ACTES XIX

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HOMÉLIE XIX. CEPENDANT UN ANGE DU SEIGNEUR PARLA A PHILIPPE, ET LUI DIT : LÈVE-TOI ET VA VERS LE MIDI, SUR LE CHEMIN QUI DESCEND DE JÉRUSALEM A GAZA, CELLE QUI EST DÉSERTE. ET SE LEVANT IL PARTIT. (CHAP. XIII, 26, 27, JUSQU'AU VERS. 9 DU CHAP. IX.)

 

Traduit par M. l'abbé DEVOILE.

 

ANALYSE. 1-3. Baptême de l'eunuque éthiopien. — Philippe transporté miraculeusement de Gaza à Azoth. — Conversion de saint Paul.

4. L'abandon des Livres saints nous conduit à notre perte.

5. Dans l'Eglise même il y a une inattention générale, lorsque la voix du lecteur fait entendre la sainte parole des Ecritures, et pourtant les auditeurs sont très-ignorants des mystères.

 

1. Il me semble qu'il a reçu cet ordre pendant qu'il était à Samarie : car, en partant de Jérusalem, on ne va pas vers le midi, mais vers le nord, tandis qu'en partant de Samarie, on va vers le midi. «Celle qui est déserte ». L'ange dit cela, pour le rassurer contre l'attaque des Juifs. Philippe ne demande pas pourquoi; mais il se lève et part. « Et voilà qu'un Ethiopien, eunuque, puissant auprès de Candace, reine d'Ethiopie, et préposé sur tous ses trésors, était venu adorer à Jérusalem et s'en retournait, assis sur son char, et lisant le prophète Isaïe ». Ces paroles contiennent un grand éloge. Il demeurait en Ethiopie, il était accablé d'affaires, ce n'était point un jour de fête, il se trouvait dans une ville livrée aux superstitions, et il était venu adorer à Jérusalem. Son empressement était grand, car il lisait assis sur son char. «Alors L'Esprit dit à Philippe : Approche et tiens-toi contre ce char. Et Philippe accourant, entendit l'eunuque qui lisait le prophète Isaïe, et il lui dit : Croyez-vous comprendre ce que vous lisez? Il répondit : Comment le pourrais-je, si personne ne me l'explique? » Voyez cette nouvelle preuve de piété. Quelle est-elle ? C'est qu'il lit sales comprendre, et qu'après avoir lu, il cherche le sens. « Et il prie Philippe de monter et de s'asseoir près de lui. Or le passage de l'Ecriture qu'il lisait était celui-ci : Comme une brebis, il a été mené à la boucherie, et comme un agneau sans voix devant celui qui le tond, il n'a pas ouvert sa bouche. Dans l'humiliation son jugement a été aboli. Qui racontera sa génération, puisque sa vie est retranchée de la terre? Or, répondant à Philippe, l'eunuque dit : De qui, je vous prie, dit-il cela? Est-ce de lui ou de quelque autre? Alors Philippe ouvrant la bouche, et commençant par ce passage de l'Ecriture, lui annonça Jésus ». Vous voyez comme la Providence arrange tout en faveur de l'eunuque. D'abord il lit et ne comprend pas; ensuite il lit le passage où sont racontés la passion, la résurrection et le don. « Et comme ils allaient par le chemin, ils rencontrèrent de l'eau, et l'eunuque dit : « Voilà de l'eau ; qu'est-ce qui empêche que je ne sois baptisé? » Voyez-vous son ardeur ? Voyez-vous son empressement ? « Et il fit arrêter le char; alors tous deux, Philippe et l'eunuque, descendirent dans l'eau, et il le baptisa. Lorsqu'ils furent remontés de l'eau, l'Esprit du Seigneur enleva Philippe, et l'eunuque ne le vit plus. Mais il continuait son chemin, plein de joie ».

Pourquoi, direz-vous, l'Esprit du Seigneur enleva-t-il Philippe? Parce qu'il devait traverser d'autres villes et y prêcher l'Evangile; et aussi pour le faire admirer, et prouver à l'eunuque que ce qui venait de se passer n'était pas l'effet de la puissance de l'homme, (83) mais de celle de Dieu. « Pour Philippe, il se  trouva dans Azoth, et il évangélisait en passant toutes les villes, jusqu'à ce qu'il vînt à Césarée ». Ceci démontre qu'il était un des sept, puisqu'on le trouve ensuite à Césarée. L'Esprit l'enleva à propos; autrement l'eunuque l'aurait prié de venir avec lui, et Philippe l'aurait peut-être affligé par son refus ; car le moment n'était pas encore venu. Voyez-vous les anges coopérer à la prédication? Sans prêcher eux-mêmes, ils appellent les prédicateurs. Et c'est là qu'est la merveille : ce, qui était rare et difficile autrefois, devient maintenant très-fréquent. Ce qui s'était passé, présageait d'ailleurs qu'ils triompheraient des étrangers. Car le témoignage des croyants était digne de foi et propre à inspirer le même zèle à ceux qui les écoutaient. Voilà pourquoi l'eunuque s'en allait plein de joie; mais il n'eût pas été aussi joyeux s'il avait tout su. Mais qu'est-ce qui empêchait, direz-vous, qu'il n'apprit tout en détail, pendant qu'il était assis sur son char, surtout dans le désert? C'est qu'il ne s'agissait point de faire de l'ostentation.

Mais examinons ce qui a été lu plus haut. « Et voilà qu'un Ethiopien, eunuque, puissant auprès de Candace, reine d'Ethiopie ». Il est clair que Candace régnait sur les Ethiopiens. Autrefois les femmes régnaient, et c'était la loi en Ethiopie. Philippe ne savait pas pourquoi il se trouvait dans le désert, parce que ce n'était pas l'ange, mais l'Esprit qui l'avait enlevé. L'eunuque ne voit rien de cela, ou parce qu'il est encore imparfait, ou parce que c est l'affaire des hommes spirituels et non des hommes charnels, et il ne sait pas ce qu'a appris Philippe. Et pourquoi l'ange ne lui apparaît-il pas, pour le conduire à Philippe ? Parce que peut-être il eût été plutôt frappé d'étonnement que convaincu. Voyez la sagesse de Philippe ! Il ne blâme pas, il ne dit pas : Vous êtes un ignorant, moi je vous instruirai. Il ne dit pas : de sais cela parfaitement. Il ne le flatte pas en disant : Vous êtes bienheureux de lire. Son langage est donc également éloigné de la présomption et de la flatterie ; c'est plutôt celui du véritable intérêt et de la bonté. Il fallait que l'eunuque questionnât, exprimât un désir. Mais Philippe fait assez voir qu'il connaît son ignorance, quand il lui dit : « Croyez-vous comprendre ce que vous lisez? » Il lui indique en même temps qu'il y a là un grand trésor caché.

2. Mais voyez avec quelle prudence l'eunuque s'excuse. « Comment le pourrais-je», dit-il, « si personne ne me l'explique? » Il n'a point regardé à l'habit, il n'a point dit : Qui es-tu? Il ne blâme pas, il ne parle pas avec arrogance, il ne se vante pas de savoir, mais il confesse qu'il ignore; et voilà pourquoi on l'instruit. Il montre sa plaie au médecin; il comprend que celui-ci sait et veut l'instruire. Il le voit exempt de faste : car Philippe était modestement vêtu. Voilà pourquoi il est avide d'entendre et attentif à ce qui se dit; en lui s'accomplissait cette parole : « Celui qui cherche, trouve. (Matth. VII, 3.) Il pria Philippe « de monter et de s'asseoir près de lui ». Voyez-vous son empressement ? Voyez-vous son désir? Il le prie de monter et de s'asseoir près de lui; il ne savait pas ce qu'il allait lui dire, mais il s'attendait simplement à entendre expliquer une prophétie. C'était de sa part une plus grande marque d'honneur de ne pas seulement faire monter Philippe, mais de l'en prier. « Et Philippe accourant l'entendit qui lisait ». La course indique un homme avide d'enseigner, la lecture un homme avide de savoir. Car il lisait précisément à l'heure où le soleil est le plus ardent. Or le passage était celui-ci : « Comme une brebis, il a été mené à la boucherie ». Une autre preuve de son désir de s'instruire, c'est qu'il a dans les mains le plus sublime des prophètes. Aussi Philippe s'explique-t-il avec lui sans vivacité mais avec calme; il ne parle même qu'après avoir été interrogé, après en avoir été prié. Questionnant de nouveau, l'eunuque demande : « De qui, je vous prie, le prophète dit-il cela? » Il me semble qu'il ignorait que les prophètes parlent des autres, ou tout au moins d'eux-mêmes, sous des noms supposés. Pauvres et riches, que l'exemple de cet intendant nous fasse rougir. « Ensuite ils rencontrèrent de l'eau, et il dit : Voilà de l'eau ». Ceci est l'indice de son extrême ferveur. « Qu'est-ce qui « empêche que je ne sois baptisé? » Voyez-vous son désir? Il ne dit pas : Baptisez-moi; il ne se tait pas non plus; mais son langage tient en quelque sorte le milieu entre le désir et le respect : « Qu'est-ce qui empêche que je ne sois baptisé ». Voyez comme il a la doctrine complète; car le prophète embrasse tout : l'incarnation , la passion , la résurrection, l'ascension, le jugement futur; et c'est ce qui inspire à l'eunuque un grand (84) désir. Rougissez aussi, vous qui n'êtes pas encore éclairés. « Et il fit arrêter le char ». Il parle, il commande, avant même d'écouter. « Lorsqu'ils furent remontés de l'eau, l'Esprit du Seigneur enleva Philippe ». C'était pour montrer l'action de la divinité, et faire comprendre à l'eunuque que Philippe n'était point un homme ordinaire. « Et il continuait son chemin, plein de joie ». Ces paroles indiquent qu'il se fût attristé, s'il avait tout su ; mais la vivacité de sa joie l'empêchait de voir le présent, quoiqu'il eût été honoré de la visite de l'Esprit. « Et il se trouva dans Azoth ». Il y eut ici grand profit pour Philippe : car ce qu'il avait ouï dire des prophètes, d'Habacuc, d'Ezéchiel et d'autres, se réalisait en lui, puisqu'en un instant il avait parcouru une grande distance et se trouvait à Azoth, où il resta, parce qu'il devait y prêcher l'Evangile.

« Cependant Saul respirant encore menaces et meurtre contre les disciples du Seigneur, alla trouver le prince des prêtres, et lui demanda des lettres pour la synagogue de Damas, afin que s'il y trouvait des hommes et des femmes de cette voie, il les conduisît enchaînés à Jérusalem ». C'est à propos qu'il parle ici du zèle de Paul, pour montrer qu'il a été attiré au milieu de son extrême ardeur. Non encore rassasié par le meurtre d'Etienne, par la persécution et la dispersion de l'Eglise, il va trouver le prince des prêtres. Ici s'accomplit la parole du Christ à ses disciples : « L'heure vient où quiconque vous fera mourir, croira rendre hommage à Dieu ». (Jean, XVI, 2.) Ainsi agissait Paul, mais non pourtant comme les Juifs, tant s'en fallait ! Et la preuve que c'est le zèle qui l'anime, c'est qu'il passe aux villes étrangères. Mais eux ne s'inquiétaient pas même de ce qui se passait à Jérusalem ; ils n'avaient qu'une chose en vue , l'honneur. Et pourquoi allait-il à Damas? C'était une grande ville, une ville royale; il craignait qu'elle ne fût envahie. Et voyez son empressement, voyez son ardeur, et comme il se conforme bien à la loi! Il ne va pas trouver le gouverneur, mais le prince des prêtres. « Il lui demande des lettres, afin que s'il en trouvait de cette voie ». Il applique ce mot « voie » aux croyants, parce qu'alors tout le monde les appelait ainsi, peut-être parce qu'ils suivaient la voie qui mène au ciel. Mais pourquoi ne reçoit-il pas le pouvoir de les punir sur place, mais de les conduire à Jérusalem ?

Afin que le châtiment leur fût infligé par une puissance plus élevée. Voyez dans quel péril il se jette, et aussi comme il craint que mal ne lui arrive. Il s'associe des compagnons, peut-être par peur; ou bien, comme il marchait contre une multitude, il s'entoure d'une multitude, afin de pouvoir plus hardiment « amener, enchaînés, à Jérusalem, les hommes et les femmes qu'il trouverait ». Il voulait, d'ailleurs, montrer à tous, le long du chemin, qu'il était seul l'auteur de l'entreprise, dont les autres n'avaient pas- autant de souci. Et voyez que déjà auparavant il jetait en prison. Les autres n'en avaient pas le pouvoir, mais son ardeur le lui donnait. « Et comme il était en chemin et qu'il approchait de Damas, tout à coup une lumière du ciel brilla autour de lui; et, tombant à terre, il entendit une voix qui lui disait: Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu? »

3. Pourquoi cela ne s'est-il point passé à Jérusalem? à Damas? Afin que d'autres ne pussent pas en altérer le récit, et que celui qui était parti pour un tel motif, fût cru quand il le raconterait. En effet, il l'expose lui-même, quand il se défend devant Agrippa. Ses yeux sont malades, parce qu'une lumière trop vive est nuisible; car les yeux ont leur mesure de force. On dit aussi qu'un son trop éclatant rend sourd et stupide. Mais il fut seul aveuglé, et la crainte éteignit sa colère, en sorte qu'il entendit ces paroles : « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? » On ne lui dit pas,: crois, ni rien de semblable; maison l'accuse. Et celui qui l'accuse lui dit à peu près quel tort, grand ou petit, t'ai-je fait, pour que tu agisses ainsi? « Il dit : Qui êtes-vous, Seigneur ? » Déjà il se reconnaît serviteur. Le Seigneur répondit : « Je suis Jésus que tu  persécutes ». Comme s'il disait: Ne t'imagine pas que tu fasses la guerre aux hommes. Ceux qui étaient avec lui entendirent bien la voix de Paul, mais ne virent point celui à qui il répondait. Et c'était juste : ils n'entendirent que ce qu'il y avait de moins important. Car s'ils avaient entendu cette voix, ils n'eussent pas cru : mais en voyant que Paul répondait, ils furent frappés d'étonnement. « Lève-toi, entre dans la ville, et là on te dira ce que tu dois faire ». Remarquez qu'on ne lui révèle pas tout, d'abord, qu'on se contente en premier lieu de calmer son âme et de lui donner bon espoir qu'il recouvrera la vue. « Or (85) les hommes qui l'accompagnaient demeuraient tout étonnés, entendant bien la voix, mais ne voyant personne. Saul se leva donc de terre et, les yeux ouverts, ne voyait personne. Alors le conduisant par la main, ils le firent entrer à Damas ». Ce sont les dépouilles du démon, ce sont ses instruments qu'ils introduisent, comme il est d'usage après la prise d'une ville ou d'une capitale. Et ce qu'il y a d'étonnant, c'est que ce sont des adversaires, des ennemis qui l'amènent, à la vue de tout le monde. « Et il fut trois jours sans voir, et il ne mangea ni ne but ». A-t-on jamais rien vu de semblable? La conversion de Paul console du chagrin causé par le, meurtre d'Etienne, bien que le genre de mort de celui-ci renferme en lui-même sa consolation ; et que la conversion du pais des Samaritains soit aussi un très-grand sujet de joie.

Et pourquoi, dira-t-on, cela n'est-il pas arrivé plus tôt? Pour montrer que le Christ était vraiment ressuscité. Car, comment celui qui le persécute, qui ne croit ni à sa mort ni à sa résurrection, qui s'acharne sur ses disciples ; comment, dites-moi, celui-là aurait-il cru, si le crucifié n'eût eu une grande puissance ? Les autres ont cru, soit! mais que direz-vous à celui-ci? D'ailleurs il n'est venu qu'après la résurrection, et pas immédiatement encore, afin que son hostilité devînt plus manifeste. Car ce furieux qui verse le sang, qui jette en prison, croit sur-le-champ. Ce n'était point assez qu'il ne fût pas avec le Christ, il fallait encore qu'il fit une guerre violente aux fidèles ; il n'est excès de fureur auquel il ne se livre; il est le plus emporté de tous. Mais dès qu'il a perdu la vue, il y voit un signe de la puissance et de la clémence divine. Peut-être aussi fallait-il qu'on ne le soupçonnât pas de dissimulation. Mais comment soupçonner de dissimulation un homme altéré de sang, qui va trouver les prêtres, qui se précipite dans les dangers, qui pourchasse et punit même les étrangers? Et c'est donc après tout cela qu'il reconnaît la puissance de Dieu. Et pourquoi la lumière ne (enveloppe-t-elle pas dans la ville, et non en dehors? Parce que la foule n'aurait pas cru, et s'en serait peut-être amusée; puisque un jour ceux qui étaient présents et qui avaient entendu une voix du ciel, disaient : « C'est le tonnerre ». (Jean, XII, 29.) Lui, au contraire, sera. bien plutôt cru quand il racontera ce qui le touche de si près. On le conduit enchaîné , quoique sans liens ; on traîne celui qui espérait traîner les autres. Et pourquoi ne mange-t-il ni ne boit-il? Il condamne sa conduite, il s'avoue coupable, il prie, il conjure le Seigneur. Que si l'on objecte que la nécessité l'y forçait (car il en arriva autant à Elymas) , nous répondrons : Soit ! mais Elymas demeura comme il était. Et comment se fait-il qu'il n'ait pas été forcé de croire? Eh ! qu'y avait-il de plus propre à faire violence que le tremblement de terre au moment de la résurrection; que le témoignage même des gardes qui, après tant d'autres signes, affirmaient avoir vu le Christ ressuscité? Tout cela instruit, mais ne force point à croire. Et pourquoi les Juifs n'ont-ils pas cru, bien qu'ils connussent tout cela? Il était évident que Paul disait la vérité : car si rien n'était arrivé, il ne se serait pas converti; tous devaient donc croire. Il n'était point au-dessous de ceux qui prêchaient la résurrection du Christ, il était même bien plus digne de foi, puisqu'il s'était converti subitement. Il n'avait eu de rapport avec aucun fidèle; c'est à Damas, ou plutôt près de Damas, qu'a eu lieu sa conversion. Je demande maintenant aux Juifs Pourquoi, de grâce, Paul s'est-il converti? Il a vu tant de prodiges et il ne s'est pas converti ; son maître a changé, et lui n'a point changé ; qui l'a convaincu, ou plutôt qui lui a inspiré subitement cette si grande ardeur, qui lui faisait désirer d'être anathème pour le Christ? Ici la vérité des choses apparaît dans tout son éclat. En attendant, comme je le disais tout à l'Heure, que la conduite de l'eunuque éclairé et appliqué à la lecture nous fasse rougir. Voyez-vous comme il est puissant, riche, et pourtant occupé, même en voyage? Que devait-il être chez lui, lui qui ne supportait pas même d'être oisif en route ? qu'était-il pendant la nuit?

4. Vous tous qui êtes dans les dignités, écoutez et imitez son humilité et sa piété. Quoi qu'il retournât chez lui, il ne dit point : Je rentre dans ma patrie, j'y recevrai le baptême : froid langage que tiennent la plupart. Il n'est pas besoin de signes, il n'est pas besoin de prodiges : il crut sur la parole du prophète. C'est pourquoi Paul s'afflige sur lui-même, en disant : « Moi j'ai obtenu miséricorde de Dieu, parce que j'ai agi par (86) ignorance, dans l'incrédulité, et afin qu'en moi le premier, le Christ Jésus montrât toute sa patience». (I Tim. I, 13, 16.) Certainement., cet eunuque est digne d'admiration. Il n'a point vu le Christ, il n'a point vu de miracle; il voyait Jérusalem encore debout, et il a cru à Philippe. Qui l'a donc rendu tel? son âme était pleine de sollicitude, il s'appliquait aux Ecritures, il s'adonnait à la lecture. Or le larron avait vu des prodiges, les mages avaient vu l'étoile; mais lui n'avait rien vu de pareil, et pourtant il crut , tant est utile la lecture des Ecritures ! Mais Paul, dira-t-on, ne méditait-il pas la loi? Oui, mais il me semble qu'il a été réservé à dessein pour le but que ,j'indiquais plus haut, à savoir, parce que le Christ voulait attirer les Juifs de tout côté, car rien ne pouvait leur être plus utile que sa conversion, s'ils eussent eu de l'intelligence. Elle devait plus les attirer que les signes, que tout autre moyen ; comme aussi rien n'était plus propre à scandaliser des âmes grossières. Voyez donc Dieu faire des prodiges après la dispersion des apôtres. Les Juifs avaient accusé les apôtres, les avaient jetés en prison; Dieu fait des miracles. Et voyez comment les tirer de prison, amener Philippe, attirer Paul, se montrer à Etienne : autant de signes de sa main. Et puis voyez quel honneur est fait à Paul, quel honneur à l'eunuque ! Au premier le Christ se montre, peut-être durement , parce qu'autrement il n'eût pas cru. Et nous qui sommes familiers avec ces prodiges, rendons-nous-en dignes. Beaucoup de gens entrent maintenant à l'église et ne savent pas ce qui s'y dit; mais l'eunuque, même sur la place publique, même sur son char, s'appliquait à la lecture des Ecritures.

Il n'en est pas de même de vous; personne n'a ce livre entre les mains; tout plutôt que la Bible. Mais pourquoi n'a-t-il pas vu Philippe avant d'entrer à Jérusalem, mais seulement après? Parce qu'il ne devait pas voir les apôtres chassés, vu qu'il était encore faible ; et parce qu'il n'aurait pas cru aussi facilement qu'il l'a fait après avoir été instruit par le prophète. Il en sera de même pour vous : si quelqu'un veut lire attentivement les prophètes, il n'aura pas besoin de signes; et si vous le voulez , voyons la prophétie elle-même. « Comme une brebis, il a été mené à la boucherie ; dans l'humiliation, son jugement a été aboli ». Par là l'eunuque apprit que le Christ a été crucifié, que la vie terrestre lui a été enlevée, qu'il n'avait pas commis de péché, qu'il a pu sauver les autres, que sa génération ne saurait être racontée, que les pierres se sont fendues, que le voile s'est déchiré, que les morts sont sortis de leurs tombeaux; ou plutôt Philippe lui dit tout cela en expliquant le texte du prophète. La lecture des Ecritures est donc une grande chose. Ainsi s'accomplissait la parole de Moïse : « Assis, couché, debout, marchant, souviens-toi de ton Dieu ». (Deut. VI, 7.) Les voyages surtout, quand ils se font dans la solitude, nous donnent occasion de réfléchir, parce que personne ne nous distrait. C'est en route que l'eunuque obtient la foi, et Paul aussi; mais c'est le Christ lui-même, et non un autre, qui attire Paul. Ceci dépassait le pouvoir des apôtres; le plus merveilleux encore , c'est que, quoique les apôtres fussent à Jérusalem et qu'aucun d'eux ne se trouvât à Damas, Paul revint croyant de cette ville ; et ceux qui étaient à Damas savaient qu'il n'avait point la foi en sortant de Jérusalem, puisqu'il portait des lettres pour enchaîner les fidèles. Comme un excellent médecin , le Christ l'a guéri au fort même do la fièvre; car il fallait le saisir dans l'accès de sa fureur. C'est alors que sa chute a été plus sensible, et qu'il s'est mieux condamné lui-même pour avoir formé de si criminelles entreprises. Mais il serait bon de reprendre le fil du discours que nous vous adressions. A quoi bon les Ecritures? je vous le demande? En ce qui vous regarde, elles n'existent plus. A quoi bon l'église? Enfouissez les livres; peut-être le jugement sera-t-il moins terrible, la punition moins forte. Oui, celui qui les enfouirait et ne les écouterait plus, les outragerait moins que vous ne le faites maintenant. Quel serait en effet son tort à leur égard ? De les avoir enfouis. Quel est le nôtre? De ne pas les écouter. Or, je vous le demande, lequel est le plus injurieux de ne pas répondre à qui se tait, ou de ne pas répondre à qui parle? Evidemment c'est ce dernier. Donc vous qui n'écoutez pas cette voix qui vous parle, vous commettez une plus grave injure, vous montrez un plus grand mépris. « Ne nous parlez pas », disaient autrefois les Juifs aux prophètes; mais vous, vous faites pire, en disant : Ne nous parlez pas, nous ne ferons rien. Car les Juifs engageaient les prophètes à ne pas parler, de peur (87) que leur parole ne leur inspirât quelque sentiment de piété; mais vous, par un mépris plus grand, vous ne faites pas même cela. Croyez-moi : quand vous nous fermeriez la bouche de votre propre main, vous ne commettriez pas un aussi grand outrage que maintenant. Car enfin, celui qui écoute et n'obéit pas, ne montre-t-il pas un plus grand mépris que celui qui n'écoute pas?

5. Traitons ce sujet plus à fond. Si quelqu'un contenait celui qui l'injurie et lui fermait la bouche, à cause de la peine qu'il éprouverait à se voir injurié, et qu'un autre rien eût aucun souci, n'eût pas même l'air d'y faire attention, lequel montrerait le plus grand mépris? N'est-ce pas celui-ci? Le premier fait voir qu'il sent le coup; le second ferme, pour ainsi dire, la bouche à Dieu. Ce mot nous fait horreur mais écoutez comment cela se fait. La bouche par laquelle Dieu parle, est la bouche de Dieu. Car de même que notre bouche est celle de notre âme, bien que notre âme n'ait pas de bouche; ainsi la bouche des prophètes est la bouche de Dieu. Ecoutez et tremblez. Un diacre se tient debout , élève la voix et crie : « Attention ! » et cela bien des fois. Cette voix est celle de toute l'Eglise, et personne ne fait attention. Après lui, le lecteur commente la prophétie d'Isaïe, et personne encore ne fait attention, bien que ce langage n'ait rien d'humain. Ensuite, s'adressant à l'auditeur, il dit : « Voici ce que dit le Seigneur », et personne encore n'est attentif. Que dis-je? Il raconte des choses effrayantes , horribles, et personne n'est attentif. Mais que dit la foule? — On nous lit toujours les mêmes choses. — Et voilà surtout ce qui vous perd. Quand même vous sauriez cela, ce n'est pas une raison pour en détourner votre esprit; au théâtre, le spectacle est toujours le même et vous ne vous en lassez pas. Comment osez-vous parler ainsi, vous qui ne connaissez pas même les noms des prophètes? Vous ne rougissez pas de vous excuser en disant qu'on vous lit toujours les mêmes choses, quand vous ne savez pas même les noms des écrivains, bien que vous les entendiez toujours? Vous convenez vous- même qu'on dit toujours les mêmes choses. Si je disais cela par manière de reproche, vous devriez recourir à une autre excuse, et ne pas ainsi vous accuser vous-même. Dites-moi : Ne donnez-vous point d'avis à votre fils? Et s'il vous disait que vous répétez toujours les mêmes choses, ne prendriez-vous pas cela pour une injure? Il serait permis de ne pas répéter, si nous savions bien ces choses, et que nous le prouvassions par notre conduite; et encore la lecture n'en serait-elle pas inutile. Qui égale Timothée? Et pourtant Paul lui écrit : « Appliquez-vous à la lecture et à l'exhortation ». (I Tim. IV, 13.) Car il est impossible , absolument impossible d'épuiser le sens des Ecritures; c'est une source qui n'a pas de fond. J'ai su, dit-on ordinairement, et cela m'a échappé (1).

Voulez-vous que je vous prouve que ce n'est pas toujours la même chose? A combien portez-vous le nombre de ceux qui ont parlé sur les évangiles? Eh bien ! tous ont dit quelque chose d'extraordinaire et de nouveau. Car plus on s'y applique, plus la vue devient perçante, plus on est éclairé de la pure lumière. Elles sont grandes, les choses dont je parle. Qu'est-ce qu'une prophétie, dites-le moi? qu'est-ce qu'un récit? qu'est-ce qu'une parabole? une allégorie? une figure? un symbole? les évangiles? Ou plutôt répondez seulement à cette question si claire : pourquoi les appelle-t-on évangiles? Vous avez souvent ouï dire que les évangiles ne doivent renfermer rien de triste; néanmoins ils sont remplis de passages bien sévères. « Leur feu ne s'éteindra pas et leur vie ne mourra point ». (Marc, IX, 43.) Et cet autre : « Et il le divisera et il lui donnera sa part avec les hypocrites » (Matth. XXIV, 51) ; et ceci : « Il leur dira : Je ne vous connais pas, retirez-vous de moi , vous qui commettez l'iniquité ». (Id. VII, 23.) Ne nous faisons donc point d'illusion, en nous imaginant que c'est là un langage à la façon des Grecs. Est-ce que cela ne nous regarde pas? Mais vous êtes sourds, et, dans votre stupidité, vous baissez la tête. Les évangiles, dit-on, ne doivent contenir rien de pratique, mais simplement donner de bons conseils. Et les choses pratiques y abondent, comme celle-ci : « Si quelqu'un ne hait pas son père et sa mère, il n'est pas digne de moi ». (Luc, XVI, 26.) «Je ne suis pas venu apporter la paix sur la terre, mais le glaive ». (Matth. X, 34.) « Vous aurez des tribulations dans le monde». (Jean, XVI, 33.) Voilà qui est bien, mais ce ne sont pas de bonnes nouvelles; la bonne nouvelle, c'est ceci : vous aurez tels biens; comme on se dit

 

1 Une note du texte dit que cette phrase ne se lie point avec ce qui précède.

 

familièrement les uns aux autres : qu'ai-je à faire avec les évangiles? Votre père ou votre mère viendra. L'évangile ne dit pas : Faites cela ! Dites-moi donc encore: quelle différence y a-t-il entre les évangiles et les livres des prophètes? Pourquoi ceux-ci ne s'appellent-ils pas évangiles? car ils disent les mêmes choses, comme, par exemple : « Le boiteux sautera comme un cerf ». (Isaïe, CXXV, 6.); « Le Seigneur donnera la parole à ceux qui évangélisent ». (Ps. LVII.) « Je vous donnerai un ciel nouveau et une terre nouvelle ». (Isaïe, LXV, 17.) Pourquoi ces livres ne s'appellent-ils pas évangiles? Pourquoi l'évangile ne s'appelle-t-il pas prophétie? Mais si, ne sachant pas même ce que c'est que les évangiles, vous méprisez ainsi la lecture des Ecritures, que vous dirai-je ? Je vous dirai encore autre chose : Pourquoi quatre Evangiles? Pourquoi pas dix? Pourquoi pas vingt? Pourquoi un plus grand nombre n'ont-ils pas entrepris de composer des évangiles ? Pourquoi pas un seul? Pourquoi des disciples? Pourquoi d'autres qui n'étaient pas disciples? En deux mots, pourquoi les Ecritures ? Pourtant l'Ancien Testament dit le contraire : « Je vous donnerai un Testament nouveau ». (Jér. XXXI, 31.)

Où sont ceux qui disent : c'est toujours la même chose? Vous ne parleriez pas ainsi , si vous saviez que quand même un homme vivrait dix mille ans, il n'y trouverait pas toujours la même chose. Croyez-moi bien : je ne résoudrai aucune de ces questions ni en particulier, ni en publie; si quelqu'un trouve la solution , j'approuverai par un signe de tête; sinon je resterai tranquille. Nous avons fait de vous des hommes inutiles, en expliquant toujours tout sur-le-champ, et en ne refusant pas quand il aurait fallu. Vous avez maintenant de nombreuses questions : étudiez-les, cherchez en la raison. Pourquoi évangiles? Pourquoi pas prophéties ? Pourquoi des choses pratiques dans les évangiles? Si quelqu'un- est embarrassé, qu'un autre cherche, et communiquez-vous le fruit de vos réflexions; quant à nous, nous garderons le silence. Car si ce que nous avons dit jusqu'ici ne vous a servi à rien, ce que nous pourrions ajouter serait encore plus inutile. En vérité, nous puisons dans un tonneau percé; mais votre punition n'en sera que plus terrible. Nous nous tairons donc. Il dépend de vous qu'il n'en soit pas ainsi. Si nous voyons en vous du zèle, peut-être reprendrons-nous la parole, afin que vous deveniez de plus en plus agréables à Dieu et que nous nous réjouissions en vous : glorifiant en tout Dieu, le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartiennent la gloire, la puissance, la grandeur et l'honneur, avec le Père, qui n'a pas de commencement, et son Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

Traduit par M. l'abbé DEVOILE.

 

 

 

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