HOMÉLIE XXIV

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HOMÉLIE XXIV. CAR CE SONT DE FAUX APÔTRES, DES OUVRIERS TROMPEURS, QUI SE TRANSFORMENT EN APÔTRES DE JÉSUS-CHRIST. (XI, 13, JUSQU'À 20.)

 

Analyse.

 

1 . Sur les faux apôtres.— Grandes précautions que prend Paul, lorsqu'il est forcé de parler avantageusement de lui-même ; pourquoi, et dans quelle intention, il se glorifie des avantages qui sont selon la chair.

2. De la tyrannie exercée par les faux apôtres.— Reproches de Paul à ceux qui les supportent.

3. Dans quelles circonstances il est permis de parler de soi avec éloge : exemples de l'Ecriture qui prouvent que c'est quand des paroles de ce genre tournent à l'édification du prochain.

4. Combien la jalousie est funeste.— Vices qu'elle engendre.— Contre le luxe, contre l'amour de la gloire, contre la servitude des passions qui semblent les plus fières.— C'est la gloire à venir qu'il faut rechercher.

 

1. Que dites-vous? ceux qui prêchent Jésus-Christ, qui ne veulent pas recevoir d'argent, qui n'enseignent pas un Evangile différent, ce sont de faux apôtres? Oui, dit-il, et surtout parce que tout ce qu'ils font n'est qu'une comédie, afin de tromper. « Des ouvriers trompeurs ». Ils travaillent à la vérité, mais c'est pour arracher ce qui avait été planté. Ils savent ce à quoi ils sont forcés pour se faire accepter, ils prennent le masque de la vérité, et par ce moyen, ils jouent leur comédie au profit de l'erreur. Il est vrai, dit-il, qu'ils n'acceptent pas d'argent; mais c'est pour recevoir davantage, c'est pour perdre les âmes. Ou plutôt, leur prétention même est un mensonge; ils savaient fort bien percevoir sans qu'on pût (147) s'en apercevoir; c'est ce que l'apôtre montre clans ce qui suit. Il a déjà insinué ce fait, en disant : « A ceux qui se glorifient de faire comme nous » ; nous le verrous ailleurs exprimer sa pensée sur le même objet avec plus de clarté en ces, termes : « Qu'on vous mange, qu'on vous prenne, qu'on vous traite avec hauteur, vous souffrez cela (20) ». Quant à présent, il attaque les faux apôtres d'une autre manière, il dit d'eux : « Qui se transforment». Ils n'ont qu'un masque, ce n'est lue la peau de la brebis qui les recouvre. « Et l'on ne doit pas s'en étonner, puisque Satan même se transforme en ange de lumière. Il n'est donc pas étrange que ses ministres aussi se transforment en ministres de la justice (14,15) ». S'il faut s'étonner de quelque chose, c'est du pouvoir de Satan,; mais ce que font ceux-ci n'a pas de quoi surprendre. Leur maître ose tout; il n'y a rien !d'étonnant à ce que ses disciples suivent son exemple. Maintenant que signifie « ange de lumière? » C'est un ange qui a la liberté de parler à Dieu, et qui se tient auprès de Dieu. Il faut savoir qu'il y a aussi des anges de ténèbres, des anges du démon, anges de la nuit, anges féroces. Le démon a trompé un grand nombre d'hommes, en se transformant, sans devenir pour cela un ange de lumière. De même ces gens-là se promènent sous un masque d'apôtres, sans en avoir la vertu qui n'est pas en leur puissance.

Rien n'appartient autant à la nature du démon que d'agir par ostentation. Mais que signifie : « Ministres de la justice? » C'est ce que nous sommes , nous qui vous prêchons l'Evangile où est contenue la justice. Ou c'est là ce que dit l'apôtre, ou il signifie que les ministres de l'Evangile se sont acquis la réputation d'hommes justes. Comment donc les reconnaîtrons-nous? Par leurs oeuvres selon la parole du Christ. Aussi est-il forcé d'établir le parallèle entre ses bonnes oeuvres et leur perversité, afin que la comparaison mette en évidence les intrus. Au moment d'entreprendre encore son éloge, il commence parles accuser, afin de montrer qu'il est contraint par son sujet, afin qu'on ne l'accuse pas de parler de lui-même, et il dit : « Je vous le dis encore une fois (16) ». Il a déjà eu recours à une foule de précautions. C'est égal, il ne me suffit pas de ce que je vous ai déjà dit, mais je vous le dis encore une fois, afin que l'on ne me regarde pas comme un insensé. Ces gens-là n'avaient qu'une occupation, c'était de se glorifier sans aucun motif. Considérez comment l'apôtre, chaque fois qu'il entreprend son propre éloge, prélude avec circonspection. C'est une action insensée, dit-il, que de se glorifier; mais moi je ne le fais pas à la manière des insensés, j'y suis forcé. Si vous ne me croyez pas, si même en reconnaissant la nécessité qui me presse vous me condamnez, eh bien ! je n'en persisterai pas moins. Voyez-vous comme il montre l'impérieuse nécessité qui le contraint de parler? S'il ne reculait pas devant le soupçon d'être un insensé qui se vante, considérez quelle violente nécessité de parler lui était imposée, quel effort il faisait, quelle contrainte . il subissait. Cependant il s'exprime encore avec mesure. Il ne dit pas : Afin que je me glorifie. Au moment de se glorifier un peu, il a encore recours à une précaution préliminaire; il dit : « Ce que je dis, je ne le dis pas selon Dieu; mais je fais paraître de l'imprudence, dans ce que je prends pour un sujet de me glorifier (17) ».

Voyez de combien il s'en faut que se glorifier soit conforme à la loi du Seigneur. « Lorsque vous aurez tout accompli », dit le Seigneur, «dites-vous : nous sommes des serviteurs inutiles ». (Luc, XVII, 10.) Mais, si l'action en elle-même n'est pas conforme à la loi du Seigneur, elle le devient par l'intention qui la produit. Aussi l'apôtre s'exprime-t-il ainsi : « Ce  que je dis... » ce n'est pas l'intention qu'il reprend, mais seulement les paroles. Son but est assez élevé pour rehausser les paroles mêmes. De même que l'homicide est le plus grand des crimes, mais souvent l'intention l'a rendu méritoire; de même que la circoncision n'est pas conforme à la loi du Seigneur, mais l’intention l'a rendue telle; de même pour ce qui est de se glorifier. Mais pourquoi l'apôtre ne présente-t-il pas avec toute cette précision les considérations qui l'excusent? C'est qu'il est pressé, qu'il a un tout autre but, ce n'est qu'en passant qu'il laisse échapper quelques mots accordés comme par grâce à ceux qui veulent le censurer; il, pense surtout à dire ce qui doit être utile. Les observations déjà faites par lui, étaient suffisantes pour éloigner de lui tout soupçon. « Mais je fais paraître de l'imprudente ». Il a commencé par dire : « Plût à Dieu que vous voulussiez un peu supporter mon imprudence »; et maintenant il dit . « Je fais paraître de l'imprudence ». Plus il (148) avance, plus il donne de netteté à ses expressions. Ensuite comme il ne veut pas qu'on le prenne absolument pour un insensé, il dit « Dans ce que je prends pour un sujet de me glorifier ». En cela seulement, dit-il; c'est avec une restriction du même genre qu'il dit ailleurs « Afin que nous ne soyons pas confondus » ; il dit de même ici. « Dans ce que je prends pour un sujet de me glorifier ». Ailleurs il dit encore . « Est-ce selon la chair que je fais les desseins que je fais, de telle sorte  que l’on trouve également en moi oui, oui; non, non?» et après avoir montré qu'il ne peut pas remplir toujours toutes les promesses qu'il faisait d'aller visiter les Eglises parce qu'il ne prend pas de résolutions selon la chair, pour empêcher qu'on ne soupçonnât aussi son enseignement d'inconstance et de variabilité, il dit : « Mais Dieu qui est véritable, m'est témoin qu'il n'y a point eu de oui et de non dans la parole que je vous ai annoncée ». (II Cor. I, 17,18.)

2. Voyez après combien de préliminaires il apporte encore d'autres motifs d'excuse; entendez-le ajoutant, disant : « Puisque plusieurs se glorifient selon la chair, je puis bien aussi me glorifier comme eux (18) ». Qu'est-ce que cela veut dire: « Selon la chair? » C'est-à-dire, de choses extérieures, de leur noblesse, de leurs ressources, de leur science, de ce qu'ils sont circoncis, de ce qu'ils ont pour ancêtres des Hébreux, de la gloire dont ils jouissent auprès de la multitude. Voyez l'adresse de Paul : il étale d'abord ces biens qui ne sont rien, pour amener le mot de folie qu'il met ensuite. S'il. y a de l'imprudence à se glorifier à propos des biens réels, à plus forte raison y en a-t-il à propos de ceux qui ne sont rien. Et c'est ce qu'il dit, « n'être pas conforme à la loi du Seigneur ». En effet, il ne sert à rien d'être Hébreu, ni de jouir d'autres avantages du même genre. N'allez donc pas vous imaginer que je considère ces titres comme des vertus; mais puisque ces gens-là s'en glorifient, je suis bien forcé d'établir là-dessus ma comparaison avec eux ; c'est ce que fait l'apôtre dans d'autres circonstances encore : « Si quelqu'un croit pouvoir prendre avantage de ce qui n'est que charnel, je le puis encore plus que lui ». (Philipp. III, 4.) L'apôtre parle ainsi à cause de ceux qui prenaient ainsi leurs avantages. Supposez un homme d'une brillante naissance, ayant embrassé la pratique de la sagesse, et qui enverrait d'autres enorgueillis de leur noble origine; pour rabaisser leur vanité, il serait forcé dé parler de l’illustration de sa race à lui, ce qu'il ferait non par désir de se vanter, mais afin de rappeler les autres à l'humilité. C'est ce que fait Paul. Ensuite, laissant de côté ces vaniteux, il ne s'attaque plus qu'aux Corinthiens.

« Vous souffrez sans peine les imprudents (19) ». C'est donc vous qui êtes cause de ces désordres, encore plus que ces faux apôtres. Si vous ne les supportiez pas, si le mal qu'ils vous font ne venait que d'eux, je n'aurais rien à dire; mais c'est votre salut qui m'inquiète, et je condescends à votre faiblesse : Voyez comme il mêle à la réprimande un éloge après avoir dit : « Vous souffrez sans peine les imprudents », il ajoute: « étant vous-mêmes sages ». C'est de l'imprudence que de se glorifier pour de pareils sujets. Sans doute il pouvait les réprimander ouvertement, leur dire Ne supportez pas les imprudents; mais la réprimande, telle qu'il la formule, a plus d'éloquence. En s'y prenant autrement il eût paru ne les réprimander que parce qu'il était privé des mêmes avantages; au lieu qu'en se montrant, même au point de vue de ces avantages, supérieur à ses adversaires, et en disant qu'il dédaigne de pareils titres, ses paroles ont plus de force pour corriger. D'ailleurs, avant de commencer son éloge et d'entreprendre la comparaison qui lui donne la supériorité, il reproche aux Corinthiens la bassesse qui les courbe devant ces hommes.

Voyez comme il les raille : « Vous souffrez », dit-il, « qu'on vous mange (20) ». Mais alors, ô Paul, comment avez-vous pu dire : « A. ceux qui se glorifient de faire comme nous? » Voyez-vous comme il les montre ne se faisant pas faute de recevoir, et non-seulement de recevoir, mais au-delà de toute mesure ? car c'est ce que signifie manger. « Qu'on vous asservisse ». Vos fortunes, dit-il, et vos personnes, et votre liberté, vous avez tout livré. Certes voilà qui est plus fort que de recevoir, ce n'est pas seulement de vos fortunes, mais de vos personnes mêmes qu'ils sont les maîtres. C'est ce qu'il fait voir auparavant par ces paroles : « Si d'autres usent de ce pouvoir à votre égard, pourquoi ne pourrions-nous pas, en user plutôt qu'eux? » (I Cor. IX, 12.) Vient ensuite ce qui est plus grave : « Qu'on vous traite avec hauteur ». Votre servitude est extrême, vos (149) maîtres n'ont pas la douceur en partage, ils sont insupportables, odieux. « Qu'on vous frappe au visage ». Voyez-vous ici encore l'excès de la tyrannie? Ce n'est pas qu'ils fussent frappés au visage, mais ils étaient couverts de mépris et d'outrages; de là ce que l'apôtre ajoute : « C'est à ma confusion que je le dis (21) ». On ne vous traite pas moins mat que ceux que l'on frappe au visage. Que peut-il y avoir de plus violent, de plus amer que cette domination qui vous prend vos fortunes, votre liberté, votre honneur, sans s'adoucir même en vous traitant de cette manière, qui ne vous laisse même pas la condition d'esclaves, mais abuse de vous en vous outrageant plus que l'on ne fait du misérable acheté à prix d'argent. « Comme si nous avions été faibles ». Il y a de l'obscurité dans l'expression. C'est que la vérité était désagréable à dire; il en dissimule l'odieux par l'obscurité des termes. Voici ce qu'il veut faire entendre. Ne pouvons-nous pas faire de même? Mais nous ne le faisons pas. Pourquoi donc les supportez-vous comme s'il nous était impossible d'en faire autant? Certes il faut vous reprendre de ce que vous, supportez des insensés; mais qu'en outre vous vous laissiez ainsi mépriser, piller, traiter avec hauteur, frapper de coups , c'est ce qui ne comporte aucune excuse, c'est ce que jamais la raison ne saurait admettre. Car voilà une étrange manière de tromper les hommes. Ordinairement les trompeurs font des largesses, adressent des flatteries; ceux-là au contraire, ils vous trompent, ils vous prennent ce que vous avez, ils vous outragent. D'où il suit que vous ne pourriez trouver une ombre d'excuse : à ceux qui s'abaissent eux-mêmes à cause de vous, afin que vous soyez élevés, vous répondez par vos mépris; et ceux qui s'élèvent eux-mêmes afin que vous soyez abaissés, vous les entourez de votre admiration. Ne pouvons-nous pas faire de même? Nous nous en gardons bien, nous ne nous proposons que votre intérêt. Ces hommes-là vous pillent, parce qu'ils ne se proposent que leur intérêt à eux. Voyez-vous comment la parfaite liberté de son langage conspire en même temps à leur donner des craintes? Si vous ne les honorez, dit-il, que parce qu'ils vous frappent, que parce qu'ils vous outragent, nous aussi nous. pouvons bien faire de même, vous asservir; vous frapper, vous traiter avec hauteur.

3. Comprenez-vous comment l'apôtre rend les fidèles uniquement responsables et de l'arrogance des faux apôtres et de ce qui paraissait de sa part, de l'imprudence? Ce n'est pas pour exalter ma gloire, c'est pour vous affranchir de votre arrière servitude que je me vois forcé de me glorifier un peu. Il ne faut pas se borner à examiner seulement les paroles, il faut aussi considérer l'intention. Samuel faisait de lui-même un grand éloge en sacrant Saül, quand il disait : « Quel est celui de vous à qui j'ai pris son âne, ou son veau, ou sa chaussure? Qui ai-je opprimé? » (I Rois, XII, 3.) Personne cependant ne l'accusait. Ce n'était pas pour se vanter qu'il parlait ainsi, mais au moment d'instituer un roi, il voulait, en ayant l'air de se justifier, enseigner à ce roi la douceur, la mansuétude. Et considérez la sagesse du prophète, ou plutôt la bonté de Dieu.

... Il voulait d'abord les détourner de prendre un roi. Que fait-il alors ? Il rassemble toutes les charges dont pourra les accabler le roi à venir, comme par exemple, qu'il forcera leurs femmes à tourner la meule, qu'il emploiera les hommes pour conduire ses troupeaux, pour avoir soin de ses mulets (le prophète se plaît à entrer dans le détail de tous les services dont s'entoure le faste de la royauté). Mais quand il voit que ses observations sont inutiles auprès du peuple, que la nation est atteinte d'un mal incurable, alors il compatit à sa faiblesse, et il modère le roi, et il s'efforce de le porter à la douceur. Voilà pourquoi il donne l'exemple de sa propre conduite en témoignage, car personne assurément ne réclamait alors contre lui, ni ne l'accusait; il. n'avait pas besoin de se justifier; ce n'est que pour porter le roi à bien faire, que Samuel parle de lui-même. Aussi, afin. de réprimer l'orgueil de la royauté, il ajoute: « Si vous écoutez le Seigneur, vous et votre roi », tous les biens seront votre partage ; si, au contraire, vous ne l'écoutez pas, tout se tournera contre vous. Amos disait aussi : « Je n'étais ni prophète, ni fils de prophète, je n'étais que bouvier, me nourrissant de mûres. Et Dieu m’a pris». (Amos, VII, 14, 15.) Ce n'était pas pour se louer qu'il parlait ainsi, mais pour fermer la bouche à ceux qui ne voyaient pas en lui un prophète, pour leur montrer qu'il ne les trompait pas, que ses discours étaient inspirés. Un autre encore disait dans le même esprit : « Pour moi, j'ai été rempli de la force du: Seigneur, dans son esprit et dans sa vertu ». (Michée, III, 8.) (150) David aussi, quand il parlait de son ours ou de son lion (I Rois, XVII, 34), ne le faisait pas pour s'exalter, il se préparait à une couvre d'une admirable énergie. Comme on ne voulait pas croire qu'il triompherait du barbare, lui, nu, incapable de porter de lourdes armes, il était bien forcé de fournir des preuves de son courage viril. Et lorsqu'il coupa le bord du manteau de Saül (I Rois, XXIV, 5), ce n'était pas pour se glorifier qu'il dit les paroles qu'il fit entendre, mais pour détourner les affreux soupçons répandus contre lui, qu'il voulait tuer le roi. Donc il faut toujours considérer l'intention des paroles. Celui qui ne se propose que l'intérêt de ceux qui l'écoutent, même quand il se loue, ne doit pas être accusé; au contraire, il mérite une couronne; ce serait, s'il gardait le silence, qu'il mériterait d'être accusé. Si David eût gardé le silence en face de Goliath, on ne lui aurait pas permis de se mesurer avec lui, et il n'aurait pas remporté ce glorieux trophée. David, on n'en peut douter, ne parle que parce qu'il y est forcé, et ce n'est pas à ses frères, mais au roi; ses frères ne l'auraient pas voulu croire ; la jalousie leur fermait les oreilles. Voilà pourquoi, sans songer à ses frères, il ne s'adresse qu'au roi, que l'envie ne travaillait pas encore.

4. Affreux mal que l'envie, mal affreux, et qui va jusqu'à nous persuader de mépriser notre propre salut. C'est ainsi que Caïn s'est perdu lui-même, et avant lui, celui qui avait perdu son père, le démon. C'est ainsi que Saül appela sur lui-même le malin esprit pour la perte de son âme, et après l'avoir appelé, il répondit par de l'envie aux soins de celui qui voulait le guérir. (I Rois, XVIII.) Telle est, en effet, la nature de l'envie ; Saül voyait bien que David le sauvait, et il aimait mieux périr que de voir la gloire de son sauveur. Quoi de plus affreux que cette passion? On peut dire; sans craindre de se tromper, que c'est un enfant du démon, qu'on y trouve le fruit de la vaine gloire, ou plutôt la racine ; car ces deux fléaux s'engendrent l'un l'autre. C'est ainsi que Saül ne se possédait plus, dans son âme envieuse, quand le peuple disait : « David en a tué dix mille ». (I Rois, XVIII, 7.) Quoi de plus insensé? Car enfin, répondez-moi, d'où vous vient votre envie? De ce que quelqu'un reçoit des louanges? Vous devriez vous réjouir. Mais peut-être ne savez-vous pas si la louange est méritée? Votre tristesse vient-elle de ce qu'on loue un homme qui n'a rien d'éclatant? Mais alors vous devriez plutôt avoir compassion de cet homme. En effet, si c'est un homme de bien, personne ne doit ressentir de l'envie, au bruit des louanges qu'on lui donne; il faut joindre sa voix au concert des bénédictions; si au contraire ce n'est pas un homme de bien, pourquoi le chagrin qui vous ronge? pourquoi vous frapper vous-même du glaive? Parce que cet homme est admiré? Oui, admiré des hommes d'aujourd'hui, qui demain n'existeront plus. Parce qu'il jouit de la gloire? De quelle gloire , dites-moi ? de celle dont le Prophète dit que c'est la fleur des champs? (Isaïe, XL, 6.) Voilà ce qui excite votre envie, vous voudriez porter ce fardeau , ces fleurs misérables; vous voudriez en charger vos épaules ? Si cet homme excite tant votre envie, que ne portez-vous envie également aux hommes de peine, que vous voyez tous les jours, sous leur charge de foin, entrer dans la ville? La charge de cet homme n'a rien de supérieur; au contraire, elle a moins de prix encore. L'une ne pèse que sur le corps, l'autre, souvent est un poids funeste pour l'âme et elle lui cause plus d'anxiété que de plaisir.

Quelqu'un est éloquent, il en retirera moins d'admiration que d'envie ; et puis la louange se lasse vite, mais l'envie ne pardonne pas. Mais cet homme est auprès des princes, en grand-honneur? Eh bien ! de là l'envie qu'il excite, et ses dangers. Ce que vous ressentez contre lui, d'autres l'éprouvent également et ils sont en grand nombre. Mais on ne cesse pas de le célébrer? De là, pour cet homme, une servitude pleine d'amertume. Voilà en effet qu'il n'ose plus agir librement, de peur d'offenser ceux qui le glorifient : c'est une lourde chaîne pour lui, que son illustration. Plus cet homme a de gens qui célèbrent son nom, plus il a de maîtres, plus sa servitude s'étend, il voit ses maîtres et seigneurs apparaître partout à ses yeux. Le serviteur, une fois affranchi de la présence de celui qui lui commande, respire en pleine liberté; cet homme, au contraire, rencontre partout ceux qui lui commandent, car il est l'esclave de tous ceux que ses yeux rencontrent sur la place publique. Qu'une affaire urgente le force à sortir, il n'ose pas se risquer sur la place, sans une escorte de serviteurs, sans chevaux, sans pompe, sans étalage, de peur que ceux aux ordres de qui il est ne le désapprouvent. S'il lui arrive (151) d'apercevoir quelqu'un de ses amis, de ses plus familiers, il n'a pas assez de confiance pour lui parler sur le ton de l'amitié; c'est qu'il a peur que ses maîtres ne le fassent un peu déchoir de la hauteur de sa gloire. D'où il suit que, plus il est illustre, plus il est asservi. S'il lui arrive un malheur, l'outrage de la fortune est pour lui d'autant plus amer, que plus de témoins voient l'insulte, et qu'il semble que sa dignité en est atteinte ; et il n'y a pas là seulement un outrage, mais un désastre. Une foule de gens s'en réjouissent; au contraire, dans le cas d'un bonheur nouveau, une foule de gens n'éprouvent que l'envie qui les irrite contre cet homme heureux, et le désir ardent de le renverser. Est-ce là du bonheur, dites-moi? Est-ce là de la gloire? Mille fois non. C'est de la honte, c'est de la servitude, c'est une chaîne, c'est tout ce qui peut s’appeler un fardeau. Si vous trouvez si désirable la gloire que donnent les hommes, s'il suffit pour bouleverser votre âme de voir cet homme que la foule applaudit, eh bien ! au milieu des applaudissements dont vous le verrez jouir, élancez-vous parla pensée vers la vie à venir, vers la gloire réservée à la fin des siècles; et, comme on prend la fuite pour échapper à une bête féroce, comme on se précipite dans sa maison, dont on ferme les portes; prenez alors de même la fuite, cherchez votre refuge dans la vie qui nous attend, dans la gloire ineffable que rien n'égale. C'est ainsi que vous foulerez aux pieds la gloire présente, que vous conquerrez sans peine la gloire divine, que vous jouirez de la vraie liberté, des biens éternels: puissions-nous tous entrer dans ce partage, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

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