mésenguy, et souvent aussi de Butler, dans lesquelles on a retranché tant de choses édifiantes, par cela seul qu'elles tenaient de l'extraordinaire en fait de vertus ou de miracles. D'un autre côté,  je lis la Vie des Saints telle qu'elle est proposée aux fidèles dans les légendes du Bréviaire romain et dans les bulles de canonisation, et il m'est évident, comme à tout le monde, que les récits de cette dernière espèce fournissent infiniment plus de motifs à l'admiration des œuvres de Dieu dans ses saints, que ne le font ceux de la première.

 

(2)  C'est déjà quelque chose que je n'aie pas menti sur tous les points à la fois.

 

(3)  Puisqu'il s'agissait pour les rédacteurs du bréviaire, non de continuer l'omission du récit des Stigmates, mais bien de le retrancher, en dépit du Siège apostolique, et de tous les bréviaires du monde, y compris celui de François de Harlay, vous me permettrez, Monseigneur, de qualifier de témérité ce que vous voulez bien ne taxer que de sévérité.

 

(4)  Indépendamment des faits observés sur les personnes stigmatisées du Tyrol, qui sont loin, d'ailleurs, d'être les seules qui aient paru en ce siècle même, il y a quelque chose qui nous rend facile à croire le prodige opéré en faveur de saint François; c'est l'institution de la fête spéciale de l'impression des stigmates de ce saint Patriarche célébrée par l'Église latine tout entière, du rite double, chaque année, le 17 septembre. Il faut excepter, comme il est juste, les diocèses de France dont la liturgie n'a pas même gardé le souvenir de ces sacrés Stigmates dans l'office de saint François, au propre jour de sa fête.

 

(5)  Non, Monseigneur; cela n'est point faux. Un carton rétablit Ces paroles célèbres ; encore, dans ce retour de mauvaise grâce vers la légende romaine, qui était aussi sur ce point la légende du Bréviaire de Harlay, on ne voulut pas rétablir le fait dans toute son étendue. On ne voulut pas dire que c'était sur son lit de mort que saint François donna ce testament à ses disciples. On trouva moyen de placer ces paroles vers le milieu du récit des actions de cet admirable saint.

 

(6)  Pourquoi ne pas s'y arrêter, Monseigneur ? Il y a pourtant là d'importantes leçons à recueillir pour nous tous.

 

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Quant à l’ Ave maris Stella, il avoue que l'on rétablit l'ancienne version (1). Pour les autres hymnes, l'examen serait long et minutieux ; chacun peut comparer les deux versions telles que l'auteur les rapporte, on verra que tout le venin consiste dans les intentions qu'il prête aux rédacteurs (2).

Faut-il répondre aux reproches faits aux versets des hymnes de la Vierge; de l’ Alma, où, au lieu du verset Angelus Domini nuntiavit Mariœ, et concepit de Spiritu sancto, on a mis avant la Présentation celui-ci : V/ Deus in medio ejus, R/. Non commovebitur, et après la Présentation, au lieu du V/ Post partum, Virgo, inviolata permansisti, R/ Dei genitrix, intercede pro nobis ; celui-ci : V/ Homo natus est in ea ; R/ Et ipse fundavit eam Altissimus ? [ p. 114]

A l’ Ave regina, au lieu du V/ Dignare me laudare te, Virgo sacrata,R / Da mihi virtutem contra hostes tuos ; celui-ci  : Elegit  eam Dominus, R/ In  habitationem sibi.

Au Regina cœli ; au lieu de : Gaude et lœtare, Virgo Maria, R/ Quia surrexit Dominus vere; on a mis : Circumdedisti me lœtitia, Domine; R/ Ut cantet tibi gloria mea.

Au Salve ; au V/ Ora pro nobis, sancta Dei genitrix,  R/ Ut digni efficiamur promissionibus Christi; on a substitué celui-ci : V/ Vultum tuum deprecabuntur, R/ Omnes divites plebis.

Je me contente de les mettre en parallèle, sans y ajouter aucune réflexion, disposé à montrer, s'il le faut, la supériorité des versets du Bréviaire de Paris, pris en eux-mêmes (3) ; car il eût été peut-être d'un meilleur goût, puisque l'on gardait les hymnes (4) du romain, d'en conserver aussi les versets, qui en ont toute la simplicité.

« L'office du jour de la Circoncision, Octave de Noël, qui jusqu'alors avait été en grande partie employé à

 

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(1) Enfin, voilà une occasion    Monseigneur prend  acte des cartons : malheureusement, c'est la seule.

 

(2) Si je ne faisais que prêter des intentions aux rédacteurs, les cartons témoigneraient du moins que Charles de Vintimille qui les fit mettre, leur en prêtait aussi. J'avoue que cette indulgence dont on use envers des hérétiques, fait à mes yeux un étrange contraste avec la sévérité avec laquelle on me poursuit.

 

(3) Ce n'est pas ici le lieu non plus d'entreprendre le parallèle en faveur des versets romains. Nous le ferons ailleurs, et sans crainte pour la Liturgie de saint Grégoire, à laquelle appartiennent ces versets.

 

(4) Il s'agit d'antiennes, et non d'hymnes; mais ce n'est pas ici le seul endroit où l'on remarque une certaine précipitation dans la rédaction. On était pressé d'en finir : cela est facile à voir.

 

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célébrer la divine maternité de Marie, avait perdu les dernières traces de cette coutume grégorienne. »

Il est vrai que l'office de ce jour est employé à célébrer le mystère d'un Dieu qui, par un amour incompréhensible pour nous, s'est revêtu de notre nature, a pris le nom adorable de Jésus, c'est-à-dire Sauveur, et a commencé à répandre son sang pour notre salut. Mais n'est-ce pas là en effet le grand mystère qui doit être l'objet de la fête de la Circoncision ? Célébrer la grandeur du Fils, n'est-ce pas exalter la gloire de la Mère (1) ? Ajoutons que la Mère de Dieu n'est nullement oubliée dans cet office (2). L'invitatoire, tiré des épîtres de saint Pau!, rappelle que le Fils de Dieu est né de la femme, et personne n'ignore que Marie est cette heureuse femme, bénie entre toutes les autres et qui est devenue mère de Dieu : Filium Dei factum ex muliere,factum sub lege, venite adoremus. L'invitatoire du Bréviaire romain  dit seulement : Christus natus est nobis, venite adoremus (3).

 

La doxologie qui se dit à la fin de toutes les hymnes parle de la maternité divine et de la virginité de Marie : Qui natus es de virgine, etc. Il en est de même du R/ bref de Prime (4). Dom Guéranger accuse donc à faux quand il dit que dans l'office de la Circoncission on avait fait disparaître jusqu'aux dernières traces de la divine maternité de Marie (5).

Et lorsqu'il dit que, dans les nouvelles antiennes des laudes tirées de la sainte Ecriture, rien ne rappelle... le culte de la mère de Dieu, c'est-à-dire, sans doute, sa maternité divine et sa virginité, il se trompe encore (6). Car dans la première, on rapporte les paroles de l'Ange qui nous apprennent que ce Sauveur Fils de Dieu, naîtra de Marie : Pariet Maria Filium, et vocabis nomen ejus Jesum. [ p. 116]

 

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(1)  Non, Monseigneur : mais, au contraire, célébrer les grandeurs de la Mère c'est exalter la gloire du Fils. C'est pour cela — que, dès les premiers siècles, le jour de l'Octave de la Nativité est employé à honorer d'un culte spécial la divine Maternité de Marie, en un mot, ce mystère par lequel nous avons le droit de l'appeler, d'après le concile d'Ephèse, Dei Genitrix, Deipara, Theotocos. L'office de cette solennité et spécialement les magnifiques antiennes O admirabile commercium ! et les autres, sont depuis quatorze siècles un trophée de la victoire remportée contre Nestorius, un monument de notre foi. Si je dis cela, Monseigneur, ce n'est certes pas pour vous l'apprendre : mais parmi mes lecteurs peut-être s'en trouvera-t-il quelques-uns assez peu familiers avec la Liturgie romaine ; ceci est pour eux. Le courageux et vigilant archevêque Languet avait fait au Missel de Troyes le même reproche que je me permets d'adresser à la Liturgie parisienne de 1736.

 

(2) Il ne s'agit pas seulement de ne pas oublier la Mère de Dieu, mais bien de la célébrer d'une manière spéciale, en ce jour consacré à son culte.

 

(3)  En effet, si l'office ne se composait que de l'invitatoire, il faudrait convenir que le parisien l'emporte sur le romain ; à moins que quelque critique ne vînt à faire l'observation que le mot natus est étant synonyme de factum ex muliere, la partie serait encore à peu près égale.

 

(4)  Cette doxologie et ce répons bref se trouvant aussi dans le romain, il n'y a pas lieu à en parler. De plus, ils ne sont pas propres au jour de la Circoncision, mais à toute l'octave de Noël et au-delà. Ils sont donc doublement hors la question.

 

(5)  Franchement, Monseigneur, est-ce là une démonstration ?

 

(6)  J'oserai protester encore une fois, Monseigneur, contre votre manière de me citer. Voici une phrase en italique, avec des points, suivant l'usage : le malheur est qu'elle n'est pas à moi, quoique vous la donniez comme telle. Je n'ai point dit : « Dans les antiennes des laudes  rien ne rappelle..... le culte de la Mère de Dieu. » J'ai dit : « Parmi les textes des saintes Écritures qu'on avait mis à la place, rien ne rappelait la mémoire de l'antiquité qui consacrait depuis tant de siècles le jour des Kalendes de janvier au culte de la Mère de Dieu. »

 

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Dans la seconde, l'Esprit-Saint nous apprend que la Mère de Jésus était vierge : Non cognoscebat eam donec peperit filium suum primogenitum (1).

« Le nom de Marie continuait toujours d'être exclu du titre de la fête de l'Annonciation. » J'ai déjà répondu à ce reproche (2).

« L'office de la fête de l'Assomption avait été privé de ces glorieuses antiennes : Assumpta est Maria in cœlum. » Celles du Bréviaire parisien sont assurément aussi glorieuses; à moins que l'on ne regarde comme un défaut, que la gloire de Marie y soit célébrée avec les paroles mêmes de la sainte Écriture. Pour n'en donner qu'un exemple : cette première antienne du parisien : Quœ est ista quœ ascendit de deserto, deliciis affluens, innixa super dilectum suum ; ne vaut-elle pas bien celle-ci : Assumpta est Maria in cœlum : gaudent angeli, laudantes benedicunt Dominum (3) ?

« On n'entendrait plus lire... ces beaux sermons de saint Jean Damascène... qui célébraient avec tant d'amour et de magnificence le triomphe de la Vierge Marie. » Certes ! les sermons de saint Bernard que l'on a substitués ne célèbrent pas avec moins de magnificence et d'amour, le triomphe de la Reine du ciel (4). [ p. 117]

« La Nativité de Marie avait perdu le brillant cortège de ces imposantes et mélodieuses antiennes, etc. »

Ce sont toujours les mêmes plaintives déclamations, tout à fait dépourvues  de fondement. Nous ne voulons pas faire de parallèle, et déprécier un office pour exalter l'autre : que chacun les lise et les compare (5).

« La fête de la Conception, quel soin n'avait-on pas pris de la dégrader ? D'abord on l'avait maintenue au rang de solennel mineur, » c'est-à-dire qu'on avait fait pour les fêtes de la sainte Vierge, ce qui avait été fait pour celles de Notre-Seigneur, dont le Nativité est annuel majeur, et l'Incarnation seulement solennel majeur (6).

 

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(1) Eh! non, Monseigneur: ces textes ne disent pas du tout la même chose que ceux qu'on avait remplacés. La proclamation du Theotocos en est totalement absente ; et l'Eglise de Paris n'en a pas moins rompu avec l'antiquité.

 

(2) J'ai répondu ci-dessus à la réponse.

 

(3) Comme on ne doit pas disputer des goûts, j'éviterai, comme je l'ai déjà fait, et pour les raisons qui ont été exposées, ces sortes de parallèles. Indépendamment de la question littéraire, il y a la question d'autorité en matière de formules religieuses, la question d'unité de prière, la question d'antiquité, la question de subordination hiérarchique, etc. La Liturgie n'est donc pas si petite chose, qu'il se rencontre tout à coup tant de questions à propos d'une antienne.

 

(4) Un parallèle serait inutile et déplacé pour le moment ; il suffira de rappeler que, malgré la prédilection de l'Eglise pour saint Bernard, elle n'emprunte jamais de lui ni sermons, ni homélies, dans les cinq grandes solennités de la sainte Vierge. Un tel honneur est réservé à de plus anciens Docteurs. Ce choix traditionnel des lectures saintes atteste l'antiquité et l'immutabilité des saints offices, dans lesquels on lit encore aujourd'hui les mêmes leçons que saint Bernard a pu y lire lui-même. Saint Bernard n'est admis que pour les leçons des jours dans l'octave de l'Assomption, de la Nativité et de la Conception, et encore partage-t-il largement cet honneur avec les anciens Pères.

 

(5) J'en dis autant de mon côté, et sans crainte.

 

(6) J'ai répondu à cette excuse qui demanderait elle-même une justification.

 

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« On avait osé supprimer l'octave de cette grande fête. » Il n'y a d'octave, dans le rit de Paris, que pour les solennels majeurs et au-dessus(1).

« Montrons maintenant ce que (les auteurs du nouveau bréviaire) avaient fait contre l'autorité du Saint-Siège apostolique. » [ p. 118]

Ici vient le reproche d'avoir réuni en une seule fête, la Chaire de saint Pierre à Antioche et à Rome. Nous y avons répondu (2). « L'invitatoire des matines était aussi fort remarquable... : Caput corporis ecclesiœ Dominum, veniie, adoremus. »

Quoi qu'en dise l'Abbé de Solesmes, cet invitatoire est bien choisi pour rappeler dans la fête du souverain Pontificat de saint Pierre, que si Jésus-Christ est le chef invisible de l'Eglise, Pierre en est le chef visible (3).

« Cet office de la Chaire de saint Pierre était remarquable par une hymne de Coffin, dont une strophe donnait prise à une juste critique. La voici :

 

Cœlestis intùs te Pater addocet,

Hinc voce certâ progenitum Deo

Parente Christam confiteris,

Ingenito similem parenti.

 

« Saint Pierre n'a point parlé ainsi, il n'a point dit que Jésus-Christ fût simplement  semblable au  Père; les ariens le voulaient ainsi. »

La critique est fort injuste : le poète rapporte la confession par laquelle saint Pierre reconnut en Jésus-Christ le Fils de Dieu ; or, que dit saint Pierre ? Tu es Christus Filins Dei vivi. Que dit la strophe de Coffin ? que Jésus-Christ est engendré de Dieu le Père, progenitum Deo parente; il ajoute: Semblable au Père qui n'est pas engendré. Depuis quand est-il défendu aux catholiques de dire que le Fils est semblable au Père ? Saint Paul ne [ p. 119]

 

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(1) Même réponse que plus haut, et refus absolu de reconnaître, dans de simples particuliers, le droit de statuer en maîtres contre les usages de l'Eglise universelle.

 

(2) J'ai répondu à la réponse.

 

(3) Comme rien ne s'oppose à ce que cet invitatoire soit chanté dans toute église anglicane, luthérienne ou calviniste, puisqu'il se borne à reconnaître en Jésus-Christ la qualité de Chef de l'Eglise que ces hérétiques ne lui contestent pas, il est évident qu'il n'a aucun rapport au mystère du jour qui consiste à honorer dans un homme, dans saint Pierre, cette même qualité de Chef de l'Église.

 

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l'appelle-t-il pas l'image du Père? Est-on obligé, quand  on parle du Fils de  Dieu,  de  dire toujours tout ce qu'il est, et en particulier qu'il est consubstantiel au Père (1). « Le nouveau Bréviaire dépouillait (la  fête de saint Pierre) de son octave; » parce que la fête n'était que solennel mineur. Voyez ce que nous avons dit plus haut (2). « Le beau sermon de saint Léon au second nocturne, l'homélie de saint Jérôme au troisième, avaient été sacrifiés. »

Le sermon de saint Léon a été conservé en entier à la fête du Pontificat de saint Pierre (18 janvier) (3).

On a remplacé l'homélie de saint Jérôme par celle de saint Augustin qui explique admirablement ce trait de l'évangile si glorieux pour saint Pierre, où Notre-Seigneur lui fait la demande : M'aimez-vous plus que les autres Apôtres ? et lui dit ensuite : Paissez mes agneaux, paissez mes brebis (4). [ p. 120]

« On cherchait en vain une autre homélie de saint Léon sur la dignité du Prince des Apôtres, qui se trouvait au samedi des quatre-temps du Carême. »

Cette homélie est sur l'évangile de la Transfiguration. Dans le Bréviaire de Paris, il y a ce jour-là un autre évangile; on ne pouvait donc pas mettre l'homélie de saint Léon. Mais, dira-t-on, pourquoi a-t-on changé l'évangile? Pour une raison assez simple : c'est que le même évangile se dit encore le lendemain dimanche (5).

« Dans la légende de l'office de saint Grégoire le Grand, on avait retranché les paroles dans lesquelles ce grand Pape se plaint de l'outrage fait à saint Pierre par Jean le Jeûneur, patriarche de Constantinople, qui s'arrogeait le titre d'Evêque universel. » Accusation dénuée de vérité (6). Peut-on comprendre comment l'Abbé de Solesmes a pu se la permettre (7) ? Le Bréviaire de Paris en dit plus sur ce fait que le Bréviaire romain lui-même. Voici le texte du romain :

 

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(1)  Non, Monseigneur; on n'est point obligé à cela. « Mais on n'était pas obligé non plus d'aller chercher Coffin pour composer, dans le Bréviaire de Paris, les hymnes destinées à remplacer celles que la tradition et l'autorité de tant d'Eglises, jointes au Siège apostolique, ont consacrées. Sur ce point, comme sur tous les autres, nous sommes en droit d'exiger, des nouvelles liturgies, une doctrine plus pure, une autorité plus grande, un caractère plus élevé. » Les catholiques réclamèrent contre

cette hymne ; ils trouvaient inconvenant qu'on s'en vint relever ' une expression condamnée par le concile de Nicée.

 

(2)  Voyez aussi ce que j'ai dit plus haut.

 

(3)  Ce n'est pas tout-à-fait la même chose. L'Église de Paris, comme toutes les autres, avait entendu saint Léon, à matines, le jour de saint Pierre, durant de longs siècles. On lui a donné en place saint Bernard, docteur du XII° siècle; ce qui est diminuera plaisir l'antiquité de cet office ; et, de plus, on a été choisir un passage dans lequel se lisent ces paroles singulièrement adaptées au jour du triomphe du Prince des Apôtres : Peccavit peccatum grande Petrus Apostolus, et fortassis quo grandius nullum est, etc.

 

(4)  Cela veut dire qu'on a changé l'homélie, parce qu'on voulait changer l'Évangile sur lequel est l'homélie. Cela s'appelle toujours excuser un tort par un autre tort. De pareils changements ne peuvent se justifier qu'autant que l'on admettrait que la possession des siècles et l'universalité des lieux n'ont aucune force pour garantir la Liturgie des innovations arbitraires.

 

(5)  Mais, Monseigneur, est-ce que, par hasard, les auteurs du Missel de 1736 auraient ignoré la raison pour laquelle on lit le même Evangile en ces deux jours ? cela n'eut pas fait honneur à leur science de l'antiquité ecclésiastique. Que si, connaissant la raison de cet usage, ils l'ont aboli, de gaieté de cœur, j'ose dire qu'ils ont été aussi barbares que téméraires.

 

(6)  Ainsi, me voici encore pris en flagrant délit de mensonge.

 

(7)  Oui, Monseigneur, cela est facile à comprendre. L'Abbé de Solesmes a entre les mains, et peut vous communiquer le carton au moyen duquel furent rétablies les paroles de la soustraction desquelles il se plaint. C'est encore là un des endroits sur lesquels

 

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Joannis Patriarchae Constantinopolitani audaciam regit, qui sibi universalis Ecclesiœ Episcopi nomen arrogabat. Le parisien dit : Joanni Patriarchœ Constantinopolitano fortiter obstitit, qui sibi nomen universalis Episcopi arrogabat : ce qui renferme bien tout ce qui est dans le Bréviaire romain ; mais le Bréviaire parisien ajoute ce que ce grand Pape en écrivit à l'impératrice Constantine : Qua de re ad Constantinam Augustam ita scripsit : Etsi peccata Gregorii tanta sunt, ut pati talia debeat ; Petri tamen peccata nulla sunt, ut vestris temporibus pati ista mereatur ; par où saint Grégoire déclare qu'en lui réside l'autorité même de Pierre (1).

« Parlerons-nous des absolutions et bénédictions qu'on avait empruntées à l'Écriture sainte? » Singulier reproche (2) !

« Et dont la longueur, la phrase obscure contrastaient si fortement avec les anciennes. »

Pour répondre au double reproche de longueur et d'obscurité, je me contenterai de rapporter l'Absolution et les bénédictions du Ier nocturne (3) : ABSOL. Adaperiat Deus cor vestrum in lege sua, et in prœceptis suis, et det vobis cor omnibus ut colatis eum. 1 BENED. Deus Domini Jesu Christi pater gloriœ det nobis spiritum sapientiœ. 1 BEN. Filius Dei det nobis sensum ut cognoscamus verum Deum. 3 BENED. Spiritus veritatis doceat nos omnem veritatem. Remarquez que l'Abbé de Solesmes reproche tantôt la brièveté et tantôt la longueur (4).

Voici un reproche bien mal fondé, et bien inconvenant pour ne pas dire quelque chose de plus. [ p. 122]

« Le défaut de clarté... se faisait remarquer principalement dans la bénédiction de compiles. «

Or, voici cette bénédiction : Gratia Domini Jesu Christi et caritas Dei, et communicatio sancti Spiritus, sit cum omnibus vobis : c'est-à-dire, Que la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ, la communication du Saint-Esprit,

 

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Charles  de Vintimille lit droit aux réclamations des catholiques. Mais pourquoi, Monseigneur, n'avez-vous pas tenu à votre résolution de ne point parler des endroits corrigés!Franchement, vous disposez par trop facilement de ma réputation d'honnête homme.

 

(1) Cela prouve, Monseigneur, que les cartons ont été bons à quelque chose : le malheur est qu'ils soient devenus nécessaires, et aussi qu'on n'en ait pas mis un plus grand nombre.

 

(2) Eh ! oui, Monseigneur, il y a matière à un reproche. Puisque l'Eglise universelle imposait d'autres absolutions et d'autres bénédictions, on n'était pas libre d'aller puiser arbitrairement dans la Bible des formules plus ou moins équivalentes.

 

(3) Je ne sais pourquoi, Monseigneur, vous ne rapportez pas aussi celles du IIe et celles du IIIe nocturne ; après quoi il serait juste de produire aussi celles du Bréviaire romain, pour mettre vos lecteurs en mesure de juger de la longueur et de la phrase obscure des unes et des autres. Dans ce moment où l'on parle tant de la Liturgie romaine, je soupçonne fort plusieurs de ceux qui la poursuivent à tort et à travers, d'être assez étrangers à la connaissance de cette Liturgie.

 

(4) Si je reprochais la brièveté et la longueur sur un même objet, il faut avouer, en effet, que je me contredirais à plaisir : mais si ces reproches ont rapport à des objets différents, la contradiction n'est plus, ce me semble, que dans le reproche qu'on m'adresse à moi-même.

 

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et la charité de Dieu soient avec vous tous. Où est l'obscurité (1) ? Écoutons les autres reproches.

« D'abord la grâce, et toujours la grâce. » A-t-on jamais vu un Chrétien trouver mauvais que l'on parle souvent de la grâce de Jésus-Christ ? Nous sommes bien certain que Dom Guéranger n'a pas voulu blasphémer; il n'en est pas moins vrai que sa plainte sent le blasphème. Quoi ! lui dirai-je, vous êtes las d'entendre parler de la grâce ! mais elle est l'objet continuel des prières de l'Eglise; mais la grâce est notre  vie; sans la grâce, nous ne pouvons rien faire absolument de bon, d'agréable à Dieu, d'utile pour le salut ! C'est la grâce que l'Eglise demande au commencement de toutes les heures de l'office, en priant Dieu de  venir à son secours : Deus in adjutorium meum intende. Elle nous invite tous à demander la grâce trois fois par jour, en récitant l'oraison de l’Angelus : Gratiam tuam, quaesumus, Domine, mentibus nostris infunde, etc. Devons-nous, de peur d'être janséniste, cesser d'être chrétien ? Ce qui suit ne  sent pas  moins le  blasphème (2). [ p. 123]

 

« Puis un texte de l'Écriture (et quel texte?), un texte qui renferme les trois personnes de la sainte Trinité. » En vérité, je ne sais à quoi pensait l'Abbé de Solesmes, quand il faisait de tels reproches aux rédacteurs du bréviaire, et qu'il ajoutait : « Voilà leur pensée, l'objet de leur triomphe. » On peut voir, si l'on veut, les raisons sur lesquelles il s'appuie, je ne crois pas qu'elles vaillent la peine d'une réponse (3).

 

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(1) C'est vous-même, Monseigneur, qui jetez de l'obscurité en ce moment. Il est par trop évident que le. sens de mes assertions n'est compréhensible, qu'autant qu'il vous plairait de citer la bénédiction romaine, qui fait l'objet du parallèle. Autrement, personne ne doute que la phrase inspirée de saint Paul ne soit en elle-même d'une dignité et d'une autorité supérieures à une formule de style ecclésiastique. La seule difficulté est de savoir s'il convenait de la substituer à l'antique et populaire bénédiction.

 

(2) En vérité, Monseigneur, je ne puis croire que ce soit sérieusement que vous m'adressiez, dans cette conjoncture, l'épithète de blasphémateur. Est-il possible que vous ayez pensé que c'était la Grâce elle-même que j'attaquais, en relevant l'affectation avec laquelle les jansénistes rappelaient sans cesse ce dogme fondamental de notre foi? Mon livre tout entier, et le contexte lui-même, déposent pourtant bien hautement du contraire. Si même vous eussiez pris la peine de me lire plus sérieusement, vous eussiez vu, comment, au chapitre XX, je vais jusqu'à signaler certains bréviaires du XVIII° siècle, rédigés par des catholiques zélés contre le jansénisme, et qui dans leur ardeur pour les dogmes attaqués par la secte avaient cru devoir faire disparaître une grande partie des collectes des dimanches après la Pentecôte, parce qu'ils trouvaient qu'il y était parlé trop énergiquement de la puissance de la Grâce. Mais, Monseigneur, s'il n'est pas permis d'altérer les livres liturgiques dans le but de soustraire aux hérétiques des arguments, qu'ils n'y puiseront ni plus ni moins que dans les Ecritures ; il faut convenir aussi que le jour où, par la plus insolente des intrigues, des hérétiques deviennent arbitres de la rédaction des prières à l'usage des catholiques, on a bien le droit de surveiller leur travail et de repousser toute mention affectée des dogmes sur lesquels ils bâtissent leur système hétérodoxe. Tout mon blasphème, Monseigneur, consiste donc à avoir usé de cette règle de prudence que les saints Pères nous suggèrent, lorsqu'il s'agit de juger les productions des hérétiques.

 

(3) Mon second blasphème est pour le moins aussi innocent que le premier. Est-il possible d'imaginer que j'aie intention de poursuivre la très-sainte Trinité, lorsque je me plains précisément que la mention de ce  grand  mystère devient moins claire et moins

 

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Après cela, on ne trouve que des reproches vagues, dont la réfutation  demanderait que l'on comparât tous les offices des deux bréviaires (1). Voici cependant quelques incriminations spéciales.

« Une grave et déplorable mesure était la suppression du titre de Confesseur. »

Expliquons cette déplorable mesure. Dans le commun des Saints du Bréviaire romain, on met sous le seul titre de Confesseurs, pontifes ou non pontifes, tous les saints Évêques, Abbés, Moines, Laïques. Dans le parisien, il y a un commun particulier pour chacun de ces ordres de Saints : que l'on juge lequel des deux est préférable (2). [ p. 124]

« Les prières de la recommandation de l'âme avaient été tronquées. » Je ne sais où Dom Guéranger a pris cela ; je ne vois, dans ces prières, d'autre changement que celui des répons et des versets qui doivent être dits après que le malade a rendu le dernier soupir, et ces versets, s'il y a quelque différence pour la longueur, sont plus longs dans le Bréviaire parisien: ces prières ne sont donc pas tronquées (3).

Dans l'office des Morts,  « l'office de laudes avait été abrégé d'un tiers. »

Il est vrai que, dans le Bréviaire romain, les laudes ont sept psaumes et un cantique ; et que, dans le parisien, elles n'ont que quatre psaumes et un cantique ; il en est de même pour l'office de tous les jours. Cela vient de ce que, dans les laudes du Bréviaire romain, de plusieurs psaumes on n'en a fait qu'un. Mais dans l'un et dans l'autre bréviaire, il y a le même nombre de psaumes pour tous les offices, tant des vivants que des morts (4).

Après avoir ainsi discuté le bréviaire, on en vient au missel.

« L'évangile de la fête de saint Pierre et de saint Paul.., avait disparu avec son fameux texte, Tu es Petrus, etc. pour faire place au passage du XXI° chapitre de saint Jean, où Jésus-Christ dit à saint Pierre, Pasce oves meas,

 

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utile au peuple, par le fait de la nouvelle bénédiction ? Voici mes propres paroles : « Un théologien trouvera sans doute le mystère de la Trinité dans cette phrase de l'Apôtre ; mais les simples fidèles, accoutumés à faire le signe de la Croix, pendant que le Prêtre prononçait ces mots : Pater, et Filius, et Spiritus Sanctus, comment feront-ils désormais, etc. ? »

 

(1) Ce travail en effet a besoin d'être exécuté pour l'avancement de la science liturgique, et il paraîtra en son temps.

 

(2) Je persiste à penser, avec toute l'Église, que la dénomination de Confesseur est la seule qui convienne, dans le genre, pour tous les saints qui ne sont ni Apôtres, ni Martyrs. Les règles statuées pour la béatification et la canonisation des Serviteurs de Dieu sont invariables sur ce point. Je montrerai ailleurs l'inconvénient très grave qui résulte des nouveaux Communs qu'on a inaugurés au bréviaire.

 

( 3) J'appelle tronquer une pièce liturgique le fait d'en ôter la formule finale qui en est comme le couronnement. Or, les prières de la recommandation del'âme viennent aboutir au beau et populaire répons Subvenite, et ce répons a été enlevé pour faire place à un autre répons moderne qui n'est nullement en rapport avec le style de ce magnifique ensemble.

 

(4) Il me semble, Monseigneur, que, pour savoir si j'ai raison de dire que l'office des Morts à laudes avait été abrégé d'un tiers il ne suffit pas de compter les psaumes, puisque tout le monde sait qu'il y a des psaumes de différentes longueurs. Il faut donc examiner tout simplement la dimension respective des psaumes de ces laudes dans l'un et l'autre bréviaire, et alors je me flatte que l'homme le plus étranger à la science liturgique sera à même de juger, comme le plus habile, la vérité de ce que j'ai avancé, que la prière pour les Morts, à laudes, avait été réduite d'un tiers.

 

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texte important sans doute pour l'autorité du Saint-Siège, mais moins clair, moins populaire, moins étendu que, Tu es Petrus. »

C'est là, sans doute, dans l'esprit de Dom Guéranger, un attentat nouveau contre l'autorité du Saint-Siège (1).

Les auteurs du missel avaient eu si peu la volonté de faire disparaître ce texte, qu'ils l'ont mis à l'introït, c'est-à-dire à l'endroit le plus apparent de la Messe ; de manière que, dans cette solennité du Prince des Apôtres, au moment du sacrifice, la première parole qui retentit dans l'assemblée des fidèles est celle-ci : Tu es Petrus; et tout le reste qui parle si éloquemment de l'autorité suprême du Vicaire de Jésus-Christ (2).

« Pourquoi faire rédiger des préfaces si longues et si lourdes ? » Si Dom Guéranger les trouve trop longues, il ne doit pas faire un crime aux rédacteurs du bréviaire d'avoir visé à la brièveté (3).

Comment accuser d'être lourdes des préfaces qui au jugement de tous les hommes de goût, sont de vrais chefs-d'œuvre de poésie (4) ? [ p. 126]

Un des caractères que Dom Guéranger attribue au nouveau bréviaire, est de favoriser et de développer le presbytérianisme. Il en donne deux raisons, qui, à coup sûr, persuaderont peu de monde.

La première est que la nouvelle liturgie fut l'œuvre de simples prêtres, à laquelle ont pris part des laïques même. Quel rapport y a-t-il entre le presbytérianisme et la correction ou rédaction d'un bréviaire par des prêtres, ou même des laïques (5) ?

L'Abbé de Solesmes prétendrait-il que les archevêques de Paris auraient dû rédiger ou corriger eux-mêmes leur bréviaire et leur missel ; qu'ils se fussent mis à composer des proses, des hymnes et des préfaces ? Il leur eût fallu évidemment, dans ce cas, renoncer à l'administration de leur diocèse (6).

 

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(1)  Je demande pardon de cette susceptibilité. J'ai quelque raison de la croire permise quand il s'agit de juger l'œuvre des sectateurs de l'hérésie la plus haineuse à l'égard du Saint-Siège.

 

(2)  J'ignore ce que c'est que tout ce reste qui parle si éloquemment de l'autorité du Vicaire de Jésus-Christ, dans la Messe parisienne, et je persiste à demander pourquoi on a changé l'évangile qui, dans la Messe des catéchumènes, est la pièce principale, et le texte obligé de l'homélie du Pasteur. Cet évangile était en usage depuis mille ans, et, je le répète, il est plus clair et plus populaire que le pasce oves meas. L'introït n'est pas ordinairement le texte des homélies, et d'ailleurs celui qu'on a fabriqué au Missel de 1786, bien que tiré de l'ancien évangile, n'en représente qu'une bien faible portion, et les paroles de Jésus-Christ s'y trouvant dégagées de ce qui les motive, perdent la plus grande partie de leur force.

 

(3)  Mais, Monseigneur, il m'est difficile de comprendre ce que la longueur des préfaces du missel peut faire à la brièveté de cet autre livre qu'on nomme bréviaire. Je ne me suis plaint nulle part, que je sache, de la brièveté du missel.

 

(4)  Vous me permettrez, Monseigneur, de différer de sentiment avec vous sur cette matière totalement libre. Je ne fais de réserve que pour la belle préface des défunts ; encore est-elle d'origine grégorienne, et nullement de la façon de Boursier et consorts.

 

(5)  Il y a d'abord un rapport de temps entre l'apparition du système presbytérien dans l'Église de France et la publication des nouvelles liturgies. En second lieu, il y a un rapport de principes et de doctrines entre les sectateurs de Quesnel et les apôtres du presbytérianisme. Vous savez mieux que moi, Monseigneur, que Mésenguy et Travers étaient de la même école.

 

(6)  Oh! non, Monseigneur, je ne prétends pas cela du tout. Le bréviaire et le missel existent depuis mille ans et plus : il eût donc été tout à fait inutile que les archevêques de  Paris

 

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A-t-il oublié ce qu'il nous a dit, que les archevêques de Péréfixe, de Harlay, de Vintimille, chargèrent des commissions spéciales de la révision et de la correction du bréviaire comme du missel (1) ; et qu'après les avoir examinés ou fait examiner, ils donnèrent des lettres pastorales pour autoriser et ordonner l'usage de ces livres liturgiques ? Comment voit-il dans tout cela le développement du presbytérianisme (2) ? [ p. 127]

 

Sa seconde preuve ne vaut pas mieux. C'est que l'on a mis dans les nouveaux bréviaires un Commun des prêtres, lequel devait bientôt être accueilli en tous lieux par acclamation, à cette époque où les pouvoirs du second ordre étaient proclamés si haut.

Que ceux qui, les premiers, ont proposé d'introduire un Commun particulier des prêtres, aient voulu relever par là le second ordre du clergé, c'est possible ; mais ils ont en même temps honoré la dignité du sacerdoce et rappelé aux prêtres leurs devoirs: chose fort bonne. Au fond, ce nouveau commun est plutôt contraire que favorable au presbytérianisme, qui veut égaler les simples prêtres aux Évêques. Et en effet, est-ce en distinguant les Évêques des prêtres ou en les égalisant, qu'on peut arriver plus tôt au presbytérianisme ? C'est sans doute en les confondant. Eh bien ! les bréviaires qui assignent un Commun aux prêtres, au lieu de les confondre avec les Évêques,

 

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perdissent leur temps à en fabriquer de nouveaux. Mais cela n'empêche pas que, à l'époque où les liturgies ont été composées et mises en ordre, des Évêques, et toujours des Évêques, se sont réservé ce soin, comme leur principal ministère. A Rome, les livres liturgiques s'élaborent successivement par saint Léon, saint Gélase, saint Grégoire-le-Grand, saint Léon II, saint Grégoire VII, Paul IV. A Milan, nous trouvons les travaux de saint Ambroise et de saint Charles. Dans les Gaules, les auteurs des formules sacrées sont saint Hilaire, saint Césaire d'Arles, saint Sidoine Apollinaire, saint Venance Fortunat, saint Grégoire de Tours, saint Protadius de Besançon, saint Adelhelme de Séez. La Liturgie gothique ou mozarabe a pour pères saint Léandre, saint Isidore, saint Ildefonse, saint Julien de Tolède. L'Orient use encore des formes liturgiques qu'il doit à saint Basile, à saint Cyrille d'Alexandrie, à saint Maron, à saint André de Crète, etc. La Liturgie est l'œuvre personnelle des Évêques : car, elle est le plus sacré et le plus haut enseignement.

 

(1) Non, Monseigneur, je n'ai point oublié ce que j'ai dit des commissions établies par les archevêques de Péréfixe et de Harlay pour la revision et la correction du Bréviaire et du Missel. Malheureusement, il n'y eut point de commission semblable pour la fabrication du Bréviaire de Vintimille ; aussi n'en ai-je pas dit un seul mot. Ce bréviaire fut élaboré dans l'ombre, et tout-à-fait a priori; il avait été déjà offert à plusieurs prélats quand Charles de Vintimille l'accepta. J'ai dit (ce qui est vrai) que le Bréviaire de Harlay avait retenu l'ensemble du Bréviaire romain; parce que la commission établie par ce prélat et son prédécesseur n'avait voulu faire qu'une correction et revision, et n'avait fait que cela, en résultat : je n'ai pas besoin de revenir sur les intentions qui paraissaient dans le travail de cette commission. Quant au Bréviaire de Vintimille, c'était un livre nouveau, une œuvre originale, à laquelle la dénomination de revision ou de correction ne peut s'appliquer en aucune manière. Le résultat des travaux de Vigier, Mésenguy et Coffm est aussi loin du Bréviaire de Harlay, quel qu'il soit, que du Bréviaire romain lui-même. Ce sont là des faits : or, je dis que ces faits sont inouïs dans l'Église, jusqu'au siècle du presbytérianisme, où l'on vit des prélats assez dociles pour adopter, par lettre pastorale, cette œuvre d'autrui, cette œuvre d'un prêtre, d'un acolythe et d'un laïque, sauf à la reviser ensuite au moyen de cartons, pour rassurer les catholiques.

 

(2) En la manière que je viens d'exposer, Monseigneur.

 

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les distinguent, au lieu de les égaliser, les graduent (1). Il est vrai que, par ce nouveau Commun, les prêtres sont distingués des simples justes, moines ou laïcs; mais cette distinction, nous venons de le dire, est très-convenable, très-utile en ce qu'elle rappelle aux prêtres l'excellence et la sainteté de leur ministère (2).

Avons-nous fini d'exposer et de réfuter les accusations de Dom Guéranger contre les livres liturgiques de Paris ? Non : en voici une nouvelle, non moins singulière que plusieurs de celles auxquelles nous avons déjà répondu. Dans le Bréviaire de Paris, on s'est attaché à insérer des hymnes d'une latinité pure. C'est au fond le nouveau reproche de notre auteur ; quoique, pour y mettre quelque apparence de raison, il embrouille, autant qu'il peut, son discours (3). « On nous vante, dit-il, le beau latin, le génie antique de Santeul... Quand à nous, nous pensons que le latin de saint Ambroise, de saint Augustin, etc., n'est pas la même langue que le latin d'Horace, de Cicéron, etc. (4) » [ p. 128]

(Dans les pages suivantes, Monseigneur l’archevêque de Toulouse après avoir exprimé sa prédilection, assurément très permise, pour la latinité de Santeul, en vient à la critique que j'ai faite des gravures du Bréviaire de Paris de 1736. J'ai répondu à ces reproches dans la Lettre ci-dessus. )

 

§ V. BEAUTÉ DU BRÉVIAIRE DE PARIS.

 

On peut juger maintenant quelle confiance il faut avoir aux incessantes déclamations de Dom Guéranger contre le Bréviaire de Paris, et contre ceux du même rit qui ont été publiés  dans un grand nombre de diocèses (5). J'ai [ p. 138]

 

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(1)  Est-ce que, par hasard, la Liturgie romaine et  les  bulles des Souverains Pontifes qui divisent les Confesseurs en Pontifes et non Pontifes ne distinguent pas suffisamment les saints prêtres des saints Évêques? Où est donc cette  confusion qu'on aurait voulu éviter en créant un nouveau commun ?

 

(2)  Nous examinerons ailleurs cette création de nouveaux communs, et j'espère prouver par le fait et le droit que, loin d'être favorable aux convenances liturgiques, elle a introduit dans les offices divins des embarras d'autant plus inextricables que peu de gens se mettent en peine de les apercevoir.

 

(3)  Permettez-moi de vous faire observer, Monseigneur, que c'est vous-même qui embrouillez mon discours autant que vous pouvez, par vos citations continuellement tronquées. De tels procédés ne sont pas de bonne guerre, et je me suis fait un devoir d'en agir autrement dans cette Défense. Le public, au reste, en jugera,

 

(4)  Comme, encore une fois, il est superflu de disputer des goûts, je ne vous suivrai pas, Monseigneur, dans cette discussion. Laissons donc de côté pour le moment toute controverse littéraire sur l'hymnographie catholique. Ce qu'il y a de certain, c'est que les protestants nous font la leçon aujourd'hui sur ce point comme sur d'autres. On connaît déjà en France les travaux des docteurs Rambach et Daniel sur nos saintes et vénérables hymnes, le soin avec lequel ils les ont recueillies, les notes respectueuses dont ils les ont enrichies, le jugement sévère qu'ils portent sur la réprobation qu'on en a faite, en France, pour courir après des pastiches d'Horace. Ainsi, par un juste jugement de Dieu, après nous avoir rendu nos Papes, naguères insultés par nous, les protestants nous rendent nos hymnes. Nous avions mérité cette humiliation. Et nunc intelligite !

 

(5) Le public, aussi, sera désormais en mesure de juger quelle confiance il faut avoir aux incessantes déclamations dirigées contre mon livre.

 

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suivi ce rit, pendant près de cinquante ans, à Paris, à Bayonne, à Toulouse; or, je déclare que je l'ai trouve très beau (1).

 

L'Abbé de Solesmes a prétendu, et il le répète souvent, que les rédacteurs ont visé surtout à le rendre court (2). Il est, quoi qu'il en dise, d'une juste longueur (3). Il y aurait peut-être plus d'inconvénient dans une longueur excessive que dans une brièveté un peu trop grande. Trop de longueur fatiguerait les bons ecclésiastiques qui s'appliquent à dire leur office avec dévotion, et porterait les autres à en précipiter la récitation d'une manière indécente. Les offices semi-doubles, dans le courant de l'année, si on veut s'acquitter convenablement de ce devoir, exigent bien une heure de temps ; il faut plus d'une heure pour un office double (4).

 

Un avantage inappréciable, c'est que chaque jour, même aux offices des Saints, on dit des psaumes différents, tellement distribués, que dans la semaine on récite tout le psautier. Il n'y a d'exception que pour les fêtes les plus solennelles, pour lesquelles on choisit les psaumes [ p. 139]

 

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(1)  Saint Grégoire le Grand a rédigé le corps des antiennes et des répons du Bréviaire romain, et déterminé la forme des offices d'après les traditions antérieures ; saint Grégoire VII a statué sur l'ordre dans lequel on lirait les livres de l'Écriture sainte, et sur le nombre des leçons de matines, suivant le degré des fêtes ; Grégoire IX a approuvé le choix et la détermination de ces leçons, telles quelles avaient été fixées, suivant son ordre, par Haymon, Général des Frères Mineurs; le concile de Trente a renvoyé au Pontife romain le soin d'appliquer à cette œuvre les corrections que le laps du temps, et les altérations diocésaines, avaient rendues nécessaires; saint Pie V a publié enfin ce Bréviaire, œuvre successive de tous les siècles chrétiens : la Chrétienté a dû nécessairement le trouver très beau de fait autant que de droit. Un autre bréviaire totalement fabriqué a priori était donc inutile au moins, et si par hasard il lui arrive d'être trouvé TRES BEAU, je crains bien que ce ne soit par un simple jugement individuel qui n'a pas de valeur en présence de celui de la Chrétienté, après tant de siècles.

 

(2)  Je parle d'après les intentions avouées des auteurs de la révolution liturgique du XVIII° siècle, d'après les lettres pastorales publiées en tête du plus grand nombre des nouveaux bréviaires, et enfin d'après l'évidence du fait.

 

(3) Donc, les Églises innombrables assujetties au Bréviaire romain (qui du reste est moins long que l'ambrosien, le mozarabe et ceux de l'Orient) ne connaissent pas la juste longueur qu'il faut donner à la prière publique. Cette découverte est toute française, et on la doit au XVIII° siècle, si avancé, comme chacun sait, dans les choses de la prière.

 

(4) Ainsi, une heure par jour environ, telle est la somme de prière que la sagesse de l'Église peut imposer aux bons ecclésiastiques et aux autres. Le dépérissement de la foi qui date précisément, en France, de l'époque des nouveaux bréviaires, fait voir si cet amoindrissement de la prière a attiré une grande fécondité sur les travaux du ministère pastoral. A l'origine du Christianisme, les Apôtres, qui sont notre règle et notre modèle, établissaient les sept Diacres, afin de pouvoir se livrer aux deux principaux devoirs du sacerdoce, la prière et l'enseignement : Nos vero orationi et ministerio verbi instantes erimus.

 

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les plus analogues  au  mystère du jour, ce qui relève encore la solennité de ces fêtes (1).

 

Les prêtres chargés de la prière publique, se rendent familiers par là tous ces cantiques sacrés, inspirés de Dieu pour suggérer à son Église, non seulement les sentiments d'adoration, de reconnaissance, de componction, d'humilité, d'amour, par lesquels il veut être honoré; mais les termes mêmes dans lesquels il aime à recevoir ces hommages. S'ils devaient réciter chaque jour les mêmes psaumes, l'habitude de les répéter en affaiblirait le goût, et ceux qu'ils ne réciteraient presque jamais toucheraient moins leur piété (2).

 

Parmi les psaumes, il y en a de très longs, qui équivalent à trois et à six d'une longueur ordinaire. Saint Benoît prescrit dans sa règle que ces psaumes soient divisés en plusieurs parties, et que chaque division soit terminée par la doxologie, Gloire au Père, etc. (3); un ancien concile l'ordonne de même (4) : par ce moyen les offices sont tous d'une longueur convenable et à peu

 

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(1) Est-ce que, par hasard, l'Eglise romaine manque de choisir des psaumes analogues au mystère du jour, pour relever la solennité des fêtes ? Est-ce encore que le choix qu'elle fait de ces psaumes aurait moins d'autorité que celui qui est déterminé par Vigier et Mésenguy? Car on est allé souvent jusqu'à repousser les psaumes pleins de mystères choisis par l'Église, pour en aller chercher d'autres qui semblaient plus convenables à ces hommes sans autorité.

 

(2)  Les faits sont là, heureusement. Oserait-on dire que les prêtres qui recitent le Bréviaire de Paris entendent mieux les psaumes que ceux qui récitent le Bréviaire romain? J'en appelle à tous ceux qui suivent les instructions que l'on donne du haut de la' chaire dans notre siècle. Entendent-ils bien souvent expliquer, je dirai même citer d'une manière intelligente ces sacrés cantiques ? Tout ne se borne-t-il pas, pour l'ordinaire, à certains versets qui courent tous les sermons, sous forme de lieux communs? heureux encore quand ces versets ne sont pas allégués dans un sens faux, ou exagéré. Quand on ne récite, et quand on ne lit les psaumes que dans son bréviaire, on court risque de ne jamais les entendre. Les prêtres qui récitent le Bréviaire romain ont donc toujours la ressource, je dirai même ont, comme tous les autres, le devoir de méditer les psaumes; et je voudrais savoir si, parmi les divers commentateurs du Psautier, il y en a beaucoup qui aient récité le Bréviaire parisien.

 

(3)  Oui, Monseigneur; saint Benoît a prescrit cela, et le Bréviaire bénédictin a gardé cette forme jusqu'aujourd'hui; mais ce qu'il faudrait dire aussi, c'est que ce saint patriarche n'applique cette règle qu'à douze psaumes dans tout le psautier; que ces douze psaumes, même le LXXVII°, ne sont jamais divisés qu'en deux parts ; et enfin qu'avec cette division, le Bréviaire bénédictin est et demeure toujours le plus long de tous, ses matines étant à peu près le double de celles du romain.

 

(4)  Mais cet ancien concile qui, au reste, n'est pas un concile de la province de Paris, ne saurait, mille ans après, autoriser une rupture avec les usages de toute l'Église d'Occident, sanctionnés à toutes les époques, depuis saint Grégoire le Grand jusqu'à saint Pie V.

 

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près égale (1). Or, c'est ce qu'on a pratiqué dans le Bréviaire de Paris... Le Bréviaire romain en avait donné l'exemple pour le psaume CXVIII (2).

On a fait encore une chose utile, en proposant un sujet particulier de méditation pour l'office de chaque jour de la semaine, et y réunissant les psaumes qui sont plus relatifs à ce sujet. L'attention se fixe beaucoup mieux sur un point de méditation déterminé. Un autre avantage, c'est qu'en cherchant à appliqueras psaumes au sujet proposé, l'esprit s'accoutume à découvrir dans la sainte Écriture les divers sens qu'elle renferme (3). [ p. 146]

Les hymnes sont encore une des beautés du Bréviaire parisien; tous les hommes de goût, qui veulent être impartiaux, les admirent (4).

La sainte Ecriture y est parfaitement appliquée aux divers mystères, et aux Saints dont on célèbre les fêtes (5).

On a eu soin de rapprocher si heureusement les textes de l'Ancien Testament et du nouveau, que l'on saisit parfaitement l'accord admirable de l'un avec l'autre. C'est ce qu'on peut vérifier dans toutes les parties du bréviaire. Nous citerons en particulier l'office de la très sainte Trinité, qui est le mystère le plus fondamental de la religion. On y voit énoncer ou indiquer dans presque tous les capitules, les répons et les antiennes, ou l'unité de Dieu, ou la trinité des personnes, souvent l'une et l'autre ensemble (6). [ p. 141]

On a eu soin d'éviter les répétitions des mêmes versets, des mêmes répons, des mêmes antiennes, etc., comme, dans le missel, les répétitions des introïts et des évangiles; ce qui a donné la possibilité de rapporter un beaucoup plus grand nombre de textes de la sainte Ecriture : Les prêtres ne peuvent jamais la connaître assez (7).

Un des précieux avantages du Bréviaire de Paris, est qu'un ecclésiastique qui le récite avec piété et avec attention, ne peut manquer d'acquérir une grande connaissance

 

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(1)  Puisque toutes les Églises ont maintenu et même recherché l'inégalité des offices, pour marquer les fêtes et les temps de l'année, comment des particuliers peuvent-ils légitimement statuer l’égalité de ces mêmes offices, et atteindre à cette longueur convenable que l'Église romaine et toutes les autres n'ont pas eu le bonheur de rencontrer?

 

(2)  Si on met tant de prix aux exemples que donne l'Église romaine, il faut les suivre et s'y tenir. Rien de plus clair.

 

(3)  Je répète ce que je viens de dire plus haut, et je m'en rapporte aux aveux des ecclésiastiques qui récitent les nouveaux bréviaires ; c'est que rien n'est moins commun en France qu'un prêtre qui connaisse le psautier à fond, malgré tous ces moyens si beaux en théorie. Quant à la méthode du placement des psaumes dans le parisien, ce n'est pas ici le lieu de la discuter : l'occasion s'en présentera ailleurs.

 

(4)  Sur cette question littéraire, je me permets de conserver ma façon de penser.

 

(5)  Il n'y manque que l'autorité, d'une part ; et de l'autre, la pureté d'intention dans les rédacteurs jansénistes.

 

(6)  Une discussion de tous les détails du Bréviaire parisien pourrait seule satisfaire à cette grave question. Ce n'est pas ici le lieu d'entreprendre cette discussion immense : elle entre dans le plan de mes Institutions liturgiques. En attendant, qu'il me soit permis de faire remarquer, Monseigneur, que vous ne prenez jamais acte du défaut d'autorité doctrinale qui place toutes ces belles choses dans une déplorable infériorité en présence de la Liturgie romaine qui est l'enseignement de l'Église universelle, soit qu'elle s'exprime par des formules de style ecclésiastique, soit qu'elle s'énonce par des passages de l'Écriture choisis avec ce haut et traditionnel discernement avec lequel l'Église, qui est l'Épouse, procède à l'égard de l'Écriture qui est la servante, ainsi que le dit expressément saint Bernard, dont les paroles sont citées dans ma Lettre à Monseigneur l'archevêque de Rheims.

 

(7)  Reste à savoir si cette variété incessante est plus favorable à la prière que la répétition des mêmes formules. On aurait dû prendre des mesures aussi pour éviter la répétition journalière du Venite exultemus, du Benedictus, du Magnificat, etc. Notre-Seigneur, dans le jardin des Olives, priant son Père, répétait les

 

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de la religion, et par là même une grande facilité pour en instruire solidement les fidèles. Nous avons vu ce qu'a dit l'Abbé de Solesmes, que c'était un arsenal pour la controverse (1).

Peut-être que le mérite le plus grand de tous, sous le rapport de l'instruction, est d'avoir mis à la fin de prime, pour chaque jour de l'année, un canon tiré des conciles ou des SS. PP. ; de manière que tous ceux qui sont tenus à la récitation de l'office divin, lisent nécessairement chaque année trois cent soixante-cinq canons, contenant la tradition de l'Église sur le dogme, la discipline et la règle des mœurs. L'Abbé de Solesmes n'a pu s'empêcher de louer cette addition faite au Bréviaire parisien (2).

Tel est le bréviaire que l'Abbé de Solesmes veut enlever à la France. En plus d'un endroit, il exprime cette espérance, qu'il fonde sans doute sur le grand effet que doivent produire les déclamations continuelles et injustes de ses Institutions liturgiques. Heureusement le Saint-Siège est plus sage que cet auteur (3).

Mais n'est-il pas vrai que ce bréviaire tend à diminuer le culte de la sainte Vierge, des Saints, à affaiblir l'autorité des souverains Pontifes, et à favoriser les erreurs des jansénistes ? Je le nie.

D'abord, je n'y vois rien, non plus que dans le missel, qui tende à diminuer le culte de la sainte Vierge ; j'y trouve même le contraire. Dans l'office de Beata du samedi, je vois, à compiles, une hymne propre en l'honneur de la sainte Vierge, ce qui n'est pas dans le romain. Les trois premiers mots, Virgo Dei genitrix, nous disent toutes les grandeurs de Marie, sa virginité et sa maternité divine. On déclare ensuite que tous les peuples l'honorent comme leur mère et leur maîtresse ; Hinc populi matrem te dominamque colunt. On la prie de recevoir avec bonté les honneurs qui lui sont rendus par le peuple fidèle: Suscipe quos pia plebs tibi pendere certat

 

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mêmes paroles : Oravit tertio eumdem sermonem dicens. Quant au résultat scientifique, le clergé français devrait, d'après cela, connaître mieux l'Ecriture sainte que les autres clergés : est-ce un fait bien constant? On peut consulter sur cette question la bibliographie contemporaine, dans les divers recueils périodiques français et étrangers : je crois que la meilleure réponse est là.

 

(1) Permettez-moi de vous faire observer, Monseigneur, que je n'ai point dit cela. En parlant, non du Bréviaire parisien actuel, mais de celui de Harlay, j'ai dit, et vous avez même relevé cette parole, que c'était une étrange idée de vouloir faire d'un Bréviaire un arsenal de controverse (ci-dessus, pages 96 et 97 ); il est curieux que cette phrase lancée par moi contre le Bréviaire de Harlay se transforme, à mon insu, en apologie pour le Bréviaire de Vintimille. Quant à la bonté et au succès des armes puisées dans ce soi-disant arsenal, il en faut juger par les faits. Dans ma petite façon de penser, il m'est avis que nous n'avons pas tant à nous vanter des résultats. Je crois que nous éprouvons le besoin urgent d'étudier quelque peu, en dehors du Bréviaire parisien.

 

(2) Pour le coup, ceci est par trop fort. Vous me reprochiez tout-à-l'heure, Monseigneur, de ne pas goûter le choix des canons insérés au Bréviaire de Paris (ci-dessus, page 15o), et voici maintenant que vous me transformez en admirateur de cette œuvre. Je me vois donc obligé de faire appel à. ce que j'ai dit plus haut, et, en outre, je me permettrai d'ajouter que l'état déplorable dans lequel est tombée chez nous la science du droit canonique, ne montre que trop combien il eût été meilleur d'emprunter aux Décrétales les trois cent soixante-cinq canons que les clercs parisiens ont à lire, par chaque année, à prime, plutôt que de les aller glaner à droite et à gauche, la plupart hors du Corps du Droit, sans qu'il en puisse résulter aucune instruction véritable et positive.

 

(3) Voir pour juger de la sagesse du Saint-Siège, le bref de Sa Sainteté à Monseigneur l'archevêque de Rheims, à la fin de cet opuscule.

 

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honores, et de lui accorder la protection qu'il sollicite de sa bonté : Annue sollicita quam prece poscit opem. Cette hymne, si dévote envers Marie, ne se dit pas seulement à l'office du samedi, mais aux autres fêtes de la sainte Vierge (1).

 

Tout le temps, depuis la Circoncision jusqu'au dimanche de la Septuagésime, est consacré à célébrer la naissance du Sauveur et la maternité divine de la très sainte Vierge, dont on fait mémoire tous les jours à vêpres et à laudes : il n'en est pas ainsi dans le romain (2). [ p. 142]

 

A toutes les fêtes de la Mère de Dieu, il y a trois ou même quatre hymnes en son honneur; et quelles hymnes ! (3) Celle des IIes vêpres du jour de la Présentation de Notre-Seigneur et de la Purification de Marie, Stupete, gentes, est célèbre. Je ne rapporterai que celle des matines de l'Assomption ; on ne peut exalter par une poésie plus sublime le triomphe de Marie.

 

Quœ cœlo nova mine additur hospes! etc.

 

La veille de cette fête si solennelle de Marie, il n'y a dans le Bréviaire romain que l'homélie et la mémoire de la sainte Vierge; dans le parisien, tout l'office est de la [ p. 144]

 

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(1) Eh! quoi, Monseigneur, en compensation de l'octave de la Conception de la sainte Vierge,  supprimée sans ménagement, du titre des deux fêtes de la Purification et de l'Annonciation aboli, de l'octave de Noël enlevée à Marie, de l'hymne Ave maris Stella, retranchée des vêpres, des antiques bénédictions de l'Église de Paris pour les fêtes de la Mère de Dieu, abrogées, de tant de répons, d'antiennes, de versets, d'introïts,  d'offertoires, de communions, que l'Eglise latine tout entière chante depuis plus de mille ans, supprimés, anéantis, oubliés même, hélas ! vous avez à offrir à la Mère de Dieu une hymne de Complies! Croyez-moi, Monseigneur, gardez-la à Complies,  cette hymne, mais restituez aux fidèles toutes ces saintes formules que  Vigier et Mésenguy ont enlevées de l'office canonial et de la Messe. Que les catholiques de France  recouvrent  la prière antique et universelle avec les chants mélodieux  qui  l'accompagnent,  rien n'empêchera après Cela d'ajouter des hymnes propres, dans les endroits où la Liturgie romaine n'en a pas, si ces hymnes sont si belles, si surtout elles ont pour auteurs des poètes graves et catholiques.

 

(2) Peut-être, Monseigneur, que vous allez me trouver étrange; mais je ne puis m'empêcher de vous témoigner une idée singulière qui me travaille depuis longtemps, et à laquelle vos dernières paroles donnent une quasi évidence que je ne puis taire. Vous n'avez pu vous procurer ni le Bréviaire de Gondy, ni le Missel de Harlay, ni le Missel de Noailles : oserai-je vous demander si vous avez entre les mains le Bréviaire et le Missel romains? Il est du moins certain que vous ne les avez pas consultés sur la question présente : autrement, comment pourriez-vous dire que la Liturgie romaine ne fait pas mémoire spéciale de la sainte Vierge comme Mère de Dieu, depuis Noël jusqu'à la Purification, fête qui arrive souvent après la Septuagésime? Le contraire est pourtant évident, dans le Bréviaire aussi bien que dans le Missel : je dirai même plus ; c'est que cet usage n'existe dans les nouveaux bréviaires que comme un emprunt fait au romain.

 

(3) Et quelles hymnes! Mais, Monseigneur, en fait d'hymnes, C'est l'autorité qui fait tout. Les hymnes de Santeul et Coffin sont toujours beaucoup au-dessous non seulement des hymnes de la Liturgie romaine, mais même des hymnes composées en si grand nombre par les saints Pères et les écrivains ecclésiastiques approuvés. C'était là, si l'on voulait enrichir le Bréviaire, qu'on devait aller puiser des cantiques purs et vraiment liturgiques, et

 

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vigile, avec deux belles hymnes. Il est du rit double aux petites heures (1).

Que dirons-nous de la prose, Inviolata, qui est propre au Bréviaire parisien, et que l'on trouve à la suite du petit office de la sainte Vierge, dans l'édition même de 1736? Peut-on invoquer cette bienheureuse Mère du Sauveur, avec une confiance plus filiale, un amour plus tendre, une admiration plus féconde en louanges ? On la chante ordinairement après le Pange lingua ou le Tantum ergo, au moment où l'on va donner la bénédiction du Saint-Sacrement, c'est-à-dire qu'on célèbre la gloire de la Mère, pour obtenir de plus abondantes bénédictions de la part du Fils (2).

Je ne peux m'empêcher de la consigner ici. Elle est peut-être peu connue dans quelques diocèses de France. [ p. 145]

 

Inviolata, integra et casta es, Maria : etc.

 

On la chante à deux chœurs, et le chant en est aussi affectueux que les paroles.

Voit-on dans tout cela l'intention de diminuer le culte de la sainte Vierge (3) ?

Quant aux saints, j'ai dit que l'on avait poussé peut-être trop loin la critique sur l'authenticité de leur vie et de leurs miracles; j'ai exprimé le regret qu'on eût supprimé les offices ou les mémoires de quelques saints Papes martyrs; mais on célèbre encore un grand nombre de fêtes des saints, leurs offices sont très beaux, et Ton y rapporte un assez grand nombre de miracles, pour affermir la foi et exciter la dévotion et la confiance envers ces amis de Dieu (4), déjà en possession de la gloire qui leur a été acquise par les mérites du Sauveur. On n'a qu'à lire leurs offices et leurs légendes. Voyez en particulier ceux de sainte Geneviève, de saint Maur, saint Antoine, saint Vincent, saint Polycarpe, sainte Scholastique, sainte Marie Égyptienne, saint Benoît, saint [ p. 146]

 

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laisser aux élèves de rhétorique, comme modèles à imiter, ou comme sujets de critique instructive, les odes ronflantes qui encombrent les bréviaires, et, en vérité, font une trop singulière figure en face de nos Veni Creator, de nos Vexilla regis, si barbares, si grossiers, si inélégants !

 

(1) Voudrait-on, par hasard, donner à entendre que le Bréviaire parisien est plus abondant que le romain sur le culte de la sainte Vierge? Cette conclusion serait curieuse et tout à fait inattendue. En attendant, j'oserai faire observer qu'il serait tout aussi bien pour le moins de laisser à la Vigile de l'Assomption son antique forme purement fériale, et puisqu'on a tant de zèle pour les fêtes de la sainte Vierge, de célébrer avec toute l'Église, du rite double majeur, Notre-Dame du Mont-Carmel, Notre-Dame des Neiges, Notre-Dame de la Merci, Notre-Dame du Rosaire, Notre-Dame des Sept-Douleurs en septembre, etc.

 

(2) Si cette prose ne se chante qu'au salut, elle ne fait donc pas partie du corps du bréviaire. De plus, elle est dans tous les Processionnaux romains, comme appartenant à l'office votif. Enfin, elle est ancienne et approuvée : elle n'a donc rien de commun avec Santeul et Coffin.

 

(3) Mais, Monseigneur, personne n'a jamais dit que l’Inviolata, qui se chantait longtemps avant qu'il fût question des nouveaux bréviaires, ait été conservé dans l'intention de diminuer le culte de la sainte Vierge.

 

(4) Si le Bréviaire de Paris renferme un assez grand nombre de miracles, il est naturel d'en conclure qu'il y aurait de l'excès, s'il en rapportait davantage. En attendant, la chrétienté use toujours du Bréviaire romain dans lequel ces pieux récits sont bien autrement nombreux.

 

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Germain d'Auxerre, saint Martin de Tours, la fête de sainte Geneviève des Ardents; dans tous ces offices on rapporte assez de miracles pour qu'on ne puisse pas accuser les rédacteurs d'avoir été ennemis de la gloire des Saints (1).

Mais ne se sont-ils pas appliqués à affaiblir l'autorité des souverains Pontifes? Que quelqu'un d'entre ces rédacteurs, sous des prétextes spécieux, eût obtenu des changements qui tendraient à ce but, la chose ne serait pas impossible (2); mais l'ensemble du bréviaire justifie suffisamment de cette accusation les rédacteurs en général, et encore plus les archevêques qui l'ont approuvé (3).

La fête du Pontificat de saint Pierre en dit plus pour l'autorité des souverains Pontifes, que la réunion des deux Chaires du prince des Apôtres en une seule fête ne peut nuire à cette autorité (4).

Quelle profession plus éclatante du pouvoir de Pierre, que l'introït de sa plus grande fête, commençant par ces mots : Tu es Petrus, suivis des célèbres paroles par lesquelles le Fils de Dieu lui a conféré la puissance des Clefs, et a fait ainsi de cet apôtre et de ses successeurs le fondement de son Église (5). [ p. 147]

On a prétendu que c'est surtout dans les hymnes, que l'on a déprimé la puissance du Vicaire de Jésus-Christ (6) : qu'on lise donc cette première strophe de l'hymne des

 

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(1) Maintenant, si le Bréviaire de Paris rapporte assez de miracles, ce n'est plus comme mérite absolu que cette circonstance est relevée, mais uniquement dans le but de démontrer que les rédacteurs de ce Bréviaire n'étaient pas ennemis de la gloire des Saints. Singulière manière de prouver les sentiments de piété qui ont présidé à la rédaction de ce livre liturgique ! Des gens qui fabriquent des antiennes, des répons, des légendes et des hymnes à la louange des Saints, le tout sur un plan différent de l'Eglise romaine, et qui ont besoin que l'on prouve sérieusement qu'il ne sont pas ennemis de la gloire des Saints!

 

(2) Encore un aveu qui, tout amoindri qu'il est, ne laisse pas d'avoir son importance pour éclairer de plus en plus la question de l'orthodoxie des nouveaux liturgistes.

 

(3) Il ne s'agit ici que du bréviaire. Si donc des changements ont été obtenus par quelque rédacteur hérétique, ne serait-il pas bon de se défier de l'œuvre tout entière? Pourquoi chercher toujours à transformer la question en question de personnes?

 

(4) Je répète que je ne comprends pas comment l'Église de Paris, qui ne fait qu'une fois l'an la fête du Pontificat de saint Pierre, se montre tout aussi zélée pour ce Pontificat que l'Église romaine, qui célèbre cette fête deux fois par an. Si encore cette restriction était un usage immémorial dans l'Église de Paris ! mais non; cette Église a célébré les deux Chaires jusqu'en 1736; puis, un beau jour, un simple particulier lui a dit qu'elle en faisait trop, et elle l'a cru.

 

(5) Mais, Monseigneur, si ces paroles vous semblent si belles et si à propos dans la fête de saint Pierre, pourquoi pardonnez-vous si facilement à Mésenguy d'avoir expulsé de cette même Messe l'évangile qui les proclamait avec tout l'ensemble des circonstances dans lesquelles Notre-Seigneur les prononça ? Quant à les avoir placées en introït, c'est une faible compensation : Rome, qui nous les fait chanter à l'alleluia et à la communion ( deux fois, par conséquent dans la même Messe), n'a pas jugé pour cela devoir les effacer de l'évangile de cette solennité.

 

(6) Je ne sais pas quel est cet on  qui a prétendu;  pour moi, je n'en ai pas dit un mot.

 

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laudes, dans l'office de son Pontificat, c'est-à-dire de ses deux Chaires :

 

Qualis potestas, Petre, quis terris honos,

Cui jura Christus ipse concessit sua !

Quidquid ligabis, quidquid et solves solo,

Hoc et ligabit, solvet et polo Deus, etc. (1).

 

Dans l'édition du Bréviaire de Vintimille de 1745, et encore de son vivant, on fit un autre choix des canons de prime, parmi lesquels on mit celui-ci, qui est assurément bien favorable à l'autorité des souverains Pontifes :

Ex libro septimo sancti Oplati Episcopi, de schismate Donatistarum, etc. (2).

 

Enfin, on accuse les hymnographes du Bréviaire parisien, de ne jamais rien dire contre les hérésies du temps. Une réponse générale qu'on doit faire contre cette accusation, c'est que si les mystères de la Religion et les vertus éclatantes des Saints, sont de beaux sujets pour la poésie, il n'en est pas de même des points de controverse (3). Par exemple, que le Fils de Dieu soit mort pour le salut du monde, cette bonté incompréhensible est bien capable d'enflammer le génie du poète ; mais s'il lui fallait argumenter pour prouver aux jansénistes que le Sauveur n'est pas mort pour les seuls élus, son enthousiasme se soutiendrait difficilement (4). Le mystère de la mort  de [ p. 148]

 

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(1) J'ignore quel est l'avantage de cette strophe sur celle de l'hymne romaine pour célébrer la puissance des Clefs donnée à saint Pierre. Il semble que les deux strophes disent la même chose; seulement, l'une se chante dans toute l'Eglise depuis bien des siècles ; l'autre, fabriquée par un hérétique, n'est en usage que dans quelques localités. Voici la strophe romaine :

 

Quodcumque in orbe nexibus revinxeris

Erit revinctum, Petre, in arce siderum ;

Et quod resolvit hic potestas tradita,

Erit solutum cœli in alto vertice :

In fine mundi judicabis saeculum.

 

(2)  Mais, Monseigneur, il ne s'agit que de l'édition de 1736, avant les cartons, et non pas de l'édition de 1745. Ces sortes d'additions, comme celles de l'édition de 1822, prouvent contre le bréviaire, puisqu'elles dérogent à sa composition première. Toutefois, il sera permis d'observer qu'il eût mieux valu pour l'honneur de saint Pierre, lui rendre sa seconde fête de la Chaire, ou l'octave de sa grande solennité, que d'ajouter à prime un canon de six lignes, dont l'insertion ne réparait pas le scandale qui avait été donné.

 

(3)  Il y a bien une certaine différence entre les détails de la controverse, et l'objet de la controverse elle-même. L'exposition des dogmes n'a jamais rien que de très calme et de très imposant : quoi de plus majestueux et déplus liturgique qu'un symbole? Au reste, l'Eglise, pour assurer la foi, n'a pas hésité à faire chanter aux fidèles jusqu'au mot Consubstantiel. La raison de poésie me semble peu concluante, quand il s'agit de l'œuvre de Vigier et Mésenguy ; et d'ailleurs, Monseigneur, vous disiez tout-à-l’heure avec triomphe que le Bréviaire de Paris était un arsenal pour la controverse.

 

(4)  Mais, Monseigneur, qui a parlé d'argumentations? Ce n'est pas moi; je sais trop bien que l'Église, dans ses manifestes liturgiques, n'argumente pas: elle n'a qu'à affirmer; mais je sais aussi que ce n'est pas l'Eglise qui parle dans un bréviaire particulier, introduit au mépris de l'antiquité et de l'universalité, et qui ne peut avoir d'autre autorité que celle d'un prélat particulier, homme sujet à erreur, et d'autant plus sujet à erreur qu'il est seul, qu'il introduit des choses nouvelles, qu'il méprise l'antiquité et l'universalité. Ce sont les paroles de l'archevêque Languet, dans son mandement contre l'évêque de Troyes.

 

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Jésus-Christ pour notre salut est souvent traité dans nos hymnes; on y dit même qu'il est mort pour le salut de tous (1).

 

Lignum crucis mirabile

Totum per orbem prominet,

In qua pependit innocens,

Christus, redemptor omnium.

Orbis redempti qualia pignora !

 

C'est encore une hérésie des jansénistes de dire que la grâce fait tout en nous dans le bien que nous opérons ; que notre libre arbitre n'y est pour rien. Pour soutenir leur erreur, là où saint Paul dit : J’ai travaillé plus que tous les autres, non pas moi toutefois, mais  la grâce de Dieu arec moi : gratia Dei mecum ; ils traduisent par la grâce de Dieu qui est avec moi. Eh bien ! cette erreur est attaquée dans l'hymne que l'on dit à laudes, depuis le dimanche de la Septuagésime jusqu'au Carême dans l'office du temps.

 

Qui nos creas solus Pater,

De pristino lapsos statu

Non solus instauras : simul

Nostros labores exigis (2).

 

Les jansénistes ont dit qu'on ne pouvait pas résister à la grâce : dans la sixième strophe de cette hymne, on suppose cette résistance :

 

At obstinatis vindicem

Iram reservas (3).

 

Le Bréviaire de Paris ne combat pas les erreurs des jansénistes seulement dans ses hymnes, mais encore dans

 

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(1) C'est bien la moindre chose que l'on dise cela quelquefois; mais il n'en est pas moins vrai que Coffin avait d'abord retranché de l'hvmne de Noël le premier vers, Christe redemptor omnium. Quant à l'hymne Lignum crucis mirabile, elle est ancienne, et n'appartient pas par conséquent à la rédaction de 1736. Le vers de Santeul, Orbis redempti, etc., n'a rien de contraire aux dogmes de la secte. Cette expression orbis, étant générale et par conséquent élastique, elle peut se prêter, soit au symbole catholique, soit au système janséniste, qui appelle volontiers Jésus-Christ le Sauveur du monde, quoiqu'il ne veuille pas le reconnaître pour le Sauveur de tout le monde.

 

(2)  Cette strophe a sans doute un sens tout catholique; c'est même celui qui se présente le premier à l'esprit ; mais il n'en est pas moins vrai que les jansénistes trouvaient moyen d'éluder par des distinctions les textes de l'Écriture qui disent la même chose. Le système de la liberté de coaction suffisait, dans leur sens, pour expliquer l'adhésion de l'homme à l'action divine, adhésion dans laquelle ils faisaient consister toute vertu et tout mérite.

 

(3)  Mais, Monseigneur, les jansénistes parlent sans cesse de l'obstination, comme digne de toute la colère de Dieu. Le chef-d'œuvre de leur système est d'avoir trouvé le moyen de parler comme l'Eglise, tout en conservant leur manière de penser diamétralement opposée. C'est ce qui a fait dire à un célèbre magistrat qui les connaissait bien, que le jansénisme est l'hérésie la plus subtile que le diable ait jamais tissue. Les Nouvelles ecclésiastiques, qui s'accommodaient si bien du Bréviaire de Paris dont elles font l'apologie à tout propos, ne font pas la même grâce au Bréviaire de Robinet, parce que ce docteur l'avait rédigé dans le sens de la bulle. Aussi déclament-elles avec violence contre certaines hymnes de ce dernier bréviaire, entre autres contre les vers suivants :

 

Vires ministras arduis

Non impares laboribus.

 

Et contre ceux-ci :

 

Donis secundans gratiae

Quem lege justus obligas.

 

La doctrine catholique contenue dans ces vers n'était donc pas identique,  aux yeux des jansénistes, à celle des hymnes du Bréviaire de Paris.

 

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ses répons (1). On a mis dans l'office propre du même temps de la Septuagésime, pour l'antienne de none du dimanche, ce beau passage de la Sagesse : Nihil odisti eorum quœ fecisti, parcis antem omnibus; quia tua sunt, Domine, qui amas animas; et dans le capitule : Deus mortem non fecit, nec lœtatur in perditione vivorum, où sont condamnés ceux qui veulent que Dieu ait prédestiné les méchants au mal et à la mort éternelle (2).

 

Cette hérésie est encore plus directement combattue par le répons de la première leçon des fériés du Carême, répons qu'on lit tous les jours jusqu'à Pâques : R/ Projicite à vobis omnes prœvaricationes vestras, et facite vobis cor novum et spiritum novum ; quia nolo mortem morientis, dicit Dominus; revertimini et vivite; JE NE VEUX PAS LA MORT DE CELUI QUI MEURT. Peut-on s'exprimer plus fortement contre l'hérésie détestable qui attribue à Dieu de vouloir la réprobation de ceux qui se damnent (3) ?

 

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(1) Dans l'instant vous disiez, Monseigneur, que le Bréviaire de Paris ne pouvait pas combattre les jansénistes, parce qu'une telle argumentation ne se prêterait pas à la poésie, et voici que vous dites maintenant que ce bréviaire combat les erreurs de cette secte non seulement dans ses hymnes, mais encore dans ses antiennes et dans ses répons.

 

(2) Ces deux textes n'ont jamais fait peur aux jansénistes. Le parcis omnibus qui, même dans le sens catholique, ne peut pas s'entendre de tous les hommes, puisqu'il est de foi qu'il y a un enfer, n'entre pas même dans la question. Les jansénistes n'ont jamais dit que Dieu ait fait la mort, et enseignent bien expressément que la perdition des vivants provient du péché qui déplaît à Dieu, avec toutes ses suites.

 

(3) Mais, Monseigneur, ce texte ne va pas davantage à la question. Les jansénistes vous diront que Dieu ne veut pas la mort du pécheur, mais qu'elle est la conséquence d'un premier péché quia déplu à Dieu. Ces textes sont donc insuffisants pour atteindre l'hérésie que l'on avait à combattre. Malheureusement, il en est d'autres, et bien nombreux, dans lesquels la secte aimait à voir se réfléchir ses plus damnables conceptions. Permettez-moi d'en citer deux, au milieu de tant d'autres. Dans le bréviaire, au jour de l'Octave de la Dédicace, au second nocturne, on lit ces phrases d'un sermon de saint Césaire d'Arles, qui au reste n'est point admis par l'Église au nombre des auteurs à qui l'on puisse emprunter des leçons pour l'office: Nihil in illo boni remanere poterit, quem ignis cupiditatis accenderit; sicut nihil in eo mali remanebit, in quo ignis arserit caritatis. Cette doctrine est absolument identique aux propositions XXXV et XXXVIII de Baïus,et aux propositions XXXVIII, XXXIX, XL, XLIV, XLV, XLVI, XLVII, XLVIII, XLIX, L, LVII, LVIII, de Quesnel.

Dans le Missel, en la secrète de la Messe de saint Rémi, au 1er  octobre, on lit ces paroles : Qua virtute immutaturus es dona oblata, Domine, eadem immuta et ad te reflecte corda nostra, sancti Remigii precibus, etc. Ce qui est donner à la grâce divine sur nos âmes le même pouvoir de changement absolu d'une substance en une autre que nous reconnaissons dans le Mystère eucharistique. D'après ce système, il restera de l'homme, après la visite de la grâce, ce qui reste du pain et du vin après la Transsubstantiation. Cela peut être très honorable et même très commode pour l'homme ainsi divinisé; mais il n'y a plus de place pour cette liberté

 

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Mais, dit l'Abbé de Solesmes, « rien n'est moins étonnant que ce soin qu'avaient eu les rédacteurs du bréviaire, d'insérer dans leur œuvre un certain nombre de textes (favorables à la saine doctrine) qu'on aurait à faire valoir en cas d'attaque. » Je fais observer là-dessus que ces rédacteurs pouvaient bien placer les textes en question de manière qu'on n'eût à les dire qu'une fois. Comment se fait-il qu'ils les aient mis au Propre du temps, à une époque où l'on fait presque toujours l'office de la férié, ce qui met les prêtres dans la nécessité de les réciter à peu près tous les jours, et de s'inculquer mieux les vérités qui y sont contenues (1) ?

 

Je crois avoir justifié suffisamment le Bréviaire de Paris, et avoir donné quelque idée de sa beauté, que l'on ne peut du reste bien apprécier qu'autant qu'on le connaît

 

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d'indifférence qu'il faut sauver avant toutes choses, si l'on tient à conserver la notion de vertu et celle de mérite. Au reste, cette oraison, qui fit un si grand scandale à Lyon, sous l'archevêque Montazet, appartient au Missel du cardinal de Noailles, d'où elle passa de plain-pied dans celui que Mésenguy rédigeait pour Charles de Vintimille.

 

(1) On vient de voir combien ces textes sont insuffisants et souvent ambigus, comment ils justifient ces mots de saint Ire:née qui se connaissait en hérétiques : Similia quidem nobis loqnentes, dissimillima vero sentientes. Ajoutons encore ce passage d'un autre Père de l'Église gallicane, qui n'était pas moins familier avec les tours de force des sectaires. « Les hérétiques, disait-il, éludent très souvent la vérité en confondant et mêlant les paroles, et par le son des mots communément reçus, ils séduisent les oreilles inattentives. Confusis permixtisque verbis, veritatem frequentissime eludunt, et incautorum aures communiant vocabulorum sono capiunt. » Vient ensuite S. Augustin, si habile à poursuivre l'erreur dans tous ses replis: « Perverse contradiction, s'écrie-t-il, que celle qui prend pour armes dans son impudence l'obscurité du mystère et la profondeur énigmatique du texte. Improba contradictio, de obscuritate sacramenti, et œnigmate lectionis armans impudentiam suam. » Enfin, consultons le grand Pape S. Grégoire, dont certains docteurs se sont plu si souvent à relever la modération, comme pour condamner plusieurs de ses successeurs, organes, comme lui, de l'Esprit-Saint. Dans ses Morales sur Job, il revient souvent sur les caractères des œuvres de l'hérésie, et nous instruit à en démêler les artifices. « Presque toujours, dit-il, les paroles des hérétiques sont caressantes ; mais ce qu'ils glissent en dessous, dans la suite du discours, devient funeste. Pene semper blanda sunt quœ proponunt, sed aspera quœ prosequendo subinferunt. Plus loin, il s'exprime avec cet à propos pour la circonstance : « Les hérétiques ont coutume de mêler quelques paroles de vérité, à leurs paroles d'erreur; c'est ainsi que les amis du bienheureux Job, quoique mal fondés dans les reproches qu'ils lui font, peuvent cependant mettre dans leurs discours quelques-unes des vérités qu'ils ont apprises par leurs rapports avec lui. Solent hœretici errorum suorum dictis vera aliqua permiscere, et amici Beati Job, quamvis in reprehensione ejus omnino fallantur, possunt tamen et quœdam vera dicere quœ ex illius assiduitate didicerunt. »

 

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parfaitement (1). Mais il me semble entendre Dom Guéranger qui me dit ce qu'il a répété mille fois, et en quoi il met toute sa force : Après tout, quelle confiance peut-on avoir en un bréviaire rédigé par des hérétiques? Car aujourd'hui le jansénisme est rangé sans contestation aie nombre des hérésies (2).

 

Je réponds d'abord : Nous avons justifié le bréviaire de toute hérésie; puisque l'Abbé de Solesmes n'a pu y en trouver aucune; et que la seule proposition qu'il traitait d'hérétique, est, comme nous l'avons prouvé, parfaitement orthodoxe (3). De plus, nous avons montré que ce bréviaire, au lieu de favoriser l'hérésie, offrait des armes contre elle (4). Ce double fait posé, j'en conclus que si le bréviaire est sorti  si pur d'une source impure, il faut bénir Dieu qui, dans cette occurence, comme dans une infinité d'autres, a protégé l'Église de France contre les machinations de l'erreur (5).

Je réponds ensuite à Dom Guéranger, en lui proposant moi-même une difficulté : Les évêques qui ont publié les nouveaux bréviaires, n'étaient nullement favorables aux jansénistes; comment ont-ils pu les charger de la rédaction ? Écoutons la réponse, elle est en propres termes dans les Institutions liturgiques. « Cet archevêque (François de Harlay), comme plusieurs prélats ses collègues..., professaient un éloignement énergique pour la doctrine de Jansénius sur la grâce. Ils pouvaient se servir des gens du parti quand ils en avaient besoin, [ p. 152]

 

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De tous ces passages qu'il serait facile de fortifier de beaucoup d'autres textes des SS. Pères, il résulte évidemment que la présence de certaines vérités dans une œuvre composée par des hérétiques n'ôte de cette œuvre ni le venin, ni l'inconvenance. Sous cette lettre orthodoxe en apparence, les sectaires ont glissé leurs maximes; c'est un mot d'ordre qu'ils se donnent et à l'aide duquel ils pénètrent partout. Il est bien évident que si la secte regarde le Bréviaire de Paris comme son triomphe (ainsi que je l'ai fait voir plus haut), il faut bien qu'elle ait un moyen d'éluder les passages de ce bréviaire dans lesquels la prudence l'a contrainte d'imiter le langage catholique sur les dogmes agités au temps où le bréviaire fut rédigé.

 

(1)  Je ne puis répondre que de moi, Monseigneur, mais je me flatte de faire voir dans la suite de mes travaux que je connais suffisamment le Bréviaire de Paris pour en parler avec exactitude. J'ai toujours pensé que lorsqu'on a à traiter d'une matière, il est essentiel, avant tout, d'avoir en main les livres qui en traitent, et de les consulter sérieusement.

 

(2)  Vous avez vu plus haut, Monseigneur, que ce n'est pas Dom Guéranger tout seul qui a signalé cet inconvénient du Bréviaire de Paris.

 

(3)  Vous convenez maintenant, je l'espère, Monseigneur, après les preuves matérielles que j'en ai fournies, qu'on ne peut m'accuser d'avoir appliqué la note d'hérésie au Bréviaire de Paris, pas même sur la proposition dont vous parlez.

 

(4)  Ces armes n'ont rien de bien redoutable à l'hérésie ; autrement, comment expliquer l'ardente sympathie de la secte pour le bréviaire ?

 

(5)  Resterait toujours à déplorer qu'on se fût gratuitement exposé à ces machinations de l'erreur, tandis qu'il était si naturel de s'en tenir à la Liturgie romaine qui assurait l'orthodoxie dans l'Eglise de Paris, comme dans toutes les autres de l'Occident. Quant à la pureté du bréviaire en lui-même, jusqu'ici, Monseigneur, vous ne l'auriez tout au plus prouvée que d'une manière négative, en faisant voir que ce bréviaire n'est pas hérétique (ce que je n'ai jamais dit), ni anti-liturgique, ce qui n'est peut-être pas démontré. Au reste, nos lecteurs jugeront et prononceront.

 

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mais ils savaient les contenir. L’histoire de l’Église au XVII° siècle dépose de cette vérité (1). »

 

J'ajouterai à cela quelques observations. Dans le commencement des hérésies, tant que leurs partisans ne sont pas ouvertement en révolte contre l'Église, et qu'ils ne se séparent pas des vrais fidèles, on est beaucoup moins sévère à leur égard (2). C'est ce qui est arrivé pour les jansénistes, qui ont eu pour système constant de ne jamais se séparer ouvertement, et ont employé toutes les subtilités possibles, les distinctions du fait et du droit, le silence respectueux, l'appel au souverain Pontife mieux informé, etc., pour conserver l'apparence de l'orthodoxie (3).

 

            Il y avait d’ailleurs parmi eux des hommes fort instruits, très versés dans les saintes Écritures, et par là même très en état de travailler à la correction des livres liturgiques (4).

 

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(1) Mais, Monseigneur, comment pouvez-vous citer, à propos du Bréviaire de Vintimille, ces paroles que j'ai dites au sujet du Bréviaire de Harlay ? Il y avait cinquante-six ans que la commission nommée par ce dernier archevêque était dissoute, tous ses membres même étaient morts depuis longues années, lorsque Charles de Vintimille, sans nommer de commission de rédaction pour une réforme du Bréviaire de Paris, accepta, de la main de trois individus mal notés, un Bréviaire de Paris tout nouveau, rédigé à l'avance et qui avait déjà été offert en vain à plusieurs évêques. Il ne faut donc pas, pour expliquer l'origine du Bréviaire de 1736, faire appel à l'Histoire de l'Eglise au XVII° siècle.

 

(2)  Cela est vrai, Monseigneur; car l'Eglise est remplie de charité et ne flétrit pas même les sectaires avant le temps : mais, est-il possible de croire que vous ne regardez pas les jansénistes comme suffisamment condamnés en 1736? Non, je ne puis penser que cette assertion soit sortie de la plume d'un prélat si docte et si digne de vénération.

 

(3)  Ce n'est pas à vous, Monseigneur, que j'apprendrai que la distinction du fait et du droit avait été condamnée par Alexandre VII dès 1656; le silence respectueux, par Clément XI, dès 1705; et l'appel, par le même Pontife,dès 1718; que les bulles portant les-dites condamnations ont été successivement publiées et acceptées dans les Assemblées du Clergé de France. Les partisans de la distinction du fait et du droit, du silence respectueux, de l'appel au concile ( car il n'y a pas eu d'appel au Pape mieux informé ), étaient donc ouvertement en révolte contre l'Eglise, en 1736.

 

(4)  Non, Monseigneur; il est impossible de vous accorder cela. Quelque versés dans les saintes Ecritures que puissent être des hérétiques, ils ne peuvent jamais être en état de travailler à la correction des livres liturgiques, et moins encore à leur fabrication; car, encore une fois, le Bréviaire de 1736 n'est pas une correction de celui de François de Harlay, mais un livre absolument nouveau. L'hérétique est hors de l'Église, et on irait le charger de rédiger la prière des ministres de l'Église ! On mettrait la loi de la prière sous la dépendance de celui qui a violé la loi de la foi! L'Écriture sainte et la tradition n'ont qu'un cri contre une telle faiblesse. Saint Paul n'écrivit-il pas à Tite, son disciple, et par lui à tous les évêques : « Évite l'hérétique, après une ou deux monitions : Hœreticum hominem post unam et secundam correptionem devita? » Saint Jean, l'Apôtre de la charité, ne dit-il pas à

 

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Et qu'on ne croie pas, ce que Dom Guéranger ne cesse de nous faire entendre, que les partisans du jansénisme dominaient parmi les rédacteurs des bréviaires. D'abord il nous a appris lui-même, que les évêques qui les employaient savaient bien les contenir (1). [ p. 153]

 

Ajoutons que dans la Commission nommée par François de Harlay, sur onze membres, Dom Guéranger n'en réprouve que trois, encore y en a-t-il un qu'il accuse seulement d'être imbu des principes de l'école française de son temps ; c'est Claude Chastelain, homme, dit-il, véritablement savant dans les antiquités liturgiques. Si Dom Guéranger l'avait pu, il n'aurait pas manqué de jeter sur lui une couleur janséniste (2).

 

Les deux autres sont Jacques de Sainte-Beuve et le Tourneux. Il ne reproche autre chose à Sainte-Beuve que d'avoir refusé de signer la condamnation de la doctrine de son ami Antoine Arnaud, en 1638; fait postérieur à l'émission du bréviaire, et il lui rend la justice de dire que depuis il signa le Formulaire. Ce devait être un homme fort recommandable, puisqu'il fut choisi pour théologien du clergé. La collection de ses Cas de conscience, dit Feller, décèle beaucoup de savoir, de jugement et de droiture (3).

 

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tous les fidèles : « Si quelqu'un vient à vous et n'apporte pas cette doctrine, ne le saluez même pas ; car celui qui le salue communique déjà à ses œuvres de malice ?  Si quis venit ad vos, et hanc doctrinam non affert, nolite   recipere   cum in domum,   nec  AVE ex dixeritis. Qui enim dicit illi AVE  communient  operibus  ejus malignis. » Instruite par ces grands maîtres, l'Eglise n'a jamais rien voulu devoir aux hérétiques : elle eût craint par là d'annoncer qu'elle était peu assurée de l'Esprit que son Epoux a déposé en elle jusqu'à la consommation des  siècles.   Leur science, leur éloquence, leur sagesse prétendue, elle a tout repoussé, et cela dans tous les siècles. Elle sait trop qu'ils ne produisent que des fruits de mort. Elle tient trop à montrer à ses enfants, par sa conduite, qu'un des premiers moyens de conserver la foi, une des premières marques de l'unité, c'est la fuite des hérétiques. Elle n'a donc jamais emprunté leur secours   pour aucune de ses formules de foi ou de prière ; « car, dit saint Grégoire le Grand que j'aime toujours à citer, ce qui fait la richesse   des hérétiques, c'est la sagesse charnelle. Appuyés sur elle, dans leur perversité,   ils   se montrent riches   en  paroles ; mais   l'Eglise recherche d'autant moins cette richesse,   qu'elle la dépasse davantage par l'intelligence spirituelle qui est en elle. Hœreticorum quippe substantia carnalis sapientia non inconvenienter accipitur : qua dum perverse fulciuntur, quasi in verbis se divites ostendunt :   quam eo sancta Ecclesia non quœrit, quo hanc spiritali intellectu transcendit. »

 

(1)  Mais encore une fois, Monseigneur, j'ai dit cela au sujet de François de Harlay, et de son Bréviaire de 1680. Les temps étaient bien changés, sous Charles de Vintimille, en 1736.

 

(2)  On dirait que je ne cherche autre chose qu'à flétrir, comme hérétiques, tous les gens dont le nom se trouve sous ma plume. J'aimerais que Monseigneur me citât un seul nom injustement signalé par moi comme entaché de cette erreur. D'ailleurs, nous continuons toujours d'être hors la question. Il s'agit uniquement du Bréviaire de 1706, et nullement de la commission du Bréviaire de 1680.

 

(3)  Cela prouve du moins, Monseigneur, que je sais rendre justice même aux hérétiques qui rétractent leurs erreurs. Dans tous les cas, il serait bon de quitter  1680, et d’arriver à 1736.

 

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Les ouvrages de le Tourneux furent condamnés par le Saint-Siège, cela est vrai; mais Dom Guéranger lui-même observe qu'ils ne furent condamnes qu'après sa mort (1).

 

Je demande  si cette commisse, composée de onze membres qui, à l'exception de deux, méritent les éloges de l'Abbé de Solesmes, ne devait pas inspirer de la confiance (2).

 

On ne peut pas en dire autant, je l'avoue, des trois docteurs employés par Ch. de Vintimille ; savoir : Vigier, Mézenguy et Coffin (3). N'allons pas cependant nous effrayer de ce qu'en dit Dom Guéranger.

 

« Le P. Vigier, dit-il, bien qu'il n'eût pas appelé de la bulle, sa réputation n'en était pas moins celle d'un homme rebelle dans le fond de son cœur (4). » Singulière façon de juger les gens, non par leurs actions, mais par ce qui se passe au fond de leur cœur! (5). Mais, dit-il, « il composa, pour aider à la pacification des esprits, un mémoire dans lequel il écartait de la bulle le caractère et la dénomination de règle de foi, la qualifiant simplement de règlement provisoire de police. » Qui ne sait que, pour finir les divisions, on cède souvent plus qu'on ne doit (6), mais le choix que le général de l'Oratoire, le P. Lavalette, avait fait de lui pour pacifier les esprits et faire recevoir la constitution, prouve qu'il n'était pas, dans le fond du cœur, aussi rebelle qu'on veut le dire (7).

 

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(1)  Cela n'empêche pas que Le Tourneux ne   fût publiquement connu pour adhérer opiniâtrement  à la doctrine des cinq propositions condamnées trente ans avant sa mort.

 

(2)  Dans ce cas, il est d'autant plus fâcheux que le Bréviaire de 1736 ait aboli entièrement l'œuvre de cette illustre commission. Au reste, pour en revenir au Bréviaire de Harlay, je n'ai jamais nié que sa rédaction ne renfermât des particularités plus ou moins estimables. Ce n'était, comme je l'ai dit, qu'une correction du Bréviaire romain-parisien; seulement des hardiesses malheureusement trop caractéristiques annonçaient dans ce livre que la manie des nouveautés allait bientôt choisir, en France, la Liturgie pour le théâtre des plus funestes opérations.

 

(3)  Je vous sais gré, Monseigneur, d'arriver enfin à l'objet du présent chapitre; j'étais bien sûr que vous ne pourriez vous dispenser de traiter avec sévérité ces trois hommes, quelque ménagement que vous pensiez devoir garder pour leur œuvre.

 

(4)  J'oserai, Monseigneur, à propos de cette phrase, réclamer une dernière fois contre le singulier style que l'on me donne dans la plupart de vos extraits. Je suis sans prétention; mais ordinairement j'écris en langue française.

 

(5) Ce serait fort injuste, en effet ; aussi ne m'en suis-je pas rendu coupable, puisque je cite immédiatement les faits qui valurent à Vigier cette réputation.

 

(6)  Il me semble, Monseigneur, que c'est là traiter avec trop d'indulgence une conduite bien coupable. Le Concile de Rome de 1725, l'Assemblée du Clergé de 1714, avaient solennellement déclaré la bulle REGLE DE FOI, pour tous les enfants de l'Eglise; et vous paraissez excuser Vigier qui, dans un mémoire public et célèbre, écartait ce caractère si hautement imprimé à cette constitution, comme s'il ne s'agissait que de matières libres et indifférentes, dans lesquelles, pour finir les divisions, on cède souvent plus qu'on ne doit, sans   perdre les droits et la réputation de catholique.

 

(7)  Les faits parlent assez d'eux-mêmes, Monseigneur. Tout homme qui, après jugement de l'Église portant condamnation dune erreur quelconque, déclare recevoir ce jugement, mais non comme règle de foi, cet homme est un hérétique. Tel était Vigier

 

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Le P. Vigier avait une grande réputation de science ; en effet, un homme qui, à lui seul, avait enfanté le Bréviaire de Paris, ne pouvait être un esprit médiocre (1); et il était bien naturel que l'on parlât de lui à Ch. de Vintimille, quand il voulut donner à son Église un nouveau corps d'offices (2).

Il n'est pas aussi facile de justifier le choix de Mézen-guy, s'il est vrai que, dès 1728, il avait été obligé de quitter le collège de Beauvais, à cause de son opposition à la bulle. Ce qu'il y a cependant à remarquer, c'est que c'est à lui principalement que Ton doit le Missel de Paris. Or, de l'aveu de tout le monde, le missel est encore préférable au bréviaire. « Dans le fait, dit Dom Guéranger lui-même, l'on doit convenir que le missel était généralement plus pur que le bréviaire (3).

 

Il donne aussi de grands éloges au talent de Coffin, en ces termes :  «  Nous mettons, dit-il, son mérite comme hymnographe, beaucoup au-dessus de celui de Santeul, pour le véritable genre de la poésie sacrée (4). »

 

« Ses hymnes, dit Feller, qui n'est pas ici suspect, furent adoptées dans tous les bréviaires nouveaux. Une heureuse application des grandes images et des endroits les plus sublimes de l'Écriture, une simplicité et une onction admirables, une latinité pure et délicate, leur donneront toujours un des premiers rangs parmi les ouvrages de ce genre. Si Santeuil s'est distingué par la verve et la poésie, Coffin a eu cette simplicité majestueuse qui doit être le caractère de ces sortes de productions (5). » [ p. 156]

 

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et beaucoup d'autres jansénistes de son temps. Sans doute, ils n'avaient pas le fanatisme des appelants, mais ils n'avaient pas non plus la foi des catholiques. Or, sans la foi, on n'est pas dans l'Église, et hors l'Église point de salut.

 

(1) Oui, dans le cas ou l'on admettrait que le Bréviaire de Paris est un chef-d'œuvre; quod manet demonstrandum.

 

(2) François de Harlay n'avait nullement envie de donner un nouveau corps d'offices à son Église; il ne voulait que réformer le Bréviaire romain-parisien. Or, pour cela, il nomma, ou plutôt il confirma une commission qui tint ses séances pendant plus de dix ans. Dom Claude de Vert parle de la séance mille quatre-vingt-onzième. Au contraire, Charles de Vintimille accepte, un beau jour, des mains de Vigier, un bréviaire tout neuf, un nouveau corps d'offices. Les temps sont différents, comme l'on voit, et pour peu qu'on veuille considérer la manière dont Rome procède, tous les trois ou quatre siècles, dans la réforme de la Liturgie, on trouve quelque différence encore.

 

(3)  Ce jugement prouve encore, Monseigneur, qu'il y a quelque justice dans mon livre. Je crois en effet qu'avec quelques centaines de corrections exécutées largement, le missel pourrait s'améliorer; il faudrait beaucoup plus pour le bréviaire.

 

(4)  C'est encore une preuve démon impartialité, si souvent contestée par ceux qui ne m'ont pas lu.

 

(5)  De tout cela il faut conclure que les amateurs de la poésie latine ne sauraient guère se dispenser d'avoir les poésies de Coffin sur les rayons de leur bibliothèque choisie. Je prends même la liberté de leur recommander l'ode sur le vin de Champagne, qui valut à son grave auteur, de la part de la ville de Rheims, un présent annuel de ses meilleurs vins; mais il ne s'ensuit aucunement que ce soit bien fait d'enlever des livres ecclésiastiques les hymnes séculaires et vénérables usitées et approuvées dans l'Église depuis si longtemps pour y substituer, d'autorité privée, ces nouveaux cantiques, dont la phrase est plus ou moins heureusement imitée des poètes classiques. Au reste, pour la latinité des leçons et des oraisons, le Bréviaire romain est loin de craindre la comparaison avec le Bréviaire de Paris.

 

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Mais c'était un appelant, un hérétique notoire, si opiniâtre, que l’Église de Paris elle-même, quand son hymnographe fut sur le point de mourir, lui refusa le baiser de paix de sa communion.

 

Je ne peux répondre ici autre chose, si ce n'est, d'abord, que lorsqu'on lui a demandé des hymnes pour le bréviaire, son opiniâtreté n'avait pas été poussée jusqu'à mériter qu'on lui refusât les sacrements (1). J'ajoute que l'Église adopte volontiers, en quelque endroit qu'elle le trouve, tout ce qui est bon, utile, beau, parfait (2).

 

Pense-t-on d'ailleurs que ces hymnes de Coffin, comme le Bréviaire de Vigier et le Missel de Mézenguy, aient été reçues sans examen; et peut-on croire que ces hommes, qui devaient attacher tant de prix à faire accepter leurs ouvrages, n'aient pas évité avec soin ce qui les aurait fait repousser ? (3).

 

Enfin, mettant à part tous ces raisonnements, ce n'est pas de tels ou de tels auteurs que nous recevons nos livres Liturgiques : nous les tenons des premiers Pasteurs, qui les sanctionnent, qui s'en font garants, et qui ont caractère et mission pour conduire leurs ouailles dans des pâturages où elles doivent trouver la vie et non la mort (4). [ p. 157]

 

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(1) Je vous demande pardon, Monseigneur. Il y avait déjà plus de dix ans que l'opiniâtreté hérétique de Coffin avait été poussée jusqu'à appeler, solennellement et par devant notaire, de la Bulle Unigenitus, règle de foi et jugement de l'Église universelle. Si on ne lui refusa les sacrements qu'à l'article de la mort, vous savez mieux que moi, Monseigneur, que c'est en vertu de la discipline établie sur ce point délicat par le Clergé de France, qui avait statué que, pour éviter de plus grands maux, on donnerait la communion paschale, à l'Église, à ceux qui se présenteraient, sans s'enquérir s'ils avaient accepté la bulle; mais que l'on refuserait absolument le Viatique aux appelants notoires, à moins qu'ils ne consentissent préalablement à rétracter leur appel et à accepter la bulle. Or, c'est précisément ce que Coffin refusa de faire et ce qui contraignit le pieux archevêque de Beaumont à l'exclure de la participation aux derniers sacrements.

 

(2) Je crois, Monseigneur, que vous auriez de la peine à citer une seule ligne écrite par les hérétiques et adoptée par l'Église, quelque bon, utile, beau, parfait, que puisse être ce que des hérétiques auraient écrit sur la prière. Souvent même il est arrivé que, pour inspirer plus d'horreur au peuple chrétien, et pour entrer plus intimement dans l'esprit des saintes Écritures, l'Église a cru devoir condamner, in odium auctoris, jusqu'aux livres que des hérétiques avaient écrit sur des matières étrangères à la religion. C'est dans ces mêmes sentiments que, par un avertissement adressé à tous les Patriarches, Archevêques, Évêques, etc., en date du 4 mars 1828, la sacrée Congrégation de l'Index a cru devoir rappeler expressément cette règle générale établie sur la censure des livres parles Pères de Trente et approuvée par le Pape Pie VII : Hœreticorum libri qui de Religione ex professa tractant omnino damnantur. Je n'invente pas plus ce dernier fait que tous les autres que j'ai cités.                                                                                   

 

(3) Le fait est que la secte a toujours regardé et regarde encore le Bréviaire Je Paris comme le trophée d'une de ses plus belles victoires. Il faut bien qu'il y ait un motif à cette estime qu'elle en fait.

 

(4) S’il est vrai de dire, Monseigneur, que le clergé doit tenir au Bréviaire de Paris, parce qu'il l'a reçu des premiers Pasteurs qui ont sanctionné et qui  ont caractère et mission pour conduire

 

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Dom Guéranger nous dit que « trente ans après l'apparition du Bréviaire de 1736..., plus de cinquante cathédrales s'étaient déclarées pour l'œuvre de Vigier et de Mézenguy. » J'en conclus, et tout homme qui connaît l'attachement des Évêques de France à la foi, ne pourra s'empêcher d'en conclure, que ce bréviaire, que tant d'Évêques s'empressaient d'adopter, devait non seulement être exempt d'erreurs, mais encore offrir de grandes beautés (1).

Aujourd'hui, après plus d'un siècle qu'il est en usage dans tant de diocèses, après qu'il a été si scrupuleusement examiné, jusque-là qu'on y a fait d'abord des corrections, sur lesquelles on est ensuite revenu en rétablissant le texte primitif; après qu'il a été approuvé par tant et de si grands évêques, n'est-il pas revêtu d'une assez grande autorité, pour regarder comme singulièrement téméraires les blâmes, les censures, les qualifications injurieuses que lui prodigue l'Abbé de Solesmes (2) ?

Cet auteur réussira probablement à éblouir quelques esprits, etc.

 

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leurs ouailles, combien ne devait-on pas tenir davantage à la Liturgie romaine, sanctionnée par l'Église universelle et promulguée parles Pontifes romains, qui joignent à la mission universelle de conduire tous les fidèles du Christ, cette infaillibilité dans la doctrine qui fait le repos des Églises et la sécurité des simples fidèles?

 

(1) J'ai répondu, dans la Lettre ci-dessus, à cette conclusion. Malheureusement il a été commis d'autres fautes encore au dix-huitième siècle que celle de la publication par des prélats catholiques d'un bréviaire rédigé par des hérétiques. Rien n'empêche plus de convenir aujourd'hui que l'Église de France avait péché, et que le Seigneur la traita avec non moins de justice que de miséricorde à la fin du même siècle.

 

(2) Il me semble, Monseigneur, que vous faites ici bien durement, quoique indirectement, le procès des évêques français qui, au dix-huitième siècle expulsèrent de leurs Églises la Liturgie romaine, pour la remplacer par des Liturgies nouvelles, fraîchement fabriquées par de simples particuliers, souvent même hétérodoxes. La Liturgie romaine était en usage depuis environ mille ans, en France; elle avait été scrupuleusement examinée par une longue succession de Pontifes romains ; elle avait reçu des corrections intelligentes et surtout pleines d'autorité, aux différents âges de la durée de l'Église; la correction, entre autres, de saint Pie V, avait eu pour but, comme il le dit dans sa bulle, de rétablir le texte primitif, qui ne remontait pas à un Vigier et à un Mésenguy, mais bien à saint Grégoire. Cette Liturgie séculaire dont les moindres particularités se reflètent dans les monuments de la tradition et de l'histoire ecclésiastique, avait été approuvée aussi par tant et de si grands Evêques, dans le monde entier, y compris tant et de si grands Evêques de France, que, je le dis à mon tour, elle me semble revêtue d'une assez grande autorité pour qu'on doive regarder comme singulièrement téméraire L'EXPULSION qu'on en fit au XVIII° siècle. Cette expulsion, appliquée à une telle œuvre et par de telles mains, a bien une autre portée que les blâmes, les censures et les qualifications injurieuses prodiguées par un homme obscur comme moi, à une œuvre qu'on est tout aussi bien en droit de juger, au point de vue des convenances liturgiques, canoniques, dogmatiques et littéraires, que la Liturgie romaine elle-même a pu être jugée, CONDAMNEE et EXECUTEE sur une si grande étendue de la France.

 

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J'ai répondu, ci-dessus, dans ma Lettre elle-même, Monseigneur, aux insinuations que vous avez cru devoir proposer au public sur mon apotasie future qui doit un jour scandaliser l'Église à l'égal de celle du malheureux abbé de Lamennais. Je ne reviendrai pas sur ce sujet. Mais comme les dernières pages de votre brochure m'accusent de mauvais vouloir contre l'épiscopat français, et que je ne dois avoir rien de plus cher que de désavouer une imputation non moins injurieuse à ma qualité de catholique, que peu méritée en elle-même, je transcrirai ici quelques pages de ma Lettre à Monseigneur l'archevêque de Rheims, dans lesquelles j'ai répondu à cet étrange reproche qui m'avait été adressé dans les colonnes d'un Journal ecclésiastique par deux écrivains dont l'autorité, heureusement, est loin de former un préjugé grave aux yeux des gens sérieux. Je disais donc :

« On a prétendu, et je vous demande pardon, Monseigneur, de répéter en votre présence une assertion aussi absurde, on a prétendu, dis-je, que le résultat de mes travaux sur la science liturgique était une injure à l'épiscopat. Une pareille accusation, toute étrange qu'elle est, était plus facile à formuler, il est vrai, qu'une réfutation solide de tous les faits et de tous les points de droit que j'ai eu jusqu'ici à produire.

« Mais allons au fond. Quelle est donc après tout, la conséquence de mes principes, ou plutôt des principes universels sur la Liturgie? C'est que cette forme si importante du catholicisme doit tendre à l'unité, et que le moyen d'y établir et d'y maintenir l'unité, est la soumission aux décrets vénérables et solennels des Pontifes romains sur la matière. Et depuis quand ne pourrait-on plus invoquer les prérogatives du Siège apostolique, sans faire injure à l'épiscopat? Si le chef est glorifié, les membres ne le sont-ils pas avec lui ? Si l'autorité du Pontife romain se développe sans obstacle dans les églises, n'est-elle pas la

 

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meilleure sauvegarde du pouvoir des évêques, dont la juridiction, menacée entant de manières par des rivaux -puissants, ne sera jamais plus inviolable que lorsque la source divine d'où elle émane se montrera plus à découvert? Qu'elle est éclatante la gloire, qu'elle est invincible la force de l'épiscopat dans Pierre qui vit, parle et régit à jamais dans ses successeurs ! Qu'ils sont puissants et vainqueurs du monde et de la chair, ces frères de Pierre se faisant gloire de leur filiale et continuelle obéissance à celui sur qui seul ils sont édifiés, à celui qui seul a les promesses d'une doctrine infaillible, à celui qui seul les a reçu le pouvoir et la grâce pour les confirmer, quand ils sont ébranlés ! Certes, si des excès étaient à redouter dans les rapports des membres de la hiérarchie avec leur auguste chef, ce ne seraient pas ceux de la soumission, mais bien plutôt ceux de l'indépendance, et l'autorité épis-copale sera toujours d'autant plus haut placée dans les respects, l'amour et l'obéissance du clergé et des fidèles, qu'on verra ceux qui l'exercent se montrer plus zélés observateurs des volontés apostoliques.

« Après cela, me fera-t-on un crime de discuter certains points de droit de la solution desquels il résulte que, dans le gouvernement de son diocèse, un évêque est borné par des lois générales contre lesquelles il ne peut agir, sans que ses actes soient frappés d'irrégularité, ou même de nullité? Mais où voudrait-on en venir par cette voie? Il ne s'agirait donc plus seulement d'interdire l'étude de la science liturgique; il faudrait encore empêcher tout enseignement du droit canonique, et placer, par conséquent, l'Église de France dans une situation où jamais aucune église ne s'est trouvée; puisque, dès les premiers siècles, la connaissance des canons a fait essentiellement partie de la science du clergé. Personne assurément, et nos vénérables Évêques moins que qui que ce soit, n'accepterait une telle conséquence. Or,

 

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cependant, qu'est-ce autre chose que le droit canonique, dans sa plus grande partie, sinon l'ensemble des règlements par lesquels le pouvoir des divers degrés de la puissance hiérarchique se trouve circonscrit dans certaines limites, afin que l'harmonie se conserve et se développe dans l'ensemble ? La puissance épiscopale si auguste, si sacrée, n'est-elle pas déjà restreinte en cent manières par les réserves apostoliques, et avant même  que le Saint-Siège eût statué  la plupart de ces réserves salutaires, l'histoire du droit ne nous montre-t-elle pas les conciles généraux et particuliers occupés sans cesse, pour le bien du corps ecclésiastique tout entier, à régler par des canons pour la rendre plus efficace, cette autorité épiscopale par laquelle l'Esprit-Saint régit l'Église de Dieu ? Il est évident que ceux qui m'ont fait le reproche d'attaquer l'épiscopat, par le seul fait que je réclamais en faveur d'une réserve  papale, sont bien  peu familiers avec la science  du  droit canonique, ou sont du moins sous l'empire d'une bien singulière distraction.

« Ce n'est pas tout. On est allé jusqu'à dire que j'attaquais encore l’épiscopat, en ce que, dans les récits que j'ai été obligé défaire, je produisais des faits propres à donner à entendre que, à une certaine époque de notre histoire, la faiblesse ou  la connivence d'une partie des Évêques de France avait compromis  les  intérêts de la religion. D'abord, je pourrais demander si l'on trouve quelque chose de faux, de hasardé dans les faits que je  raconte ; si les sources (et je les cite toujours) sont suspectes ou peu sûres. Dans ce cas, que l'on me réfute, je le désire, je l'implore ; car je n'ai garde d'être du nombre de ces historiens qui aiment à charger de noires couleurs les tableaux qu'ils offrent à leurs lecteurs. Que si les faits que je rapporte sont véritables, il n'y a que deux partis à prendre sur leur sujet : les taire, par égard pour la renommée des coupables; les publier, par respect pour la vérité historique.

 

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« Le premier de ces deux partis n'est pas praticable à une époque où chacun sait lire, dans un temps où des intérêts de tout genre poussent tant de gens à fouiller les recoins de l'histoire, à entreprendre de ces monographies quelquefois désespérantes dans leur minutieuse fidélité. Pour moi, je partage pleinement à ce sujet les idées de l'historiographe de l'Eglise catholique, le grand cardinal Baronius, qui déclare qu'après avoir pesé les inconvénients de produire au grand jour, ou de dissimuler les mauvaises actions de certains Papes, il a jugé prudent de s'exécuter avec franchise, plutôt que de laisser dire aux Centuriateurs que les historiens catholiques, dont le devoir est de démasquer les œuvres mauvaises des sectaires, sont indulgents pour les faiblesses de leurs propres Pontifes.

« Reste donc le second parti qui consiste à donner dans toute sa rigueur la vérité historique, et, certes, n'y a-t-il pas une leçon bien précieuse à recueillir de la chute ou de l'affaiblissement de ces colonnes que Dieu a établies, mais qui tiennent de lui seul leur solidité ? Les Évangélistes nous ont-ils caché la chute de saint Pierre et la trahison de Judas? L'Ancien et le Nouveau Testament écrits  l’un et l'autre pour notre instruction, comme parle l'Apôtre (1), ne nous racontent-ils pas en détail les prévarications commises sur le trône et dans le sanctuaire; afin que nous sachions bien que c'est la main de Dieu qui conduit son peuple, et que le Seigneur se glorifie tour à tour dans sa justice et dans sa miséricorde ?

« Je sais bien que nous avons, en France, la prétention d'être le premier cierge de l'Église catholique ; mais il ne s'agit rien moins que de cette question oiseuse et délicate. Les monuments du passé sont devant nous; c'est à eux seuls  qu'il faut  faire appel. L'historien, mais  surtout

 

(1) Rom. XV, 4.

 

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l'historien ecclésiastique, n'est d'aucun pays; c'est assez  pour lui d'être catholique. Je le répète, la question est toute dans les faits. J'accepte donc volontiers telle controverse qu'on voudra sur la valeur des sources, ou sur celle des faits en eux-mêmes ; mais je persiste à dire que l'Église de ces derniers temps étant tout aussi bien l'Église de Jésus-Christ que celle du quatrième siècle, il nous faut juger les personnes et les choses de ces années récentes avec la même inflexibilité que s'il s'agissait d'une époque perdue dans le lointain des âges.

« Au reste, j'ai eu d'assez belles réserves à faire dans le récit des malheurs de l'Église en France au dix-huitième siècle, d'assez beaux noms à signaler entre ceux que cette Église honore,  à la même époque, comme des pasteurs sans tache. Sans compter Fénelon, qui dévoila avec tant de franchise, dans son Mémoire confidentiel à Clément XI, la grande et lamentable plaie de l'épiscopat de son temps; ai-je manqué d'éloges pour le cardinal de Bissy, les archevêques Languet et Saint-Albin, les évêques La Parisière, de Belzunce, de Fumel, etc. ? N'ai-je pas excusé sur les préjugés de leur pays et sur le malheur des temps plusieurs prélats orthodoxes qui crurent accomplir  une œuvre agréable à Dieu en substituant des prières nouvelles à l'antique prière romaine ? A moins d'avoir deux poids et deux mesures, à moins de juger indifférente l'hérésie formelle, et la plus dangereuse de toutes, connue sous le nom de Jansénisme, ai-je pu  donner comme de fidèles pasteurs ces évêques qui, après avoir accepté et publié les jugements du Saint-Siège contre  de criminelles erreurs, s'en allaient  ensuite demander aux  fauteurs connus de ces  mêmes erreurs, appelants et réappelants des jugements de l'Église, de vouloir bien s'employer à  la rédaction nouvelle de la Liturgie, et sacrifiaient, sur un mot de ces sectaires, les formules  les  plus saintes, et l'union de prières  scellée avec l'Église romaine depuis

 

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neuf siècles, au risque de s'entendre reprocher par des prêtres catholiques l'altération même de la doctrine, dans les livres qui doivent en être l'arsenal et le miroir toujours pur ?

« Des arrêts  de parlement condamnant au feu les réclamations inspirées par le zèle de  la foi, ne prouveront jamais que le Bréviaire parisien de 1736 fût exempt de reproches sous le point de vue de l'orthodoxie, tant qu'on se rappellera les nombreux cartons qu'il lui fallut subir dès la première année de sa publication. L'histoire ecclésiastique  enregistrera et livrera au jugement sévère de la postérité, tant  de lettres pastorales placées en tête des  nouveaux  bréviaires et dans lesquelles  les  prélats s'applaudissaient d'avoir fait disparaître de la Liturgie des choses vaines, inutiles, superstitieuses ;  tandis  qu'en réalité les réductions qu'ils croyaient devoir faire aboutissaient à restreindre les témoignages universels de la dévotion catholique envers l'auguste Mère de Dieu, la religion à l'égard des Saints, la vénération pour le Siège apostolique, à remplacer la parole des Saints par celle de quelque personnage hérétique, ou tout au moins fort léger d'autorité ; sans autre compensation pour la perte de cette belle et touchante communion de prières avec le monde entier, sans autre indemnité pour la rupture d'un lien si précieux avec Rome, que l'attrait naïvement offert d'un office plus abrégé. Encore une fois, s'il n'est pas permis de raconter ces faits, et de les déplorer comme de grands maux pour l'Église, comme les indices et aussi les causes de la triste confusion d'idées qui s'en est suivie, tout est fini entre les hommes. Non seulement l'histoire aura cessé d'être une leçon pour la postérité ; mais on peut dire qu'il n'y a plus d'histoire possible.

« Après tout, sur quoi serait fondée la solidarité de l'épiscopat d'un siècle avec l'épiscopat d'un autre siècle, s'il est vrai de dire que, pour tous les hommes, quelque

 

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rang qu'ils occupent, les fautes sont personnelles comme les vertus? Le Fils de l'homme révélant à saint Jean, dans l'île de Pathmos, les mérites et les démérites des sept principaux évêques de l'Asie Mineure, et enjoignant à cet Apôtre de consigner ces jugements par écrit pour l'instruction de l'Église, jusqu'à la fin des temps, n'a-t-il pas voulu par là nous faire comprendre que la grâce d'un même caractère sacré, pour être égale en tous, ne fructifie pas également en tous ? Pourquoi le dix-huitième siècle, le siècle du philosophisme, de la décadence et de l'anarchie, aurait-il, en celui-ci, le privilège d'une histoire flattée, lorsqu'il nous est si facile à nous, venus après l'orage, ou nés pendant qu'il grondait encore, d'avouer que dans tous les rangs on avait péché? Le Souverain Pasteur ne nous apprend-il pas que si le troupeau est ravagé, c'est par la faute du berger? Et l'apparition de l'ivraie dans le champ du père de famille n'atteste-t-elle pas la négligence et le sommeil des serviteurs? Que si ces fortes vérités nous faisaient peur, hâtons-nous de  jeter au  feu, non seulement les annales de l'Église, mais les écrits des Pères et les enseignements des conciles. Au reste, nul n'a jamais prétendu, et moi encore moins que personne, que tout ait été mauvais, au  dix-huitième siècle.  La  foi,  qui, chez nous, a survécu aux scandales de cette époque, atteste par sa persistance même que le nombre des pasteurs fidèles devait encore être considérable au moment où éclata la persécution. Le sang des martyrs et la magnanimité des confesseurs prouva que si l'Église de France  avait pu faiblir, le principe de la vie n'était pas éteint en elle.

« Je reviens sur cette accusation d'attaque contre l'épiscopat, et je demande encore à ceux qui ont tenté de m'en flétrir, si les conciles de France qui, au seizième siècle, proclamèrent si haut l'obligation pour leurs églises d'embrasser la Liturgie réformée par saint Pie V, n'étaient pas composés d'évêques ?  Si l'Assemblée du Clergé de

 

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1606, qui prenait des mesures pour faire imprimer les livres de la Liturgie romaine pour tout le royaume, n'était pas l'organe de l'épiscopat? Si les quarante évêques qui, en 1789, tenaient encore dans leurs diocèses pour la Liturgie romaine, cessaient d'appartenir à l'épiscopat ? Dans tout ceci, qu'y a-t-il donc ? Je vois des évêques pour l'innovation liturgique, des évêques contre l'innovation liturgique: il est bien malheureux que l'on soit réputé ennemi de l'épiscopat par le seul fait que l'on croit devoir opter pour le sentiment sur lequel une partie de l'épiscopat français s'est constamment montrée unanime avec le Pape, chef de l'épiscopat, et avec l'universalité des évêques d'Occident.

« Je devais cependant relever ce reproche, tout odieux et déraisonnable qu'il soit. J'ajouterai, s'il le faut, en appelant l'histoire en preuve de ce que j'avance, que jusqu'ici les champions de la prérogative pontificale n'ont pas accoutumé l'Église à les compter dans les rangs du Presbytérianisme; tandis que s'il est un fait patent dans l'histoire des deux derniers siècles, c'est que, en France, en Italie, en Allemagne, en Portugal, tous les écrivains hostiles à la hiérarchie n'ont cessé de réclamer ce qu'ils appelaient les droits de l'épiscopat, usurpés, disaient-ils, par la Papauté, en même temps qu'ils s'attachaient à élever sur un prétendu droit divin les prérogatives du second Ordre, s'apprêtant à réclamer ensuite contre les clercs en général les droits du laïcisme. L'expérience doit enfin nous avoir instruits ; c'est pourquoi je ne m'inquiéterai pas davantage de ceux qui persisteraient à ne voir dans le rétablissement des ordonnances du Saint-Siège que la promulgation d'un principe d'anarchie, et dans les récits du passé qu'une injure pour le présent.

« Au reste, notre situation, sous le rapport de la Liturgie, comme sous beaucoup d'autres, est fort différente de ce qu'elle  était au siècle  dernier;  la religion envers le

 

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Siège apostolique n'est plus réduite à des phrases pompeuses; elle a passé aux effets. On peut affirmer que, si, à l'heure où j'écris ces lignes, l'Eglise de France se trouvait tout entière réunie sous les lois de la Liturgie romaine, nul de nos prélats ne songerait à briser ce lien glorieux de l'unité, nul de nos prêtres n'applaudirait à une mesure tendante à isoler les églises de la prière de celle qui est leur Mère et Maîtresse. De toutes parts je l'entends dire, et cette déclaration partant des bouches les plus augustes est descendue bien des fois jusqu'à mes oreilles. Non, certes, il ne se fait pas solidaire de certains prélats du dix-huitième siècle, cet épiscopat de nos jours qui n'a pas craint de se poser en instances devant le Pontife romain pour obtenir des autels à ces deux Vénérables prêtres, Louis de Montfort et Jean-Baptiste de la Salle, l'un et l'autre poursuivis durant leur vie par les censures ecclésiastiques, l'un même mort sous la suspense, en ce siècle de vertige où il n'était pas étonnant qu'on eût perdu le sens de la sainteté, puisque celui de la prière allait s'affaiblissant. »

 

PIÈCE JUSTIFICATIVE

 

BREF DE S. S. LE PAPE GREGOIRE XVI A MONSEIGNEUR L'ARCHEVEQUE DE RHEIMS

 

A NOTRE VENERABLE FRERE THOMAS GOUSSET , ARCHEVEQUE DE RHEIMS.

 

GRÉGOIRE XVI, PAPE.

 

Vénérable frère, Salut et Bénédiction apostolique.

 

Nous avons reconnu le zèle d'un pieux et prudent archevêque dans les deux Lettres que vous Nous avez adressées, renfermant vos plaintes au sujet de la variété des livres liturgiques qui s'est introduite dans un grand nombre d'Églises de France, et qui s'est accrue encore, depuis la nouvelle circonscription des diocèses, de manière à offenser les fidèles. Assurément, Nous déplorons comme vous ce malheur, Vénérable Frère, et rien ne Nous semblerait plus désirable que de  voir observer partout, chez vous, les constitutions de saint Pie V, notre prédécesseur d'immortelle mémoire, qui ne voulut excepter de l'obligation de recevoir le Bréviaire et le Missel, corrigés et publiés à l'usage des Églises du rite romain, suivant l'intention du concile de Trente, (Sess. XXV), que ceux qui, depuis deux cents ans au moins, avaient coutume d'user d'un Bréviaire et d'un Missel différents de ceux-ci ; de façon, toutefois, qu'il ne leur fût pas permis de changer à leur volonté ces livres particuliers, mais simplement de les conserver, si bon leur semblait. [Constit. Quod a nobis. — VII. Idus Julii 1568, et Constit. Quo primum. Pridie Idus Julii 1570). Tel serait donc aussi notre désir, Vénérable Frère ; mais vous comprendrez parfaitement combien c'est une œuvre difficile et embarrassante de déraciner cette coutume implantée dans votre pays depuis un temps déjà long; c'est pourquoi , redoutant les graves dissensions qui pourraient s'ensuivre, nous avons cru devoir, pour le présent, nous abstenir, non seulement de presser la chose avec plus d'étendue, mais même de donner des réponses détaillées aux questions que vous nous aviez proposées. Au reste, tout récemment, un de nos Vénérables Frères du même royaume, profitant avec une rare prudence d'une occasion favorable, ayant supprimé les divers livres liturgiques qu'il avait trouvés dans son église , et ramené tout son clergé à la pratique universelle des usages de l'Eglise romaine, Nous lui avons décerné les éloges qu'il mérite, et, suivant sa demande, Nous lui avons bien volontiers accordé l'Induit d'un office votif pour plusieurs jours de l'année, afin que ce clergé livré avec zèle aux fatigues qu'exige le soin des âmes , se trouvât moins souvent astreint aux offices de certaines fériés qui sont les plus longs dans le Bréviaire romain. Nous avons même la confiance que, par la bénédiction de Dieu, les autres évêques de France suivront tour à tour l'exemple de leur collègue, principalement dans le but d'arrêter cette très périlleuse facilité de changer les livres liturgiques. En attendant, rempli de la plus grande estime pour votre zèle sur cette matière, nous adressons nos supplications à Dieu, afin qu'il vous comble des plus riches dons de sa grâce, et qu'il multiplie les fruits de justice dans la portion de sa Vigne que vous arrosez de vos sueurs. Enfin,comme présage du secours d'en haut, et comme gage de notre particulière bienveillance, nous vous accordons avec affection pour vous, Vénérable Frère, et pour tous les fidèles, clercs et laïques, de votre Église, la bénédiction apostolique. Donné à Rome, à Sainte-Marie-Majeure, le sixième jour d'août, de l'an 1842, douzième de notre Pontificat.

 

 

VENERABILI FRATRI THOMAE GOUSSET, ARCHIEPISCOPO REMENSI.

 

 

 

 

 

GREGORIUS PP. XVI.

 

Venerabilis Frater, Salutem et apostolicam Benedictionem.

 

Studium pio prudentique antistite plane dignum recognovimus in binis illis fuis litteris, quibus apud Nos quereris varietatem librorum liturgicorum, qnœ in militas Galliarum Ecclesias inducta est; et a nova prœsertim circumscriptione Diœcesium , novis porro non sine fidelium offensione auctibus crevit. Nobis quidem idipsum tecum una dolcntibus nihil optabilius foret, Venerabilis Frater, quam ut servarentur ubique apud vos Constitutiones S. Pii V, immortalis memoriœ decessoris nostri, qui et Breviario et Missali in iisitm Ecclesiarum romani ritus, ad mentent Tridentini Concilii (Sess. XXV), emendatins editis, eos tantum ab obligation eorum recipiendorum exceptas voluit, qui a bis centum saltem annis uti consuevissent Breviario aut Missali ab illis diverso; ita videlicet, ut ipsi non quidem commutare iterum atque iterum arbitrio suo libros hujusmodi, sed quibus utebantur, si velent, retinere possent. (Constit. Quod a nobis. — VII Idus Julii 1568, et Constit. Quo primum. Pridie Idus Julii 1570). Ita igitur in votis esset, Venerabilis Frater; verum tu quoque probe intelligis quam difficile arduumque opus sit morem illum convellere, ubi longo apud vos temporis cursu inolevit : atque hinc nobis, graviora inde dissidia reformidantibus, abstinendum in prœsens visum est nedum a re plenius urgenda, sed etiam a peculiaribus ad dubia quœ proposueras, responsionibus edendis. Cœterum cum quidam ex regno isto Venerabilis Frater, prudentissima ratione idoneaque occasione utens, diversos, quos in ecclesia sua invenerat, liturgicos libros nuper sustulerit, suumque clerum universum ad romanœ Ecclesiœ instituta ex integro revocaverit, Nos prosecuti illum sumus meritis laudum prœconiis, ac juxta ejus per ita perlibenter concessimus Indultum officii votivi pluribus per annum diebus, quo nimirum clerus ille bene cœteroquin in animarum cura laborans, minus sœpe obstringeretur ad longiora in Breviario romano feriarum quarumdam officia persolvenda. Confidimus equidem, Deo benedicente,futurum ut alii deinceps atque alii Galliarum Antistites memorati Episcopi exemplum sequantur ; prœsertim vero ut periculosissima illa libros liturgicos commutandi facilitas istic penitus cesset. Interea tuum hac in re zelum etiam commendantes, a Deo supplices petimus, ut et uberioribus in dies augeat suce gratiœ donis, et in parte ista suce Vineae tuis rigatae sudoribus justitiœ fruges amplificet. Denique superni hujus praesidii auspicem, nostraeque pignus praecipitae benevolentiae Apostolicam benedictionem tibi, Venerabilis Frater , et omnibus Ecclesiae tuœ Clericis Laicisque fidelibus peramanter impertimur, Datum Romae, apud Sanctam Mariam Majorem, die sexta Augusti, anni millesimi octingentesimi quadragesimi secundi, Pontificatus nostri anno duodecimo.

 

 

 

 

 

 

 

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