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REMARQUES PARTICULIÈRES SUR LA PRÉFACE DE LA NOUVELLE VERSION.
Ier PASSAGE.
REMARQUE.
IIe PASSAGE.
REMARQUE.
IIIe PASSAGE.
REMARQUE.
IVe PASSAGE.
REMARQUE.
Ve PASSAGE.
REMARQUE.
Vl° PASSAGE.
REMARQUE.
VIIe PASSAGE, ET REMARQUE.
VIIIe PASSAGE, ET REMARQUE.
IXe PASSAGE, ET REMARQUE.
Xe PASSAGE.
REMARQUE.
XIe PASSAGE.
REMARQUE.
XIIe PASSAGE.
REMARQUE.
Le traducteur propose comme
bonne l'explication de Maldonat, sur ces paroles de l'ange à la sainte Vierge
(1) : « Le Saint-Esprit viendra en vous, et la vertu du Très-Haut vous couvrira
de son ombre ; et c'est pourquoi ce qui naîtra saint en vous sera nommé Fils de
Dieu. » Luc, I, 35.
L'abrégé qu'il donne de la
doctrine de Maldonat est, « que quand même Jésus-Christ n'aurait point été Dieu,
il serait appelé Saint, et même Fils de Dieu en ce lieu-ci, parce
qu'il a été conçu du Saint-Esprit, » et comme on voit, indépendamment de sa
nature divine.
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Je reconnais les paroles de Maldonat, aussi bien que la
conséquence qu'on en tire ; mais il y fallait ajouter de bonne foi qu'après
avoir rapporté le sentiment contraire au sien, Maldonat avoue que le sentiment
qu'il ne suit pas « est celui de tous les auteurs qu'il a lus : » alii omnes
quos legerim. Ainsi il se reconnaît le premier et le seul auteur de son
interprétation, ce qui lui donne l'exclusion parmi les catholiques, selon la
règle du concile qui oblige d'interpréter l'Ecriture selon la tradition et le
consentement des saints Pères.
De cette interprétation de
Maldonat, il suit de deux choses l'une : ou que le titre de Fils de Dieu ne
prouve en aucun endroit la divinité de Jésus-Christ; ou que ce lieu où elle
n'est pas, doit être expliqué en un sens différent de tous les autres : ce qui
est un inconvénient trop essentiel pour être omis.
En effet on peut demander à
l'auteur de la nouvelle version, si cette parole de l'ange en saint Luc,
I, 32 : « Il sera appelé le Fils du Très-Haut, » marque mieux la divinité de
Jésus-Christ que celle-ci du même ange , trois versets après : « Il sera appelé
Fils de Dieu ; » on n'y voit point de différence. Si donc Jésus-Christ dans le
dernier est Fils de Dieu dans un sens impropre, on en dira autant de l'autre; et
voilà d'abord deux passages fondamentaux où le titre de Fils de Dieu ne
prouvera pas qu'il soit Dieu, ni de même nature que son Père.
Que si dans ces deux passages où
l'ange envoyé à la sainte Vierge pour lui expliquer entre autres choses de quel
père Jésus-Christ serait le fils, il n'en est fils qu'improprement, sans l'être
comme le sont tous les autres fils véritables, de même nature que leurs pères :
que pourra-t-on conclure de tous les autres passages, et ne sera-ce pas un
dénouement aux sociniens pour en éluder la force ?
Il ne faut donc pas s'étonner si
tous unanimement ils ont embrassé cette manière d'interpréter la filiation de
Jésus-Christ. Fauste Socin, dans son institution de la religion chrétienne, dit
« que Jésus-Christ est appelé Fils de Dieu, parce qu'il a été conçu
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et formé par la vertu du Saint-Esprit dans le sein de la
Vierge, et que c'est la seule raison que l'ange ait rendue de sa filiation (1).
» Il remarque ailleurs qu'il n'en faut point chercher d'autre pour appeler
Jésus-Christ le Fils unique de Dieu, « qu'à cause qu'il est le seul qui
ait été conçu de cette manière, et que l'Ecriture ne donne jamais pour raison de
cette singulière filiation de Jésus-Christ , qu'il est engendré de l'essence et
de la substance de son Père (2). »
Volzogue, un des chefs de cette
secte, écrit dans son Commentaire sur saint Luc, et sur ces paroles de
l'ange, « que Jésus-Christ est Fils de Dieu, parce que Dieu fait par sa vertu ce
que fait un père vulgaire dans les autres hommes : » ce qu'il prouve par
Maldonat, dont il rapporte au long le passage; en sorte que le traducteur n'aura
pas seulement tiré des sociniens l'explication qu'il donne à l'Evangile, mais
encore qu'on lui pourra reprocher d'avoir appris d'eux à se servir de Maldonat
pour la défendre.
Ils font néanmoins la justice à
Maldonat de le reconnaître pour un puissant défenseur de la divinité de
Jésus-Christ, strenuum defensorem (3) : mais ils prétendent qu'à cette
fois son aveu leur fait gagner leur cause.
J'ajoute que le traducteur, si
soigneux de prendre dans Maldonat ce qui peut être avantageux aux sociniens, le
devait être encore plutôt à suivre les autres remarques de cet interprète contre
leur doctrine, ce que nous verrons qu'il n'a pas fait.
Episcopius, le grand docteur des
sociniens (4), voulant expliquer les causes pour lesquelles Jésus-Christ est
appelé « Fils de Dieu , uniquement et par excellence , » met à la tête sa
conception par l'opération du Saint-Esprit, comme le fondement de toutes les
autres.
Ils concluent tous unanimement
que c'est en qualité d'homme que Jésus-Christ est appelé Fils de Dieu ;
ce qui s'accorde parfaitement avec notre auteur, qui ne veut point que la nature
divine de Jésus-Christ soit nécessaire pour lui faire donner ce titre avec
l'excellence particulière qui est marquée dans l'Evangile.
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Telle est la doctrine des
sociniens, qui raisonnent plus conséquemment que l'auteur de la nouvelle
version, puisqu'ils expliquent d'une manière uniforme tous les passages de
l'Evangile, au lieu que l'auteur dont nous parlons excepte un passage principal
de l'intelligence commune ; et ainsi abandonnant aux sociniens un texte si
essentiel, il leur donne un droit égal sur tous les autres.
On ne s'étonnera pas que je
prenne un soin particulier d'éclaircir une matière si capitale, puisque la
discussion en est nécessaire pour faire sentir l'esprit d'une version à laquelle
on donne dès la préface un si mauvais fondement, pendant qu'en même temps on lui
veut donner de l'appui sous un nom aussi célèbre que celui de Maldonat.
J'oppose trois vérités à cette
erreur : la première, qu'elle est condamnée par toute la tradition et par les
expresses définitions de l'Eglise ; la seconde, qu'elle est contraire aux textes
exprès de l'Evangile; d'où s'ensuivra la troisième, que c'est en vain qu'on lui
cherche un fragile appui dans le nom d'un célèbre auteur.
Tous les Pères d'un commun
accord ont rejeté cette doctrine, en décidant que pour appeler Jésus-Christ Fils
de Bien, au sens qu'il est appelé dans l'Evangile, c'est-à-dire le fils unique,
le vrai et le propre fils, il faut entendre nécessairement qu'il est le fils par
nature et de même essence que son père.
Saint Athanase pose cette règle
: « Tout fils est de même essence que son père; autrement il est impossible
qu'il soit un vrai fils (1). » C'est ce qu'on trouve à toutes les pages de ses
écrits contre les ariens, et ce qu'on lit à chaque ligne dans la lettre
synodale de son prédécesseur saint Alexandre, et du concile d'Alexandrie à
tous les évêques du monde : c'est le principe que donnaient les Pères pour
prouver la consubstantialité, et par conséquent la divinité de Jésus-Christ.
Quand donc les sociniens nous
objectent que l'Ecriture ne donne jamais, pour raison de la filiation de
Jésus-Christ, sa génération de l'essence ou de la substance de son père, ils se
trompent visiblement, puisque cette unité d'essence est suffisamment exprimée
par le seul nom de fils, entendu comme il est donné à Jésus-Christ,
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c'est-à-dire de fils unique et de vrai ou propre fils. La
définition du Symbole de Nicée y est expresse : « Je crois en Jésus-Christ, né
Fils unique du Père, c'est-à-dire de sa substance. » Ainsi la substance du Père
est comprise dans le nom de Fils unique : d'où il suit, selon ce Symbole, «
qu'il est Dieu de Dieu, lumière de lumière, vrai Dieu de vrai Dieu. » Par
conséquent la notion de la divinité ne peut pas être séparée du nom de fils,
comme il est donné au Fils de Dieu, et c'est l'expresse définition du concile de
Nicée.
On lit aussi partout dans les
deux Cyrilles, celui de Jérusalem et celui d'Alexandrie, que Jésus-Christ est
toujours appelé « le Fils unique de Dieu, c'est-à-dire fils par nature,
proprement et en vérité (1). » Saint Augustin dit aussi sur ces paroles du
Symbole : « Et en Jésus-Christ son Fils unique, reconnaissez qu'il est Dieu :
car le fils unique de Dieu ne peut pas n'être pas Dieu lui-même (2) ; » et
encore : « Il a engendré ce qu'il est ; et si le fils n'est pas ce qu'est son
père (c'est-à-dire de même nature que lui), il n'est pas vrai fils. »
Ainsi c'est une règle
universelle, reconnue par tous les Saints et expressément décidée par le concile
d'Alexandrie et par celui de Nicée, que tous les passages où Jésus-Christ est
appelé Fils de Dieu absolument, comme il l'est partout, emportent
nécessairement sa divinité. Détacher avec notre auteur de ce sens unique un seul
passage de l'Evangile, c'est renverser le fondement de la foi, c'est rompre la
chaîne de la tradition; et comme il a été dit, c'est en éludant un seul passage
de l'Evangile, donner atteinte à tous les autres.
Après les passages où
l'explication que nous combattons est condamnée en général, venons aux endroits
où est expliqué en particulier le texte de l'Evangile de saint Luc qu'on
entreprend d'éluder. Saint Athanase, dans le livre de l’Incarnation, en
expliquant ce passage et venant à ces paroles : « Ce qui naîtra saint de vous,
sera appelé Fils de Dieu, » conclut aussitôt « que celui que la Vierge a
enfanté est le vrai et naturel Fils de Dieu, et Dieu
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véritable : » il ne croit donc pas possible d'en séparer la
divinité.
Ce passage est cité par saint
Cyrille dans sa première Epître aux impératrices devant le concile d'Ephèse (1)
; de sorte que dans ce seul texte nous voyons ensemble le témoignage de deux
grands évoques d'Alexandrie, dont l'un a été la lumière du concile de Nicée, et
l'autre a été le chef de celui d'Ephèse.
Saint Augustin parle ainsi dans
un sermon admirable prononcé aux catéchumènes en leur donnant le Symbole; là il
explique ces paroles du même Symbole : « Né du Saint-Esprit et de la vierge
Marie, » par celles-ci de l'Evangile : « Le Saint-Esprit descendra sur vous, et
la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre : » et l'ange ajoute, dit-il :
« C'est pourquoi ce qui naîtra saint de vous sera appelé Fils de Dieu : » il ne
dit pas, poursuit ce Père, sera appelé Fils du Saint-Esprit, mais sera appelé
Fils de Dieu : ce qu'il conclut en ces termes : Quia sanctum, ideo de Spiritu
sancto : quia nascetur ex te, ideo de Virgine Maria : quia Filius Dei, ideo
Verbum caro factum est; c'est-à-dire : Parce que Jésus-Christ est une chose
sainte, sanctum, il est dit qu'il est conçu du Saint-Esprit : parce que
l'ange a ainsi parlé à la sainte Vierge : « Il naîtra de vous, » c'est pour cela
qu'on a mis dans le Symbole : « Né de la vierge Marie; et parce qu'il est le
Fils de Dieu, c'est pour cela que le Verbe a été fait chair (2). » Ainsi en
expliquant de dessein formé le passage de saint Luc que nous traitons, on voit
qu'il y fait entrer l'incarnation du Verbe, loin de croire qu'on puisse
l'entendre, comme notre auteur, sans y comprendre sa divinité.
Ce Père remarque soigneusement
que Jésus-Christ n'est pas appelé Fils du Saint-Esprit; ce qui serait
inévitable, s'il était fils seulement par la formation divine et surnaturelle de
son corps, parce qu'encore que cette formation soit attribuée spécialement au
Saint-Esprit comme un ouvrage de grâce et de sainteté, ainsi que la création est
attribuée au Père, néanmoins au fond elle appartient à toute la Trinité, comme
toutes les opérations extérieures ; en sorte que si Jésus-Christ est appelé Fils
de Dieu, à
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cause précisément qu'il est conçu du Saint-Esprit, le Père
céleste n'est pas plus son Père que le Saint-Esprit ou le Fils même : ce qui est
une hérésie formelle, plus amplement combattue dans un autre endroit de saint
Augustin que je marque seulement (1).
Mais que servirait d'alléguer
ici d'autres autorités particulières, puisque nous avons la décision du concile
de Francfort, où tout l'Occident, le Pape à la tète, en alléguant le passage
dont il s'agit : « Le Saint-Esprit descendra sur vous, etc., » lorsqu'il en
vient à ces mots : « Il sera appelé Fils de Dieu, » les explique ainsi : « Il
sera appelé fils absolument, » parce que « l'ange ne parle pas seulement de la
majesté de Jésus-Christ, mais encore de sa divinité incarnée (2), » laquelle par
conséquent il a en vue en appelant Jésus-Christ Fils de Dieu; d'où ces Pères
concluent enfin qu'il n'est pas un fils adoptif, mais un fds véritable; non un
étranger (qu'on prend pour fils), mais un propre fds, de même essence que son
père. Ainsi l'ange en l'appelant fils, exclut qu'il soit adoptif, ce qu'il
n'éviterait pas s'il s'agissait seulement d'un fils par création et par une
opération extérieure. Il s'agit donc d'un fils par nature, et par conséquent
d'un Dieu; et c'est, selon ce concile, ce que l'ange a voulu dire en le nommant
fils.
Trois passages exprès vont faire
voir que, selon le style de l'Evangile , le nom de Fils de Dieu ne peut
jamais être désuni de la divinité.
1. « Les Juifs cherchaient à
faire mourir Jésus-Christ, parce que non-seulement il violait le sabbat, mais
encore parce qu'il disait que Dieu était son propre père (car c'est ainsi que
porte le grec), se faisant égal à Dieu (Joan., V, vers. 48). »
Donc, parle nom de Fils de Dieu, les Juifs entendaient eux-mêmes quelque chose
d'égal à Dieu et de même nature que lui : par conséquent cette idée de divinité
est comprise naturellement dans le nom de fils.
2. La même vérité se prouve par
cette parole des Juifs : « Ce n'est point pour une bonne œuvre que nous vous
lapidons, mais pour un blasphème, et parce qu'étant homme, vous vous faites Dieu
(Joan., X, 33). » Or Jésus-Christ ne se faisait Dieu qu'en se
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nommant Fils de Dieu : on entendait donc
naturellement que ce terme, au sens que Jésus-Christ le prononçait, renfermait
sa divinité. Mais l'ange ne l'entendait pas en un autre sens que Jésus-Christ ;
donc l'expression de l'ange montre Jésus-Christ comme Dieu.
3. Sans sortir même des paroles
de l'ange, il veut que Jésus-Christ soit fils de Dieu au même sens que ce saint
ange le disait fils de David et fils de Marie ; autrement il y aurait dans son
discours une grossière équivoque et une manifeste illusion : or est-il que
Jésus-Christ est fils de David et de Marie, parce qu'il est engendré de même
nature qu'eux : il est donc aussi Fils de Dieu, parce qu'il est engendré de même
nature que son père.
Par là est condamné Fauste
Socin, lorsqu'il dit qu'on peut être Fils de Dieu sans être de même nature (1) ;
et la même condamnation tombe sur tous ceux qui, en quelque endroit que ce soit
de l'Evangile, séparent la divinité du nom de fils.
Nous avons donc démontré, comme
nous l'avons promis, non-seulement par la tradition de tous les Pères et par les
expresses définitions de l'Eglise, mais encore par l'Evangile en trois passages
formels, qu'on ne peut dire selon le même Evangile que Jésus-Christ soit Fils de
Dieu sans le reconnaître pour Dieu.
Voici néanmoins ce qu'on nous
objecte : car il faut laisser sans réplique ceux qui voudraient trouver dans les
paroles de l'ange une erreur de si dangereuse conséquence. On fait donc cette
objection. Ce saint ange, en expliquant la filiation de Jésus-Christ, n'en a
point rendu d'autre raison, si ce n'est qu'il est conçu du Saint-Esprit et par
l'ombre de la vertu du Très-Haut : Ideò, dit-il, pour cela, sans parler
de la génération éternelle du Fils de Dieu : elle n'y est donc pas nécessaire.
Mais ceux qui parlent ainsi, ont peu pénétré la force que donnent les Pères aux
paroles de ce bienheureux Esprit.
Le pape saint Grégoire a entendu
dans cette ombre du Très-Haut dont la bienheureuse Marie a été couverte,
les deux natures du Fils de Dieu (2), et l'alliance de « la lumière incorporelle
qui
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est Dieu, » avec le corps humain, qui est regardé comme
l'ombre.
Conformément à cette
explication, le Vénérable Bède a remarqué dans cette ombre du Très-Haut,
la lumière de la divinité unie à un corps humain (1).
D'autres Pères ont observé dans
ce terme Sanctum, au neutre et au substantif, une sainteté parfaite et
absolue, qui ne peut être que celle de la Divinité ; et cette explication n'est
pas seulement de quelques Pères, comme en particulier de saint Bernard (2), mais
encore du concile de Francfort, au lieu déjà allégué, où l'on voit que si
Jésus-Christ est saint en ce sens, il est donc saint comme Dieu, et sa divinité
est exprimée par ce mot.
S'il faut venir aux modernes, le
cardinal Tolet a reconnu après les anciens, dans ce neutre substantif Sanctum,
la sainteté de la divinité même (3), et dans l'ombre du Père éternel l'union de
la même divinité avec la nature humaine par l'incarnation.
Le même interprète a remarqué
(4) dans l'opération du Saint-Esprit, une céleste préparation de la sainte
Vierge pour être Mère de Dieu, n'y ayant que le Saint-Esprit qui fût digne pour
ainsi dire de former un corps que le Fils de Dieu se put unir.
Le cardinal Bellarmin a dit que
cet ideo de l'ange, tant objecté par les sociniens, « était un signe, et
non une cause, de ce que Jésus-Christ était appelé Fils de Dieu. Car il
était convenable que si Dieu se voulait faire homme, il ne naquît que d'une
vierge; et que si une vierge devait enfanter, elle n'enfantât qu'un Dieu (5). »
C'est la solution de ce grand cardinal, et Fauste Socin n'a fait que de vains
efforts pour y répondre (6).
Cette explication de Bellarmin
est proposée dès les premiers siècles dans un catéchisme de saint Cyrille de
Jérusalem, où il parle en cette sorte : « Parce que Jésus-Christ, le Fils unique
de Dieu, devait naître de la sainte Vierge, la vertu du Très-Haut l'a couverte
de son ombre, et le Saint-Esprit descendu sur elle l'a sanctifiée, afin qu'elle
fut digne de recevoir celui qui a créé toutes
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choses (1) : » elle devait donc le recevoir en vertu de
cette divine préparation, et son fils devait être un Dieu.
Luc de Bruges tranche aussi la
chose en un mot, lorsque, pour lier avec l’ideo de saint Gabriel le
Filius Dei que cet archange y attache : « Il sera, dit ce docte
commentateur, Fils de Dieu par nature, et tel qu'il l'est de toute éternité dans
le sein de son Père ; pour cette raison entre les autres, qu'il sera conçu du
Saint-Esprit, sans avoir un homme pour père, nul ne pouvant être conçu et fait
homme de cette sorte que le Fils de Dieu, auquel seul il ne convenait pas (non
decebat) d'avoir un homme pour père sur la terre, parce qu'il avait Dieu
pour père dans le ciel : Quem solum non decebat hominem habere in terra
patrem, qui patrem in cœlo haberet Deum (2). »
Au reste les divines bienséances
et convenances qui ont donné lieu à cet ideo de l'ange et aux
conséquences qu'il en tire , ne doivent pas être réglées par une faible
dialectique, mais par l'entière compréhension de toute la suite des mystères,
selon que Dieu les avait unis dans ses conseils. Ainsi l'on doit croire que la
naissance du Fils de Dieu selon la chair par l'opération du Saint-Esprit, est
une suite naturelle, et comme une extension de sa génération éternelle au sein
de son Père. Par L'effet du même dessein, cette chair unie au Verbe devait
sortir du tombeau avec une gloire immortelle ; et tout cela dans l'ordre des
conseils de Dieu était une suite de cette parole : « Vous êtes mon Fils, je vous
ai engendré aujourd'hui (3). » C'est aussi pour cette raison que saint Paul
applique le genui te du Psalmiste à la résurrection du Fils de Dieu,
parce qu'elle en est une suite, et que l'éternelle génération de Jésus-Christ
comprend en vertu tant sa sortie du tombeau que sa sortie virginale du sein de
sa Mère.
C'est l'enchaînement de ces
trois mystères que Jansénius, évêque de Gand, a démontré par les Ecritures (4);
et par là ce docte auteur a parfaitement expliqué l’ideo de l'ange.
On peut dire encore, et cette
remarque est du cardinal Tolet, que cet ideo a son rapport à toute la
suite du discours où l'ange
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avait dit : « Il sera grand (absolument et comme Dieu), et
il sera le Fils du Très-Haut, dont le règne n'aura point de fin : « paroles, dit
ce cardinal, dont « la venue du Saint-Esprit sur la Vierge, et l'ombre du
Très-Haut, font le parfait accomplissement, qui ne pouvait convenir qu'à celui
qui serait vraiment et par nature le Fils de Dieu (1). »
Il ne sert de rien d'objecter
que dans la pensée de ce savant cardinal, Dieu qui peut tout, pouvait par sa
puissance absolue et par l'opération de son Saint-Esprit faire naître d'une
vierge un homme pur : en sorte que cette naissance si miraculeuse peut
absolument être séparée de l'incarnation du Verbe : cela, dis-je, ne sert de
rien; car nous avons vu que la liaison de ces choses ne devait pas être réglée
par ces abstractions et possibilités métaphysiques, mais par l'ordre et
l'enchaînement actuel des desseins de Dieu. Qu'importe que dans cette
supposition métaphysique le fils d'une vierge put n'être pas Dieu, puisqu'en
même temps selon ce même cardinal il ne serait pas fils de Dieu, n'étant pas
engendré de la substance du Père éternel? Laissons donc ces abstractions, et
disons que selon l'ordre réel des desseins de Dieu, le fils d'une vierge devait
être le Fils de Dieu, et que par là s'accumulent toutes les merveilles de la
gloire de Jésus-Christ et tous les titres d'honneur qui lui sont donnés, comme
celui de Christ, de Médiateur, de Roi, et même de Pontife, selon ce que dit
saint Paul, que cet honneur lui est donné « par celui qui lui a dit : Vous êtes
mon Fils (2). »
Telle est la théologie des
anciens e des nouveaux interprètes : et après tout, ceux qui nous opposent la
conséquence de l'ange ne font autre chose que de proposer l'objection des
sociniens, comme nous ne faisons que répéter les réponses des catholiques.
Il n'est pas permis de laisser
passer une proposition si mauvaise en soi et de si dangereuse conséquence, sous
prétexte qu'on l'aura tirée de quelque docteur catholique : au contraire il s'y
faut opposer alors avec d'autant plus de force, qu'on tâche avec plus d'adresse
de lui attirer de la faveur.
C'est donc le cas de faire
valoir la règle du concile de Trente, qui oblige les catholiques à expliquer
l'Ecriture, non selon un ou
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deux auteurs, mais selon le consentement unanime des Pères.
C'est pourquoi nous avons pris soin d'en rapporter les témoignages et même les
décisions expresses de l'Eglise, afin d'ôter d'abord à ceux qui favorisent la
mauvaise interprétation tout le fondement qu'ils veulent donner à leur erreur.
Nous aurions pu nous contenter
de l'aveu de Maldonat qui, non-seulement n'allègue aucun des Pères ni des autres
catholiques, mais encore avoue franchement que tout ce qu'il en a lu lui est
contraire. Voici ses propres paroles : « Alii omnes quos viderim ita
interpretantur, quasi de Christo ut Deo, aut certè ut homine in unam cum Deo
personam assumpto, loquatur Angélus... quamobrem antiqui illi auctores, Nestorii
haeresim duos in Christo filios sicut duas personas fingentis, ex hoc loco
refutarunt, ut Gregorius et Beda. Quamquàm ego quidem alium arbitror esse
sensum, ut non de Christo quâ Deus, neque quâ homo personae conjunctus divinœ,
sed de solà conceptione humanàque generatione, hoc intelligatur, etc. »
C'est-à-dire : « Tous les autres auteurs que j'ai lus, entendent que l'ange
parle de Jésus-Christ comme Dieu, ou du moins comme homme uni avec Dieu dans une
même personne. C'est pourquoi ces anciens auteurs, comme saint Grégoire et Bède,
ont réfuté par ce passage l'hérésie de Nestorius, qui mettait deux fils ou deux
personnes en Jésus-Christ ; mais pour moi, j'estime qu'il faut donner un autre
sens à ces paroles de l'ange et les entendre, non de Jésus-Christ comme Dieu ou
comme homme uni à une personne divine, mais de la seule conception et génération
humaine ». » Par où il rejette manifestement les saints Pères et « tous les
auteurs qu'il a lus » sans exception, pour établir son sentiment particulier :
EGO QUIDEM : d'où il conclut qu'un pur homme, qui ne serait ni Dieu, ni uni à la
personne divine, n'en serait pas moins appelé Fils de Dieu par l'ange,
comme il a été remarqué d'abord.
Il se fait donc en termes
formels auteur unique d'une proposition jusqu'alors inouïe dans l'Eglise; et en
cette sorte il prononce contre lui-même selon la règle du concile; à quoi si
nous ajoutons que tous les sociniens embrassent son explication, et
415
qu'en effet tous les Pères la rejettent unanimement avec
les conciles, on voit clairement qu'elle ne peut éviter d'être condamnée toutes
les fois qu'il la faudra examiner.
Que si jusqu'ici on n'en a pas
repris l'auteur et qu'on voulût tirer avantage de ce silence, on tomberait dans
une erreur condamnée par Alexandre VII et par tout le clergé de France, qui
censure sévèrement ceux qui voudraient dire que le a silence et la tolérance
emportaient l'approbation de l'Eglise ou du Saint-Siège (1). »
La règle que doivent tenir les
bons interprètes est, comme je l'ai dit souvent et on ne peut assez le répéter,
de ne prendre dans les auteurs catholiques que ce qui peut être utile à
l'édification de l'Eglise et ne trouble point l'analogie de la foi : autrement,
s'il était permis de ramasser indifféremment dans tous les auteurs ce qu'il y a
d'erroné ou de suspect, qui pourrait avoir échappé à la censure publique, on
tendrait aux simples fidèles un piège trop dangereux, et on ouvrirait une porte
trop large à la licence.
Si le traducteur avait suivi
cette règle, il aurait trouvé la raison d'éviter l'explication de Maldonat dans
le propre lieu qu'il en allègue ; et il se serait plutôt attaché aux autres
endroits de cet interprète sur le même chapitre de saint Luc. Il y aurait
remarqué sur ces paroles de l'ange : Hic erit magnus, « il sera grand
(2), » que Jésus-Christ serait grand, non pas comme un grand homme, et comme le
même ange l'avait dit de saint Jean-Baptiste ; « il sera grand devant le
Seigneur (vers. 13); » mais qu'il serait grand comme le Seigneur, magnus
Dominus (Psalm. XLVII). Il y aurait encore trouvé que dans ces paroles du
même ange, « il sera nommé le Fils du Très-Haut (vers. 32), » il faut entendre
qu'il en sera « le propre Fils uni au Verbe en personne ; » ce qui aurait pu lui
faire entendre qu'il ne fallait point varier dans cette explication trois
versets après. Mais il omet ces belles remarques de Maldonat, pour s'attacher
précisément à ce qu'il y a de mauvais, et dont les sociniens ont tiré l'avantage
que nous avons vu.
Je sais que l'auteur s'applique
à chercher dans les interprètes catholiques quelque chose qui favorise
Maldonat; mais il se
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donne un vain tourment : car quand il aurait trouvé un ou
deux auteurs favorables, il n'en serait pas plus avancé, et on lui dirait
toujours : Venons aux Pères : lisons les conciles : et laissons là quelques
modernes qu'il faut corriger ou expliquer bénignement.
Au reste c'est autre chose de
dire que la conception miraculeuse de Jésus-Christ par l'opération du
Saint-Esprit, peut aider à nous faire entendre qu'il est Fils de Dieu : autre
chose de s'arrêter précisément à cette raison, ce que je ne trouve dans aucun
auteur catholique : mais il n'est pas nécessaire d'entrer dans cet examen, ni de
s'arrêter davantage en si beau chemin.
J'ai eu peine de me voir forcé à
parler ainsi de Maldonat : c'est la faute du traducteur de l'avoir commis mal à
propos. A Dieu ne plaise que je déroge à la grande réputation de ce savant
interprète! Au contraire je blâme l'auteur, qui dans sa critique des
commentateurs l'accuse de « n'avoir pas lu dans la source tout ce grand nombre
d'écrivains qu'il cite (1) : » ce qui marquerait une négligence dont je ne veux
pas le reprendre : j'aime mieux dire avec notre auteur que son ouvrage ayant été
publié après sa mort, il ne faut pas s'étonner s'il n'est pas toujours aussi
exact qu'il « l'aurait été s'il avait mis lui-même la dernière main à son
commentaire (2), » étant difficile que les autres réviseurs, quelque habiles
qu'ils soient, prennent garde à tout d'aussi près, et tranchent aussi hardiment
sur l'ouvrage d'autrui qu'il aurait pu faire s'il était encore au monde.
Ce qu'il y a de plus
remarquable, c'est, ainsi qu'il a été dit, que si le traducteur avait pris soin
de recueillir les autres endroits de ce savant commentaire, comme il a fait
celui-ci, on verrait que cet écrivain se serait réfuté lui-même; et qu'en tout
cas, s'il a fallu le reprendre, comme un homme sujet à faillir, c'a été en
suivant les sentiments de ces deux savants cardinaux de sa compagnie, le
cardinal Tolet et le cardinal Bellarmin.
Je conclus qu'il faut condamner
l'endroit que j'ai marqué de la préface, à moins de vouloir dès les premiers pas
mettre entre les mains du peuple avec l'Evangile une doctrine qui lui est si
opposée
417
posée, et donner en même temps de nouveaux triomphes aux
plus subtils ennemis de la vérité.
« Les théologiens ne conviennent
pas de quelle adoration il est parlé en certains lieux (de l'Evangile), si c'est
de la véritable et qui n'est due qu'à Dieu seul, ou du simple respect qu'on rend
aux personnes lorsqu'on les salue (1). » Il étend cette équivoque jusqu'à
Jésus-Christ par ces paroles : « Il y a de très-anciens interprètes qui croient
que les mages ne saluèrent pas seulement l'enfant Jésus comme roi, mais qu'ils
l'adorèrent aussi comme Dieu. » Il conserve l'ambiguïté dans sa note sur saint
Matthieu, II, 2 ; et il y laisse indécise l'adoration que les mages rendirent à
Jésus-Christ.
C'est trop affaiblir la doctrine
constante de l'Eglise, que de réduire à quelques interprètes anciens ce qui est
commun à tous. « Il y a, dit-on, des interprètes » (catholiques) : s'il n'y en a
que quelques-uns, il fallait donc marquer les autres ; mais le traducteur n'en a
point trouvé. Pour peu qu'il eût pris la peine de rechercher comme il de voit
ces « anciens interprètes, » il aurait appris de saint Chrysostome (2) que
l'étoile qui conduisait les mages, en s'inclinant sur la tête de l'enfant, leur
montra qu'il était « le Fils de Dieu ; » que par ce moyen elle convainquait
d'erreur Paul de Samosate et les autres qui « ne voulaient l'adorer que comme un
pur homme, » pendant que les mages lui offraient ce qu'on avait accoutumé «
d'offrir à un Dieu ; » que ces présents étaient en effet « dignes d'un Dieu, »
et que la nouvelle lumière qui, comme un autre astre, avait commencé à luire à
leur esprit, leur apprit à adorer Jésus-Christ « comme Dieu et souverain
bienfaiteur de tout le monde. » Saint Augustin a aussi prêché que les mages
avaient reconnu Jésus-Christ « comme Dieu (3) ; » et ne l'auraient pas tant
cherché, s'ils n'avaient connu que ce roi des Juifs « était aussi le Roi de tous
les siècles. »
Ces passages ne sont pas obscurs
ni recherchés ; on les trouve
418
sous leur propre titre, qui est celui de l'Epiphanie et des
mages. Saint Léon, sous le même nom, répète souvent qu'une lumière plus grande
que celle de leur étoile leur avait appris que celui qu'ils adoraient a était un
Dieu ; » qu'ils lui offraient « de l'encens » en cette qualité ; qu'ils le
reconnurent pour « le Roi du ciel et de la terre; » et qu'ils n'auraient pu «
être justifiés, s'ils n'avaient cru le Seigneur Jésus vrai Dieu et vrai homme
(1). »
Tout le monde sait les paroles
du poète chrétien , qui sont rapportées par saint Jérôme sur ce chapitre de
saint Matthieu. Saint Basile est trop précis pour être omis : « Les mages
l'adorent, dit-il, et les chrétiens feront une question comment Dieu est dans la
chair (2)? » Je n'ai pas besoin de citer les autres passages des Pères; et il
suffit de se souvenir de cette maxime de saint Augustin et de Vincent de Lérins,
que comme ils étaient tous d'une même foi, qui en entend quelques-uns les entend
tous. Aussi ne voit-on ici ni passage opposé, ni doute aucun : on voit au
contraire qu'ils supposent le fait de l'adoration souveraine comme constant
parmi les chrétiens. Si les mages sont les prémices des gentils, ils doivent
être de même foi et de même religion que nous : aussi, comme disait saint Léon ,
ils n'auraient pas été justifiés par la foi en un homme pur ; et on ne peut
démentir ce que chante toute l'Eglise touchant la divinité de Jésus-Christ
reconnue par les mages, sans vouloir éteindre une tradition unanime.
Quand le traducteur assure que
les « théologiens ne conviennent ; pas du sens de l'adoration » en cet endroit,
on voit ceux qu'il appelle « théologiens, » puisqu'à la réserve des sociniens
tous concourent à l'adoration de Jésus-Christ comme Dieu. Mais comme Fauteur
avait pris la peine d'observer curieusement dans sa critique sur les
commentateurs (3), que Fauste Socin attribue aux mages envers Jésus-Christ une
adoration de la nature de celle que les Orientaux rendaient à leurs rois, il n'a
pas voulu le laisser seul, et il lui donne pour compagnons quelques théologiens
et quelques Pères.
Il pouvait compter parmi ces
théologiens favorables à Socin
419
Grotius, qui donne aux mages une adoration telle qu'on la
pouvait « rendre selon la coutume de leur nation à celui qu'ils reconnaissaient
comme destiné à la royauté » (Matth., II, 2) sans élever leur esprit plus
haut.
Concluons que ces paroles de
l'auteur : « Il y a de très-anciens interprètes, etc. ; » et celles-ci : « Les
théologiens ne conviennent pas, etc., » en introduisant un partage entre les
théologiens, sous prétexte qu'il y en a entre les orthodoxes et les hérétiques,
favorisent les sociniens et affaiblissent le témoignage que toute l'Eglise
catholique a porté contre eux.
« C'est, selon cette règle qui
peut être confirmée par un grand nombre de passages de la Bible, qu'Aron, savant
juif de la secte des caraïtes, n'a pas exprimé ces mots du chapitre XIX, verset
26, de la Genèse : Versa est in statuam salis, par ceux-ci, comme on fait
ordinairement : « La femme de Lot fut changée en statue de sel; » mais de cette
manière : « Elle devint comme une statue de sel, c'est-à-dire immobile (1). »
Il est de mauvais exemple
d'autoriser les règles de la version par le témoignage d'un caraïte,
c'est-à-dire d'un hérétique de la loi des Juifs , et de fournir aux libertins
des moyens pour éluder dans les textes les plus clairs les miracles les plus
avérés. Le traducteur ne remédie pas à un si grand mal par un carton qu'il a
fait pour cet endroit de sa préface. Que servent ces cartons quand le public
n'en est pas averti, et qu'il les ignore ? On fait plus dans le débit de ce
livre : on vend à la fois et l'erreur et le prétendu correctif : l'erreur n'a
rien voulu perdre ; on satisfait la mauvaise curiosité et le venin s'insinue. On
sait d'ailleurs qu'il y a des fautes où un sage théologien ne tombe jamais ;
celle-ci est de ce nombre, puisqu'on y tourne en règle la témérité et le
mensonge, et qu'on ne peut même se résoudre à les supprimer.
420
« Le décret du concile de Trente
(pour autoriser la Vulgate) n'a été fait que pour le bon ordre, et pour empêcher
toutes les brouilleries qu'auraient pu apporter les différentes versions. » Il
ajoute ailleurs « que notre Vulgate a jeté dans l'erreur, non-seulement
quelques-uns de nos traducteurs français, mais aussi plusieurs protestants (1).
»
C'est penser trop indignement de
ce décret que d'en faire un simple décret de discipline; il s'agit
principalement de la foi; et le concile de Trente a eu dessein d'assurer les
catholiques « que cette ancienne édition Vulgate, approuvée par un si long usage
de l'Eglise, » représentait parfaitement le fond et la substance du texte sacré
par rapport aux dogmes de la foi ; ce qui se voit par ces paroles du décret : «
Qu'elle doit être tenue pour authentique dans les leçons, disputes, prédications
et expositions ; en sorte que personne ne présume de la rejeter, sous quelque
prétexte que ce soit (2). » Voilà ce qu'il fallait dire de ce célèbre décret du
concile , et non pas à la manière du traducteur le réduire à un règlement de
police ; ce qu'on ne peut exempter d'erreur manifeste. C'est aussi une
irrévérence insupportable de dire que la Vulgate « induise à erreur, » surtout
après avoir dit positivement ce qu'on vient d'entendre de la bouche du
traducteur ; mais il avait ses raisons , que nous allons voir, pour affaiblir un
décret qu'il voulait si peu observer.
Le traducteur a posé ces belles
règles : « Que dans les traductions de la Bible , en langue vulgaire, qui sont
destinées aux usages du peuple , il est à propos de lui faire entendre
l'Ecriture « qui se lit dans son Eglise , et qu'on l'a ainsi observé
religieusement, non-seulement dans l'Eglise romaine, mais aussi dans les
sociétés chrétiennes d'Orient : de sorte qu'un sage traducteur qui se propose de
faire entendre au peuple l'Ecriture qui se lit dans
421
son Eglise, sera toujours obligé de traduire plutôt sur le
latin que sur le grec et l'hébreu, et c'est à quoi il s'oblige (1). »
Voilà une belle règle, mais que
l'auteur a mal gardée, puisqu'il commence à la violer dès la préface où il la
propose (2), en disant que dans ce passage de l’Epître aux Romains,
chapitre IX, verset 3 : Anathema à Christo ; « il fallait traduire,
propter Christum, à cause de Jésus-Christ, » et non pas selon la Vulgate et
selon le grec : « De Jésus-Christ ou par Jésus-Christ ; » ce qu'il a suivi en
effet dans la traduction de cet endroit de saint Paul, en traduisant hardiment
sans autorité et sans exemple, à Christo, api Xristo, « pour
l'amour de Jésus-Christ. »
Il se glorifie néanmoins de
cette traduction en ces termes : « Je n'ai lu aucun traducteur ni aucun
commentateur qui ait exprimé parfaitement le sens de ce passage de saint Paul,
faute d'avoir fait réflexion sur la particule grecque apo : de sorte
qu'au lieu de se corriger d'avoir ici abandonné, non-seulement tous les
interprètes , mais encore la Vulgate même qu'il avait promis de traduire, on
voit au contraire qu'il en fait gloire.
Au reste dans cet endroit et
dans les autres qui suivront, je ne m'attacherai point au fond des passages que
je traiterai ailleurs, mais je me contenterai de marquer l'éloignement affecté
de la Vulgate.
J'en ai déjà rapporté plusieurs
exemples, et les versions que j'ai relevées comme favorables aux sociniens sont
la plupart autant, de contraventions à la promesse de traduire selon la Vulgate
: « J'ai plus aimé Jacob qu'Esaü (Rom., IX, 13), » est traduit contre la
Vulgate : j'en dis autant de ce texte : « Vous ne pouvez rien, séparés de moi (Joan.,
XV, 5). » On a traduit contre la Vulgate : « Il ne s'est point attribué
impérieusement, » au lieu de traduire : « Il n'a pas cru que ce fût une
usurpation (Phil., II, 6) ; » on a approuvé cette version : « Le Fils de
l'homme , autrement l'homme, » afin de rendre l'homme en général, et non pas
Jésus-Christ seul, maître du sabbat (Matth., XII, 8; Luc, VI, 5).
C'est encore
422
contre la Vulgate d'avoir mis « les sacrificateurs du
commun » (Act., VI, 7), au lieu « d'un grand nombre de sacrificateurs. »
La Vulgate traduit : « Réponse de mort » (II Cor., I, 9) ; et le traducteur
malgré tout le monde a voulu dans le texte même que ce fût « une assurance de ne
mourir pas. » Je ne finirais jamais si je voulais relever tous les endroits où
le traducteur substitue au texte de la Vulgate, non-seulement ses propres
imaginations, mais encore les explications des sociniens.
Il viole encore sa règle aux
Hébreux, II, 16, où il traduit ce passage : Non enim semen Abrahœ
apprehendit : « Ce n'est point les anges qu'il met en liberté. » Il ne
s'agit pas ici de savoir si ce commentaire d'Estius est bon ou mauvais, ni si
les traducteurs de Mons ont bien fait de l'insérer dans le texte. Notre auteur
qui les a tant combattus sans doute ne s'est pas astreint à les suivre, ni à
autoriser de mauvais exemples, ni contre ses propres règles à se donner la
liberté d'introduire le commentaire de qui que ce fût dans l'original. Ainsi il
devait traduire simplement comme il a fait dans sa note : « Il n'a nullement
pris les anges; » en quoi il aurait suivi non-seulement « la plupart des Pères,
» comme il eu demeure d'accord, mais encore eu particulier tous les Pères grecs,
les Athanases, les Chrysostomes, les Cyrilles, qui ont dû entendre leur langue
et qui se sont attachés à peser ici les expressions de l'Apôtre. Mais il semble
qu'il ait voulu donner un exemple d'abandonner ouvertement, non-seulement la
Vulgate, mais encore la plupart des Pères grecs et latins et acquérir la liberté
de traduire à sa fantaisie. C'est ce qu'il a fait en une infinité d'endroits, où
il rejette dans ses notes la version littérale conforme au grec et à la Vulgate,
et le plus souvent d'une manière qui tend à favoriser quelque erreur, ainsi
qu'on l'a déjà vu en beaucoup d'exemples.
Il traduit ces paroles de la môme Vulgate : Priusquam
Abraham fient, ego sum (en saint Jean, VIII, 58), «je suis avant qu'Abraham
fût né ; » au lieu de traduire : « Je suis avant qu'Abraham eût été fait, »
quoiqu'il soit certain qu'il ne suit ni la Vulgate ni le grec : genestai
qui est dans le grec, ne signifie naître ou être né dans aucun endroit de
l'Evangile; c'est partout uniquement genastai. Saint
423
Augustin, qui a lu comme nous (1), affermit l'antiquité de
la Vulgate ; il fonde son explication sur le fieret, qui signifie
avoir été fait, et démontre que pour prendre l'intention de cette parole de
Notre-Seigneur, il y faut trouver nécessairement une chose faite en Abraham,
facturam humanam, et en Jésus-Christ une chose qui est sans avoir été faite.
S'il fallait l'autorité des Pères grecs pour exprimer le genestai de leur
langue, on eût trouvé dans saint Cyrille d'Alexandrie que ce terme signifiait
une chose tirée du néant, et que Jésus-Christ avait parlé proprement en
l'attribuant à Abraham (2). Ainsi il ne fallait pas ôter à l'Eglise un avantage
que la Vulgate avait de tout temps si soigneusement conservé.
Le traducteur avait bien senti
qu'on ne devait pas traduire comme quelques-uns : « Avant qu'Abraham fût, »
puisque l'être d'Abraham et celui de Jésus-Christ n'étaient ni le même en soi,
ni expliqués par le même mot. Il avait donc aperçu cet inconvénient; mais il n'a
pas voulu voir qu'il ne l'évitait pas en traduisant que Jésus-Christ est avant «
qu'Abraham fût né, » puisque le terme de naître est ambigu et que Jésus-Christ
lui-même est vraiment né, quoique ce soit devant tous les siècles. Il n'y avait
donc rien de net ni d'assuré que de s'attacher régulièrement à la Vulgate, qui
représentait si parfaitement l'original (3). Si quelques-uns de nos traducteurs
n'y ont pas pris garde, nous avons déjà remarqué que celui-ci qui avait promis
plus de connaissance des langues et plus de critique, devait avoir réformé les
autres qu'il a d'ailleurs si souvent repris, plutôt que de les imiter. Ces
traductions, dira-t-on, étaient approuvées à Paris ; mais ce devait être une
partie de la critique de notre auteur, de savoir que le docte cardinal qui
remplit ce siège a expressément corrigé cet endroit selon la Vulgate, en y
faisant mettre ces mots : « Avant qu'Abraham eût été fait, je suis (4). » Comme
il n'y avait nul inconvénient à suivre cette correction et à traduire selon la
Vulgate, il fallait s'y assujettir, d'autant plus qu'elle serre de plus près les
sociniens ; et si l'on est obligé de la révérer lors même qu'en quelque
424
endroit elle semble s'éloigner un peu de l'original,
combien plus doit-on s'y attacher lorsqu'elle le représente si fidèlement?
Les autres contraventions à
l'autorité de la Vulgate se trouveront dans les remarques sur les passages
particuliers ; et on voit assez que la promesse de s'y conformer n'est qu'une
cérémonie.
« Il est bon que je déclare
maintenant les règles que j'ai observées dans ma traduction (1) ; » il les
rapporte au long dans la suite de sa préface ; et l'un de ses approbateurs lui
donne la louange « d'avoir rendu le texte sacré selon toutes les règles d'une
bonne traduction, qui sont marquées fort judicieusement dans sa préface. »
Cependant on n'y trouvera pas un
seul mot de la règle du concile de Trente, qui oblige « à suivre le sens que
l'Eglise a toujours tenu, » sans prendre la liberté « de l'expliquer contre le
consentement unanime des saints Pères (2). » Dire que cette règle ne regarde pas
les traductions, mais seulement les notes interprétatives , c'est une illusion
trop manifeste. On a pu voir dans les remarques précédentes, dans combien
d'erreurs est tombé l'auteur pour avoir traduit l'Evangile, indépendamment de la
tradition de l'Eglise. Si donc il n'a pas seulement rapporté une règle si
essentielle, c'est qu'en effet il ne songeoit pas à la suivre.
Il en a dit quelque mot dans un
carton, depuis que le livre est imprimé et débité partout : on a déjà remarqué
que les cartons de l'auteur ne sont qu'une vaine cérémonie, qui ne fait plus
qu'irriter une dangereuse curiosité. En effet le livre se débite encore sans
cette faible addition. Après tout il y a sujet de s'étonner qu'on s'en soit
avisé si tard, et qu'on n'en ait pas moins hasardé de dire que l'auteur avait
expliqué « toutes les règles, » pendant qu'il ne pensait pas seulement à marquer
la principale , encore que ce soit celle qui se devait présenter d'abord.
425
Le traducteur semble réduire
principalement à la connaissance des langues et de la critique l'excellence
d'une version. C'est ce qui paraît à la tête de sa préface dans sa lettre à M.
L. J. D. R., où il se repose sur les soins de son libraire du choix des censeurs
et approbateurs de son livre, en lui disant seulement : « Ayez soin de faire
revoir cet ouvrage par quelque théologien habile, et qui sache au moins les
trois langues, hébraïque, grecque et latine. »
En transcrivant cette lettre, il
a voulu se donner d'abord un air de savant, qui ne convient pas à un ouvrage de
cette nature, où tout doit respirer la simplicité et la modestie; et ce qui est
pis, il insinue qu'on ne doit reconnaître ici pour légitime censeur que ceux qui
savent les langues; ce qui est faux et dangereux. Il est certain que les
principales remarques sur un ouvrage de cette sorte, c'est-à-dire celles du
dogme, sont indépendantes de la connaissance si particulière des langues, et
sont uniquement attachées à la connaissance de la tradition universelle de
l'Eglise, qu'on peut savoir parfaitement sans tant d'hébreu et tant de grec, par
la lecture des Pères et par les principes d'une solide théologie. On doit être
fort attentif à cette remarque, et prendre garde à ne point donner tant
d'avantages aux savants en hébreu et dans la critique, parce qu'il s'en trouve
de tels, non-seulement parmi les catholiques, mais encore parmi les hérétiques.
Nous venons de voir un essai des excessives louanges que leur donne notre auteur
et son aveugle attachement à les suivre , même dans cette version. Il faut sans
doute estimer beaucoup la connaissance des langues qui donne de grands
éclaircissements ; mais ne pas croire que pour censurer les licencieuses
interprétations, par exemple d'un Grotius à qui l'on défère trop dans notre
siècle, il faille savoir autant d'hébreu , de grec et de latin, ou même
d'histoire et de critique qu'il en montre dans ses écrits. L'Eglise aura
toujours des docteurs qui excelleront dans tous ces talents particuliers; mais
ce n'est pas là sa plus grande gloire. La science de la tradition est la vraie
science ecclésiastique ; le reste est abandonné aux
426
curieux, même à ceux de dehors, comme l'a été durant tant
de siècles la philosophie aux païens.
« On ne saurait, dit le
traducteur, trop louer M. de Sacy, le Père Amelote, messieurs de Port-Royal et
les révérends Pères jésuites de Paris : il aurait été néanmoins à souhaiter que
ces savants traducteurs eussent eu une plus grande connaissance des langues
originales et de ce qui appartient à la critique (1) » On voit par là trop
clairement que l'auteur se veut donner l'avantage au-dessus de tous les
traducteurs sous prétexte de cette science, qui rend ordinairement les hommes
vains plutôt que sages et judicieux.
Nous avons vu un effet de cette
vaine science dans l'avantage que se donne notre traducteur, d'être le seul qui
ait entendu un passage de saint Paul, fondé sur une critique qui paraîtra
très-mauvaise, quand nous viendrons au lieu de l'examiner.
C'est encore sur le même
fondement que dès l’Epître dédicatoire et en parlant à un si grand et si savant
prince, il se fait donner par son libraire le titre ambitieux du plus « capable
d'un pareil ouvrage (c'est-à-dire, d'une traduction aussi importante que celle
du Nouveau Testament) et qui a si bien réussi, qu'il semble que les évangélistes
eux-mêmes l'ont inspiré pour parler la langue française. »
Cependant cet ouvrage inspiré
par les évangélistes, est corrigé d'abord par l'auteur même en une infinité
d'endroits. On multiplie les corrections et on ne peut épuiser les fautes,
quoique l'on n'ait point encore touché au vif; et si l'on y met la main, il n'en
pourra résulter qu'un nouvel ouvrage.
Au reste il faut trouver bon que
dans une matière de cette con-: séquence, je remarque sérieusement qu'un ouvrage
comme ce-r lui-ci demandoit plus de simplicité et de modestie, aussi bien que
plus d'attention et d'exactitude. Lorsqu'on croit que c'est savoir tout que de
savoir les langues et la grammaire, on ne veut qu'éblouir le monde, et on
s'imagine fermer la bouche aux contredisants dès qu'on allègue un hébraïsme ou
un hellénisme. Je dirai même librement que dans l'hébreu et le grec de notre
auteur, il y a plus d'ostentation que d'utilité. Il trouve des difficultés
427
insurmontables dans le passage d'un psaume cité par saint
Paul, où sous le nom du Sauveur que David a prophétisé, on lit ces mots : « Il
est écrit de moi à la tête du livre (1), » etc. Cette tête du livre embarrasse
notre auteur : il appelle saint Jérôme à son secours aussi bien que les
interprètes juifs , et ne trouve que des conjectures. La sienne est que par le
mot « de tête, il faut entendre volume ou rouleaux, parce que les livres des
Juifs étaient des rouleaux en forme de cylindre, et ils se servent encore
aujourd'hui de ces rouleaux dans leurs synagogues lorsqu'ils y lisent la loi. »
C'est là sans doute une érudition hébraïque ancienne et moderne, assez triviale;
mais voici la fin : « Les Septante auront appelé tête ce que nous appelons
rouleau, à cause de la figure ronde de ces rouleaux qui est semblable à celle
d'une tête. » N'est-ce pas là une rare érudition hébraïque et une heureuse
comparaison de notre tête avec un cylindre ?
« Vous aimerez le Seigneur votre
Dieu de tout votre cœur, de toute votre âme et de tout votre esprit » (
Matth., XXII, 37). « Les Hébreux, observe la note, se servent quelquefois de
plusieurs mots synonymes qui ne disent tous que la même chose. » Sans examiner
l'application au précepte de l'amour divin, que servent ici les Hébreux ? Il est
de toutes les langues de multiplier les synonymes pour signifier l'affection
avec laquelle on parle :
Quem si fata virum servant, si vescitur aurâ
Aetherià, nec adhuc crudelibus
occubat umbris.
Voilà ce me semble assez de
synonymes, et il ne faut pas être fort savant pour trouver beaucoup de tels
hébraïsmes dans tous les auteurs. Une infinité d'hébraïsmes que le traducteur
relève ne sont, comme celui-ci, que des phrases ou des figures de toutes les
langues. Plus de la moitié sont si communs, que personne ne les ignore. Qu'on
parcoure tous les endroits où nous avons démontré que l'auteur se trompe et
qu'on pèse attentivement ceux qui paraîtront dans la suite, on verra qu'il s'est
ébloui lui-même, ou qu'il veut éblouir les autres par son grec et par son
hébreu; et qu'il cache sous sa critique (je le dirai hardiment, parce qu'il le
428
faut, et sans craindre d'être démenti par les vrais savants
) une ignorance profonde de la tradition et de la théologie des Pères. J'en
dirai un jour la raison ; et c'est là le sort ordinaire de ceux qui en
parcourant leurs écrits, ne s'arrêtent qu'à certains endroits contentieux pour
en faire la matière d'un mauvais procès, sans vouloir comprendre la suite des
principes où l'on aurait trouvé la décision.
Je ne sais à qui en veut notre
auteur, quand il attaque avec tant de force et à tant de diverses reprises (1)
les explications mystiques de l'Ecriture, puisqu'il avoue si souvent que saint
Paul en est rempli : mais voici sur ces sens mystiques une réflexion plus
importante.
Il n'y a rien de plus commun
dans les notes de notre auteur que d'attribuer, comme il fait aussi dans sa
préface (2), un dénis, c'est-à-dire, un sens sublime et spirituel à certains
passages de l'Ecriture. Sans s'arrêter à son mot hébreu, qui ne sert de rien
pour autoriser son sentiment, il eût fallu instruire le peuple, que ce sens «
sublime et spirituel, » loin d'exclure le sens véritable, le contient souvent;
et que c'est même le sens primitif et principal que le Saint-Esprit a eu en vue.
Bien éloigné de faire cette observation, et au contraire opposant partout le
terme de littéral dont il abuse au sens spirituel et prophétique , le
traducteur induit le peuple à erreur : comme si les prophéties et les figures de
la loi, qui sont toujours alléguées par Jésus-Christ et par les apôtres comme
des avant-coureurs et des prédictions de la nouvelle alliance, n'étaient
qu'allégorie et application ingénieuse. On en viendra à la preuve quand il sera
temps, et il suffit quant à présent que le lecteur soit averti.
On sait que c'est là une des
erreurs des sociniens : Grotius s'est perdu avec eux ; il a lui-même abandonné
les prophéties qu'il avait si bien soutenues dans son livre de la vraie
religion, et par leurs subtilités nous serions presque réduits à ne bâtir plus
avec saint Paul sur le fondement des apôtres et des prophètes. L'auteur a pris
429
le même esprit; et il n'avait garde de prémunir le peuple
contre ce deras scandaleux des prophéties, puisqu'il les élude avec les l
autres, comme les remarques particulières le feront paraître.
Le traducteur est louable
d'avoir marqué les défauts de certains manuscrits auxquels on donne trop
d'autorité (1). Il est encore louable de se servir des diverses leçons qui
autorisent la Vulgate et l'ancienne tradition de l'Eglise latine; mais en même
temps pour empêcher ses lecteurs infirmes de se troubler à la vue de tant de
diverses leçons qu'il ramasse avec tant de soins, ce qui leur fait soupçonner
trop d'incertitude dans le texte , il y avait à les avertir en premier lieu, que
ces diverses leçons ne regardent presque que des choses indifférentes ; ce que
l'auteur n'a marqué en aucun endroit : et en second lieu, que si l'on en trouve
de plus importantes dans quelques manuscrits, la véritable leçon se trouve fixée
par des faits constants, tels que sont les écrits des Pères et leurs
explications, qui précèdent de beaucoup de siècles tous nos manuscrits.
Faute d'avoir proposé des règles
si sûres et si évidentes, le traducteur qui n'en avertit en aucun endroit,
laisse son lecteur embarrassé dans les diverses leçons et même affaiblit les
preuves des vérités catholiques, dont je donnerai un exemple aussi facile à
entendre qu'il est d'ailleurs important.
C'est dans l'Evangile de saint
Jean une pleine révélation de la divinité de Jésus-Christ, que l'évangéliste y
ait allégué d'un côté la vision d'Isaïe, VI, qui constamment regarde Dieu; et
que de l'autre, le même évangéliste déclare que c'est Jésus-Christ, « dont Isaïe
voyait la gloire et dont il parlait» expressément : « Voilà, remarque saint
Jean, ce qu'a dit le prophète Isaïe lorsqu'il a vu sa gloire (gloriam ejus,
celle de Jésus-Christ dont il s'agit en ce lieu) et qu'il a parlé de lui. » (Joan.,
XII, 41.)
Ce passage est employé par saint
Athanase, ou par l'ancien auteur « de la commune essence du Père, du Fils, et du
Saint-Esprit, » et encore par saint Basile (2), à prouver que Jésus-Christ
430
est le vrai Dieu que le prophète avait vu ; et il n'y a
rien de plus convaincant que cette preuve. Mais notre auteur l'affaiblit par
cette note : « Lorsqu'il vit sa gloire, c'est-à-dire, selon l'application de
l'évangéliste, la gloire de Jésus-Christ, quoiqu'Isaïe parle du Père ; » ce
qu'il appuie d'une diverse leçon de quelques manuscrits grecs, où « on lit » la
gloire « de Dieu avec le pronom. »
On voit ici en premier lieu
qu'il décide que l'explication que donne saint Jean à Isaïe, n'est pas un sens
littéral, ou qui soit de l'intention primitive du Saint-Esprit ; « mais une
application de l'évangéliste : » en second lieu, il décide encore que saint Jean
a fait cette application , « quoique le prophète parlait du Père ; » comme si
saint Jean n'était pas un assez bon garant que le Fils est compris aussi dans sa
vision : on voit en troisième lieu qu'il allègue en autorité cette diverse leçon
; en quoi il suit les sociniens et Volzogue dans son Commentaire sur saint Jean
et sur ce passage (1). Cependant il n'y avait qu'un mot à leur dire : saint
Athanase et saint Basile qu'on vient de citer, et saint Cyrille (2) qu'on y
ajoute, ont lu comme nous, aussi bien que les autres Pères, il y a douze et
treize cents ans et, comme on a dit, tant de siècles avant, tous les manuscrits
qu'on allègue pour la nouvelle leçon. Elle n'est donc digne que de mépris; et on
ne peut la produire et encore moins l'approuver, sans se rendre coupable devant
l'Eglise d'avoir voulu, à l'exemple des sociniens, affaiblir ses preuves les
plus convaincantes pour la divinité de Jésus-Christ.
« Si quelques théologiens ne
trouvent point dans mon ouvrage de certaines interprétations sur lesquelles ils
appuient ordinairement les principes de leur théologie, je les prie de
considérer que je n'ai point eu d'autre dessein dans mes notes que d'y expliquer
le sens purement littéral (3) »
Il paraîtra dans la suite que
l'auteur renverse une infinité de principes, non de « quelques théologiens, »
mais de toute la théologie ;
431
et quand il s'excuse sur ce qu'il n'a prétendu que
d'expliquer le sens littéral, premièrement il nous trompe, puisqu'il remplit
toutes ses notes de dogmes théologiques ; et secondement il insinue que la
théologie n'est pas littérale.
On ne doit pas oublier que c'est
ici le même homme qui a déjà déclaré « qu'il a trouvé la méthode des théologiens
scolastiques, » c'est-à-dire, dans son style, leur manière d'entendre l'Ecriture
sainte, « peu sûre, et la théologie scolastique capable de faire douer des
choses les plus certaines. » Il ajoute : « Les subtilités de ces théologiens ne
servent souvent qu'à embarrasser les esprits, et à former de méchantes
difficultés contre les mystères de la religion (1). » C'est aussi par là qu'il
s'excuse de s'être éloigné « quelquefois des opinions les plus reçues dans les
écoles, » en leur préférant les pensées de quelques « nouveaux théologiens, »
sous prétexte qu'il aura voulu se persuader qu'ils rentrent dans les sentiments
« des plus anciens docteurs de l'Eglise; » comme si l'ancienne doctrine était
oubliée et qu'il la fallût aller chercher bien loin. On voit assez quelles
nouveautés nous avons à craindre d'un homme qui écrit dans cet esprit. Il ne se
dément point dans cet ouvrage; et il y débite tant de nouveautés, si hardies, si
dangereuses, qu'on voit bien que ses quelquefois ne sont qu'un
adoucissement en paroles. Nous reviendrons dans la suite plus amplement à cette
matière; et l'on ne peut pas tout dire dans un seul discours.
« Les anciens antitrinitaires
n'insistaient pas moins que ceux d'aujourd'hui sur ces façons de parler : » Etre
baptisé en Moïse, croire en Moïse : « d'où ils inféraient, qu'être baptisé au
nom du Saint-Esprit, n'était pas des expressions d'où l'on put conclure que le
Saint-Esprit fût Dieu (2). »
L'auteur oppose à cette
induction des antitrinitaires un long raisonnement de saint Basile, très-bon,
mais peu nécessaire en ce lieu, parce qu'on pouvait tirer de ce même Père et des
autres
432
quelque chose de plus décisif et de plus touchant, qui est
en trois mots, qu'il y a une extrême différence entre ces mots : « Etre baptisé
en Moïse, » et ceux-ci : « Etre baptisé au nom du Saint-Esprit, » en égalité
avec le Père et le Fils. Quand on donne aux objections des hérétiques aussi
subtils que les sociniens des réponses plus enveloppées, lorsqu'on en a de
précises qui ferment la bouche, on se défend mal et il semble qu'on les épargne.
L'auteur n'est que trop suspect
de ce côté-là, puisque parmi tant de passages de l'Evangile dont les saints
Pères se sont servis pour prouver la divinité du Saint-Esprit, il n'en a
remarqué aucun, ni n'en a enrichi ses notes, où il a promis tant de fois le sens
littéral : comme si un point de foi si essentiel n'appartenait pas à la lettre
de l'Evangile.
« Le bon sens veut que la copie
d'un écrit, aussi bien que d'un tableau, soit conforme à l'original (1) : » par
là sont condamnées les expressions qui restreignent le sens de l'Evangile ; et
il faut comprendre sous cette règle, suivant ces autres remarques qui y ont
rapport, que comme il faut éviter trop « d'attachement à la politesse (2), » il
faut aussi se garder « des expressions basses (3) » parce que l'un et l'autre
déroge à la parfaite conformité de la copie avec l'original, qui n'est ni bas ni
affecté.
Loin de contester cette règle,
je prétends seulement ici examiner avec l'auteur s'il l'a observée.
« Comme Joseph était juste (Matth.,
I, 19). » La note du traducteur porte « que le mot de juste se prend ici pour
bon, commode, équitable, doux; en sorte que l'évangéliste a voulu marquer par là
que Joseph était un bon mari, etc. » J'omets ici toutes les autres réflexions
pour m'attacher seulement à la bassesse de l'expression et à la faible idée
qu'elle donne de la vertu de saint Joseph, réduite au froid éloge d'être « bon
mari et commode. » On avait laissé passer cette note à l'auteur, tant on lui
était indulgent : mais
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depuis apparemment il en a rougi et il a fait ce carton : «
Le mot de juste se prend ici pour bon, équitable, doux; en sorte que
saint Matthieu a voulu marquer par là que Joseph était un bon mari, etc. » C'est
en cet état que le livre se débite ; et l'on voit que la correction ne va pas
plus loin que d'ôter le mot de commode, qui avait un sens ridicule, pour ne rien
dire de plus, que tout le monde a senti. L'auteur a donc fait dans un troisième
carton cette dernière correction : Juste, c'est-à-dire selon saint
Chrysostome, doux, équitable : Xestos kai epieikes.
Voilà bien des raffinements pour
expliquer le mot dikaios, justus, qui est le plus simple de
l'Ecriture : encore n'a-t-on pas bien rencontré à cette dernière fois. Le
Xrestos de saint Chrysostome porte plus loin que la douceur, et signifie
bonté ; ce qui fait partie de la justice chrétienne. Le terme epieikes se
réduit aussi à l'idée commune et générale de juste et d'homme de bien : aussi
voit-on dans saint Chrysostome au même endroit, que juste veut dire en ce lieu «
un homme parfaitement vertueux et en toutes choses (1). » Il ne fallait pas
oublier une expression si noble et si littérale, non plus que ce qu'ajoute le
même saint « de la sublime sagesse et philosophie de saint Joseph, supérieure à
toutes les passions, et même à la jalousie qui est une espèce de fureur. »
Pourquoi retrancher ces belles paroles, si ce n'est que ce passage de saint
Chrysostome a été fourni par Grotius (hic) et qu'on n'y a voulu voir que ce qui
est rapporté par cet auteur?
Il fallait donc prendre de ce
Père l'idée parfaite du juste ; il y fallait voir l'amour de Dieu et du
prochain, qui est la justice consommée, où toute perfection de la loi et des
prophètes est contenue. L'indulgence, la condescendance, la bonté s'y seraient
trouvées comme des appartenances de la justice : non que le mot dikaios
signifie directement bon et doux (on sait les termes de l'Evangile et de saint
Paul (2) pour exprimer ces vertus), mais à cause qu'il le comprend dans son
étendue.
L'on voit par là qu'il fallait
laisser à ce mot juste sa signification naturelle. Quel inconvénient d'avouer
que saint Joseph était juste comme l'étaient Siméon « le juste (3), » Barsabas «
le
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juste (1), » Zacharie et Elizabeth «justes devant Dieu,
observant tous les commandements et toutes les lois du Seigneur (2). Car c'est
ainsi que l'avait distinctement expliqué saint Luc (3) ; et saint Chrysostome
remarque en parlant de la justice de saint Joseph, que c'est « le sens le plus
général » que l'Ecriture donne à ce terme, « qui, dit-il, signifie la vertu
parfaite. » Après avoir posé ce fondement, où les paroles de l'Evangile
conduisent naturellement les esprits, on eût donné pour preuve de cette justice
dans saint Joseph les égards qu'il eut pour sa sainte Epouse, qui enfin le
rendirent digne d'apprendre du Ciel le mystère qui s'accomplissait en elle. Je
m'étends exprès sur ce passage, afin qu'on remarque le caractère du traducteur,
et qu'on entende que pour avoir voulu raffiner, cet auteur n'a pas seulement
abandonné les grandes idées de l'Ecriture, mais encore qu'il est tombé dans le
bas, dans le ridicule, et qu'il s'est opiniâtre à restreindre les expressions de
l'Evangile sans en vouloir revenir.
Passons aux autres affectations
et bassesses de ses expressions : il veut nous faire trouver les avanies dès le
temps de l'Evangile dans saint Luc, VI, 28, comme si les oppressions dont
il est parlé en ce lieu étaient resserrées dans cette espèce. Que dirons-nous du
sofa que Dieu donne à ses amis dans l’Apocalypse, IV, 4, qui pourtant est
bien éloigné du trône des rois d'Orient, qu'il croit expliquer par ce
terme : quoi qu'il en soit, il nous fait sortir par ces affectations des idées
majestueuses, ainsi que des expressions de l'Ecriture.
Saint Paul avait rejeté les faux
circoncis, c'était-à-dire les Juifs qui ne portaient la circoncision que dans la
chair, en les nommant seulement des gens blessés et tranchés, qui
portaient une coupure inutile, concisio (4) : l'auteur en fait
dans sa note des gens charcutés ; et ce qui fait peine à rapporter, il
substitue une expression si indigne à la force de celle de l'Apôtre.
Je ne sais pourquoi il a voulu
expliquer dans sa note « l'aiguillon (5) » dont parle saint Paul, par « avoir
une épine au pied, » qui est d'un langage si bas et d'ailleurs si fort
au-dessous de ce que l'Apôtre appelle « l'ange de Satan : » ni pourquoi il
explique
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aussi « se remarier selon le Seigneur (1), » par ces mots :
« En tout bien et honneur, » comme si outre la bassesse de cette expression du
vulgaire, ces grands mots : « Selon le Seigneur, » se devaient réduire à une
simple honnêteté selon le monde.
Il semble dans toutes les notes
que l'auteur n'ait eu dans l'esprit que le dessein de ravilir les idées de
l'Ecriture. Sous prétexte de rapprocher les objets et de condescendre à la
capacité du vulgaire, il le plonge pour ainsi parler jusque dans la fange des
expressions les plus basses.
Garder la parole et le
commandement de Jésus-Christ, veut dire sept ou huit fois dans saint Jean,
XIV, XV, XVII et en cent autres endroits de l'Evangile, les mettre en pratique,
y obéir. Ainsi l'auteur avait parfaitement rendu cette expression du Fils de
Dieu : Si sermonem meum servaverunt, et vestrum servabunt ( Joan., XV,
20), en traduisant naturellement comme tous les autres : « S'ils ont gardé ma
parole, ils garderont aussi la vôtre. » Mais comme un si grand critique n'est
pas content s'il ne montre qu'il voit dans son texte ce que nul autre n'y a
jamais aperçu, il tombe dans la ridicule version que voici : « Gardé et observé,
c'est autrement épié; » et contre tous les exemples, il donne la préférence à
cette traduction , sous prétexte que dans notre langue observer, veut
dire « épier, quand nous disons observer un homme. »
« Les Juifs d'envie qu'ils
eurent, ayant pris avec eux de méchantes gens de la lie du peuple, » ce qui
exprimait naturellement les paroles du texte sacré (Act., XVII, 5) ; mais
l'auteur s'est avisé de cette note : « Le mot grec signifie proprement des gens
qui sont toujours sur le pavé et dans les grandes places à ne rien faire, c'est
ce que nous appelons batteurs de pavé. » Le mot grec agoraion, qui
est dans le texte, quoi qu'en puisse dire le critique, n'a aucun rapport au
pavé, et il a seulement voulu montrer qu'il savait changer les expressions les
plus naturelles dans les plus vulgaires et les plus basses.
Si quelques-unes de ces
remarques paraissent en elles-mêmes peu considérables, il n'est pas inutile
d'observer que notre critique a peu connu, je ne dirai pas cette justesse
d'esprit qui ne
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s'apprend point et le bon goût d'un style simple, mais je
dirai le grave et le sérieux, qui convient à un traducteur de l'Evangile : en
sorte que nous voyons concourir ensemble dans cette version, avec la témérité et
l'erreur, la bassesse et l'affectation, et tout ce qu'il y a de plus méprisable.
C'est quelque chose de plus
d'avoir dit dans la préface sur l'Apocalypse, « que ce livre est une espèce de
prophétie. » Jérémie était-il prophète à meilleur titre que saint Jean, à qui il
a été dit comme à lui : « Il faut que tu prophétises aux nations, aux peuples,
aux langues, et à plusieurs rois (1); » et encore : « Bienheureux celui qui
garde les paroles de la prophétie de ce livre ; » et encore : « Ne scellez point
les paroles de la prophétie de ce livre (2) ; » et encore : « Si quelqu'un
retranche des paroles de la prophétie de ce livre (3) ; » et encore : « Je suis
comme vous, serviteur de Dieu et de vos frères les prophètes (4) ? » Voilà donc
en paroles claires saint Jean au rang des prophètes, et leur frère, ce que notre
auteur n'a pas voulu voir et n'a daigné le traduire, encore qu'il soit et du
grec et de la Vulgate. Cependant saint Jean ne sera « plus qu'une espèce de
prophète » malgré les expressions, non-seulement des saints Pères, mais encore
du Saint-Esprit dans ce divin Livre.
C'en est assez pour cette fois,
et on voit déjà par la seule préface de l'auteur et par toutes les explications
qu'on a observées, s'il a mérité le titre superbe du plus capable des
traducteurs, surtout si on le regarde du côté de la tradition, qui est le
principal fondement d'un ouvrage de cette nature. Nous en dirons davantage dans
les remarques sur les passages particuliers.
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