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LETTRE XXXVIII.
M. DE LAMOIGNON DE BASVILLE A BOSSUET. Réflexions sur la lettre de ce dernier.
Il est inutile de s'étendre plus au long sur le pouvoir des
princes, ni sur les lois pénales qu'ils ont droit de faire contre les hérétiques
: ce point est incontestable. Mais si ce pouvoir est certain, pourquoi faut-il
qu'il soit inutile? Et si ces lois sont justes, faut-il qu'elles demeurent sans
effet?
On ne demande point ici de distinction : il n'est pas
question d'avoir une loi qui contraigne les hérétiques d'aller à la messe. On
demande seulement de pouvoir dire en général aux nouveaux convertis qu'ils
doivent pratiquer les exercices de la religion, sans leur parler de la messe
plutôt que de la confession et de la communion. On suit l'exemple des lois
anciennes des empereurs, qui n'entrent point dans ce détail. Telle est la loi
d'Honorius (1) : Nisi ad observantiam catholicam mentem animumque
converterint, ducentas argenti libras cogentur exsolvere, si sint ordinis
senatorii, etc. Cette impression générale suffit : les nouveaux réunis vont
naturellement et sans contrainte à la messe, quand on leur dit qu'ils doivent
vivre en catholiques. On n'en trouve point qui fassent une espèce de
protestation sur leur créance contre la messe : pas un ne dit qu'il n'y croit
pas, quand il y va ; et ce serait un grand scandale, si l'on entendait ce
langage : « On veut que j'aille à la messe, je n'y crois pas. » Ce n'est point
là l'état où se trouvent deux cent mille réunis qui sont en Languedoc.
Il est vrai que les lois anciennes ne font pas cette
distinction : les premières ne parlent que d'une contrainte qui comprend tous
les exercices en général. Justinien dans sa Novelle cix a été plus loin, et n'a
pas cru qu'on put réputer un homme catholique, qui n'aurait pas reçu la
communion : Igitur sacram communionem in Ecclesiâ catholicâ non percipientes
à sacerdotibus, hœreticos juste vocamus ; et il prive les femmes de leur
dot, si elles ne la
1 LIV Cod. Theod., de Hœreticis.
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reçoivent pas : Nisi sacram et adorabilem communionem à
Deo amabilibus Ecclesiœ catholicœ Sacerdotibus acceperint. C'est peut-être
ce qui a déterminé, dans les siècles suivans, tous les conciles tenus en
Languedoc contre les albigeois, de les obliger de communier trois fois l'année,
puisque les lois romaines y étaient établies, que l'on a voulu être aussi bien
observées pour la religion que pour les contrats, substitutions et autres
matières civiles. Quoi qu'il en soit, il est inutile de porter plus loin cette
dissertation. On ne veut point de loi précise pour la messe : on ne demande
qu'une liberté de porter les réunis aux exercices de la religion par des voies
justes et modérées. Et comme le premier exercice d'un catholique est d'aller à
la messe, on demande seulement qu'on ne trouve pas mauvais qu'ils y aillent,
lorsqu'on n'est pas assuré que leur foi soit encore bien affermie.
On n'a garde de tenir quittes les réunis de tout autre
exercice de religion, pourvu qu'ils viennent à la messe : cela n'a jamais été
dit ni prétendu ; au contraire, c'est à la messe qu'on leur apprend les
principes de la religion et les règles de la discipline. C'est là qu'on leur
enseigne qu'un bon chrétien doit s'unir avec Jésus-Christ, en participant au
sacrement de sa chair et de son sang ; c'est là qu'on leur fait voir que notre
religion ne consiste pas dans un culte extérieur, et qu'on leur montre à adorer
Dieu en esprit et en vérité. On souhaite qu'ils viennent à la messe pour leur
enseigner ces vérités : c'est le seul temps où ils peuvent être instruits et
rassemblés. En recevant l'instruction, ils s'accoutument au mystère, ils le
commissent : ils se désabusent par eux-mêmes des fausses impressions qu'on leur
a données ; et l'on tire ce double fruit, quand ils y vont, qu'ils connaissent
la messe, et qu'ils apprennent en même temps leurs autres devoirs.
Rien de plus vrai que ce n'est pas dans la messe seule que
consiste l'exercice de la catholicité. On a peut-être appuyé sur la messe, parce
que c'est une des principales fonctions de la religion que d’y assister ; parce
que la messe a toujours été comme un signe et un caractère de distinction entre
le huguenot et le catholique ; parce que l'assistance au sacrifice approche
davantage de la participation du sacrement ; parce que c'est un exercice de la
religion
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catholique, qui se réitère plus souvent ; enfin parce que
la messe est accompagnée de prônes, de sermons, d'instructions et de tout ce qui
peut augmenter et nourrir la foi. Mais on n'a jamais prétendu que ce soit dans
la messe seule que consiste la pratique de la catholicité : nous sommes tous
d'accord sur ce point.
On pourrait citer et les lois de Justinien, et tous les
conciles tenus sur l'hérésie des albigeois, pour montrer que les princes et
l'Eglise ne se sont pas toujours contentés de prescrire la pratique en général
de la religion, et qu'ils sont entrés dans le détail des exercices. Mais ce
n'est pas le fait dont il s'agit : on convient du principe, que ce n'est pas
dans la messe que consiste la catholicité.
« Je demande pourquoi l'on n'emploie pas la même contrainte
pour obliger les hérétiques à se confesser, que pour les obliger d'aller à la
messe? » etc.
Premièrement, ce raisonnement semble trop prouver, et n'a
jamais été fait lorsqu'il a été question d'éteindre les hérésies. On ne peut pas
douter que les hérétiques n'aient été contraints à pratiquer la religion
catholique, par conséquent d'aller à la messe, qui est le premier de ses
exercices. On ne peut pas croire que dans les premiers temps qu'ils ont été
forcés d'aller à l'église, ils aient eu une foi bien vive sur tous nos mystères,
qu'ils ne croyaient pas pour la plupart. Parce qu'ils ne se confessaient pas et
ne communiaient pas, était-on agité de ce scrupule ? les mettait-on au rang des
mécréants ? disait-on qu'étant persuadés que la messe était une idolâtrie, il ne
fallait pas les presser d'y aller? On voit par les lois qu'ils étaient
contraints d'aller à la messe comme à tous les autres exercices : mais l'on ne
voit point que l'on se soit embarrassé de ce raisonnement. Dans les premiers
temps, les hérétiques ont été reçus à l'église, où la puissance temporelle les
obligeait d'aller : ils y ont été instruits ; et accoutumés peu à peu, ils sont
parvenus par l'instruction à croire les mystères. On a eu de la patience à leur
égard, on les a attendus : ils se sont détachés l'un après l'autre, et tous
enfin ont perdu le souvenir de leurs erreurs. Il en est de même des
religionnaires de ce temps. L'expérience nous apprend que rien n'avance, quand
ils ne viennent
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pas à l'église et à la messe : ils demeurent comme dans un
sommeil léthargique, qui les conduit à une mort certaine ; et quand ils sont
modérément pressés d'aller à la messe, tous les jours il y a quelqu'un d'entre
eux qui se détache, qui se fait sincèrement catholique, et demande de lui-même
les sacrements. On ne les lui propose que quand il est bien disposé. Si on veut
donc les obliger d'aller à la messe sans les obliger de recevoir les sacrements,
c'est qu'on ne peut avancer pour les rendre catholiques sans faire ce premier
pas. Le progrès de la religion demande du temps : il faut attendre que le Ciel
ait mis dans leur cœur ces heureuses dispositions que l'Eglise demande, et que
les supérieurs doivent discerner. Si l'on renvoie souvent les anciens
catholiques, même pour la communion pascale, pourquoi ne la différera-t-on pas à
l'égard des réunis? pourquoi l'Eglise n'espérera-t-elle pas que le temps et
l'instruction pourront effacer du cœur d'un mauvais converti les impressions
fâcheuses qui y sont encore ? Il vient à la messe ; il écoute : il faut espérer
sa conversion, et non pas le traiter rigoureusement comme mécréant.
Secondement, l'idée de ces mécréants manifestes ne convient
ni à l'usage ni aux discours de nos réunis. On n'en trouve point qui disent
publiquement qu'ils ne croient pas, et qui s'en fassent honneur : au contraire,
quand après avoir assisté assez longtemps à la messe, on leur remontre qu'il est
du devoir d'un bon chrétien de s'approcher des sacrements, au moins une fois
l'année, ils disent : « Cela viendra, je m'instruis ; il me faut encore un peu
de temps. » Voilà le langage qu'ils tiennent. Faut-il pénétrer dans le fond de
leurs cœurs, pour interpréter leurs discours dans un mauvais sens ? N'est-il pas
plus raisonnable de les supporter avec charité, et de les attendre avec patience
?
Voici l'endroit le plus important, et à proprement parler
le nœud de la difficulté. On convient qu'on doit recevoir à la messe les réunis,
quand on peut présumer qu'ils y viennent de bonne foi ; et l'on fait consister
cette bonne, foi à les voir se présenter à tous les autres exercices. Ce
principe convient-il au progrès de la religion? et cette maxime rigoureuse
n'est-elle pas comme ces remèdes qui tuent le malade au lieu de le guérir ?
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Premièrement, on demande : Que faut-il faire de ces sortes
de gens qui viennent à la messe, qui y assistent modestement, et qui pourtant ne
se sont pas encore présentés aux sacrements ? les chassera-t-on de l'église?
leur dira-t-on qu'ils ne seront plus reçus à la messe, qu'il leur est libre de
vivre dans une autre créance que celle de la religion catholique? L'Eglise
a-t-elle jamais pris un parti semblable? Combien d'âmes perdra-t-on, qui se
seraient converties avec le temps? Que deviendra l'ouvrage du Roi, qui
n'aboutira qu'à faire des mécréants? Il ne faut pas s'y tromper ; rien n'est si
important que la résolution que l'on prendra sur ce point. Si la cabale des
religionnaires peut découvrir qu'on tire cette conséquence : Cet homme va à la
messe, il ne se confesse pas, il ne communie point; il faut le rejeter et ne le
pas réputer catholique : elle fera les derniers efforts pour jeter dans cette
perverse situation un grand nombre de personnes, qui feront gloire de dire
qu'ils ne se confesseront ni ne communieront jamais ; et qui par cette adresse
s'excluront eux-mêmes des exercices de la religion, et se feront fermer la porte
de l’Eglise, où l'on avait dessein de les l'aire entrer. Tout le bien qu'on a
fait jusqu'à cette heure sera renversé; et on leur apprendra par ce moyen à
tenir des discours auxquels ils ne pensent pas maintenant, quoique les églises
soient remplies presque partout en Languedoc, et que cela se soit fait sans
violence et sans aucune peine. Il faut bien se garder d'exposer la foi de ces
néophytes, encore faible, à de pareilles tentations, et de leur laisser
entrevoir la moindre espérance de retour à leur ancienne créance. Les exercices
de la religion catholique paraissent si difficiles à ceux qui ont vécu dans la
liberté de la religion prétendue réformée, qu'il faut toujours craindre qu'ils
ne s'en rebutent et qu'ils ne retournent à leur ancienne discipline, si on ne
leur en ferme avec soin toutes les avenues.
Secondement, un principe n'est pas bon lorsqu'il tend à la
destruction de l'ouvrage qu'on a dessein de perfectionner. Or exclure les réunis
de la messe parce qu'ils ne pratiquent pas les sacrements, c'est détruire
l'œuvre des conversions. Car il suit de là que tout homme qui dira qu'il ne veut
pas les recevoir, doit être
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laissé dans une parfaite tranquillité : et sur la
connaissance que nous avons de l'inclination et de la conduite des nouveaux
convertis, il ne faut pas douter qu'un grand nombre ne prenne ce parti.
Troisièmement, un principe dont les extrémités sont trop
grandes doit être évité : or il semble que les deux plus grandes de toutes les
extrémités suivent de ce principe. Tout ou rien; tout, si on contraint les
nouveaux réunis à tous les exercices ; rien, s'ils déclarent qu'ils ne sont pas
disposés à recevoir les sacrements. N'y a-t-il pas un milieu entre ces deux
fâcheuses extrémités ? Ne peut-on prendre d'autre parti que de les abandonner,
ou de les porter à des sacrilèges ? N'est-il pas plus à propos d'attendre,
d'espérer, de les instruire et de ne les pas condamner comme mécréants ? Ils
viennent à la messe ; il faut espérer qu'ils feront le reste. Ce raisonnement
n'est-il pas plus doux, plus conforme à l'esprit de l'Eglise que celui-ci : Ils
viennent à la messe, ils ne veulent pas se confesser et communier : il faut les
retrancher de l'Eglise ?
On dira peut-être qu'il ne s'agit pas de chasser de
l'église ces réunis ; mais de savoir si on doit les contraindre de venir à la
messe. A quoi je réponds que s'ils y viennent par une contrainte très-modérée,
comme pourrait être une forte exhortation de la part de la puissance temporelle,
accompagnée de quelques menaces, en excluant tous les moyens violents; on doit
présumer qu'ils y viennent volontairement. Les moyens qu'on veut employer sont
si doux, qu'on ne peut pas présumer que la volonté soit absolument contrainte ;
et s'il faut traiter de mécréants ceux qui ne se présentent pas aux sacrements,
il doit s'ensuivre qu'il faut exclure de l'Eglise la plupart de ces nouveaux
convertis, qui y sont entrés sans aucune violence.
« Ce qui me fait donc penser qu'on ne doit pas contraindre
à la messe ceux qu'on ose contraindre au reste des exercices, c'est que la
répugnance opiniâtre qu'ils montrent à les pratiquer, fait voir qu'ils sont
indignes de la messe comme du reste. »
Si on suit cette règle, l'ouvrage est abandonné : car si on
ne porte pas les réunis à aller à la messe, que peut-on leur demander?
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Sera-ce d'aller à des instructions séparées de la messe?
L'usage et l'expérience font connaitre que l'on ne gagne rien par ces
instructions, impraticables dans la plus grande partie des paroisses :
d'ailleurs cette séparation des anciens et des nouveaux catholiques entretient
entre eux une désunion dangereuse d'esprit et de parti : on ne doit penser qu'à
les unir, et à les confondre les uns avec les autres. Quand on a fait de
semblables instructions pour les réunis seulement, ou ils n'y ont pas assisté,
ou ils les ont écoutées avec répugnance comme des exhortations vaines et
ennuyeuses. L'expérience nous fait voir qu'ils profitent beaucoup plus à un
sermon, qui se fait tous les dimanches à la messe ; et que la vue du mystère, la
prière commune qui s'y fait, la lecture de l'Evangile, et tout cet appareil de
religion qu'ils y voient, les désabuse plus que tout ce que l'on peut leur
représenter. Il serait juste qu'on s'en rapportât un peu à ceux qui ont pratiqué
toutes, sortes de moyens, et qui ont sur cela une longue expérience.
Un mécréant manifeste ne doit pas être contraint d'aller à
la messe : cela est vrai, et l'on aurait raison d'exclure de l'église, et de
priver de l'assistance au sacrifice un homme qui dirait : « Je ne crois point. »
Mais encore une fois, ce n'est point là notre système ; et c'est ce que nous ne
voyons pas, ou très-rarement.
On doit prendre pour marque certaine de mécréance, une
répugnance invincible à se confesser et à communier ; cela est vrai : mais
pourquoi croire la répugnance invincible? La volonté de l'homme est sujette à un
perpétuel changement du bien au mal, et du mal au bien. Nous voyons tous les
jours revenir ceux des réunis qui paraissaient les plus éloignés. La dureté des
cœurs s'amollit par les réflexions, par les instructions, par les exemples, par
les inspirations : tel avait horreur des sacrements l'année dernière, qui les
demande celle-ci. Y a-t-il de répugnance qui soit invincible à la grâce ?
Pourquoi ne pas croire qu'elle viendra tôt ou tard sur cet endurci? Ainsi la
maxime qui peut être véritable dans la thèse générale, ne l'est pas dans
l'hypothèse; et il semble qu'il n'est pas avantageux à l'Eglise qu'on en fasse
l'application.
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« Je distingue pourtant ici entre exclure les hérétiques de
la messe, ou les y contraindre. Je ne les exclurai pas, quand je pourrai
présumer qu'ils viennent de bonne foi, et du moins avec quelque bon commencement
des dispositions nécessaires. »
Nous voilà d'accord par cette règle : c'est précisément
l'état des réunis de Languedoc : on peut présumer qu'ils viennent de bonne foi.
On voit en la plupart un commencement des dispositions nécessaires : mais c'est
une foi faible, qu'il faut encourager et soutenir par des condescendances
charitables, bien loin de la déranger ou de l'affaiblir par des craintes
indiscrètes, ou par des soupçons d'hypocrisie ou de mauvaise conduite.
« Mais quand je les vois déterminés à ne passer pas outre,
c'est-à-dire à refuser la confession et ses suites, je prends cela pour marque
évidente d'incrédulité ; et les contraindre à la messe en cet état, c'est les
induire à erreur, etc. »
Pour cette règle-ci, elle peut causer dans son application
de grands inconvénients ; si l'on s'y arrête avec exactitude. Il faut abandonner
la meilleure partie de ces brebis égarées, qu'on pourrait autrement ramener dans
le bercail. On prie encore M. de Meaux de marquer en quel temps de l'Eglise on a
suivi cette conduite, de traiter de mécréants et de chasser de l'église ceux qui
viennent à la messe en vertu des lois des empereurs, lorsqu'ils ne se présentent
pas encore à la confession et à la communion. Quand est-ce qu'on a traité leur
répugnance d'invincible ?
Quant à l'idée qu'ils prennent de la religion, c'est à la
messe qu'on leur enseigne qu'elle ne consiste pas dans un culte extérieur, c'est
là qu'on leur explique ce qu'ils voient et ce qu'ils entendent ; et ce n'est que
là qu'ils peuvent être bien désabusés de toutes les fausses impressions qu'ils
ont reçues sur ce mystère : l'expérience le fait connaitre tous les jours.
La disposition des religionnaires auprès de Paris pourrait
être très-différente de celle où se trouvent ceux du Languedoc. On ne répétera
point ici la facilité qu'il y a de les porter à tous les exercices de la
religion, quand on veut s'y appliquer ; le peu de répugnance même qu'ils ont à
se confesser et à communier, pour
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peu qu'on voulût les presser sur ces articles : mais il
vaut mieux attendre qu'ils le désirent et qu'ils le demandent. Il faut laisser
croître leur foi, et prendre garde de ne pas les engager à des confessions et à
des communions prématurées. Je remarque seulement cette disposition, pour faire
connaître à M. de Meaux que nous ne voyons point cette répugnance invincible,
qui le frappe avec raison, et qui paraît le fondement le plus solide de son
opinion. Cependant il est de la prudence d'appliquer les remèdes suivant les
dispositions des malades. Si deux cent mille nouveaux convertis ne sont pas
disposés en Languedoc, comme l'est un petit nombre auprès de Paris, ce serait
tomber en erreur que de ne faire aucune distinction de ces deux états différais,
et de vouloir réduire le plus grand nombre aux règles du plus petit.
La première réflexion qu'il y a à faire sur l'ordre de la
Cour, est qu'il n'est pas général : il n'a été envoyé ni en Languedoc ni en
Guyenne, qui sont du département de M. de la Vrillière. M. de Torcy l'a envoyé
en Dauphiné : le grand-vicaire de M. de Valence l'a reçu en son absence ; il en
a distribué des copies à ses curés, qui l'ont lu publiquement et sans
discrétion. Sur ce fondement, la cabale des religionnaires, qui subsiste encore
et qui est toujours attentive à tous les événements, s'est imaginé que le Roi
voulait se relâcher à l'avenir: elle a insinué que cet ordre de voit être
considéré comme le premier pas, pour parvenir à une liberté entière de ne plus
pratiquer aucun exercice ; et cette fausse conjecture, répandue dans le parti, a
retardé pour longtemps tout le bien qu'on a pu faire par les missions et par les
soins assidus de plusieurs années. Je sais cette histoire du grand-vicaire même
de M. de Valence, dont une partie du diocèse est en Dauphiné, et l'autre en
Vivarais, qui fait partie du Languedoc. Cet ecclésiastique se crut obligé de me
consulter par cette raison, pour savoir s'il rendrait cet ordre public dans
cette province, comme il avait déjà fait dans l'autre. Je connus le danger, et
je le priai de n'en rien faire, ces ordres ne devant pas être ainsi exposés aux
yeux du public, pour les mauvaises et fausses conséquences qu'on en peut tirer.
L'ordre en effet n'a point paru dans mon département. Je n'ai pu comprendre d'où
venait cette diversité de sentiments ; et
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j'ai toujours mieux reconnu que pour le bien de la
religion, il n'y a rien tant à désirer que l'uniformité de conduite.
M. de Meaux connaît parfaitement l'abus des nouveaux
convertis, qui cessent de remplir leurs devoirs quand ils sont mariés : abus
insupportable qui arrive très-souvent, et qu'on ne peut trop tôt réprimer. Mais
si l'on fait scrupule d'admettre et de contraindre par des voies modérées, ces
sortes de gens d'aller à la messe, comment en usera-t-on à leur égard, quand ils
diront qu'ils n'ont plus de foi, qu'ils ne peuvent se résoudre à se confesser et
à communier ? Si la répugnance paraît invincible, il faudra donc cesser à leur
égard toutes sortes de contraintes pour les exercices ; et si on les punit comme
relaps, cette punition, ou la crainte de la recevoir, ne sera-t-elle pas pour
eux une véritable contrainte, qui les portera aux sacrilèges et à tous les
inconvénients que l'on craint? D'où l'on conclut que l'Eglise étant maîtresse de
la discipline, d'avancer ou de différer les confessions et les communions
suivant qu'elle le juge à propos, elle pourrait se contenter quant à présent de
voir le troupeau réuni sous le même toit, en état, souvent même en volonté
d'être instruit et éclairé, et donner le reste au temps, aux soins des pasteurs,
à l'habitude même, qui n'est pas indifférente en matière de religion. Il faut se
contenter de les pêcher avec l'hameçon, sans vouloir les prendre tous d'un coup
de filet.
J'ajouterai un mot à l'égard des mariages. Ce n'est pas
assez de punir ceux qui, après être mariés, abandonnent les exercices de la
religion catholique : il est très-nécessaire de faire une loi pour punir ceux
qui habitent ensemble sans se marier à l'église. C'est un désordre qui se répand
impunément ; et si l'on n'y met ordre, l'extinction de l'hérésie en France sera
la source d'un concubinage public, et de ces unions illégitimes et scandaleuses.
J'ai envoyé plusieurs mémoires sur ce sujet, qui se réduisent à punir les
pauvres par la prison s'ils ne veulent pas se séparer, et à poursuivre les
riches rigoureusement, en vertu de la déclaration du 7 septembre 1697, à la
requête des promoteurs, qu'il faudrait aider de toute la puissance temporelle.
M. de Meaux dira peut-être : Que veulent donc précisément
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ces gens de Languedoc? Qu'ils s'expliquent clairement.
Voici ce que je voudrais en mon particulier, et dont je serais très-content.
Premièrement, que le Roi continue les secours qu'il donne
pour les missions, qui sont suffisants, et qui s'emploient très-utilement.
Secondement, que l'on ne trouve pas mauvais que les
intendants pressent, sollicitent sans relâche les nouveaux convertis de
pratiquer la religion catholique qu'ils ont embrassée, en faisant abjuration de
la protestante ; qu'ils s'en tiennent pourtant, dans leurs exhortations, aux
termes d'assister aux instructions, à l'église, à la messe ; qu'ils regardent la
réception des sacrements comme une matière très-délicate, qui doit uniquement
dépendre des pasteurs de l'Eglise ; qu'ils s'abstiennent même, autant qu'ils
pourront, de parler nommément de la messe, et qu'ils se réduisent ordinairement
à l'observation générale des exercices : cela suffit dans la plupart des
endroits.
Troisièmement, en Languedoc on ne s'est encore servi que de
ces exhortations générales pour la messe : on n'a employé ni amende, ni peines,
ni logement de gens de guerre. Mais on reconnaît qu'il y a certains cantons où
le peuple ignorant et grossier, n'étant presque point capable de discipline et
d'instruction, ne saurait perdre qu'avec peine la répugnance qu'il a pour les
exercices de notre religion, où il trouve plus de difficulté et plus
d'assujettissement que dans celle qu'il professait. N'aurait-on pas raison de
réduire par de petites amendes ces gens-là, qui ne se conduisent que par leurs
intérêts : non pas précisément parce qu'ils n'assistent pas à la messe, mais
parce qu'ils ne pratiquent pas les exercices de la religion catholique? Et le
choix de ces lieux, où ces petites punitions sont nécessaires, ne devrait-il pas
dépendre de ceux qui travaillent avec application, depuis plusieurs années, à
cette grande affaire, de concert avec MM. les évêques?
Quatrièmement, il n'y a qu'à suivre ce qui est prescrit par
la dernière instruction du Roi pour l'éducation des enfants. Il ne faut pas
seulement trouver à redire si on met des filles au-dessus de douze ans dans des
couvents, ou des garçons au-dessus de quatorze dans des pensions. L'expérience
n'apprend que trop le danger qu'il y a de remettre les enfants à leurs pères et
mères à cet
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âge-là : ils sont alors plus soumis que jamais à la
puissance paternelle, et plus susceptibles de toutes sortes de mauvaises
impressions. Il faut laisser à la discrétion des évêques à se régler sur les
bonnes ou mauvaises dispositions qu'ils verront dans les pères ou dans les
enfants.
Je finis dans ce mémoire, peut-être trop long, par ces deux
réflexions.
La première, pourquoi craint-on de contraindre les nouveaux
convertis d'aller à la messe, dans certains endroits, par des moyens très-doux,
puisqu'on en emploie déjà de très-forts qui tendent à la même fin ? N'est-ce pas
contraindre que d'ôter à un père ses enfants s'il ne va pas à la messe, de le
priver de ses charges, de sa profession, du moyen de gagner sa vie, des biens
qu'il possède, s'ils ont appartenu à des parents fugitifs ? Disons plus,
n'est-ce pas contraindre un homme mourant à recevoir les sacrements, que de lui
représenter la ruine entière de sa famille par la confiscation de ses biens,
s'il ne meurt pas en bon catholique? Cependant par les dernières instructions et
par les déclarations qui s'observent, on pratique toutes ces espèces de
contraintes. Un réuni qui se détermine par ces motifs à aller à la messe, y
va-t-il avec une volonté plus libre que celui qui prendra son parti par la
crainte d'une amende ?
La dernière réflexion est qu'on ne peut assez considérer
l'importance du temps présent, pour achever ce grand ouvrage. Les vaines
espérances qu'on avait données aux religionnaires sont évanouies ; ils sont
détrompés de toutes les chimères dont ils ont eu l'esprit rempli: tout a succédé
au Roi heureusement; et il semble que l'on peut compter sur une paix profonde et
durable. Quand trouvera-t-on une conjoncture plus heureuse et de plus belles
dispositions? Si l'on suit avec un peu de vigueur et de fermeté ce qui est déjà
si avancé, on en verra la fin : au contraire si l'on se relâche, si l'on tient
une conduite lente, le bon temps s'écoulera; et les restes de l'hérésie, qu'on
pouvait entièrement éteindre, seront peut-être encore redoutables quand la
guerre recommencera.
Je crois devoir encore ajouter ce que disait, il y a peu de
jours,
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M. de la Guerre, frère de M. de Bonrepos : c'est un saint
homme nouveau converti, qui fait de grands biens pour la religion, par son zèle,
par sa capacité et par les bons exemples qu'il donne. Il avait été persuadé plus
que personne qu'il ne fallait pas contraindre les réunis à aller à la messe:
l'expérience l'a fait changer d'avis ; et il disait qu'il a remarqué que c'est
un état trop violent à l'homme, de professer extérieurement une religion quand
il n'en est pas persuadé, pour qu'il dure longtemps ; et que de là vient que
ceux qui vont à la messe par politique, ou par la crainte de quelque peine, s'y
accoutumant peu à peu, ils viennent à croire tout de bon, et à faire sincèrement
ce qu'ils ne faisaient que par des motifs humains. C'a été la pensée de saint
Augustin, qui ne s'est pas embarrassé de ce scrupule, lorsqu'il a dit qu'il
fallait les contraindre, afin qu'ils commencent à être tout de bon ce qu'ils
avaient voulu feindre : Ut incipiant esse quod decreverant fingere.
LETTRE XXXIX.
M. L'ÉVÊQUE DE MIREPOIX A M. DE BASVILLE.
J'ai beaucoup réfléchi, Monsieur, sur ce que M. l'évêque de
Meaux vous mande au sujet des nouveaux convertis. Il me paraît que la difficulté
qu'il fait d'approuver qu'on les contraigne par des peines légères à assister à
la messe, vient de ce qu'il regarde la messe comme on regarde les sacrements,
qui ne profitant qu'à ceux qui les reçoivent, demandent en eux des dispositions
de foi, de désir et d'amour sans lesquelles ils n'y participeraient que pour
leur condamnation. Il est vrai qu'il y a une manière d'assister à la messe, qui
demande des dispositions presque semblables à celles qu'il faut apporter à la
communion. C'est sur ce fondement que les anciens croyaient que ceux qui
n'étaient pas en état de participer à l'Eucharistie, n'étaient pas dignes
d'assister à la célébration des saints mystères. Mais comme la messe est un
sacrifice qui n'est pas seulement offert par les fidèles, auquel cas il demande
les dispositions de foi, de désir et d'amour que demandent les sacrements; mais
encore un sacrifice offert pour les fidèles
159
et pour les fidèles pécheurs, auxquels il profite non comme
les sacrements à ceux-là seulement qui les reçoivent, mais comme les prières à
ceux pour qui on les offre : il faut, ce me semble, faire une grande différence
de l'assistance à la messe, à la participation des sacrements.
La messe est, à l'égard des pécheurs pour lesquels on
l'offre, une sorte de prière ; mais une prière incomparablement plus excellente
que les autres, dans laquelle Jésus-Christ immolé mystiquement par la parole du
prêtre, s'offre lui-même en cet état à son père, et intercède envers lui pour
les pécheurs. Or comme on n'a jamais pensé qu'il y eût aucune irrévérence
d'obliger les pécheurs d'assister aux prières que l'on fait pour eux, il semble
qu'il n'y en peut pas avoir davantage à les obliger d'assister à un sacrifice
que l'on offre pour eux. Il y en aurait sans doute, si on voulait les obliger à
offrir eux-mêmes avec le prêtre et avec Jésus-Christ, qui est le principal
prêtre, le sacrifice de la messe ; ce qui est sans contredit la meilleure
manière d'y assister ; mais manière qui ne peut convenir qu'aux fidèles, qui
étant par la charité unis à Jésus-Christ comme à leur chef, sont en état de
s'offrir en lui et par lui, comme ne composant avec lui qu'un même corps, ce qui
fait qu'ils sont appelés prêtres par saint Pierre et par saint Jean
Les pécheurs, que la discipline de l'Eglise d'aujourd'hui
n'exclut point de la célébration des saints mystères, quand ils ne sont point
excommuniés, n'y peuvent assister en cette manière, puisque n'étant pas unis
avec Jésus-Christ par la charité, ils ne composent pas avec lui un même prêtre
et une même victime. Il faut donc qu'ils y assistent en la seconde manière : et
c'est en cette seconde manière que l'on peut et que l'on doit, ce me semble,
contraindre les nouveaux convertis d'y assister, non comme à un sacrifice qu'ils
offrent, mais qu'on offre pour eux, conformément aux paroles du canon : Pro
quibus tibi offerimus vel qui tibi offerunt. Il est même à remarquer qu'on
prétend que ces premières paroles ne se disaient pas anciennement, et peut-être
par la raison que l'on ne souffrait point alors que personne assistât au
sacrifice que ceux qui étaient en état de l'offrir avec le prêtre.
1 I Petr., 11, 5, 9; Apoc, 1, 6 ; V, 10 ; XX, 6.
160
Mais quand il serait vrai qu'eu contraignant les nouveaux
convertis les plus opiniâtres à assister à la messe, on ferait si Ton veut
quelque plaie à la discipline présente, nous sommes dans une de ces occasions où
l'utilité qui en reviendra infailliblement à l'Eglise, récompensera
avantageusement ce qu'elle peut perdre par le relâchement de sa discipline. Car
il ne s'agit pas ici du salut de quelques particuliers; mais d'un nombre
très-grand de nouveaux convertis, et particulièrement des enfants qui vont se
perdre et s'attacher à la secte de leurs pères, ou plutôt vivre dans
l'irréligion où vivent leurs pères, si l'on ne contraint généralement tous les
nouveaux convertis à assister à la célébration des mystères.
Ainsi jamais on n'a eu tant de raison de dire ce que disait
saint Augustin dans une cause presque semblable : « Dans les causes où, vu la
violence et l'étendue des divisions, il ne s'agit pas seulement du salut de
quelques particuliers, mais où l'on doit travailler à ramener des peuples
entiers, il faut relâcher quelque chose de la sévérité de la discipline, afin
qu'une charité sincère puisse apporter des remèdes convenables à de plus grands
maux : » In hujusmodi causis, ubi per graves dissensionum scissuras non hujus
aut illius hominis est periculum, sed populorum strages jacent, detrahendum est
aliquid severitati, ut majoribus malis sanandis charitas sinecra subveniat
(1). L'Eglise a toujours suivi cette maxime, quand il a été question de ramener
à l'Eglise des peuples entiers de schismatiques et d'hérétiques ; et vous le
pouvez voir, Monsieur, assez au long dans le Mémoire que je vous donnai aux
Etats derniers.
Que s'il en faut juger par l'expérience, il n'y a que trois
mois ou environ qu'on a commencé de faire venir tout le monde à la messe à
Mazères ; et cependant il y en a des plus opiniâtres qui m'ont avoué qu'ils y
venaient au commencement avec une grande répugnance, mais qu'à présent ils y
venaient non-seulement sans peine, mais avec plaisir. Or que sera-ce si l'on
continue de les y faire venir ? que sera-ce dans un an et dans deux ans ? Il n'y
a point de doute qu'on n'y voie un très-grand changement. Dans
1 Epist. CLXXXV, ad Bonif., de Corr. Donat., n. 45
161
le fond, si ceux qui sont si opiniâtres avaient tant
d'horreur pour la messe, ils n'y viendraient pas si facilement, et il faudrait
des peines plus grandes pour les y obliger.
Quant à ce que M. de Meaux ajoute, que c'est leur donner
une faible idée de la sainteté de nos mystères que de les y admettre, même de
les y contraindre dans les dispositions où ils sont : il est aisé de remédier à
cet inconvénient par les instructions qu'on leur fera sur la grandeur et la
sainteté des mystères qui s'opèrent à la messe, que la seule créance de la
présence réelle de Jésus-Christ sur l'autel relève si fort au-dessus de la cène
des protestants ; outre que la manière dont les catholiques assistent à la
messe, si différente de celle dont les protestants assistaient à la célébration
de leur cène, est seule capable de leur faire sentir la différence qu'il y ade
l'une à l'autre.
Je finis, Monsieur, en vous assurant que je trouve déjà des
changements très-avantageux à Mazères, depuis qu'on y contraint tout le monde
aux exercices; et voici un fait considérable qui le fait voir bien clairement.
Il y a dans cette seule ville jusqu'à quarante-cinq mauvais
mariages de nouveaux convertis, qui vi voient dans une extrême indolence à
l'égard de leur état. Mais depuis qu'ils ont vu qu'il fallait venir à tous les
exercices, et que pour peu qu'ils ajoutassent à ce qu'on exigeait d'eux, ils
pourraient sortir de ce malheureux état, plus de la moitié sont venus me
demander : « Que faut-il que nous fassions pour être mariés légitimement? » Je
leur ai prescrit : premièrement, de se séparer d'habitation de leurs prétendues
femmes pendant un mois entier, pendant lequel, s'ils n'étaient pas suffisamment
instruits, ils se feraient instruire ; et j'ai commis des personnes pour
instruire les hommes et les femmes : secondement, que dans le même délai ils
feraient leur confession, et verraient pour cela le confesseur qu'ils
choisiraient, autant de fois qu'il serait nécessaire, jusqu'à ce qu'ils eussent
reçu l'absolution de leurs péchés : troisièmement, qu'ils déclareraient
publiquement qu'ayant manqué aux engagements qu'ils avaient pris dans leur
abjuration, ils venaient présentement de leur mouvement, et sans aucune
contrainte, faire profession de la religion
162
catholique, et protester en présence de cette même Eglise
qu'ils étaient résolus d'y vivre et d'y mourir. Ils se sont tous agréablement
soumis à ces trois ou quatre choses, et j'espère qu'avant la fin de ce mois, il
y en aura plus de la moitié de mariés.
Vous voyez ce qu'a produit une contrainte générale de trois
ou quatre mois. Je ne doute pas qu'on n'en voie chaque jour de nouveaux fruits ;
les choses y paraissent plus disposées que jamais. La ligue que le Roi a faite
avec l'Angleterre et la Hollande, pour le partage de la succession de l'Espagne,
leur ôte toute espérance de pouvoir jamais être secourus de ce côté-là. Ainsi,
Monsieur, rien n'est plus important que de les faire entrer bon gré, mal gré,
dans l'Eglise ; et il semble qu'on ne s'y oppose plus du côté de la Cour, qui
était la seule chose qui pouvait vous retenir. Il est inutile de vous répéter
les raisons de notre avis, et vous les savez d'ailleurs mieux que personne. Je
suis, etc.
RÉFLEXIONS DE M. L'ÉVÊQUE DE MIREPOIX Sur la lettre de Bossuet à M. de
Basville.
M. de Meaux convient que les princes peuvent contraindre à
tous les exercices de la religion catholique les hérétiques qui s'en sont
écartés, et que l'Eglise a autorisé ces contraintes en les demandant elle-même
aux princes : mais il ne voudrait pas qu'on les employât particulièrement pour
la messe, surtout dans le temps que l'on se garde bien de les employer pour les
sacrements. Il croit que ceux qui soutiennent qu'on doit les contraindre
d'assister à la messe, et les laisser dans une entière liberté pour les
sacrements, ou ne prouvent rien ou prouvent trop ; et qu'ainsi ou il faut les
contraindre aux sacrements, ce que personne ne soutient, ou ne les pas
contraindre à la messe.
Il ajoute à cela que par cette conduite on leur donne sujet
de croire que la religion ne consiste que dans l'assistance à la messe, et
encore dans une assistance forcée, et sans aucun rapport aux dispositions
nécessaires pour y assister utilement. Il conclut que ceux des nouveaux
convertis qui vont à la messe par contrainte, et avec protestation de n'aller
pas plus avant dans la pratique
163
des sacrements, doivent être regardés comme des mécréants,
et par conséquent, qu'ils ne doivent être contraints ni à l'assistance à la
messe, ni à la pratique des sacrements.
Il met pourtant une restriction à sa règle, à l'égard de
ceux qui, pour se marier ou pour réhabiliter leurs mariages, auraient tout
promis ; et il croit pouvoir démontrer que c'est tout perdre, que de laisser en
repos ces sortes de relaps. Ainsi il semble vouloir qu'on les contraigne à tout,
et à la pratique des sacrements aussi bien qu'à l'assistance à la messe.
Voilà, si je ne me trompe, le précis de la lettre de M.
l'évêque de Meaux, sur laquelle on peut faire les réflexions suivantes.
PREMIÈRE RÉFLEXION.
Que selon M. l'évêque de Meaux, dès qu'on a promis et qu'on
s'est engagé à tout, on peut et on doit être contraint non-seulement à
l'assistance à la messe, mais encore à la pratique des sacrements : car dans son
sentiment ces deux choses ne doivent pas se séparer. Ainsi tous ceux qui ont
promis, non-seulement pour se marier, mais pour d'autres motifs, quels qu'ils
soient, auront beau dire qu'ils croient que la messe est une idolâtrie, et que
si on les contraint d'y aller, ils se garderont bien d'avancer jamais davantage
dans la pratique des sacrements; ils ne pourront point être regardés comme des
mécréants, quelque protestation d'incrédulité qu'ils fassent; et on sera en
droit de les contraindre et à la messe et aux sacrements, parce qu'ils se seront
engagés à l'un et à l'autre.
Mais pourquoi les nouveaux convertis, dont la plupart ont
fait leur abjuration sans contrainte, et surtout dans le diocèse de Meaux, comme
M. l'évêque de Meaux l'a écrit lui-même, dont plusieurs se sont approchés
volontairement des sacrements dans le commencement, pourquoi seront-ils regardés
comme des mécréants, dès qu'ils diront, peut-être encore plus de la bouche que
du cœur, qu'ils ne vont à la messe que par contrainte, la regardant comme une
idolâtrie, et qu'ils déclareront qu'ils ne veulent point s’approcher des
sacrements? Pourquoi acquerront-ils par cette protestation le droit de n'être
pas contraints d'aller à la
164
messe, que ceux qui se sont engagés à tout pour se marier
ne peuvent point acquérir par une semblable protestation ? Pourquoi les uns
seront-ils censés mécréants plutôt que les autres ? Mais ce nom de mécréants
peut-il convenir à des chrétiens baptisés, qui croient en Jésus-Christ et en son
Eglise, et qui feront quelquefois cette protestation dans la vue de se faire
laisser dans le repos de mort, dans lequel ils cherchent à s'endormir ? Que si
ce nom leur convient, et s'il leur donne le droit de ne pouvoir être contraints
à l'assistance à la messe, pourquoi une semblable protestation, qui sera
quelquefois plus sincère dans ceux qui ont tout promis pour se marier, ne leur
acquerra-t-elle pas un semblable droit? Ne pouvons-nous pas dire ici à M.
l'évêque de Meaux que le titre de mécréants, par lequel il veut exempter les
nouveaux convertis d'aller à la messe, ou prouve trop ou ne prouve rien ?
DEUXIÈME RÉFLEXION.
Il semble que M. l'évêque de Meaux change l'état de la
question, pour avoir droit d'en conclure que le sentiment des évêques de
Languedoc prouve trop ou ne prouve rien. Il n'est pas vrai qu'on donne à
entendre aux nouveaux convertis, qu'on contraint d'abord seulement à
l'assistance à la messe, qu'on ne leur demandera jamais rien à l'égard des
sacrements; et ils ont si peu lieu de le croire, que plusieurs de ceux qu'on n'a
songé de contraindre qu'à l'égard de la messe, se sont disposés volontairement à
s'approcher de la confession. On commence par l'instruction, à quoi M. de Meaux
ne trouve point d'inconvénient : on y ajoute l'assistance à la messe, parce que
c'est un des exercices de la religion catholique qui recommence tous les huit
jours ; en sorte qu'on ne peut être catholique pendant huit jours sans assister
à la messe, et qu'on peut l'être plusieurs mois sans être obligé de participer à
aucun des sacrements. On espère même que quand les nouveaux convertis auront
rempli tous les devoirs de catholiques pendant quelques mois, ils s'approcheront
volontairement des sacrements ; et c'est en effet ce qui arrive presque
toujours. Il n'est pas même absolument nécessaire, pour remplir tous les devoirs
de catholique pendant quelques années, de recevoir aucun
165
sacrement. L'Eglise ordonne à la vérité à tous ses enfants
de se confesser une fois l'année, et de communier à Pâques : mais elle ajoute :
A moins que le confesseur ne juge à propos de différer et la confession et la
communion. Ainsi pourvu que les nouveaux convertis se présentent à un confesseur
dans le temps prescrit par l'Eglise, quand le confesseur leur différera
l'absolution, on pourra dire qu'ils remplissent tous les exercices de la
religion catholique. Or on a lieu de croire par l'expérience que l'on en a faite
dans les provinces de Languedoc et de Guyenne, que les nouveaux convertis ne
passeront point deux années dans cet état qu'ils ne se portent volontairement à
s'approcher des sacrements.
TROISIÈME RÉFLEXION.
Que, quoique l'Eglise, dans les lois qu'elle a établies ou
qu'elle a demandées aux princes temporels pour contraindre les hérétiques aux
exercices de la religion catholique, n'ait pas distingué l'assistance à la messe
ni la participation aux sacrements ; et qu'ainsi il ne faille jamais faire
entendre aux nouveaux convertis qu'on ne leur demande point de s'approcher des
sacrements, puisque ce serait leur donner lieu de croire qu'on peut être
catholique sans y participer, ce qui serait sans doute une grande erreur : on ne
voit point qu'il y ait aucun inconvénient à appliquer différemment la contrainte
aux différents exercices de la religion, et à contraindre par des peines plus
sévères à l'assistance aux instructions, par de très-légères à l'assistance à la
messe, et par la seule exhortation à la participation aux sacrements; et c'est
là précisément le sentiment des évêques de Languedoc, que nous examinons à
présent.
QUATRIÈME RÉFLEXION.
Que les dispositions nécessaires pour pratiquer utilement
les exercices de la religion catholique, étant différentes selon la nature de
ces exercices, il semble absolument nécessaire de tempérer différemment la
contrainte que l'Eglise croit que les princes peuvent employer pour obliger les
hérétiques à les pratiquer. Ainsi comme en quelque état que l'on soit on peut
entendre
166
utilement les instructions qui se font dans l'Eglise
catholique, et que par cette raison l'Eglise n'en a jamais exclu ni les
infidèles, ni les hérétiques, ni les catéchumènes : il paraît certain qu'on peut
employer les plus grandes peines pour obliger les nouveaux convertis à assister
aux instructions, et ce point-là n'est contesté de personne. A l'égard de la
messe, quoique pour en retirer tout le fruit que l'Eglise se propose il faille
être en état de grâce, afin de pouvoir offrir le sacrifice avec le prêtre en
qualité de membre vivant de Jésus-Christ, qui en est le principal Prêtre :
cependant comme le sacrifice peut être utile même à ceux qui ne l'offrent pas,
quand il est offert pour eux; et que c'est par cette raison que l'Eglise souffre
non-seulement que les pécheurs qui ne sont pas excommuniés y assistent, mais que
même elle leur ordonne d'y assister ; il semble qu'on ne peut pas disconvenir
que les princes ne puissent employer de légères peines pour y faire assister les
nouveaux convertis, qui ne paraissent pas devoir être regardés d'une manière
différente des autres pécheurs. Il n'en est pas de même de la participation des
sacrements, et surtout de la participation de l'Eucharistie, qui étant une
nourriture de vie pour ceux qui y participent saintement, devient un poison
mortel pour ceux qui osent s'en approcher enétat de péché. Ainsi quand la
crainte d'engager les nouveaux convertis dans des sacrilèges énormes, fera
changer en de simples exhortations les peines que les princes temporels ont
autrefois employées pour obliger les hérétiques à y participer, loin d'en
conclure qu'il ne faut pas les contraindre même par des peines légères à
l'assistance à la messe, il faudra louer au contraire en cela la modération de
l'Eglise d'aujourd'hui, comme plus conforme à l'esprit de l'Eglise et aux
différentes dispositions qu'elle demande de ceux qui assistent à ses exercices,
ou qui participent à ses sacrements.
CINQUIÈME RÉFLEXION.
Que les paroles de saint Augustin, dans sa Lettre à
Vincent, montrent clairement qu'on contraignait les donatistes à assister à la
messe dans les églises catholiques, quoiqu'ils fussent persuadés que les évêques
et les prêtres catholiques n'étaient pas de
167
véritables évêques ni de véritables prêtres, et qu'outre
cela ils crussent qu'ils mettaient sur l'autel des choses que la piété ne
permettait pas d'y mettre ; sans que l'Eglise ait fait aucune attention à la
fausse persuasion dans laquelle ils étaient, ni qu'elle les ait jamais regardés
comme des mécréants qu'il ne fallait pas souffrir dans l'Eglise pendant la
célébration des divins mystères. Elle a cru qu'ils étaient obligés de déposer
leur erreur, et de se conformer à la créance de l'Eglise catholique ; et c'est
aussi ce que pensent les évêques de Languedoc à l'égard des nouveaux convertis.
LETTRE XL.
M. L'ÉVÊQUE DE NIMES A M. DE BASVILLE. Réflexions sur la lettre de Bossuet, au
sujet des nouveaux convertis.
M. de Meaux convient d'abord de l'autorité des souverains à
forcer leurs sujets errants d'entrer dans la véritable religion, sous certaines
peines. Ils sont, en effet, selon saint Paul (1), ministres de Dieu pour
procurer du bien à leurs peuples, surtout le plus grand bien, qui est le salut,
et ce n'est pas sans raison qu'ils portent le glaive.
Il propose ensuite deux sortes de sujets errants, qu'il
faut conduire différemment : les uns corrigés, rendus attentifs à la vérité et
portés de bonne foi à nos mystères ; et ceux-là il veut non-seulement qu'on les
y reçoive, mais encore qu'on les y contraigne : les autres, faisant une
profession publique de n'y pas croire, et refusant opiniâtrement d'y participer
; et ceux-ci il les juge incapables d'en profiter, et dignes même de châtiment
avec la modération convenable. M. l'évêque de Meaux est en cela beaucoup plus
sévère que nous : il veut qu'on contraigne même ceux qui sont déjà corrigés, et
qu'on punisse ceux qui paraissent incorrigibles.
Ceux qu'on a corrigés et qu'on a rendus attentifs à la
vente, ne sont plus dans le cas de la contrainte ; ils sont presque sortis des
voies de l'erreur. La tribulation les a rendus sages, ils n'ont
1 Rom., XIII, 6.
168
besoin que d'instruction et de connaissance ; et comme ils
s'appliquent à connaître la vérité, la vérité les délivrera de leurs préventions
: il faut les recevoir avec charité, et les attendre avec patience.
Ceux qui font une profession publique de ne pas croire nos
mystères, et qui refusent opiniâtrement d'y participer, sont proprement ceux que
M. de Meaux appelle errons, et sur qui nous croyons que doit tomber la
contrainte pour les obliger de réfléchir sur eux-mêmes, pour affaiblir par une
contrainte salutaire les préventions qui les retiennent, pour les accoutumer aux
exercices de la religion qu'on veut qu'ils embrassent, et pour les désabuser des
fausses impressions qui leur restent de nos mystères, en les y introduisant
comme témoins et comme assistants, et les disposant insensiblement par les
prédications qu'ils entendent, parles bons exemples qu'ils voient, par les
pratiques de piété qu'ils exercent avec les fidèles, à se rendre dignes d'y
participer.
M. de Meaux est d'avis qu'on peut châtier ces gens-là, qui
sont par leur obstination incapables de profiter de la messe ; et nous demandons
seulement qu'on les contraigne d'y assister avec respect, pour se rendre dignes
d'en profiter.
M. de Meaux ne connaît pas sans doute l'état présent des
nouveaux convertis de cette province. On n'y voit presque plus de ces opiniâtres
déclarés, qui soient ouvertement opposés à la foi, et qui aient conservé dans
leur cœur l'horreur qu'on leur avait donnée de nos mystères. Le temps ralentit
les passions; les impressions d'erreur s'effacent, et une religion sans exercice
s'affaiblit insensiblement. La plupart de nos nouveaux convertis ont perdu le
zèle et la vivacité de leurs préventions : s'ils n'ont pas d'ardeur pour la
religion catholique, ils sont du moins parvenus à n'en avoir point d'aversion ;
en s'approchant de nous, ils s'accoutument peu à peu à nos pratiques. Lassés de
vivre sans culte et sans consolation spirituelle, et ne prévoyant plus rien qui
puisse rétablir leurs temples, ils sont sur le penchant de venir chercher leur
salut avec nous dans nos églises. Un peu d'autorité, un peu de contrainte est
capable d'en déterminer la plus grande partie :
169
ils conviennent eux-mêmes qu'ils ont besoin de ce secours;
et nous l'éprouvons tous les jours.
Il faut donc supposer, premièrement, que les hommes ne se
défont pas aisément de leurs premiers préjugés ; et que les fortes habitudes,
telles que sont celles de la naissance, ne se détruisent que par succession de
temps et qu'autant que quelque nécessité les y oblige.
Secondement, que la contrainte ne peut pas tomber sur les
dispositions intérieures, qu'il n'appartient qu'à Dieu qui sonde les cœurs de
connaître et de pénétrer ; mais sur les actes extérieurs de la religion dont les
hommes peuvent juger, et qui sont les seules preuves des bonnes ou mauvaises
intentions de ceux qui les pratiquent.
Troisièmement, qu'il ne s'agit pas ici de conduire au vrai
culte un petit nombre de gens savants, capables de goûter la raison et de la
suivre, d'être ramenés par la persuasion, et de se rendre, attentifs à la vérité
qu'on leur propose ; mais de réduire un grand nombre de peuples ignorants et
grossiers, en qui il ne reste qu'une idée confuse de sa première religion, qui
n'a d'autres principes de christianisme que ses préventions, qui demeure dans
l'erreur par la seule raison qu'il y est né, et qui n'ayant qu'une aversion
vague qu'on lui avait inspirée contre l'Eglise catholique, n'a presque besoin,
pour y rentrer entièrement, que d'y être poussé par l'autorité du prince.
Quatrièmement, que s'il était possible de leur rendre la
vérité si évidente que le souhaiterait M. de Meaux, et de les y rendre
attentifs, il ne faudrait plus alors de contrainte : la seule force de la vérité
suffirait, si Dieu voulait la leur rendre évidente ; mais il n'accorde pas
ordinairement ces grâces extraordinaires, et sa miséricorde sauve plus
universellement les hommes par la soumission que par la connaissance claire et
distincte de ses vérités.
On doit considérer ensuite sur qui doit tomber la
contrainte, et quel en doit être l'effet. Ceux qui pénétrés de la vérité de la
religion et pressés parleur conscience, viennent s'offrir d'eux-mêmes, et
demandent dans la sincérité de leur foi à participer aux sacrés mystères, y
doivent être admis avec charité et avec joie ; et bien
170
loin de les presser, il faut aller au-devant d'eux. Ce sont
donc ceux que M. de Meaux appelle errants, qui ne croient pas, et qui ne
veulent pas s'instruire de notre créance, qu'il faut mouvoir et qu'il faut
contraindre.
La fin que le Roi s'est proposée, c'est d'abolir une
hérésie enracinée depuis longtemps dans son royaume, et de ramener ses sujets
errants dans le sein de l'Eglise catholique. Si parce qu'ils sont obstinés ils
doivent être à couvert de l'autorité et de la contrainte, ils regarderont leur
obstination comme un titre de repos et de sûreté pour eux, et n'en reviendront
jamais. Parce qu'ils sont errants, faut-il les abandonner à leur erreur? L'état
d'incrédulité ou d'irréligion dans lequel ils vivent, doit-il être une raison
pour les y laisser? Faut-il qu'ils s'endorment tranquillement dans leur fausse
paix ?
Les hommes ne reviennent qu'avec de grandes difficultés
d'une habitude longue et invétérée. Le changement de mœurs et d'opinions coûte
beaucoup : il faut tirer de grands secours de soi ou d'ailleurs pour se vaincre
; et l'esprit et le cœur ne se réduisent ordinairement que par la violence qu'on
leur fait, ou par celle qu'ils se font eux-mêmes. Quelle apparence y a-t-il que
des gens préoccupés se dépouillent, de leur propre gré, des préjugés qu'on a
pris soin de leur inspirer dès leur enfance, dans lesquels ils ont été élevés,
et qui sont pour ainsi dire presque adhérens à leur nature? Ils ont donc besoin
d'être ébranlés et ramenés par. quelque violence étrangère, je veux due par la
sévérité des lois et par l'autorité du prince.
Ces mouvements du dehors servent à exciter ceux du dedans,
et à jeter dans les consciences ce trouble salutaire qui fait sentir d'abord aux
plus obstinés les défauts de leur religion par les incommodités qu'elle leur
cause, et les rend ensuite capables d'examiner leur état, d'écouter les
instructions et les conseils des gens de bien, et de s'accoutumer aux exercices
de la piété chrétienne.
Il se trouve, il est vrai, des difficultés et des
inconvénients même dans les conduites différentes qu'on tient à l'égard des
nouveaux convertis. La douceur ne les touche point ; la sévérité les rebute:
l'une les entretient dans leurs erreurs; l'autre peut
171
les rendre hypocrites. Mais enfin la condescendance n'émeut
point, et la contrainte fait agir, et produit des fruits de bonnes œuvres du
moins extérieures, dont le principe et le motif se purifient avec le temps. En
tout cas ceux qui se soumettent aux actes, sont censés se soumettre aux
dispositions que ces actes demandent.
Quoi qu'il en soit, il faut considérer l'entreprise des
conversions comme une affaire générale, où l'on ne doit pas raisonner par
quelques considérations particulières. Les abus que les hommes dévoient faire
des sacrements n'ont pas empêché Jésus-Christ de les instituer, bien qu'il sût
qu'ils seraient sujet de scandale et de ruine à plusieurs : il n'a regardé que
le bien de ses élus, et la consommation de l'ouvrage qui lui avait été ordonné
par son Père. On doit envisager sans cesse la fin qu'on s'est proposée dans
cette affaire, qui est l'extirpation entière de l'hérésie dans le royaume, et la
réunion de tous ses peuples à la foi et à la religion catholique; et ne pas
s'arrêter trop sur quelques inconvénients particuliers, qu'il faut pourtant
prévenir et corriger autant qu'on peut.
Mais la difficulté principale de M. de Meaux consiste à
savoir, si l'on peut obliger d'assister à la messe ceux qui font une profession
de n'y pas croire, qui refusent opiniâtrement de communier, sans témoigner même
la non-répugnance pour cela, par où il faut commencer, soit parce que dans cet
état ils sont incapables de profiter de la messe ; soit parce que c'est leur
donner une faible idée de la sainteté du mystère, et leur inspirer de
l'indifférence pour les bonnes dispositions qu'il faudrait avoir. Il n'y a
personne qui ne convienne qu'il faut exclure de la messe ceux qui sont dans
l'état que suppose M. de Meaux ; non-seulement la participation, mais
l'assistance au saint sacrifice leur est interdite. Ils ne sont point du corps
des fidèles : l'Eglise les regarde comme hérétiques; et les recevoir aux sacrés
mystères, c'est intéresser son unité, et violer des règles dont elle ne s'est
jamais relâchée.
Mais souffre-t-on dans le royaume ceux qui font profession
publique de ne point croire? Le Roi n'y a-t-il pas interdit toute autre religion
que la catholique ? A quoi servent tant de déclarations
172
et tant d'édits ? Toute la rigueur de ses lois et la
vigilance de ses magistrats doit s'attacher à réprimer ces rebelles : le zèle
même des ministres de l'Eglise doit s'appliquer, par toutes les voies
canoniques, à les soumettre à la seule foi catholique.
Mais outre qu'il n'y a pas beaucoup de personnes de cette
espèce, il me paraît qu'on ne doit pas avoir tant d'égard à certaines
déclarations particulières, que quelques malintentionnés font par esprit de
parti, qu'à l'état général des nouveaux convertis, auquel on doit accommoder sa
conduite.
On leur a fait abjurer l'erreur; l'Eglise les a reçus dans
son sein : on a démoli leurs temples, interdit leurs prêches, puni leurs
assemblées : on les a assujettis à s'épouser en face de l'Eglise; et on leur
impose sous de grandes peines la nécessité de mourir dans la foi catholique et
dans l'usage même des sacrements. Il semble que c'est une conséquence naturelle
de les obliger à remplir tous les devoirs de la religion, et d'employer pour
cela toute la persuasion et toute la contrainte convenable.
En vain on a fait entrer dans le bercail de Jésus-Christ
les brebis égarées, si on leur laisse une liberté funeste d'en sortir, et de se
dédire autant de fois qu'il leur plaira de réveiller leurs préventions. Pourquoi
les obliger de se dire catholiques, si on leur permet de n'en point embrasser la
créance et les pratiques ? N'a-t-on voulu que leur faire changer de nom, et non
pas de foi? Ce serait peu de leur avoir fait perdre leur religion, si l'on
n'avait le soin de leur en faire prendre une autre. On a voulu les conduire dans
les voies du salut; il n'est pas juste de les abandonner au premier pas qu'on
leur a fait faire.
Il faut donc les faire vivre selon les règles de la
religion où on les a fait entrer, et les rendre capables d'en remplir tous les
devoirs. Je ne dis pas qu'on les reçoive à la messe, à la communion, aux
sacrements, tandis qu'ils font profession publique d'une foi contraire : je dis
qu'on les doit obliger de recourir à Dieu, d'implorer ses miséricordes, de lui
demander la foi qu'ils n'ont pas encore, de la leur supposer même lorsqu'ils
témoignent l'avoir déjà, et dans cette disposition les faire assister au saint
sacrifice de la messe.
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Ils en tireront un grand profit ; ils se trouveront enrôlés
dans l'assemblée des fidèles ; ils auront part à leurs prières, à leurs
intercessions, à leurs exemples. Ils seront édifiés de la sainteté du mystère,
et perdront l'horreur qu'on leur en avait donnée. On prendra occasion de leur en
faire connaitre la grandeur et la vérité : ils se prosterneront devant
Jésus-Christ, qui s'offre pour eux, et commenceront à sentir sa propitiation en
reconnaissant qu'ils en sont indignes.
Ce n'est pas en les approchant de nos mystères que nous
avons à craindre de leur en donner une faible idée ; c'est le moyen de leur ôter
la fausse idée qu'ils en ont. Les uns ne s'en approchent pas, parce qu'ils n'en
conçoivent pas l'excellence ; les autres se font de la dignité des mystères un
prétexte pour s'en éloigner. Il faut les mettre dans la nécessité de les
connaître : ils jugeront que la préparation d'esprit et de cœur qu'on leur
demande n'est pas indifférente ; ils verront celles qu'on exige des catholiques
: on les éprouvera; ils apprendront à s'éprouver eux-mêmes, de peur de se rendre
coupables du corps et du sang de Jésus-Christ, et regarderont leur communion
comme le gage de leur salut et le sceau de leur conversion.
L'expérience justifie tous les jours qu'il n'y a que la
voie de l'autorité qui puisse généralement les ramener. Il ne faut pas attendre
qu'ils se soumettent de leur gré à toutes les règles de l'Eglise, et qu'ils se
portent d'eux-mêmes à approcher des sacrements : ils demeureront dans leur
assoupissement, s'ils ne sont réveillés par des mouvements extérieurs qui les
fassent rentrer en eux-mêmes. Toutes les hérésies ont fini ainsi par la sévérité
des princes chrétiens, et par la vigilance des pasteurs évangéliques.
Si M. de Meaux voyait ce nombre infini de nouveaux
convertis des diocèses de cette province s'assujettir à l'Eglise, assister à ses
exercices, écouter ses instructions et se soumettre à ses règles, dès qu'on leur
signifie les ordres du Roi, et qu'on les accompagne de remontrances et
d'instructions charitables ; s'il en voyait la plus saine partie se détacher
tous les jours, les uns après les autres, par une nécessité qu'ils bénissent
mille fois, et embrasser
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avec une sincérité manifeste et une piété exemplaire la
religion dans tous ses points, et la pratiquer exactement dans tous ses devoirs,
il changerait peut-être de sentiment.
Ils sortent de leur erreur comme le Lazare sortit du
tombeau, encore liés des impressions qui leur restent de leurs premiers
préjugés, ne voyant la lumière du jour qu'à demi et n'étant capables de rien par
eux-mêmes. C'est une charité de dissiper ces nuages qui les environnent, et de
rompre ces liens qui les retiennent par une sage contrainte, qui ménageant le
respect dû au sacrement, n'en hasarde jamais la profanation ; mais qui
s'affectionnant au salut de l'homme, le porte à n'en pas négliger les moyens, et
le force même à les prendre d'une manière utile pour lui, et respectueuse pour
les mystères dont il se sent obligé de s'approcher.
Le succès que la Providence a donné à ce moyen efficace,
doit convaincre invinciblement qu'il est selon l'ordre de Dieu. Nous voyons un
assez grand nombre de véritables convertis chanter avec nous les louanges du
Seigneur, se présenter à la sainte table, non-seulement avec révérence, mais
encore avec dévotion, et remercier tendrement ceux qui les ont pressés d'entrer
dans la salle du festin. Nous avons vu dans Nîmes deux de leurs plus fameux
ministres bénir la main qui les avait enlevés à leurs troupeaux, et publier sur
cela jusqu'à la mort l'étendue de; miséricordes divines dans le temps qu'ils
participaient au corps et au sang de Jésus-Christ, et qu'ils étaient prêts de
rendre compte au souverain juge de la sincérité de leur conversion.
Pourquoi donc avoir tant de ménagement au sujet de la
religion, pour un peuple qu'on veut toujours regarder comme catholique? Ya-t-il
une occasion essentielle dans la vie où l'on n'exige d'eux qu'ils en fassent
profession ? Sans cela, les charges interdites, les ordres de succession ôtés,
les enfants enlevés, les mariages défendus et les biens confisqués, s'ils ne
reçoivent en mourant tous les sacrements de l'Eglise. On les contraint par tant
d'endroits : pourquoi ne les obliger point à s'accoutumer de faire pendant leur
vie des actes qu'on leur rend nécessaires à la mort.
M. de Meaux considérera sans doute qu'un penchant naturel a
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besoin, pour être redressé, d'un contre-poids violent;
qu'une conduite molle et relâchée est sans fruit et sans effet pour des esprits
opiniâtres; qu'il ne faut pas laisser ces errants dormir dans le sein de leur
erreur; que c'est les opiniâtrer davantage que de faire servir leur opiniâtreté
même à les mettre à couvert de toute contrainte ; et qu'enfin, pour bien juger
des moyens qui sont les plus efficaces pour les convertir, la meilleure raison
est l'expérience.
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