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SERMON
POUR
LE DIMANCHE DE QUASIMODO,
SUR LA PAIX FAITE ET ANNONCÉE
PAR JÉSUS-CHRIST (a).
Venit Jesus, et stetit in medio, et dixit eis : Pax
vobis. Joan., XX, 19.
La justice et la paix sont deux
intimes amies ; elles se baisent, dit le Roi-Prophète, et se tiennent si
étroitement embrassées, que nulle force n'est capable de les désunir :
Justitia et pax osculatœ sunt (1). Où la justice n'est pas reçue, il ne faut
pas espérer que la paix y vienne ; et c'est pourquoi les crimes des hommes ayant
chassé la justice par toute la terre, la paix aussi les avait quittés et s'était
retirée au ciel, qui est le lieu de son origine. Mais après que la mort de notre
Sauveur a eu rétabli (b) la justice par la rémission des péchés, la paix
sa fidèle compagne a commencé de paraître aux hommes avec ce visage tranquille
qui porte la joie dans le fond des cœurs : Pax vobis, dit le Fils de Dieu
; et saint Paul publiant par toute la terre la paix que le Fils de Dieu nous a
méritée , écrit aux Romains ces grandes paroles : « Etant donc justifiés par la
foi, nous sommes en paix avec Dieu par Notre-Seigneur Jésus-Christ (2), »
reconnaissant bien, chrétiens, qu'on ne peut être en paix avec Dieu sans être
revêtu de sa justice (c). Cette paix accordée entre Dieu et l'homme par
la médiation du
1 Psal. LXXXIV, 11. — 2 Rom., v, 1.
(a) Prêché à Metz en 1658, ou à Paris en 1659.
Inutile de signaler les traits qui dénoncent, dans ce
sermon, la fin de la première époque ou le commencement de la deuxième : le
lecteur les remarquera lui-même au premier coup d'œil.
(b) Var. : Mais aussitôt que la mort de
notre Sauveur a eu rétabli : — mais la mort de notre Sauveur ayant rétabli. — (c)
Nous avons la paix avec Dieu par Notre-Seigneur Jésus-Christ, reconnaissant
bien, chrétiens, que pour être en paix avec Dieu, il faut être revêtu de la
justice.
202
sauveur Jésus étant le sujet principal de notre évangile ,
sera la matière de ce discours.
Le déluge est passé, les
cataractes du ciel se sont refermées : le Fils de Dieu (a) ayant soutenu
tous les flots de la colère divine qui venaient accabler les hommes, les eaux
maintenant se sont retirées, la colombe s'approche de nous avec une branche
d'olive, Jésus-Christ s'avance au milieu des siens et leur annonce que la paix
est faite : Et dixit eis : Pax vobis. A ce mot de paix, chrétiens , tous
les cœurs sont saisis de joie, tous les troubles s'évanouissent , toutes les
premières terreurs se dissipent ; les apôtres épouvantés se rassurent voyant le
Seigneur, et ne se lassent d'admirer celui qui ayant été par sa grâce l'unique
négociateur de cette paix, leur en vient encore lui-même donner la nouvelle :
Gavisi sunt discipuli viso Domino (1).
Les apôtres (b) ne sont
pas les seuls qui doivent se réjouir en Notre-Seigneur de ce traité de paix
admirable ; et comme nous y avons été compris avec eux, nous devons participer à
leur joie commune. Nous étions des sujets rebelles qui ne pouvions éviter la
juste vengeance qui était due à notre révolte ; et enfin notre souverain (c)
nous donne la paix. O Dieu, qui nous dira le secret de cette importante
négociation? De quelle sorte s'est fait ce traité? Quelles conditions nous
a-t-on données (d) ? Quels fruits recevra la nature humaine de cette
sainte et divine paix? C'est ce qu'il faut tâcher de vous faire entendre, et
trois circonstances de notre évangile nous en donneront l'éclaircissement.
Je remarque premièrement que
Jésus paraissant au milieu des siens et leur donnant le salut de paix, « il leur
montre en même temps ses mains et ses pieds : » Et cùm hoc dixisset, ostendit
eis manus et pedes (2), c'est-à-dire les cicatrices de ses plaies (e)
sacrées. Je vois secondement dans mon évangile que les apôtres étaient retirés,
que « les portes étaient fermées, » et fores essent clausœ (3), nul n'y
pouvait entrer que le Fils de Dieu ; si bien que les voyant
1 Joan., XX, 20. — 2 Luc, XXIV, 40. — 3
Joan., XX, 19.
(a) Var. : Jésus-Christ. — (b) Les
disciples. — (c) Notre prince. — (d) Quelles conditions nous
impose-t-on ? — (e) De ses blessures.
203
séquestrés du monde, il vint tout à coup leur donner la
paix (a) : Pax vobis. Et il redoubla encore une fois nette
bienheureuse salutation, lorsqu'il vit qu'ils le regardaient et ne s'attachaient
qu'à lui seul : Dixit ergo eis iterùm ; Pax vobis (1). Enfin la troisième
chose que j'ai observée, c'est qu'il leur fait présent de ses dons célestes, il
leur donne son Saint-Esprit : Accipite Spiritum sanctum (2). Il les
envoie par toute la terre le porter à tous les fidèles : « Comme mon Père m'a
envoyé, ainsi, dit-il, je vous envoie ; » allez-vous-en étendre par tous les
peuples la grâce qui vous a été accordée : « Ceux dont vous remettrez les
péchés, j'entends qu'ils leur soient remis : » Sicut misit me Pater, et ego
mitto vos;.... quorum remiseritis peccata, remittuntur eis (3). Voilà
trois circonstances de notre évangile , lesquelles , Messieurs, si nous
entendons (b), nous y lirons manifestement toute l'histoire de notre
paix. Vous demandez par quels moyens elle a été faite, et le Fils de Dieu vous
montre ses plaies ; vous désirez en savoir les conditions, regardez dans son
Evangile (c) ses disciples séquestrés du monde, qui n'ont d'attachement
qu'à lui seul ; vous en voulez enfin connaître les fruits, voyez le Saint-Esprit
répandu et les dons du ciel versés sur les hommes.
Mais peut-être que ce mystère de
paix ne vous paraît pas encore assez clairement ; mettons-le, s'il se peut, dans
un plus grand jour, et réduisons en peu de paroles tout l'ordre de notre dessein
sur le fondement de notre évangile. Ma proposition générale, c'est que le Fils
de Dieu a fait notre paix; et pour vous en expliquer le particulier, je dirai
premièrement, chrétiens, que le moyen dont il s'est servi c'a été sa mort, et
c'est ce qu'il nous enseigne en montrant ses plaies. Secondement je vous ferai
voir que la condition qu'il nous impose, c'est de renoncer aux intelligences que
nous avions avec le monde et les autres ennemis de Dieu ; c'est pourquoi il ne
donne sa paix qu'à ceux qu'il trouve retirés du monde. Enfin je conclurai ce
discours, en vous
1 Joan., XX, 21. — 2 Ibid., 22. — 3 Ibid.,
21, 23.
(a) Var. : Nul n'y pouvait entrer, lorsqu'il
vint tout à coup leur donner la paix. — (b) Pour : si nous entendons
lesquelles, c'est-à-dire si nous les entendons. — (c) Vous désirez savoir
les conditions, il vous montre dans son Evangile ses disciples séparés du monde.
204
proposant (a) les fruits admirables de cette sainte
et divine paix par le rétablissement du commerce entre le ciel et la terre ; et
c'est ce que le Fils de Dieu nous fait bien entendre en donnant son Esprit à ses
saints apôtres, et les envoyant par tout l'univers pour y répandre de toutes
parts les trésors célestes. C'est en peu de mots, chrétiens, toute l'histoire de
notre paix. La mort du Fils de Dieu en est le moyen ; renoncer aux
intelligences, la condition, le commerce rétabli, la suite et le fruit. Soyez
attentifs , chrétiens ; et s'il reste quelque obscurité, elle sera bientôt
dissipée (b) avec le secours de la grâce.
PREMIER POINT.
Pour vous expliquer la manière
dont s'est faite la paix de Dieu et des hommes, j'avancerai d'abord une chose
qui n'a d'exemple dans aucune histoire, que cette paix se devait conclure par la
mort violente de l'ambassadeur qui était député pour la négocier. Voilà une
proposition inouïe parmi tous les peuples du monde , mais que la doctrine de
l'Evangile nous fait voir très-indubitable. Que Jésus-Christ soit l'ambassadeur
du Père éternel, et son ambassadeur pour traiter la paix, toute l'Ecriture nous
le témoigne ; il se dit toujours l'envoyé du Père ; et son envoyé vers les
hommes; et qu'il soit envoyé pour traiter la paix, non-seulement ses paroles,
mais tout l'ordre de ses desseins le fait bien connaître. C'est pourquoi saint
Paul assure que « il est notre paix, » ipse enim est pax nostra (1) ; et
que le sujet de sa mission, c'est la réconciliation de notre nature : Deus
erat in Christo mundum reconcilians sibi (2). Combien devait être vénérable
aux hommes ce grand et céleste envoyé du Père ! Outre la dignité de sa personne,
nous le pouvons encore aisément juger par le titre d'ambassadeur, et
d'ambassadeur de la paix.
Qu'est-il nécessaire que je vous rapporte ce que nul de mes
auditeurs (c) ne peut ignorer, que la personne des ambassadeurs est
sacrée et inviolable ? C'est comme un traité solennel où la foi publique du
genre humain est intervenue, que l'on puisse députer
1 Ephes., II, 14. — 2 II Cor.,
V, 19.
(a) Var. : En vous expliquant. — (b)
Eclaircie. — (c) Nul homme vivant.
205
librement pour traiter de la paix et de l'alliance , ou des
intérêts communs des Etats ; et violer cette loi consacrée par le droit des gens
et que la barbarie même n'a pas effacée dans les âmes les plus farouches, c'est
se déclarer ennemi public de la paix, de la bonne foi et de toute la nature
humaine. Dieu même, comme protecteur de la société du genre humain, est
intéressé dans cette injure ; tellement que celle qu'on fait aux ambassadeurs
n'est pas seulement une perfidie, mais une espèce ds sacrilège.
Et voici que Jésus Fils du Dieu
vivant, le divin Jésus, Jésus envoyé aux hommes (a) pour faire leur paix,
ô commission sainte et vénérable, a été maltraité par eux jusqu'à être attaché à
un bois infâme ! Toute la majesté de Dieu est violée manifestement par cette
action, non-seulement parce qu'il est son ambassadeur, mais encore parce qu'il
est son Fils bien-aimé. Et néanmoins, ô prodige étrange ! cette mort qui devait
rendre la guerre éternelle, c'est ce qui conclut l'alliance (b) ; ce qui
a tant de fois armé les peuples a désarmé tout à coup le Père éternel ; et la
personne sacrée de son envoyé ayant été violée par un si indigne attentat,
aussitôt il a fait et signé la paix. Voici un mystère (c) : Dieu est
irrité justement contre la malice des hommes; et lorsque parle meurtre de son
envoyé, de son Christ, de son Fils unique, ils ont ajouté le comble à leurs
crimes , c'est alors qu'il commence d'oublier les crimes.
Qui sera le sage et
l'intelligent qui nous développera ce secret, et qui nous apprendra nettement ce
que Dieu a trouvé de si agréable dans la mort de son Fils unique, qu'elle lui
ait fait pardonner les péchés du monde? Ce sera, Messieurs, saint Augustin qui
nous en donnera le fondement dans les traités qu'il a faits sur la première
Epître de saint Jean. Il a remarqué comme trois principes de la mort de
Notre-Seigneur. Il a, dit-il, été livré à la mort par trois sortes de personnes.
Il a été livré par son Père ; saint Paul : « Il n'a point épargné son propre
Fils (d), mais il l'a livré; pour nous tous (2). » Il a été livré par ses
ennemis ; Judas l'a
1 Tract. VII, n. 7. — 2
Rom., VIII, 32.
(a) Var. : Et néanmoins votre ambassadeur, ô
Père céleste, le divin Jésus envoyé aux hommes. — (b) C'est elle-même qui
conclut le traité de paix. — (c) Incroyable.— (d) Il n'a point
pardonné à son propre Fils.
206
livré aux Juifs : Ego vobis eum tradam (1), les
Juifs l'ont livre à Pilate : Tradiderunt Pontio Pilato judici (2); Pilate
l'a livré aux soldats pour le mettre en croix : Tradidit militibus ad
crucifigendum (3). Non-seulement, Messieurs, il a été livré par son Père et
livré par ses ennemis, mais encore livré par lui-même. Saint Paul en est touché
jusqu'au fond de l’âme, lorsqu'il écrit ainsi aux Galates : « Ce que je vis
maintenant, je vis en la foi du Fils de Dieu qui m'a aimé et s'est livré
lui-même pour moi, » et tradidit semetipsum pro me (4). Voilà donc le
Fils de Dieu livré à la mort par de différentes personnes et par des motifs bien
opposés. Son Père l'a livré pour satisfaire à sa justice irritée : Non
pepercit, dit saint Paul (5); Judas l'a livré par avarice, les Juifs
par-envie, Pilate par lâcheté, et lui-même par obéissance.
Dans ces volontés si diverses il
nous faut rechercher, mes Frères, ce qui a pu faire la paix des hommes, et pour
cela il est nécessaire d'en examiner les différences. Chose admirable, Messieurs
; nous trouvons dans un même fait le Père et le Fils, Judas et les Juifs. Le
Père et le Fils y ont concouru par une bonne volonté, c'a été par l'amour de la
justice ; Judas au contraire et les Juifs par une volonté très-méchante, ç'a été
pour contenter leurs mauvais désirs. Voilà déjà quelque différence, mais nous ne
voyons pas encore bien distinctement ce qui a produit notre paix. Il est temps
enfin de le dire.
Mettons ce mystère en plein
jour, et voyons ce qui nous a réconciliés. Les Juifs ont livré Jésus-Christ, et
en le livrant par envie ils ont ajouté le comble à l'iniquité : ce n'est pas
pour attirer le pardon des crimes. Le Père éternel l'a livré aussi, il l'a fait
par une volonté équitable (a) ; il s'est pris à la caution, la partie
principale étant insolvable ; il a exigé de la caution le paiement de la dette ;
sans doute cette pensée était juste (b) ; mais je ne vois pas encore
notre paix conclue : je vois au contraire un Dieu qui se venge et qui exige ce
qui lui est dû de son propre Fils ; il faut (c) autre chose, mes Frères,
pour la réconciliation de
1 Matth., XXVI, 15. — 2 Ibid.,
XXVII, 2. — 3 Ibid., 26. — 4 Galat., n, 20. —5
Rom., VIII, 32.
(a) Var : Par nue volonté pleine de justice,
ç'a été par une volonté équitable.— (b) Je ne vois rien que de juste dans
cette pensée. — (c) Qui ne voit qu'il faut.
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notre nature. Mais entre ces Juifs méchants et injustes et
un Dieu juste mais sévère ; entre ces hommes injustes qui multipliant leurs
crimes augmentent leurs dettes , et ce Père rigoureux qui exige si sévèrement (a)
ce qui lui est dû, je vois (b) un Fils soumis et obéissant, qui prend sur
soi volontairement et tout ce que les hommes doivent et tout ce que le Père peut
exiger : ce que Dieu a ordonné par justice, ce que les hommes ont accompli par
envie, il l'accepte humblement par obéissance. Chrétiens, ne craignons plus,
notre paix est faite. Dieu exige, Jésus-Christ le paie. Les hommes multiplient
leurs dettes, mais Jésus-Christ se charge encore de cette nouvelle obligation.
Son mérite infini est capable de porter et de payer tout. Si tous les hommes
sont dus comme des victimes à la justice divine, une victime de la dignité du
Fils de Dieu peut remplir la place de toutes les autres.
Ainsi vous le voyez, chrétiens,
ce grand mystère du christianisme. L'ambassadeur est mort, et la paix est
conclue : la mort du Fils apaise le Père. Il trouve de quoi s'irriter beaucoup
dans l'attentat commis contre un Dieu, mais il trouve encore plus de quoi
s'apaiser dans l'obéissance d'un Dieu. La mort acceptée est capable d'effacer le
meurtre commis (c) : « Qu'ils viennent seulement,
(a) Var. : avec une sévérité incroyable. — (b)
Je découvre. — c) Chose étrange, dit saint Augustin, nous trouvons dans le même
fait le Père et le Fils Judas et Pilate et les Juifs. Tous livrent le Fils de
Dieu au supplice, tous le livrent par leur volonté; et néanmoins la volonté «les
uns est très-bonne, et celle des autres est très-criminelle. Ce sont les motifs
qui les distinguent. Le Père éternel a livré son Fils comme caution des pécheurs
par un sentiment de justice: c'est ce qui fait dire à saint Paul : « Il n'a pas
pardonné à son propre Fils ( Rom., VIII,32). » Judas l'a livré par
lâcheté, les Juifs l'ont livré par envie, Pilate par acheté et lui-même par
obéissance. Parmi ces motifs opposés, ne pourrons-nous pas découvrir quelle est
la cause de notre paix? Les hommes ont livré Jésus-Christ ; et en le livrant
avec injustice, ils ont ajouté le comble à l'iniquité : ce n'est pas pour faire
la paix ni pour attirer le pardon des crimes. Le Père éternel l'a livré aussi;
il l'a fait par une volonté pleine de justice; il s’est pris à la caution des
pécheurs, la partie principale étant insolvable. Je ne vois rien que de juste
dans cette pensée, mais je ne vois pas encore notre paix conclue. Je vois au
contraire un Dieu qui se venge et qui exige ce qui lui es! dû de son propre
Fils: qui ne voit qu'il faut antre chose, Messieurs, pour la réconciliation de
notre nature? Au milieu des hommes qui doivent et qui multipliant leur crimes
augmentent leurs dettes, et un Dieu qui exige ce qui lui est dû avec une
sévérité invariable, je découvre un Fils soumis et obéissant, qui prend sur soi
volontairement et tout ce que les hommes doivent et tout ce que le Père peut
exiger; ce que Dieu a ordonné par justice, ce que les hommes ont accompli par
envie, il l'accepte humblement par obéissance. Mais le sang versé de son Fils
irrite de nouveau sa colère. Il est vrai, mais ce même sang peut apaiser sa
colère. En tant que répandu par les Juifs, ce sang de Jésus-Christ crie
vengeance; en tant que présenté par Jésus-Christ, ce même sang crie miséricorde.
Mais la voix que Jésus-Christ pousse est sans doute la plus puissante; quelque
grande que soit la malice d'un attentat commis contre un Dieu, il y a encore
plus de dignité dans l'obéissance d'un Dieu. Ainsi la miséricorde remporte et
voilà ce grand mystère du christianisme. L'ambassadeur est mort, et la paix
enfin est conclue. Ne parlons plus du crime des Juifs, parlons de l'obéissance
du Fils de Dieu. Ceux-là ont commis un crime exécrable, celui-ci a accepté une
mort honteuse, et cette mort acceptée est capable d'effacer le meurtre commis.
Qu'ils viennent seulement, ces bourreaux qui ont mis la main sur Jésus-Christ;
qu'ils viennent, dit saint Augustin.....
208
ces bourreaux qui ont mis la main sur Jésus-Christ ; qu'ils
viennent, dit saint Augustin (1), boire par la foi ce sang qu'ils ont répandu
par la cruauté, et ils trouveront leur rémission même dans le sujet de leurs
crimes. » Si la grâce, si le pardon, si la paix et l'alliance s'étend jusqu'à
eux, eh! que peuvent craindre les autres ?
Non. mes Frères, ne doutons plus
que nous ne soyons réconciliés. Allons au cénacle avec les apôtres recevoir de
Jésus-Christ le salut de paix, et adorer ses plaies qu'il leur montre. Je ne
m'étonne plus si l'Evangéliste remarque que le Fils de Dieu leur donnant la
paix, « leur découvre ses pieds et ses mains percés, » et ostendit eis manus
et pedes (2); c'est que ces blessures ont fait notre paix ; c'est qu'il veut
que nous en lisions le traité, la conclusion, la ratification infaillible dans
ces cicatrices sacrées. Il les veut porter jusque dans le ciel, afin que si son
Père s'irrite contre la malice des hommes, il puisse continuellement lui
représenter dans ces divines blessures une image du sacrifice qui l'a apaisé. Il
nous a laissé sur la terre une image de ce sacrifice dans l'adorable
Eucharistie. Il en a aussi emporté une dans le ciel dans les empreintes de ces
plaies sacrées. C'est là toute notre espérance, c'est l'unique appui des
pécheurs. Cet agneau mystique de l’Apocalypse, qui paraît toujours devant
le trône, et y paraît « toujours comme mort, » tanquam occisum (3);
c'est-à-dire ce divin Jésus qui se montre au Père céleste avec les marques de sa
mort sanglante, avec ces cicatrices salutaires encore toutes fraîches et toutes
vermeilles, toutes teintes si je l'ose dire de ce sang précieux et innocent qui
a pacifié le ciel et la terre ; c'est ce qui me
1 Serm. LXXVII, n. 4. — 2 Luc, XXIV, 40. — 3
Apoc., V, 6.
209
fait approcher du trône de Dieu avec une pleine confiance,
sachant bien que « si j'ai péché, j'ai un avocat près du Père, Jésus-Christ le
Juste (1). » Mais que cette confiance, Messieurs, n'entretienne pas notre
dureté, et ne nous endorme pas dans nos crimes. Ces plaies qui paraissent pour
nous dans le ciel, paraîtront contre nous dans le jugement : Videbunt in quem
transfixerunt (2) : « Ils verront celui qu'ils ont percé. » Ils verront les
cicatrices de ces plaies sacrées qui font maintenant notre paix, mais qui
crieront alors hautement vengeance contre notre endurcissement, et contre
l'ingratitude de ceux qui n'auront pas accompli la condition que ce bienheureux
traité nous impose.
SECOND POINT.
Durant le temps de notre
révolte, nous avons pris des engage-mens, nous avons entretenu des
correspondances avec les ennemis de notre prince; et comme dit le prophète
Isaïe, Percussimus fœdus cum morte et cum inferno fecimus pactum (3) : «
Nous avons fait un traité avec la mort et lié une société avec l'enfer, »
c'est-à-dire que nous sommes entrés avec le monde dans des attachements
criminels. Maintenant pour jouir du bénéfice de cette paix (a) que notre
céleste Médiateur a négociée, il faut renoncer à tous ces traités et rompre pour
jamais ces intelligences; c'est la condition qu'on nous impose, et elle est
couchée en termes formels dans le même prophète Isaïe : Delebitur fœdus
vestrum cum morte et pactum vestrum cum inferno non stabit (4) : « Votre
traité avec la mort sera cassé et votre pacte avec l'enfer ne tiendra pas. »
Pour entendre solidement cette
unique condition de notre paix, il faut remarquer avant toutes choses avec saint
Augustin en divers endroits, mais il le dit admirablement sur le psaume CXXXVI,
« qu'il y a deux cités diverses mêlées de corps, séparées de cœur, qui suivent,
dit-il, le courant du siècle jusqu'à ce que le siècle finisse : » Duas
civitates permixtas corpore et corde separatas, currere per ista volumina
sœculorum usque in finem (5).
1 I Joan., II, 1. — 2 Joan.,
XIX, 37. — 3 Isa., XXVIII, 15. — 4 Ibid., 18. — 4 In
Psal. CXXXVI, n. 1.
(a) Var. : Pour jouir de la paix.
210
L'une enferme dans son enceinte les enfants de Dieu, et se
nomme Jerusalem; l'autre contient les hommes du monde, et s'appelle
Babylone. Il n'est rien de si opposé que ces deux villes. Babylone, dit saint
Augustin (1), a pour sa fin la paix temporelle, et la sainte Jérusalem se
propose la paix de l'éternité. Les princes en sont ennemis, les coutumes toutes
dissemblables, les lois entièrement opposées. Saint Paul distingue deux sortes
de lois (2) : il y a la loi de l'esprit, elle gouverne dans Jérusalem ; il y a
la loi de la chair, elle règne dans Babylone. Les citoyens de Jérusalem ne
doivent jamais sortir de ses murailles, tout commerce leur est interdit avec
cette cité criminelle, de peur qu'ils ne souillent leur pureté dans ses
continuelles profanations.
Mais où donc pourra-t-on bâtir
cette cité innocente? Quelles montagnes assez hautes, quelles mers et quel océan
assez vaste sera capable de la séparer (a) de cette autre cité corrompue?
Ne recherchons pas, chrétiens, une place qui la sépare ; elle ne doit pas en
être éloignée par la distance des lieux; dessein certainement bien étrange.
Jérusalem est bâtie au milieu même de Babylone; ces peuples, dont les lois sont
si différentes et les desseins si incompatibles, enfin qui ne doivent point
avoir de commerce ensemble , sont néanmoins mêlés par toute la terre. D'où vient
ceci, grand Dieu ? quelle étrange confusion ! Vous qui avez si sagement et avec
tant d'ordre rangé chaque chose (b) en sa place, pourquoi ne voulez-vous
point séparer les bons de la troupe des méchants et des impies ? « Ils seront,
dit saint Augustin, mêlés de corps, mais ils seront séparés de cœur (3). » Ce
n'est pas ici le lieu, chrétiens, de chercher la raison de ce mélange; disons
seulement en passant que ce même Dieu tout-puissant qui a sauvé les enfants dans
la fournaise, et Daniel parmi les lions (4) ; qui a gardé la famille de Noé sur
un bois fragile contre la fureur inévitable des eaux universellement débordées,
et celle de Lot de l'embrasement et des monstrueuses voluptés de Sodome; qui a
fait luire à ses enfants une merveilleuse lumière parmi ces ténèbres épaisses (c)
1 In
Psal. CXXXVI, n. 2. — 2
Rom., VII, 23. — 3 Loco inox
citato. — 4 Dan. VI, 16-23.
(a) Var. : La pourrait assez séparer. — (b)
Toute chose. — (c) Ces épaisses ténèbres.
211
qui enveloppaient toute l'Egypte : ce même Dieu a entrepris
de faire éclater son pouvoir, en conservant l'innocence dans le cœur des siens
au milieu de la dépravation générale. Mener une vie innocente loin de la
corruption commune, ce n'est pas une épreuve assez difficile pour connaître la
fidélité de ses serviteurs; mais les laisser avec les méchants et leur faire
observer la justice, leur faire respirer le même air et les préserver de la
contagion, les laisser mêlés dans l'extérieur et rompre le commerce au dedans,
l'œuvre est digne de sa puissance, l'épreuve est digne de ses élus. C'est
pourquoi Dieu a voulu établir cet ordre; mais, chrétiens, qu'il est mal suivi !
Nous qui sommes par notre baptême les citoyens de Jérusalem, que nous avons de
commerce avec cette ville ennemie ! Nous nous embarquons tous les jours sur les
fleuves de Babylone. Qu'est-ce à dire ceci, mes frères? Quels sont ces fleuves
de Babylone ? Saint Augustin nous l'expliquera. « Les fleuves de Babylone,
dit-il, c'est tout ce qu'on aime et qui passe : » Flumina Babylonis sunt
omnia quœ hic amantur et transeunt (1), c'est-à-dire les biens périssables.
Nous voyons ces fleuves passer devant nous, ces fleuves des plaisirs du monde;
nous voyons les voluptés couler devant nous, les eaux nous en semblent claires,
et dans l'ardeur de l'été on trouve quelque douceur à s'y rafraîchir, le cours
en paraît tranquille, et on s'embarque aisément dessus, et on entre bien avant
par ce moyen dans le commerce de cette cité criminelle. Mais que signifie ce
commerce? Il est bien aisé de l'entendre. Ce n'est pas seulement, Messieurs,
être emporté quelquefois par les fleuves de Babylone ; c'est y entretenir ses
intelligences, c'est y avoir ses parties liées ; c'est être de ces intrigues
malicieuses, de ces cabales de libertinage ; enfin c'est avoir le cœur attaché
où Dieu ne le permet pas. Ceux qui sont du monde de cette manière, n'en sont pas
seulement par emportement : ils en sont par traités exprès, par une formelle
conspiration contre la profession chrétienne (a). La paix de Jésus-Christ
n'est pas pour eux, s'ils n'acceptent la condition de quitter aujourd'hui ces
intelligences.
1 In
Psal. CXXXVI, n. 3.
(a) Note marg. — C'est ce traité avec la mort, c'est
cette alliance avec l'enfer.
212
Mais, chrétiens, qu'il est
malaisé de tirer d'eux ce consentement ! Que le cœur est violenté lorsqu'il faut
abandonner cet ancien commerce ! La solennité pascale est venue, où la voix
publique de toute l'Eglise presse les pécheurs les plus endurcis à retourner à
Dieu par la pénitence. Combien ce cœur a-t-il combattu ? combien a-t-il eu de
peine à se rendre ? Enfin il est venu à ce tribunal où Jésus-Christ accorde la
paix à quiconque y vient chercher (a) sa miséricorde. Eh bien, as-tu
accepté la condition ? As-tu renoncé de bonne foi à ces intelligences secrètes
où t'avait engagé ta rébellion? C'est ce que Dieu exige de nous; et saint Paul
nous en montre la nécessité par ces paroles convaincantes : « Si nous sommes des
créatures nouvelles, donc nos anciennes pensées sont évanouies, tout doit être
nouveau en nous, et tout cela vient de Dieu qui nous a réconciliés par
Jésus-Christ (1) ; » c'est-à-dire si nous l'entendons, que vous étant
réconciliés, vous ne devez pas vivre de la même sorte (b), ni avoir les
mêmes correspondances que lorsque vous étiez séparés de Dieu. Maintenant que
vous êtes rentrés en paix avec lui, la nouvelle obligation de ce traité demande
que vous preniez d'autres liaisons : Vetera transierunt, ecce facta sunt
omnia nova.
Entrons donc, mes Frères, avec
les apôtres dans cette retraite mystérieuse; vivons désormais séparés du monde
et de toutes ses vanités, et de toutes les intelligences que nous y avons
contractées contre le service de Dieu. Ce sera dans cette retraite que
Jésus-Christ nous viendra donner le salut de paix. Si nous n'y avons pas les
joies de la terre, nous aurons la joie de voir le Seigneur. Si la source des
plaisirs mortels est tarie pour nous, nous y aurons les plaies de Jésus, sources
inépuisables de douceurs célestes. Enfin le commerce du monde rompu ne sera pas
capable de nous affliger, si nous y méditons sérieusement le commerce rétabli
avec le ciel par la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ ; et c'est ce qui me
reste à vous dire.
1 II Cor., V, 17, 18.
(a) Var. : Implorer. — (b)
C'est-à-dire que nous étant réconciliés, nous ne devons pas vivre.....
213
TROISIÈME POINT.
C'est notre charitable
Ambassadeur qui a rétabli en sa personne le commerce entre le ciel et la terre.
Il est venu du ciel, qui est son pays et son naturel héritage, il est entré en
société avec les habitants de la terre ; et étant dans cette nation étrangère, «
il y a exercé, dit saint Augustin, un saint et admirable trafic. » Il a pris de
nous les fruits malheureux qu'a produits cette terre ingrate ; et que nous
a-t-il donné en échange ? car c'est ce qu'il faut pour le trafic. Il nous a
apporté les biens véritables que produit cette céleste patrie, la grâce, la
miséricorde , et le Saint-Esprit, (a) Je vois dans l'histoire de mon
évangile qu'il le répand abondamment sur ses disciples par le souffle de sa
bouche divine : « Recevez, dit-il, le Saint-Esprit (1). » Il envoie ses
disciples par tout l'univers pour y publier la paix, l'amnistie, l'abolition
générale de tous les péchés, et faire part à tous les croyants des grâces
célestes qu'ils ont reçues. Mais je laisse toutes ces choses, afin que je vous
découvre une belle doctrine de notre évangile (b), touchant le
rétablissement du commerce entre le ciel et la terre en conséquence de la paix
conclue.
C'est une chose d'expérience,
que lorsque deux Etats sont ennemis, ils n'ont point d'ambassadeurs les uns chez
les autres, parce que n'y ayant point de société et le commerce étant rompu
entre les deux peuples, il n'y a point par conséquent d'intérêt commun qui doive
être traité (c) par ambassadeurs. Mais lorsque l'alliance et le commerce
sont entièrement rétablis, une des marques les plus sensibles de réconciliation
et de paix, c'est de voir de part et d'autre des ambassadeurs et des résidents,
pour traiter les intérêts communs des deux peuples confédérés. La paix que Dieu
fait avec les mortels est accompagnée de toutes les marques d'une parfaite
réunion ; c'est pourquoi toutes les hostilités étant
1 Joan., XX, 22.
(a) Note marg. : Hœc enim mira commutatio fada
est et divina sunt peracta commercia, mutatio rerum celebrata in hoc mundo à
Negotiatore cœlesti. Venit accipere contumelias, dure honores ; venit haurire
dolorem, dure salutem; venit , subire modem, dare vitam. (S. Aug., In Ps.
XXX, Enarr. II, n° 3.) — (b) Var. ; Mais je laisse toutes ces
choses : il faut que je vous découvre.....— (c) Qui demande d'être
traité.
214
cessées entre le ciel et la terre et le commerce étant
entièrement rétabli (a), Dieu veut avoir ici ses agents, et il nous
permet aussi d'en avoir au ciel pour y ménager nos intérêts. Que Dieu ait ses
agents sur la terre, vous le voyez dans notre évangile : « Comme mon Père m'a
envoyé, ainsi, dit le Fils de Dieu, je vous envoie (1) ; allez au nom de. mon
Père et du mien annoncer par tout l'univers la rémission des péchés (2). » Vous
êtes nos ambassadeurs avec un pouvoir si peu limité, que tout ce que vous ferez
au monde nous le ratifierons dans le ciel : Quorum remiseritis peccata,
remittuntur eis (3).
Voilà Dieu qui établit ses
agents dans la Jérusalem terrestre. Qui sera le nôtre, mes frères, dans la
céleste Jérusalem? Ce Jésus qui a fait la paix, ce Jésus qui paraît dans notre
évangile glorieux et ressuscité, prêt à retourner à son Père , c'est lui-même ,
n'en cherchons point d'autre ; c'est lui qui étant venu de la part de Dieu pour
traiter ses intérêts avec les hommes, remontera bientôt dans le ciel pour
traiter les intérêts des hommes. C'est notre agent et notre avocat auprès de
Dieu son Père (b), c'est de saint Paul que je l'ai appris : «
Jésus-Christ notre avant-coureur est entré au ciel ; mais c'est pour nous, dit
saint Paul, qu'il y est entré : » Prœcursor pro nobis introivit Jesus
(4). Il est à la droite de la Majesté ; mais c'est, dit le même Apôtre, « afin
de paraître pour nous devant la face de Dieu, » ut appareat nunc vultui Dei
pro nobis (5). Enfin il est monté dans le ciel chargé de toutes nos
affaires, « toujours vivant, dit saint Paul, afin d'intercéder pour nous sans
relâche, » semper vivens ad interpellandum pro nobis (6). C'est pourquoi
voyant ses apôtres qui s'affligeaient, lui entendant dire (c) qu'il
retournerait bientôt à son Père : « C'est votre avantage, dit-il, que je m'en
retourne à mon Père (7). » Si je demeure toujours avec vous, quel agent
aurez-vous au ciel ? Mais si je retourne à celui qui m'a envoyé, vous aurez
auprès de lui un
1 Joan., XX, 21, 22. — 2 Luc,
XXIV, 47. — 3 Joan., XX, 23. — 4 Hebr., VI, 20. — 5 Ibid.,
IX, 24. — 6 Ibid., VII, 25. — 7 Joan., XVI, 7.
(a) Var. : Et le commerce entièrement
rétabli. — (b) Remontera bientôt dans le ciel pour traiter les intérêts
des hommes auprès de Dieu. C'est de saint Paul.....— (c) C'est pourquoi
il disait a ses apôtres qui s'affligeaient lui entendant
dire.
215
charitable négociateur, chargé de traiter toutes vos
affaires (a), « toujours vivant afin d'intercéder pour vous, » semper
vivens ad interpellandum pro nobis.
Après cela, mes Frères,
doutons-nous que le commerce ne soit rétabli? Nous avons des affaires au ciel,
ou plutôt nous n'avons point d'affaires en ce monde; c'est au ciel que sont
toutes nos affaires; nous y avons Jésus-Christ qui ne dédaigne pas d'être notre
agent, « toujours vivant, dit saint Paul, afin d'intercéder pour nous : »
toujours vivant, sans relâche , il n'y a pas un moment.... La vie du ciel toute
en action. Dieu aussi a des affaires parmi les hommes; il a des âmes à gagner,
des élus à rassembler par toute la terre ; il a aussi ses agents parmi les
hommes, il y a ses ambassadeurs. Ces ambassadeurs, chrétiens, ce sont les
ministres de ses sacrements et les prédicateurs de son Evangile. Ce sont eux que
Jésus envoie. C'est d'eux que saint Paul a dit : « Nous sommes des ambassadeurs
pour Jésus-Christ, » pro Christo ergo legatione fungimur : « Dieu exhorte
les peuples par nous, » tanquam Deo exhortante per nos (1). Dieu a fait
la paix avec le monde ; « mais il nous a, dit-il, (2) confié ce traité de paix :
» c'est à nous de le publier par toute la terre ; c'est à nous d'exhorter les
peuples à en observer les conditions. Enfin « il a mis dans nos bouches la
parole (b) de réconciliation, » posuit in nobis verbum
reconciliationis (3).
Nous voilà donc, mes Frères,
établis ambassadeurs de la part de Dieu; c'est saint Paul qui nous en assure. Et
que reste-t-il donc maintenant, sinon que mettant en usage cette merveilleuse
qualité que Dieu nous donne, nous vous disions avec cet Apôtre : Obsecramus
pro Christo, reconciliamini Deo (4) : « Nous vous prions pour Jésus-Christ,
réconciliez-vous avec Dieu. » Oui, s'il y a encore quelque âme endurcie, s'il y
a quelque pécheur impénitent que la parole de l'Evangile, que la solennité de
ces saints jours que les ordonnances de l'Eglise, que le sang de Jésus-Christ
n'ait pas ému; s'il y a dans cette audience, ah ! Dieu ne le veuille pas ! mais
enfin s'il y a quelqu'un si rebelle, si opiniâtre, qu'il
1 II Cor., V, 20. — 2 Ibid.,
18. — 3 Ibid., 19. — 3 Ibid., 20.
(a) Var. : Chargé de toutes vos affaires. — (b)
Le ministère.
216
n'ait pas encore accepté cette paix si avantageuse que
Jésus crucifié a négociée à des conditions si équitables, obsecramus pro
Christo : nous pourrions lui commander de la part de Dieu ; « nous le
prions, nous l'exhortons, nous le conjurons pour Jésus-Christ. » Ce n'est pas en
notre nom que nous lui parlons ; c'est pour Jésus-Christ, dit saint Paul. Ah !
si ce divin Sauveur était sur la terre, lui-même parlerait à cet endurci,
lui-même par sa douceur infinie tâcherait de surmonter son ingratitude. Mais il
n'y est plus ; il est dans le ciel où il fait nos affaires auprès de son Père,
où sa qualité d'agent le demande, « afin de paraître pour nous devant la face de
Dieu, » ut appareat nunc vultui Dei pro nobis (1). N'étant donc plus sur
la terre pour parler lui-même aux pécheurs , il a substitué en sa place les
apôtres, les pasteurs, les prédicateurs. « C'est donc pour Jésus-Christ, dit
saint Paul, obsecramus pro Christo, que nous vous prions ; et si les
prières ne suffisent pas, nous vous conjurons de tout notre cœur par le soin de
votre salut, par la paix que Jésus-Christ nous a donnée, par ses plaies encore
sanglantes qu'il présente à baiser à ses disciples, par son esprit qu'il répand
sur eux, par cette charité infinie qui l'oblige à les envoyer par toute la terre
pour porter à tous les croyants le repos de leur conscience dans la rémission de
leurs crimes, par toutes ces grâces, mes Frères ; et s'il y a quelque chose
encore qui soit plus capable de vous émouvoir, nous vous prions pour
Jésus-Christ, réconciliez-vous avec Dieu. Eh! que faut-il espérer de vous, si
tant de fêtes, tant de mystères et cette dévotion publique n'a pas amolli votre
dureté? Et toutefois, toutefois, mes Frères, tous les jours appartiennent au
Seigneur.
Venez, venez, convertissez-vous.
Car enfin qu'attendez-vous, chrétiens, pour vous repentir de vos crimes? Quoi?
que Jésus-Christ vous parle lui-même? quoi? qu'il vienne avec tous ses foudres
pour ébranler votre cœur de fer? Vaine et inutile attente ! Il est venu une
fois, et c'est assez pour notre salut. Maintenant vous ne verrez plus sa divine
face, que pour entendre prononcer votre sentence. Plût à Dieu qu'elle vous soit
favorable ! plût à Dieu que vous soyez placés à sa droite ! Mais si vous voulez
1 Hebr., IX, 24.
217
entendre sa voix qui vous appellera un jour à sa gloire,
entendez la voix de ses ministres qui vous appellent maintenant à la pénitence :
Posuit in nobis verbum reconciliationis. Si vous écoutez les
ambassadeurs, le Souverain viendra au-devant de vous ; si vous acceptez cette
paix qu'il vous présente en ce monde, il vous fera jouir de la paix qu'il vous
réserve au siècle futur, avec le Père, le Fils, et le Saint-Esprit. Amen.
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