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La voix de Catherine de Sienne 2007/2 - N° 142  juin/ juillet 2007

Association internationale Catherine de Sienne, reconnue par Décret du Cons. Pont. pour les Laïcs, le 15 août 1992 www.caterinati.org

Bulletin du groupe Liège-Bruxelles
Ed. resp. Chantal van der Plancke, La voix de Catherine de S.
rue de Rome 34, Bte 19, B 1060 Bruxelles. Belgique
Tél. Fax 00 32 2 539 07 45 — c.vd.plancke@skynet.be 
Abon. Belgique 8 € CPP 000—1300647— 71
Etrang. 10 € IBAN BE49 0001 3006 4771 — BIC BPOTBEB1

Sommaire : Edito 3 ; « A Dieu » à Mgr Castellano (1913-2007) 4 ; Testament spirituel
de Mgr Castellano 6
; Hommage du Pr. Nardi 8 ; Assemblée G. des Caterinati Fête de Ste Catherine 9 ; Les monastères dominicains,  lieux de pèlerinage 10 ; Catherine, Femme de Parole,
par E. J. Lacelle 12
; Agenda vacances 16


Editorial

Juin 2007

Chers amis,

Voici venu le temps de prendre un peu de vacance. Vacance au singulier. Vacance singulière, qui consiste à nous libérer de la tyrannie du « faire » (même celle de « faire » l’Espagne ou le Maroc), pour jouir plus librement du mystère de l’« être ».

Jouir de tout ce qui est : « les fleurs des champs ».
Jouir de celui ou celle que je suis… pour Dieu.
Jusqu’à jouir de « n’être pas » !

Car, « sais-tu, ma fille, qui tu es ? et qui Je suis ? Tu es celle qui n’est pas.
Je suis celui qui est », confie le Père à sa fille, Catherine.
Ce sublime anéantissement, nous pouvons le pressentir lorsque nous jouissons d’être tout(e) perdu(e) dans un paysage – même local – qui nous suggère une infinie Beauté et le sentiment de n’être plus, d’en avoir le souffle coupé.

Ce sublime anéantissement devant la Bonté de « Celui qui est et qui vient », c’est ce que nos défunts vivent dans l’intarissable communion avec Celui qui nous donne la vie.
C’est l’ineffable perdition que les mystiques anticipent par pure grâce.
La joie de n’être « plus rien ». Rien par soi-même et tout par Dieu.
L’amour nu, dépouillé de tout « moi » ; l’amour pur, qui ne se reçoit que de « Toi », c’est ce que vivent à présent notre cher Mgr Castellano et tous ceux que nous disons avoir « perdus ». Leur Pâque nous ouvre aussi un passage.

Que des temps forts de prière – ou de retraite – nous permettent de vivre « cette béatitude de n’être que par Dieu » ;
de la vivre en communion avec ceux et celles qui nous ont précédés dans la foi et ceux et celles qui, ici, nous accompagnent;
et de donner toujours plus de place à la relation, seule source de notre être.

« Bonne vacance » !

Chantal van der Plancke


Biographie

Mgr Mario Ismaele Castellano op
1913-2007

Mgr Castellano naquit à Imperia en 1913. Après des études classiques, puis de droit à l’Université de Gênes, il entra dans l’ordre des dominicains et fut ordonné prêtre en 1942. Il fit des études de théologie puis de droit canon à l’Université St-Thomas d’Aquin à Rome, où il enseigna ensuite durant sept ans, travaillant simultanément à la ‘Congrégation du Saint-Office’. Evêque de Volterra en 1954, il fut aussitôt nommé Assistant ecclésiastique de l’A.C.I.

En 1961, il fut nommé à la tête de l’Archevêché de Sienne, dont les limites s’étendirent en 1986, jusqu’à englober les régions de Colle di Val d’Elsa et de Montalcino. Il fut archevêque émérite en 1990.

Il participa activement au Concile Vatican II, en tant que membre de trois Commissions. Il a collaboré à la rédaction du nouveau Code de droit canon et publia de nombreux articles.

En 1970, l’année où Paul VI proclama Catherine Docteur de l’Eglise, il fonda « l’Association oecuménique des Caterinati », qui contribue à faire connaître Catherine de Sienne, sa vie et son message pour aujourd’hui. C’est aussi grâce à lui et à cette association que Catherine, déjà co-patronne d’Italie, fut proclamée co-patronne de l’Europe par Jean-Paul II, en 1999, au début du second synode pour l’Europe.

En 1994, il pilota pendant huit jours à Sienne et aux environs, un groupe de laïcs et de séminaristes de Malines-Bruxelles. Huit jours de visites le matin, d’enseignement l’après-midi et de prière le soir, huit jours mémorables, durant lesquels il se donna sans compter, nous communiquant avec cordialité et détermination le ‘feu’ qui animait Ste Catherine !
Il fit de même en 1997 où il accueillit un groupe de la paroisse N.-D. du Sacré-Cœur à Bruxelles (photo). Ce qu’il a semé dans nos cœurs reste inoubliable.

En témoigne la fidélité du petit groupe qui  continue à lire Ste Catherine,  ses écrits et sa vie,
au rythme d’une soirée par mois. Cela fait 10 ans  d’imprégnation, où, dans l’amitié et la prière, nous nous tenons à l’école de Catherine, de son amour du Christ, de l’Eglise et de Marie, ayant à cœur le souci de la société dans laquelle nous vivons.

Ce que Mgr Castellano fit pour nous, il le fit aussi pour d’autres groupes d’Italie et d’ailleurs, semant à tous vents, à Gênes, à Varazze… et jusqu'à Avignon où il se rendit avec une délégation de Caterinati de Sienne. Mais en ce qui concerne la Belgique, c’est lui qui soutint particulièrement Mr Jean Wintgens lors de la construction de la chapelle Ste-Catherine à Astenet (Eupen) dans les murs de laquelle il fit incruster la relique de la sainte qu’il avait apportée de Sienne. Il vint plusieurs fois à Astenet, où la maison Ste-Catherine s’était agrandie, et c’est toujours avec ferveur qu’il nous entraînait par sa prédication et sa prière. Il écrivit aussi de nombreux articles pour notre bulletin que Renée Lex traduisait avec application et… délectation !

En l’an 2000, Mgr Bonicelli, archevêque de Sienne, invita le Cardinal Danneels à participer aux célébrations annuelles pour la fête de Ste Catherine. Avec Mgr Castellano, qui connaissait bien l’attachement du cardinal Danneels à Ste Catherine de Sienne, cela faisait trois archevêques « amis », que nous étions heureux d’accompagner durant ces jours de célébration, avec une importante délégation, francophone et germanophone de Caterinati de Belgique.

Mgr Castellano, nous vous restons unis dans la communion des saints ! Ce que vous avez semé a déjà porté beaucoup de fruits. Mais tout n’a pas encore fini de germer. Continuez à arroser « le jardin » de l’Eglise.
 

Chantal van der Plancke


Testament spirituel de Mgr Castellano

« Désormais je suis un évêque émérite et je suis content de l’être, ainsi tout se simplifie, même l’attente de l’appel du Seigneur.
Je désire mourir dans la foi catholique, dans la charité chrétienne et dans l’espérance de la vie éternelle. Je désire mourir dans les bras de Marie, la très sainte Mère de l’Eglise et Reine de Sienne, assisté de saint Joseph et de sainte Catherine que j’ai voulu particulièrement honorer.
Je remercie Dieu pour ses dons immenses : la vie, la foi chrétienne, la vocation dominicaine, le sacerdoce, l’épiscopat, le fait de rejoindre les émérites ; et je demande pardon de ne pas avoir correspondu comme je devais à tant de bienveillance et de fidélité.
Je demande pardon pour mes péchés. Je rends grâce pour tous ceux qui m’ont fait du bien, depuis mes parents jusqu’à tous mes supérieurs, depuis mes confrères jusqu’aux simples fidèles, et pour mon successeur, si bon et si différent de moi.
Je demande pardon à ceux à qui j’aurais fait mal ou déplu ; je pardonne à tous ceux qui m’auraient causé quelque affliction et de la souffrance. Ce qui compte, c’est l’amour de Dieu et des frères : c’est une vraie valeur qu’il faut toujours garder pour l’actualiser dans notre vie.
A tous ceux que j’ai rencontrés sur mon chemin, au revoir là haut, dans la patrie céleste où règne la joie éternelle de l’Amour infini. Confiez-vous à Jésus et à Marie, sa mère ! »

Sienne, 1er août 1992

« Aux Caterinati

Grâce à la bienveillance de notre archevêque bien aimé, Président de l’Association des Caterinati, j’ai pu durant ces années m’occuper de l’Association, qui, grâce à la collaboration de beaucoup, s’est affermie et s’est développée en Italie et à l’étranger. Continuez sous la guidance de l’archevêque, du recteur du Sanctuaire et de la Maison Sainte-Catherine, et avec l’aide indispensable des Pères dominicains. J’ai confiance que de nouvelles forces s’uniront aux forces existantes que je remercie de tout cœur pour leur… et enthousiastes.

Sainte Catherine a encore beaucoup de choses à dire pour notre bien, pour la prospérité de l’Eglise et pour la paix dans le monde. Elle ne nous abandonne jamais parce qu’elle est non seulement une maîtresse, mais surtout une mère (non solo maestra, ma soprattutto mamma).

Et quand vous aurez appris que Jésus m’a appelé à lui, priez pour moi la très sainte Vierge et sainte Catherine, afin qu’il me soit fait miséricorde par le Sang du Christ et que je sois admis à contempler l’éternelle Beauté.
Je vous bénis tous bien cordialement »

Sienne, 7 octobre 1996

« Aux contrade (1) de Sienne

Vénérable Prieur, très chers membres des contrade, voici déjà dix ans que je ne suis plus votre évêque. J’ai pourtant continué à vous vouloir du bien et à prier pour vous. Vous aussi, vous n’avez cessé de vous souvenir de moi et de m’aimer. Je vous en suis reconnaissant et je vous demande de vous rappeler encore de moi quand je ne serai plus parmi vous. Durant mon long épiscopat à Sienne, j’ai toujours cherché à vous aider, à vous encourager et à être proche de vous concrètement et pas seulement en paroles. J’ai veillé à mettre en évidence la composante religieuse des contrade et du Palio.
Le début de l’année des contrade et la ‘Messa del Fantino’ [jockey] ont été vécus dans une collaboration totale et convaincue et demeurent un témoignage de l’âme chrétienne des contrade. Que la très sainte Marie soit toujours la Reine de Sienne, à qui la course du Palio rend hommage. Mais – et cela je voudrais vous le recommander chaudement, parce que je vous aime – évitez les violences excessives qui finiraient entre autres par faire mourir les contrade. Il y a place pour une saine rivalité, mais il ne plaît pas à la très sainte Marie que l’on passe outre. Je sais que vous me comprenez et je vous prie de m’excuser pour cette recommandation.
Je vous bénis de tout cœur et vous attends dans la patrie céleste, où la course du Palio a lieu en permanence en honneur de la très sainte Marie, Reine du ciel et de la terre, avec Jésus son divin Fils très aimé.
Sienne, 7 juin 1999
Mario Ismaele Castellano,
Archevêque émérite de Sienne, Colle Val d’Elsa, Montalcino

(1) NDLR : Le Palio est une compétition entre cavaliers des différents quartiers (contrade) de Sienne. Il a lieu le 2 juillet, fête de la Vierge de Provenzano, et le 16 août, lendemain de la fête de l’Assomption. La course consiste en trois tours autour de la ‘Grand-Place’ de Sienne, accomplis en une minute et quelques secondes. Mais le Palio « dure toute l’année » avec ses préparatifs, la tension entre quartiers, la bénédiction de chaque cheval, l’explosion de cris au moment du jeu, l’exubérance des quartiers vainqueurs. Les conflits, qui peuvent parfois briser des familles et des amitiés, ne peuvent se comprendre qu’à l’intérieur de la culture siennoise du Palio.
Mgr Castellano nous a toujours partagé son implication pastorale dans cette manifestation séculaire : il nous a fait visiter les sièges de contrade, avec leur cour intérieure pour la bénédiction des chevaux, leur chapelle, leurs ‘palio’ (superbes étendards conquis) avec leurs références religieuses ; il nous a fait rencontrer les membres des contrade où des caterinati sont impliqués, et nous a introduits dans la ferveur de l’église de Notre-Dame de Provenzano. Au temps de Catherine, le Palio existait depuis un siècle, mais il se courait dans les rues.


Hommage du professeur Paolo Nardi, prieur général de l'Association internationale des Caterinati

Il ne m'est pas possible d'exprimer ni de faire comprendre la grande émotion qui prévaut en ce moment, en nous tous, "confratelli e consorelle" de l'Association internationale des Caterinati.

Monseigneur Castellano, comme chacun sait, fut le fondateur de notre association. En l'année 1970, qui coïncida avec la proclamation de sainte Catherine comme Docteur de l'Eglise, il comprit la nécessité de transformer l'antique confrérie siennoise de Fontebranda en une structure associative plus ample qui pourrait accueillir tous les dévots de notre sainte dans le monde. De là surgirent des groupes de Caterinati, non seulement dans diverses cités d'Italie, notamment celles qui sont plus liées à la vénération de sainte Catherine, comme Rome et Varazze, mais aussi d'autres endroits d'Europe et même des Etats-Unis.

Durant plus de 20 ans, Mgr Castellano fut le président effectif de l'Association; ensuite, en tant qu'évêque émérite, il en fut le Président honoraire. En fait, il fut toujours pour nous le Père et le guide indiscutable, jusqu'il y a peu, lorsque la détérioration de sa santé l'empêcha de diriger notre assemblée avec l'expérience et l'autorité morale qui caractérisaient toute son action. Mais, durant son infirmité, il a toujours continué à s'intéresser à notre activité et à nous prodiguer des conseils et des encouragements. Certains d'entre nous se rappellent la récente rencontre, à l'occasion de l'Assemblée annuelle de l'Association: alors qu'il sentait approcher l'heure de son trépas, il nous confia un mandat précis en nous recommandant "que là où il y a un caterinato le bien se fasse".

Merci de tout coeur, Monseigneur Castellano, pour la leçon de charité, de sagesse, ainsi que de limpidité de l'intelligence et de l'esprit, en des temps qui semblaient faits pour confondre les consciences, en particulier celles des chrétiens. D'ailleurs, c'est la leçon toujours actuelle de Catherine, notre "dolce Mamma", qu'il a pu rejoindre en retournant à la maison du Père, d'où, nous en sommes sûrs, il continuera à veiller sur nous.


Assemblée générale des Caterinati à Sienne

Les représentants des différents groupes qui composent l’Association réunissant les Caterinati (‘fils et filles spirituels’ de Ste Catherine), se sont retrouvés les 2 et 3 mars. Innombrables sont les activités spirituelles et culturelles (célébrations, conférences, publications, expositions, spectacles) animées par ces groupes : à Trieste, Gênes, Milan, Varazze, Pise, Florence, Sienne, Rome…, Bruxelles et Astenet (B).
Les 28-29 avril, les fêtes catheriniennes à Sienne ont été présidées par le Cardinal Re, membre de plusieurs congrégations à Rome.

Au centre, le P. Scarciglia, op, assistant ecclésiastique, et à droite, le Professeur P. Nardi, prieur général. (Voir p. 8).

Fête de Ste Catherine à Bruxelles
 

La fête de Ste Catherine tombant un dimanche, le lundi 30 avril, nous nous sommes réunis, comme chaque année, pour célébrer l’eucharistie et chanter les vêpres de la sainte, en la paroisse N.-D. du Sacré-Cœur à Etterbeek.
Mais cette année, ce temps de prière fut suivi d’un buffet, pris d’assaut (ce qui aurait bien valu une multiplication des pains), et d’une conférence avec projection, donnée par Mme Janine Thilgès.
La salle de fêtes, fleurie et ornée de panneaux de Sienne, Florence, Pise, Avignon, pouvait accueillir une centaine de personnes.
Ancien professeur d’art dramatique, Janine nous fit revivre avec sa conviction et son talent de communication les moments-clés de la vie de Ste Catherine.

Le texte d’une grande densité spirituelle, entièrement composé par l’artiste, était accompagné de projection d’images, paysagères et iconographiques. Si des problèmes d’ordinateur ont quelque peu troublé la qualité de la projection, le feu de la conférencière et son humour si bienveillant ont tenu en haleine une salle comble. A la fin de cette intense soirée, où se mêlaient prière et relations fraternelles, découverte de Catherine pour certains et réenchantement pour d’autres, nous avons eu l’occasion de fleurir trois ‘Catherine’ dans l’assemblée. Une surprise qui ajoutait de la bonhomie à cette soirée ‘familiale’, portée par une équipe organisatrice… plus que dévouée ! Encore merci à chacun(e).


Les monastères des dominicaines, lieux de pèlerinage

Quelques échos de la journée jubilaire.

Je réponds volontiers à l’appel de Chantal van der Plancke dans le dernier numéro de la Voix de Catherine. Vous avez pu voir à la dernière page de ce n° 141 que ce 29 avril nous était journée jubilaire dans la Fédération Notre Dame. Toute la famille dominicaine était invitée à célébrer ensemble dans les monastères la dimension contemplative.


En effet, la première communauté vraisemblablement de moniales, fondée par saint Dominique regroupait quelques femmes converties du catharisme et un peu plus tard, des frères qui vivaient à proximité. L’ensemble avait reçu le nom de « Sainte Prédication de Prouilhe » pour, semble-t-il, signifier l’importance de la vie de prière pour accomplir le ministère de la prédication. Pas d’annonce de la parole de Dieu authentique qui ne soit fondée sur la prière : Catherine n’a cessé de vivre ainsi, se ressourçant sans cesse dans la prière.

La plupart des monastères dans le monde ont choisi de célébrer la journée de la famille dominicaine le 7 octobre, fête du Rosaire. En France, en raison du pèlerinage du Rosaire à Lourdes et de la retraite prêchée aux moniales par le Maître de l’Ordre à cette date-là, nous avons dû opter pour une autre date. Le 29 avril a été choisi, sans doute pour sainte Catherine de Sienne, bien que cette année, nous célébrions d’abord le 4ème dimanche du Temps pascal.

Voici deux textes de sainte Catherine qui me viennent à l’esprit à l’occasion de cette rencontre. Le chapitre 158 est en soi une jubilation pour tout l’ordre dominicain. En voici quelques extraits :
« Regarde maintenant la barque de ton père Dominique, mon fils bien-aimé, et vois avec quel ordre parfait, tout y est disposé. Il a voulu que ses frères n’eussent point d’autre pensée que mon honneur et le salut des âmes, par la lumière de la science. (…)
Il soumit les siens à l’obéissance, et demanda que chacun fût fidèle à s’acquitter de la tâche qui lui était assignée.
C’est ainsi que Dominique ton père, a disposé cette barque : Il l’a gréée de ces trois cordages qui sont l’obéissance, la continence et la vraie pauvreté. La discipline y est toute royale : il n’a pas voulu que sa règle obligeât sous peine de péché mortel. C’est moi, la vraie lumière qui l’ai éclairé en ce point. Ma providence a eu égard par là, à la faiblesse des moins parfaits. (…) De la sorte, parfaits et non parfaits sont à l’aise, à bord de cette barque. Dominique s’accorde ainsi avec ma Vérité, en voulant non la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive. Aussi sa religion est-elle toute large, toute joyeuse, toute parfumée : elle est elle-même un jardin de délices. » (trad. Hurtaud, Téqui, p. 272 à 275.)
Le second texte donne tout son sens à la notion de famille dominicaine, à la nécessité reconnue du besoin des uns des autres, de la solidarité humaine. Voici un paragraphe du chapitre 148 que nous avons, hélas, bien de mal à accepter et à vivre :
« Chacun a reçu en partage un talent particulier, et tous sont ainsi obligés de recourir les uns aux autres pour se procurer ce dont ils ont besoin. Tu le peux voir, l’artisan a besoin du laboureur et le laboureur ne peut se passer de l’artisan. Chacun d’eux a besoin de l’autre, parce que chacun d’eux ne sait pas faire ce que l’autre produit. Pareillement le clerc et le religieux ont besoin du séculier et le séculier ne peut se passer du religieux ; ils sont nécessaires l’un à l’autre. Ainsi en est-il du reste des hommes. » (ibid. p 220).

À Orbey, nous avons commencé cette journée mémorable par la célébration de l’Eucharistie, par la jubilation autour du mystère pascal. La chapelle débordait avec une bonne cinquantaine de personnes supplémentaires, de toutes les branches de la famille dominicaine. Journée joyeuse et ensoleillée entre deux gros orages, le premier dans la nuit et le second environ une demi-heure après le départ de nos hôtes. Même le ciel a participé à la fête ! Le repas partagé à partir de ce que chacun avait apporté, s’est terminé par la distribution d’un petit cadeau, nourriture spirituelle. Il s’agissait d’un texte souvenir : nous avions choisi une cinquantaine de citations de dominicains (Maître Eckhart, Tauler, Pierre Claverie… et bien sûr Catherine de Sienne !) pour les offrir à nos hôtes ainsi qu’une photo de la chapelle prise la nuit pascale et la prière du jubilé.
La journée s’est terminée par un temps de prière commune, vers 15h. Une de nos sœurs a parlé de la vie contemplative, de la dimension contemplative de tout notre ordre, puis nous avons chanté le psaume 135, accompagné à la Kora, instrument sénégalais, lu un texte de Sainte Catherine de Sienne (une partie du premier texte cité ici), puis chanté le O Lumen accompagné au Kantele, instrument finlandais, et enfin nous avons lu ensemble l’oraison distribuée. Cette dernière partie était très émouvante. Voici le texte de la prière du Jubilé (1206-2006), composé par la commission internationale des moniales, pour que vous puissiez vous aussi vous associer à notre prière :
Dieu de Miséricorde,
Dans ta sagesse éternelle, tu as appelé ton serviteur Dominique à se mettre en route sur le chemin de foi comme pèlerin itinérant et prédicateur de la grâce. Avec ta Parole de douce Vérité dans son cœur et sur ses lèvres, Dominique a invité les premières sœurs et les premiers frères à se joindre à lui dans une vie d’obéissance contemplative au service de la sainte prédication.
En commémorant ce Jubilé, nous te demandons de répandre encore une fois l’Esprit du Christ ressuscité, dans nos cœurs et nos esprits. Recrée nous, afin que nous puissions proclamer fidèlement et joyeusement l’évangile de paix, par ce même Jésus-Christ, notre Seigneur. Amen.
Marie, Mère du Verbe fait chair, prie pour nous.

Après ce temps fort, nous nous sommes dispersés. À peine les premiers invités étaient-ils partis que nos hôtes suédois sont arrivés : il y avait juste assez de place pour leur bus sur le parking !!!.
Quelques lignes pour partager ce que nous avons vécu à Orbey avec, sans nul doute, l’intercession de Catherine de Sienne.

Sr Anne-Catherine Meyer, op
du monastère saint Jean Baptiste,
à Orbey (Alsace – France)


Catherine de Sienne  Femme de Parole

Après avoir loué les écrits de Catherine de Sienne, son premier biographe Raymond de Capoue, o.p. ajoute : «Ils sont cependant peu de choses à côté de la parole vivante qu'elle nous faisait entendre. Le Seigneur lui avait donné une langue si bien instruite qu'elle savait toujours que répondre. Ses paroles brûlaient comme des torches, et nul de ceux qui les entendaient ne pouvait se dérober complètement à l'ardeur de leurs traits enflammés» (1) . Catherine a été une femme de parole: on peut même dire que toute sa vie a été parole et service de la Parole de Dieu, «office du Verbe» comme elle disait (2).

Or, produire une parole, en privé ou en public, ne va jamais de soi. La parole constitue pourtant l'être humain. Elle est le commencement de l'existence personnelle et communautaire, dans l'ordre social et l'ordre moral (3) . Dans une parole, l'être humain s'affirme comme sujet pensant, responsable de sa propre existence et de ses relations avec les autres, avec l'Autre. Catherine a pris la parole et a tenu parole. De ce fait, elle nous interpelle. Sommes-nous des êtres de parole dans nos vies et nos milieux culturels, en tant que baptisé(e)s?

Le lieu de parole de Catherine

On prend la parole à partir d'un lieu. Celui de Catherine est le XIVe s. (1347-1380), en Italie et en Europe, élargi jusqu' à l'Orient musulman. Plus immédiatement, c'est le milieu ecclésial et civil de l'Italie ravagée par la peste et en gestation des États nations, avec les violences que cela peut impliquer. L'autorité ecclésiastique est remise en question dans les États pontificaux. La papauté, de nationalité française depuis 1309, gouverne à partir d'Avignon, fortement centralisée. Si on prend à témoin les lettres de Catherine, le gouvernement ecclésiastique est souvent plus préoccupé de son pouvoir et de ses biens que de la vie évangélique, au détriment des fidèles dans l'Église et du peuple aux prises avec de graves injustices. C'est un temps de «crise» (4).

Dans ce contexte, pour l'essentiel, la parole de Catherine appelle à la réforme de l'Église, par une conversion des coeurs à l'Évangile pour que Église retrouve le souffle de «sa jeunesse première». Elle y appelle les ministres de l'Église et le peuple tout entier.

Les modalités ou formes de sa parole

Catherine a donné à sa parole des modalités diverses.
- Celle de l'écriture : « Elle écrit comme elle parle et c'est son grand mérite», disent ses critiques. Son livre, Le Dialogue rapporte une conversation entre l'âme (Catherine) qui en prend l'initiative et Dieu, «la douce Première vérité» qui est amour. Les Oraisons, du mot oratio, actes de la bouche (os et actio), sont des colloques avec Dieu. Le ton des 382 Lettres ne peut pas être plus direct.
- Catherine a même osé la parole de la prédication. Elle a pratiqué la parole de médiation, en tant qu'agente de réconciliation entre partis civils et ecclésiastiques. Elle a donné des directives spirituelles. Elle a prononcé des paroles de guérison, du corps tout autant que de l'âme.
- Sa parole pouvait aussi prendre la forme du cri, du gémissement, du pleur voire du délire devant l'Indicible .

L'émergence de sa parole

Comment le désir de la parole a-t-il émergé chez Catherine? On peut en distinguer trois traces.

La première remonte à sa sixième année: la vision du Christ qui l'appelle et auquel elle répond: «Me voici» que l'on peut qualifier de «grâce inaugurale» (6). Elle déclenche chez Catherine le désir de devenir dominicain pour prêcher le salut des âmes. «Ce zèle était tel que tu voulais te faire passer pour un homme, t'en aller en pays où tu fusses inconnue pour entrer dans l'Ordre des Prêcheurs», lui rappelle Raymond de Capoue (7).

On peut repérer une deuxième trace, à l'âge de douze ans : Catherine affirme l'orientation de sa vie qui sera axée sur la recherche absolue de Dieu. Elle résiste à ses parents qui veulent la marier jusqu'à poser le geste radical de se couper les cheveux et de se couvrir d'un voile de manière à éloigner tout prétendant. Elle a ainsi accédé au désir «pour son propre compte» devant Dieu (8) .

Un autre geste suivra: son entrée chez les Mantellate. Contemplative, Catherine aurait pu joindre les moniales de Montepulciano tout près de Sienne, dont la réputation de sainteté était grande. Son désir de parole l'amène plutôt chez les Mantellate, une sorte de tiers-ordre dominicain qui n'exigeait pas de voeux publics et dont les membres vivaient dans leurs propres maisons, parfois en petits groupes, entièrement disponibles à Dieu et à ses appels auprès des démunis.

La troisième trace est celle de l'«éveil» décisif qu'elle a vécu «au commencement de ses visions», note Raymond. Dans sa «cellule intérieure» où elle s'entretient avec Dieu de sa Vie et Vérité, de l'Église et de son peuple, monte un jour la question : «Qui suis-je? Qui suis-je? Et dis-moi, qui tu es Seigneur». En réponse, elle entend : «Je suis Celui qui suis, tu es celle qui n'est pas». Selon Raymond, cette parole inaugure l'aventure mystique de Catherine et établit le principe fondamental de son enseignement spirituel, son verbum abbreviatum (9).

L'envoi

Cette expérience de la parole projette Catherine hors de sa cellule. Elle doit dire. Son statut ecclésial et civil ne l'autorise guère à prendre la parole publiquement. Elle n’est ni dominicain, ni clerc, ni théologien.
Catherine s'appuie sur l'envoi qu'elle reçoit comme venant de Dieu : « La cellule ne sera plus ta demeure habituelle; au contraire, pour le salut des âmes tu seras amenée à sortir même de ta ville. Moi je serai toujours avec toi, soit que tu ailles, soit que tu reviennes; et toi tu porteras l'honneur de mon nom et ma doctrine aux petits et aux grands, qu'ils soient laïcs, clercs ou religieux. Moi je mettrai sur tes lèvres une sagesse à laquelle personne ne pourra résister. Moi, je te conduirai devant les Pontifes, les chefs de l'Église et du peuple chrétien afin que, selon ma façon d'agir par les faibles, je rabaisse l'orgueil des forts» (10).

Une parole apostolique

Catherine s'identifie souvent à Marie de Magdala, l'apostolata inamorata, pour justifier sa vocation. Elle souligne la disponibilité de la Galiléenne pour aller et proclamer la Parole même si cela allait à l'encontre des conventions de son temps : «Dans le transport de son amour, elle ne fait pas attention si elle est seule ou accompagnée; si elle avait réfléchi elle ne serait pas restée au milieu des soldats de Pilate; mais elle va seule, elle reste au sépulcre. L'amour l'empêche de se dire : Ne pensera-t-on pas, ne dira-t-on pas du mal de moi, car je suis belle et de haut rang. Non, elle n'y songe pas, elle cherche seulement à trouver et à suivre son Maître. C'est cette compagne que je vous donne et que je veux que vous suiviez; car elle sait si bien la voie, qu'elle peut nous l'apprendre. Courez, ma Fille, courez, mes filles; ne dormez plus, car le temps fuit et n'attend pas» (11)

C'est cette conscience de l'envoi apostolique que Catherine fait valoir auprès de sa mère lorsqu'elle se rend auprès de Grégoire XI à Avignon à l'été 1376 : «Vous savez bien qu'il faut que je suive la volonté de Dieu, et je sais que vous voulez que je la suive. Sa volonté est que je parte (...) il faut que j'aille (…) de la manière et au moment qu'il plaira à son ineffable bonté...» Et une autre fois : «Pourquoi les apôtres partaient-ils? Parce qu'ils étaient passionnés de l'honneur de Dieu et du salut des âmes» (12).

Catherine percevait sa vocation à la Parole comme une vocation apostolique. Pour sa part, Raymond compare sa parole à celle de l'Aigle dans l'Apocalypse et à celle de l'ange. Plus encore: il reconnaît en elle «la foi de Pierre». Craignant qu'une telle déclaration n'offusque ses auditeurs, il s'en explique : «Quand donc j'ai dit plus haut 'vous auriez vu en elle, la foi de Pierre, etc.', avouez qu'on ne peut tirer de là aucune conclusion déplacée; car on peut appeler en toute vérité foi de Pierre, celle d'une âme qui croit parfaitement au Christ» (13).

Certes, Catherine ne manquera pas d'être éprouvée dans ce ministère de la Parole, notamment par des théologiens éminents et par des cardinaux, à Avignon puis à Rome, sous Urbain VI. L'épreuve la plus dure aura sans doute été celle qu'elle a vécue à l'automne 1378 avec l'irruption du Grand Schisme. N'était-elle pas cause, pour une part, de cette situation? On n'a pas manqué de le lui dire. Elle a confié cette épreuve à Raymond : «Je veux avoir rempli mon devoir», lui écrit-elle alors qu'elle sent que sa mort approche. Dieu la soutenait, elle le croyait, s'y fiait. En même temps, l'épreuve qui secouait l'Église la secouait elle-même tout entière. Elle est morte au creux de cette épreuve, le 29 avril 1380.

Femme de parole, elle l'avait proclamée jusqu'au bout de sa vie, fidèle à la Parole. C'est ainsi qu'elle avait travaillé «dans le vaisseau de la sainte Église», soutenue par sa contemplation des «grands mystères» de la foi qu'elle célébrait liturgiquement dans le lieu saint de l'église et dans le lieu saint de son existence de baptisée.

À chacun, chacune, son don de la Parole. Disciples du Christ, baptisés dans sa mort et sa résurrection, renouvelés dans son Esprit, la Parole de Dieu s'offre à prendre chair en nous. Pour cela, il faut l'accueillir, la connaître, la contempler et la prier. Il faut lui donner notre voix, nos mots, notre personne tout entière et la livrer dans des gestes qui sauvent. Catherine nous y appelle, pour la renovatio par la conversion du coeur à l'évangile, dans nos vies et celle de l'Église, celle de nos milieux : «Il ne faut plus dormir; il faut se lever avec un vrai et saint désir, avec zèle, il faut le chercher avec courage» (14).

Élisabeth J. Lacelle
théologienne et professeure à l'Université d'Ottawa

Signet de publicité du livre d’E. J. Lacelle (1998) où l’on voit Catherine marchant, tenant ‘son livre’ à la main. Statue en bronze (50 cm) de Hazel Brill Jackson, intitulée « Catherine de Sienne en route vers Avignon ».

Depuis l’an 2000, Elisabeth J. Lacelle offre une bourse (1000$ ca)
à la Faculté de Théologie des Dominicains à Ottawa pour
encourager le travail de recherche sur Catherine de Sienne.

Cette année, la bourse a été attribuée à l’abbé Jacques Kabangu,
prêtre diocésain congolais, qui termine sa thèse de doctorat
sur « Le dessein de Dieu dans l’œuvre théologique de
J.-M. R. Tillard, o.p. ». Avis aux chercheurs.

 

1 Vie de Sainte Catherine de Sienne, trad. de R. P. Hugueny, Paris, Lethielleux, 1903, Appendice, p. 474-475.
2 « She spoke the Word with her own voice », écrit la dominicaine Mary Catherine Hilkert, Speaking with Authority. Catherine of Siena and the Voices of Women Today, New York/Mahwah: New Jersey, Paulist Press, 2001.
3 Georges Güsdorf, La parole, Paris, PUF, 1971, p. 91.
4 Voir Yvon D. Gélinas, o.p., «D'Avignon au Grand Schisme» dans Élisabeth J. Lacelle, dir., «Ne dormons plus, il est temps de se leverCatherine de Sienne (1347-1380), Paris/Montréal, Cerf/Fides, 1998, p. 19-36.
5 Voir dans Le Dialogue, la belle séquence sur les larmes, LXXXVIII-XCVII).
6 Charles-André Bernard, Théologie mystique, IVe vol., Paris, Cerf, 2005, p. 181. Selon l'auteur, un tel événement «fait entrer dans un monde nouveau» qui peut donner une orientation définitive à la vie.
7 Op. cit., I, II, p. 125-126.
8 Voir Louis Roy, o.p., Le sentiment de transcendance. Expérience de Dieu?, Paris, Cerf, 2000, p. 110.
9 Vie, op. cit. I, X, p. 90-91; Rm 10,28. Louis Canet y voit l’expérience du don inconditionnel entre elle et Dieu qui a scellé son identité de sujet devant Dieu et dans l’Eglise : dans ce « celle qui n’est pas », Catherine comprend que le fondement de son être est en Dieu « consistant, solide, établi pour jamais », La double expérience de Catherine Benincasa, Paris, Gallimard, 1948, p. 282-283.
10 Témoignage de Fra Tommaso da Siena, dit Il Caffarini, tel que cité dans D. Umberto Meattini, Santa Caterina da Siena. Epistolario, Alba, ed. Paoline, 1979, p. 61-62. Voir aussi Vie, op. cit., I, XII, p. 115.
11 Lettre CCCLI, à Madame Barthélemi de Lucques, T. 2 (Téqui, 1976), p. 1220-1223.
12 Lettre CCXV à Lapa, ibid., 1180-1182 et Lettre CCXIII à Lapa et Cecca, 1176-1178.
Voir aussi la médiéviste Karen Scott, «St. Catherine of Sienna 'Apostolata'», dans Church History 61 (1992), p. 34-46, 37.
13 Vie, op.cit., Appendice, p 485 et p. 482-283.
14 L. CCXXVIII, à Soeur Agnès Donna, op.cit., p. 1218-1219.


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