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Vie de saint Ursanne d'après les petits bollandistes
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20 DÉCEMBRE.
SAINT URSICIN OU URSANNE, ABBÉ,
AU DIOCÈSE DE BALE, EN SUISSE
VIIe siècle
.
Viae ad quædam est ad perfectionem. simplicitas.
La simplicité est comme une voie qui conduit à la perfection.
Saint Jean Chrysostome.
Saint Ursicin, vulgairement appelé saint
Ursanne, était un des disciples de saint Colomban, et habitait avec ce
grand homme le monastère de Luxeuil. Formé sous les yeux et par les
exemples de ce saint abbé, Ursicin fit de rapides progrès dans les voies
de la perfection évangélique, et lia une amitié fort étroite avec lui.
Lorsque saint Colomban fut obligé de quitter
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son abbaye, par suite des intrigues de
la reine Brunehaut, Ursicin, qui lui était si tendrement attaché, ne put
se résoudre à l'abandonner. Il sacrifia son repos, sa santé, et, s’il
eût fallu, il aurait même fait le sacrifice de sa vie pour suivre son
saint ami ; mais la perfide Brunehaut, n’ayant pas même voulu laisser à
Colomban la jouissance d'avoir un ami avec lui, engagea le roi Thierry
II à faire conduire Colomban sous escorte à Nantes, pour de là le
renvoyer en Irlande. Ursicin n’eut pas le courage de retourner à Luxeuil
; mais à l’exemple de saint Dèle, qui avait choisi une solitude où fut
construit plus tard le monastère de Lure, il se retira dans les
montagnes de la Suisse et prêcha la foi aux peuples de cette contrée.
Cependant, bientôt dominé par son penchant pour la retraite, il alla
s’établir dans une affreuse solitude sur les bords du Doubs, dans cette
partie du pays qui appartenait alors au duché d’Alsace. Il y mena une
vie très-mortifiée : son lit était le creux d’un rocher; sa nourriture,
quelques fruits sauvages ou des racines, et sa boisson, l’eau de la
rivière près de laquelle il s'était fixé. Il cherchait, autant qu’il
était en lui, à remplacer la règle de Colomban, et il alla même bien
au-delà des austérités qu’elle prescrit. Suivant les leçons qu’il avait
reçues à Luxeuil, il s'appliqua à crucifier sa chair, à réprimer ses
désirs désordonnés et à soumettre ses passions. Réglant ainsi son
intérieur, il établit la paix dans son cœur et y excita de vifs
sentiments d’humilité, de douceur et de toutes les vertus chrétiennes.
Il eut soin d’animer tous ses exercices et toutes ses actions de cet
esprit intérieur, qui donnait du prix à toutes ses entreprises : cet
esprit intérieur est la base de la véritable vertu; car sans lui on ne
construit que sur le sable : les austérités les plus rigoureuses
deviennent quelquefois pernicieuses, si elles ne sont pas dirigées par
ce principe.
Ursicin avait renoncé au monde, et il avait trouvé le ciel dans sa
solitude. Son amour extraordinaire pour la retraite lui mérita le don de
la prière et de la contemplation au plus haut degré. Les exercices de la
pénitence avaient tant de charmes pour lui, qu’il y consacrait souvent
des nuits entières. Une union si intime avec Dieu l’avait amené à une
mortification absolue des sens et de toutes les facultés de l’Âme : de
là cette inaltérable tranquillité, qui annonçait un homme accoutumé à
maîtriser ses passions. La paix de son âme se traduisait sur son visage
par une douce sérénité et une grâce merveilleuse. Ceux qui l’avaient
découvert furent frappés d’admiration de trouver dans une solitude aussi
affreuse un homme qui ressemblait plutôt à un ange qu’à un mortel. Mais
tel est l’ascendant de la vertu sur les cœurs même les plus farouches,
qu’à peine Ursicin s’était fait connaître, qu’il se vit entouré de
disciples prêts à marcher sur ses traces. Quoique notre Saint eût désiré
vivre seul et sans témoin, il consentit cependant, par amour pour son
prochain, à la demande des fidèles, et en reçut plusieurs dans sa
cellule. Lorsque plus tard le bruit de sa sainteté se fut répandu dans
le pays, il se présenta un grand nombre de chrétiens qui sollicitèrent
comme une grâce de vivre sous sa direction. Ursicin les reçut, et
soutenu par les dons qu’on lui fit, il construisit une église qu'il
dédia au prince des Apôtres, et un petit monastère. Cette église donna
plus tard naissance à une petite ville, qui prit le nom de Saint-Ursanne
: elle était du domaine temporel des évêques de Bâle, et leur fut donnée
par Rodolphe III, roi de Bourgogne.
Ursicin vivait comme un père au milieu de ses fervents anachorètes. Il
les chérissait comme ses enfants et les portait tous dans son cœur; il
dirigeait leurs pas chancelants et leur apprit à porter le joug du
Seigneur. Dans
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leurs besoins et dans leurs tentations,
ils s'adressaient à lui comme à l'oracle du ciel, et le bienheureux abbé
les conduisait comme par la main vers la céleste patrie. Il remarquait
avec un sensible plaisir les progrès qu'ils faisaient dans le bien, et
les y encourageait sans cesse. Une des vertus qui caractérisaient le
plus notre Saint, c'était une heureuse simplicité de cœur, marque
essentielle d’un disciple de Jésus-Christ. Le Sauveur nous assure que
personne ne peut entrer dans le royaume du ciel, s'il ne devient
semblable à un enfant et s’il ne déracine toutes les affections
déréglées de son coeur, pour parvenir à la simplicité naturelle au
premier âge.
L'histoire nous rapporte que le Seigneur récompensa les vertus de son
serviteur par des grâces extraordinaires et lui donna le don des
miracles. Le saint homme fut regardé comme le bienfaiteur de toute la
contrée et mérita ce nom à plus d'un titre. Il connut par révélation le
jour de sa mort, et s'y prépara par un redoublement de ferveur. Ayant
rassemblé ses disciples, il leur adressa un discours très-pathétique et
leur recommanda de s'entr’aimer, de se porter mutuellement au bien par
la pratique des vertus évangéliques. Il les conjura d’être toujours
fidèles à leur vocation et de ne jamais permettre au démon de porter le
ravage dans leur communauté : les pieux anachorètes le lui promirent,
fondant en larmes. Ursicin demanda alors à recevoir les derniers
sacrements, qui lui furent administrés au milieu des cantiques et des
prières qu’adressait au ciel toute la communauté. Ainsi muni des secours
de l'Eglise, Ursicin recommanda son âme à Dieu et fit de tendres adieux
à ses enfants, leur disant qu'il espérait les revoir un jour tous dans
l'éternité bienheureuse. A ces mots ses disciples poussèrent des cris
lamentables et allaient accuser le ciel de leur ravir un si bon maître
au moment où ils en avaient encore tant besoin. Le mourant les consola,
et voyant le calme un peu rétabli parmi eux, il se mit à réciter divers
psaumes, et enfin ferma à jamais les yeux à la lumière, le 16 décembre.
L'année de sa mort est incertaine; mais on peut la placer, avec quelque
fondement, après le milieu du septième siècle. Ursicin était parvenu à
un âge fort avancé. On enterra son corps dans l’église de Saint-Pierre,
où il attira presque aussitôt la foule par diverses grâces que les
fidèles obtinrent par son intercession. L'église où reposa ce corps
vénérable reçut plus tard le nom de Saint-Ursanne, et on vit longtemps
le tombeau du Bienheureux placé près du maître-autel. Le culte de ce
saint abbé fut approuvé par plusieurs souverains Pontifes, ce qui
engagea les évêques de Bâle à en insérer la fête dans le Propre des
Saints de leur diocèse.
La petite communauté de Saint-Ursanne s'augmenta considérablement après
la mort de son fondateur : on y introduisit la Règle de Saint-Benoît, et
elle se distingua longtemps par sa ferveur. Plusieurs de ses religieux
ont annoncé avec succès l’Evangile dans cette partie de l'Helvétie, qui
a appartenu successivement à divers maîtres. Les évêques de Bâle l’ont
réunie à leurs domaines et conservée longtemps : aujourd’hui elle fait
partie du canton de Berne.
Extrait de l’Histoire des Saints d'Alsace par H. l’abbé Hunckler.
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