III Carême II
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SECOND SERMON
POUR
LE IIIe DIMANCHE  DE  CARÊME,
SUR LES RECHUTES (a).

 

Et fiunt novissima hominis illius pejora prioribus.

Et cet homme par ses rechutes tombe en pire état qu'auparavant. Luc, XI, 26.

 

Il s'agit ici, chrétiens, de faire, s'il se peut, trembler les pécheurs que la facilité du pardon endurcit dans leurs mauvaises

 

(a) Var. : Toute ma vie, — tant que j'ai vécu. — (b) Qu'accomplir l'ouvrage que j'ai commencé.

(c) Premier point.— Amitié, est un traité. Après la réconciliation, plus forte : i° l'affection s'enflamme ; 2° le contrat est plus obligatoire. Application de l'un et de l'autre. Traité de la pénitence (II Esdr., IX, 13).

Baptême et pénitence. La dernière traite sur les contraventions. Jésus-Christ, caution. Infidélité de ceux qui violent la pénitence.

Second point. — Pénitence est une précaution. Autrement l'indulgence et la miséricorde divine l'exposerait au mépris. Tertullien.

Troisième point. — Eau du baptême. Eau de la pénitence. Tertullien.

Rigueur et miséricorde dans la pénitence. Dieu se rend toujours plus rigoureux.

 

Prêché dans le Carême de 1660, aux Minimes de la Place-Royale

Ce sermon réveille comme un souvenir de l'époque de Metz ; on y trouve un grand nombre de textes accumulés les uns sur les autres, et des expressions telles que celles-ci : « Immondices, nouvelles ordures; amitié réconciliée, amitié réunie , amitié autrefois éteinte et maintenant refleurie et ressuscitée ; vous avez renoué votre traité avec l'enfer, » etc.

 

 

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habitudes, et de leur faire sentir combien ils aggravent leurs crimes, combien ils irritent la bonté de Dieu, combien ils avancent leur damnation par leurs rechutes continuelles. Matière certainement importante et digne d'être traitée avec toute la force et l'autorité que donne l'Evangile aux prédicateurs. Et pour parvenir à cette fin, j'emploie trois raisons excellentes tirées de trois qualités de la pénitence : c'est une réconciliation, c'est un remède, c'est un sacrement. Pour entendre jusqu'au fond ces trois qualités sur lesquelles est appuyé tout ce discours, il faut remarquer avant toutes choses trois malheurs que le péché produit dans les hommes. Le premier de tous les malheurs et qui est la source de tous les autres, c'est de les séparer d'avec Dieu : « Vos iniquités, dit le Seigneur, ont mis la division entre moi et vous (1). » Et de là naissent deux autres grands maux. Car l’âme étant séparée de Dieu, qui est le principe de force et de sainteté, de saine elle devient languissante, et de sainte elle devient profanée. « Guérissez mon âme, ô Seigneur, dit David, parce que j'ai péché contre vous (2). » Donc le péché le rendait malade. Mais ce n'est pas une maladie ordinaire ; c'est une lèpre spirituelle qui porte impureté et profanation , et qui non-seulement affaiblit les hommes, mais les met au rang des choses immondes.

Ainsi donc le péché apportant ces trois maux, il paraît que la pénitence a du avoir trois biens opposés. Le péché nous séparant d'avec Dieu, il faut que la. pénitence nous y réunisse; et c'est la première de ses qualités, c'est une réconciliation. Le péché en nous séparant nous a faits malades ; par conséquent il ne suffit pas que la pénitence nous réconcilie, il faut encore qu'elle nous guérisse, et de là vient que c'est un remède. Et enfin comme le péché ajoute la profanation et l'immondice aux infirmités qu'il apporte. une maladie de cette nature ne peut être déracinée que par un remède sacré qui ait la force de sanctifier comme de guérir, et de là vient que la pénitence est un sacrement. D'où je tire trois

 

1 Isa., LIX, 2. — 2 Psal. XL, 5.

 

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raisons solides pour montrer le malheur extrême de ceux qui abusent de la pénitence en retournant à leurs premiers crimes, et il est aisé de l'entendre. Car s'il est vrai que la pénitence soit une réconciliation de l'homme avec Dieu, si c'est un remède qui nous rétablisse et un sacrement qui nous sanctifie, on ne peut sans un insigne mépris rompre une amitié si saintement réconciliée, ni rendre inutile sans un grand péril un remède si efficace, ni violer sans une prodigieuse irrévérence un sacrement si saint et si salutaire. Et voilà trois moyens certains par lesquels j'espère conclure invinciblement ce que le Fils de Dieu a dit dans mon texte, que « l'état de ceux qui retombent devient toujours de plus en plus déplorable : » Fiunt novissima hominis illius pejora prioribus.

Qui enim mortui sumus peccalo, quomodo adhuc vivemus in illo (1) ? Celui-là est bien infidèle qui manque à une amitié si saintement réconciliée, et celui-là est bien malheureux qui prodigue sa santé si difficilement et si miraculeusement rétablie, et celui-là est bien aveugle qui ne respecte pas en lui-même la grâce de l'innocence et la souille dans de nouvelles ordures.

 

PREMIER POINT.

 

Pour entrer d'abord en matière, posons pour fondement de tout ce discours que, s'il y a quelque chose parmi les hommes qui demande une fermeté inébranlable, c'est une amitié réconciliée. Je sais que le nom d'amitié est saint, et ses droits toujours inviolables dans tous les sujets où elle se rencontre; mais je soutiens que la liaison ne doit jamais être plus étroite qu'entre des amis réconciliés, et je le prouve par cette raison que vous trouverez convaincante. Deux choses font une amitié solide, l'affection et la fidélité. L'affection commence à unir les cœurs : Jonathas et David s'aimaient : « Leurs âmes, dit l'Ecriture, étaient unies : » Anima Jonathœ conglutinata est anima David (2). Voilà le fondement de l'amitié. Mais d'autant que l'amitié n'est pas une affection ordinaire, mais une espèce de contrat par lequel on s'engage la foi l’un à l'autre, que dit l'Ecriture sainte ? Inierunt autem David et Jonathas fœdus (3) : « David et Jonathas firent un traité : » donc la fidélité

 

1 Rom., VI, 2. — 2 I Reg., XVIII, 1. — 3 Ibid., 3.

 

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doit intervenir comme le sceau du traité et de l'affection mutuelle. Or je dis que ces deux qualités de l'amitié, d'où dépendent toutes les autres, doivent se trouver principalement entre les amis réconciliés : l'affection doit être plus forte, la fidélité est plus engagée ; si l'on y manque, le crime est plus grand : Fiunt novissima pejora prioribus.

Que l'amitié doive être plus forte, prouvons-le solidement en un mot, pour descendre bientôt au particulier de la réconciliation de l'homme avec Dieu. Je ne veux rien laisser sans preuve évidente, parce que je prétends, si Dieu le permet, que tous les esprits seront convaincus. Ce que l'on fait avec contention, on le fait aussi avec efficace ; et les effets sont d'autant plus grands, que la cause est plus appliquée. Qui ne voit donc qu'une affection qui a pu se réunir malgré les obstacles, qui a pu oublier toutes les injures, qui a pu revivre même après sa mort, a quelque chose de plus vigoureux que celle qui n'a jamais fait de pareils efforts? Oui, oui, cette amitié autrefois éteinte, maintenant refleurie et ressuscitée, se souvenant du premier malheur, jettera de plus profondes racines, de peur qu'elle ne puisse être encore une fois abattue; les cœurs se feront eux-mêmes des nœuds plus serrés ; et comme les os se rendent plus fermes dans les endroits des ruptures à cause du secours extraordinaire d'esprits que la nature envoie aux parties blessées, de même les amis qui se réunissent envoient pour ainsi dire tant d'affection pour renouer l'amitié rompue, qu'elle en devient à jamais mieux consolidée.

Il doit être ainsi, chrétien; tu le vois, la raison en est évidente; mais, hélas! tu le vois inutilement, et tu ne le mets pas en pratique avec ton Dieu. Il t'a fait de ses amis, il l'a dit lui-même : Jam non dicam vos servos...; vos autem dixi amicos meos (1). Mais, ô amitié mal conservée ! vous l'avez rompue par vos crimes. Ah ! il n'y devrait plus avoir de retour; il devrait punir votre ingratitude par une éternelle soustraction de ses grâces. Mais c'est un ami charitable, il n'a pu oublier ses miséricordes; il s'est réconcilié avec vous dans le sacrement de pénitence une fois, deux fois, cent fois. Ah! sa bonté ne s'est point lassée; il a toujours eu pitié

 

1 Joan., XV, 15.

 

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de votre faiblesse. Où est donc ce redoublement d'affection que vous lui deviez? où est cette première condition d'une amitié réunie? De sa part, chrétiens, il l'a observée très-exactement ; je m'assure que vous prévenez déjà ce que je veux dire. Il n'y a page dans son Evangile où nous ne voyions une tendresse extraordinaire pour les pécheurs convertis, plus que pour les justes qui persévèrent : Magisque de regressu tuo, quâm de alterius sobrietate lœtabitur (1). Qui ne sait que Madeleine la pénitente a été sa fidèle et sa bien-aimée ; que Pierre, après l'avoir renié, est choisi pour confirmer la foi de ses frères ; qu'il laisse tout le troupeau dans le désert pour courir après sa brebis perdue ; et que celui de tous ses enfants qui émeut le plus sensiblement ses entrailles, c'est le prodigue qui retourne? Je ne m'en étonne pas, dit Tertullien; « il recouvre un fils qu'il avait perdu, le plaisir de l'avoir trouvé le lui rend plus cher : » Filium enim invenerat quem amiserat, chariorem senserat quem lucrifecerat (2). Il redouble envers lui son affection : pourquoi? C'est qu'il s'est réconcilié; c'est qu'il veut soigneusement observer les lois de l'amitié réunie, lui qui est au-dessus des lois, lui qui est l'offensé, lui qui pardonne, lui qui se relâche ; et toi à qui l'on remet toutes les dettes, toi dont l'on oublie toutes les injures, tu ne te crois pas obligé de redoubler ton amour ! Tu le dois certainement, pécheur converti ; tu dois à Jésus plus d'affection que le juste qui persévère, et Jésus-Christ s'y attend.

Ecoute comme il parle dans son Evangile à Simon le pharisien : « Un homme avait deux débiteurs, dont l'un lui devait cinq cents écus, et l'autre cinquante : n'ayant de quoi payer ni l'un ni l'autre, il leur remit la dette à tous deux : lequel est-ce qui le doit plus aimer ? » Quis ergo eum plus diligit ? Et le pharisien répondit : « C'est celui à qui il a quitté la plus grande somme : » Aestimo quia is cui plus donavit. Et Jésus lui dit : « Tu as bien jugé : » Rectè judicasti (3). Il est vrai, celui-là doit beaucoup plus d'amour, à qui l'on a pardonné plus de péchés : voilà une juste sentence ; ce ne sont point les hommes qui l'ont prononcée, c'est une décision de l'Evangile. Pécheur converti, l'exécutes-tu? Toi qui en sortant de la confession, retournes à tes premières ordures ; qui

 

1 Tertull., De Pœnit., n. 8.— 2 Ibid. — 3 Luc., VII, 41-43.

 

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au lieu de redoubler ton amour envers Jésus-Christ, redoubles tes affections illégitimes, au lieu d'ouvrir largement tes mains sur les misères des pauvres, non-seulement tu resserres tes entrailles, mais tu multiplies tes rapines ? Ah ! tu abuses trop indignement de l'amitié réconciliée ; ton audace ne sera pas impunie : Fient novissima hominis illius pejora prioribus. Si le pécheur justifié qui retombe après la pénitence, manque à l'affection qu'il doit à Dieu en vertu de cette réconciliation, son crime est beaucoup plus grand contre la fidélité qu'il lui a vouée. Je vous prie, renouvelez vos attentions pour écouter cette doctrine (a) ; elle mérite d'être entendue. Je dis donc qu'encore qu'il soit véritable que le baptême est un pacte et un traité solennel par lequel nous engageons notre foi à Dieu, néanmoins nous entrons par la pénitence dans une alliance plus étroite et dans des engagements plus particuliers.

Pour établir solidement cette vérité, je remarque deux alliances que Dieu a contractées avec l'ancien peuple durant le Vieux Testament. Le premier est écrit au long dans le chapitre vingt-neuvième du Deutéronome, où en exécution de ce qui avait été commencé en l’Exode et continué en plusieurs rencontres, Moïse assemble le peuple pour leur proposer les conditions sous lesquelles Dieu les recevait en son alliance. Le peuple déclare qu'il les accepte ; et Moïse leur déclare de la part de Dieu que, comme ils l'avaient choisi pour leur souverain, il les choisissait pour son héritage : Dominum elegisti hodie, ut sit tibi Deus...; et Dominus elegit te hodie, ut sis ei populus (1). Voilà les termes du premier traité que Dieu fit avec son peuple par l'intervention de Moïse, qui était son plénipotentiaire : Hœc sunt verba fœderis, quod prœcepit Dominus Moysi,ut feriret cum filiis Israël (2). Le second traité d'alliance, chrétiens, est rapporté au neuvième chapitre du second livre d’Esdras, et se fait sur la rupture du premier traité après la captivité de Babylone. Les termes de ce traité et les formalités sont très-remarquables. Le premier traité y est énoncé comme le traité fondamental de l'alliance : « Vous êtes descendu, ô Seigneur, sur la montagne de Sinaï, et vous avez parlé du ciel avec nos

 

1 Deuter., XXVI, 17, 18. — 2 Ibid., XXIX, 1.

 

(a) Var. : Cette vérité.

 

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pères : » Locutus es cum eis de cœlo (1) ; « et vous leur avez donné des jugements droits, et la loi de vérité, et des cérémonies, et des préceptes par la main de Moïse votre serviteur : » Dedisti eis judicia recta et legem veritatis, cœremonias et prœcepta bona..., in manu Moysi servi tui (2). Après avoir énoncé cette première alliance, ils racontent au long les diverses contraventions : « Ils ont, disent-ils, péché contre vos jugements, ils se sont endurcis contre vos paroles et ils n'ont pas obéi : » nos rois, nos princes, etc. Ipsi verò superbe egerunt... et dederunt humemm recedentem, et cervicem suam induraverunt, nec audierunt (3). Après les contraventions ils rapportent les justes châtiments : « Et vous les avez, disent-ils, livrés aux mains des gentils : » Et tradidisti eos in manu populorum (4). Ils ajoutent néanmoins que « Dieu se souvenant de ses infinies miséricordes au milieu de ses vengeances, ne les avait pas entièrement détruits : » In misericordiis autem tuis plurimis non fecisti eos in consumptionem (5). C'est pourquoi ils s'humilient devant lui, ils confessent ses justices, ils adorent ses miséricordes : Et tu justus es in omnibus quœ venerunt super nos (b). Ils le prient de les recevoir en sa grâce au milieu de tant de calamités; et sur toutes ces choses ensemble, c'est-à-dire sur ce premier traité fondamental , sur les contraventions qu'ils y ont faites, sur les justes châtiments de Dieu, sur sa miséricorde qu'ils lui demandent, ils font avec lui un second traité d'alliance et lui engagent de nouveau leur fidélité : « Sur toutes ces choses, disent-ils, nous-mêmes ici présents, nous faisons un pacte avec vous et nous l'écrivons; et nos princes, et nos lévites, et nos prêtres y souscrivent : » Super omnibus ergo his nos ipsi percutimus fœdus, et scribimus, et signant principes nostri, levitœ nostri, et sacerdotes nostri (7).

Voilà donc deux traités du peuple avec Dieu énoncés formellement dans l'Ecriture; le premier essentiel et fondamental, le second sur la rupture de l'autre de la part du peuple. Lequel des deux, mes frères, porte un engagement plus étroit? Les jurisconsultes le décideront. Il est clair, selon leurs maximes, que les traités les plus forts, ce sont ceux qui interviennent sur des procès,

 

1 II Esdr., IX , 13. — 2 Ibid., 13, 14. — 3 Ibid., 29. — 4 Ibid., 30. — 5 Ibid., 31. — 6 Ibid., 33. — 7 Ibid., 38.

 

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sur des contraventions aux premiers contrats, sur des difficultés qui en sont nées; et cela est bien appuyé sur la raison, parce qu'alors la bonne foi est engagée dans des circonstances plus fortes. En effet l'Ecriture le fait bien entendre. Car au lieu que dans le premier traité le peuple se contente simplement d'accepter les conditions de vive voix, ici il les écrit et les signe : Nous, disent-ils, présents personnellement, les écrivons et les soussignons, et y obligeons nous et les nôtres; reconnaissant sans doute que traitant avec Dieu sur des contraventions, ils devaient s'obliger en termes plus forts. Aussi voyons-nous par leur histoire qu'après avoir violé le premier traité, Dieu usa encore envers eux de miséricorde ; mais ayant contrevenu au second, il commença à les mépriser, il retira peu à peu ses grâces; ils n'eurent plus ni miracles, ni prophéties, ni aucuns témoignages divins ; et enfin a été accompli ce qu'avait prédit Jérémie : « Ils ne sont pas demeurés dans mon alliance ; et moi, je les ai rejetés, dit le Seigneur. » Tant il est vrai, mes frères, que cette seconde espèce d'alliance devait être beaucoup plus sacrée.

Mais appliquons tout ceci à notre sujet, et raisonnons du Nouveau Testament parles figures de l'Ancien. Sachez donc et entendez, pécheurs convertis, que vous avez contracté deux sortes d'alliances avec Dieu votre Créateur par l'entremise de Jésus-Christ votre Médiateur et son Fils: la première dans le saint baptême, la seconde dans le sacrement de la pénitence. L'alliance du saint baptême est la première et fondamentale, dans laquelle que vous puis-je dire des biens qui vous ont été accordés, la rémission des péchés, l'adoption et la liberté des enfants de Dieu, l'espérance de l'héritage et de la gloire céleste, aux conditions néanmoins que vous soumettriez de votre part vos entendements et vos volontés à la doctrine de l'Evangile? Vous avez manqué à voire promesse; vous avez contrevenu à l'Evangile par vos désobéissances criminelles; vous avez affligé le Saint-Esprit, foulé aux pieds le sang du Sauveur, renoué votre traité avec l'enfer, qui avait été rompu par sa mort. Lâches et infidèles prévaricateurs, je vous l'ai déjà dit, vous ne méritiez plus de miséricorde. Voici néanmoins un second traité, voici le pacte sacré de la pénitence qui vient au

 

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secours de la fragilité humaine. Par ce traité de la pénitence, vous rentrerez, Dieu vous le promet : car il ne veut point la mort du pécheur, mais qu'il se convertisse et qu'il vive; vous rentrerez dans tous les droits de la première alliance, nonobstant vos contraventions ; mais aussi vous entrerez envers Dieu dans des obligations plus étroites ; et si vous manquez encore à votre parole, le Tout-Puissant s'en vengera, et vous serez en pire état qu'auparavant : Fiunt novissma hominis illius pejora prioribus.

Pour vous en convaincre, mes frères, je laisse les raisonnements recherchés, et je me contente de vous rapporter de quelle sorte a été fait ce second traité. Un pécheur, pressé en sa conscience , voit la main de Dieu armée contre lui ; la cognée est à la racine ; il voit déjà l'enfer ouvert sous ses pieds pour l'engloutir dans ses abîmes : quel spectacle ! Dans cette frayeur qui le saisit, se voyant le cou sous la cognée toute prête à frapper le dernier coup, il s'approche de ce trône de miséricorde qui jamais n'est fermé à la pénitence. Ah ! il n'attend pas qu'on l'accuse ; il se rend dénonciateur de ses propres crimes ; il est prêt à passer condamnation pour prévenir l'arrêt de son juge. La justice divine s'élève; il prend son parti contre soi-même ; il confesse qu'il mérite d'être sa victime, et toutefois il demande grâce au nom du Médiateur Jésus-Christ. On lui propose la condition de corriger sa vie déréglée, de renoncer à ses amours criminelles, à ses intelligences avec l'ennemi ; il promet, il accepte tout : — Faites la loi, j'obéis.

Vous l'avez fait, mes frères; souvenez-vous-en, ou jamais vous n'avez fait pénitence, ou votre confession a été sacrilège. Vous avez fait quelque chose de plus ; vous avez donné Jésus-Christ pour caution de votre parole. Car étant le Médiateur, il est aussi le dépositaire et la caution des paroles des deux parties. Il est caution de celle de Dieu, par laquelle il promet de vous pardonner ; il est caution de la vôtre, par laquelle vous promettez de vous amender. Voilà le traité qui a été fait ; et pour plus grande confirmation, vous avez pris à témoin son corps et son sang, qui a scellé la réconciliation à la sainte table. Et après la grâce obtenue vous cassez un acte si solennel. Vous vous êtes repentis de vos péchés, et vous vous repentez de votre pénitence ; vous aviez donné

 

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des larmes à Dieu, vous les retirez de ses mains ; vous désavouez vos promesses, et Jésus-Christ qui en est garant, et son corps et son sang, mystère sacré et terrible, lequel certes ne devait pas être employé en vain. Et après avoir manqué tant de fois à cette seconde alliance, si ferme, si authentique, si inviolable, vous allez encore la tête levée. Ah ! mon frère, j'ai pitié de vous; vous ne sentez pas votre malheur ni le terrible redoublement, de vengeance qui vous attend en la vie future : Fient novissima hominis illius pejora prioribus. C'est ce que j'avais à vous dire dans ma première partie. Mais n'y a-t-il point de remède? Il y en a, n'en doutez pas, un très-efficace, c'est le remède de la pénitence; mais vous en avez tant de fois abusé, que bientôt il ne sera plus remède pour vous. C'est ma seconde partie.

 

SECOND POINT.

 

Outre le mépris que vous faites de l'amitié réconciliée, ce qui aggrave votre faute dans vos rechutes, c'est le mépris du remède. Car celui qui méprise le remède, il touche de près à sa perte, et il deviendra bientôt incurable (a). Pour vous faire sentir vivement, ô pénitents qui retombez, combien vous méprisez ce remède, remarquez avant toutes choses (b) que le remède de la pénitence a deux qualités : il guérit le mal passé, il prévient le mal à venir. Ce n'est pas seulement un remède, mais c'est une précaution. Encore que cette vérité soit bien connue , néanmoins pour vous en donner une grande idée, reprenons-la jusqu'en son principe , et disons que la police céleste avec laquelle Dieu régit les hommes, l'oblige à leur faire connaître qu'il déteste infiniment le péché : autrement, dit Tertullien, ce serait un Dieu trop patient et bon déraisonnablement : Irrationaliter bonum (1);un Dieu bon jusqu'au mépris et indulgent jusqu'à la faiblesse ; « un Dieu, dit-il dans le même endroit, sous lequel les péchés seraient à leur aise, et dont on se moquerait impunément : » Deum sub quo delicta gauderent, cui diabolus illuderet (2). Voilà une bonté bien méprisable.

1 Advers. Marcion., Iib. II, n. 4. — * Ibid., n. 13.

(a) Par. : Et il est bien près d'être incurable. — (à) Mais afin que vous l'entendiez, remarquez, etc.

 

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Telle n'est pas la bonté de notre Dieu : « Il est bon, dit Tertullien, en tant qu'il est ennemi du mal, non en souffrant le mal : » Non aliàs plenè bonus sit, nisi mali œmulus (1). Pour être bon comme il faut, il exerce l'amour qu'il a pour la justice par la haine qu'il a contre le péché (a) ; il se montre défenseur (b) de la vertu en attaquant son contraire : Uti boni amorem odio mali exerceat, et boni tutelam expugnatione mali implea (2).

Il s'ensuit de cette doctrine que Dieu déteste le péché nécessairement. Mais s'il est ainsi, chrétiens, il est assez malaisé d'entendre de quelle sorte il le pardonne. Voici en effet un grand embarras : laisser le péché impuni, c'est témoigner peu de haine de notre injustice ; le punir toujours rigoureusement, c'est avoir peu de pitié de notre faiblesse. Mes frères, que dirons-nous? Dieu oubliera-t-il ses miséricordes? Dieu oubliera-t-il ses justices? Vengera-t-il toujours le péché ? Le laissera-t-il régner à son aise ? Ni l'un , ni l'autre, Messieurs : il envoie aux hommes la pénitence pour concilier ces difficultés, et il partage pour cela les temps. Il pardonne ce qui est passé, il donne des précautions pour l'avenir ; il institue, un remède qui soit tout ensemble un préservatif qui ait la force et de guérir le mal présent et de prévenir le mal futur. Par l'im il contente sa miséricorde, il pardonne ; et par l'autre il satisfait l'aversion qu'il a du péché, il le défend. Voilà donc deux qualités de la pénitence ; toutes deux également saintes, toutes deux également nécessaires. Car si Dieu n'use jamais de miséricorde, que ferons-nous, misérables? Nous périrons sans ressource; et s'il pardonne sans précaution, ne semble-t-il pas approuver les crimes ?

Comm donc ces deux qualités de la pénitence sont nécessaires en même degré, il ne te sert de rien, ô pécheur, de la recevoir en la première, si tu la violes dans la seconde. Tu prends quelque soin de laver tes crimes ; et après tu te relâches et tu te reposes, comme si tout l'ouvrage était achevé. La pénitence se plaint de toi : J'ai, dit-elle, deux qualités : je guéris et je préserve ; je nettoie et je fortifie ; je suis également établie, et pour ôter les péchés commis, et pour empêcher ceux qu'on peut commettre.

 

1 Advers. Marcion., lib. I, n. 20. — 2 Ibid.

 

(a) Var. : Pour le mal. — (b) Protecteur.

 

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Tu m'honores en qualité de remède, tu me méprises en qualité de préservatif. Ces deux fonctions sont inséparables ; pourquoi me veux-tu diviser? Ou prends-moi toute, ou laisse-moi toute. Chrétiens, que répondrons-nous à ce reproche? Il est juste, il est juste, reconnaissons-le ; nous avons méprisé la pénitence, parce que nous n'avons pas honoré ses deux qualités.

Mais pour profiter de ce reproche et mettre cette doctrine en pratique, remarquons, s'il vous plait, Messieurs, que comme la pénitence a deux vertus, nous devons avoir aussi deux dispositions : la disposition pour la recevoir comme guérissant le passé, c'est la douleur des fautes commises ; la disposition pour la recevoir comme prévenant l'avenir, c'est la crainte des occasions qui les ont fait naître. Qui pourrait assez exprimer combien cette crainte est salutaire? Sans la crainte, dit saint Cyprien, on ne peut garder l'innocence, parce qu'elle en est la gardienne (a) assurée : Timor innocentiae custos (1). Sans la crainte, dit Tertullien, il n'y a point de pénitence, parce qu'on n'a pas, dit-il, cette crainte qui est son instrument nécessaire : Nec pœnitentiam adimplevit, quia instrumento pœnitentiœ, id est, metu caruit (2). Ainsi la pénitence a deux regards : elle regarde la vie passée, et elle s'afflige et elle gémit d'avoir offensé un Dieu si bon ; elle regarde les occasions où son intégrité a tant de fois fait naufrage , et elle est saisie de crainte et elle marche avec circonspection : comme un homme qui voit dans une tempête le ciel mêlé avec la terre, à qui mille objets terribles ont rendu en tant de façons la mort présente, renonce pour jamais à la mer et à la navigation. O mer, je ne te verrai plus, ni tes Ilots, ni tes abîmes, ni tes écueils contre lesquels j'ai été près d'échouer ; je ne te verrai plus que sur le port, encore ne sera-ce pas sans frayeur (b) ; tant l'image de mon péril est demeurée présente à ma pensée : Exinde repudium et navi et mari dicunt (3).

C'est ce que nous devons faire, mes frères; mais c'est ce que nous ne faisons pas. Hélas ! vaisseau fragile , battu et brisé par les vents et par les flots, et entr'ouvert de toutes parts, tu te jettes

 

1 Epist. I ad Donat., p. 2. — 2 De Paenit., n. 6. — 3 Ibid., n. 7.

(a) Var. : La garde, — le remède. — (b) Sans trembler.

 

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encore sur cette mer dont les eaux sont si souvent entrées au fond de ton âme. Tu sais bien ce que je veux dire : tu te rengages dans cette intrigue qui t'a emporté si loin hors du port ; tu renoues ce commerce qui a soulevé en ton cœur toutes ces tempêtes, et tu ne te défies pas d'une faiblesse trop et trop souvent expérimentée. Quand la pénitence l'aurait guéri ( et j'en doute avec raison, et tes rechutes continuelles me font trembler justement pour toi que toutes tes confessions ne soient sacrilèges ) ; mais quand elle t'aurait guéri, que te sert une santé si mal conservée ? Que te sert le remède de la pénitence, dont tu méprises les précautions si nécessaires? Tes rechutes abattent peu à peu tes forces ; le mépris visible du remède te fait toucher de près à ta perte, et rendra enfin le mal incurable : Fient novissima hominis illius pejora prioribus.

La pénitence, mes frères, n'est pas seulement un remède, c'est un remède sacré qu'on ne peut violer sans profanation. Et afin de le bien entendre, remettez en votre mémoire cette doctrine si constante des anciens Pères, qui appellent la pénitence un second baptême. Le docte Tertullien, dans le livre du Baptême, nous donne une belle ouverture pour éclaircir cette vérité, et je vous prie de le bien entendre. Il dit donc dans le livre du Baptême « que nous autres chrétiens, nous sommes des poissons mystiques , qui ne pouvons naître que dans l'eau, ni conserver notre vie qu'en y demeurant : » Nos pisciculi secundum Ictun nostrum Jesum Christum in aquà nascimur, nec aliter quàm in aquà permanendo salvi sumus (1). Ictus, parole de mystère parmi les fidèles , lettres capitales du nom et des qualités de Jésus-Christ. Mais laissant ces curiosités, quoiqu'elles soient saintes, expliquons le sens, prenons l'esprit de cette parole. Nous sommes donc comme des poissons qui ne naissons que dans l'eau, parce que nous ne naissons que dans le baptême, et ensuite nous ne vivons pas, si nous ne demeurons toujours dans cette eau sacrée. C'est ce que l'antiquité appelait « garder son baptême : » Custodire baptismum suum (2), c'est-à-dire le garder saint et inviolable, et en observer les promesses. Car si nous sortons de cette eau, nous perdons la netteté qu'elle nous donnait, c'est-à-dire notre innocence ;

 

1 De Bapt., n. 1. — 2 S. August., De Symb., ad Catechum., n. 14.

 

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non-seulement nous perdons la netteté, mais la nourriture et la vie, parce que nous sommes des poissons mystiques qui ne pouvons vivre que dans l'eau : Nec aliter quàm in aquà permanendo.

Mais s'il est ainsi, chrétiens, quel salut y a-t-il pour nous? Car qui de nous demeure en cette eau? qui a encore conservé son innocence? qui de nous a encore son baptême entier? C'est encore une phrase ecclésiastique, bien commune dans les Pères et dans les conciles. Peut-être qu'étant sortis de l'eau du baptême, il nous sera permis d'y rentrer. Non, mes frères, il est impossible : cette eau ne lave point de secondes taches, elle ne reçoit jamais ceux qui ont violé sa sainteté. Mais de peur que nous ne périssions sans ressource, Dieu nous a ouvert une autre fontaine, Dieu nous a donné un autre bain où il nous est permis de nous plonger ; c'est le bain de la pénitence, baptême de larmes et de sueurs; ce sont les eaux de la pénitence, eaux saintes et sacrées, aussi bien que celles du baptême, parce qu'elles dérivent de la même source, et qu'on ne peut souiller sans profanation. In die illà erit fons patens domui Israël et habitantibus Jerusalem, in ablutionem peccatoris (1).

Voilà, mes frères, notre seul remède et notre seconde espérance. Nous ne pouvons vivre que dans l'eau, parce que nous y sommes nés. Etant donc sortis de notre eau natale, si je puis parler de la sorte, c'est-à-dire de l'eau du baptême, rentrons dans l'eau de la pénitence et respectons-en la sainteté. Mais c'est ici notre grande infidélité ; c'est ici que l'indulgence multiplie les crimes et que la source de miséricorde fait une source infinie de profanations sacrilèges. Car du moins, ainsi que j'ai déjà dit, l'eau du baptême ne peut être souillée qu'une fois, parce qu'elle ne reçoit plus ceux qui la quittent : c'est le bain de la pénitence toujours ouvert aux pécheurs, toujours prêt à reprendre ceux qui retournent; c'est ce bain de miséricorde qui est exposé au mépris par sa facilité bienfaisante.

Que dirai-je ici, chrétiens, et avec quels termes assez énergiques déplorerai-je tant de sacrilèges qui infectent les eaux de la pénitence? « Eau du baptême, que tu es heureuse ! » c'est Tertullien qui

 

1 Zach., XIII, 1.

 

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vous parle ; «que tu es heureuse, eau mystique, qui ne laves qu'une seule fois:» Felix aqua, quœ semel abluit! « qui ne sers point de jouet aux pécheurs : » quœ ludibrio peccatoribus non est; « qui n'étant point souillée de beaucoup d'ordures, ne gâtes pas ceux que tu laves : » quœ non assiduitate sordium infecta, rursùs quos diluit inquinat (1) ! Ce sont les eaux de la pénitence qui reçoivent toutes sortes d'ordures; ce sont elles qui sont tous les jours souillées, parce qu'elles sont toujours ouvertes; non-seulement elles sont souvent infectées, mais elles servent contre leur nature à souiller les hommes : Rursùs quos abluit inquinat; c'est notre malice qui en est cause; mais enfin il est véritable, elles servent à nous souiller, parce que la facilité de nous y laver fait que nous ne craignons pas les ordures (a). Qui ne se plaindrait, chrétiens, de voir cette eau si souvent (b) violée, seulement à cause qu'elle est bienfaisante?

Que dirai-je, où me tournerai-je pour arrêter ces profanations? Dirai-je que Dieu, pour punir les hommes de leurs sacrilèges, a résolu désormais de fermer cette fontaine à ceux qui retombent? Mais je parlerai contre l'Evangile. Il est bien écrit qu'il n'y a qu'un baptême, et l'on n'y retourne jamais. Mais au contraire il est écrit de la pénitence : « Tout ce que vous remettrez sera remis, tout ce que vous délierez sera délié (2). » Jésus-Christ n'y apportant point de limitation, qui suis-je pour restreindre ses volontés? Non, pécheurs, je ne puis vous dire que vous êtes exclus de cette eau : l'eussiez-vous profanée cent fois, mille fois; revenez, elle est prête à vous recevoir, et vous pouvez encore y laver vos crimes. Que dirai-je donc pour vous arrêter? Quoi? Qu'encore qu'elle soit ouverte , Dieu ne vous permettra pas d'en aborder ; qu'il vous fera mourir d'une mort soudaine, sans avoir le loisir de vous reconnaître, ou bien qu'il retirera tout à coup ses grâces? Mais qui a pénétré les conseils de Dieu? qui sait le terme où il vous attend? Chrétiens, je n'entreprends pas de le définir.

Exhorterai-je vos confesseurs à vous refuser toujours l'absolution dans vos rechutes continuelles, pour vous inspirer plus de

 

1 De Bapt., n. 15. — 2 Matth., XVI, 19.

 

(a) Var. : Que nous n'avons point horreur des ordures. — (b) Ainsi violée.

 

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crainte? Mais vos besoins particuliers n'étant pas de ma connaissance, c'est à eux à user dans les occasions avec charité et discrétion de cette conduite médicinale; seulement puis-je dire généralement que comme il faut craindre dans ces rencontres de ne pas favoriser la présomption, il faut prendre garde et bien prendre garde de ne pas accabler la faiblesse. Mais si tous ces moyens me sont ôtés pour vous faire appréhender les rechutes, que dirai-je enfin à des hommes que la difficulté désespère et que la facilité précipite? Voici, mes frères, ce que Dieu m'inspire; qu'il le fasse profiter pour votre salut. Il est vrai, les eaux de la pénitence sont toujours ouvertes pour laver nos fautes : bonté de mon Dieu, est-il possible ! Vous ne le savez que trop ; c'est ce qui nourrit votre impénitence; mais sachez, pour vous retenir, qu'il se rend toujours plus difficile.

Dans le premier dessein de Dieu, la grâce ne devait être donnée qu'une fois. Les anges l'ont perdue; il n'y aura jamais de retour; les hommes l'ont perdue, elle leur était ôtée pour jamais.— Mais, prédicateur, que nous dites-vous? D'où vient donc que nous l'avons recouvrée?— D'où vient? Ne le savez-vous pas? C'est que Jésus-Christ est intervenu. Est-ce donc que vous ignorez que la justice du christianisme n'est pas un bien qui nous appartienne? Ce n'est pas à nous qu'on la restitue : c'est un don que le Père a fait à son Fils, et ce Fils miséricordieux nous le cède; nous l'avons de lui par transport, ou plutôt nous ne l'avons qu'en lui seul, parce que le Saint-Esprit nous a faits ses membres. Il est vrai que l'ayant une fois rendue aux mérites infinis de son Fils, il donne son Esprit sans mesure, il ne met point de bornes à ses dons; autant de fois que vous la perdez, autant la pouvez-vous recouvrer. Mais quoiqu'il se soit si fort relâché de la première résolution de ne la donner qu'une fois, il n'oublie pas néanmoins toute sa rigueur; et pour nous tenir dans la crainte, il a trouvé ce tempérament, qu'il se rend toujours plus difficile. Par exemple, vous avez reçu la grâce au baptême, avec quelle facilité? Nous le voyons tous les jours par expérience : nous n'y avons rien contribué du nôtre ; et Dieu s'est montré si facile, qu'il a même accepté pour nous les promesses de nos parents. Si nous péchons après le baptême, cette

 

232                                          SECOND SERMON

 

première facilité ne se trouve plus : il n'y a plus pour nous d'espérance que dans les larmes, dans les travaux de la pénitence, que l'antiquité chrétienne appelle à la vérité un baptême, mais un baptême laborieux. Ecoutez le concile de Trente : Ad quam tamen novitatem et integritatem per sacramentum pœnitentiœ sine magnis nostris fletibus et laboribus, divinà id exigente justitià, pervenire non possumns : ut meritò pœnitentia laboriosus quidam baptismus à sanctis Patribus dictus fuerit (1). D'où vient cette nouvelle difficulté, sinon de la loi que nous avons dite? Vous avez perdu la justice; ou jamais vous n'y rentrerez, ou ce sera toujours avec plus de peine. Et si nous profanons le mystère, non-seulement du baptême, mais encore de la pénitence, ne s'ensuit-il pas par la même suite que Dieu se rendra toujours plus inexorable? Pourquoi? Parce qu'il veut bien user de miséricorde, mais non l'abandonner au mépris; pourquoi? Parce que vous manquez à la foi donnée et à l'amitié réunie, parce que vous méprisez le remède, parce que vous profanez le mystère. Enfin tout ce que j'ai dit conclut à ce point, que la difficulté s'augmente toujours. Et étant retombés mille et mille fois, jugez, pécheurs, où vous en êtes; quels obstacles, quels embarras, quel chaos étrange il y a entre vous et la grâce !

Et ne me dites pas : Je ne sens point cette peine, je me confesse toujours avec la même facilité, je dis mon Peccavi de même manière. C'est cette malheureuse facilité qui me donne de la défiance, qui me convainc que ta conversion est bien difficile. Je ne puis souffrir un pécheur que la pénitence n'inquiète pas, qui va règlement à ses jours marqués, sans peine, sans soin, sans travail aucun, décharger son fardeau à son confesseur, et s'en retourne dans sa maison sans songer davantage à changer sa vie. Je veux qu'un pécheur soit troublé ; je veux qu'il frémisse contre soi-même ; je veux qu'il s'irrite contre ses faiblesses, qu'il se plaigne de sa langueur, qu'il se fâche de sa lâcheté. Si Je te voyais troublé de la sorte, j'aurais quelque espérance de ta conversion; je croirais que ton cœur étant ému, pourrait peut-être changer de situation ; si je le voyais ébranlé jusqu'aux fondements, je croirais que ces

 

1 Sess. XIV, cap. II.

 

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habitudes corrompues en seraient peut-être déracinées par ce bienheureux renversement de toi-même et que, comme dit saint Augustin , la tyrannie de la coutume pourrait être enfin surmontée par les efforts violents (a) de la pénitence : Ut violentiœ pœnitendi cedat consuetudo peccandi (1). Mais cette prodigieuse facilité avec laquelle vous avalez l'iniquité comme l'eau, et la pénitence de même, c'est ce qui me fait craindre pour vous que ce jeu et ce passage continuel de la grâce au crime, du crime à la grâce, ne se termine enfin par quelque événement tragique. Si je ne désespère pas, je la tiens presque déplorée. N'abusez pas de ce que j'ai dit, il n'y a pas de bornes qui nous soient connues; mais il y en a néanmoins, et Dieu n'a pas résolu de laisser croître vos péchés jusqu'à l'infini : Quis novit potestatem irœ tuœ, et prœ timore tuo iram tuam dinumerare (2)?

Le fruit commence par être vert, et sa crudité offense le goût; mais il faut qu'il vienne à la maturité : ainsi le pécheur qui se convertit peut demeurer quelque temps infirme et fragile; et les fruits de la pénitence, quoiqu'encore amers et désagréables, ne laissent pas d'être supportés par l'espérance qu'ils donnent de maturité. Mais que jamais nous ne soyons mûrs, c'est-à-dire jamais fermes ni jamais constants ; que jamais nous ne produisions ces dignes fruits de pénitence tant recommandés dans l'Evangile, c'est-à-dire une conversion durable et constante; que notre vie toujours partagée entre la vertu et le crime ne prenne jamais un parti de bonne foi, ou plutôt qu'en ne gardant plus que le seul nom de vertu, elle prenne le parti du crime et le fasse régner en nous malgré les sacrements tant de fois reçus (b) : c'est un monstre dans la doctrine des mœurs.

Faites-moi venir un philosophe, un Socrate, un Pythagore, un Platon ; il vous dira que la vertu ne consiste pas dans un sentiment passager, mais que c'est une habitude constante et un état permanent. Que nous ayons une moindre idée de la vertu chrétienne, et qu'à cause que Jésus-Christ nous a ouvert dans ses sacrements une source inépuisable pour laver nos crimes, plus aveugles que

 

1 Tract. XLIX in Joan., n. 19. — 2 Psal. LXXXIX, 11.

 

(a) Var. : Par la violence. — (b) Que nous fréquentons.

 

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les philosophes qui ont cherché la stabilité dans la vertu, nous croyions être chrétiens lorsque nous passons notre vie dans une perpétuelle inconstance, aujourd'hui dans le bain de la pénitence et demain dans nos premières ordures, aujourd'hui à la sainte table avec Jésus-Christ et demain avec Bélial et dans toutes les corruptions du monde; peut-on faire un plus grand outrage au christianisme ? Ce n'est pas ainsi que nos pères nous ont parlé des rechutes.

Un saint concile d'Espagne dit que la rechute fait un jeu profane et un sacrilège amusement de la communion (1). Un ancien Père nous dit que retomber dans le crime auquel on a renoncé, c'est se repentir de sa pénitence, c'est condamner Jésus-Christ avec connaissance de cause et après l'avoir goûté, c'est le sacrifier à ses passions et faire satisfaction au démon de ce qu'on avait osé secouer son joug détestable (2).

Mais quelque véhéments que soient les saints Pères à exprimer l'horreur des rechutes, rien n'égale les expressions (a) des apôtres. Saint Paul dit que retomber dans les premiers crimes, c'est affliger le Saint-Esprit (3), et avec raison; car on le contraint contre sa nature à quitter la demeure qu'il voulait garder, et d'où chassé une fois il ne reviendra plus qu'avec répugnance : c'est crucifier Jésus-Christ encore une fois (4), fouler aux pieds son sang répandu pour nous et renouveler toutes les sanglantes railleries dont les Juifs l'ont persécuté dans son agonie. Car en effet c'est lui reprocher qu'il ne peut pas conserver une âme qu'il a acquise, ni descendre de la croix où le pécheur le va mettre, ni soutenir sa victoire contre le démon. Le même saint Paul ajoute que la terre qui a été cultivée et qui a reçu la pluie du ciel, c'est-à-dire une âme renouvelée par les sacrements et arrosée de la grâce, qui malgré cette culture sacrée ne produit que de mauvais fruits, est maudite et réprouvée (5). Saint Pierre sera-t-il moins fort? Ecoutez-le. Vous déplorez, et avec raison, la misère des nations infidèles qui n'ayant jamais connu Dieu, ni les mystères de son royaume, périssent

 

1 Concil. Eliberit., can. XLVII, Labb., tom. I, col. 975.— 2 Tertull., De Pœnit., n. 5. — 3 Ephes., IV, 30. — 4  Hebr., VI, 6. — 5 Ibid., 7, 8.

 

(a) Var. : Les sentiments.

 

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dans leur ignorance. Mais saint Pierre vous dit qu'il vaudrait mieux n'avoir jamais connu la voie de justice que de se retirer de la sainte loi dont on a connu l'équité. Car c'est justement, poursuit cet apôtre , ce qui est dit dans les Proverbes : Canis reversas ad suum vomitum (1). Si je traduis ces paroles, je ferai horreur à vos sens ; si je vous dis que selon saint Pierre, le pénitent qui retombe dans ses premiers crimes, c'est un chien qui reprend ce qu'il a jeté, vos oreilles délicates seront offensées : et néanmoins nous ne craignons pas quelque chose de plus horrible ; c'est de reprendre nos voies corrompues et de ravaler le poison qu'un remède salutaire nous avait ôté, afin qu'il achève de nous perdre et de déchirer nos entrailles.

Mais que dit le Fils de Dieu lui-même, lui qui trouvant dans sa parabole l'arbre cultivé et n'y voyant point paraître de fruit, prononce qu'il n'est plus bon que pour le feu (2) ; qui nous montre le démon chassé plus fort quand il a repris sa première place (3) : plus fort en nombre, sept pour un; plus fort en malice, sept autres plus malins que lui; plus fort en stabilité, et il demeure; et l'état du pécheur toujours plus mauvais après la rechute; et la maladie d'autant plus mortelle, qu'après avoir triomphé pour ainsi parler de la nature, elle surmonte encore les remèdes mêmes? Si donc, selon sa parole, les difficultés s'augmentent toujours, si en effet par un juste jugement de Dieu la pénitence est plus difficile que le baptême, et que par la même règle la pénitence souvent violée, à mesure qu'on la méprise, augmente les difficultés de la conversion et y ajoute de nouveaux obstacles, où en sommes-nous, ô Dieu vivant, et quel effroyable chaos avons-nous mis entre Dieu et nous par nos continuelles rechutes !

 

1 I Petr., il, 22. — 2 Luc, XIII, 6, 7. — 3 Ibid., XI, 26.

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