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LETTRE XXXVIII. 
M. DE LAMOIGNON DE BASVILLE A BOSSUET. Réflexions sur la lettre de ce dernier.

 

Il est inutile de s'étendre plus au long sur le pouvoir des princes, ni sur les lois pénales qu'ils ont droit de faire contre les hérétiques : ce point est incontestable. Mais si ce pouvoir est certain, pourquoi faut-il qu'il soit inutile? Et si ces lois sont justes, faut-il qu'elles demeurent sans effet?

On ne demande point ici de distinction : il n'est pas question d'avoir une loi qui contraigne les hérétiques d'aller à la messe. On demande seulement de pouvoir dire en général aux nouveaux convertis qu'ils doivent pratiquer les exercices de la religion, sans leur parler de la messe plutôt que de la confession et de la communion. On suit l'exemple des lois anciennes des empereurs, qui n'entrent point dans ce détail. Telle est la loi d'Honorius (1) : Nisi ad observantiam catholicam mentem animumque converterint, ducentas argenti libras cogentur exsolvere, si sint ordinis senatorii, etc. Cette impression générale suffit : les nouveaux réunis vont naturellement et sans contrainte à la messe, quand on leur dit qu'ils doivent vivre en catholiques. On n'en trouve point qui fassent une espèce de protestation sur leur créance contre la messe : pas un ne dit qu'il n'y croit pas, quand il y va ; et ce serait un grand scandale, si l'on entendait ce langage : « On veut que j'aille à la messe, je n'y crois pas. » Ce n'est point là l'état où se trouvent deux cent mille réunis qui sont en Languedoc.

Il est vrai que les lois anciennes ne font pas cette distinction : les premières ne parlent que d'une contrainte qui comprend tous les exercices en général. Justinien dans sa Novelle cix a été plus loin, et n'a pas cru qu'on put réputer un homme catholique, qui n'aurait pas reçu la communion : Igitur sacram communionem in Ecclesiâ catholicâ non percipientes à sacerdotibus, hœreticos juste vocamus ; et il prive les femmes de leur dot, si elles ne la

1 LIV Cod. Theod., de Hœreticis.

 

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reçoivent pas : Nisi sacram et adorabilem communionem à Deo amabilibus Ecclesiœ catholicœ Sacerdotibus acceperint. C'est peut-être ce qui a déterminé, dans les siècles suivans, tous les conciles tenus en Languedoc contre les albigeois, de les obliger de communier trois fois l'année, puisque les lois romaines y étaient établies, que l'on a voulu être aussi bien observées pour la religion que pour les contrats, substitutions et autres matières civiles. Quoi qu'il en soit, il est inutile de porter plus loin cette dissertation. On ne veut point de loi précise pour la messe : on ne demande qu'une liberté de porter les réunis aux exercices de la religion par des voies justes et modérées. Et comme le premier exercice d'un catholique est d'aller à la messe, on demande seulement qu'on ne trouve pas mauvais qu'ils y aillent, lorsqu'on n'est pas assuré que leur foi soit encore bien affermie.

On n'a garde de tenir quittes les réunis de tout autre exercice de religion, pourvu qu'ils viennent à la messe : cela n'a jamais été dit ni prétendu ; au contraire, c'est à la messe qu'on leur apprend les principes de la religion et les règles de la discipline. C'est là qu'on leur enseigne qu'un bon chrétien doit s'unir avec Jésus-Christ, en participant au sacrement de sa chair et de son sang ; c'est là qu'on leur fait voir que notre religion ne consiste pas dans un culte extérieur, et qu'on leur montre à adorer Dieu en esprit et en vérité. On souhaite qu'ils viennent à la messe pour leur enseigner ces vérités : c'est le seul temps où ils peuvent être instruits et rassemblés. En recevant l'instruction, ils s'accoutument au mystère, ils le commissent : ils se désabusent par eux-mêmes des fausses impressions qu'on leur a données ; et l'on tire ce double fruit, quand ils y vont, qu'ils connaissent la messe, et qu'ils apprennent en même temps leurs autres devoirs.

Rien de plus vrai que ce n'est pas dans la messe seule que consiste l'exercice de la catholicité. On a peut-être appuyé sur la messe, parce que c'est une des principales fonctions de la religion que d’y assister ; parce que la messe a toujours été comme un signe et un caractère de distinction entre le huguenot et le catholique ; parce que l'assistance au sacrifice approche davantage de la participation du sacrement ; parce que c'est un exercice de la religion

 

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catholique, qui se réitère plus souvent ; enfin parce que la messe est accompagnée de prônes, de sermons, d'instructions et de tout ce qui peut augmenter et nourrir la foi. Mais on n'a jamais prétendu que ce soit dans la messe seule que consiste la pratique de la catholicité : nous sommes tous d'accord sur ce point.

On pourrait citer et les lois de Justinien, et tous les conciles tenus sur l'hérésie des albigeois, pour montrer que les princes et l'Eglise ne se sont pas toujours contentés de prescrire la pratique en général de la religion, et qu'ils sont entrés dans le détail des exercices. Mais ce n'est pas le fait dont il s'agit : on convient du principe, que ce n'est pas dans la messe que consiste la catholicité.

« Je demande pourquoi l'on n'emploie pas la même contrainte pour obliger les hérétiques à se confesser, que pour les obliger d'aller à la messe? » etc.

Premièrement, ce raisonnement semble trop prouver, et n'a jamais été fait lorsqu'il a été question d'éteindre les hérésies. On ne peut pas douter que les hérétiques n'aient été contraints à pratiquer la religion catholique, par conséquent d'aller à la messe, qui est le premier de ses exercices. On ne peut pas croire que dans les premiers temps qu'ils ont été forcés d'aller à l'église, ils aient eu une foi bien vive sur tous nos mystères, qu'ils ne croyaient  pas pour la plupart. Parce qu'ils ne se confessaient pas et ne communiaient pas, était-on agité de ce scrupule ? les mettait-on au rang des mécréants ? disait-on qu'étant persuadés que la messe était une idolâtrie, il ne fallait pas les presser d'y aller? On voit par les lois qu'ils étaient contraints d'aller à la messe comme à tous les autres exercices : mais l'on ne voit point que l'on se soit embarrassé de ce raisonnement. Dans les premiers temps, les hérétiques ont été reçus à l'église, où la puissance temporelle les obligeait d'aller : ils y ont été instruits ; et accoutumés peu à peu, ils sont parvenus par l'instruction à croire les mystères. On a eu de la patience à leur égard, on les a attendus : ils se sont détachés l'un après l'autre, et tous enfin ont perdu le souvenir de leurs erreurs. Il en est de même des religionnaires de ce temps. L'expérience nous apprend que rien n'avance, quand ils ne viennent

 

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pas à l'église et à la messe : ils demeurent comme dans un sommeil léthargique, qui les conduit à une mort certaine ; et quand ils sont modérément pressés d'aller à la messe, tous les jours il y a quelqu'un d'entre eux qui se détache, qui se fait sincèrement catholique, et demande de lui-même les sacrements. On ne les lui propose que quand il est bien disposé. Si on veut donc les obliger d'aller à la messe sans les obliger de recevoir les sacrements, c'est qu'on ne peut avancer pour les rendre catholiques sans faire ce premier pas. Le progrès de la religion demande du temps : il faut attendre que le Ciel ait mis dans leur cœur ces heureuses dispositions que l'Eglise demande, et que les supérieurs doivent discerner. Si l'on renvoie souvent les anciens catholiques, même pour la communion pascale, pourquoi ne la différera-t-on pas à l'égard des réunis? pourquoi l'Eglise n'espérera-t-elle pas que le temps et l'instruction pourront effacer du cœur d'un mauvais converti les impressions fâcheuses qui y sont encore ? Il vient à la messe ; il écoute : il faut espérer sa conversion, et non pas le traiter rigoureusement comme mécréant.

Secondement, l'idée de ces mécréants manifestes ne convient ni à l'usage ni aux discours de nos réunis. On n'en trouve point qui disent publiquement qu'ils ne croient pas, et qui s'en fassent honneur : au contraire, quand après avoir assisté assez longtemps à la messe, on leur remontre qu'il est du devoir d'un bon chrétien de s'approcher des sacrements, au moins une fois l'année, ils disent : « Cela viendra, je m'instruis ; il me faut encore un peu de temps. » Voilà le langage qu'ils tiennent. Faut-il pénétrer dans le fond de leurs cœurs, pour interpréter leurs discours dans un mauvais sens ? N'est-il pas plus raisonnable de les supporter avec charité, et de les attendre avec patience ?

Voici l'endroit le plus important, et à proprement parler le nœud de la difficulté. On convient qu'on doit recevoir à la messe les réunis, quand on peut présumer qu'ils y viennent de bonne foi ; et l'on fait consister cette bonne, foi à les voir se présenter à tous les autres exercices. Ce principe convient-il au progrès de la religion? et cette maxime rigoureuse n'est-elle pas comme ces remèdes qui tuent le malade au lieu de le guérir ?

 

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Premièrement, on demande : Que faut-il faire de ces sortes de gens qui viennent à la messe, qui y assistent modestement, et qui pourtant ne se sont pas encore présentés aux sacrements ? les chassera-t-on de l'église? leur dira-t-on qu'ils ne seront plus reçus à la messe, qu'il leur est libre de vivre dans une autre créance que celle de la religion catholique? L'Eglise a-t-elle jamais pris un parti semblable? Combien d'âmes perdra-t-on, qui se seraient converties avec le temps? Que deviendra l'ouvrage du Roi, qui n'aboutira qu'à faire des mécréants? Il ne faut pas s'y tromper ; rien n'est si important que la résolution que l'on prendra sur ce point. Si la cabale des religionnaires peut découvrir qu'on tire cette conséquence : Cet homme va à la messe, il ne se confesse pas, il ne communie point; il faut le rejeter et ne le pas réputer catholique : elle fera les derniers efforts pour jeter dans cette perverse situation un grand nombre de personnes, qui feront gloire de dire qu'ils ne se confesseront ni ne communieront jamais ; et qui par cette adresse s'excluront eux-mêmes des exercices de la religion, et se feront fermer la porte de l’Eglise, où l'on avait dessein de les l'aire entrer. Tout le bien qu'on a fait jusqu'à cette heure sera renversé; et on leur apprendra par ce moyen à tenir des discours auxquels ils ne pensent pas maintenant, quoique les églises soient remplies presque partout en Languedoc, et que cela se soit fait sans violence et sans aucune peine. Il faut bien se garder d'exposer la foi de ces néophytes, encore faible, à de pareilles tentations, et de leur laisser entrevoir la moindre espérance de retour à leur ancienne créance. Les exercices de la religion catholique paraissent si difficiles à ceux qui ont vécu dans la liberté de la religion prétendue réformée, qu'il faut toujours craindre qu'ils ne s'en rebutent et qu'ils ne retournent à leur ancienne discipline, si on ne leur en ferme avec soin toutes les avenues.

Secondement, un principe n'est pas bon lorsqu'il tend à la destruction de l'ouvrage qu'on a dessein de perfectionner. Or exclure les réunis de la messe parce qu'ils ne pratiquent pas les sacrements, c'est détruire l'œuvre des conversions. Car il suit de là que tout homme qui dira qu'il ne veut pas les recevoir, doit être

 

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laissé dans une parfaite tranquillité : et sur la connaissance que nous avons de l'inclination et de la conduite des nouveaux convertis, il ne faut pas douter qu'un grand nombre ne prenne ce parti.

Troisièmement, un principe dont les extrémités sont trop grandes doit être évité : or il semble que les deux plus grandes de toutes les extrémités suivent de ce principe. Tout ou rien; tout, si on contraint les nouveaux réunis à tous les exercices ; rien, s'ils déclarent qu'ils ne sont pas disposés à recevoir les sacrements. N'y a-t-il pas un milieu entre ces deux fâcheuses extrémités ? Ne peut-on prendre d'autre parti que de les abandonner, ou de les porter à des sacrilèges ? N'est-il pas plus à propos d'attendre, d'espérer, de les instruire et de ne les pas condamner comme mécréants ? Ils viennent à la messe ; il faut espérer qu'ils feront le reste. Ce raisonnement n'est-il pas plus doux, plus conforme à l'esprit de l'Eglise que celui-ci : Ils viennent à la messe, ils ne veulent pas se confesser et communier : il faut les retrancher de l'Eglise ?

On dira peut-être qu'il ne s'agit pas de chasser de l'église ces réunis ; mais de savoir si on doit les contraindre de venir à la messe. A quoi je réponds que s'ils y viennent par une contrainte très-modérée, comme pourrait être une forte exhortation de la part de la puissance temporelle, accompagnée de quelques menaces, en excluant tous les moyens violents; on doit présumer qu'ils y viennent volontairement. Les moyens qu'on veut employer sont si doux, qu'on ne peut pas présumer que la volonté soit absolument contrainte ; et s'il faut traiter de mécréants ceux qui ne se présentent pas aux sacrements, il doit s'ensuivre qu'il faut exclure de l'Eglise la plupart de ces nouveaux convertis, qui y sont entrés sans aucune violence.

« Ce qui me fait donc penser qu'on ne doit pas contraindre à la messe ceux qu'on ose contraindre au reste des exercices, c'est que la répugnance opiniâtre qu'ils montrent à les pratiquer, fait voir qu'ils sont indignes de la messe comme du reste. »

Si on suit cette règle, l'ouvrage est abandonné : car si on ne porte pas les réunis à aller à la messe, que peut-on leur demander?

 

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Sera-ce d'aller à des instructions séparées de la messe? L'usage et l'expérience font connaitre que l'on ne gagne rien par ces instructions, impraticables dans la plus grande partie des paroisses : d'ailleurs cette séparation des anciens et des nouveaux catholiques entretient entre eux une désunion dangereuse d'esprit et de parti : on ne doit penser qu'à les unir, et à les confondre les uns avec les autres. Quand on a fait de semblables instructions pour les réunis seulement, ou ils n'y ont pas assisté, ou ils les ont écoutées avec répugnance comme des exhortations vaines et ennuyeuses. L'expérience nous fait voir qu'ils profitent beaucoup plus à un sermon, qui se fait tous les dimanches à la messe ; et que la vue du mystère, la prière commune qui s'y fait, la lecture de l'Evangile, et tout cet appareil de religion qu'ils y voient, les désabuse plus que tout ce que l'on peut leur représenter. Il serait juste qu'on s'en rapportât un peu à ceux qui ont pratiqué toutes, sortes de moyens, et qui ont sur cela une longue expérience.

Un mécréant manifeste ne doit pas être contraint d'aller à la messe : cela est vrai, et l'on aurait raison d'exclure de l'église, et de priver de l'assistance au sacrifice un homme qui dirait : « Je ne crois point. » Mais encore une fois, ce n'est point là notre système ; et c'est ce que nous ne voyons pas, ou très-rarement.

On doit prendre pour marque certaine de mécréance, une répugnance invincible à se confesser et à communier ; cela est vrai : mais pourquoi croire la répugnance invincible? La volonté de l'homme est sujette à un perpétuel changement du bien au mal, et du mal au bien. Nous voyons tous les jours revenir ceux des réunis qui paraissaient les plus éloignés. La dureté des cœurs s'amollit par les réflexions, par les instructions, par les exemples, par les inspirations : tel avait horreur des sacrements l'année dernière, qui les demande celle-ci. Y a-t-il de répugnance qui soit invincible à la grâce ? Pourquoi ne pas croire qu'elle viendra tôt ou tard sur cet endurci? Ainsi la maxime qui peut être véritable dans la thèse générale, ne l'est pas dans l'hypothèse; et il semble qu'il n'est pas avantageux à l'Eglise qu'on en fasse l'application.

 

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« Je distingue pourtant ici entre exclure les hérétiques de la messe, ou les y contraindre. Je ne les exclurai pas, quand je pourrai présumer qu'ils viennent de bonne foi, et du moins avec quelque bon commencement des dispositions nécessaires. »

Nous voilà d'accord par cette règle : c'est précisément l'état des réunis de Languedoc : on peut présumer qu'ils viennent de bonne foi. On voit en la plupart un commencement des dispositions nécessaires : mais c'est une foi faible, qu'il faut encourager et soutenir par des condescendances charitables, bien loin de la déranger ou de l'affaiblir par des craintes indiscrètes, ou par des soupçons d'hypocrisie ou de mauvaise conduite.

« Mais quand je les vois déterminés à ne passer pas outre, c'est-à-dire à refuser la confession et ses suites, je prends cela pour marque évidente d'incrédulité ; et les contraindre à la messe en cet état, c'est les induire à erreur, etc. »

Pour cette règle-ci, elle peut causer dans son application de grands inconvénients ; si l'on s'y arrête avec exactitude. Il faut abandonner la meilleure partie de ces brebis égarées, qu'on pourrait autrement ramener dans le bercail. On prie encore M. de Meaux de marquer en quel temps de l'Eglise on a suivi cette conduite, de traiter de mécréants et de chasser de l'église ceux qui viennent à la messe en vertu des lois des empereurs, lorsqu'ils ne se présentent pas encore à la confession et à la communion. Quand est-ce qu'on a traité leur répugnance d'invincible ?

Quant à l'idée qu'ils prennent de la religion, c'est à la messe qu'on leur enseigne qu'elle ne consiste pas dans un culte extérieur, c'est là qu'on leur explique ce qu'ils voient et ce qu'ils entendent ; et ce n'est que là qu'ils peuvent être bien désabusés de toutes les fausses impressions qu'ils ont reçues sur ce mystère : l'expérience le fait connaitre tous les jours.

La disposition des religionnaires auprès de Paris pourrait être très-différente de celle où se trouvent ceux du Languedoc. On ne répétera point ici la facilité qu'il y a de les porter à tous les exercices de la religion, quand on veut s'y appliquer ; le peu de répugnance même qu'ils ont à se confesser et à communier, pour

 

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peu qu'on voulût les presser sur ces articles : mais il vaut mieux attendre qu'ils le désirent et qu'ils le demandent. Il faut laisser croître leur foi, et prendre garde de ne pas les engager à des confessions et à des communions prématurées. Je remarque seulement cette disposition, pour faire connaître à M. de Meaux que nous ne voyons point cette répugnance invincible, qui le frappe avec raison, et qui paraît le fondement le plus solide de son opinion. Cependant il est de la prudence d'appliquer les remèdes suivant les dispositions des malades. Si deux cent mille nouveaux convertis ne sont pas disposés en Languedoc, comme l'est un petit nombre auprès de Paris, ce serait tomber en erreur que de ne faire aucune distinction de ces deux états différais, et de vouloir réduire le plus grand nombre aux règles du plus petit.

La première réflexion qu'il y a à faire sur l'ordre de la Cour, est qu'il n'est pas général : il n'a été envoyé ni en Languedoc ni en Guyenne, qui sont du département de M. de la Vrillière. M. de Torcy l'a envoyé en Dauphiné : le grand-vicaire de M. de Valence l'a reçu en son absence ; il en a distribué des copies à ses curés, qui l'ont lu publiquement et sans discrétion. Sur ce fondement, la cabale des religionnaires, qui subsiste encore et qui est toujours attentive à tous les événements, s'est imaginé que le Roi voulait se relâcher à l'avenir: elle a insinué que cet ordre de voit être considéré comme le premier pas, pour parvenir à une liberté entière de ne plus pratiquer aucun exercice ; et cette fausse conjecture, répandue dans le parti, a retardé pour longtemps tout le bien qu'on a pu faire par les missions et par les soins assidus de plusieurs années. Je sais cette histoire du grand-vicaire même de M. de Valence, dont une partie du diocèse est en Dauphiné, et l'autre en Vivarais, qui fait partie du Languedoc. Cet ecclésiastique se crut obligé de me consulter par cette raison, pour savoir s'il rendrait cet ordre public dans cette province, comme il avait déjà fait dans l'autre. Je connus le danger, et je le priai de n'en rien faire, ces ordres ne devant pas être ainsi exposés aux yeux du public, pour les mauvaises et fausses conséquences qu'on en peut tirer. L'ordre en effet n'a point paru dans mon département. Je n'ai pu comprendre d'où venait cette diversité de sentiments ; et

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j'ai toujours mieux reconnu que pour le bien de la religion, il n'y a rien tant à désirer que l'uniformité de conduite.

M. de Meaux connaît parfaitement l'abus des nouveaux convertis, qui cessent de remplir leurs devoirs quand ils sont mariés : abus insupportable qui arrive très-souvent, et qu'on ne peut trop tôt réprimer. Mais si l'on fait scrupule d'admettre et de contraindre par des voies modérées, ces sortes de gens d'aller à la messe, comment en usera-t-on à leur égard, quand ils diront qu'ils n'ont plus de foi, qu'ils ne peuvent se résoudre à se confesser et à communier ? Si la répugnance paraît invincible, il faudra donc cesser à leur égard toutes sortes de contraintes pour les exercices ; et si on les punit comme relaps, cette punition, ou la crainte de la recevoir, ne sera-t-elle pas pour eux une véritable contrainte, qui les portera aux sacrilèges et à tous les inconvénients que l'on craint? D'où l'on conclut que l'Eglise étant maîtresse de la discipline, d'avancer ou de différer les confessions et les communions suivant qu'elle le juge à propos, elle pourrait se contenter quant à présent de voir le troupeau réuni sous le même toit, en état, souvent même en volonté d'être instruit et éclairé, et donner le reste au temps, aux soins des pasteurs, à l'habitude même, qui n'est pas indifférente en matière de religion. Il faut se contenter de les pêcher avec l'hameçon, sans vouloir les prendre tous d'un coup de filet.

J'ajouterai un mot à l'égard des mariages. Ce n'est pas assez de punir ceux qui, après être mariés, abandonnent les exercices de la religion catholique : il est très-nécessaire de faire une loi pour punir ceux qui habitent ensemble sans se marier à l'église. C'est un désordre qui se répand impunément ; et si l'on n'y met ordre, l'extinction de l'hérésie en France sera la source d'un concubinage public, et de ces unions illégitimes et scandaleuses. J'ai envoyé plusieurs mémoires sur ce sujet, qui se réduisent à punir les pauvres par la prison s'ils ne veulent pas se séparer, et à poursuivre les riches rigoureusement, en vertu de la déclaration du 7 septembre 1697, à la requête des promoteurs, qu'il faudrait aider de toute la puissance temporelle.

M. de Meaux dira peut-être : Que veulent donc précisément

 

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ces gens de Languedoc? Qu'ils s'expliquent clairement. Voici ce que je voudrais en mon particulier, et dont je serais très-content.

Premièrement, que le Roi continue les secours qu'il donne pour les missions, qui sont suffisants, et qui s'emploient très-utilement.

Secondement, que l'on ne trouve pas mauvais que les intendants pressent, sollicitent sans relâche les nouveaux convertis de pratiquer la religion catholique qu'ils ont embrassée, en faisant abjuration de la protestante ; qu'ils s'en tiennent pourtant, dans leurs exhortations, aux termes d'assister aux instructions, à l'église, à la messe ; qu'ils regardent la réception des sacrements comme une matière très-délicate, qui doit uniquement dépendre des pasteurs de l'Eglise ; qu'ils s'abstiennent même, autant qu'ils pourront, de parler nommément de la messe, et qu'ils se réduisent ordinairement à l'observation générale des exercices : cela suffit dans la plupart des endroits.

Troisièmement, en Languedoc on ne s'est encore servi que de ces exhortations générales pour la messe : on n'a employé ni amende, ni peines, ni logement de gens de guerre. Mais on reconnaît qu'il y a certains cantons où le peuple ignorant et grossier, n'étant presque point capable de discipline et d'instruction, ne saurait perdre qu'avec peine la répugnance qu'il a pour les exercices de notre religion, où il trouve plus de difficulté et plus d'assujettissement que dans celle qu'il professait. N'aurait-on pas raison de réduire par de petites amendes ces gens-là, qui ne se conduisent que par leurs intérêts : non pas précisément parce qu'ils n'assistent pas à la messe, mais parce qu'ils ne pratiquent pas les exercices de la religion catholique? Et le choix de ces lieux, où ces petites punitions sont nécessaires, ne devrait-il pas dépendre de ceux qui travaillent avec application, depuis plusieurs années, à cette grande affaire, de concert avec MM. les évêques?

Quatrièmement, il n'y a qu'à suivre ce qui est prescrit par la dernière instruction du Roi pour l'éducation des enfants. Il ne faut pas seulement trouver à redire si on met des filles au-dessus de douze ans dans des couvents, ou des garçons au-dessus de quatorze dans des pensions. L'expérience n'apprend que trop le danger qu'il y a de remettre les enfants à leurs pères et mères à cet

 

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âge-là : ils sont alors plus soumis que jamais à la puissance paternelle, et plus susceptibles de toutes sortes de mauvaises impressions. Il faut laisser à la discrétion des évêques à se régler sur les bonnes ou mauvaises dispositions qu'ils verront dans les pères ou dans les enfants.

Je finis dans ce mémoire, peut-être trop long, par ces deux réflexions.

La première, pourquoi craint-on de contraindre les nouveaux convertis d'aller à la messe, dans certains endroits, par des moyens très-doux, puisqu'on en emploie déjà de très-forts qui tendent à la même fin ? N'est-ce pas contraindre que d'ôter à un père ses enfants s'il ne va pas à la messe, de le priver de ses charges, de sa profession, du moyen de gagner sa vie, des biens qu'il possède, s'ils ont appartenu à des parents fugitifs ? Disons plus, n'est-ce pas contraindre un homme mourant à recevoir les sacrements, que de lui représenter la ruine entière de sa famille par la confiscation de ses biens, s'il ne meurt pas en bon catholique? Cependant par les dernières instructions et par les déclarations qui s'observent, on pratique toutes ces espèces de contraintes. Un réuni qui se détermine par ces motifs à aller à la messe, y va-t-il avec une volonté plus libre que celui qui prendra son parti par la crainte d'une amende ?

La dernière réflexion est qu'on ne peut assez considérer l'importance du temps présent, pour achever ce grand ouvrage. Les vaines espérances qu'on avait données aux religionnaires sont évanouies ; ils sont détrompés de toutes les chimères dont ils ont eu l'esprit rempli: tout a succédé au Roi heureusement; et il semble que l'on peut compter sur une paix profonde et durable. Quand trouvera-t-on une conjoncture plus heureuse et de plus belles dispositions? Si l'on suit avec un peu de vigueur et de fermeté ce qui est déjà si avancé, on en verra la fin : au contraire si l'on se relâche, si l'on tient une conduite lente, le bon temps s'écoulera; et les restes de l'hérésie, qu'on pouvait entièrement éteindre, seront peut-être encore redoutables quand la guerre recommencera.

Je crois devoir encore ajouter ce que disait, il y a peu de jours,

 

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M. de la Guerre, frère de M. de Bonrepos : c'est un saint homme nouveau converti, qui fait de grands biens pour la religion, par son zèle, par sa capacité et par les bons exemples qu'il donne. Il avait été persuadé plus que personne qu'il ne fallait pas contraindre les réunis à aller à la messe: l'expérience l'a fait changer d'avis ; et il disait qu'il a remarqué que c'est un état trop violent à l'homme, de professer extérieurement une religion quand il n'en est pas persuadé, pour qu'il dure longtemps ; et que de là vient que ceux qui vont à la messe par politique, ou par la crainte de quelque peine, s'y accoutumant peu à peu, ils viennent à croire tout de bon, et à faire sincèrement ce qu'ils ne faisaient que par des motifs humains. C'a été la pensée de saint Augustin, qui ne s'est pas embarrassé de ce scrupule, lorsqu'il a dit qu'il fallait les contraindre, afin qu'ils commencent à être tout de bon ce qu'ils avaient voulu feindre : Ut incipiant esse quod decreverant fingere.

 

LETTRE XXXIX.  
M. L'ÉVÊQUE DE MIREPOIX A M. DE BASVILLE.

 

J'ai beaucoup réfléchi, Monsieur, sur ce que M. l'évêque de Meaux vous mande au sujet des nouveaux convertis. Il me paraît que la difficulté qu'il fait d'approuver qu'on les contraigne par des peines légères à assister à la messe, vient de ce qu'il regarde la messe comme on regarde les sacrements, qui ne profitant qu'à ceux qui les reçoivent, demandent en eux des dispositions de foi, de désir et d'amour sans lesquelles ils n'y participeraient que pour leur condamnation. Il est vrai qu'il y a une manière d'assister à la messe, qui demande des dispositions presque semblables à celles qu'il faut apporter à la communion. C'est sur ce fondement que les anciens croyaient  que ceux qui n'étaient pas en état de participer à l'Eucharistie, n'étaient pas dignes d'assister à la célébration des saints mystères. Mais comme la messe est un sacrifice qui n'est pas seulement offert par les fidèles, auquel cas il demande les dispositions de foi, de désir et d'amour que demandent les sacrements; mais encore un sacrifice offert pour les fidèles

 

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et pour les fidèles pécheurs, auxquels il profite non comme les sacrements à ceux-là seulement qui les reçoivent, mais comme les prières à ceux pour qui on les offre : il faut, ce me semble, faire une grande différence de l'assistance à la messe, à la participation des sacrements.

La messe est, à l'égard des pécheurs pour lesquels on l'offre, une sorte de prière ; mais une prière incomparablement plus excellente que les autres, dans laquelle Jésus-Christ immolé mystiquement par la parole du prêtre, s'offre lui-même en cet état à son père, et intercède envers lui pour les pécheurs. Or comme on n'a jamais pensé qu'il y eût aucune irrévérence d'obliger les pécheurs d'assister aux prières que l'on fait pour eux, il semble qu'il n'y en peut pas avoir davantage à les obliger d'assister à un sacrifice que l'on offre pour eux. Il y en aurait sans doute, si on voulait les obliger à offrir eux-mêmes avec le prêtre et avec Jésus-Christ, qui est le principal prêtre, le sacrifice de la messe ; ce qui est sans contredit la meilleure manière d'y assister ; mais manière qui ne peut convenir qu'aux fidèles, qui étant par la charité unis à Jésus-Christ comme à leur chef, sont en état de s'offrir en lui et par lui, comme ne composant avec lui qu'un même corps, ce qui fait qu'ils sont appelés prêtres par saint Pierre et par saint Jean

Les pécheurs, que la discipline de l'Eglise d'aujourd'hui n'exclut point de la célébration des saints mystères, quand ils ne sont point excommuniés, n'y peuvent assister en cette manière, puisque n'étant pas unis avec Jésus-Christ par la charité, ils ne composent pas avec lui un même prêtre et une même victime. Il faut donc qu'ils y assistent en la seconde manière : et c'est en cette seconde manière que l'on peut et que l'on doit, ce me semble, contraindre les nouveaux convertis d'y assister, non comme à un sacrifice qu'ils offrent, mais qu'on offre pour eux, conformément aux paroles du canon : Pro quibus tibi offerimus vel qui tibi offerunt. Il est même à remarquer qu'on prétend que ces premières paroles ne se disaient pas anciennement, et peut-être par la raison que l'on ne souffrait point alors que personne assistât au sacrifice que ceux qui étaient en état de l'offrir avec le prêtre.

1 I Petr., 11, 5, 9; Apoc, 1, 6 ; V, 10 ; XX, 6.

 

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Mais quand il serait vrai qu'eu contraignant les nouveaux convertis les plus opiniâtres à assister à la messe, on ferait si Ton veut quelque plaie à la discipline présente, nous sommes dans une de ces occasions où l'utilité qui en reviendra infailliblement à l'Eglise, récompensera avantageusement ce qu'elle peut perdre par le relâchement de sa discipline. Car il ne s'agit pas ici du salut de quelques particuliers; mais d'un nombre très-grand de nouveaux convertis, et particulièrement des enfants qui vont se perdre et s'attacher à la secte de leurs pères, ou plutôt vivre dans l'irréligion où vivent leurs pères, si l'on ne contraint généralement tous les nouveaux convertis à assister à la célébration des mystères.

Ainsi jamais on n'a eu tant de raison de dire ce que disait saint Augustin dans une cause presque semblable : « Dans les causes où, vu la violence et l'étendue des divisions, il ne s'agit pas seulement du salut de quelques particuliers, mais où l'on doit travailler à ramener des peuples entiers, il faut relâcher quelque chose de la sévérité de la discipline, afin qu'une charité sincère puisse apporter des remèdes convenables à de plus grands maux : » In hujusmodi causis, ubi per graves dissensionum scissuras non hujus aut illius hominis est periculum, sed populorum strages jacent, detrahendum est aliquid severitati, ut majoribus malis sanandis charitas sinecra subveniat (1). L'Eglise a toujours suivi cette maxime, quand il a été question de ramener à l'Eglise des peuples entiers de schismatiques et d'hérétiques ; et vous le pouvez voir, Monsieur, assez au long dans le Mémoire que je vous donnai aux Etats derniers.

Que s'il en faut juger par l'expérience, il n'y a que trois mois ou environ qu'on a commencé de faire venir tout le monde à la messe à Mazères ; et cependant il y en a des plus opiniâtres qui m'ont avoué qu'ils y venaient au commencement avec une grande répugnance, mais qu'à présent ils y venaient non-seulement sans peine, mais avec plaisir. Or que sera-ce si l'on continue de les y faire venir ? que sera-ce dans un an et dans deux ans ? Il n'y a point de doute qu'on n'y voie un très-grand changement. Dans

 

1 Epist. CLXXXV, ad Bonif., de Corr. Donat., n. 45

 

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le fond, si ceux qui sont si opiniâtres avaient tant d'horreur pour la messe, ils n'y viendraient pas si facilement, et il faudrait des peines plus grandes pour les y obliger.

Quant à ce que M. de Meaux ajoute, que c'est leur donner une faible idée de la sainteté de nos mystères que de les y admettre, même de les y contraindre dans les dispositions où ils sont : il est aisé de remédier à cet inconvénient par les instructions qu'on leur fera sur la grandeur et la sainteté des mystères qui s'opèrent à la messe, que la seule créance de la présence réelle de Jésus-Christ sur l'autel relève si fort au-dessus de la cène des protestants ; outre que la manière dont les catholiques assistent à la messe, si différente de celle dont les protestants assistaient à la célébration de leur cène, est seule capable de leur faire sentir la différence qu'il y ade l'une à l'autre.

Je finis, Monsieur, en vous assurant que je trouve déjà des changements très-avantageux à Mazères, depuis qu'on y contraint tout le monde aux exercices; et voici un fait considérable qui le fait voir bien clairement.

Il y a dans cette seule ville jusqu'à quarante-cinq mauvais mariages de nouveaux convertis, qui vi voient dans une extrême indolence à l'égard de leur état. Mais depuis qu'ils ont vu qu'il fallait venir à tous les exercices, et que pour peu qu'ils ajoutassent à ce qu'on exigeait d'eux, ils pourraient sortir de ce malheureux état, plus de la moitié sont venus me demander : « Que faut-il que nous fassions pour être mariés légitimement? » Je leur ai prescrit : premièrement, de se séparer d'habitation de leurs prétendues femmes pendant un mois entier, pendant lequel, s'ils n'étaient pas suffisamment instruits, ils se feraient instruire ; et j'ai commis des personnes pour instruire les hommes et les femmes : secondement, que dans le même délai ils feraient leur confession, et verraient pour cela le confesseur qu'ils choisiraient, autant de fois qu'il serait nécessaire, jusqu'à ce qu'ils eussent reçu l'absolution de leurs péchés : troisièmement, qu'ils déclareraient publiquement qu'ayant manqué aux engagements qu'ils avaient pris dans leur abjuration, ils venaient présentement de leur mouvement, et sans aucune contrainte, faire profession de la religion

 

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catholique, et protester en présence de cette même Eglise qu'ils étaient résolus d'y vivre et d'y mourir. Ils se sont tous agréablement soumis à ces trois ou quatre choses, et j'espère qu'avant la fin de ce mois, il y en aura plus de la moitié de mariés.

Vous voyez ce qu'a produit une contrainte générale de trois ou quatre mois. Je ne doute pas qu'on n'en voie chaque jour de nouveaux fruits ; les choses y paraissent plus disposées que jamais. La ligue que le Roi a faite avec l'Angleterre et la Hollande, pour le partage de la succession de l'Espagne, leur ôte toute espérance de pouvoir jamais être secourus de ce côté-là. Ainsi, Monsieur, rien n'est plus important que de les faire entrer bon gré, mal gré, dans l'Eglise ; et il semble qu'on ne s'y oppose plus du côté de la Cour, qui était la seule chose qui pouvait vous retenir. Il est inutile de vous répéter les raisons de notre avis, et vous les savez d'ailleurs mieux que personne. Je suis, etc.

 

RÉFLEXIONS DE M. L'ÉVÊQUE DE MIREPOIX Sur la lettre de Bossuet à M. de Basville.

 

M. de Meaux convient que les princes peuvent contraindre à tous les exercices de la religion catholique les hérétiques qui s'en sont écartés, et que l'Eglise a autorisé ces contraintes en les demandant elle-même aux princes : mais il ne voudrait pas qu'on les employât particulièrement pour la messe, surtout dans le temps que l'on se garde bien de les employer pour les sacrements. Il croit que ceux qui soutiennent qu'on doit les contraindre d'assister à la messe, et les laisser dans une entière liberté pour les sacrements, ou ne prouvent rien ou prouvent trop ; et qu'ainsi ou il faut les contraindre aux sacrements, ce que personne ne soutient, ou ne les pas contraindre à la messe.

Il ajoute à cela que par cette conduite on leur donne sujet de croire que la religion ne consiste que dans l'assistance à la messe, et encore dans une assistance forcée, et sans aucun rapport aux dispositions nécessaires pour y assister utilement. Il conclut que ceux des nouveaux convertis qui vont à la messe par contrainte, et avec protestation de n'aller pas plus avant dans la pratique

 

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des sacrements, doivent être regardés comme des mécréants, et par conséquent, qu'ils ne doivent être contraints ni à l'assistance à la messe, ni à la pratique des sacrements.

Il met pourtant une restriction à sa règle, à l'égard de ceux qui, pour se marier ou pour réhabiliter leurs mariages, auraient tout promis ; et il croit pouvoir démontrer que c'est tout perdre, que de laisser en repos ces sortes de relaps. Ainsi il semble vouloir qu'on les contraigne à tout, et à la pratique des sacrements aussi bien qu'à l'assistance à la messe.

Voilà, si je ne me trompe, le précis de la lettre de M. l'évêque de Meaux, sur laquelle on peut faire les réflexions suivantes.

 

PREMIÈRE RÉFLEXION.

 

Que selon M. l'évêque de Meaux, dès qu'on a promis et qu'on s'est engagé à tout, on peut et on doit être contraint non-seulement à l'assistance à la messe, mais encore à la pratique des sacrements : car dans son sentiment ces deux choses ne doivent pas se séparer. Ainsi tous ceux qui ont promis, non-seulement pour se marier, mais pour d'autres motifs, quels qu'ils soient, auront beau dire qu'ils croient que la messe est une idolâtrie, et que si on les contraint d'y aller, ils se garderont bien d'avancer jamais davantage dans la pratique des sacrements; ils ne pourront point être regardés comme des mécréants, quelque protestation d'incrédulité qu'ils fassent; et on sera en droit de les contraindre et à la messe et aux sacrements, parce qu'ils se seront engagés à l'un et à l'autre.

Mais pourquoi les nouveaux convertis, dont la plupart ont fait leur abjuration sans contrainte, et surtout dans le diocèse de Meaux, comme M. l'évêque de Meaux l'a écrit lui-même, dont plusieurs se sont approchés volontairement des sacrements dans le commencement, pourquoi seront-ils regardés comme des mécréants, dès qu'ils diront, peut-être encore plus de la bouche que du cœur, qu'ils ne vont à la messe que par contrainte, la regardant comme une idolâtrie, et qu'ils déclareront qu'ils ne veulent point s’approcher des sacrements? Pourquoi acquerront-ils par cette protestation le droit de n'être pas contraints d'aller à la

 

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messe, que ceux qui se sont engagés à tout pour se marier ne peuvent point acquérir par une semblable protestation ? Pourquoi les uns seront-ils censés mécréants plutôt que les autres ? Mais ce nom de mécréants peut-il convenir à des chrétiens baptisés, qui croient en Jésus-Christ et en son Eglise, et qui feront quelquefois cette protestation dans la vue de se faire laisser dans le repos de mort, dans lequel ils cherchent à s'endormir ? Que si ce nom leur convient, et s'il leur donne le droit de ne pouvoir être contraints à l'assistance à la messe, pourquoi une semblable protestation, qui sera quelquefois plus sincère dans ceux qui ont tout promis pour se marier, ne leur acquerra-t-elle pas un semblable droit? Ne pouvons-nous pas dire ici à M. l'évêque de Meaux que le titre de mécréants, par lequel il veut exempter les nouveaux convertis d'aller à la messe, ou prouve trop ou ne prouve rien ?

DEUXIÈME RÉFLEXION.

 

Il semble que M. l'évêque de Meaux change l'état de la question, pour avoir droit d'en conclure que le sentiment des évêques de Languedoc prouve trop ou ne prouve rien. Il n'est pas vrai qu'on donne à entendre aux nouveaux convertis, qu'on contraint d'abord seulement à l'assistance à la messe, qu'on ne leur demandera jamais rien à l'égard des sacrements; et ils ont si peu lieu de le croire, que plusieurs de ceux qu'on n'a songé de contraindre qu'à l'égard de la messe, se sont disposés volontairement à s'approcher de la confession. On commence par l'instruction, à quoi M. de Meaux ne trouve point d'inconvénient : on y ajoute l'assistance à la messe, parce que c'est un des exercices de la religion catholique qui recommence tous les huit jours ; en sorte qu'on ne peut être catholique pendant huit jours sans assister à la messe, et qu'on peut l'être plusieurs mois sans être obligé de participer à aucun des sacrements. On espère même que quand les nouveaux convertis auront rempli tous les devoirs de catholiques pendant quelques mois, ils s'approcheront volontairement des sacrements ; et c'est en effet ce qui arrive presque toujours. Il n'est pas même absolument nécessaire, pour remplir tous les devoirs de catholique pendant quelques années, de recevoir aucun

 

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sacrement. L'Eglise ordonne à la vérité à tous ses enfants de se confesser une fois l'année, et de communier à Pâques : mais elle ajoute : A moins que le confesseur ne juge à propos de différer et la confession et la communion. Ainsi pourvu que les nouveaux convertis se présentent à un confesseur dans le temps prescrit par l'Eglise, quand le confesseur leur différera l'absolution, on pourra dire qu'ils remplissent tous les exercices de la religion catholique. Or on a lieu de croire par l'expérience que l'on en a faite dans les provinces de Languedoc et de Guyenne, que les nouveaux convertis ne passeront point deux années dans cet état qu'ils ne se portent volontairement à s'approcher des sacrements.

 

TROISIÈME RÉFLEXION.

 

Que, quoique l'Eglise, dans les lois qu'elle a établies ou qu'elle a demandées aux princes temporels pour contraindre les hérétiques aux exercices de la religion catholique, n'ait pas distingué l'assistance à la messe ni la participation aux sacrements ; et qu'ainsi il ne faille jamais faire entendre aux nouveaux convertis qu'on ne leur demande point de s'approcher des sacrements, puisque ce serait leur donner lieu de croire qu'on peut être catholique sans y participer, ce qui serait sans doute une grande erreur : on ne voit point qu'il y ait aucun inconvénient à appliquer différemment la contrainte aux différents exercices de la religion, et à contraindre par des peines plus sévères à l'assistance aux instructions, par de très-légères à l'assistance à la messe, et par la seule exhortation à la participation aux sacrements; et c'est là précisément le sentiment des évêques de Languedoc, que nous examinons à présent.

 

QUATRIÈME RÉFLEXION.

 

Que les dispositions nécessaires pour pratiquer utilement les exercices de la religion catholique, étant différentes selon la nature de ces exercices, il semble absolument nécessaire de tempérer différemment la contrainte que l'Eglise croit que les princes peuvent employer pour obliger les hérétiques à les pratiquer. Ainsi comme en quelque état que l'on soit on peut entendre

 

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utilement les instructions qui se font dans l'Eglise catholique, et que par cette raison l'Eglise n'en a jamais exclu ni les infidèles, ni les hérétiques, ni les catéchumènes : il paraît certain qu'on peut employer les plus grandes peines pour obliger les nouveaux convertis à assister aux instructions, et ce point-là n'est contesté de personne. A l'égard de la messe, quoique pour en retirer tout le fruit que l'Eglise se propose il faille être en état de grâce, afin de pouvoir offrir le sacrifice avec le prêtre en qualité de membre vivant de Jésus-Christ, qui en est le principal Prêtre : cependant comme le sacrifice peut être utile même à ceux qui ne l'offrent pas, quand il est offert pour eux; et que c'est par cette raison que l'Eglise souffre non-seulement que les pécheurs qui ne sont pas excommuniés y assistent, mais que même elle leur ordonne d'y assister ; il semble qu'on ne peut pas disconvenir que les princes ne puissent employer de légères peines pour y faire assister les nouveaux convertis, qui ne paraissent pas devoir être regardés d'une manière différente des autres pécheurs. Il n'en est pas de même de la participation des sacrements, et surtout de la participation de l'Eucharistie, qui étant une nourriture de vie pour ceux qui y participent saintement, devient un poison mortel pour ceux qui osent s'en approcher enétat de péché. Ainsi quand la crainte d'engager les nouveaux convertis dans des sacrilèges énormes, fera changer en de simples exhortations les peines que les princes temporels ont autrefois employées pour obliger les hérétiques à y participer, loin d'en conclure qu'il ne faut pas les contraindre même par des peines légères à l'assistance à la messe, il faudra louer au contraire en cela la modération de l'Eglise d'aujourd'hui, comme plus conforme à l'esprit de l'Eglise et aux différentes dispositions qu'elle demande de ceux qui assistent à ses exercices, ou qui participent à ses sacrements.

 

CINQUIÈME RÉFLEXION.

 

Que les paroles de saint Augustin, dans sa Lettre à Vincent, montrent clairement qu'on contraignait les donatistes à assister à la messe dans les églises catholiques, quoiqu'ils fussent persuadés que les évêques et les prêtres catholiques n'étaient pas de

 

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véritables évêques ni de véritables prêtres, et qu'outre cela ils crussent qu'ils mettaient sur l'autel des choses que la piété ne permettait pas d'y mettre ; sans que l'Eglise ait fait aucune attention à la fausse persuasion dans laquelle ils étaient, ni qu'elle les ait jamais regardés comme des mécréants qu'il ne fallait pas souffrir dans l'Eglise pendant la célébration des divins mystères. Elle a cru qu'ils étaient obligés de déposer leur erreur, et de se conformer à la créance de l'Eglise catholique ; et c'est aussi ce que pensent les évêques de Languedoc à l'égard des nouveaux convertis.

 

LETTRE XL. 
M. L'ÉVÊQUE DE NIMES A M. DE BASVILLE. Réflexions sur la lettre de Bossuet, au sujet des nouveaux convertis.

 

M. de Meaux convient d'abord de l'autorité des souverains à forcer leurs sujets errants d'entrer dans la véritable religion, sous certaines peines. Ils sont, en effet, selon saint Paul (1), ministres de Dieu pour procurer du bien à leurs peuples, surtout le plus grand bien, qui est le salut, et ce n'est pas sans raison qu'ils portent le glaive.

Il propose ensuite deux sortes de sujets errants, qu'il faut conduire différemment : les uns corrigés, rendus attentifs à la vérité et portés de bonne foi à nos mystères ; et ceux-là il veut non-seulement qu'on les y reçoive, mais encore qu'on les y contraigne : les autres, faisant une profession publique de n'y pas croire, et refusant opiniâtrement d'y participer ; et ceux-ci il les juge incapables d'en profiter, et dignes même de châtiment avec la modération convenable. M. l'évêque de Meaux est en cela beaucoup plus sévère que nous : il veut qu'on contraigne même ceux qui sont déjà corrigés, et qu'on punisse ceux qui paraissent incorrigibles.

Ceux qu'on a corrigés et qu'on a rendus attentifs à la vente, ne sont plus dans le cas de la contrainte ; ils sont presque sortis des voies de l'erreur. La tribulation les a rendus sages, ils n'ont

 

1 Rom., XIII, 6.

 

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besoin que d'instruction et de connaissance ; et comme ils s'appliquent à connaître la vérité, la vérité les délivrera de leurs préventions : il faut les recevoir avec charité, et les attendre avec patience.

Ceux qui font une profession publique de ne pas croire nos mystères, et qui refusent opiniâtrement d'y participer, sont proprement ceux que M. de Meaux appelle errons, et sur qui nous croyons que doit tomber la contrainte pour les obliger de réfléchir sur eux-mêmes, pour affaiblir par une contrainte salutaire les préventions qui les retiennent, pour les accoutumer aux exercices de la religion qu'on veut qu'ils embrassent, et pour les désabuser des fausses impressions qui leur restent de nos mystères, en les y introduisant comme témoins et comme assistants, et les disposant insensiblement par les prédications qu'ils entendent, parles bons exemples qu'ils voient, par les pratiques de piété qu'ils exercent avec les fidèles, à se rendre dignes d'y participer.

M. de Meaux est d'avis qu'on peut châtier ces gens-là, qui sont par leur obstination incapables de profiter de la messe ; et nous demandons seulement qu'on les contraigne d'y assister avec respect, pour se rendre dignes d'en profiter.

M. de Meaux ne connaît pas sans doute l'état présent des nouveaux convertis de cette province. On n'y voit presque plus de ces opiniâtres déclarés, qui soient ouvertement opposés à la foi, et qui aient conservé dans leur cœur l'horreur qu'on leur avait donnée de nos mystères. Le temps ralentit les passions; les impressions d'erreur s'effacent, et une religion sans exercice s'affaiblit insensiblement. La plupart de nos nouveaux convertis ont perdu le zèle et la vivacité de leurs préventions : s'ils n'ont pas d'ardeur pour la religion catholique, ils sont du moins parvenus à n'en avoir point d'aversion ; en s'approchant de nous, ils s'accoutument peu à peu à nos pratiques. Lassés de vivre sans culte et sans consolation spirituelle, et ne prévoyant plus rien qui puisse rétablir leurs temples, ils sont sur le penchant de venir chercher leur salut avec nous dans nos églises. Un peu d'autorité, un peu de contrainte est capable d'en déterminer la plus grande partie :

 

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ils conviennent eux-mêmes qu'ils ont besoin de ce secours; et nous l'éprouvons tous les jours.

Il faut donc supposer, premièrement, que les hommes ne se défont pas aisément de leurs premiers préjugés ; et que les fortes habitudes, telles que sont celles de la naissance, ne se détruisent que par succession de temps et qu'autant que quelque nécessité les y oblige.

Secondement, que la contrainte ne peut pas tomber sur les dispositions intérieures, qu'il n'appartient qu'à Dieu qui sonde les cœurs de connaître et de pénétrer ; mais sur les actes extérieurs de la religion dont les hommes peuvent juger, et qui sont les seules preuves des bonnes ou mauvaises intentions de ceux qui les pratiquent.

Troisièmement, qu'il ne s'agit pas ici de conduire au vrai culte un petit nombre de gens savants, capables de goûter la raison et de la suivre, d'être ramenés par la persuasion, et de se rendre, attentifs à la vérité qu'on leur propose ; mais de réduire un grand nombre de peuples ignorants et grossiers, en qui il ne reste qu'une idée confuse de sa première religion, qui n'a d'autres principes de christianisme que ses préventions, qui demeure dans l'erreur par la seule raison qu'il y est né, et qui n'ayant qu'une aversion vague qu'on lui avait inspirée contre l'Eglise catholique, n'a presque besoin, pour y rentrer entièrement, que d'y être poussé par l'autorité du prince.

Quatrièmement, que s'il était possible de leur rendre la vérité si évidente que le souhaiterait M. de Meaux, et de les y rendre attentifs, il ne faudrait plus alors de contrainte : la seule force de la vérité suffirait, si Dieu voulait la leur rendre évidente ; mais il n'accorde pas ordinairement ces grâces extraordinaires, et sa miséricorde sauve plus universellement les hommes par la soumission que par la connaissance claire et distincte de ses vérités.

On doit considérer ensuite sur qui doit tomber la contrainte, et quel en doit être l'effet. Ceux qui pénétrés de la vérité de la religion et pressés parleur conscience, viennent s'offrir d'eux-mêmes, et demandent dans la sincérité de leur foi à participer aux sacrés mystères, y doivent être admis avec charité et avec joie ; et bien

 

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loin de les presser, il faut aller au-devant d'eux. Ce sont donc ceux que M. de Meaux appelle errants, qui ne croient pas, et qui ne veulent pas s'instruire de notre créance, qu'il faut mouvoir et qu'il faut contraindre.

La fin que le Roi s'est proposée, c'est d'abolir une hérésie enracinée depuis longtemps dans son royaume, et de ramener ses sujets errants dans le sein de l'Eglise catholique. Si parce qu'ils sont obstinés ils doivent être à couvert de l'autorité et de la contrainte, ils regarderont leur obstination comme un titre de repos et de sûreté pour eux, et n'en reviendront jamais. Parce qu'ils sont errants, faut-il les abandonner à leur erreur? L'état d'incrédulité ou d'irréligion dans lequel ils vivent, doit-il être une raison pour les y laisser? Faut-il qu'ils s'endorment tranquillement dans leur fausse paix ?

Les hommes ne reviennent qu'avec de grandes difficultés d'une habitude longue et invétérée. Le changement de mœurs et d'opinions coûte beaucoup : il faut tirer de grands secours de soi ou d'ailleurs pour se vaincre ; et l'esprit et le cœur ne se réduisent ordinairement que par la violence qu'on leur fait, ou par celle qu'ils se font eux-mêmes. Quelle apparence y a-t-il que des gens préoccupés se dépouillent, de leur propre gré, des préjugés qu'on a pris soin de leur inspirer dès leur enfance, dans lesquels ils ont été élevés, et qui sont pour ainsi dire presque adhérens à leur nature? Ils ont donc besoin d'être ébranlés et ramenés par. quelque violence étrangère, je veux due par la sévérité des lois et par l'autorité du prince.

Ces mouvements du dehors servent à exciter ceux du dedans, et à jeter dans les consciences ce trouble salutaire qui fait sentir d'abord aux plus obstinés les défauts de leur religion par les incommodités qu'elle leur cause, et les rend ensuite capables d'examiner leur état, d'écouter les instructions et les conseils des gens de bien, et de s'accoutumer aux exercices de la piété chrétienne.

Il se trouve, il est vrai, des difficultés et des inconvénients même dans les conduites différentes qu'on tient à l'égard des nouveaux convertis. La douceur ne les touche point ; la sévérité les rebute: l'une les entretient dans leurs erreurs; l'autre peut

 

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les rendre hypocrites. Mais enfin la condescendance n'émeut point, et la contrainte fait agir, et produit des fruits de bonnes œuvres du moins extérieures, dont le principe et le motif se purifient avec le temps. En tout cas ceux qui se soumettent aux actes, sont censés se soumettre aux dispositions que ces actes demandent.

Quoi qu'il en soit, il faut considérer l'entreprise des conversions comme une affaire générale, où l'on ne doit pas raisonner par quelques considérations particulières. Les abus que les hommes dévoient faire des sacrements n'ont pas empêché Jésus-Christ de les instituer, bien qu'il sût qu'ils seraient sujet de scandale et de ruine à plusieurs : il n'a regardé que le bien de ses élus, et la consommation de l'ouvrage qui lui avait été ordonné par son Père. On doit envisager sans cesse la fin qu'on s'est proposée dans cette affaire, qui est l'extirpation entière de l'hérésie dans le royaume, et la réunion de tous ses peuples à la foi et à la religion catholique; et ne pas s'arrêter trop sur quelques inconvénients particuliers, qu'il faut pourtant prévenir et corriger autant qu'on peut.

Mais la difficulté principale de M. de Meaux consiste à savoir, si l'on peut obliger d'assister à la messe ceux qui font une profession de n'y pas croire, qui refusent opiniâtrement de communier, sans témoigner même la non-répugnance pour cela, par où il faut commencer, soit parce que dans cet état ils sont incapables de profiter de la messe ; soit parce que c'est leur donner une faible idée de la sainteté du mystère, et leur inspirer de l'indifférence pour les bonnes dispositions qu'il faudrait avoir. Il n'y a personne qui ne convienne qu'il faut exclure de la messe ceux qui sont dans l'état que suppose M. de Meaux ; non-seulement la participation, mais l'assistance au saint sacrifice leur est interdite. Ils ne sont point du corps des fidèles : l'Eglise les regarde comme hérétiques; et les recevoir aux sacrés mystères, c'est intéresser son unité, et violer des règles dont elle ne s'est jamais relâchée.

Mais souffre-t-on dans le royaume ceux qui font profession publique de ne point croire? Le Roi n'y a-t-il pas interdit toute autre religion que la catholique ? A quoi servent tant de déclarations

 

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et tant d'édits ? Toute la rigueur de ses lois et la vigilance de ses magistrats doit s'attacher à réprimer ces rebelles : le zèle même des ministres de l'Eglise doit s'appliquer, par toutes les voies canoniques, à les soumettre à la seule foi catholique.

Mais outre qu'il n'y a pas beaucoup de personnes de cette espèce, il me paraît qu'on ne doit pas avoir tant d'égard à certaines déclarations particulières, que quelques malintentionnés font par esprit de parti, qu'à l'état général des nouveaux convertis, auquel on doit accommoder sa conduite.

On leur a fait abjurer l'erreur; l'Eglise les a reçus dans son sein : on a démoli leurs temples, interdit leurs prêches, puni leurs assemblées : on les a assujettis à s'épouser en face de l'Eglise; et on leur impose sous de grandes peines la nécessité de mourir dans la foi catholique et dans l'usage même des sacrements. Il semble que c'est une conséquence naturelle de les obliger à remplir tous les devoirs de la religion, et d'employer pour cela toute la persuasion et toute la contrainte convenable.

En vain on a fait entrer dans le bercail de Jésus-Christ les brebis égarées, si on leur laisse une liberté funeste d'en sortir, et de se dédire autant de fois qu'il leur plaira de réveiller leurs préventions. Pourquoi les obliger de se dire catholiques, si on leur permet de n'en point embrasser la créance et les pratiques ? N'a-t-on voulu que leur faire changer de nom, et non pas de foi? Ce serait peu de leur avoir fait perdre leur religion, si l'on n'avait le soin de leur en faire prendre une autre. On a voulu les conduire dans les voies du salut; il n'est pas juste de les abandonner au premier pas qu'on leur a fait faire.

Il faut donc les faire vivre selon les règles de la religion où on les a fait entrer, et les rendre capables d'en remplir tous les devoirs. Je ne dis pas qu'on les reçoive à la messe, à la communion, aux sacrements, tandis qu'ils font profession publique d'une foi contraire : je dis qu'on les doit obliger de recourir à Dieu, d'implorer ses miséricordes, de lui demander la foi qu'ils n'ont pas encore, de la leur supposer même lorsqu'ils témoignent l'avoir déjà, et dans cette disposition les faire assister au saint sacrifice de la messe.

 

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Ils en tireront un grand profit ; ils se trouveront enrôlés dans l'assemblée des fidèles ; ils auront part à leurs prières, à leurs intercessions, à leurs exemples. Ils seront édifiés de la sainteté du mystère, et perdront l'horreur qu'on leur en avait donnée. On prendra occasion de leur en faire connaitre la grandeur et la vérité : ils se prosterneront devant Jésus-Christ, qui s'offre pour eux, et commenceront à sentir sa propitiation en reconnaissant qu'ils en sont indignes.

Ce n'est pas en les approchant de nos mystères que nous avons à craindre de leur en donner une faible idée ; c'est le moyen de leur ôter la fausse idée qu'ils en ont. Les uns ne s'en approchent pas, parce qu'ils n'en conçoivent pas l'excellence ; les autres se font de la dignité des mystères un prétexte pour s'en éloigner. Il faut les mettre dans la nécessité de les connaître : ils jugeront que la préparation d'esprit et de cœur qu'on leur demande n'est pas indifférente ; ils verront celles qu'on exige des catholiques : on les éprouvera; ils apprendront à s'éprouver eux-mêmes, de peur de se rendre coupables du corps et du sang de Jésus-Christ, et regarderont leur communion comme le gage de leur salut et le sceau de leur conversion.

L'expérience justifie tous les jours qu'il n'y a que la voie de l'autorité qui puisse généralement les ramener. Il ne faut pas attendre qu'ils se soumettent de leur gré à toutes les règles de l'Eglise, et qu'ils se portent d'eux-mêmes à approcher des sacrements : ils demeureront dans leur assoupissement, s'ils ne sont réveillés par des mouvements extérieurs qui les fassent rentrer en eux-mêmes. Toutes les hérésies ont fini ainsi par la sévérité des princes chrétiens, et par la vigilance des pasteurs évangéliques.

Si M. de Meaux voyait  ce nombre infini de nouveaux convertis des diocèses de cette province s'assujettir à l'Eglise, assister à ses exercices, écouter ses instructions et se soumettre à ses règles, dès qu'on leur signifie les ordres du Roi, et qu'on les accompagne de remontrances et d'instructions charitables ; s'il en voyait  la plus saine partie se détacher tous les jours, les uns après les autres, par une nécessité qu'ils bénissent mille fois, et embrasser

 

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avec une sincérité manifeste et une piété exemplaire la religion dans tous ses points, et la pratiquer exactement dans tous ses devoirs, il changerait peut-être de sentiment.

Ils sortent de leur erreur comme le Lazare sortit du tombeau, encore liés des impressions qui leur restent de leurs premiers préjugés, ne voyant la lumière du jour qu'à demi et n'étant capables de rien par eux-mêmes. C'est une charité de dissiper ces nuages qui les environnent, et de rompre ces liens qui les retiennent par une sage contrainte, qui ménageant le respect dû au sacrement, n'en hasarde jamais la profanation ; mais qui s'affectionnant au salut de l'homme, le porte à n'en pas négliger les moyens, et le force même à les prendre d'une manière utile pour lui, et respectueuse pour les mystères dont il se sent obligé de s'approcher.

Le succès que la Providence a donné à ce moyen efficace, doit convaincre invinciblement qu'il est selon l'ordre de Dieu. Nous voyons un assez grand nombre de véritables convertis chanter avec nous les louanges du Seigneur, se présenter à la sainte table, non-seulement avec révérence, mais encore avec dévotion, et remercier tendrement ceux qui les ont pressés d'entrer dans la salle du festin. Nous avons vu dans Nîmes deux de leurs plus fameux ministres bénir la main qui les avait enlevés à leurs troupeaux, et publier sur cela jusqu'à la mort l'étendue de; miséricordes divines dans le temps qu'ils participaient au corps et au sang de Jésus-Christ, et qu'ils étaient prêts de rendre compte au souverain juge de la sincérité de leur conversion.

Pourquoi donc avoir tant de ménagement au sujet de la religion, pour un peuple qu'on veut toujours regarder comme catholique? Ya-t-il une occasion essentielle dans la vie où l'on n'exige d'eux qu'ils en fassent profession ? Sans cela, les charges interdites, les ordres de succession ôtés, les enfants enlevés, les mariages défendus et les biens confisqués, s'ils ne reçoivent en mourant tous les sacrements de l'Eglise. On les contraint par tant d'endroits : pourquoi ne les obliger point à s'accoutumer de faire pendant leur vie des actes qu'on leur rend nécessaires à la mort.

M. de Meaux considérera sans doute qu'un penchant naturel a

 

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besoin, pour être redressé, d'un contre-poids violent; qu'une conduite molle et relâchée est sans fruit et sans effet pour des esprits opiniâtres; qu'il ne faut pas laisser ces errants dormir dans le sein de leur erreur; que c'est les opiniâtrer davantage que de faire servir leur opiniâtreté même à les mettre à couvert de toute contrainte ; et qu'enfin, pour bien juger des moyens qui sont les plus efficaces pour les convertir, la meilleure raison est l'expérience.

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