Instr. II - Tome II
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Plan - Théologie

TOME SECOND. SAINT JEAN.

 

XXIIIe   PASSAGE,   ET  REMARQUE.

XXIVe PASSAGE, ET REMARQUE.

XXVe   PASSAGE.

REMARQUE.

XXVIe  PASSAGE,  ET REMARQUE.

XXVIIe,   ET  XXVIIIe  PASSAGES.

REMARQUE.

XXIXe PASSAGE.

REMARQUE.

XXXe PASSAGE,   ET  REMARQUE.

XXXIe  PASSAGE.

REMARQUE.

XXXIIe  PASSAGE.

REMARQUE.

XXXIIIe  PASSAGE.

REMARQUE.

XXXIVe   PASSAGE.

REMARQUE.

XXXVe   PASSAGE.

REMARQUE.

XXXVIe, XXXVIIe, XXXVIIIe, XXXIXe ET XLe PASSAGES. Sur la qualité de Messie.

REMARQUE.

ACTES  DES  APOTRES. XIIe PASSAGE.

REMARQUE.

XLIIe PASSAGE.

REMARQUE

 

XXIIIe   PASSAGE,   ET  REMARQUE.

 

Quoique notre auteur ne soit pas le seul à traduire : « Le Verbe était au commencement, Joan., I, 1, je lui soutiendrai toujours qu'il y aurait eu plus de dignité à traduire : « Au commencement le Verbe était : » l'ancien interprète latin lui en avait donné l'exemple. Et quoiqu'il eût pu traduire s'il eût voulu : Verbum erat in principio , ni lui, ni aucun autre ancien interprète, ni aucun Père latin que je sache, n'a changé l'ordre de ces paroles : In principio erat Verbum : le français le pou voit retenir comme le grec et le latin; et nous disons très-naturellement : « Au commencement le Verbe était, » comme nous disons aussi : « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre, » Gen., I, 1. Il paraît même que saint Jean a voulu donner à son Evangile un commencement semblable à celui que Moïse a donné à la Genèse, mais d'une manière plus sublime, afin de marquer expressément qu'au lieu que le monde a été fait, selon ces paroles : « Au commencement Dieu fit le ciel et la terre, » Gen., I, 1, saint Jean au contraire fait paraître d'abord, et dès le premier mot de son Evangile,

 

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que le Verbe qui n'est pas fait, mais par qui toutes choses ont été faites, était avant tout commencement, et même avant celui que marquait Moïse : ce sont des beautés qu'il faut conserver aux traductions quand les langues en sont capables, parce qu'elles insinuent des vérités importantes et naturelles au texte.

 

XXIVe PASSAGE, ET REMARQUE.

 

Au même chapitre I de saint Jean, vers. 14 : « Nous avons vu sa gloire, qui est une gloire du Fils unique du Père, » il faut corriger : « qui est la gloire, » pleinement et absolument. L'auteur en convient dans ses corrections à la tête de son ouvrage, et il a tort d'avoir laissé la faute dans le texte, qu'il faut présenter pur au lecteur.

 

XXVe   PASSAGE.

 

« Celui qui va venir après moi est au-dessus de moi, parce qu'il est plus grand que moi, » Joan., I, 15.

 

REMARQUE.

 

Il y a dans le texte ainsi traduit plusieurs fautes considérables : la première, dans ces paroles : « est au-dessus de moi ; » le texte et la Vulgate portent : « A été fait au-dessus de moi; » ce qu'on traduit ordinairement : « A été élevé au-dessus de moi, » ou : « m'a été préféré, » au temps passé, et non pas avec l'auteur au temps présent.

La seconde faute est dans ces mots : « Parce qu'il est plus grand que moi ; » il faut traduire : Parce qu'il était, avec le grec et la Vulgate ; le dessein de saint Jean-Baptiste étant de faire sentir que si Jésus-Christ lui est préféré et fait supérieur dans le temps, c'est à cause qu'en effet il était avant lui et plus grand que lui de toute éternité.

Il eût été plus clair, plus théologique et j'ajouterai plus conforme à la doctrine des Pères, au lieu de traduire : « Plus grand que moi, » de traduire plus simplement : « Il a été mis au-dessus de moi, parce qu'il était avant moi : » protos mou : de mot à mot : « premier que moi, » pour deux raisons : la première, qu'on eût évité l'inconvénient de dire que Jésus-Christ était a élevé au-dessus »

 

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de saint Jean-Baptiste, « parce qu'il était plus grand que lui; » ce qui semble donner pour preuve de ce qu'on avance la même chose qu'on a avancée. La seconde, qu'on explique mieux la cause première et radicale de l'élévation de Jésus-Christ au-dessus de saint Jean, en disant qu'il ne faut pas s'étonner qu'il lui ait été préféré dans le temps, parce qu'il était devant lui en essence, comme en puissance, avant tous les temps. Cette critique , qui est des saints Pères, et entre autres de saint Chrysostome, de saint Augustin et de saint Cyrille, eût été meilleure que celle que notre auteur a empruntée des sociniens.

XXVIe  PASSAGE,  ET REMARQUE.

 

Dans la note sur le verset 13, l'auteur explique : « Il a été fait avant moi, » et ajoute : « Ce qui peut s'entendre de la divinité de Jésus-Christ : » de sorte que la divinité de Jésus-Christ serait une chose faite; ce qui est impie et arien. Il convient bien à Jésus-Christ d'être fait dans le temps plus grand, ou comme l'explique saint Chrysostome, « plus illustre et plus honorable » que saint Jean-Baptiste : comme il lui convient « d'être fait Seigneur et Christ, » ainsi qu'il est écrit dans les Actes, II, 36; mais il faut toujours observer la différence entre ce que Jésus-Christ a été fait dans le temps et ce qu'il était de toute éternité : ce qui aussi est la source de tous les avantages faits ou arrivés à Jésus-Christ dans le temps, comme il a déjà été dit.

Ce ne sont pas là les idées que les saints Pères nous ont données. Si l'auteur pouvait se résoudre à consulter quelquefois saint Augustin, il y trouverait ces paroles qui expliquent parfaitement l'intention de ce texte de l'Evangile : « Il a été fait avant moi, » c'est-à-dire mon supérieur, « parce qu'il était devant moi. » Que veut dire cette parole : Il a été fait avant moi ? Ce n'est pus à dire : Il a été fait avant que je fusse ; mais c'est-à-dire : Il m'a été préféré. Voilà, dit-il, ce que veut dire : Il a été fait avant moi. Mais pourquoi a-t-il été fait devant vous, puisqu'il est venu après? C'est parce qu'il était devant moi. Devant vous, ô Jean! puisqu'il était même devant Abraham. » Quid est, ante me factus est? Prœcessit me : non factus est antequam essem ego; sed

 

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ante positus est milii, hoc est, ante me factus est. Quare ante te factus est, cùm post te venerit? Quia priorme erat. Prior te, ô Joannes !... Audiamus ipsum dicentem : Et ante Abraham ego sum. Voilà donc la cause profonde de la préférence attribuée à Jésus-Christ; et cette cause, c'est son existence éternelle devant saint Jean, devant Abraham et enfin devant toutes choses, étant juste que tout avantage soit accordé dans le temps à celui qui a l'avantage naturel d'être éternellement.

Saint Cyrille s'explique de même: « Tout le monde, dit ce grand docteur, admirait saint Jean-Baptiste, et Jésus-Christ n'était pas connu... Mais Jésus-Christ a prouvé sa divinité par ses miracles, et on avait vu que Jean-Baptiste n'avait rien au-dessus de la condition humaine. C'est ce que Jean-Baptiste explique mystérieusement par ces paroles : « Celui qui viendra après moi a été fait devant moi, » c'est-à-dire, a été fait plus célèbre et plus grand... Mais après avoir dit : « Il a été fait devant moi, » il en fallait montrer la cause en disant : « Parce qu'il était devant moi, » et en lui attribuant par ce moyen la plus ancienne gloire, presbutaten doxan, et une excellence éternelle, comme à celui qui était Dieu par sa nature: Car, dit-il, il était toujours devant moi, et en toutes manières plus grand et plus glorieux (2). » C'est ainsi que les Saints trouvaient dans la préexistence éternelle du Fils de Dieu, la source radicale et primitive de toutes ses excellences.

C'est ce que les sociniens tâchent d'éluder, en disant qu'il est ridicule de conclure l'excellence de quelqu'un au-dessus d'un autre, parce qu'il le devance dans l'ordre du temps, et c'est le raisonnement de Volzogue (3) et des autres. Ces guides aveugles ne veulent pas voir, que Jésus-Christ, en disant qu'il était avant l'existence de saint Jean, qui était né six mois devant lui, s'attribuait à lui-même une autre naissance; c'est-à-dire une naissance éternelle qui le mettait naturellement jusqu'à l'infini au-dessus de saint Jean-Baptiste, à cause qu'il était Dieu et Fils de Dieu par nature, c'est-à-dire de même dignité aussi bien que de même essence que son Père.

 

1 Tract. III, in Joan., n. 7. — 2 Cyril., Comm. in Evang. Joan., lib. I, cap. I, 15. — 3 Comm. in Joan., hic, tome I, p. 728, 729.

 

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Notre auteur, qui veut nous restreindre aux idées basses et humaines des sociniens, ne veut rien voir dans ce passage de l'Evangile qui nous montre la divinité de Jésus-Christ, et réduit tout aux prérogatives de Jésus-Christ dans le ministère de la parole; ce qu'il a poussé jusqu'à l'altération du texte, en traduisant : Il est, au lieu d'il était, comme il a été observé dans la remarque précédente.

Au reste je répète encore une fois que je ne l'accuse pas de nier absolument la divinité de Jésus-Christ qu'il reconnaît en beaucoup d'endroits : je remarque seulement qu'il a pris une trop forte teinture des interprétations sociniennes, pour les abandonner tout à fait; et enfin, qu'il le faut ranger avec ceux qui affaiblissent la divinité de Jésus-Christ sans la nier, au nombre desquels nous avons vu qu'il a mis lui-même Grotius.

Il a recours à saint Chrysostome, qui sans doute n'est pas contraire aux autres Pères : mais nous aurons dans la suite un lieu plus commode de bien expliquer la doctrine de ce Père, lorsque nous viendrons à l'endroit d'examiner celle de l'auteur sur la qualité du Messie (1).

 

XXVIIe,   ET  XXVIIIe  PASSAGES.

 

Dans la note sur le chapitre I, vers. 18 : « Le Fils unique qui est dans le sein du Père : » « cette expression, dit-il, marque une union très-intime du Père et du Fils, et telle que Moïse, ni aucun prophète ne l'ont eue. » Il parle de même dans la note sur saint Jean, V, 18: « Il y a, dit-il, dans le grec: « Propre Père de Jésus-Christ; » ce qui marque qu'il n'appelle pas Dieu son Père de la manière qu'il est le père commun de tous les hommes, mais d'une manière propre et singulière. »

 

REMARQUE.

 

Ce n'est pas assez dire, et l'auteur sait bien que les sociniens en disent autant. En effet selon la doctrine qu'il approuve dans la préface et sur saint Luc., I, 35, il suffit que Dieu ait formé par le Saint-Esprit le corps de Jésus-Christ, sans qu'il soit Dieu et de

 

1 Ci-dessous, pass. 36, etc.

 

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même nature que son Père, pour faire que Dieu soit son Père, non d'une manière commune, mais d'une manière propre et particulière, puisqu'en effet il n'y a aucun homme qui ait été conçu de cette sorte. Les sociniens ont fait sur cela des traités entiers; ainsi la note est insuffisante. Il fallait exprimer distinctement que cette union était une parfaite unité en nature et en essence, telle qu'elle est entre le Père et le Fils unique conçu et demeurant éternellement dans le sein du Père; ce que l'auteur n'a pas voulu dire.

Il faut parler conséquemment avec des hérétiques aussi subtils que les sociniens, et quand on leur a accordé que Jésus-Christ peut être appelé légitimement le propre Fils de Dieu d'une façon aussi singulière que celle qui résulte de la conception virginale par l'opération du Saint-Esprit, il ne faut plus espérer de se distinguer d'avec eux par des expressions équivoques.

 

XXIXe PASSAGE.

 

Sur le verset 21 du même chapitre, l'auteur traduit : Propheta es tu : « Etes-vous le prophète? » à cause de l'article grec : o prophetes; et la note porte que les Juifs attendaient un prophète particulier outre Elie, avant le Messie.

 

REMARQUE.

 

Je demanderais volontiers où l'on a pris ce prophète, dans quel livre des Juifs ou des chrétiens on l'a trouvé, et enfin où l'on a vu qu'il fût nommé par les Juifs le prophète par excellence. Si cela ne se trouve nulle part, et que les Juifs ne connaissent de prophète ainsi appelé « le prophète par excellence » que le Messie seul, il faudra avec Grotius expliquer d'une autre manière l'article grec, et reconnaître peut-être que les Juifs, inquiets sur les prétentions de saint Jean-Baptiste, lui ont fait deux fois, en différents termes, la même question, « s'il était le Christ. » Quoi qu'il en soit, il n'est pas permis de faire accroire aux Juifs tout ce qu'on veut, ni de leur faire imaginer qu'on appelât « le prophète » par excellence un autre que Jésus-Christ. D'ailleurs saint Jean a bien pu nier qu'il fût prophète, au sens que prophète signifie quelqu'un qui doive prédire l'avenir ; mais il ne pouvait nier de bonne foi

 

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qu'il fût le prophète qu'on devait, comme un autre Elie, attendre avant Jésus-Christ, et qui lui devait servir de précurseur.

 

XXXe PASSAGE,   ET  REMARQUE.

 

Dans la note du chapitre m, sur le verset 8, j'avoue bien avec l'auteur que le mot d’esprit s'entend en quelque sorte du vent dans ces mots: « L'esprit souffle où il veut, » mais à condition qu'on marquera avec les Pères que sous cet esprit se comprend le Saint-Esprit, dont Jésus-Christ venait de parler, verset 5, et qui est proprement « l'Esprit qui souffle où il veut. » On voit ici, comme presque partout, une affectation de réduire les expressions de l'Evangile au sens le plus bas; et au lieu que Jésus-Christ se sert de la comparaison du vent pour nous élever au souffle divin du Saint-Esprit, celui-ci ne songe qu'à renfermer toutes nos idées dans la matière.

 

XXXIe  PASSAGE.

 

Au chapitre VI, dans la note sur le verset 64 : « Ces paroles sont esprit et vie, il faut entendre d'une manière spirituelle ce que je vous dis, et non pas d'une manière charnelle et grossière, comme vous l'entendez; » et la note sur le verset 69 porte aussi que « ces paroles mènent à la vie, étant entendues, comme le remarque Euthymius, d'une manière spirituelle et non pas charnelle. »

 

REMARQUE.

 

Cette note laissée toute nue contentera les calvinistes. Je ne veux pas qu'on fasse toujours le controversiste ; mais dans des passages si solennels, dont on sait que les hérétiques abusent, il faut marquer quelque chose qui nous distingue d'avec eux. Si l'auteur voulait citer quelque auteur grec, au lieu d'Euthyme qu'on peut tourner en un mauvais sens, il aurait trouvé dans les anciens Pères quelque chose de beaucoup plus beau et plus solide sur ce texte de l'Evangile : « Ces paroles sont esprit et vie; » saint Cyrille les explique ainsi : « Jésus-Christ, dit-il, remplit ici tout son corps d'esprit et de vie ; » et un peu après : « La vertu de l'esprit rend le corps de Jésus-Christ vivifiant: c'est pourquoi, continue-t-il, ces paroles, » où il ne parle que de son corps, « sont

 

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esprit, c'est-à-dire spirituelles et tirées de la vertu du Saint-Esprit; et sont vie en même temps, c'est-à-dire vivifiantes; ce qu'il ne dit pas pour destituer sa chair du Saint-Esprit, mais pour nous déclarer cette vérité, que la chair n'est pas vivifiante par elle-même , mais que la sienne l'est à cause qu'elle est unie au Verbe qui est la vie même par nature (1), » comme il le prouve en cet endroit et ailleurs par le mystère de l'Eucharistie, qui porte immédiatement l'esprit et la vie dans nos corps et pour nos âmes. Les autres Pères le tournent peut-être d'une manière un peu différente, mais également contraire à la fausse spiritualité des calvinistes. On ne voit donc pas pourquoi notre auteur affecte de citer Euthyme, auteur du XII° siècle et qui a été dans le schisme, plutôt que saint Cyrille et les anciens, si ce n'est pour donner un sens ambigu aux paroles de Jésus-Christ, qui prises dans leur naturel sont toutes pour nous.

 

XXXIIe  PASSAGE.

 

« Je suis avant qu'Abraham fût né, » saint Jean, VIII, 58.

 

REMARQUE.

 

Nous avons déjà observé que traduire ainsi, c'est ne traduire ni la Vulgate, ni le grec qui lui est conforme (2) : où il se faut souvenir de la règle sans exception que nous avons établie dans tout le Nouveau Testament : et c'est que pour expliquer ce qui s'appelle naître proprement, vraie nativité et naissance proprement dite, on n'y trouve jamais employé le terme genestai, mais toujours le terme gennastai. Mais pour démontrer plus clairement la nécessité de traduire selon la Vulgate, nous allons poser quelques principes du langage de l'Evangile de saint Jean sur le Fils de Dieu.

Nous disons donc premièrement que le genestai que la Vulgate traduit ici par fieri, ne peut jamais convenir à Jésus-Christ comme Dieu : cela est certain; et il n'y eut jamais que l'auteur qui ait avancé qu'on pouvait attribuer à Jésus-Christ selon sa divinité d'être fait, egeneto, ci-dessus, Joan., I, 15.

 

1 In Joan., lib. IV, p. 377. — 2 Ire Inst., Rem. sur la Préf., 5e pass., n. 7.

 

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Le second principe du langage de saint Jean, c'est que le verbe substantif eimi, je suis, surtout étant opposé à genestai, être fait, ne peut convenir qu'au vrai Dieu, et c'est de quoi tous les Pères sont d'accord.

De là suit en troisième lieu que le dessein de saint Jean, ou plutôt celui de Jésus-Christ dont il rapporte les paroles, est d'attribuer à Abraham quelque chose qui ne convienne pas à Jésus-Christ comme Dieu, et réciproquement quelque chose à Jésus-Christ comme Dieu qui ne puisse convenir à Abraham.

Quatrièmement saint Jean avait posé ce langage dès le commencement de son Evangile : « Le Verbe était, le Verbe était en Dieu, le Verbe était Dieu, il était au commencement en Dieu : » voilà le caractère delà divinité dans le Verbe substantif : il était; mais en môme temps on trouve le caractère essentiel de la créature dans les paroles suivantes : « Toutes choses ont été faites par lui, egeneto ; et sans lui, rien n'a été fait de ce qui a été fait. » Voilà , donc bien clairement le caractère de la divinité dans Jésus-Christ qui était; et afin qu'on ne s'y trompe jamais, voilà aussi le caractère de créature dans ce qui a été fait. L'Evangéliste continue sur le même ton : « Le Verbe était dans le monde; » erat, vers. 10; et incontinent après : « Le monde a été fait par lui, egeneto : » voilà toujours le Verbe avec son erat, en ; et le monde, la créature, avec son factus est, egeneto : et l'opposition de l'un et de l'autre passe en langage ordinaire.

Cinquièmement, comme il convient à Jésus-Christ homme d'être créé en un certain sens, l'Evangéliste distingue ce qu'il était naturellement d'avec ce qu'il a été fait : il était Dieu, il était Verbe ; mais « ce Verbe a été fait chair, » vers. 14, a été fait homme, sarx egeneto: voilà ce qu'il était par sa nature; voilà ce qu'il a été fait par sa bonté. Ainsi selon le langage de saint Jean, par l’être et par l’être fait, ce que le Verbe a été fait dans le temps, demeure éternellement distingué de ce qu'il était de toute éternité.

C'est sixièmement, ce que voulait dire saint Jean-Baptiste dans le même chapitre I, vers. 18 de l'Evangile de saint Jean : « Celui qui viendra après moi a été fait mon supérieur, parce qu'il était avant moi; » par où se montre la préséance naturelle de Jésus-Christ

 

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dans le mot d'être, et à la fois la cause des avantages accordés à Jésus-Christ en le faisant supérieur de saint Jean-Baptiste.

C'est donc, en septième lieu, un langage très-établi dès le commencement de l'Evangile de saint Jean, qu'il faut distinguer ce que Jésus-Christ était d'avec tout ce qui a été fait, egeneto, et d'avec ce qu'il a été fait lui-même : Verbum caro factum est : Sarx egeneto.

En huitième lieu, c'est une suite de ce langage qui fait dire au même saint Jean, à la tête de sa Ire Epitre canonique : « Ce qui était dès le commencement, » vous est devenu sensible dans la chair dont il est revêtu ; et encore : « La vie qui était dans le sein du Père s'est manifestée ; » afin que nous discernions ce qui était devant tous les temps d'avec ce qui a été manifesté, c'est-à-dire rendu sensible dans l'incarnation.

C'est pourquoi, en neuvième lieu, nous avons ouï saint Augustin et saint Cyrille dire d'un commun accord : l'un, que le fieri d'Abraham signifiait une chose qui était faite; et l'autre, que le genestai signifiait une créature tirée du néant : au lieu que le verbe sum, je suis, opposé au fieri d'Abraham, emportait en la personne de Jésus-Christ un caractère de divinité : en sorte que Jésus-Christ et Abraham, par l'être et par l'être fait, étaient caractérisés , l'un Dieu au-dessus de tout, et l'autre une pure créature.

Il résulte, en dixième lieu, que ceux qui se sont donné la peine de prouver que le genestai se doit prendre souvent pour esse, parmi lesquels est Grotius, sont bien loin du but, puisqu'il ne s'agit pas d'expliquer ici ce que veut dire genestai absolument, mais ce qu'il veut dire lorsqu'il est choisi évidemment pour l'opposer à esse, et pour caractériser Jésus-Christ comme différent d'avec Abraham.

Que si l'on objecte que tous les Pères n'ont pas marqué cette conséquence, je réponds en onzième lieu qu'il nous suffit que quelques-uns, et des principaux, comme saint Augustin et saint Cyrille, l'aient marquée si expressément et que les autres ne l'aient pas exclue : cela suffit, dis-je, pour les faire concourir

 

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ensemble et établir le sens qu'il faut retenir dans une version. J'ajoute que les autres Pères, comme par exemple saint Chrysostome (1), ont mis un équivalent, lorsqu'ils ont dit que le verbe sum induisait une égalité du Fils de Dieu avec son Père, puisqu'il s'attribuait le je suis avec la même force.

C'est aussi ce qu'a remarqué le cardinal Tolet. Si néanmoins il semble permettre de traduire : « Avant qu'Abraham fut, je suis, » que sert à notre interprète cette autorité, puisqu'il n'a pas cru pouvoir la suivre ni traduire de cette sorte? Car il a bien vu que de faire être Jésus-Christ comme Abraham, et donner une même force à genestai, et à eimi, sum, c'était trop ouvertement mépriser la distinction d'être et d'être fait, reconnue par ce cardinal: Abraham étant comme peut être une créature, et Jésus-Christ étant comme il convient à un Dieu, absolument et sans restriction.

Je conclus de tous ces principes du langage de saint Jean dans son Evangile, qu'il fallait traduire avec la Vulgate : « Je suis avant qu'Abraham eût été fait, » puisqu'on sauvait par ce moyen et la Vulgate et le grec.

On ne manquera pas de nous dire qu'il y a là trop de subtilité pour en faire un sens littéral : mais on ne peut parler ainsi que faute de distinguer ce qui est précis d'avec ce qui dégénère en fausse subtilité : la suite nous fera paraître que c'est là une des erreurs de notre auteur. On voit au reste qui sont ici ceux qui subtilisent, ou ceux qui suivent la traduction dans laquelle la Vulgate est tombée naturellement, ou ceux qui ont voulu raffiner sur elle. Si l'auteur n'eût pas voulu subtiliser, et qu'il eût pris naturellement la traduction de l’ancienne édition latine, comme il s'y était obligé par le titre de son livre, on n'aurait rien eu à lui objecter, et il aurait avec la Vulgate parfaitement représenté l'original grec.

Enfin il fallait trouver pour Abraham un mot qui ne convînt pas à Jésus-Christ comme Dieu. Or il lui convient comme Dieu, selon l'expresse définition du concile de Nicée, d'être né : ce n'est donc pas par être né, mais par être fait, qu'Abraham lui est

 

1 Hom. LIV, in Joan.

 

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opposé : nul exemple ne pouvait autoriser cet éloignement de la Vulgate, surtout après les raisons que nous avons rapportées ailleurs (1).

Après une si solide théologie qui, comme on a vu, n'est pas la mienne, mais celle des anciens Pères, nous concluons sans hésiter en faveur de la traduction selon la Vulgate. Rien ne la peut empêcher qu'une fausse délicatesse de langage, à cause que quelques-uns s'imaginent sentir dans notre langue quelque chose de rude, en disant « qu'Abraham ait été fait : » au lieu que sans s'arrêter à ces vaines observations, il fallait penser qu'Abraham est comme le reste des hommes au nombre des choses faites, et que nous traduisons tous les jours sans que personne s'en choque, dans le Psaume XCIV : « Pleurons devant le Seigneur qui nous a faits, » et dans le Psaume XCIX : « C'est lui qui nous a faits, et nous ne nous sommes pas faits nous-mêmes. »

 

XXXIIIe  PASSAGE.

 

« Je vous donne un nouveau commandement, » saint Jean, XIII, 34; la note porte que « la plupart des commentateurs grecs entendaient par ce commandement nouveau, que les chrétiens sont obligés d'aimer leurs frères plus qu'eux-mêmes, à l'exemple de Jésus-Christ. » Un peu après il ajoute : « On appelle aussi nouveau dans l'Ecriture ce qui est excellent, en sorte que cette expression, nouveau, pourrait marquer seulement qu'il leur donne un excellent commandement. »

 

REMARQUE.

 

Il n'est pas permis d'exclure le nouveau en son vrai sens, comme l'auteur fait, en permettant de traduire excellent seulement. La vraie signification de nouveau, c'est que Jésus-Christ donne à ce précepte une nouvelle étendue sur tous les hommes, comme il est dit, Luc., X, 27, 37; et en même temps une nouvelle perfection, en nous aimant, non-seulement comme frères, mais encore comme membres les uns des autres sous le même Chef qui est Jésus-Christ.

 

1 Ire Inst., Rem. sur la Préf., 5e pass., n. 7.

 

545

 

Quant à l'autre explication qui oblige les chrétiens à aimer leurs frères plus qu'eux-mêmes à l'exemple de Jésus-Christ, il fallait se souvenir que l'Evangile n'ordonne autre chose que d'aimer son prochain comme soi-même. Quand donc on nous donne sous le nom de « la plupart des commentateurs grecs » sans en nommer aucun, un précepte si directement contraire à l'Evangile, il y fallait apporter quelque explication qui éloignât une idée si fausse; autrement on mêlerait le vrai et le faux sans exactitude et sans règle.

Au reste si l'auteur veut dire que Jésus-Christ a aimé ses amis plus que lui-même quand il a donné son ame pour eux, il se trompe : il est vrai seulement qu'il a aimé leur salut éternel plus que sa vie corporelle et mortelle ; ce qui est dans l'ordre de la charité et de la justice. Ce que Jésus-Christ a aimé plus que soi-même, c'est son Père seul, puisqu'il a dit : « Mon Père, faites votre volonté, et non pas la mienne; » et que saint Paul a dit aussi : « Jésus-Christ ne s'est pas plu à lui-même; » il n'a pas songé à se satisfaire ; « mais il a dit à son Père dans les Ecritures : « Les injures qu'on vous a faites sont tombées sur moi, et je les ai portées pour votre gloire, » Rom., XV, 3.

 

XXXIVe   PASSAGE.

 

Sur le chapitre XIV, vers. 43, qui oblige à tout demander au nom de Jésus-Christ, la note porte : « Jusqu'alors les Juifs avaient demandé au nom et par les mérites de leurs patriarches Abraham, Isaac et Jacob...; mais à l'avenir on devait demander au nom de Jésus-Christ. »

 

REMARQUE.

 

On n'exprime pas que les anciens justes étaient sauvés au nom, par la foi et par les mérites du Christ, puisqu'au contraire on l'exclut par l'opposition qu'on fait entre les anciens et les nouveaux. Un théologien solide aurait observé que lorsqu'on priait sous la loi au nom d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, Jésus-Christ y était compris comme celui qui était leur Fils, « en qui toutes les nations de la terre devaient être bénies; » ce qui était même le fondement de l'alliance avec Abraham, Isaac et Jacob. Ainsi la

 

540

 

note demeure avec Grotius dans l'écorce de la lettre, et les critiques n'en savent pas davantage.

 

XXXVe   PASSAGE.

 

Au même chapitre XIV, 16, 20 : « Mon Père vous donnera un autre défenseur; » ce qui est encore répété, chapitre XV, 26; et XVI, 7.

 

REMARQUE.

 

Il y a ici une affectation peu digne d'un interprète sérieux; il fallait laisser dans le texte : Consolateur, qui est connu du peuple : le défenseur en l'expliquant aurait trouvé sa place dans la note. Quand on ôte au peuple des expressions auxquelles il est accoutumé et qu'il entend, et qu'en même temps on lui en donne qu'il n'entend pas, il ne sait presque plus si c'est l'Evangile qu'il lit. Le terme de consolateur, qui exprime que le Saint-Esprit sera donné pour suppléer par ses dons l'absence de Jésus-Christ, et par ce moyen nous consoler dans notre affliction, est clair et bien plus touchant que celui de défenseur, qui demande d'être expliqué, ce que du moins il aurait fallu faire d'abord.

 

XXXVIe, XXXVIIe, XXXVIIIe, XXXIXe ET XLe PASSAGES. Sur la qualité de Messie.

 

Je comprends sous ces passages tous ceux où l'auteur affecte d'attribuer beaucoup de choses à Jésus-Christ en qualité de Messie.

En saint Matthieu, XXVIII, 18 : « Tout pouvoir m'a été donné dans le ciel et sur la terre, » la note porte : « Toute l'autorité que je dois avoir comme Messie. »

Dans la note sur saint Marc, II, 27 : « Jésus-Christ a pu, en qualité de Messie, corriger la rigueur du sabbat. »

Sur le même Evangile de saint Marc, XIII, 32, la note remarque certaines choses qui ne conviennent pas à Jésus-Christ en qualité de Messie mais au Père seul, comme déjuger les hommes dans le dernier jugement.

Voici la note sur saint Jean, I, 15 : On peut entendre ce terme

 

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fait de la divinité de Jésus-Christ, ce que néanmoins il exclut après, « parce qu'il s'agit de Jésus-Christ comme Messie; » et il s'appuie de saint Chrysostome. Cette restriction de Jésus-Christ comme Messie est répandue dans tout l'ouvrage : on y a remédié par un carton sur saint Jean, V, 20, « où Jésus-Christ avait, dit-il, parlé de soi comme Messie et envoyé de Dieu. » Il reste la question pourquoi on n'a corrigé que ce seul endroit, en laissant les autres où la même doctrine est répandue.

 

REMARQUE.

 

Ces sortes de restrictions sont établies pour distinguer ce que Jésus-Christ aura fait en qualité de Messie, de ce qu'il pourrait avoir fait en quelque autre qualité, comme par exemple en tant qu'homme ou en tant que Dieu : mais la saine théologie s'oppose à cette distinction. Les théologiens distinguent bien ce qui convient à Jésus-Christ en qualité d'homme d'avec ce qui lui convient comme Dieu : mais on ne distingue point ce qui lui convient comme Messie de ce qui lui peut convenir ou comme homme ou comme Dieu, parce que la qualité de Messie enferme l'un et l'autre.

Le nom même de Messie, c'est-à-dire Christ et oint, comprend la divinité dont Jésus-Christ était oint par son union avec le Verbe, comme toute la théologie en est d'accord et que David le chante par ces paroles du Psaume XLIV : « Votre trône, ô Dieu, est éternel; et c'est pour cela, ô Dieu, que votre Dieu vous a oint, » avec excellence et d'une manière qui ne convient pas aux autres qui sont comme vous appelés oints : Prœ participibus tuis. Ainsi l'onction de Jésus-Christ suppose qu'il était Dieu, et qu'il est en même temps appelé Christ.

En effet, si le Messie n'était Dieu, il ne pourrait ni parler, ni agir avec toute l'autorité qui lui convenait, ni chasser les démons et faire les autres miracles par le Saint-Esprit, comme par un Esprit qui lui était propre, et qui résidait en lui sans mesure, ainsi que l'a expliqué saint Cyrille dans son neuvième Anathématisme ; ni enfin racheter le monde, en offrant pour nous une victime d'une dignité infinie par son union avec la personne du Verbe. Ainsi

 

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cette expression de Jésus-Christ comme Messie, induit une distinction du Messie d'avec Dieu, qu'il faut laisser à ceux qui ne veulent pas croire que le Christ, pour être vrai Christ, devait être Dieu et homme tout ensemble.

Il ne fallait donc pas dire que tout pouvoir est donné à Jésus-Christ en qualité de Messie (1) ; mais il faut dire que la qualité de Messie supposant qu'il était Dieu, l'exercice de la puissance absolue dans le ciel et dans la terre lui est due naturellement.

Il ne fallait pas non plus dire que Jésus-Christ « en qualité de Messie pouvait tempérer la rigueur du sabbat (2); » mais il fallait dire qu'étant vraiment Dieu, même en qualité de Messie, il était maître du sabbat jusqu'à pouvoir l'abolir avec une autorité aussi absolue que son Père.

Il fallait encore moins dire sur saint Marc, XIII, 32, que la qualité de juge souverain ne regardait pas Jésus-Christ comme Messie ; mais il fallait dire que Dieu qui a établi Jésus-Christ juge souverain des hommes et des anges, ne pouvait remettre cette autorité qu'à un égal.

Au lieu d'expliquer sur saint Jean, I, 15, qu'on pourrait dire de la divinité de Jésus-Christ « qu'elle a été faite ; » et au lieu d'exclure cette locution seulement à cause qu'en ce lieu il est parlé de lui « comme Messie, » ce qui insinue trop ouvertement que la qualité de Messie sépare de Jésus-Christ la divinité : il fallait dire que la divinité qui est naturelle au Messie ne pouvant être faite en aucun sens, il répugne à Jésus-Christ comme Dieu d'avoir été fait.

On a recours à saint Chrysostome pour expliquer comment Jésus-Christ a été « fait avant saint Jean, » sans intéresser sa divinité, «parce que, dit le traducteur, selon ce Père, il s'agit ici de Jésus-Christ comme Messie, qui allait annoncer l'Evangile et qui devait être préféré à saint Jean (3), » par où il tâche d'insinuer qu'il n'y a aucun avantage à tirer de ce passage de l'Evangile pour la divinité de Jésus-Christ; mais il ne rapporte qu'imparfaitement saint Chrysostome, en lui faisant dire « qu'il s'agit de Jésus-Christ comme Messie, » de quoi ce saint docteur ne dit pas un mot, et

 

1 Matth., XXVIII, 18. — 2 Marc, II, 27. — 3 Hom. XIII, in Joan.

 

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je demande au lecteur qu'il soit attentif à cette observation dont on verra l'importance.

Il est vrai que saint Chrysostome observe que saint Jean-Baptiste, lorsqu'il dit que « Jésus-Christ viendra après lui, » l'entend non pas de la naissance humaine de Jésus-Christ, mais du ministère « de la prédication, » dans lequel il est vrai aussi que Jésus-Christ est venu après saint Jean, qui en effet a prêché et a dû prêcher avant lui, puisqu'il était son précurseur. Il est vrai aussi que Jésus-Christ devait être préféré à saint Jean dans ce ministère, puisqu'encore que saint Jean l'eût exercé le premier, Jésus-Christ devait l'exercer avec plus d'autorité et de gloire : ce qui donne lieu à cette expression : « Il a été fait avant moi ; » c'est-à-dire, dit saint Chrysostome, il a été fait « plus illustre et plus honorable, » entimoteros, et comme il venait de dire, lamproteros. Jusqu'ici nous sommes d'accord; mais il ne fallait pas oublier que saint Chrysostome voulant apporter la raison radicale et primitive de la préférence accordée à Jésus-Christ, conclut ainsi son discours : « Il explique, dit-il, la cause de toute cette question : et la cause, c'est, poursuit-il, que Jésus-Christ était le premier, » où il remarque que saint Jean-Baptiste ne dit plus : « Il a été fait avant moi; » mais : « Il dit qu'il était avant lui, encore qu'il soit venu après; » ce qui ne peut plus regarder que son essence éternelle.

Ainsi tout ce discours de saint Chrysostome se termine à dire que la cause première et essentielle de la préférence absolue de Jésus-Christ sur saint Jean, selon l'Evangile, est son existence éternelle: ce qu'il « tranche, dit-il, en peu de mots; » mais il ajoute : « Quoiqu'en peu de mots, nous avons touché le fond. » Le fond est donc que Jésus-Christ avait été fait plus considérable que saint Jean dans le ministère de la prédication, à cause qu'il « était avant lui, » encore que venu après, en distinguant comme nous faisons à son exemple ce que Jésus-Christ avait été fait, et ce qu'il était naturellement avant tous les temps.

De cette sorte il faut joindre saint Chrysostome aux autres Pères marqués ci-dessus (1), qui ont démontré par ce passage la divinité de Jésus-Christ, et ne pas croire avec l'auteur que la nature divine

 

1 Voyez ci-dessus, pass. 25, 26.

 

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ne convienne pas à Jésus-Christ comme Messie, puisqu'on voit que finalement il n'est vrai Messie qu'à cause qu'il était Dieu devant tous les temps.

Et ceux qui voudront considérer les endroits où saint Chrysostome explique à fond et expressément ce que veut dire ce mot erat, «il était (1), » attribué si souvent au Verbe éternel dans cet Evangile, verront encore plus clairement qu'il ne se peut rapporter qu'à l'éternité et à la divinité de Jésus-Christ, par laquelle celui qui « s'est fait homme, était » auparavant et toujours; et encore « qu'il était Verbe, qu'il était en Dieu, qu'il était Dieu : » sans quoi aussi on doit entendre qu'il ne serait pas le Christ, ni l'oint de Dieu par excellence, puisque même par son onction il était Dieu, comme il a été démontré d'abord.

Ainsi cette distinction si familière à l'auteur et répandue dans tout son ouvrage, de ce qui convient à Jésus-Christ comme Messie d'avec ce qui lui convient ou comme étant Dieu ou comme étant homme, ressent la grossièreté de l'hérésie des sociniens, et non pas la sublimité de la théologie chrétienne.

 

ACTES  DES  APOTRES. XIIe PASSAGE.

 

Au lieu de traduire simplement en conformité avec le grec et avec la Vulgate, Act., IV, 33 : « La grâce était grande en eux tous, » c'est-à-dire dans tous les fidèles, l'auteur traduit : « Ils avaient tous de grandes grâces; » et il explique dans la note : « c'est-à-dire que tous les fidèles recevaient de grands dons de Dieu : » mais il affaiblit cette note en y ajoutant ces mots : « Ce qu'on peut entendre des apôtres, qui se rendaient agréables à tous les fidèles dans le partage qu'ils faisaient des biens qui étaient en commun : car c'est ce que signifie en d'autres endroits ce mot de grâce; et selon ce sens on peut aussi l'entendre des fidèles qui se rendirent agréables à tout le monde vivant en commun. Cette dernière interprétation s'accorde avec ce qui suit : « Car il n’y avait aucun pauvre parmi eux, » etc., vers. 34.

 

1 Hom. II, III, in Joan.

 

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REMARQUE.

 

La version manque en traduisant : « Ils avaient tous de grandes grâces, » au pluriel ; au lieu de traduire selon la Vulgate et le grec : « La grâce était grande en eux tous, » au singulier : ce qui est plus expressif et plus fort.

Pour la note, elle mêle le bien et le mal, ou plutôt elle affaiblit elle-même ce qu'elle a de bon, en disant qu'on peut entendre « les grâces » des apôtres, « qui se rendaient agréables par le partage des biens, » etc. ; en sorte que la grâce, selon, ce sens, ne consisterait qu'à se rendre agréable au peuple. »

Toute la suite du texte sacré répugne à cette interprétation. Voici ce qu'il porte : « Toute la multitude des croyants n'avait qu'un cœur et qu'une âme, et personne ne regardait ce qu'il possédait comme son bien particulier; mais toutes choses étaient communes entre eux. Les apôtres rendaient témoignage avec grande force à la résurrection de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et la grâce était grande en eux tous : car il n'y avait point de pauvre parmi eux, parce que tous ceux qui possédaient des fonds de terre et des maisons, les vendaient et mettaient le prix aux pieds des apôtres, » vers. 32, 33, 34, 35.

L'auteur emploie ce dernier passage pour déterminer son interprétation de la grâce au sens de l’agrément extérieur ; mais il se trompe visiblement. Car il est clair qu'il faut rapporter la grâce dont parle saint Luc à tout ce qui précède, comme « de n'avoir qu'un cœur et qu'une âme, » ce qui emporte la perfection de la charité ; et de « rendre avec force le témoignage de la résurrection de Jésus-Christ : » aussi ce témoignage est-il rapporté expressément au Saint-Esprit, au verset 13, c'est-à-dire à la grâce qui est intérieure ; qui est aussi le principe de ces grands effets de la charité fraternelle dont il est écrit : « La charité est de Dieu. »

C'est donc le sens naturel et certain, de regarder toutes ces merveilles comme un effet de la grâce du Saint-Esprit qui abondait dans tous les fidèles : tous les interprètes catholiques l'entendent ainsi unanimement, et notre traducteur n'allègue aucun auteur pour sa nouvelle interprétation.

 

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Je puis lui nommer quelques protestons et quelques sociniens, entre autres Oellius qui explique ainsi : « La grâce était si grande en eux : il entend la faveur du peuple ; » ce qu'il appuie amplement dans son Commentaire sur les Actes, à l'endroit que nous traitons, chapitre IV, vers. 33.

Il faut joindre à de Creil, Grotius son perpétuel admirateur, qui sur ce même passage renvoie à l'endroit des Actes où il est écrit que les chrétiens «trouvaient grâce devant le peuple; » c'est-à-dire en étaient aimés, Act., II, 47 ; ce que l'historien sacré explique lui-même de la faveur au dehors.

Mais il y a bien de la différence entre la grâce au dehors, c'est-à-dire la faveur du peuple, et la grâce absolument, c'est-à-dire la grâce de Dieu qui inspire toutes les vertus.

On s'apercevra aisément, et peut-être bientôt, que l'auteur a toujours peur du mot de grâce, et qu'il semble craindre d'être forcé à reconnaître une grâce intérieure, dont je ne vois pas qu'il ait parlé une seule fois dans ses notes.

Cependant c'est le sentiment unanime des Pères et des catholiques, que cette unité de cœur, qui faisait admirer l'Eglise naissante, est un effet de cette grâce et du Saint-Esprit, aussi bien que le courage divin des apôtres à soutenir la résurrection de Jésus-Christ.

L'auteur du Commentaire sur les Actes, parmi les œuvres de Volzogue (1), ne laisse pas, quoique socinien, de réfuter Crellius sans le nommer, en disant sur cet endroit : « Quelques-uns estiment que par la grâce il faut entendre en ce; lieu la faveur des hommes, comme sur le chapitre II, verset 47; mais comme la grâce est ici nommée absolument et sans adjectif, il est mieux d'entendre la grâce de Dieu, dont il est parlé aux Ephésiens sur la fin; dans la Ire à Timothée sur la fin encore, et de même sur la fin de l’Epitre à Tite. »

On voit donc de quel esprit est poussé celui qui, sans m mettre en peine de la doctrine des Saints, propose et appuie l'interprétation de quelques sociniens, dont d'autres sociniens ont eu honte.

 

1 P. 28.

 

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XLIIe PASSAGE.

 

Aux Actes, VIII, 15 : « Les apôtres prièrent pour ceux de Samarie, afin qu'ils reçussent le Saint-Esprit, » etc. ; la note porte : « C'est-à-dire le Saint-Esprit avec ses dons, savoir, l'Esprit prophétique, la science des langues, » etc. ; et dans la note suivante : « Ils n'avaient point encore reçu ces dons extraordinaires. »

 

REMARQUE

 

C'est la foi de l'Eglise catholique, qu'il s'agit ici du sacrement de confirmation, et que l'effet de ce sacrement s'étend à l'augmentation de la grâce intérieure et justifiante. Mais notre critique réduit tout aux dons extraordinaires, à celui de prophétie, à celui des langues; la grâce justifiante et ses suites  passent tout au plus sous un etc., sans qu'on daigne en faire aucune mention. On a vu comme il a parlé de l'extrême-onction : la confirmation n'est pas mieux traitée; et c'est ainsi que les critiques expliquent les sacrements de l'Eglise. Je me lasse de répéter que ces critiques sont tirées de Crellius sur cet endroit des Actes, de l'auteur du Nouveau Commentaire sur les Actes chez Volzogue, et des autres sociniens : voilà les auteurs de notre critique et la source de ses Remarques.

 

 

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