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LETTRES A L'ABBESSE ET AUX RELIGIEUSES
DE L'ABBAYE DE JOUARRE (a).

 

LETTRE PREMIÈRE.  A MADAME DE LA CROIX, PRIEURE. Ce 4 mars 1690.

 

Je veux bien vous l'avouer, Madame ; car je ne puis me résoudre à vous appeler ma Fille, jusqu'à ce que vous le méritiez par votre soumission, ou du moins par votre confiance. Je ne comprends rien à votre conduite : me trompiez-vous, ou vouliez-vous m'amuser de belles paroles, quand en effet vous m'en donniez de si agréables ? A Dieu ne plaise. Qu'est-ce donc qui vous a changée si soudainement? Est-ce crainte, légèreté, complaisance ? Tout cela est bien peu digne d'une religieuse de votre mérite et de votre âge.

Qu'attendez-vous, et quelle fin auront ces dissensions ? Espérez-vous qu'on vous donne un supérieur que Madame votre abbesse ne demande pas, et ne peut ni n'ose demander ? Mais

 

(a) La première édition, celle des bénédictins des Blancs-Manteaux, renferme la note suivante : «Nous avons réuni toutes les lettres que Bossuet a écrites à Madame d'Albert de Luynes, parce qu'il nous a paru qu'il serait utile de lire sans interruption les règles de conduite que lui donnait le prélat, et de considérer sous un même point de vue le détail des affaires de l'abbaye de Jouarre, où Bossuet a développé toute l'étendue de son zèle, et montré autant de sagesse que de fermeté. Les mêmes raisons nous portent à ne point séparer les lettres écrites à d'autres religieuses de la même abbaye : rapprochées de celles de Madame d'Albert, elles développent beaucoup de faits relatifs à cette abbaye, et forment comme une histoire suivie des contestations qu'elle a eues avec Bossuet, et de la conduite du prélat dans ce monastère avant et après l'établissement de la juridiction. »

On ne trouve que rarement, dans la bibliothèque des amateurs, quelques rares manuscrits de ces lettres : nous les avons imprimées d'après les premières éditions.

 

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que ne vient-elle donc gouverner son monastère, plutôt que de vous laisser dévorer les unes les autres? Si elle était ici, tout serait en paix, car il faudrait bien qu'elle obéît elle-même, et qu'elle fit obéir les autres. Quel parti est celui-là, de n'oser venir et de soulever de loin tout un monastère?

Mais quel parti est-ce à vous, Madame, d'être l'instrument dont on se sert pour tenir dans l'oppression plus de la moitié de la communauté, en sorte qu'elle ne peut traiter avec moi qu'avec le secours de la justice séculière? Vous jugez bien que cela ne peut pas durer, et que je ne délaisserai pas celles qui me reconnaissent, et qui obéissent aux conciles eu m'obéissant.

Vous attirez des affaires à Madame votre abbesse, dont elle ne sortira jamais ; car vous voyez bien jusqu'où elle peut être poussée sur son absence sans ma permission. Ses flatteurs, qui la perdent, ne la tireront pas d'un si mauvais pas. Il faudra donc, et bientôt, qu'elle révoque les ordres secrets qu'elle envoie ici pour tout troubler, puisqu'on ne garde plus avec moi aucune mesure, et qu'on pousse la violence jusqu'à vous empêcher vous-même de me tenir des paroles si précises. Vous concevez aisément ce que je dois faire contre elle. Vous déplorez avec moi son aveuglement, et vous coopérez aux mauvais desseins que lui donne un conseil autant aveugle que violent et intéressé. Je suis obligé de vous avertir que c'est agir contre votre conscience.

Je vous garderai le secret sur ce que vous m'avez dit de particulier, et même je suis tout prêt à vous recevoir encore, si vous revenez à vos premiers sentiments. C'est pousser la complaisance trop loin, que de se laisser priver des sacrements. Pousserez-vous cela jusqu'à Pâques? Car pour moi je ne puis vous donner ni permettre qu'on vous donne un sacrement que vous n'êtes pas en état de recevoir. Vous en avez assez fait pour conserver, si vous croyez qu'il le faille, un droit ruineux, ou plutôt un droit ruiné et nul de son origine.

Quoi qu'il en soit, le Pape ne viendra pas vous gouverner. Ayant à vous remettre en d'autres mains pour la décharge de sa conscience et pour votre propre salut, pou voit-il rien faire de mieux que de vous remettre à celui que Jésus-Christ avait chargé

 

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de vous? et le pouvait-il faire d'une manière plus avantageuse que dans un concile œcuménique? Seriez-vous bien mieux gouvernée par quelques religieux de Cluny, ou quelque autre prêtre séculier ou régulier, qui vous verrait en passant deux ou trois fois en plusieurs années, ou par un évêque qui ne vous verrait jamais, et qui accablé du fardeau qu'il a déjà sur les épaules, se chargerait encore de celui d'autrui ? Ne verrez-vous jamais que l'Eglise ne peut plus souffrir de telles conduites, et qu'il en faut revenir à ce que Jésus-Christ a fait?

Revenez, ma Fille, revenez à celui qui vous tend les bras. Donnez la paix à vos Sœurs qui vous aiment. Donnez-la à vous-même, et ne vous jouez pas de Jésus-Christ pour l'amour des créatures.

 

LETTRE II.  A MADAME RENARD. Ce 6 mars 1690.

 

Je me souviens bien, ma Fille, de cette religieuse de Tours, qui se prive des sacrements depuis si longtemps. Je ne vous puis rien dire de précis sur ce qu'il y aurait à faire : tout ce que je puis, c'est de parler des choses dont je suis chargé, et j'évite d'entrer dans les autres. Je dirai bien seulement que la privation du droit de suffrage, et les autres peines de cette nature, apparemment feront peu d'effet sur un esprit de ce caractère. Elle sait les peines portées par les décrets de l'Eglise, qui sont bien plus redoutables.

Je croirais en général qu'il faut la traiter comme une malade, et songer à guérir son esprit blessé avec douceur, avec patience, en lui expliquant les miséricordes de Dieu, et en lui montrant les passages des saints, où ils ont combattu si vivement ceux qui se retirent du saint Sacrement par des vues de perfection qui leur en font perdre la grâce. Je ne sais rien davantage.

Si on est porté à me consulter, à cause que j'ai eu longtemps entre les mains une personne qui a été dans le même état, on doit songer en même temps que je ne l'en ai pas tirée : elle se

 

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confessa et communia en mourant sans aucune peine : elle n'avait jamais été opiniâtre, et ce caractère que vous me marquez dans cette religieuse est celui qui me paraît le plus fâcheux. Mais cela même est quelquefois une maladie; et ces sortes d'aheurtements qui viennent d'une certaine faiblesse d'esprit, demandent la même douceur et la même patience que les autres peines : ordinairement elles ne veulent pas être attaquées directement ; souvent même il ne faut pas faire semblant qu'on les attaque, ni qu'on en soit si fort étonné ; car cela rebute un pauvre esprit : je dis pauvre en cela, encore que je voie bien que celle-ci est forte d'ailleurs. Je prie Dieu qu'il l'éclairé, et qu'il éclaire ceux qui sont chargés de sa conduite.

 

LETTRE III. AUX RELIGIEUSES DE JOUARRE, QUI LUI AVAIENT RENDU LES PREMIÈRES UNE OBÉISSANCE PARTICULIÈRE. A Versailles, ce 28 juillet 1690.

 

Mes chères Filles,

La paix et la charité soit avec vous.

Outre les lettres que vous avez vu que nous écrivons à la communauté, nous vous faisons celle-ci, pour vous témoigner la satisfaction que nous avons de votre conduite, depuis que prévenant le reste de vos Sœurs par la promptitude de votre obéissance, vous nous avez reconnu pour le supérieur légitime que Jésus-Christ vous envoyait. Vous voyez que Dieu a béni nos soins.

Madame votre abbesse a trouvé dans le rapporteur qu'elle avait choisi pour rapporter sa requête, un avocat plutôt qu'un juge, je le dirai franchement : elle n'a rien oublié pendant six semaines, non-seulement pour instruire Messieurs les commissaires et les juges, mais encore pour les irriter contre moi par tous les moyens possibles, sans oublier les faux récits qu'on lui inspirait de faire et de publier. Mais la vérité a triomphé, et de trente-cinq à

 

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quarante juges, à peine a-l-elle eu trois ou quatre suffrages favorables : ainsi toutes les chicanes sont finies. Il ne reste plus autre chose, sinon que nous travaillions à l'avancement spirituel de la maison, tant en particulier qu'en général, et au rétablissement du temporel dans sa première splendeur : c'est à quoi vous devez maintenant concourir avec moi, en vous déclarant plus hautement que jamais pour l'obéissance.

J'abandonnerai dorénavant celles qui auront peur, si leur crainte retarde leur zèle.

Ne manquez point de respect à Madame votre abbesse : mais gardez-vous bien de croire qu'elle puisse rien contre mes ordres. Tâchez de ramener toutes vos Sœurs par la douceur. Je pourvoirai au surplus dans la visite que j'espère faire dans les premiers jours du mois prochain; et encore que je veuille espérer que toutes vos Sœurs suivront alors vos bons exemples , je me souviendrai toujours que vous êtes les saintes prémices recueillies en Notre-Seigneur, que je prie d'être avec vous, et suis de bon cœur, etc.

 

LETTRE IV. A LA PRIEURE ET COMMUNAUTÉ DE JOUARRE. A Versailles, ce 28 juillet 1690.

 

La requête de Madame votre abbesse, en cassation de l'arrêt du 26 janvier dernier, après avoir été vue durant trois ou quatre séances par MM. les commissaires du conseil, avec toutes les pièces dont elle était soutenue, a enfin été rapportée mercredi dernier en plein conseil, où elle a été rejetée tout d'une voix à la réserve de trois ou quatre. Vous devez juger par là combien sa cause était déplorée, puisque Madame votre abbesse a été condamnée sur sa propre requête, sans que je fusse en cause, et n'a pu même obtenir de m'y mettre. Après cela vous voyez bien, mes Filles, qu'elle n'a plus nulle ressource dans le royaume.

Rome, qu'on a tâché d'émouvoir, n'a rien voulu écouter, encore qu'on ait écrit en votre nom, quoique apparemment sans votre

 

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approbation, quatre ou cinq lettres également irrespectueuses contre moi et contre tout le clergé de France, qu'on n'a pas épargné : mais on sait bien en ce pays-là, que je ne fais rien que conformément aux bulles des papes et aux décrets des conciles œcuméniques. Ainsi, mes Filles, sans vous laisser désormais flatter par les discours vains et mensongers dont on vous amuse depuis six mois, commencez à chercher la paix de votre maison dans l'obéissance que vous devez à Jésus-Christ et à l'Eglise en ma personne.

Je me prépare à faire une nouvelle visite au commencement du mois prochain, où j'espère que, toutes altercations éteintes et avec moi et entre vous à jamais, nous ne parlerons que des instructions et consolations spirituelles qui sont attachées aux fonctions de notre ministère apostolique. Celles de vous qui voudraient croire qu'il y ait plus de grâces dans les religieux qui vous viennent voir sans ordre, que dans notre caractère où réside la plénitude de l'esprit de gouvernement et de conduite, ne prévaudront pas, et leur erreur comme leur faiblesse sera connue de tous. Vous ne verrez aucun changement dans les louables coutumes de votre maison, où je tâcherai seulement de vous confirmer, et en toutes manières de vous faire croître en Jésus-Christ.

Je vous ordonne en vertu de la sainte obéissance, de tenir prêt pour la visite tout ce que vous aurez en main chacune de vous pour me faire connaître l'état du temporel de la maison, c'est-à-dire tant du revenu que des dettes, charges et dépenses ordinaires, afin que réglant le tout avec une juste proportion, je travaille à ramener toutes choses à l'état des anciens jours. Que toutes celles qui ont quelques comptes à rendre les tiennent prêts, pour nous les faire voir et les rendre devant nous.

Si Madame votre abbesse veut entrer dans un concours amiable avec moi pour votre bien et pour le sien propre, elle m'y trouvera très-disposé : et pour cela je vous permets de lui envoyer copie de cette lettre. Car je ne m'ingérerai plus à lui donner des conseils, après le peu de succès qu'ont eus ceux que je lui ai donnés ci-devant, quoiqu'ils fussent très-salutaires et très-propres à lui faire éviter les inconvénients où elle est tombée.

 

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Je vous défends d'avoir égard à tous les changements qu'on pourrait faire dans les offices, et en général dans la maison jusqu'à mon arrivée.

Je souhaite de tout mon cœur que ni Madame l'abbesse ni aucunes de vous ne m'obligent jamais à leur faire sentir la puissance qui est en nous ; car les effets en sont terribles, et en ce monde et en l'autre.

Soyez fidèles à mes ordres, sans écouter rien au contraire, parce que rien ne vaut contre celui à qui le Saint-Esprit a donné sur vous la première et principale autorité : je veux dire en un mot, et pour éviter toute équivoque aussi bien que pour ne vous laisser aucune vaine terreur, que l'autorité de Madame l'abbesse est nulle contre la mienne ; de quoi je suis obligé de vous avertir, afin que vous connaissiez ce que vous n'avez jamais su, ce que c'est qu'un supérieur.

Je viendrai à vous en esprit de paix et de douceur, mais aussi de fermeté et de zèle : celles qui craindront Dieu seront avec moi. Je suis en la charité de Notre-Seigneur, mes Filles.

 

LETTRE V. A UNE RELIGIEUSE DE JOUARRE. A Meaux, ce 30 septembre 1690.

 

J'ai envoyé quérir mes receveurs, et les ai priés de traiter Jouarre le plus doucement qu'il se pourrait. Ils m'ont dit qu'ils avaient offert tous les accommodements possibles pour faciliter toutes choses et éviter les frais. Ils m'ont payé, et je ne puis les empêcher d'exercer mes droits dont ils ont traité. Ils disent que M. Cheverin leur a dit qu'on regorgeait de grain dans la maison, de sorte que ce n'était que pour faire beaucoup de bruit qu'on criait tant à cette occasion. Le fermier de Mée a répondu qu'il était prêt à payer, mais qu'il en était empêché par les religieuses : il ne s'agit que de dix muids de très-petit blé. Si Madame la prieure proposait quelque chose pour assurer le paiement, je ferais ce que je pourrais. On voit bien ma bonne volonté dans la

 

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diminution des décimes, qui était bien difficile dans ce temps : mais je ne puis pas donner le bien d'autrui, ni faire perdre à mes receveurs ce qui leur est dû. Voilà, ma Fille, ce que je vous prie de dire à Madame la prieure : si je pouvais faire davantage, je le ferais pour l'amour de la communauté, et en particulier pour l'amour de vous qui m'en priez de si bonne grâce.

 

LETTRE VI. A MADAME DE LUYNES. A Germigny, ce 13 octobre 1690.

 

La mort, toutes les fois qu'elle nous paraît, nous doit faire souvenir de l'ancienne malédiction de notre nature et du juste supplice de notre péché : mais parmi les chrétiens et après que Jésus-Christ l'a désarmée, elle nous doit faire souvenir de sa victoire et du royaume éternel où nous passons, en sortant de cette vie. Ainsi dans la perte de nos proches, la douleur doit être mêlée avec la consolation. « Ne vous affligez pas, disait saint Paul, à la manière des gentils qui n'ont point d'espérance (1). » Il ne défend pas de s'affliger, mais il ne veut pas que ce soit comme les gentils. La mort parmi eux fait une éternelle et irrémédiable séparation : parmi nous ce n'est qu'un voyage, et nous devons nous séparer comme des gens qui doivent bientôt se rejoindre. « Que les chrétiens dans ces occasions répandent donc des larmes que les consolations de la foi répriment aussitôt : » Fundant ergo Christiani consolabiles lacrymas, quas citò reprimat fidei gaudium (2). Ces larmes, en attendant, font un bon effet : elles imitent Jésus qui pleura en Ta personne de Lazare la mort de tous les hommes : elles nous font sentir nos misères, elles expient nos péchés, elle nous font désirer cette céleste patrie où toute douleur est éteinte et toutes larmes essuyées. Consolez-vous, ma Fille, dans ces pensées ; croyez que je prends part à votre douleur, et que je m'unis de bon cœur à vos prières.

 

1 I Thess., IV, 12. — 2 S. Aug. serm. CLXXII, n. 2.

 

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LETTRE VII. AUX RELIGIEUSES DE JOUARRE. A Meaux, ce 22 janvier 1691.

 

Je reçois, mes Filles, avec une sincère reconnaissance les témoignages de votre amitié. Je souhaite que tout le monde vienne bientôt boire avec vous ce vin nouveau de l'Evangile, que je suis prêt à distribuer également à toutes et à chacune selon sa mesure, c'est-à-dire selon les degrés de ses besoins et de sa foi, sans aucune autre distinction de mon côté. Enivrez-vous, mes saintes Filles, de ce vin céleste, que les vierges de Jésus-Christ ont droit de prendre plus que tous les autres fidèles, puisque c'est ce vin qui les rend fécondes à Jésus-Christ leur époux, et qui les produit elle-même. Je prie Dieu, mes chères Filles, qu'il soit avec vous. Votre bon Père, etc.

 

+ J. Bénigne, évêque de Meaux.

P. S. Il ne faut pas oublier la bonne coutume de saluer en particulier la secrétaire.

 

LETTRE VIII. A  MADAME  DU  MANS. A Meaux, ce 22 janvier 1691.

 

Les circonstances que vous me marquez ne changent rien dans mes résolutions, parce que ou vous les avez expliquées, ou elles ne sont pas essentielles : ainsi vous pouvez demeurer en repos. Il y a des choses qu'on doit supposer que le confesseur entend par l'usage même de les entendre, et par les réflexions qu'il y doit faire. Vous avez dit tout ce qu'il fallait pour me faire bien entendre vos péchés : j'en ai été content alors ; il n'en faut plus parler. Voilà, ma Fille, la courte réponse que vous souhaitez.

 

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LETTRE IX.  A MADAME  DE  LUYNES. A Paris, ce 6 mars 1691.

 

Je suis bien aise, ma Fille, de la satisfaction que vous témoignez de mes Psaumes. Je vous propose la traduction de la préface, qui pourra aider celles de nos Filles à qui Dieu donnera le goût et le désir d'en profiter ; mais à votre grand loisir.

Madame d'Albert vous aura pu dire combien j'ai été touché du doute où vous paraissiez être, du plaisir que je prenais à recevoir les témoignages de votre amitié, n'y ayant personne de la maison que j'estime plus que vous. Vous pouvez apprendre ici de nos amis communs avec quel sentiment je parle de vous : en un mot, je vous prie, ma Fille, d'être bien persuadée que vous n'avez point d'ami plus fidèle, ni de serviteur plus acquis. J'en prends à témoin M. de Chevreuse, avec qui je m'entretins encore hier très-longtemps de vous.

Madame d'Albert vous dira ce qui regarde les affaires ; et toutes deux vous en direz à nos chères Sœurs ce que vous jugerez convenable.

 

LETTRE X. A  MADAME  DU  MANS. A Meaux, ce 18 juin 1691.

 

Le père Gardien des Capucins de Coulommiers me sera toujours considérable, et par son mérite, et par ce qu'il vous est. Je fus fâché d'avoir si peu de temps pour l'entretenir, à cause que j'étais fort las, venant de donner la confirmation à douze ou treize cents personnes. J'approuve que vous ayez fait ce que vous m'avez proposé pour avoir quelques livres, et vous avez pu en ce cas prendre mon silence pour un aveu.

Madame de Lusanci, à qui je réponds sur les avis qu'elle me donne par votre moyen, vous communiquera ma réponse.

 

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Assurez-vous toujours, ma Fille, de mon estime et de ma confiance particulière, et que je vous offre à Dieu de tout mon cœur.

 

LETTRE XI. A MADAME DU MANS. A Germigny, ce 28 juin 1691.

 

L'avis a été lu trop tard. Je commençais à ouvrir la lettre, quand M. Girard m'a rendu le gros paquet. J'ai interrompu pour voir ce que c'était. Je me suis mis à considérer la plus jolie reliure du monde : les anges, les dauphins, tout m'a frappé. J'ai bientôt connu,, aux ornements et au volume, que c'était l’ Exposition, qu'on avait voulu si bien parer. J'ai lu ensuite votre lettre : il n'était plus temps ; M. Girard avait vu tout le mystère. Je n'ai pu après cela que ne plus mot dire, et je ne crois pas qu'il y ait fait grande attention.

Voilà, ma Fille, un récit fidèle de ce qui s'est passé. Il ne me reste qu'à vous remercier, et à admirer la belle reliure de Jouarre : en vérité il n'y a rien de plus industrieux, et on y a de toutes sortes d'esprits. Le bon est qu'on y trouve aussi des cœurs bien disposés à la soumission et au devoir; et c'est de quoi je rends grâces à Dieu de tout mon cœur, le priant d'avancer le temps que j'aurai à travailler uniquement à les unir à Dieu.

 

P. S. J'aurai soin de vous envoyer des reliures de ma manière, en récompense des vôtres.

 

LETTRE XII. AUX RELIGIEUSES DE JOUARRE. A Meaux,  ce 5 novembre 1691.

 

J'ai reçu, mes Filles, ma béatitude (a). Si j'ai cette faim et cette soif de la justice, je l'aurai pour moi et pour les autres, ce qui est

 

(a) On tirait tous les mois à Jouarre, selon le pieux usage de plusieurs monastères, des sentences de l'Ecriture au sort, pour chacune des religieuses, et il y en avait une pour le prélat, intimement uni à ces saintes Filles. (Les Edit.)

 

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le devoir d'un pasteur; et si je suis rassasié, vous serez toutes heureuses. La terre qui nous est promise, est la terre des vivants ; et la douceur qui nous est donnée comme le moyen d'y arriver, est la fleur de la charité.

Ma Sœur du Mans, qui a les larmes en partage, a aussi la consolation qui les accompagne : qu'elle pleure aux pieds du Sauveur par pénitence, et qu'elle y laisse à jamais tout ce qui est ou superflu ou délicat. Ma Sœur de Saint-Michel sera vraiment pauvre, si pénétrant jusqu'au plus intime de son cœur, elle n'y laisse que Dieu et met en lui tout son trésor : où sera son trésor, là sera son cœur. En général, mes Filles, renouvelez-vous tous les jours. L'ouvrage est pénible, mais la récompense est grande. Et qu'est-ce qu'un vrai et sincère amour n'adoucit pas ? Regardez l'attention qu'on a sur vous, comme un continuel avertissement qu'on vous donne de vous avancer à la perfection de votre état, qui est celle du christianisme.

Prenez garde qu'on n'aille pas s'imaginer que je vous aie obligées à renouveler vos vœux, comme si je jugeais ou insuffisants ou imparfaits ceux que vous avez faits avant moi. Car il y aurait peut-être des esprits assez malins pour tourner si mal les choses, et vous en voyez la conséquence. Du reste je ne vois pas qu'il y ait de façons à faire sur un renouvellement qui se fait tous les ans dans tous les monastères, ni sur la foi que vous aurez eue en la grâce du ministère épiscopal, en le faisant entre mes mains. La grâce de Notre-Seigneur soit avec votre esprit, mes Filles.

 

LETTRE XIII.  A MADAME DE LUSANCI. A Versailles, ce 8 janvier 1692.

 

Je commence, ma Fille, par vous faire excuse de ce que je me sers d'une main étrangère pour épargner une tête appesantie par le rhume. Il ne m'a pas empêché, Dieu merci, de faire écrire le sermon que je vous envoie, comme je vous l'avais promis. Vous le trouverez peu conforme à votre état, puisqu'il attaque les

 

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pécheurs les plus endurcis : mais il faut que les âmes innocentes apprennent à gémir pour eux dans leur retraite ; et qu'en voyant leurs excès, elles s'accoutument à rendre grâces à Dieu des miséricordes qu'elles en ont reçues. Vous ne laisserez pas de voir dans ce sermon les plus utiles sentiments où l'on puisse entrer à la vue des mystères de Jésus-Christ. Il n'y a rien de meilleur que de regarder toujours qu'ils peuvent être en ruine aussi bien qu'en résurrection à plusieurs, afin que si on est assez heureux pour en profiter, on l'attribue à sa grâce. Vous pouvez faire part de cette instruction à celles que vous croirez qui en seront édifiées, et à votre grand loisir vous me ferez plaisir d'en tirer une copie, et de me renvoyer l'original : car encore qu'il ait été fait uniquement pour vous, vous ne serez pas fâchée d'être l'occasion que d'autres en profitent.

Aussitôt que j'aurai des nouvelles à vous mander, vous en aurez, et je vous prie d'être bien persuadée que je ne perdrai pas un seul moment. Je conçois parfaitement la conséquence de tout ce que vous me mandez sur ce sujet-là, et je ne désire rien tant que de procurer du repos à la Maison et à vous.

 

J. Bénigne, év. de Meaux.

 

P. S. Renvoyez le sermon quand vous voudrez, par la poste ou autrement. La crainte doit porter à la confiance, et la confiance produire dans le cœur le désir de le purifier, afin de voir Dieu. Ceux qui y travaillent sont bien éloignés de ce péché contre le Saint-Esprit, qui ne se remet jamais. Personne ne sait quel il est; mais il consiste principalement dans la malice, dans l'aveuglement, dans l'endurcissement.

Dites à ma Sœur de Sainte-Madeleine, que je lui sais bon gré de son zèle, et que je l'invite aussi bien que vous à espérer plutôt qu'à craindre. L'acte d'abandon est le plus puissant remède contre ce terrible péché dans lequel les impies mourront.

 

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LETTRE XIV. A MADAME DU MANS. A Versailles, ce 17 janvier 1692.

 

J'ai reçu, ma Fille, avec joie votre lettre du 9 pour ce qui vous touche ; mais j'y ai vu avec déplaisir la maladie de Madame d'Ardon. Obligez-la aux précautions nécessaires pour se guérir, et pour prévenir la rechute ; car je ne veux point qu'elle soit malade, encore moins qu'elle se la fasse. Je vous charge de ce soin, et je vous donne pour cet effet le pouvoir que j'ai sur elle. Je la bénis de tout mon cœur, et je prie Notre-Seigneur qu'il verse sur vous et sur elle ses saintes bénédictions, afin que vous le serviez en crainte et en joie, en humilité et en courage, en abandon et en confiance. Je suis à vous en son saint amour.

 

LETTRE XV.  A MADAME DU MANS. A Versailles, ce 29 janvier 1692.

 

Je suis ma Fille, fort en peine de la santé de Madame de Saint-Ignace. Je vous charge d'en prendre soin, de la consoler en mon nom, et de l'assurer de mes prières. Prenez soin aussi de Madame de Rodon. Je vous donne tout le mérite de l'obéissance pour les assister, et j'en prendrai sur moi l'obligation; de sorte que vous contenterez Dieu et les hommes ; et votre inclination, aussi bien que votre charité, sera satisfaite.

Il me semble que Madame de Jouarre songe tout de bon à s'en retourner : elle sent bien qu'il faut obéir malgré qu'on en ait. Je crois que la fin des affaires approche plus qu'on ne pense, et qu'il n'y a qu'à l'attendre avec foi et patience. Madame de Lusanci vous dira où l'on en est. Je prie Notre-Seigneur qu'il soit avec vous, et je vous bénis de tout mon cœur vous et nos deux Sœurs que je vous ai recommandées.

 

 

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LETTRE XVI. A   MADAME   DU  MANS. A Paris, ce 19 février 1692.

 

Je ne vous tiendrai point coupable de la rupture du carême, quand même vous vous y trouveriez obligée par l'abstinence de la Septuagésime : mais quand cette expérience sera bien confirmée, il faudra une autre fois se réserver pour ce qui est plus nécessaire. Dieu aura, en attendant, votre bonne volonté pour agréable, et il ne vous imputera pas à péché d'avoir commencé avec une sincère intention de continuer.

Ayez grand soin de mes Sœurs de Saint-Ignace et de Rodon. Je suis bien en peine de ma Sœur des Archanges, et j'aurais un grand regret si nous la perdions. Conservez-vous aussi, ma chère Fille, et me croyez tout à vous dans le saint amour de Notre-Seigneur.

 

LETTRE XVII.  A MADAME DE LUSANCI. A Paris, ce 19 février 1692.

 

Votre lettre du 18, que j'ai reçue en arrivant en cette ville, a fait, ma Fille, une grande plaie dans mon cœur, en m'apprenant la mort de notre chère Sœur des Archanges. C'est la première que je rencontrai avec un visage soumis et content, en entrant à Jouarre. Son zèle ni sa foi n'ont jamais été ébranlés. Dieu nous l'ôte cependant lorsque nous avions encore tant de besoin de ses saints exemples : c'est à nous à baisser la tête sous ses ordres souverains. Consolez nos chères Filles, en les assurant de la part que je prends à leur douleur, et du soin que j'aurai de l'offrir à Dieu, en lui recommandant l’âme bien-aimée que nous avons perdue sur la terre des morts, mais que nous retrouverons dans la terre des vivants.

J'ai vu, dans une lettre de Madame d'Albert, une plainte de

 

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Madame de Luynes, de Madame Renard et de vous, que je vous laisse mourir. Sans passer plus outre, je me suis senti saisi de douleur en déplorant l'impuissance humaine, qui ne peut retenir ce qu'elle voudrait le plus pouvoir conserver, c'est-à-dire de bons cœurs à qui on se trouve uni par l'amour de la vertu : mais en même temps j'ai adoré la souveraineté de Dieu dans l'inévitable arrêt de mort qu'il a donné contre nous, dès que le péché est entré dans le monde. Il faut trembler et nous taire sous l'autorité de ses jugements et nous souvenir pourtant que le premier sur qui a été exécutée cette sentence de mort est le juste Abel : par où, comme disait un ancien, Dieu nous a voulu montrer que la mort avait un faible fondement, puisque le premier qui a succombé sous ses coups est en même temps le premier de tous les amis de Dieu. Ce qu'il a permis pour nous faire voir que l'empire de la mort ne durerait pas, et qu'il serait obligé de le détruire, puisqu'il avait si mal commencé, que sa justice ne le pouvait pas souffrir. Je prie Notre-Seigneur qu'il soit avec vous.

 

LETTRE XVIII. A MADAME  DU  MANS. A Paris, ce 25 février 1692.

 

Je ferai tout ce que je pourrai pour la consolation de mes Filles. Je me donnerai tout le soin possible du spirituel comme du temporel de la Maison : il faudra un peu considérer ce que mes forces et mes autres occupations demandent. Vous me réjouissez de m'apprendre qu'on espère bien de ma Sœur de Saint-Ignace, que je salue de tout mon cœur, aussi bien que ma Sœur de Saint-Michel, dont je suis en peine à cause du long temps qu'il y a que je n'en ai ouï parler. Je prie Notre-Seigneur qu'il soit avec vous, ma Fille.

 

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LETTRE XIX. A MADAME DU MANS. A Meaux, ce 18 mars 1692.

 

La règle pour les confessions, c'est déjà, ma Fille, qu'on ne doit point se gêner à répéter les péchés véniels, quelque empêchement qu'on soupçonne avoir été dans le confesseur ; et pour le surplus, à moins d'avoir vu clairement qu'il n'avait pas l'esprit libre, il faut demeurer en repos, quand même il se serait troublé davantage dans la suite : ainsi il n'est pas besoin que vous recommenciez vos confessions en cette occasion. Je trouve très-bon que ma Sœur Cornuau reçoive les lettres dont vous me parlez. Je salue de tout mon cœur la chère malade, et je prie Dieu qu'il la soulage.

 

LETTRE XX. A MADAME DE LORRAINE, ABBESSE DE JOUARRE. A Paris, avril 1692.

 

Je crois, Madame, être obligé de vous donner avis que je pars, et en même temps de vous faire souvenir de la promesse que vous m'avez faite de partir vous-même bientôt.

Vous voyez que je ne vous presse pas. Vous êtes venue ici contre la parole qu'on m'a portée de votre part, que j'ai par écrit. Vous demeurez hors de chez vous au delà de tous les termes de votre obédience, sans que j'entende seulement parler de vous. Je ne sais qui vous peut donner de tels conseils, ni en quelle sûreté vous pouvez recevoir les sacrements, puisque dans quelque nécessité où vous vous croyiez être de passer un si long temps hors de la clôture, vous devez savoir qu'il ne vous est pas permis de le faire sans congé. Je me tais cependant ; et sans vous rien permettre, ni vous rien défendre, je vous laisse au jugement de Dieu et à votre conscience.

 

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je sais vos infirmités, et je veux bien ne vous pas presser. Faites, Madame, de vous-même ce que vous demande votre devoir et la règle de l'Eglise. Si vous ne pouvez partir sitôt, renvoyez ce que vous pourrez de vos religieuses : vous ne songez pas combien l'air du siècle est contagieux pour celles qui font profession de s'en éloigner. Et pour vous, Madame, profitez du temps. Parmi tant d'habiles gens qui sont ici, choisissez-en quelqu'un, comme je vous y ai déjà exhortée, entre les mains de qui vous remettiez votre conscience.

Je prie Dieu sincèrement qu'il vous conserve : mais enfin on ne doit pas vous dissimuler que les maladies sont des avertissements de Jésus-Christ qui frappe à la porte. Prenez une bonne fois un conseil solide, et qui éloigné de tout intérêt, ne songe qu'à votre salut.

Pour ce qui est de votre maison, outre les choses que j'ai eu l'honneur de vous représenter par ma lettre précédente, il y en a deux à vous dire : l'une, que vous preniez soin de faire ramasser les papiers de votre abbaye, qui sont ici en grand nombre, et de les renvoyer à Jouarre ; tous les procès où ils pouvaient être nécessaires sont finis, et il y va de votre conscience de les remettre en leur lieu : l'autre chose, c'est que vous vouliez bien une fois nous faire voir tout ce que vous devez et tout l'état de vos affaires, afin qu'on sache sur quoi compter. Du reste donnez vos ordres de manière que je ne sois pas obligé d'en donner aucun. Soyez, Madame, bien persuadée que je ne souhaite rien tant que de vous voir en repos; et sans avoir rien à ordonner sur l'administration du temporel, de n'avoir à m'appliquer qu'à votre salut et à celui de vos Filles.

 

LETTRE XXI. A MADAME  DU MANS. A Meaux, ce 5 mai 1692.

 

Je donne de tout mon cœur ma bénédiction à notre chère Sœur de Saint-Ignace, et je ne manquerai pas de la recommander à

 

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Dieu toute ma vie, en quelque sorte que sa divine bonté dispose d'elle. Je lui confirme ce que je lui ai dit du regard miséricordieux qui était sur elle, et je l'exhorte à augmenter et à embellir ses couronnes par la patience et la confiance.

C'est un grand vœu à une religieuse que celui de la pauvreté : celui-là rend le vœu à Notre-Dame de Liesse peu nécessaire. Que peut donner une religieuse qui n'a rien ? Il n'y a rien de meilleur que de donner son rien à Dieu. Pour les petites choses que vous vous êtes données mutuellement, elle et vous avec Madame de Rodon, je les permets. Priez Dieu pour moi, et soyez-lui toujours fidèle.

 

LETTRE XXII. A MADAME DU   MANS. A Meaux, ce 12 mai 1692.

 

Dieu a voulu avoir notre chère Sœur de Saint-Ignace : il le faut louer des consolations qu'il lui a données, et des bons exemples qu'elle nous laisse. Je ne laisse pas d'être fort touché de cette perte, et il me fâche que votre maison perde tant de bons sujets. Dieu saura bien réparer nos pertes, et il ne faut qu'avoir la foi pour tout attendre de lui. Les heures ne peuvent pas être mises en meilleures mains que celles que vous me marquez. Consolez Madame de Rodon ; qu'elle vous console. Je ne puis vous dire le temps que je serai à Jouarre. Je vous donnerai, ma Fille, le temps que vous demandez, et serai toujours disposé à vous aider au grand ouvrage auquel vous travaillez. Je prie Notre-Seigneur qu'il soit avec vous.

 

LETTRE XXIII. A MADAME DU MANS. A Germigny, ce 26 juin 1692.

 

Je crois, ma Fille, que vous avez su la raison qui m'a obligé à renvoyer ensemble les deux confesseurs. Toutes les fois qu'il y en

 

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aura qui ne pourront s'accorder entre eux, et qui donneront lieu à des partialités, j'en userai de même. Je les avais fait avertir tous deux de changer de conduite, et que s'ils ne le faisaient, je serais obligé d'en venir où j'en suis venu. Voilà, ma Fille, ma raison, qui est très-solide. Je ne sais rien des discours que vous dites qu'on a tenus à Jouarre : mais je puis bien vous assurer que personne ne m'a rien écrit pour me porter à ce que j'ai fait, et que je n'y ai été déterminé que par la continuation des divisions.

Je ne refuserai jamais de vous entendre autant que personne et avec autant de confiance ; mais à ce coup je crois que le meilleur sera de se soumettre. Je ne fais tort à personne, et il ne tiendra qu'à Madame de Jouarre de réparer la perte qu'on fait ; ce qui ne lui sera pas fort difficile. Je prie Notre-Seigneur qu'il soit avec vous.

 

LETTRE XXIV. A MADAME DU MANS. A Paris, ce 19 juillet 1692.

 

Vous n'avez qu'à demeurer en repos sur l'affaire dont vous m'écrivez : continuez vos communions à votre ordinaire, sans recommencer vos confessions. Je serai bien aise de ce qu'on vous communiquera du côté de Coulommiers, et je donne toutes les permissions de part et d'autre.

Dans le cas que vous proposez, il n'y a nul doute qu'aussitôt qu'on se sent en péché mortel, on ne soit obligé à la pénitence, et à se disposer à la confession ; mais non pas toujours à la faire sur-le-champ : il est bon de gémir auparavant, et de se mettre en état de bien faire sans rien précipiter, ni rien négliger.

Il est sans doute que les péchés oubliés sont pardonnes avec les autres, quelque temps qu'ait duré l'oubli, et qu'on ne doit confesser que celui qu'on se rappelle. Je prie Dieu qu'il console ma Sœur de Saint-Michel, et je vous donne, ma Fille, une bénédiction très-cordiale.

 

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LETTRE XXV. A MADAME DU MANS. A Germigny, ce 25 septembre 1692.

 

Vous ne devez point douter, ma Fille, que je ne fasse avec plaisir tout ce qui sera utile au bien de votre âme et à votre perfection. Les choses qui ont été faites à Jouarre avant que je fusse entré dans les affaires, conservent toute leur force et je les approuve. Ce que vous me dites de mes réflexions sur le sermon de Notre-Seigneur sur la montagne, me donne courage pour achever quelques autres ouvrages de cette nature.

Soyez Marie de désir, et Marthe par obéissance. Afin de gagner les indulgences, pour le plus sûr il se faut confesser à cette intention. Je prie Dieu, ma Fille, qu'il soit avec vous.

 

LETTRE XXVI.  A MADAME DU MANS. A Germigny, ce 3 novembre 1692.

 

Vous avez tort, ma Fille, de croire que vous me causiez une insupportable fatigue : où allez-vous prendre cela? Ce qui me fatigue, n'est pas d'avoir à écouter, mais d'avoir à le faire quand je vois le temps qui presse. Loin de vous abandonner, j'ai au contraire formé le dessein de vous entendre une autre fois préférablement, et je ne vous manquerai en rien.

Un cœur pur, c'est un cœur dégagé de tout ; et c'est ce qui rend capable de voir Dieu. Quelle pureté, quel détachement demande une si pure et si sublime vision !

Dieu daigne bénir par sa grâce ceux qui profitent de sa parole. Je prie Notre-Seigneur qu'il soit avec vous, ma Fille.

 

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LETTRE XXVII. A MADAME DU MANS. A Versailles, ce 9 février 1693.

 

J'ai reçu, ma Fille, la demande que vous me faites pour donner un confesseur à Mesdames Paget, de Menouet  Jourdin. Puisque le premier dimanche de l'avent, pour lequel elles le demandaient est passé, il est bon qu'elles attendent jusqu'à ce que je sois à Meaux, c'est-à-dire à la semaine prochaine, s'il plaît à Dieu. Madame de Jouarre m'ayant en quelque sorte reproché la facilité que j'avais à donner des confesseurs extraordinaires, ces Dames ne trouveront pas mauvais que j'examine un peu les temps convenables. J'ai fait la même réponse à Madame de Lusanci, croyant que la demande m'était venue de sa part : mais votre lettre du 21 du passé, que je viens de relire, m'a fait voir que c'était vous.

Je ne me suis jamais plaint de la longueur des lettres, mais seulement de la résistance qu'on apporte aux décisions, et du temps que l'on y perd ; et tout cela sans vouloir rebuter personne, mais au contraire tout faciliter à tout le monde.

J'approuve pour trois fois la semaine ce que vous me proposez, à condition que vous discontinuerez de bonne foi si vous vous en trouvez incommodée. Dieu aura votre bonne volonté plus agréable, et je le prie, ma Fille, de bénir vos bons desseins.

 

+ J. Bénigne, év. de Meaux.

 

P. S. Je donne ma bénédiction de tout mon cœur à toutes nos malades, et en particulier à Madame la prieure.

 

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LETTRE XXVIII. A  MADAME  DU MANS. A Meaux, ce 24 mars 1693.

 

Je n'ai reçu que hier votre lettre, et il n'était plus temps de vous envoyer la permission pour ma Sœur Cornuau : mais, ma Fille, je vous assure que si elle est entrée, j'en serai bien aise.

Recevez les consolations que Dieu vous envoie avec une entière reconnaissance, sans vous mettre en peine de la suite ; Dieu est puissant pour y pourvoir. Dites seulement avec David : Confitemini Domino quoniam bonus, quoniam in sœculum misericordia ejus (1). Vous me direz quand vous voudrez vos difficultés. Je prie Notre-Seigneur d'être avec vous.

 

LETTRE XXIX. A MADAME DU MANS. A Meaux, ce 29 mars 1693.

 

J'ai, ma Fille, reçu agréablement le travail de votre pinceau et les témoignages de votre amitié. Il n'y a ni or ni argent, et vous avez été fidèle à mes ordres.

Pour ce qui regarde votre intérieur, vous n'avez, ma Fille, qu'à recevoir ce que Dieu vous donne, en admirant ses bontés. Il ne faut point faire d'acceptation expresse des croix et des privations qui vous sont montrées confusément et en gros ; mais seulement en général de la volonté de Dieu, qui vous donnera des forces à proportion des exercices qu'il lui plaira de vous envoyer.

Vous pouvez me communiquer la suite de ces états. Ne vous servez plus de ce terme, que je ne veux pas répéter. Je vous écoute avec joie ; soyez soumise seulement : ces dispositions

 

1 Psal. CXVII, 1.

 

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demandent beaucoup de fidélité et d'obéissance, et peu de raisonnement.

La fréquente communion doit être votre grand soutien, et vous devez suivre Jésus-Christ qui vous y attire. Il n'y a rien de suspect dans vos dispositions, ni dans vos vues. Dieu ne s'est pas fait une loi de ne faire des grâces particulières qu'aux âmes pures et innocentes. Voyez comme il traite la pécheresse, et quelle douceur il mêle dans ses larmes. Voyez comme il traite Marie-Madeleine, de laquelle il avait chassé sept démons, et combien agréablement il se montre à elle après lui avoir envoyé ses anges. Ses bontés sont au-dessus de toutes ses œuvres. Marchez en confiance, et ne craignez rien ; Dieu est avec vous.

 

LETTRE XXX.  A MADAME DU MANS. A Meaux, ce 30 mars 1693.

 

J'ai oublié, ma Fille, à vous répondre sur un des articles principaux de votre lettre. Il est vrai que les grâces que vous recevez demandent une grande séparation des compagnies; car Dieu veut les âmes à soi : mais il ne faut pourtant îïen faire qui vous fasse remarquer ; et quand il arrivera dans les conversations quelque forte touche, si vous prévoyez qu'il en doive paraître quelque chose au dehors, vous devez alors vous étourdir, et s'il se peut détourner le cours de vos pensées : que si vous ne croyez pas le pouvoir, retirez-vous doucement. Au reste il faut beaucoup de courage pour soutenir les efforts d'un Dieu jaloux, lorsqu'il veut posséder une âme. Vous entrez dans une carrière difficile par l'extrême fidélité qu'il y faut garder : mais le secours est grand et la couronne digne du combat. Notre-Seigneur soit avec vous.

 

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LETTRE XXXI.  A MADAME DU M A N S. A Paris, ce 19 avril 1693.

 

J'ai reçu, ma Fille, celle que vous m'avez écrite. Abandonnez-vous à la divine Providence, et abandonnez-y les affaires de la Maison. Assurez-vous que je ne perdrai jamais de vue ce qui sera pour son bien, et que je m'attacherai plus que jamais, quoique d'une autre manière, à ce qui la touche et vous toutes.

 

LETTRE XXXII. A MADA M E DU M A N S. A Meaux, ce 25 mai 1693.

 

Abandonnez le passé à la divine miséricorde : ne vous en inquiétez pas ; ne refusez point les grâces que Dieu vous offre, par la crainte des difficultés qui en naîtront. Songez à celui qui dit : J'ai vaincu le monde (1). Il vaincra le monde en nous, quand il anéantira les mauvais désirs; c'est-à-dire la concupiscence des yeux; c'est-à-dire la curiosité de l'esprit, la concupiscence de la chair ; c'est-à-dire tout le sensible et tout orgueil.

Recevez, ma Fille, ce que Dieu vous donne, et à la manière qu'il voudra vous le donner. Il saura proportionner ses dons et ses exercices à votre faiblesse : c'est un sage médecin, laissez-le faire. Ne vous embarrassez pas si c'est lui qui parle : attribuez-lui sans hésiter tout ce qui vous invite à la perfection ; car c'est toujours lui qui le dit.

Je vous permets l'usage de cette ceinture, deux jours de cette semaine. Ne me fatiguez plus à me demander des austérités. Je n'aurai rien sur cela à vous répondre, sinon : Allez doucement. Ne quittez le saint Sacrement que le moins que vous pourrez.

 

1 Joan., XVI, 33

 

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Ecoutez, parlez pour le roi, pour l'Etat et pour la paix. Ne m'oubliez pas. Dieu soit avec vous.

 

LETTRE XXXIII. A MESDAMES DU MANS ET DE RODON.  A Meaux, ce 1er juin 1693.

 

Voilà, mes Filles, ma Sœur Cornuau qui va jouir de la grâce que vous lui avez procurée : je vous la recommande : instruisez-la, conseillez-la, conduisez-la. Priez pour moi, et me croyez à vous de tout mon cœur.

 

LETTRE XXXIV.  A MADAME DU MANS. A Paris, ce 29 juin 1693.

 

Je connais la disposition de nos Sœurs encore désobéissantes : je les ai toutes vues, à la réserve d'une ; et je vous assure, ma Fille, qu'elles ne me tromperont pas, s'il plaît à Dieu. Laissons rapporter l'affaire du conseil. Si Madame votre abbesse est refusée de sa requête, tout est fini, et elle demeurera sans aucune ressource : ou elle sera reçue, et cela n'aboutira qu'à m'assigner, l'arrêt du parlement restant toujours dans sa force. Lequel des deux qui arrive, je vous assure, ma Fille, et vous pouvez en assurer nos chères Filles, que vous me verrez bientôt, s'il plaît à Dieu, et que je viendrai à des remèdes plus forts sans tous les ménagements que j'ai bu* jusqu'ici. Au surplus vous pouvez tenir pour certain tout ce que j'ai mandé par mes précédentes, et encore, que tous les gens de bon sens ne veulent pas qu'il y ait le moindre sujet de douter que la requête de Madame de Jouarre ne soit rejetée. Je prie, ma Fille, Notre-Seigneur qu'il soit avec vous.

 

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LETTRE XXXV.  A  M ADAM E  DU MANS.  A Meaux, ce 18 juillet 1693.

 

J'ai lu votre lettre, ma Fille : il n'y a rien de nouveau à y répondre, si ce n'est sur la communion de tous les jours : je vous en permets le désir. Suivez Dieu, marchez en confiance et en assurance. Ce n'est pas à vous à prescrire à Dieu les voies qu'il veut tenir. La foi consiste à suivre ce qu'il veut, à attendre ce qu'il voudra faire, à se soumettre à ce qu'il veut. Quand vous avez exposé, vous n'avez plus qu'à vivre en paix.

 

LETTRE XXXVI.  A MADAME DU MANS. A Germigny, ce 5 août 1693.

 

Vous faites bien, ma Fille, d'exposer les choses ; vous ne devez point hésitera continuer. Réprimez, autant que vous pourrez, ce qui se peut faire connaître au dehors : c'est là seulement que je vous permets de résister à l'attrait, et de le vaincre à quelque prix que ce soit. Il faut demeurer maître de l'extérieur, et en demander la grâce à Dieu. Je vous permets ce que vous me demandez pour l'octave de l'Assomption, mais avec modération. Notre-Seigneur soit avec vous.

 

LETTRE XXXVII. A MADAME DU MANS.  A Germigny, ce 20 septembre 1693.

 

Lorsqu'il nous arrive, ma Fille, de nous oublier nous-mêmes de commettre quelque péché, il ne faut pas perdre courage ; aïs au contraire reprendre de nouvelles forces, et se souvenir

 

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de cette parole de saint Jean : « Si nous péchons, nous avons un avocat, un intercesseur, un défenseur, savoir Jésus-Christ, ce juste qui est la propitiation pour nos péchés, et non-seule-nient pour nos péchés, mais encore pour ceux de tout le monde (1). »

Vous avez bien fait de communier, et de ne pas attendre ma permission pour cela : l'avis de votre confesseur suffit, et vous en devez user ainsi en toutes rencontres. J'espère aller à Jouarre dans quelques jours, et y faire, sans manquer, le discours sur la prière.

Quant à la Maison, mettez tout entre les mains de Dieu, et assurez-vous que je serai toujours attentif à y faire ce que je pourrai. Je prie Notre-Seigneur qu'il bénisse ma Sœur de Rodon, et nos autres chères Filles que vous me nommez.

 

+  J. BÉNIGNE, év. de Meaux.

 

P. S. Je ne vois nul inconvénient à recevoir Madame de Giri : elle est infirme à la vérité, mais à ce qu'il me paraît bonne religieuse; et cette réception sera utile à la maison.

 

LETTRE XXXVIII.  A MADAME DU MANS. A Germigny, ce 26 septembre 1693.

 

Je suis étonné, ma Fille, après toutes les choses que je vous ai dites, que vous me recommenciez votre confession. Ne le faites plus dorénavant, et ne parlez plus du passé à qui que ce soit, à confesse, ni hors de confesse.

Je n'ai rien à vous dire de nouveau sur les austérités. Mortifiez votre propre volonté, gouvernez votre cœur, et rendez-vous-en la maîtresse. Demandez à Dieu son secours, ne parlez qu'en charité et avec mesure, ne donnez rien à votre humeur ; voilà les austérités que je vous ordonne. Portez en pénitence celles que la religion prescrit ; aimez le silence et la retraite. Il y a une

1 Joan., II, 1 et 2.

 

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retraite et un silence que les emplois du dehors n'altèrent pas. Je prie Notre-Seigneur qu'il soit avec vous.

 

LETTRE XXXIX. A MADAME DU MANS. A Germigny, ce 13 octobre 1693.

 

Encore un coup, ma Fille, que vos fautes ne vous découragent pas ; au contraire qu'elles vous animent : ne perdez point votre confiance. Si vous saviez les bontés de Dieu et les ardentes poursuites de ce céleste amant, avec quelle sainte familiarité vous reviendriez à lui après vos faiblesses ! Exposez-lui tout, et il sera facile à vous pardonner.

Je prie Dieu que le nom d'Ange ne soit pas donné inutilement à celle à qui on l'a donné. Je salue nos Sœurs.

 

LETTRE XL. A MADAME DE LUSANCI. A Germigny, ce 16 octobre 1693.

 

Je suis bien aise, ma Fille, de ne pas tarder à répondre à vos demandes, et j'ai de la joie de vous pouvoir donner cette satisfaction. On peut et on doit croire très-certainement qu'on est du nombre de ceux pour qui Jésus-Christ a opéré ses mystères : le baptême et les sacrements nous en sont un gage, et il ne nous est pas permis d'en douter. Pour ce qui est de la prédestination, c'est un secret impénétrable pour nous ; et le doute sur une chose si importante nous rendrait la vie insupportable, si nous n'étions invités par là à mettre notre salut entre les mains de Dieu, et à dépendre de lui beaucoup plus que de nous-mêmes. On est assuré d'être exaucé, pourvu qu'on attende tout de sa bonté paternelle. Ce qui nous oblige le plus à prier, c'est l'extrême bonté de Dieu qui nous donne au-dessus de nos mérites, et encore qu'il faille tâcher d'accomplir les conditions de la prière, il faut être persuadé

 

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que Dieu ne nous juge pas à la rigueur, et qu'il se laisse fléchir au moindre commencement de bonne volonté.

Ce que je vous disais dernièrement, c'est, si je ne me trompe, que Dieu a su tirer le plus grand de tous les biens du plus grand de tous les péchés, qui est la trahison de Judas, l'injustice de Pilate, et l'ingratitude des Juifs. Ce grand mystère nous doit faire voir qu'il ne permet le péché que pour sa gloire : et quoiqu'on ne puisse assez haïr le péché, cela n'empêche pas d'aimer le bien que Dieu sait en faire sortir. S'il n'y avait point de haine, d'impatience, d'injustice dans le monde, les vertus ne parviendraient pas à leur perfection. Déplorons donc le péché ; mais en rendant grâces à Dieu de l'extrême patience avec laquelle il le supporte, et de la toute-puissante bonté par laquelle il le tourne en bien pour ses amis. Je ne vous répondrai rien sur ce qu'on vous dit que j'approuve : vous savez bien mes sentiments. Je prie, ma Fille, Notre-Seigneur, qu'il soit avec vous.

 

LETTRE XLI.  A MADAME DE BARADAT. A Germigny, ce 25 octobre 1693.

 

Je ne connais point du tout le livre dont vous me parlez. La méditation de Jésus-Christ en qualité d'homme n'oblige pas toujours à le regarder selon son humanité. La contemplation de la divinité n'est pas une oraison abstraite, mais épurée; c'est la première vérité. Mais la vue de Jésus-Christ ne peut pas en détourner : au contraire Jésus-Christ en tant qu'homme a été en tout et partout guidé par le Verbe, animé du Verbe : il n'a pas fait une action, il n'a pas prononcé une parole, il n'a pas fait un clin d'œil qui ne soit plein de cette sagesse incréée que le Père engendre dans son sein. Ainsi pour concilier toutes choses, il ne faut point séparer la nature humaine de la divine. C'est un effet de sa bonté infinie que de s'être si étroitement uni à l'homme. Tout ce qui reluit de divin dans l'Homme Jésus-Christ, retourne à Dieu : quand nous y sommes, on peut s'y tenir avec un secret retour

 

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sur Jésus-Christ, qu'on ne perd guère de vue quand on aime Dieu. Après tout, c'est l'attrait qu'il faut suivre dans les objets où tout est bon, et il n'y a qu'à marcher avec une entière liberté.

Ce sont de faux spirituels qui blâment le saint attachement qu'on a à Jésus-Christ, à son Ecriture, à ses mystères et aux attributs de Dieu. Il est vrai que Dieu est quelque chose de si caché, qu'on ne peut s'unir à lui que quand il y appelle et qu'avec une certaine transcendance au-dessus des vues particulières : la marque qu'il y appelle, c'est quand on commence à le pratiquer. En cela on ne quitte point les attributs de Dieu, mais on entre dans l'obscurité, c'est-à-dire, eu d'autres paroles, dans la profondeur et dans l'incompréhensibilité de l'Etre divin. C'est là sans doute un attribut divin, et des plus augustes. On ne sort donc jamais tellement des attributs de Dieu , qu'on n'y rentre d'un autre côté et peut-être plus profondément.

Les jours ne sont pas faits pour Dieu. Ceux que l'Eglise destine aux mystères, parlent d'eux-mêmes à l’âme attentive : demeurer en Dieu, c'est demeurer au centre de tous les mystères.

L'état où l'on reçoit l'impression d'une certaine vérité cachée, qui semble ne faire qu'effleurer l'esprit, et qui fait taire cependant toute autre pensée, n'est pas oisif; ou c'est dans cette bienheureuse oisiveté que consiste le divin sabbat, et le jour du repos du Seigneur.

Dieu semble nous échapper quand il se communique plus obscurément, et que par là il nous fait entrer dans son incompréhensible profondeur : alors comme toute la vue semble être réduite à bien voir qu'on ne voit rien, parce qu'on ne voit rien qui soit digne de lui, cela paraît un songe à l'homme animal; mais cependant l'homme spirituel se nourrit.

« Où le péché a abondé, la grâce a surabondé  (1). » C'est honorer cette vérité que de recevoir les dons de Dieu, quelque grands qu'ils soient, et malgré ses péchés de tendre de tout son cœur à lui être uni sans donner aucunes bornes à ce désir.

C'est assez d'avoir dit ses péchés, sans marquer les occasions : la foi bannit les vains scrupules.

 

1 Rom., V, 20.

 

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Je vous renvoie votre lettre, afin, si vous ne l'avez pas assez présente, que vous voyiez la réponse à chaque article.

Ne craignez point, ma Fille ; Dieu est avec vous : soyez fidèle et courageuse, vous avez un hon défenseur.

 

LETTRE XLII. A MADAME DE LUSANCI. A Germigny, ce 30 octobre 1693.

 

J'ai reçu, ma Fille, vos lettres du 1 et du 2. J'ai envoyé les pouvoirs pour le P. Côme, après lui avoir donné en peu de mots les avis que j'ai crus nécessaires.

Pour ce qui est de la mitigation de Jouarre, vous n'êtes obligée à garder la règle sur ce point que selon la pratique reçue et usitée dans le monastère : le surplus pourrait regarder les supérieurs, et leur donner lieu d'approfondir davantage la matière. Mais dans ces choses qui ne sont pas de droit divin, ni même de l'essentiel de l'institution monastique, la pratique qui se continue au vu et au su des supérieurs, peut mettre en repos la conscience des inférieurs; et vous devez, ma Fille, vous en tenir là; la seule uniformité vous y obligerait. Quoique j'aie approuvé le livre de M. de. la Trappe, ce n'est pas à dire pour cela que j'approuve toutes ses pensées comme nécessaires : il suffit qu'elles soient utiles pour donner lieu à l'approbation. Du reste je n'approuverais point du tout qu'on se distinguât des autres, et vous devez vous conformer au général de la Maison, jusqu'à ce qu'il y soit pourvu, s'il le faut.

Le dessein de votre retraite doit être principalement de vous avancer dans la perfection de votre institut. Dieu permettra peut-être que dans le premier voyage, en vous parlant de l'oraison, je vous donnerai de la pâture pour votre retraite. Il ne me vient rien à présent, sinon que vous devez lire le chapitre XVII de saint Jean, et apprendre à prier en conformité de la prière de Notre-Seigneur et en union avec lui : cela, avec les vérités du sermon dont vous vous souvenez, vous suffira. Abandonnez tout à Dieu,

 

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unissez-vous à sa sainte volonté, tant pour votre particulier que pour la Maison en général. Cherchez votre paix en Dieu, et goûtez combien il est bon. Je le prie, ma Fille, d'être avec vous. Je n'ai pas le loisir d'écrire à mes Sœurs du Mans et de Rodon.

 

LETTRE XLIII.  A MADAME DU MANS. A Germigny, ce 3 novembre 1693.

 

Qui pratique la charité est en Dieu, et Dieu en lui. Ainsi, ma Fille, ne vous plaignez pas de vos distractions dont la charité est la cause. La charité couvre la multitude des péchés (1) : ainsi ne vous découragez pas, puisque cette charité dont vous croyez que l'exercice cause vos péchés en vous dissipant, au contraire en est le remède. Pour ce qui est des pénitences que vous me demandez, mon silence est un refus. Je ne suis pas de l'avis que vous souhaitez: les austérités de la religion vous doivent suffire, avec le travail de votre obédience. Je suis bien obligé à Mesdames de Saint-Maur et de Saint-Placide de leur souvenir. Je prie Notre-Seigneur qu'il soit avec vous.

 

LETTRE XLIV. A MADAME DU MANS. A Meaux, ce 12 décembre 1693.

 

Je vous prie de faire mes compliments à vos malades. Ne vous mettez point du nombre : modérez les exercices de l'esprit; ne vous abandonnez pas aux larmes. Soyez à Dieu, ma Fille, je le veux : soyez oubliée et comptée pour rien ; Dieu vous regardera. La considération est bonne, l'attention, l'admiration : ce n'est point une perte de temps. Dieu a tant aimé le monde (2) : vous avez raison, c'est l'abrégé de l'Evangile et de tout le mystère de Jésus-Christ. L'amour ne connaît point d'ordre, et ne peut

 

1 I Petr., IV, 8. — 2 Joan., III, 16.

 

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s'assujettir à des méthodes. La confusion est son ordre : la distraction ne vient point de ce côté-là. Expliquez-vous nettement sur la personne dont vous me parlez. Trêve d'austérités, même des communes, tant que ce rhume durera. C'est assez faire que d'obéir sans réplique, et sans demander des explications. Gardez votre poitrine et votre tête. Notre-Seigneur soit avec vous.

 

LETTRE XLV.  A MADAME DU MANS. A Meaux, ce 14 décembre 1693.

 

J'ai, ma Fille, reçu votre lettre, dont je profilerai dans l'occasion : vous avez bien fait de me l'écrire. Je ne vous dissimule point qu'ayant entrevu, par quelque conjecture, que cette personne se servait de certains livres, j'en ai d'autant plus rabattu que j'ai vu sur tout cela un silence qui m'a fait beaucoup de peine. Pour ce qui est de vous, je ne vous ai rien révoqué ; mais j'ai ajouté une certaine discrétion et modération qu'il est juste de vous prescrire. Vous faites bien de n'user point des livres d'oraison. Ecoutez Dieu: je le prie, ma Fille, qu'il soit avec vous. Lisez le psaume xxxiu en humilité et confiance.

 

+  J. Bénigne, Ev. de Meaux.

 

P. S. Il faudra voir la conduite de Madame de B*** : le mieux qu'elle puisse faire est de se tenir en repos; et si elle veut rester, en revenir à être simple religieuse bien humble.

 

LETTRE XLVI.  A MADAME DU MANS. A Meaux, ce 23 décembre 1693.

 

Oui, ma Fille, faites l'impossible, et Dieu le fera avec vous. Vous avez bien fait de vous humilier. Je consens au rétablissement de ce que j'avais suspendu à cause du rhume, supposé qu'il

 

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soit passé tout à fait. Recevez les touches de Dieu, et les larmes comme le reste, en faisant ce qui se pourra pour les empêcher de paroitre : Dieu vous aidera à le faire. Recevez aussi l'assurance de la rémission de vos péchés, telle qu'on la peut recevoir en cette vie, et la consolation du Saint-Esprit. Dispensez-moi de vous donner des pratiques : ni cela n'est nécessaire, ni je n'en ai le loisir. Ecrivez, si vous voulez, les qualités de l'Enfant Jésus : je vous donne à méditer celles que le sort vous fera échoir; et le sort, qui est dirigé par le Seigneur, vous tiendra lieu d'obédience. Je prie Notre-Seigneur qu'il soit avec vous.

 

LETTRE XLVII.  A MADAME DE LUSANCI. A Meaux, ce 30 décembre 1693.

 

Jésus-Christ, le Prince de paix, ma Fille, a pacifié le ciel et la terre par son sang et par son abandon à son Père : c'est aussi par cet abandon que vous aurez la paix que le monde ne peut donner. Le principe de la paix est dans ces paroles : Fiat voluntas tua; avec cela tout est bon, parce que Dieu est la bonté même.

Je tâcherai à la visite de soutenir la discipline.... Une échappée peut être exempte de péché, mais non pas une continuité qui n'est jamais sans quelque mépris et quelque scandale.... Malgré toutes les raisons qu'on dit on faveur de l'infirmité, à moins d'une vocation tout à fait extraordinaire, c'est une raison d'exclure. Notre-Seigneur soit avec vous.

 

LETTRE XLVIII.  A MADAME DE LUYNES. A Meaux, ce 2 janvier 1694.

 

Je ne puis, Madame, que vous rendre grâces très-humbles de tous vos saints présents et de toutes les bontés que vous me marquez.

 

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J'y réponds avec une parfaite sincérité, et je vous prie de ne jamais révoquer en doute cotte fidèle correspondance. Je suis, ma Fille, à vous de tout mon cœur.

 

+ J. Bénigne, Ev. de Meaux.

 

P. S. Je n'ai pas trouvé dans le paquet le billet de la sainte Vierge. Je me trompe : en dépliant le paquet, je le trouve avec plaisir et reconnaissance. Je la prie de vous impétrer ce bon vin de la nouvelle alliance, qui n'est autre chose que l'esprit dont les apôtres furent enivrés à la Pentecôte, et le sang de Jésus-Christ, qui a été exprimé de la vraie vigne. L'étude des Ecritures convient parfaitement avec ce bon vin, et c'est dans ce divin cellier qu'on le boit. Vous êtes de celles, ma Fille, qui pouvez entrer plus avant dans ce cellier mystique, et vous y laisser transporter au-dessus du monde et de toutes ses pensées. Personne au monde ne ressent plus cette vérité que moi.

 

LETTRE XLIX. A PLUSIEURS RELIGIEUSES DE JOUARRE. A Paris, ce 15 janvier 1694.

 

J'ai reçu, mes Filles, votre eulogie avec beaucoup de reconnaissance et de joie; et vous jugez bien que celle que j'ai ressentie en voyant à la tête le nom de votre sainte et illustre abbesse, a été très-grande. Répondez, mes Filles, à ses bontés et à l'exemple qu'elle vous donne. Assurez-vous toujours, mes Filles, de mon amitié et de l'estime que j'ai pour vous.

 

LETTRE L.  A MADAME DE LUSANCI. A Paris, ce 27 janvier 1694.

 

Il est vrai, ma Fille, que j'ai oublié de vous répondre sur l'assistance au chœur et sur le chant : l'un et l'autre est d'obligation,

 

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et on ne peut s'en dispenser sans raison. Je ne crois pas qu'on puisse excuser de péché mortel la négligence qu'on aurait à cet égard, et encore moins le mépris. Vous entendez bien que la négligence consiste dans l'habitude et la trop grande facilité de manquera un des devoirs principaux de la vie religieuse.

Je ne doute point que la mort de Madame de Lorraine ne vous ait vivement touchée : c'est-à-dire qu'il faut toujours se tenir prêt, parce qu'on ne sait à quelle heure doit venir le maître. Je verrai ce qu'il y aura à faire pour les intérêts de la Maison. Je prie Notre-Seigneur qu'il soit avec vous.

 

LETTRE LI. A MADAME DU MANS. A Farmoutiers, ce 2 avril 1694.

 

J'ai vu une résolution de cas de conscience sur la réception par scrutin, qui ne fait rien à notre question. Car il ne s'agit pas de savoir si les abbesses sont obligées en conscience de changer la forme qui y est marquée; mais si les supérieurs majeurs ne peuvent pas introduire l'autre pour un plus grand bien, et s'ils n'y sont pas obligés dans certains cas particuliers.

 

LETTRE LII. A  MADAME  DU MANS. A Meaux, ce 5 avril 1694.

 

Croyez-moi, ma Fille, communiez à votre ordinaire : faites votre jubilé, ne raisonnez point, obéissez. Ne répétez rien de vos confessions passées, ni des pénitences omises : vous pouvez réserver de m'en parler à loisir ; mais cela n'oblige pas à suspendre le cours ordinaire de vos confessions et communions. Acceptez la peine que Dieu permet qui vous arrive ; mais n'y adhérez pas davantage, et suivez ponctuellement cette réponse.

 

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Il n'y aura point de guerre entre Madame votre abbesse (a) et moi. Pour sa sortie, si elle écoutait ce que lui dit le fond de son cœur, sans être prévenue d'ailleurs, elle m'en remercierait ; car ce fond aime la retraite. Pour les réceptions, je lui donnerai le temps de revenir à ses premiers sentiments, qui étaient de laisser la chose en ma disposition. Cette obéissance simple et sincère serait une action digne d'une religieuse ; Dieu le lui avait inspiré : si elle était fidèle à cette grâce, elle lui en attirerait d'autres plus grandes : mais elle se laisse étourdir par les sentiments du dehors, au lieu d'écouter son cœur, et ce que le Saint-Esprit y disait.

Vous aurez vu, par le mot que je vous ai dit sur la consultation de M. de Sainte-Beuve, qu'elle ne fait rien à notre sujet : nous la savions bien. La question, encore un coup, n'est pas de savoir à quoi une abbesse est obligée par elle-même ; mais à quoi elle l'est, quand son supérieur parle et ordonne, et encore quand il ordonne avec autant de connaissance et d'aussi pressantes raisons que celles qui me déterminent.

Le Saint-Esprit avait fait sentir d'abord à Madame de Jouarre que le bon parti était d'obéir ; c'est aussi la vérité. Priez Dieu qu'elle y revienne : ce sera une grande avance pour sa sanctification, et Dieu me le fait sentir ainsi. Notre-Seigneur soit avec vous. Obéissez, ne raisonnez pas.

 

LETTRE LIII. A MADAME DU MANS. A Meaux, ce 6 avril 1694.

 

Je veux bien, ma Fille, que vous communiquiez à Madame de Luynes ce que je vous ai écrit sur les réceptions. Je l'ai fait à tout hasard, afin que dans l'occasion vous en pussiez dire quelque mot dans la liberté que vous avez à parler. Du reste ne hasardez rien ; ne faites point d'affaires ; surtout parlez sobrement de ce que j'ai

(a) Madame de Rohan Soubise. Elle était remplie de pieux sentiments, mais elle cédait avec trop de faiblesse à l'influence de sa famille.

 

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dit sur le péché mortel : je ne vous oblige à rien du tout. Vous avez très-bien parlé et très-bien répondu sur ma Sœur Cornuau : Madame elle-même m'a écrit la chose. Ma Sœur Cornuau lui fait ses remerciements, et lui demande ses ordres, .le vous donne de tout mon cœur à Notre-Seigneur.

 

LETTRE LIV (a). A MADAME DE SOUBISE, ABBESSE DE JOUARRE.  A Meaux, ce 25 avril 1694.

 

J'apprends, Madame, de tous côtés qu'il se répand un bruit dans Paris, d'où j'arrive, que nous ne sommes pas bien ensemble, et que Messieurs vos parents se plaignent de moi comme si je vous étais opposé : ce que je puis croire assez aisément, puisqu'ils m'ont témoigné à moi-même qu'ils étaient mécontents, et même offensés de l'ordre que je voulais établir pour la réception des Filles. Je ne vous dis point ceci par forme de plaintes contre des personnes que je continue et continuerai d'honorer toute ma vie. Je respecte leur vertu plus encore que leur naissance ; et je n'ai rien à leur reprocher que d'entrer peut-être un peu trop avant dans des choses dont il se faudrait reposer sur moi, comme attachées à mon ministère. Aussi lorsqu'ils me tinrent ce discours, ils vous pourront dire que, sans me fâcher (ce qui ne m'arrivera jamais, s'il plaît à Dieu, avec personne et moins encore avec eux qu'avec tous les autres), je leur répondis seulement avec toute l'honnêteté qu'on doit à des personnes de ce rang, mais en même temps avec la franchise qui convient à un évêque, que je les priois de me laisser traiter avec vous une affaire où leur état ne devait pas leur permettre d'entrer et où j'étais assuré de vos sentiments, toutes les fois que vous agiriez entièrement par vous-même ( car en effet, vous me les aviez assez déclarés) ; et que quelles que fussent vos pensées, vous les soumettriez aux miennes avec une entière obéissance. Mais comme il se pourrait faire que par des raisons plutôt politiques que religieuses, on tâcherait de vous in-

(a) Revue sur l'original.

 

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inspirer d'autres sentiments, j'ai cru devoir vous dire encore une fois toutes mes raisons en esprit de charité et de douceur, comme il convient à un Père ; et vous les dire même par écrit, et amplement, afin que vous ayez plus de moyen d'y réfléchir, et même de prendre avis de personnes doctes et spirituelles, si vous croyez en devoir chercher d'autres que les miens en ce qui regarde le gouvernement de votre monastère.

Je suppose comme certain que selon fia pratique de Jouarre même, les réceptions se doivent faire à la pluralité des suffrages des religieuses, sur la proposition que l'abbesse en fait dans le chapitre. Il n'y a point là-dessus de question ; et tout ce qui reste à examiner est la manière de donner les suffrages. Or je dis que celle de les donner publiquement et de vive voix, expose vos religieuses au danger de trahir leur conscience en matière grave, et par conséquent à commettre autant de péchés mortels qu'il se ferait de réceptions dans votre maison.

Que la matière soit grave, personne n'en peut douter, puisqu'il s'agit de la réception des sujets, d'où dépend tout l'ordre, toute la régularité, toute la bonne constitution d'un monastère.

Qu'en faisant donner les suffrages à haute voix on expose les religieuses à cet inconvénient, la chose est claire pour deux raisons, qui ne peuvent pas être meilleures : l'une qu'elles craindront toujours de déplaire à leur abbesse, sous laquelle elles sont dans une absolue et perpétuelle dépendance, en refusant un sujet qu'elle leur propose : l'autre, qu'elles craindront en même temps d'offenser leurs Sœurs, l'expérience faisant voir que celles qu'on propose sont ordinairement portées par une partie de la communauté. Quand on s'oppose à leur sentiment, cela cause des contentions infinies : celles dont le sentiment a été combattu préparent de semblables exclusions à l'autre parti : les novices ou les professes, dont on aura voulu empêcher la réception, sont tentées si violemment d'en garder le ressentiment dans leur cœur, qu'il n'y en a presque point qui n'y succombent, ou qui n'aient besoin pour y résister de si grands efforts, que la charité ne permet pas qu'on les y expose. Pour ne se point attirer de semblables

 

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aversions, on prend le parti de dissimuler, et de laisser aller les réceptions comme elles pourront, au gré d'une abbesse, et de celles qui favoriseront la personne proposée ; en sorte que tout est plein de respects humains, et qu'à vrai dire il n'y a ni liberté ni véritable délibération.

On me demandera si je connais et d'où je connais cette disposition dans le couvent de Jouarre : et je répondrai que je la connais dans la timidité naturelle d'un sexe infirme; je la connais par l'expérience des autres couvents de filles, où lorsqu'on a voulu établir par des moyens assurés la liberté des suffrages, et ôter tout respect humain dans les réceptions, on n'a rien trouvé de meilleur que les suffrages secrets ; et ce qui est vrai ordinairement de ces monastères, je sais par la connaissance particulière que j'ai de celui de Jouarre, depuis que je le gouverne, c'est-à-dire depuis trois ou quatre ans, que cette disposition de crainte pour leur abbesse et d'égards les unes pour les autres, y est autant et plus que dans aucun autre ; et je puis dire devant Dieu que j'en suis certain autant qu'on le peut être humainement de choses de cette nature.

Ce n'est pas d'aujourd'hui, Madame, ni seulement de votre temps que je suis de ce sentiment : je puis justifier par mes procès-verbaux signés de toutes les officières, grandes et petites de votre Maison, que je suis entré avec elles dès mes premières visites dans cet examen : j'y suis encore entré plus avant dans une visite générale, où j'entendis toutes les religieuses en particulier, dès le temps de Madame de Lorraine, où je puis dire que le plus grand nombre et presque toutes, tant celles qui m'étaient le plus soumises que celles qu'on appelait alors le parti de Madame, me déclarèrent qu'il n'y aurait jamais ni liberté de suffrages ni de réceptions sincères, qu'on ne les fît faire par ballottes ou fèves blanches et noires, toute autre voie ne suffisant pas pour donner aux religieuses la liberté, sans laquelle leurs suffrages ne seraient que l'effet des regards humains, et une profonde dissimulation de leurs sentiments.

Voilà, Madame, quel était alors le sentiment de vos religieuses. S'il vous paraît maintenant qu'elles changent, ce que pourtant

 

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j'ai peine à croire, ce me sera une nouvelle preuve que dès qu'une abbesse parle, elles n'ont plus de liberté, et que c'est le cas plus que jamais, où il faut que je parle pour elles. Je l'aurais fait il y a longtemps, et sous Madame de Lorraine, si cette abbesse, avec qui je voulais comme avec vous traiter tout à l'amiable, n'avait été toujours absente de son monastère : et pour la stabilité d'un règlement si nécessaire, je croyais le devoir faire dans une visite où l'abbesse fût présente.

Au surplus ce n'est pas ici une nouveauté, mais une manière d'assurer la liberté des suffrages, dont je trouve la nécessité déjà établie. C'est un moyen d'unir davantage la communauté ; et plus les religieuses auront de liberté dans les réceptions, plus celles qu'elles recevront et avec qui elles ont à passer leur vie auront de part à leur commune charité. Les postulantes et les novices s'appliqueront aussi d'autant plus à leur devoir, qu'elles se verront obligées à contenter non la seule abbesse, mais tout une communauté où elles auront autant d'inspectrices qu'il y aura de capitulantes.

Que si je m'attache à la voie secrète comme au moyen le plus propre à procurer tous ces biens à votre Maison, et à remédier aux inconvénients que j'ai remarqués, je ne fais que suivre l'exemple des grands monastères qui sont gouvernés par les évêques; et je puis ici alléguer non-seulement ceux du diocèse, comme celui de Farmoutiers, qui le premier a donné l'exemple de la plus étroite observance ; mais encore hors du diocèse, comme dans la métropole les célèbres monastères de Montmartre, de Chelles, du Val-de-Grace, pour ne point parler des autres, et en particulier le saint monastère de Chasse-Midi, où vous avez été si bien élevée. Une illustre tante qui en a été encore plus le modèle par ses vertus que l'institutrice par ses sages constitutions, en a fait une expresse pour cette manière de recevoir. C'est pourquoi vous êtes vous-même venue à Jouarre avec une sincère disposition de recevoir les Filles dans la religion, de la même sorte que vous y étiez vous-même entrée : et si maintenant vous hésitez, nous savons d'où vous en viennent les impressions.

Si tant de grands évêques ont établi cette règle, principalement

 

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depuis le concile de Trente, c'a été en suivant l'exemple de saint Charles, dont voici un canon célèbre, livre vi des constitutions de ce saint, titre : De la manière de recevoir les Filles à la religion, chapitre VIII. « Qu'il soit procédé à la réception des Filles pour le noviciat, et du noviciat à la profession, par suffrages secrets, afin que chacune des religieuses puisse satisfaire librement à sa conscience, sans être empêchée par aucune passion. » Il est porté expressément dans ce canon, qu'il est du premier concile de la province de Milan, qu'il a été expressément confirmé par Pie V, et que toute réception faite dans une autre forme sera nulle et sans effet.

Voilà le modèle qu'ont depuis suivi les évêques ; et ce canon de saint Charles contient en abrégé toutes les raisons qui appuient ma résolution. Elles se rapportent à deux générales qui, si l'on veut, n'en feront qu'une : que les suffrages doivent être secrets pour mettre les religieuses en état, premièrement de satisfaire librement à leur conscience, et secondement d'y satisfaire sans aucune crainte, sans aucune affection, passion ou égard humain, nullo affectu impeditœ; qui sont précisément les deux motifs que je viens d'étendre plus au long. Et remarquez, Madame, s'il vous plaît, qu'il paraît par les paroles de saint Charles, qu'il s'agit ici de satisfaire à un devoir de la conscience, et de donner à des Filles, c'est-à-dire à un sexe infirme et timide, le moyen d'y satisfaire avec liberté, qui est aussi le grand motif que je me propose.

Il est vrai que le concile de Trente n'a pas voulu établir cette loi, laissant à la discrétion des évêques de le faire peu à peu en temps convenable : mais il a assez indiqué que c'était l'esprit de l'Eglise et le sien , lorsqu'en réglant la forme de l'élection des supérieurs ou supérieures, il a voulu qu'elle se fît par suffrages secrets , per vota secreta ; en sorte que le nom des élisants ne fût jamais su : Et cela, dit le saint concile, afin que tout se fasse droitement et sans aucune fraude, rectè et sine ulla fraude (1) : indiquant par là que les élections faites par suffrages publics, sont exposées au péril de fraude et de peu de sincérité par les dissimulations qui s'y pratiquent.

 

1 Conc. Trid. de Regul. et Monial., sess. XXV, cap. VI.

 

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C'est en conséquence de ce décret du concile que saint Charles, qui a tout fait dans l'esprit de cette sainte assemblée, et ensuite tous ou presque tous les évêques ont étendu cette obligation de procéder par vœux secrets , aux réceptions des Filles, qui dans le fond sont de véritables élections : et c'est tellement l'esprit de l'Eglise, que dans tous les brefs de translation d'un ordre à un autre le Pape, qui ordonne que la réception dans un autre couvent se fasse par les suffrages des religieuses, exprime nommément qu'elle se fera par des suffrages secrets : ce qui est la clause ordinaire de semblables brefs, dont j'ai un exemple tout nouveau dans une translation qui m'est renvoyée, laquelle aux termes du bref doit être faite prœvio consensu monialium , capilulariter tacitisque suffragiis : « avec le consentement préalable des religieuses capitulairement, et par suffrages secrets : » le saint Siège ne jugeant pas que sans cette précaution la liberté des suffrages soit suffisamment établie.

On n'oppose à tant de fortes raisons et à tant de graves autorités que ce seul inconvénient, que donner cette liberté aux religieuses , c'est rendre les réceptions trop douteuses et trop difficiles , et donner lieu à l'exclusion de beaucoup de Filles dont la vocation sera très-bonne, par un esprit de contradiction à une abbesse qui les aura proposées. Je ne nierai point que cela ne puisse arriver quelquefois : mais de deux inconvénients celui qu'il faut le plus éviter, c'est celui qui sera le plus ordinaire et le plus grand. Or il est bien plus ordinaire que l'esprit de timidité se trouve dans les religieuses que l'esprit de contradiction contre leurs abbesses, pour lesquelles on les voit plutôt disposées à une excessive flatterie qu'à la résistance. Il n'est pas moins véritable que le plus grand inconvénient est celui de contraindre la liberté, dont le défaut entame le fond de la délibération, n'y en ayant point de véritable où la liberté ne se trouve pas : ce qui fait aussi que saint Charles et les évêques, selon l'esprit du concile et du saint Siège, ont pris le parti prudent d'établir la liberté des suffrages plutôt que celui de prévoir la contradiction des religieuses, qui non-seulement est plus rare , mais encore moins essentielle, comme on vient de voir.

 

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Je sais bien que votre intention n'est pas de contraindre vos Filles, mais au contraire de leur déclarer en toute sincérité que vous prendrez tous leurs sentiments en bonne part. Mais outre que les règlements ne doivent pas être faits seulement pour le temps présent, mais pour toute la postérité, ni sur les dispositions particulières, mais sur celles qu'on sait être les plus ordinaires : je vous dirai encore, Madame, qu'avec toute votre bonté vous ne sauriez rassurer vos Filles contre vous-même : elles craindront toujours des retours secrets, que la flatterie ou les intérêts de celles qui obsèdent souvent les abbesses rappellent dans leur esprit; et quelque injuste que fût leur crainte par rapport à vous, il y en aurait assez pour les empêcher de vous parler librement. Et quand vous seriez venue à bout de leur lever cette appréhension , vous ne les mettrez jamais à couvert des divisions auxquelles les exposerait la déclaration de leurs sentiments, puisque vous-même vous seriez bien empêchée à les éteindre.

On objecte enfin une consultation de M. de Sainte-Beuve, où sur le cas d'une abbaye de Saint-Benoît, où les suffrages pour les réceptions se portent secrètement à l'oreille de l'abbesse, qui conclut ensuite à la pluralité des voix ; il résout que cette abbesse n'est point obligée, sous peine de péché mortel, à abolir cette coutume, Mais , Madame , on vous trompe visiblement si on vous flatte de la réponse de ce docteur. Notre question n'est pas si vous êtes obligée sous peine de péché mortel d'abolir de vous-même une coutume de votre abbaye, mais si vous pouvez sans péché mortel désobéir à votre évêque lorsqu'il trouve nécessaire de la changer. Si on avait consulté un si habile homme sur ce cas, je ne suis pas en peine de ce qu'il aurait répondu, surtout cet évêque ne voulant rien faire qui ne soit visiblement canonique, établi dans tout le diocèse, conforme à l'exemple de la plupart des évêques et de saint Charles, et dans l'esprit du concile de Trente et du saint Siège. Songez que votre Maison n'a jamais été visitée depuis cinq cents ans. Si durant une si longue et une si dangereuse indépendance on n'y a pas établi tout l'ordre que je crois nécessaire, pour des raisons générales et particulières, c'est à moi à y pourvoir selon Dieu ; et vous voulez bien, Madame, que

 

 

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je vous dise que c'est à vous à obéir. C'est aussi ce que votre cœur vous a dit d'abord, et ce qu'il vous dira toujours, toutes les fois qu'en vous mettant devant Dieu en toute humilité, vous n'écouterez que lui seul.

Mais venons au fond : Pourrait-on croire que les règlements des évêques dans les monastères, ne doivent s'étendre qu'à empêcher ce qui serait précisément un péché mortel ? Ce serait une doctrine tout à fait absurde. Ils ne doivent pas seulement détruire les péchés mortels effectifs, mais en prévenir les périls et les tentations , du moins les plus ordinaires, et même selon l'exigence des cas établir par leur autorité ce qui tend à la perfection, ce qui assure le bon état d'un monastère, ce qui est de plus grande édification , ce qui fait entrer davantage dans l'esprit de l'Eglise. M. de Sainte-Beuve qui est consulté sur le cas précis du péché mortel d'une abbesse, ne répond qu'à la demande qu'on lui fait, et n'aurait eu garde dans le reste de restreindre l'autorité des évêques : ainsi sa résolution ne regarde point notre cas.

Mais il énonce que dans la règle de saint Benoît il n'y a rien qui oblige l'abbé à procéder par suffrages secrets dans les réceptions : on pourrait encore ajouter qu'il n'y a rien qui l'oblige à y suivre la pluralité des voix, et même qu'il y a un chapitre où il est généralement affranchi de cette nécessité.

Cela néanmoins n'empêche pas que M. de Sainte-Beuve ne conclue que l'abbesse dont il s'agit est obligée de suivre la pluralité dans les réceptions : ce qui suffit pour montrer qu'il y a des cas où le temps et l'expérience ont fait apporter des restrictions à l'autorité des abbesses. On en pourrait alléguer plusieurs ; mais celui-ci nous suffit.

Que si on a pu restreindre cette autorité sur la pluralité des suffrages, à plus forte raison le doit-on faire pour en établir la liberté, sans que l'on puisse alléguer ni l'autorité de la règle, ni la coutume contraire, puisqu'on y peut déroger par des statuts postérieurs, et qu'on le doit même selon l'exigence des cas.

Au surplus la plus mauvaise manière de procéder aux réceptions , est celle de porter sa voix à l'oreille de l'abbesse : car ni elle ne déracine tout à fait la crainte où l'on est que le secret

 

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n'échappe, ni elle ne remédie en aucune sorte au principal sujet de l'appréhension, puisque c'est l'abbesse elle-même que l'on craint le plus. Ainsi on ne pourvoit point à la liberté des suffrages, et on attire à une abbesse des soupçons tout à fait préjudiciables et au respect qui lui est dû, et au repos de sa communauté. Personne ne niera jamais qu'un évêque ne pût abolir une coutume qui a ses inconvénients, sans que la consultation de M. de Sainte-Beuve , qui ne le regarderait point, fût capable de l'en détourner.

On avoue donc sans difficulté, avec ce docteur et avec les auteurs qu'il allègue, que les coutumes diverses de donner les voix, même celle de n'en donner point et de laisser tout faire aux abbés seuls, comme il se pratique en beaucoup de monastères d'hommes, absolument peut subsister sans péché mortel : mais la prudence qui restreint cette autorité dans un sexe plus infirme, doit avec la liberté des suffrages donner aussi les moyens les plus convenables pour la maintenir ; et en cela les évêques selon leur prudence et l'exigence des cas, peuvent se conformer aux meilleurs exemples, encore que tout le monde ne les suive pas : et aucun docteur n'a dit ni ne dira qu'on puisse leur désobéir quand ils le feront.

Au reste rien ne montre tant l'esprit de l'Eglise, et le besoin où l'on est de rendre les suffrages le plus secrets qu'on pourra, que la coutume constante de toutes les nouvelles communautés et en particulier de celles-là même où la supériorité n'est que triennale. Car si on craint qu'une supérieure d'un pouvoir si court ne contraigne les suffrages, que ne doit-on pas craindre en ce genre des abbesses dont on dépend si absolument dans toute sa vie?

Il ne me reste après cela, Madame, qu'à vous exhorter à rentrer dans vos premiers sentiments, qui étaient en m'exposant les difficultés de part et d'autre, de vous soumettre au jugement de celui que Dieu vous a donné pour supérieur. Si vous saviez les grâces qui sont attachées pour vous à cette soumission, rien ne serait capable de vous en détourner. Surtout ne vous laissez pas tromper par ceux qui veulent vous inspirer de plaider plutôt que

 

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d'obéir. Ils ne songent pas que ce n'est pas ici une matière contentieuse, ou de la nature de celles qui puissent être portées par appel au métropolitain. Tant qu'un évêque ne fait rien qui ne soit bon, convenable, utile, conforme aux canons, aux meilleurs exemples, à l'esprit de l'Eglise et du saint Siège, il peut suivre avec une sainte liberté les mouvements de sa conscience, et c'est le cas où il ne doit compte de ses actions qu'à Dieu seul. Nous avons un trop habile métropolitain pour entrer avec moi dans ces discussions, dont il n'a non plus à se mêler que de la conduite de mon séminaire. Et d'ailleurs trouvera-t-il mauvais que je me conforme aux usages de son diocèse et à l'exemple de la métropole?

Où iriez-vous donc porter vos plaintes? à la justice séculière, dans un cas de cette nature, de pure discipline monastique? Dieu vous en préserve. Les juges laïques seront les premiers à vous dire que ce n'est pas ici une matière de possessoire, qui soit de leur compétence. Si ce n'est, lorsque les évêques voudront faire quelque nouveau statut pour la bonne observance de ceux qui sont déjà établis ou pour le bien de la paix, on introduise cette nouvelle prononciation, que les monastères soient maintenus dans la possession de ne pas obéir : chose si absurde qu'on ne la peut seulement penser. Pour l'abus dans des choses de cette nature, où je ne fais que suivre les meilleurs exemples, sans outrepasser le pouvoir qui est attaché à mon caractère, où le mettra-t-on? Croyez-moi, Madame, je vous le dis en ami, en père qui désire la véritable droiture de votre conscience devant Dieu et votre honneur devant les hommes : il ne vous convient pas de vous exposer à soutenir une cause si déplorée, et de vous mettre au rang des abbesses qui préfèrent la domination à l'obéissance. Il y a des choses où, pour être vraiment maîtresse selon Dieu, il ne faut pas souhaiter d'être maîtresse absolue. Votre communauté, quoi qu'on vous en dise peut-être à cette occasion, n'est point contrariante ni entreprenante contre ses abbesses. Au contraire je n'en connais point où l'on y soit plus attaché, et où l'obéissance soit plus sincère. Laissez-moi donc lui donner la liberté qui lui convient par tant de raisons : elle n'en sera que plus volontairement soumise à vos ordres.

 

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Je sais que vous trouverez de mauvais conseils : on m'a même fait voir un mémoire dressé par un avocat pour les suffrages publics : mais il est rempli de si pitoyables raisons, qu'en vérité j'en ai honte. Ce ne sont que subtilités et politiques humaines, bien éloignées des maximes qui doivent régler la conscience d'une religieuse. Il ne s'agit pas de chercher ce qui pourrait peut-être éblouir les ignorants, mais de peser ce qu'on peut porter devant le tribunal de Jésus-Christ. Les raisonnements du palais sont peu propres à cela. Fiez-vous à votre pasteur, qui sait mieux que qui que ce soit ce qui vous est utile, et qui le veut plus que personne.

Je ne me presse pas comme vous voyez : j'attends avec patience un paisible consentement; et j'aime mieux, s'il se peut, que vous preniez de vous-même une bonne résolution que d'user de l'autorité que le Saint-Esprit m'a donnée. Si vous n'écoutez que Dieu seul et votre propre conscience, vous m'écouterez. Ne croyez pas vous abaisser en vous humiliant devant celui qui vous tient lieu de Jésus-Christ. Ne croyez pas vous élever en lui résistant : car tout cela est du monde et de l'esprit de grandeur auquel vous avez renoncé, et dont il ne faut point garder le moindre reste. Ne croyez pas que l'obéissance ne soit qu'en paroles, comme si la reconnaissance de la supériorité ecclésiastique ne consistait qu'en compliment. Il en faut venir aux effets, quand on veut être vraiment religieuse et vraiment humble. Alors on reçoit de Dieu les plus pures et les véritables lumières de son état.

Au reste je ne vous parlerai point de la sortie qu'on vous a proposée, pour assister à Paris à la bénédiction de Madame de Notre-Dame de Soissons, où le moindre inconvénient eût été celui d'une grande dépense inutile. L'assistance de deux abbesses dans une cérémonie si sainte et si nécessaire, s'est introduite contre l'ordre du pontifical, qui ne demande la présence que de deux matrones, c'est-à-dire de deux femmes vénérables par leur âge et par leur vertu. Moi-même j'ai béni deux abbesses avec cette simplicité et cette régularité. Il n'eût pas été digne de vous de sortir pour un si frivole sujet d'un monastère où à peine êtes-vous entrée. Je ne vous fais donc point d'excuse de ce que je

 

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vous ai dit sur ce sujet-là, et que vous avez si bien reçu. Je vous prie seulement d'apaiser ceux qui semblent y vouloir trouver à redire, et de croire que tout ce que je fais en cette occasion vient d'un désir sincère de conserver la réputation de votre régularité, si nécessaire non-seulement à votre maison, mais encore à l'édification publique, accompagné d'une estime particulière de votre vertu.

 

LETTRE LV. A MADAME DU MANS. A Meaux, ce 26 avril 1694.

 

En arrivant de Paris, j'envoie, Madame, selon ma coutume, apprendre des nouvelles de votre santé, et en même temps je vous envoie aussi une grande lettre à laquelle ce petit voyage, qui n'a duré que trois jours, a donné occasion. Je vous supplie de la lire à part vous seule, sous les yeux de Dieu. Dans quelques jours je vous prierai de me déclarer vos intentions. Vous y verrez les miennes; et après avoir tant agité cette affaire, il en faut venir à une décision pour avoir la paix, n'y ayant rien de moins propre à la conserver que de laisser les choses trop longtemps en suspens. Je n'ajouterai rien sur ce sujet à la lettre qui dit tout : croyez seulement que la charité l'a dictée.

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