Instr. I - Rem. partic.
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Plan - Théologie

REMARQUES PARTICULIÈRES
SUR  LA  PRÉFACE DE  LA  NOUVELLE  VERSION.

 

REMARQUES PARTICULIÈRES  SUR  LA  PRÉFACE DE  LA  NOUVELLE  VERSION.

Ier   PASSAGE.

REMARQUE.

IIe  PASSAGE.

REMARQUE.

IIIe   PASSAGE.

REMARQUE.

IVe PASSAGE.

REMARQUE.

Ve   PASSAGE.

REMARQUE.

Vl°  PASSAGE.

REMARQUE.

VIIe PASSAGE,  ET REMARQUE.

VIIIe PASSAGE, ET REMARQUE.

IXe PASSAGE,  ET REMARQUE.

Xe  PASSAGE.

REMARQUE.

XIe   PASSAGE.

REMARQUE.

XIIe  PASSAGE.

REMARQUE.

 

Ier   PASSAGE.

 

Le traducteur propose comme bonne l'explication de Maldonat, sur ces paroles de l'ange à la sainte Vierge (1) : « Le Saint-Esprit viendra en vous, et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre ; et c'est pourquoi ce qui naîtra saint en vous sera nommé Fils de Dieu. » Luc, I, 35.

L'abrégé qu'il donne de la doctrine de Maldonat est, « que quand même Jésus-Christ n'aurait point été Dieu, il serait appelé Saint, et même Fils de Dieu en ce lieu-ci, parce qu'il a été conçu du Saint-Esprit, » et comme on voit, indépendamment de sa nature divine.

 

1 Joan., IX, 41. — 2 Préf., p. 14, 15.

 

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REMARQUE.

 

Je reconnais les paroles de Maldonat, aussi bien que la conséquence qu'on en tire ; mais il y fallait ajouter de bonne foi qu'après avoir rapporté le sentiment contraire au sien, Maldonat avoue que le sentiment qu'il ne suit pas « est celui de tous les auteurs qu'il a lus : » alii omnes quos legerim. Ainsi il se reconnaît le premier et le seul auteur de son interprétation, ce qui lui donne l'exclusion parmi les catholiques, selon la règle du concile qui oblige d'interpréter l'Ecriture selon la tradition et le consentement des saints Pères.

De cette interprétation de Maldonat, il suit de deux choses l'une : ou que le titre de Fils de Dieu ne prouve en aucun endroit la divinité de Jésus-Christ; ou que ce lieu où elle n'est pas, doit être expliqué en un sens différent de tous les autres : ce qui est un inconvénient trop essentiel pour être omis.

En effet on peut demander à l'auteur de la nouvelle version, si cette parole de l'ange en saint Luc, I, 32 : « Il sera appelé le Fils du Très-Haut, » marque mieux la divinité de Jésus-Christ que celle-ci du même ange , trois versets après : « Il sera appelé Fils de Dieu ; » on n'y voit point de différence. Si donc Jésus-Christ dans le dernier est Fils de Dieu dans un sens impropre, on en dira autant de l'autre; et voilà d'abord deux passages fondamentaux où le titre de Fils de Dieu ne prouvera pas qu'il soit Dieu, ni de même nature que son Père.

Que si dans ces deux passages où l'ange envoyé à la sainte Vierge pour lui expliquer entre autres choses de quel père Jésus-Christ serait le fils, il n'en est fils qu'improprement, sans l'être comme le sont tous les autres fils véritables, de même nature que leurs pères : que pourra-t-on conclure de tous les autres passages, et ne sera-ce pas un dénouement aux sociniens pour en éluder la force ?

Il ne faut donc pas s'étonner si tous unanimement ils ont embrassé cette manière d'interpréter la filiation de Jésus-Christ. Fauste Socin, dans son institution de la religion chrétienne, dit « que Jésus-Christ est appelé Fils de Dieu, parce qu'il a été conçu

 

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et formé par la vertu du Saint-Esprit dans le sein de la Vierge, et que c'est la seule raison que l'ange ait rendue de sa filiation (1). » Il remarque ailleurs qu'il n'en faut point chercher d'autre pour appeler Jésus-Christ le Fils unique de Dieu, « qu'à cause qu'il est le seul qui ait été conçu de cette manière, et que l'Ecriture ne donne jamais pour raison de cette singulière filiation de Jésus-Christ , qu'il est engendré de l'essence et de la substance de son Père (2). »

Volzogue, un des chefs de cette secte, écrit dans son Commentaire sur saint Luc, et sur ces paroles de l'ange, « que Jésus-Christ est Fils de Dieu, parce que Dieu fait par sa vertu ce que fait un père vulgaire dans les autres hommes : » ce qu'il prouve par Maldonat, dont il rapporte au long le passage; en sorte que le traducteur n'aura pas seulement tiré des sociniens l'explication qu'il donne à l'Evangile, mais encore qu'on lui pourra reprocher d'avoir appris d'eux à se servir de Maldonat pour la défendre.

Ils font néanmoins la justice à Maldonat de le reconnaître pour un puissant défenseur de la divinité de Jésus-Christ, strenuum defensorem (3) : mais ils prétendent qu'à cette fois son aveu leur fait gagner leur cause.

J'ajoute que le traducteur, si soigneux de prendre dans Maldonat ce qui peut être avantageux aux sociniens, le devait être encore plutôt à suivre les autres remarques de cet interprète contre leur doctrine, ce que nous verrons qu'il n'a pas fait.

Episcopius, le grand docteur des sociniens (4), voulant expliquer les causes pour lesquelles Jésus-Christ est appelé « Fils de Dieu , uniquement et par excellence , » met à la tête sa conception par l'opération du Saint-Esprit, comme le fondement de toutes les autres.

Ils concluent tous unanimement que c'est en qualité d'homme que Jésus-Christ est appelé Fils de Dieu ; ce qui s'accorde parfaitement avec notre auteur, qui ne veut point que la nature divine de Jésus-Christ soit nécessaire pour lui faire donner ce titre avec l'excellence particulière qui est marquée dans l'Evangile.

 

1 Tom I, p. 650. — 2 Tract. de Deo, etc., Ibid., p. 814. — 3 Ibid.— 4 Inst. theol. lib. IV, cap. XXXIII. p. 365

 

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Telle est la doctrine des sociniens, qui raisonnent plus conséquemment que l'auteur de la nouvelle version, puisqu'ils expliquent d'une manière uniforme tous les passages de l'Evangile, au lieu que l'auteur dont nous parlons excepte un passage principal de l'intelligence commune ; et ainsi abandonnant aux sociniens un texte si essentiel, il leur donne un droit égal sur tous les autres.

On ne s'étonnera pas que je prenne un soin particulier d'éclaircir une matière si capitale, puisque la discussion en est nécessaire pour faire sentir l'esprit d'une version à laquelle on donne dès la préface un si mauvais fondement, pendant qu'en même temps on lui veut donner de l'appui sous un nom aussi célèbre que celui de Maldonat.

J'oppose trois vérités à cette erreur : la première, qu'elle est condamnée par toute la tradition et par les expresses définitions de l'Eglise ; la seconde, qu'elle est contraire aux textes exprès de l'Evangile; d'où s'ensuivra la troisième, que c'est en vain qu'on lui cherche un fragile appui dans le nom d'un célèbre auteur.

Tous les Pères d'un commun accord ont rejeté cette doctrine, en décidant que pour appeler Jésus-Christ Fils de Bien, au sens qu'il est appelé dans l'Evangile, c'est-à-dire le fils unique, le vrai et le propre fils, il faut entendre nécessairement qu'il est le fils par nature et de même essence que son père.

Saint Athanase pose cette règle : « Tout fils est de même essence que son père; autrement il est impossible qu'il soit un vrai fils (1). » C'est ce qu'on trouve à toutes les pages de ses écrits contre les ariens, et ce qu'on lit à chaque ligne dans la lettre synodale de son prédécesseur saint Alexandre, et du concile d'Alexandrie à tous les évêques du monde : c'est le principe que donnaient les Pères pour prouver la consubstantialité, et par conséquent la divinité de Jésus-Christ.

Quand donc les sociniens nous objectent que l'Ecriture ne donne jamais, pour raison de la filiation de Jésus-Christ, sa génération de l'essence ou de la substance de son père, ils se trompent visiblement, puisque cette unité d'essence est suffisamment exprimée par le seul nom de fils, entendu comme il est donné à Jésus-Christ,

 

1 Ep. II, ad Serap., édit. Béned., tom. 1, part. II, p. 687.

 

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c'est-à-dire de fils unique et de vrai ou propre fils. La définition du Symbole de Nicée y est expresse : « Je crois en Jésus-Christ, né Fils unique du Père, c'est-à-dire de sa substance. » Ainsi la substance du Père est comprise dans le nom de Fils unique : d'où il suit, selon ce Symbole, « qu'il est Dieu de Dieu, lumière de lumière, vrai Dieu de vrai Dieu. » Par conséquent la notion de la divinité ne peut pas être séparée du nom de fils, comme il est donné au Fils de Dieu, et c'est l'expresse définition du concile de Nicée.

On lit aussi partout dans les deux Cyrilles, celui de Jérusalem et celui d'Alexandrie, que Jésus-Christ est toujours appelé « le Fils unique de Dieu, c'est-à-dire fils par nature, proprement et en vérité (1). » Saint Augustin dit aussi sur ces paroles du Symbole : « Et en Jésus-Christ son Fils unique, reconnaissez qu'il est Dieu : car le fils unique de Dieu ne peut pas n'être pas Dieu lui-même (2) ; » et encore : « Il a engendré ce qu'il est ; et si le fils n'est pas ce qu'est son père (c'est-à-dire de même nature que lui), il n'est pas vrai fils. »

Ainsi c'est une règle universelle, reconnue par tous les Saints et expressément décidée par le concile d'Alexandrie et par celui de Nicée, que tous les passages où Jésus-Christ est appelé Fils de Dieu absolument, comme il l'est partout, emportent nécessairement sa divinité. Détacher avec notre auteur de ce sens unique un seul passage de l'Evangile, c'est renverser le fondement de la foi, c'est rompre la chaîne de la tradition; et comme il a été dit, c'est en éludant un seul passage de l'Evangile, donner atteinte à tous les autres.

Après les passages où l'explication que nous combattons est condamnée en général, venons aux endroits où est expliqué en particulier le texte de l'Evangile de saint Luc qu'on entreprend d'éluder. Saint Athanase, dans le livre de l’Incarnation, en expliquant ce passage et venant à ces paroles : « Ce qui naîtra saint de vous, sera appelé Fils de Dieu, » conclut aussitôt « que celui que la Vierge a enfanté est le vrai et naturel Fils de Dieu, et Dieu

 

1 Cyril. Hier., Cat., 10; Cyr. Alex., Epist. ad Mon. Aeg., et alibi passim — 2 Tom. VI, De Symb. ad Catech., n. 3.

 

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véritable : » il ne croit donc pas possible d'en séparer la divinité.

Ce passage est cité par saint Cyrille dans sa première Epître aux impératrices devant le concile d'Ephèse (1) ; de sorte que dans ce seul texte nous voyons ensemble le témoignage de deux grands évoques d'Alexandrie, dont l'un a été la lumière du concile de Nicée, et l'autre a été le chef de celui d'Ephèse.

Saint Augustin parle ainsi dans un sermon admirable prononcé aux catéchumènes en leur donnant le Symbole; là il explique ces paroles du même Symbole : « Né du Saint-Esprit et de la vierge Marie, » par celles-ci de l'Evangile : « Le Saint-Esprit descendra sur vous, et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre : » et l'ange ajoute, dit-il : « C'est pourquoi ce qui naîtra saint de vous sera appelé Fils de Dieu : » il ne dit pas, poursuit ce Père, sera appelé Fils du Saint-Esprit, mais sera appelé Fils de Dieu : ce qu'il conclut en ces termes : Quia sanctum, ideo de Spiritu sancto : quia nascetur ex te, ideo de Virgine Maria : quia Filius Dei, ideo Verbum caro factum est; c'est-à-dire : Parce que Jésus-Christ est une chose sainte, sanctum, il est dit qu'il est conçu du Saint-Esprit : parce que l'ange a ainsi parlé à la sainte Vierge : « Il naîtra de vous, » c'est pour cela qu'on a mis dans le Symbole : « Né de la vierge Marie; et parce qu'il est le Fils de Dieu, c'est pour cela que le Verbe a été fait chair (2). » Ainsi en expliquant de dessein formé le passage de saint Luc que nous traitons, on voit qu'il y fait entrer l'incarnation du Verbe, loin de croire qu'on puisse l'entendre, comme notre auteur, sans y comprendre sa divinité.

Ce Père remarque soigneusement que Jésus-Christ n'est pas appelé Fils du Saint-Esprit; ce qui serait inévitable, s'il était fils seulement par la formation divine et surnaturelle de son corps, parce qu'encore que cette formation soit attribuée spécialement au Saint-Esprit comme un ouvrage de grâce et de sainteté, ainsi que la création est attribuée au Père, néanmoins au fond elle appartient à toute la Trinité, comme toutes les opérations extérieures ; en sorte que si Jésus-Christ est appelé Fils de Dieu, à

 

1 Lib. Epist. I, ad Regin. ante conc. Ephes. — 2 Serm. CCXIV  in tradit. Symb., III, n.7.

 

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cause précisément qu'il est conçu du Saint-Esprit, le Père céleste n'est pas plus son Père que le Saint-Esprit ou le Fils même : ce qui est une hérésie formelle, plus amplement combattue dans un autre endroit de saint Augustin que je marque seulement (1).

Mais que servirait d'alléguer ici d'autres autorités particulières, puisque nous avons la décision du concile de Francfort, où tout l'Occident, le Pape à la tète, en alléguant le passage dont il s'agit : « Le Saint-Esprit descendra sur vous, etc., » lorsqu'il en vient à ces mots : « Il sera appelé Fils de Dieu, » les explique ainsi : « Il sera appelé fils absolument, » parce que « l'ange ne parle pas seulement de la majesté de Jésus-Christ, mais encore de sa divinité incarnée (2), » laquelle par conséquent il a en vue en appelant Jésus-Christ Fils de Dieu; d'où ces Pères concluent enfin qu'il n'est pas un fils adoptif, mais un fds véritable; non un étranger (qu'on prend pour fils), mais un propre fds, de même essence que son père. Ainsi l'ange en l'appelant fils, exclut qu'il soit adoptif, ce qu'il n'éviterait pas s'il s'agissait seulement d'un fils par création et par une opération extérieure. Il s'agit donc d'un fils par nature, et par conséquent d'un Dieu; et c'est, selon ce concile, ce que l'ange a voulu dire en le nommant fils.

Trois passages exprès vont faire voir que, selon le style de l'Evangile , le nom de Fils de Dieu ne peut jamais être désuni de la divinité.

1.  « Les Juifs cherchaient à faire mourir Jésus-Christ, parce que non-seulement il violait le sabbat, mais encore parce qu'il disait que Dieu était son propre père (car c'est ainsi que porte le grec), se faisant égal à Dieu (Joan., V, vers. 48). » Donc, parle nom de Fils de Dieu, les Juifs entendaient eux-mêmes quelque chose d'égal à Dieu et de même nature que lui : par conséquent cette idée de divinité est comprise naturellement dans le nom de fils.

2.  La même vérité se prouve par cette parole des Juifs : « Ce n'est point pour une bonne œuvre que nous vous lapidons, mais pour un blasphème, et parce qu'étant homme, vous vous faites Dieu (Joan., X, 33). » Or Jésus-Christ ne se faisait Dieu qu'en se

 

1 Tom. VII,  Enchir., cap. XXXVIII-XL. — 2 Conc. Francof., in libello. Episc. Ital., et cant. 1, tom. II, Conc. Gall.

 

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nommant Fils de Dieu : on entendait donc naturellement que ce terme, au sens que Jésus-Christ le prononçait, renfermait sa divinité. Mais l'ange ne l'entendait pas en un autre sens que Jésus-Christ ; donc l'expression de l'ange montre Jésus-Christ comme Dieu.

3. Sans sortir même des paroles de l'ange, il veut que Jésus-Christ soit fils de Dieu au même sens que ce saint ange le disait fils de David et fils de Marie ; autrement il y aurait dans son discours une grossière équivoque et une manifeste illusion : or est-il que Jésus-Christ est fils de David et de Marie, parce qu'il est engendré de même nature qu'eux : il est donc aussi Fils de Dieu, parce qu'il est engendré de même nature que son père.

Par là est condamné Fauste Socin, lorsqu'il dit qu'on peut être Fils de Dieu sans être de même nature (1) ; et la même condamnation tombe sur tous ceux qui, en quelque endroit que ce soit de l'Evangile, séparent la divinité du nom de fils.

Nous avons donc démontré, comme nous l'avons promis, non-seulement par la tradition de tous les Pères et par les expresses définitions de l'Eglise, mais encore par l'Evangile en trois passages formels, qu'on ne peut dire selon le même Evangile que Jésus-Christ soit Fils de Dieu sans le reconnaître pour Dieu.

Voici néanmoins ce qu'on nous objecte : car il faut laisser sans réplique ceux qui voudraient trouver dans les paroles de l'ange une erreur de si dangereuse conséquence. On fait donc cette objection. Ce saint ange, en expliquant la filiation de Jésus-Christ, n'en a point rendu d'autre raison, si ce n'est qu'il est conçu du Saint-Esprit et par l'ombre de la vertu du Très-Haut : Ideò, dit-il, pour cela, sans parler de la génération éternelle du Fils de Dieu : elle n'y est donc pas nécessaire. Mais ceux qui parlent ainsi, ont peu pénétré la force que donnent les Pères aux paroles de ce bienheureux Esprit.

Le pape saint Grégoire a entendu dans cette ombre du Très-Haut dont la bienheureuse Marie a été couverte, les deux natures du Fils de Dieu (2), et l'alliance de « la lumière incorporelle qui

 

1 Resp. ad lib. Wieki., tom. II, p. 569. — 2 Mor. in Job., lib. XVIII, cap. XII, sub fin.

 

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est Dieu, » avec le corps humain, qui est regardé comme l'ombre.

Conformément à cette explication, le Vénérable Bède a remarqué dans cette ombre du Très-Haut, la lumière de la divinité unie à un corps humain (1).

D'autres Pères ont observé dans ce terme Sanctum, au neutre et au substantif, une sainteté parfaite et absolue, qui ne peut être que celle de la Divinité ; et cette explication n'est pas seulement de quelques Pères, comme en particulier de saint Bernard (2), mais encore du concile de Francfort, au lieu déjà allégué, où l'on voit que si Jésus-Christ est saint en ce sens, il est donc saint comme Dieu, et sa divinité est exprimée par ce mot.

S'il faut venir aux modernes, le cardinal Tolet a reconnu après les anciens, dans ce neutre substantif Sanctum, la sainteté de la divinité même (3), et dans l'ombre du Père éternel l'union de la même divinité avec la nature humaine par l'incarnation.

Le même interprète a remarqué (4) dans l'opération du Saint-Esprit, une céleste préparation de la sainte Vierge pour être Mère de Dieu, n'y ayant que le Saint-Esprit qui fût digne pour ainsi dire de former un corps que le Fils de Dieu se put unir.

Le cardinal Bellarmin a dit que cet ideo de l'ange, tant objecté par les sociniens, « était un signe, et non une cause, de ce que Jésus-Christ était appelé Fils de Dieu. Car il était convenable que si Dieu se voulait faire homme, il ne naquît que d'une vierge; et que si une vierge devait enfanter, elle n'enfantât qu'un Dieu (5). » C'est la solution de ce grand cardinal, et Fauste Socin n'a fait que de vains efforts pour y répondre (6).

Cette explication de Bellarmin est proposée dès les premiers siècles dans un catéchisme de saint Cyrille de Jérusalem, où il parle en cette sorte : « Parce que Jésus-Christ, le Fils unique de Dieu, devait naître de la sainte Vierge, la vertu du Très-Haut l'a couverte de son ombre, et le Saint-Esprit descendu sur elle l'a sanctifiée, afin qu'elle fut digne de recevoir celui qui a créé toutes

 

1 In Luc., cap. I. — 2 Bern., super Missus est, passim. — 3 Comm. in Luc., I, ann. 97, 100, 102, etc. — 4 Tol., ibid. — 5 Tom. I, II, Cont. Gen., lib. I, De Christ., cap. VI. — 6 Faust. Sociu., tom. II, Resp. ad libell. Weik. et ad Sell p. 571.                                                                                                              

 

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choses (1) : » elle devait donc le recevoir en vertu de cette divine préparation, et son fils devait être un Dieu.

Luc de Bruges tranche aussi la chose en un mot, lorsque, pour lier avec l’ideo de saint Gabriel le Filius Dei que cet archange y attache : « Il sera, dit ce docte commentateur, Fils de Dieu par nature, et tel qu'il l'est de toute éternité dans le sein de son Père ; pour cette raison entre les autres, qu'il sera conçu du Saint-Esprit, sans avoir un homme pour père, nul ne pouvant être conçu et fait homme de cette sorte que le Fils de Dieu, auquel seul il ne convenait pas (non decebat) d'avoir un homme pour père sur la terre, parce qu'il avait Dieu pour père dans le ciel : Quem solum non decebat hominem habere in terra patrem, qui patrem in cœlo haberet Deum (2). »

Au reste les divines bienséances et convenances qui ont donné lieu à cet ideo de l'ange et aux conséquences qu'il en tire , ne doivent pas être réglées par une faible dialectique, mais par l'entière compréhension de toute la suite des mystères, selon que Dieu les avait unis dans ses conseils. Ainsi l'on doit croire que la naissance du Fils de Dieu selon la chair par l'opération du Saint-Esprit, est une suite naturelle, et comme une extension de sa génération éternelle au sein de son Père. Par L'effet du même dessein, cette chair unie au Verbe devait sortir du tombeau avec une gloire immortelle ; et tout cela dans l'ordre des conseils de Dieu était une suite de cette parole : « Vous êtes mon Fils, je vous ai engendré aujourd'hui (3). » C'est aussi pour cette raison que saint Paul applique le genui te du Psalmiste à la résurrection du Fils de Dieu, parce qu'elle en est une suite, et que l'éternelle génération de Jésus-Christ comprend en vertu tant sa sortie du tombeau que sa sortie virginale du sein de sa Mère.

C'est l'enchaînement de ces trois mystères que Jansénius, évêque de Gand, a démontré par les Ecritures (4); et par là ce docte auteur a parfaitement expliqué l’ideo de l'ange.

On peut dire encore, et cette remarque est du cardinal Tolet, que cet ideo a son rapport à toute la suite du discours où l'ange

 

1 Cat., ;7. — 5 Sup. in Luc.,hic, tom. III, édit. 1612. — 3 Psalm. II — 4 Comm., cap. V, 29.

 

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avait dit : « Il sera grand (absolument et comme Dieu), et il sera le Fils du Très-Haut, dont le règne n'aura point de fin : « paroles, dit ce cardinal, dont « la venue du Saint-Esprit sur la Vierge, et l'ombre du Très-Haut, font le parfait accomplissement, qui ne pouvait convenir qu'à celui qui serait vraiment et par nature le Fils de Dieu (1). »

Il ne sert de rien d'objecter que dans la pensée de ce savant cardinal, Dieu qui peut tout, pouvait par sa puissance absolue et par l'opération de son Saint-Esprit faire naître d'une vierge un homme pur : en sorte que cette naissance si miraculeuse peut absolument être séparée de l'incarnation du Verbe : cela, dis-je, ne sert de rien; car nous avons vu que la liaison de ces choses ne devait pas être réglée par ces abstractions et possibilités métaphysiques, mais par l'ordre et l'enchaînement actuel des desseins de Dieu. Qu'importe que dans cette supposition métaphysique le fils d'une vierge put n'être pas Dieu, puisqu'en même temps selon ce même cardinal il ne serait pas fils de Dieu, n'étant pas engendré de la substance du Père éternel? Laissons donc ces abstractions, et disons que selon l'ordre réel des desseins de Dieu, le fils d'une vierge devait être le Fils de Dieu, et que par là s'accumulent toutes les merveilles de la gloire de Jésus-Christ et tous les titres d'honneur qui lui sont donnés, comme celui de Christ, de Médiateur, de Roi, et même de Pontife, selon ce que dit saint Paul, que cet honneur lui est donné « par celui qui lui a dit : Vous êtes mon Fils (2). »

Telle est la théologie des anciens e des nouveaux interprètes : et après tout, ceux qui nous opposent la conséquence de l'ange ne font autre chose que de proposer l'objection des sociniens, comme nous ne faisons que répéter les réponses des catholiques.

Il n'est pas permis de laisser passer une proposition si mauvaise en soi et de si dangereuse conséquence, sous prétexte qu'on l'aura tirée de quelque docteur catholique : au contraire il s'y faut opposer alors avec d'autant plus de force, qu'on tâche avec plus d'adresse de lui attirer de la faveur.

C'est donc le cas de faire valoir la règle du concile de Trente, qui oblige les catholiques à expliquer l'Ecriture, non selon un ou

 

1 In Luc., I, loc. sup. — 2 Hebr. V, 5.

 

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deux auteurs, mais selon le consentement unanime des Pères. C'est pourquoi nous avons pris soin d'en rapporter les témoignages et même les décisions expresses de l'Eglise, afin d'ôter d'abord à ceux qui favorisent la mauvaise interprétation tout le fondement qu'ils veulent donner à leur erreur.

Nous aurions pu nous contenter de l'aveu de Maldonat qui, non-seulement n'allègue aucun des Pères ni des autres catholiques, mais encore avoue franchement que tout ce qu'il en a lu lui est contraire. Voici ses propres paroles : « Alii omnes quos viderim ita interpretantur, quasi de Christo ut Deo, aut certè ut homine in unam cum Deo personam assumpto, loquatur Angélus... quamobrem antiqui illi auctores, Nestorii haeresim duos in Christo filios sicut duas personas fingentis, ex hoc loco refutarunt, ut Gregorius et Beda. Quamquàm ego quidem alium arbitror esse sensum, ut non de Christo quâ Deus, neque quâ homo personae conjunctus divinœ, sed de solà conceptione humanàque generatione, hoc intelligatur, etc. » C'est-à-dire : « Tous les autres auteurs que j'ai lus, entendent que l'ange parle de Jésus-Christ comme Dieu, ou du moins comme homme uni avec Dieu dans une même personne. C'est pourquoi ces anciens auteurs, comme saint Grégoire et Bède, ont réfuté par ce passage l'hérésie de Nestorius, qui mettait deux fils ou deux personnes en Jésus-Christ ; mais pour moi, j'estime qu'il faut donner un autre sens à ces paroles de l'ange et les entendre, non de Jésus-Christ comme Dieu ou comme homme uni à une personne divine, mais de la seule conception et génération humaine ». » Par où il rejette manifestement les saints Pères et « tous les auteurs qu'il a lus » sans exception, pour établir son sentiment particulier : EGO QUIDEM : d'où il conclut qu'un pur homme, qui ne serait ni Dieu, ni uni à la personne divine, n'en serait pas moins appelé Fils de Dieu par l'ange, comme il a été remarqué d'abord.

Il se fait donc en termes formels auteur unique d'une proposition jusqu'alors inouïe dans l'Eglise; et en cette sorte il prononce contre lui-même selon la règle du concile; à quoi si nous ajoutons que tous les sociniens embrassent son explication, et

 

1 Comm. in Luc., in hœc verba : Vocabitur Filius Dei, Luc, I, 35.

 

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qu'en effet tous les Pères la rejettent unanimement avec les conciles, on voit clairement qu'elle ne peut éviter d'être condamnée toutes les fois qu'il la faudra examiner.

Que si jusqu'ici on n'en a pas repris l'auteur et qu'on voulût tirer avantage de ce silence, on tomberait dans une erreur condamnée par Alexandre VII et par tout le clergé de France, qui censure sévèrement ceux qui voudraient dire que le a silence et la tolérance emportaient l'approbation de l'Eglise ou du Saint-Siège (1). »

La règle que doivent tenir les bons interprètes est, comme je l'ai dit souvent et on ne peut assez le répéter, de ne prendre dans les auteurs catholiques que ce qui peut être utile à l'édification de l'Eglise et ne trouble point l'analogie de la foi : autrement, s'il était permis de ramasser indifféremment dans tous les auteurs ce qu'il y a d'erroné ou de suspect, qui pourrait avoir échappé à la censure publique, on tendrait aux simples fidèles un piège trop dangereux, et on ouvrirait une porte trop large à la licence.

Si le traducteur avait suivi cette règle, il aurait trouvé la raison d'éviter l'explication de Maldonat dans le propre lieu qu'il en allègue ; et il se serait plutôt attaché aux autres endroits de cet interprète sur le même chapitre de saint Luc. Il y aurait remarqué sur ces paroles de l'ange : Hic erit magnus, « il sera grand (2), » que Jésus-Christ serait grand, non pas comme un grand homme, et comme le même ange l'avait dit de saint Jean-Baptiste ; « il sera grand devant le Seigneur (vers. 13); » mais qu'il serait grand comme le Seigneur, magnus Dominus (Psalm. XLVII). Il y aurait encore trouvé que dans ces paroles du même ange, « il sera nommé le Fils du Très-Haut (vers. 32), » il faut entendre qu'il en sera « le propre Fils uni au Verbe en personne ; » ce qui aurait pu lui faire entendre qu'il ne fallait point varier dans cette explication trois versets après. Mais il omet ces belles remarques de Maldonat, pour s'attacher précisément à ce qu'il y a de mauvais, et dont les sociniens ont tiré l'avantage que nous avons vu.

Je sais que l'auteur s'applique à chercher dans les interprètes catholiques quelque chose qui favorise Maldonat;  mais il se

 

1 Alex. VII, prop. 27; Cens. Cler. Gall., cap. XXX, p. 31.— 2 Ibid.; Luc.  I, 32

 

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donne un vain tourment : car quand il aurait trouvé un ou deux auteurs favorables, il n'en serait pas plus avancé, et on lui dirait toujours : Venons aux Pères : lisons les conciles : et laissons là quelques modernes qu'il faut corriger ou expliquer bénignement.

Au reste c'est autre chose de dire que la conception miraculeuse de Jésus-Christ par l'opération du Saint-Esprit, peut aider à nous faire entendre qu'il est Fils de Dieu : autre chose de s'arrêter précisément à cette raison, ce que je ne trouve dans aucun auteur catholique : mais il n'est pas nécessaire d'entrer dans cet examen, ni de s'arrêter davantage en si beau chemin.

J'ai eu peine de me voir forcé à parler ainsi de Maldonat : c'est la faute du traducteur de l'avoir commis mal à propos. A Dieu ne plaise que je déroge à la grande réputation de ce savant interprète! Au contraire je blâme l'auteur, qui dans sa critique des commentateurs l'accuse de « n'avoir pas lu dans la source tout ce grand nombre d'écrivains qu'il cite (1) : » ce qui marquerait une négligence dont je ne veux pas le reprendre : j'aime mieux dire avec notre auteur que son ouvrage ayant été publié après sa mort, il ne faut pas s'étonner s'il n'est pas toujours aussi exact qu'il « l'aurait été s'il avait mis lui-même la dernière main à son commentaire (2), » étant difficile que les autres réviseurs, quelque habiles qu'ils soient, prennent garde à tout d'aussi près, et tranchent aussi hardiment sur l'ouvrage d'autrui qu'il aurait pu faire s'il était encore au monde.

Ce qu'il y a de plus remarquable, c'est, ainsi qu'il a été dit, que si le traducteur avait pris soin de recueillir les autres endroits de ce savant commentaire, comme il a fait celui-ci, on verrait que cet écrivain se serait réfuté lui-même; et qu'en tout cas, s'il a fallu le reprendre, comme un homme sujet à faillir, c'a été en suivant les sentiments de ces deux savants cardinaux de sa compagnie, le cardinal Tolet et le cardinal Bellarmin.

Je conclus qu'il faut condamner l'endroit que j'ai marqué de la préface, à moins de vouloir dès les premiers pas mettre entre les mains du peuple avec l'Evangile une doctrine qui lui est si opposée

 

1 Chap. XLII, p. 618. — 2 Ibid.

 

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posée, et donner en même temps de nouveaux triomphes aux plus subtils ennemis de la vérité.

 

IIe  PASSAGE.

 

« Les théologiens ne conviennent pas de quelle adoration il est parlé en certains lieux (de l'Evangile), si c'est de la véritable et qui n'est due qu'à Dieu seul, ou du simple respect qu'on rend aux personnes lorsqu'on les salue (1). » Il étend cette équivoque jusqu'à Jésus-Christ par ces paroles : « Il y a de très-anciens interprètes qui croient que les mages ne saluèrent pas seulement l'enfant Jésus comme roi, mais qu'ils l'adorèrent aussi comme Dieu. » Il conserve l'ambiguïté dans sa note sur saint Matthieu, II, 2 ; et il y laisse indécise l'adoration que les mages rendirent à Jésus-Christ.

 

REMARQUE.

 

C'est trop affaiblir la doctrine constante de l'Eglise, que de réduire à quelques interprètes anciens ce qui est commun à tous. « Il y a, dit-on, des interprètes » (catholiques) : s'il n'y en a que quelques-uns, il fallait donc marquer les autres ; mais le traducteur n'en a point trouvé. Pour peu qu'il eût pris la peine de rechercher comme il de voit ces « anciens interprètes, » il aurait appris de saint Chrysostome (2) que l'étoile qui conduisait les mages, en s'inclinant sur la tête de l'enfant, leur montra qu'il était « le Fils de Dieu ; » que par ce moyen elle convainquait d'erreur Paul de Samosate et les autres qui « ne voulaient l'adorer que comme un pur homme, » pendant que les mages lui offraient ce qu'on avait accoutumé « d'offrir à un Dieu ; » que ces présents étaient en effet « dignes d'un Dieu, » et que la nouvelle lumière qui, comme un autre astre, avait commencé à luire à leur esprit, leur apprit à adorer Jésus-Christ « comme Dieu et souverain bienfaiteur de tout le monde. » Saint Augustin a aussi prêché que les mages avaient reconnu Jésus-Christ « comme Dieu (3) ; » et ne l'auraient pas tant cherché, s'ils n'avaient connu que ce roi des Juifs « était aussi le Roi de tous les siècles. »

Ces passages ne sont pas obscurs ni recherchés ; on les trouve

 

1 Préf., p. 35. —  2 In Matth., hom. 7 et 8. — 3 Serm. CC, n. 3; CCI, n. 1. TOM.   111.                                                                             27

 

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sous leur propre titre, qui est celui de l'Epiphanie et des mages. Saint Léon, sous le même nom, répète souvent qu'une lumière plus grande que celle de leur étoile leur avait appris que celui qu'ils adoraient a était un Dieu ; » qu'ils lui offraient « de l'encens » en cette qualité ; qu'ils le reconnurent pour « le Roi du ciel et de la terre; » et qu'ils n'auraient pu « être justifiés, s'ils n'avaient cru le Seigneur Jésus vrai Dieu et vrai homme (1). »

Tout le monde sait les paroles du poète chrétien , qui sont rapportées par saint Jérôme sur ce chapitre de saint Matthieu. Saint Basile est trop précis pour être omis : « Les mages l'adorent, dit-il, et les chrétiens feront une question comment Dieu est dans la chair (2)? » Je n'ai pas besoin de citer les autres passages des Pères; et il suffit de se souvenir de cette maxime de saint Augustin et de Vincent de Lérins, que comme ils étaient tous d'une même foi, qui en entend quelques-uns les entend tous. Aussi ne voit-on ici ni passage opposé, ni doute aucun : on voit au contraire qu'ils supposent le fait de l'adoration souveraine comme constant parmi les chrétiens. Si les mages sont les prémices des gentils, ils doivent être de même foi et de même religion que nous : aussi, comme disait saint Léon , ils n'auraient pas été justifiés par la foi en un homme pur ; et on ne peut démentir ce que chante toute l'Eglise touchant la divinité de Jésus-Christ reconnue par les mages, sans vouloir éteindre une tradition unanime.

Quand le traducteur assure que les « théologiens ne conviennent ; pas du sens de l'adoration » en cet endroit, on voit ceux qu'il appelle « théologiens, » puisqu'à la réserve des sociniens tous concourent à l'adoration de Jésus-Christ comme Dieu. Mais comme Fauteur avait pris la peine d'observer curieusement dans sa critique sur les commentateurs (3), que Fauste Socin attribue aux mages envers Jésus-Christ une adoration de la nature de celle que les Orientaux rendaient à leurs rois, il n'a pas voulu le laisser seul, et il lui donne pour compagnons quelques théologiens et quelques Pères.

Il pouvait compter parmi ces théologiens favorables à Socin

 

1 Serm. III, in Epiph., cap. II, III, IV; serm. IV, cap. II, etc.— 2 Bas., De hum. Chr. gen., sub fin. — 3 Hist. crit. des Comm., etc., chap. LVI, 847. 847.

 

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Grotius, qui donne aux mages une adoration telle qu'on la pouvait « rendre selon la coutume de leur nation à celui qu'ils reconnaissaient comme destiné à la royauté » (Matth., II, 2) sans élever leur esprit plus haut.

Concluons que ces paroles de l'auteur : «  Il y a de très-anciens interprètes, etc. ; » et celles-ci : « Les théologiens ne conviennent pas, etc., » en introduisant un partage entre les théologiens, sous prétexte qu'il y en a entre les orthodoxes et les hérétiques, favorisent les sociniens et affaiblissent le témoignage que toute l'Eglise catholique a porté contre eux.

 

IIIe   PASSAGE.

 

« C'est, selon cette règle qui peut être confirmée par un grand nombre de passages de la Bible, qu'Aron, savant juif de la secte des caraïtes, n'a pas exprimé ces mots du chapitre XIX, verset 26, de la Genèse : Versa est in statuam salis, par ceux-ci, comme on fait ordinairement : « La femme de Lot fut changée en statue de sel; » mais de cette manière : « Elle devint comme une statue de sel, c'est-à-dire immobile (1). »

 

REMARQUE.

 

Il est de mauvais exemple d'autoriser les règles de la version par le témoignage d'un caraïte, c'est-à-dire d'un hérétique de la loi des Juifs , et de fournir aux libertins des moyens pour éluder dans les textes les plus clairs les miracles les plus avérés. Le traducteur ne remédie pas à un si grand mal par un carton qu'il a fait pour cet endroit de sa préface. Que servent ces cartons quand le public n'en est pas averti, et qu'il les ignore ? On fait plus dans le débit de ce livre : on vend à la fois et l'erreur et le prétendu correctif : l'erreur n'a rien voulu perdre ; on satisfait la mauvaise curiosité et le venin s'insinue. On sait d'ailleurs qu'il y a des fautes où un sage théologien ne tombe jamais ; celle-ci est de ce nombre, puisqu'on y tourne en règle la témérité et le mensonge, et qu'on ne peut même se résoudre à les supprimer.

 

1 Préf. , p. 39.

 

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IVe PASSAGE.

 

« Le décret du concile de Trente (pour autoriser la Vulgate) n'a été fait que pour le bon ordre, et pour empêcher toutes les brouilleries qu'auraient pu apporter les différentes versions. » Il ajoute ailleurs « que notre Vulgate a jeté dans l'erreur, non-seulement quelques-uns de nos traducteurs français, mais aussi plusieurs protestants (1). »

 

REMARQUE.

 

C'est penser trop indignement de ce décret que d'en faire un simple décret de discipline; il s'agit principalement de la foi; et le concile de Trente a eu dessein d'assurer les catholiques « que cette ancienne édition Vulgate, approuvée par un si long usage de l'Eglise, » représentait parfaitement le fond et la substance du texte sacré par rapport aux dogmes de la foi ; ce qui se voit par ces paroles du décret : « Qu'elle doit être tenue pour authentique dans les leçons, disputes, prédications et expositions ; en sorte que personne ne présume de la rejeter, sous quelque prétexte que ce soit (2). » Voilà ce qu'il fallait dire de ce célèbre décret du concile , et non pas à la manière du traducteur le réduire à un règlement de police ; ce qu'on ne peut exempter d'erreur manifeste. C'est aussi une irrévérence insupportable de dire que la Vulgate « induise à erreur, » surtout après avoir dit positivement ce qu'on vient d'entendre de la bouche du traducteur ; mais il avait ses raisons , que nous allons voir, pour affaiblir un décret qu'il voulait si peu observer.

 

Ve   PASSAGE.

 

Le traducteur a posé ces belles règles : « Que dans les traductions de la Bible , en langue vulgaire, qui sont destinées aux usages du peuple , il est à propos de lui faire entendre l'Ecriture « qui se lit dans son Eglise , et qu'on l'a ainsi observé religieusement, non-seulement dans l'Eglise romaine, mais aussi dans les sociétés chrétiennes d'Orient : de sorte qu'un sage traducteur qui se propose de faire entendre au peuple l'Ecriture qui se lit dans

 

1 Préf., 5, p. 18 et 81. — 2 Sess. IV.

 

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son Eglise, sera toujours obligé de traduire plutôt sur le latin que sur le grec et l'hébreu, et c'est à quoi il s'oblige (1). »

 

REMARQUE.

 

Voilà une belle règle, mais que l'auteur a mal gardée, puisqu'il commence à la violer dès la préface où il la propose (2), en disant que dans ce passage de l’Epître aux Romains, chapitre IX, verset 3 : Anathema à Christo ; « il fallait traduire, propter Christum, à cause de Jésus-Christ, » et non pas selon la Vulgate et selon le grec : « De Jésus-Christ ou par Jésus-Christ ; » ce qu'il a suivi en effet dans la traduction de cet endroit de saint Paul, en traduisant hardiment sans autorité et sans exemple, à Christo, api Xristo, « pour l'amour de Jésus-Christ. »

Il se glorifie néanmoins de cette traduction en ces termes : « Je n'ai lu aucun traducteur ni aucun commentateur qui ait exprimé parfaitement le sens de ce passage de saint Paul, faute d'avoir fait réflexion sur la particule grecque apo : de sorte qu'au lieu de se corriger d'avoir ici abandonné, non-seulement tous les interprètes , mais encore la Vulgate même qu'il avait promis de traduire, on voit au contraire qu'il en fait gloire.

Au reste dans cet endroit et dans les autres qui suivront, je ne m'attacherai point au fond des passages que je traiterai ailleurs, mais je me contenterai de marquer l'éloignement affecté de la Vulgate.

J'en ai déjà rapporté plusieurs exemples, et les versions que j'ai relevées comme favorables aux sociniens sont la plupart autant, de contraventions à la promesse de traduire selon la Vulgate : « J'ai plus aimé Jacob qu'Esaü (Rom., IX, 13), » est traduit contre la Vulgate : j'en dis autant de ce texte : « Vous ne pouvez rien, séparés de moi (Joan., XV, 5). » On a traduit contre la Vulgate : « Il ne s'est point attribué impérieusement, » au lieu de traduire : « Il n'a pas cru que ce fût une usurpation (Phil., II, 6) ; » on a approuvé cette version : « Le Fils de l'homme , autrement l'homme, » afin de rendre l'homme en général, et non pas Jésus-Christ seul, maître du sabbat (Matth., XII, 8; Luc, VI, 5). C'est encore

 

1 Préf., p. 3, 4 et 35. — 2 P. 21, 22.

 

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contre la Vulgate d'avoir mis « les sacrificateurs du commun » (Act., VI, 7), au lieu « d'un grand nombre de sacrificateurs. » La Vulgate traduit : « Réponse de mort » (II Cor., I, 9) ; et le traducteur malgré tout le monde a voulu dans le texte même que ce fût « une assurance de ne mourir pas. » Je ne finirais jamais si je voulais relever tous les endroits où le traducteur substitue au texte de la Vulgate, non-seulement ses propres imaginations, mais encore les explications des sociniens.

Il viole encore sa règle aux Hébreux, II, 16, où il traduit ce passage : Non enim semen Abrahœ apprehendit : « Ce n'est point les anges qu'il met en liberté. » Il ne s'agit pas ici de savoir si ce commentaire d'Estius est bon ou mauvais, ni si les traducteurs de Mons ont bien fait de l'insérer dans le texte. Notre auteur qui les a tant combattus sans doute ne s'est pas astreint à les suivre, ni à autoriser de mauvais exemples, ni contre ses propres règles à se donner la liberté d'introduire le commentaire de qui que ce fût dans l'original. Ainsi il devait traduire simplement comme il a fait dans sa note : « Il n'a nullement pris les anges; » en quoi il aurait suivi non-seulement « la plupart des Pères, » comme il eu demeure d'accord, mais encore eu particulier tous les Pères grecs, les Athanases, les Chrysostomes, les Cyrilles, qui ont dû entendre leur langue et qui se sont attachés à peser ici les expressions de l'Apôtre. Mais il semble qu'il ait voulu donner un exemple d'abandonner ouvertement, non-seulement la Vulgate, mais encore la plupart des Pères grecs et latins et acquérir la liberté de traduire à sa fantaisie. C'est ce qu'il a fait en une infinité d'endroits, où il rejette dans ses notes la version littérale conforme au grec et à la Vulgate, et le plus souvent d'une manière qui tend à favoriser quelque erreur, ainsi qu'on l'a déjà vu en beaucoup d'exemples.

Il traduit ces paroles de la môme Vulgate : Priusquam Abraham fient, ego sum (en saint Jean, VIII, 58), «je suis avant qu'Abraham fût né ; » au lieu de traduire : « Je suis avant qu'Abraham eût été fait, » quoiqu'il soit certain qu'il ne suit ni la Vulgate ni le grec : genestai qui est dans le grec, ne signifie naître ou être né dans aucun endroit de l'Evangile; c'est partout uniquement genastai. Saint

 

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Augustin, qui a lu comme nous (1), affermit l'antiquité de la Vulgate ; il fonde son explication sur le fieret, qui signifie avoir été fait, et démontre que pour prendre l'intention de cette parole de Notre-Seigneur, il y faut trouver nécessairement une chose faite en Abraham, facturam humanam, et en Jésus-Christ une chose qui est sans avoir été faite. S'il fallait l'autorité des Pères grecs pour exprimer le genestai de leur langue, on eût trouvé dans saint Cyrille d'Alexandrie que ce terme signifiait une chose tirée du néant, et que Jésus-Christ avait parlé proprement en l'attribuant à Abraham (2). Ainsi il ne fallait pas ôter à l'Eglise un avantage que la Vulgate avait de tout temps si soigneusement conservé.

Le traducteur avait bien senti qu'on ne devait pas traduire comme quelques-uns : « Avant qu'Abraham fût, » puisque l'être d'Abraham et celui de Jésus-Christ n'étaient ni le même en soi, ni expliqués par le même mot. Il avait donc aperçu cet inconvénient; mais il n'a pas voulu voir qu'il ne l'évitait pas en traduisant que Jésus-Christ est avant « qu'Abraham fût né, » puisque le terme de naître est ambigu et que Jésus-Christ lui-même est vraiment né, quoique ce soit devant tous les siècles. Il n'y avait donc rien de net ni d'assuré que de s'attacher régulièrement à la Vulgate, qui représentait si parfaitement l'original (3). Si quelques-uns de nos traducteurs n'y ont pas pris garde, nous avons déjà remarqué que celui-ci qui avait promis plus de connaissance des langues et plus de critique, devait avoir réformé les autres qu'il a d'ailleurs si souvent repris, plutôt que de les imiter. Ces traductions, dira-t-on, étaient approuvées à Paris ; mais ce devait être une partie de la critique de notre auteur, de savoir que le docte cardinal qui remplit ce siège a expressément corrigé cet endroit selon la Vulgate, en y faisant mettre ces mots : « Avant qu'Abraham eût été fait, je suis (4). » Comme il n'y avait nul inconvénient à suivre cette correction et à traduire selon la Vulgate, il fallait s'y assujettir, d'autant plus qu'elle serre de plus près les sociniens ; et si l'on est obligé de la révérer lors même qu'en quelque

 

1 Tract, XLIII, in Joan., II. 17. — 2 Lib. VI, in Joan. — 3 Préf., 1. — 4 Le N.T. traduit en français, avec des réflex. moral., chez Pralard, etc.

 

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endroit elle semble s'éloigner un peu de l'original, combien plus doit-on s'y attacher lorsqu'elle le représente si fidèlement?

Les autres contraventions à l'autorité de la Vulgate se trouveront dans les remarques sur les passages particuliers ; et on voit assez que la promesse de s'y conformer n'est qu'une cérémonie.

 

Vl°  PASSAGE.

 

« Il est bon que je déclare maintenant les règles que j'ai observées dans ma traduction (1) ; » il les rapporte au long dans la suite de sa préface ; et l'un de ses approbateurs lui donne la louange « d'avoir rendu le texte sacré selon toutes les règles d'une bonne traduction, qui sont marquées fort judicieusement dans sa préface. »

 

REMARQUE.

 

Cependant on n'y trouvera pas un seul mot de la règle du concile de Trente, qui oblige « à suivre le sens que l'Eglise a toujours tenu, » sans prendre la liberté « de l'expliquer contre le consentement unanime des saints Pères (2). » Dire que cette règle ne regarde pas les traductions, mais seulement les notes interprétatives , c'est une illusion trop manifeste. On a pu voir dans les remarques précédentes, dans combien d'erreurs est tombé l'auteur pour avoir traduit l'Evangile, indépendamment de la tradition de l'Eglise. Si donc il n'a pas seulement rapporté une règle si essentielle, c'est qu'en effet il ne songeoit pas à la suivre.

Il en a dit quelque mot dans un carton, depuis que le livre est imprimé et débité partout : on a déjà remarqué que les cartons de l'auteur ne sont qu'une vaine cérémonie, qui ne fait plus qu'irriter une dangereuse curiosité. En effet le livre se débite encore sans cette faible addition. Après tout il y a sujet de s'étonner qu'on s'en soit avisé si tard, et qu'on n'en ait pas moins hasardé de dire que l'auteur avait expliqué « toutes les règles, » pendant qu'il ne pensait pas seulement à marquer la principale , encore que ce soit celle qui se devait présenter d'abord.

 

1 Préf., p. 13. — 2 Sess. IV.

 

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VIIe PASSAGE,  ET REMARQUE.

 

Le traducteur semble réduire principalement à la connaissance des langues et de la critique l'excellence d'une version. C'est ce qui paraît à la tête de sa préface dans sa lettre à M. L. J. D. R., où il se repose sur les soins de son libraire du choix des censeurs et approbateurs de son livre, en lui disant seulement : « Ayez soin de faire revoir cet ouvrage par quelque théologien habile, et qui sache au moins les trois langues, hébraïque, grecque et latine. »

En transcrivant cette lettre, il a voulu se donner d'abord un air de savant, qui ne convient pas à un ouvrage de cette nature, où tout doit respirer la simplicité et la modestie; et ce qui est pis, il insinue qu'on ne doit reconnaître ici pour légitime censeur que ceux qui savent les langues; ce qui est faux et dangereux. Il est certain que les principales remarques sur un ouvrage de cette sorte, c'est-à-dire celles du dogme, sont indépendantes de la connaissance si particulière des langues, et sont uniquement attachées à la connaissance de la tradition universelle de l'Eglise, qu'on peut savoir parfaitement sans tant d'hébreu et tant de grec, par la lecture des Pères et par les principes d'une solide théologie. On doit être fort attentif à cette remarque, et prendre garde à ne point donner tant d'avantages aux savants en hébreu et dans la critique, parce qu'il s'en trouve de tels, non-seulement parmi les catholiques, mais encore parmi les hérétiques. Nous venons de voir un essai des excessives louanges que leur donne notre auteur et son aveugle attachement à les suivre , même dans cette version. Il faut sans doute estimer beaucoup la connaissance des langues qui donne de grands éclaircissements ; mais ne pas croire que pour censurer les licencieuses interprétations, par exemple d'un Grotius à qui l'on défère trop dans notre siècle, il faille savoir autant d'hébreu , de grec et de latin, ou même d'histoire et de critique qu'il en montre dans ses écrits. L'Eglise aura toujours des docteurs qui excelleront dans tous ces talents particuliers; mais ce n'est pas là sa plus grande gloire. La science de la tradition est la vraie science ecclésiastique ; le reste est abandonné aux

 

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curieux, même à ceux de dehors, comme l'a été durant tant de siècles la philosophie aux païens.

« On ne saurait, dit le traducteur, trop louer M. de Sacy, le Père Amelote, messieurs de Port-Royal et les révérends Pères jésuites de Paris : il aurait été néanmoins à souhaiter que ces savants traducteurs eussent eu une plus grande connaissance des langues originales et de ce qui appartient à la critique (1) » On voit par là trop clairement que l'auteur se veut donner l'avantage au-dessus de tous les traducteurs sous prétexte de cette science, qui rend ordinairement les hommes vains plutôt que sages et judicieux.

Nous avons vu un effet de cette vaine science dans l'avantage que se donne notre traducteur, d'être le seul qui ait entendu un passage de saint Paul, fondé sur une critique qui paraîtra très-mauvaise, quand nous viendrons au lieu de l'examiner.

C'est encore sur le même fondement que dès l’Epître dédicatoire et en parlant à un si grand et si savant prince, il se fait donner par son libraire le titre ambitieux du plus « capable d'un pareil ouvrage (c'est-à-dire, d'une traduction aussi importante que celle du Nouveau Testament) et qui a si bien réussi, qu'il semble que les évangélistes eux-mêmes l'ont inspiré pour parler la langue française. »

Cependant cet ouvrage inspiré par les évangélistes, est corrigé d'abord par l'auteur même en une infinité d'endroits. On multiplie les corrections et on ne peut épuiser les fautes, quoique l'on n'ait point encore touché au vif; et si l'on y met la main, il n'en pourra résulter qu'un nouvel ouvrage.

Au reste il faut trouver bon que dans une matière de cette con-: séquence, je remarque sérieusement qu'un ouvrage comme ce-r lui-ci demandoit plus de simplicité et de modestie, aussi bien que plus d'attention et d'exactitude. Lorsqu'on croit que c'est savoir tout que de savoir les langues et la grammaire, on ne veut qu'éblouir le monde, et on s'imagine fermer la bouche aux contredisants dès qu'on allègue un hébraïsme ou un hellénisme. Je dirai même librement que dans l'hébreu et le grec de notre auteur, il y a plus d'ostentation que d'utilité. Il trouve des difficultés

 

1 Préf., p. 3.

 

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insurmontables dans le passage d'un psaume cité par saint Paul, où sous le nom du Sauveur que David a prophétisé, on lit ces mots : « Il est écrit de moi à la tête du livre (1), » etc. Cette tête du livre embarrasse notre auteur : il appelle saint Jérôme à son secours aussi bien que les interprètes juifs , et ne trouve que des conjectures. La sienne est que par le mot « de tête, il faut entendre volume ou rouleaux, parce que les livres des Juifs étaient des rouleaux en forme de cylindre, et ils se servent encore aujourd'hui de ces rouleaux dans leurs synagogues lorsqu'ils y lisent la loi. » C'est là sans doute une érudition hébraïque ancienne et moderne, assez triviale; mais voici la fin : « Les Septante auront appelé tête ce que nous appelons rouleau, à cause de la figure ronde de ces rouleaux qui est semblable à celle d'une tête. » N'est-ce pas là une rare érudition hébraïque et une heureuse comparaison de notre tête avec un cylindre ?

« Vous aimerez le Seigneur votre Dieu de tout votre cœur, de toute votre âme et de tout votre esprit » ( Matth., XXII, 37). « Les Hébreux, observe la note, se servent quelquefois de plusieurs mots synonymes qui ne disent tous que la même chose. » Sans examiner l'application au précepte de l'amour divin, que servent ici les Hébreux ? Il est de toutes les langues de multiplier les synonymes pour signifier l'affection avec laquelle on parle :

 

Quem si fata virum servant, si vescitur aurâ

Aetherià, nec adhuc crudelibus occubat umbris.

 

Voilà ce me semble assez de synonymes, et il ne faut pas être fort savant pour trouver beaucoup de tels hébraïsmes dans tous les auteurs. Une infinité d'hébraïsmes que le traducteur relève ne sont, comme celui-ci, que des phrases ou des figures de toutes les langues. Plus de la moitié sont si communs, que personne ne les ignore. Qu'on parcoure tous les endroits où nous avons démontré que l'auteur se trompe et qu'on pèse attentivement ceux qui paraîtront dans la suite, on verra qu'il s'est ébloui lui-même, ou qu'il veut éblouir les autres par son grec et par son hébreu; et qu'il cache sous sa critique (je le dirai hardiment, parce qu'il le

 

1 Hebr., X, 7; Psal. XXXIX, 8.

 

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faut, et sans craindre d'être démenti par les vrais savants ) une ignorance profonde de la tradition et de la théologie des Pères. J'en dirai un jour la raison ; et c'est là le sort ordinaire de ceux qui en parcourant leurs écrits, ne s'arrêtent qu'à certains endroits contentieux pour en faire la matière d'un mauvais procès, sans vouloir comprendre la suite des principes où l'on aurait trouvé la décision.

 

VIIIe PASSAGE, ET REMARQUE.

 

Je ne sais à qui en veut notre auteur, quand il attaque avec tant de force et à tant de diverses reprises (1) les explications mystiques de l'Ecriture, puisqu'il avoue si souvent que saint Paul en est rempli : mais voici sur ces sens mystiques une réflexion plus importante.

Il n'y a rien de plus commun dans les notes de notre auteur que d'attribuer, comme il fait aussi dans sa préface (2), un dénis, c'est-à-dire, un sens sublime et spirituel à certains passages de l'Ecriture. Sans s'arrêter à son mot hébreu, qui ne sert de rien pour autoriser son sentiment, il eût fallu instruire le peuple, que ce sens « sublime et spirituel, » loin d'exclure le sens véritable, le contient souvent; et que c'est même le sens primitif et principal que le Saint-Esprit a eu en vue. Bien éloigné de faire cette observation, et au contraire opposant partout le terme de littéral dont il abuse au sens spirituel et prophétique , le traducteur induit le peuple à erreur : comme si les prophéties et les figures de la loi, qui sont toujours alléguées par Jésus-Christ et par les apôtres comme des avant-coureurs et des prédictions de la nouvelle alliance, n'étaient qu'allégorie et application ingénieuse. On en viendra à la preuve quand il sera temps, et il suffit quant à présent que le lecteur soit averti.

On sait que c'est là une des erreurs des sociniens : Grotius s'est perdu avec eux ; il a lui-même abandonné les prophéties qu'il avait si bien soutenues dans son livre de la vraie religion, et par leurs subtilités nous serions presque réduits à ne bâtir plus avec saint Paul sur le fondement des apôtres et des prophètes. L'auteur a pris

 

1 Préf., p. 12, 39 et 31. — 2 Préf., p. 31.

 

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le même esprit; et il n'avait garde de prémunir le peuple contre ce deras scandaleux des prophéties, puisqu'il les élude avec les l autres, comme les remarques particulières le feront paraître.

 

IXe PASSAGE,  ET REMARQUE.

 

Le traducteur est louable d'avoir marqué les défauts de certains manuscrits auxquels on donne trop d'autorité (1). Il est encore louable de se servir des diverses leçons qui autorisent la Vulgate et l'ancienne tradition de l'Eglise latine; mais en même temps pour empêcher ses lecteurs infirmes de se troubler à la vue de tant de diverses leçons qu'il ramasse avec tant de soins, ce qui leur fait soupçonner trop d'incertitude dans le texte , il y avait à les avertir en premier lieu, que ces diverses leçons ne regardent presque que des choses indifférentes ; ce que l'auteur n'a marqué en aucun endroit : et en second lieu, que si l'on en trouve de plus importantes dans quelques manuscrits, la véritable leçon se trouve fixée par des faits constants, tels que sont les écrits des Pères et leurs explications, qui précèdent de beaucoup de siècles tous nos manuscrits.

Faute d'avoir proposé des règles si sûres et si évidentes, le traducteur qui n'en avertit en aucun endroit, laisse son lecteur embarrassé dans les diverses leçons et même affaiblit les preuves des vérités catholiques, dont je donnerai un exemple aussi facile à entendre qu'il est d'ailleurs important.

C'est dans l'Evangile de saint Jean une pleine révélation de la divinité de Jésus-Christ, que l'évangéliste y ait allégué d'un côté la vision d'Isaïe, VI, qui constamment regarde Dieu; et que de l'autre, le même évangéliste déclare que c'est Jésus-Christ, « dont Isaïe voyait la gloire et dont il parlait» expressément : « Voilà, remarque saint Jean, ce qu'a dit le prophète Isaïe lorsqu'il a vu sa gloire (gloriam ejus, celle de Jésus-Christ dont il s'agit en ce lieu) et qu'il a parlé de lui. » (Joan., XII, 41.)

Ce passage est employé par saint Athanase, ou par l'ancien auteur « de la commune essence du Père, du Fils, et du Saint-Esprit, » et encore par saint Basile (2), à prouver que Jésus-Christ

 

1 Préf., p. 43. — 2 Lib. V. cont. Eun.

 

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est le vrai Dieu que le prophète avait vu ; et il n'y a rien de plus convaincant que cette preuve. Mais notre auteur l'affaiblit par cette note : « Lorsqu'il vit sa gloire, c'est-à-dire, selon l'application de l'évangéliste, la gloire de Jésus-Christ, quoiqu'Isaïe parle du Père ; » ce qu'il appuie d'une diverse leçon de quelques manuscrits grecs, où « on lit » la gloire « de Dieu avec le pronom. »

On voit ici en premier lieu qu'il décide que l'explication que donne saint Jean à Isaïe, n'est pas un sens littéral, ou qui soit de l'intention primitive du Saint-Esprit ; « mais une application de l'évangéliste : » en second lieu, il décide encore que saint Jean a fait cette application , « quoique le prophète parlait du Père ; » comme si saint Jean n'était pas un assez bon garant que le Fils est compris aussi dans sa vision : on voit en troisième lieu qu'il allègue en autorité cette diverse leçon ; en quoi il suit les sociniens et Volzogue dans son Commentaire sur saint Jean et sur ce passage (1). Cependant il n'y avait qu'un mot à leur dire : saint Athanase et saint Basile qu'on vient de citer, et saint Cyrille (2) qu'on y ajoute, ont lu comme nous, aussi bien que les autres Pères, il y a douze et treize cents ans et, comme on a dit, tant de siècles avant, tous les manuscrits qu'on allègue pour la nouvelle leçon. Elle n'est donc digne que de mépris; et on ne peut la produire et encore moins l'approuver, sans se rendre coupable devant l'Eglise d'avoir voulu, à l'exemple des sociniens, affaiblir ses preuves les plus convaincantes pour la divinité de Jésus-Christ.

 

Xe  PASSAGE.

 

« Si quelques théologiens ne trouvent point dans mon ouvrage de certaines interprétations sur lesquelles ils appuient ordinairement les principes de leur théologie, je les prie de considérer que je n'ai point eu d'autre dessein dans mes notes que d'y expliquer le sens purement littéral (3) »

 

REMARQUE.

 

Il paraîtra dans la suite que l'auteur renverse une infinité de principes, non de « quelques théologiens, » mais de toute la théologie ;

 

1 Volz. in hunc loc. — 2 Lib. VII, in Joan., hic. — 3 Préf., p. 40.

 

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et quand il s'excuse sur ce qu'il n'a prétendu que d'expliquer le sens littéral, premièrement il nous trompe, puisqu'il remplit toutes ses notes de dogmes théologiques ; et secondement il insinue que la théologie n'est pas littérale.

On ne doit pas oublier que c'est ici le même homme qui a déjà déclaré « qu'il a trouvé la méthode des théologiens scolastiques, » c'est-à-dire, dans son style, leur manière d'entendre l'Ecriture sainte, « peu sûre, et la théologie scolastique capable de faire douer des choses les plus certaines. » Il ajoute : « Les subtilités de ces théologiens ne servent souvent qu'à embarrasser les esprits, et à former de méchantes difficultés contre les mystères de la religion (1). » C'est aussi par là qu'il s'excuse de s'être éloigné « quelquefois des opinions les plus reçues dans les écoles, » en leur préférant les pensées de quelques « nouveaux théologiens, » sous prétexte qu'il aura voulu se persuader qu'ils rentrent dans les sentiments « des plus anciens docteurs de l'Eglise; » comme si l'ancienne doctrine était oubliée et qu'il la fallût aller chercher bien loin. On voit assez quelles nouveautés nous avons à craindre d'un homme qui écrit dans cet esprit. Il ne se dément point dans cet ouvrage; et il y débite tant de nouveautés, si hardies, si dangereuses, qu'on voit bien que ses quelquefois ne sont qu'un adoucissement en paroles. Nous reviendrons dans la suite plus amplement à cette matière; et l'on ne peut pas tout dire dans un seul discours.

 

XIe   PASSAGE.

 

« Les anciens antitrinitaires n'insistaient pas moins que ceux d'aujourd'hui sur ces façons de parler : » Etre baptisé en Moïse, croire en Moïse : « d'où ils inféraient, qu'être baptisé au nom du Saint-Esprit, n'était pas des expressions d'où l'on put conclure que le Saint-Esprit fût Dieu (2). »

 

REMARQUE.

 

L'auteur oppose à cette induction des antitrinitaires un long raisonnement de saint Basile, très-bon, mais peu nécessaire en ce lieu, parce qu'on pouvait tirer de ce même Père et des autres

 

1 Préf. sur l’hist. crit. du texte du Nouveau Testament.— 2 Préf., p. 30

 

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quelque chose de plus décisif et de plus touchant, qui est en trois mots, qu'il y a une extrême différence entre ces mots : « Etre baptisé en Moïse, » et ceux-ci : « Etre baptisé au nom du Saint-Esprit, » en égalité avec le Père et le Fils. Quand on donne aux objections des hérétiques aussi subtils que les sociniens des réponses plus enveloppées, lorsqu'on en a de précises qui ferment la bouche, on se défend mal et il semble qu'on les épargne.

L'auteur n'est que trop suspect de ce côté-là, puisque parmi tant de passages de l'Evangile dont les saints Pères se sont servis pour prouver la divinité du Saint-Esprit, il n'en a remarqué aucun, ni n'en a enrichi ses notes, où il a promis tant de fois le sens littéral : comme si un point de foi si essentiel n'appartenait pas à la lettre de l'Evangile.

 

XIIe  PASSAGE.

 

« Le bon sens veut que la copie d'un écrit, aussi bien que d'un tableau, soit conforme à l'original (1) : » par là sont condamnées les expressions qui restreignent le sens de l'Evangile ; et il faut comprendre sous cette règle, suivant ces autres remarques qui y ont rapport, que comme il faut éviter trop « d'attachement à la politesse (2), » il faut aussi se garder « des expressions basses (3) » parce que l'un et l'autre déroge à la parfaite conformité de la copie avec l'original, qui n'est ni bas ni affecté.

 

REMARQUE.

 

Loin de contester cette règle, je prétends seulement ici examiner avec l'auteur s'il l'a observée.

« Comme Joseph était juste (Matth., I, 19). » La note du traducteur porte « que le mot de juste se prend ici pour bon, commode, équitable, doux; en sorte que l'évangéliste a voulu marquer par là que Joseph était un bon mari, etc. » J'omets ici toutes les autres réflexions pour m'attacher seulement à la bassesse de l'expression et à la faible idée qu'elle donne de la vertu de saint Joseph, réduite au froid éloge d'être « bon mari et commode. » On avait laissé passer cette note à l'auteur, tant on lui était indulgent : mais

 

1 Préf., p. 13.— 2 Préf., p. 32. — 3 Préf., p. 25.

 

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depuis apparemment il en a rougi et il a fait ce carton : « Le mot de juste se prend ici pour bon, équitable, doux; en sorte que saint Matthieu a voulu marquer par là que Joseph était un bon mari, etc. » C'est en cet état que le livre se débite ; et l'on voit que la correction ne va pas plus loin que d'ôter le mot de commode, qui avait un sens ridicule, pour ne rien dire de plus, que tout le monde a senti. L'auteur a donc fait dans un troisième carton cette dernière correction : Juste, c'est-à-dire selon saint Chrysostome, doux, équitable : Xestos kai epieikes.

Voilà bien des raffinements pour expliquer le mot dikaios, justus, qui est le plus simple de l'Ecriture : encore n'a-t-on pas bien rencontré à cette dernière fois. Le Xrestos de saint Chrysostome porte plus loin que la douceur, et signifie bonté ; ce qui fait partie de la justice chrétienne. Le terme epieikes se réduit aussi à l'idée commune et générale de juste et d'homme de bien : aussi voit-on dans saint Chrysostome au même endroit, que juste veut dire en ce lieu « un homme parfaitement vertueux et en toutes choses (1). » Il ne fallait pas oublier une expression si noble et si littérale, non plus que ce qu'ajoute le même saint « de la sublime sagesse et philosophie de saint Joseph, supérieure à toutes les passions, et même à la jalousie qui est une espèce de fureur. » Pourquoi retrancher ces belles paroles, si ce n'est que ce passage de saint Chrysostome a été fourni par Grotius (hic) et qu'on n'y a voulu voir que ce qui est rapporté par cet auteur?

Il fallait donc prendre de ce Père l'idée parfaite du juste ; il y fallait voir l'amour de Dieu et du prochain, qui est la justice consommée, où toute perfection de la loi et des prophètes est contenue. L'indulgence, la condescendance, la bonté s'y seraient trouvées comme des appartenances de la justice : non que le mot dikaios signifie directement bon et doux (on sait les termes de l'Evangile et de saint Paul (2) pour exprimer ces vertus), mais à cause qu'il le comprend dans son étendue.

L'on voit par là qu'il fallait laisser à ce mot juste sa signification naturelle. Quel inconvénient d'avouer que saint Joseph était juste comme l'étaient Siméon « le juste (3), » Barsabas « le

 

1 Hom. IV, in Matth. — 2 Matth., v, 4; Galat., V, 22, 23. — 3 Luc., II, 25.

 

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juste (1), » Zacharie et Elizabeth «justes devant Dieu, observant tous les commandements et toutes les lois du Seigneur (2). Car c'est ainsi que l'avait distinctement expliqué saint Luc (3) ; et saint Chrysostome remarque en parlant de la justice de saint Joseph, que c'est « le sens le plus général » que l'Ecriture donne à ce terme, « qui, dit-il, signifie la vertu parfaite. » Après avoir posé ce fondement, où les paroles de l'Evangile conduisent naturellement les esprits, on eût donné pour preuve de cette justice dans saint Joseph les égards qu'il eut pour sa sainte Epouse, qui enfin le rendirent digne d'apprendre du Ciel le mystère qui s'accomplissait en elle. Je m'étends exprès sur ce passage, afin qu'on remarque le caractère du traducteur, et qu'on entende que pour avoir voulu raffiner, cet auteur n'a pas seulement abandonné les grandes idées de l'Ecriture, mais encore qu'il est tombé dans le bas, dans le ridicule, et qu'il s'est opiniâtre à restreindre les expressions de l'Evangile sans en vouloir revenir.

Passons aux autres affectations et bassesses de ses expressions : il veut nous faire trouver les avanies dès le temps de l'Evangile dans saint Luc, VI, 28, comme si les oppressions dont il est parlé en ce lieu étaient resserrées dans cette espèce. Que dirons-nous du sofa que Dieu donne à ses amis dans l’Apocalypse, IV, 4, qui pourtant est bien éloigné du trône des rois d'Orient, qu'il croit expliquer par ce terme : quoi qu'il en soit, il nous fait sortir par ces affectations des idées majestueuses, ainsi que des expressions de l'Ecriture.

Saint Paul avait rejeté les faux circoncis, c'était-à-dire les Juifs qui ne portaient la circoncision que dans la chair, en les nommant seulement des gens blessés et tranchés, qui portaient une coupure inutile, concisio (4) : l'auteur en fait dans sa note des gens charcutés ; et ce qui fait peine à rapporter, il substitue une expression si indigne à la force de celle de l'Apôtre.

Je ne sais pourquoi il a voulu expliquer dans sa note « l'aiguillon (5) » dont parle saint Paul, par « avoir une épine au pied, » qui est d'un langage si bas et d'ailleurs si fort au-dessous de ce que l'Apôtre appelle « l'ange de Satan : » ni pourquoi il explique

 

1 Act., I, 23. — 2 Luc., I, 6. — 3 Ibid. — 4 Phil., III, 2. — 5 II Cor., XII, 7.

 

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aussi « se remarier selon le Seigneur (1), » par ces mots : « En tout bien et honneur, » comme si outre la bassesse de cette expression du vulgaire, ces grands mots : « Selon le Seigneur, » se devaient réduire à une simple honnêteté selon le monde.

Il semble dans toutes les notes que l'auteur n'ait eu dans l'esprit que le dessein de ravilir les idées de l'Ecriture. Sous prétexte de rapprocher les objets et de condescendre à la capacité du vulgaire, il le plonge pour ainsi parler jusque dans la fange des expressions les plus basses.

Garder la parole et le commandement de Jésus-Christ, veut dire sept ou huit fois dans saint Jean, XIV, XV, XVII et en cent autres endroits de l'Evangile, les mettre en pratique, y obéir. Ainsi l'auteur avait parfaitement rendu cette expression du Fils de Dieu : Si sermonem meum servaverunt, et vestrum servabunt ( Joan., XV, 20), en traduisant naturellement comme tous les autres : « S'ils ont gardé ma parole, ils garderont aussi la vôtre. » Mais comme un si grand critique n'est pas content s'il ne montre qu'il voit dans son texte ce que nul autre n'y a jamais aperçu, il tombe dans la ridicule version que voici : « Gardé et observé, c'est autrement épié; » et contre tous les exemples, il donne la préférence à cette traduction , sous prétexte que dans notre langue observer, veut dire « épier, quand nous disons observer un homme. »

« Les Juifs d'envie qu'ils eurent, ayant pris avec eux de méchantes gens de la lie du peuple, » ce qui exprimait naturellement les paroles du texte sacré (Act., XVII, 5) ; mais l'auteur s'est avisé de cette note : « Le mot grec signifie proprement des gens qui sont toujours sur le pavé et dans les grandes places à ne rien faire, c'est ce que nous appelons batteurs de pavé. » Le mot grec agoraion, qui est dans le texte, quoi qu'en puisse dire le critique, n'a aucun rapport au pavé, et il a seulement voulu montrer qu'il savait changer les expressions les plus naturelles dans les plus vulgaires et les plus basses.

Si quelques-unes de ces remarques paraissent en elles-mêmes peu considérables, il n'est pas inutile d'observer que notre critique a peu connu, je ne dirai pas cette justesse d'esprit qui ne

 

1 I Cor., VII, 39.

 

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s'apprend point et le bon goût d'un style simple, mais je dirai le grave et le sérieux, qui convient à un traducteur de l'Evangile : en sorte que nous voyons concourir ensemble dans cette version, avec la témérité et l'erreur, la bassesse et l'affectation, et tout ce qu'il y a de plus méprisable.

C'est quelque chose de plus d'avoir dit dans la préface sur l'Apocalypse, « que ce livre est une espèce de prophétie. » Jérémie était-il prophète à meilleur titre que saint Jean, à qui il a été dit comme à lui : « Il faut que tu prophétises aux nations, aux peuples, aux langues, et à plusieurs rois (1); » et encore : « Bienheureux celui qui garde les paroles de la prophétie de ce livre ; » et encore : « Ne scellez point les paroles de la prophétie de ce livre (2) ; » et encore : « Si quelqu'un retranche des paroles de la prophétie de ce livre (3) ; » et encore : « Je suis comme vous, serviteur de Dieu et de vos frères les prophètes (4) ? » Voilà donc en paroles claires saint Jean au rang des prophètes, et leur frère, ce que notre auteur n'a pas voulu voir et n'a daigné le traduire, encore qu'il soit et du grec et de la Vulgate. Cependant saint Jean ne sera « plus qu'une espèce de prophète » malgré les expressions, non-seulement des saints Pères, mais encore du Saint-Esprit dans ce divin Livre.

C'en est assez pour cette fois, et on voit déjà par la seule préface de l'auteur et par toutes les explications qu'on a observées, s'il a mérité le titre superbe du plus capable des traducteurs, surtout si on le regarde du côté de la tradition, qui est le principal fondement d'un ouvrage de cette nature. Nous en dirons davantage dans les remarques sur les passages particuliers.

1 Apoc, X, 11. — 2 Apoc., XXII, 7, 10. — 3 Ibid., 19. — 4 Ibid., 9.

 

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