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EXHORTATION
AUX NOUVELLES CATHOLIQUES (a).
Deus tentavit eos et invenit illos dignos se.
Dieu les a mis à l'épreuve et les a trouvés dignes de lui.
Sapient., III, 5.
Le serviteur est bienheureux ,
lorsque son maître daigne éprouver sa fidélité ; et le soldat doit avoir
beaucoup d'espérance, lorsqu'il voit aussi que son capitaine met son courage à
l'épreuve. Car comme on n'éprouve pas en vain la vertu , l'essai qu'on fait de
la leur, leur est un gage assuré et des emplois qu'on leur veut donner, et des
grâces qu'on leur prépare ; d'où il est aisé de comprendre combien l'Apôtre a
raison de dire que « l'épreuve produit l'espérance : » Probatio verò spem
(1). C'est ce qui m'oblige, Messieurs, pour fortifier l'espérance dans laquelle
doivent vivre les enfants de Dieu, de vous parler des épreuves qui en sont le
fondement immuable ; et je vous exposerai plus au long les raisons particulières
qui m'engagent à en traiter dans cette assemblée , après avoir imploré le
secours d'en haut par l'intercession de la sainte Vierge. Ave, Maria.
Comme c'était de l'or le plus
affiné (b) que les enfants, d'Israël con-sacroient à Dieu pour faire
l'ornement de son sanctuaire, la vertu doit être la plus épurée qui servira
d'ornement au sanctuaire céleste
1 Rom., V, 4.
(a) Prêché à Paris, chez les nouvelles Catholiques,
en 1662.
Le lieu est clairement indiqué dans tout le sermon. Quant à
la date, elle ressort de ce passage : O Dieu clément et juste!... vous avez
départi aux riches du monde quelque écoulement de votre abondance. Vous les avez
bits grande pour servir de pères à vos pauvres... Et leur grandeur les rend
dédaigneux, leur abondance secs, leur félicité insensibles, encore qu'ils voient
tous les jours, non tant des pauvres et des misérables que la misère elle-même
et la pauvreté en personne pleurante et gémissante à leur porte. » Ces paroles
peignent au naturel la disette de 1661 et de 1662.
Quand on aura lu notre sermon, on voudra bien nous dire
s'il est vrai que Bossuet était le flatteur des riches et l'ennemi des pauvres :
Jamais grand homme ne fut plus méconnu.
(b) Var. : Le plus fin.
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et au temple qui n'est point bâti de main d'homme. Dieu a
dessein d'épurer les âmes, afin de les rendre, dignes de la gloire, delà
sainteté, de la magnificence du siècle futur ; mais afin de les épurer et d'en
tirer tout le fin, si je puis parler de la sorte, il leur prépare aussi de
grandes épreuves. Et remarquez, Messieurs, qu'il y en a de deux genres :
l'épreuve de la pauvreté et celle de l'abondance. Car non-seulement les
afflictions, mais encore les prospérités sont une pierre de touche à laquelle la
vertu se peut reconnaître. Je l'ai appris du grand saint Basile dans cette
excellente Homélie qu'il a faite sur l'avarice (1), et saint Basile l'a
appris lui-même des Ecritures divines.
Nous lisons dans le livre du
Deutéronome (a) : — « Le Seigneur vous a conduit par le désert, afin
de vous affliger et de vous éprouver tout ensemble : » Adduxit te Dominus
tuus per desertum, ut affligent te atque tentaret (2) : voilà l'épreuve par
l'affliction. Mais nous lisons aussi en l’ Exode, lorsque Dieu fit pleuvoir la
manne, qu'il parle ainsi à Moïse : « Je pleuvrai, dit-il, des pains du ciel : »
Ecce, ego pluam vobis panes de cœlo (3) ; et il ajoute aussitôt après : «
C'est afin d'éprouver mon peuple et de voir s'il marchera dans toutes mes voies
(b) : » et voilà en termes formels l'épreuve des prospérités et de
l'abondance : Ut tentera eum utrùm ambulet in lege meâ, annon (4).
« Toutes choses, dit le saint
Apôtre (5), arrivaient en figure au peuple ancien , » et nous devons rechercher
la vérité de ces deux épreuves dans la nouvelle Alliance. Je vous en dirai ma
pensée pour servir de fondement à tout ce discours.
Je ne vois dans le Nouveau
Testament que deux voies pour arriver au royaume : ou celle de la patience qui
souffre les maux, ou celle de la charité qui les soulage. La grande voie et la
voie royale , par laquelle Jésus-Christ a marché lui-même, c'est celle des
afflictions. Le Sauveur n'appelle à son banquet que les faibles, que les
malades, que les languissants (6) ; il ne veut voir en sa compagnie que ceux qui
portent sa marque, c'est-à-dire la pauvreté
1 S. Basil., hom. de Avarit., n. 1. — 2 Deuter.,
VIII, 2. — 3 Exod., XVI, 4. — 4 Ibid. — 5 I Cor., X, 11. —
6 Luc., XIV, 21.
(a) Var. ; Au Deutéronome. — (b)
Dans ma voie : dans ma loi.
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et la croix. Tel était son premier dessein, lorsqu'il a
formé (a) son Eglise. Mais si tout le monde était pauvre , qui pourrait
soulager les pauvres, et leur aider à soutenir le fardeau qui les accable? C'est
pour cela, chrétiens, qu'outre la voie des afflictions qui est la plus assurée,
il a plu à notre Sauveur d'ouvrir un autre chemin aux riches et aux fortunés,
qui est celui de la charité et de la communication fraternelle. Si vous n'avez
pas cette gloire de vivre avec Jésus-Christ dans l'humiliation et dans
l'indigence (b), voici une autre voie qui vous est montrée, une seconde
espérance qui vous est offerte ; c'est de secourir les misérables et d'adoucir
leurs douleurs et leurs amertumes. Ainsi Dieu nous éprouve en ces deux manières.
Si vous vivez dans l'affliction, croyez que le Seigneur vous éprouve pour
reconnaître votre patience ; si vous êtes dans l'abondance, croyez que le
Seigneur vous éprouve pour reconnaître votre charité : Tentat vos Dominus
Deus vester (1). Et par là vous voyez, mes Frères, les deux épreuves
diverses dont je vous ai fait l'ouverture.
La vue de mon auditoire me jette
profondément dans cette pensée (c). Car que vois-je dans cette assemblée,
sinon l'exercice de ces deux épreuves? Deux objets attirent mes yeux, et doivent
aujourd'hui partager mes soins. Je vois d'un côté des âmes souffrantes que la
profession de la foi expose à de grands périls, et de l'autre des personnes de
condition qui semblent ici accourir pour soulager leurs misères (d). Je
suis redevable aux uns et aux autres ; et pour m'acquitter envers tous,
j'exhorterai en particulier chacun de mes auditeurs à être fidèle à son épreuve.
Je vous dirai, mes très-chères Sœurs : Souffrez avec soumission, et votre foi
sera épurée par l'épreuve de la patience. Je vous dirai, Messieurs et Mesdames :
Donnez libéralement, et votre charité sera épurée par l'épreuve de la
compassion. Ainsi cette exhortation sera partagée entre les deux sortes de
personnes qui composent cette assemblée , et le partage que je vois dans mon
auditoire fera celui de ce discours (e).
1 Deuter., XIII, 3.
(a) Var. : Construit. — (b) Et dans
les angoisses. — (c) Me fait penser à ces choses. — (d) Leurs
calamités.— (e) Par l'épreuve de la compassion. C'est le sujet de ce
discours.
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PREMIER POINT.
Je commence par vous, mes
très-chères Sœurs, nouveaux en-fans de l'Eglise et ses plus chères délices,
nouveaux arbres qu'elle a plantés et nouveaux fruits qu'elle goûte. Je ne puis
m'empêcher d'abord de vous témoigner devant Dieu que je suis touché de vos maux
: la séparation de vos proches, les outrages dont ils vous accablent, les dures
persécutions qu'ils font à votre innocence, les misères et les périls où votre
foi vous expose m'affligent sensiblement ; et comme de si grands besoins et des
extrémités si pressantes demandent un secours réel, j'ai peine, je vous l'avoue
, à ne vous donner que des paroles. Mais comme votre foi en Jésus-Christ ne vous
permet pas de compter pour rien les paroles de ses ministres, ou plutôt ses
propres paroles dont ses ministres sont établis les dispensateurs, je vous
donnerai avec joie un trésor de consolation dans des paroles saintes et
évangéliques, et je vous dirai avant toutes choses avec le grand saint Basile
(1) :Vous souffrez , mes très-chères Sœurs, devez-vous vous en étonner (a)
étant chrétiennes ? Le soldat se reconnaît par les hasards (b), le
marchand par la vigilance, le laboureur par son travail opiniâtre, le courtisan
par ses assiduités et le chrétien par les douleurs et par les afflictions. Ce
n'est pas assez de le dire ; il faut établir cette vérité par quelque principe
solide, et faire voir en peu de paroles que l'épreuve de la foi c'est la
patience. Mais afin de le bien entendre , examinons, je vous prie, quelle est la
nature de la foi et la manière divine dont elle veut être prouvée.
La foi est une adhérence de cœur
à la vérité éternelle, malgré les témoignages des sens et delà raison. De là
vous pouvez comprendre qu'elle dédaigne tous les arguments que peut inventer la
sagesse humaine. Mais si les raisons lui manquent, le ciel même lui fournit des
preuves , et elle est suffisamment établie par les miracles et par les martyres.
C'est, mes Frères, par ces deux
moyens qu'a été soutenue la foi
1 Hom. in fam. et siccit., n. 5.
(a) Var. : Vous en affliger. — (b)
Ecoutez le grand saint Basile : Le soldat se reconnaît par les périls, le
marchand par la vigilance, le laboureur par son travail assidu.
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chrétienne. Elle est venue sur la terre troubler tout le
monde par sa nouveauté, étonner tous les esprits par sa hauteur et effrayer tous
les sens par la sévérité inouïe de sa discipline. Tout l'univers s'est uni
contre elle et a conjuré sa perte. Mais malgré toute la nature elle a été
établie par les choses prodigieuses que Dieu a faites pour l'autoriser (a),
et par les cruelles extrémités que les hommes ont endurées pour la défendre.
Dieu et les hommes ont fait leurs efforts pour appuyer le christianisme. Quel a
dû être l'effort de Dieu, sinon d'étendre sa main à des signes et à des
prodiges? Quel a dû être l'effort des hommes, sinon de souffrir avec soumission
des peines et des tourments ? Chacun a fait ce qui lui est propre. Car il n'y
avait rien de plus convenable, ni à la puissance divine que de faire de grands
miracles pour autoriser la foi chrétienne, ni à la faiblesse humaine que de
souffrir de grands maux pour en soutenir la vérité. Voilà donc la preuve de
Dieu, faire des miracles ; (b) voici la preuve des hommes, souffrir des
tourments : l'homme étant si faible, ne pouvait rien faire de grand, ni de
remarquable, que de s'abandonner à souffrir. Ainsi ce que Dieu a opéré, et ce
que les hommes ont souffert, a également concouru à prouver la vérité de la foi.
Les miracles que Dieu a faits ont montré que la doctrine du christianisme
surpassait toute la nature ; et les cruautés inouïes auxquelles se sont soumis
les fidèles pour défendre cette doctrine, ont fait voir (c) jusqu'où doit
aller le glorieux ascendant qui appartient à la vérité sur tous les esprits et
sur tous les cœurs.
Et en effet, chrétiens, jamais
nous ne rendrons à la vérité l'hommage qui lui est dû, jusqu'à ce que nous
soyons résolus à souffrir pour elle; et c'est ce qui a fait dire à Tertullien
que « la foi est obligée au martyre, » debitricem martyrii fidem ». Oui,
sainte vérité de Dieu, souveraine de tous les esprits et arbitre de la vie
humaine, le témoignage de la parole est une preuve trop faible de ma servitude ;
je dois vous prouver ma foi par l'épreuve des souffrances. O vérité éternelle,
si j'endure pour l'amour de vous, si
1 Scorp., n. 8.
(a) Var. : Pour la soutenir. — (b)
Note marg. : In eo quod manum tuam exendas ad sanitates,et signa et prodigia
fieri per nomen sancti Filii tui Jesu (Act. IV, 30). — (c) Var.
: Et l'ardeur qu'out eue les fidèles à défendre cette doctrine a fait voir!
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mes sens sont noyés pour l'amour de vous dans la douleur et
dans l'amertume, ce vous sera une preuve que j'y ai renoncé de bon cœur pour
m'attacher à vos ordres (a). Pour faire voir à toute la terre que je
m'abaisse volontairement sous le joug que vous m'imposez, je veux bien
m'abaisser encore jusqu'aux dernières humiliations. Qu'on me jette dans les
prisons, et qu'on charge mes mains de fers, je regarderai ma captivité comme une
image glorieuse (b) de ces chaînes intérieures par lesquelles j'ai lié ma
volonté toute entière et assujetti mon entendement à l'obéissance de
Jésus-Christ et de sa sainte doctrine : In captivitatem redigentes
intellectum in obsequium Christi (1).
Consolez-vous donc, mes
très-chères Sœurs, dans la preuve que vous donnez par vos peines de la pureté de
votre foi. Vous êtes un grand spectacle à Dieu, aux anges et aux hommes. Vos
souffrances font l'honneur de la sainte Eglise, qui se glorifie de voir en vous,
même au milieu de sa paix et de son triomphe, une image de ses combats et une
peinture animée des martyres qu'elle a soufferts. Ne vous occupez pas tellement
des maux que vous endurez, que vous ne laissiez épancher vos cœurs dans le
souvenir agréable des récompenses qui vous attendent. Encore un peu, encore un
peu, dit le Seigneur, et je viendrai moi-même essuyer vos larmes; et je
m'approcherai de vous pour vous consoler, et vous verrez le feu de ma vengeance
dévorer vos persécuteurs ; et cependant je vous recevrai en ma paix et en mon
repos, au sein de mes éternelles miséricordes.
Vous endurez pour la foi, ne
vous découragez pas ; songez que la sainte Eglise s'est fortifiée par les
tourments, accrue par la patience , établie par l'effort (c) des
persécutions. Et à ce propos, chrétiens, je me souviens que saint Augustin se
représente que les fidèles étonnés de voir durer si longtemps ces cruelles
persécutions par lesquelles l'Eglise était agitée, s'adressent à elle-même et
lui en demandent la cause (2). Il y a longtemps, ô Eglise, que l'on frappe sur
vos pasteurs et que l'on dissipe vos troupeaux : Dieu vous
1 II Cor., X, 5. — 2 In
Psal. CXXVIII, n. 2, 3.
(a) Var. : Que je les ai quittés pour vous
suivre. — (b) Sacrée. — (c) Par la violence.
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a-t-il oubliée? Les vents grondent, les flots se soulèvent,
vous flottez deçà et delà battue des ondes et de la tempête : ne craignez-vous
pas à la fin d'être entièrement abîmée et ensevelie sous les eaux? Le même saint
Augustin ayant ainsi fait parler les fidèles, fait aussi répondre l'Eglise par
ces paroles du divin Psalmiste : Sœpè expugnaverunt me à juventute meà, dicat
nunc Israël (1). Mes enfants, dit la sainte Eglise, je ne m'étonne pas de
tant de traverses; j'y suis accoutumée dès ma tendre enfance. Les ennemis qui
m'attaquent n'ont jamais cessé de me tourmenter dès ma première jeunesse ; et
ils n'ont rien gagné contre moi, et leurs efforts ont été toujours inutiles :
Etenim non potuerunt mihi (2).
Et certainement, chrétiens,
l'Eglise a toujours été sur la terre, et jamais elle n'a été sans afflictions (a).
Elle était représentée en Abel ; et il a été tué par Caïn son frère. Elle a été
représentée en Enoch ; et il a fallu le séparer (b) du milieu des iniques
et des impies, qui ne pou voient compatir avec son innocence : Et translatas
est ab iniquis (3). Elle nous a paru dans la famille de Noé ; et il a fallu
un miracle pour la délivrer, non-seulement des eaux du déluge, mais encore des
contradictions des enfants du siècle. Le jour me manquerait, comme dit l'Apôtre
4, si j'entreprenais de vous raconter ce qu'ont souffert des impies Abraham et
les patriarches , Moïse et tous les prophètes, Jésus-Christ et ses saints
apôtres. Par conséquent, dit la sainte Eglise par la bouche du saint Psalmiste,
je ne m'étonne pas de ces violences : Sœpè expugnavenmt me à juventute meà;
numquid ideò non perverti ad senectutem (5)? Regardez, mes enfants, mon
antiquité, considérez ces cheveux gris ; « ces cruelles persécutions dont a été
tourmentée mon enfance, m'ont-elles pu empêcher de parvenir heureusement à cette
vieillesse vénérable ? » Ainsi je ne m'étonne plus des persécutions; si c'était
la première fois, j'en serais peut-être troublée; maintenant la longue habitude
fait que je ne m'en émeus pas ; je laisse agir les pécheurs : Supra dorsum
meum
1 Psal. CXXVIII, 1. — 2 Ibid.,
2. — 3 Hebr., XI, 5. — 4 Ibid., 32. — 5 S. Aug., in Psal.
CXXVIII, n. 3.
(a) Var. : Sans persécuteurs. — (b) Le
tirer.
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fabricaverunt peccatores (1). Je ne tourne pas ma
face contre eux pour m'opposer à leurs violences, je ne fais que tendre le dos
pour porter les coups qu'ils me donnent; ils frappent cruellement, et je souffre
sans murmurer. C'est pourquoi ils prolongent leurs iniquités, et ne mettent
point de bornes à leur furie : Prolongaverunt iniquitatem suam (2). Ma
patience sert de jouet à leur injustice, mais je ne me lasse pas de souffrir; je
suis bien aise de prouver ma foi à celui qui m'a appelée, et de me montrer (a)
digne de son choix par une si noble épreuve d'un amour constant et fidèle :
Tentavit eos Deus, et invenit illos dignos se.
Entrez, mes Sœurs, dans ces
sentiments; souffrez pour l'amour de la sainte Eglise; la grâce que Dieu vous a
faite de vous ramener à son unité ne vous semblerait pas (b) assez
précieuse, si elle ne vous coûtait quelque chose. Songez à ce qu'ont souffert
les saints personnages dont je vous ai récité les noms et rappelé le souvenir.
Joignez-vous à cette troupe bienheureuse (c) de ceux qui ont souffert
pour la vérité, et « qui ont blanchi leurs étoles dans le sang de l'Agneau sans
tache (5). » Autant de peines qu'on souffre, autant de larmes qu'on verse pour
avoir embrassé la foi (d), autant de fois on se lave dans le sang du
Sauveur Jésus, et on y nettoie ses péchés, et on sort de ce bain sacré avec une
splendeur immortelle. Et c'est alors que Jésus nous dit : Voici mes fidèles et
mes bien-aimés; « et ils marcheront avec moi ornés d'une céleste blancheur,
parce qu'ils sont dignes d'une telle gloire : » Et ambulabunt meum in albis,
quia digni sunt (6). Voyez donc, mes très-chères Sœurs ; voyez Jésus-Christ
qui vous tend les bras, qui soutient votre faiblesse, qui admire aussi votre
force et prépare votre couronne : il vous a éprouvées par la patience et vous a
trouvées dignes de lui : Tentavit eos et invenit illos dignos se.
Mais nous, que ferons-nous,
chrétiens? Demeurerons-nous insensibles, et serons-nous spectateurs oisifs d'un
combat si célèbre et si glorieux? Ne donnerons-nous que des paroles et
1 Psal. CXXVIII, 3. — 2 Ibid.
— 3 Apoc., VII, 14. — 4 Ibid., III, 4.
(a) Var. : De me rendre. — (b) De vous
rappeler à son unité : la grâce que Dieu vous a faite ne vous semblerait pas. —
(c) Invincible : — généreuse : — sacrée. — (d) Pour la cause de la
vérité et pour la foi.
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quelques frivoles consolations à des peines si effectives ?
Et pendant que ces filles innocentes, qui souffrent persécution pour la justice,
sont dans le feu de l'affliction où Dieu épure leur foi, ne ferons-nous point
distiller sur elles quelque rosée de nos charités pour les rafraîchir dans cette
fournaise, et les aider à souffrir une épreuve si violente ? C'est de quoi il
faut vous entretenir dans le reste de ce discours, que je tranche en peu de
paroles.
SECOND POINT.
Je parle donc maintenant à vous
qui vivez dans les richesses et dans l'abondance. Ne vous persuadez pas que Dieu
vous ait ouvert ses trésors avec une telle libéralité, pour contenter votre
luxe; c'est qu'il a dessein d'éprouver si vous avez un cœur chrétien,
c'est-à-dire un cœur fraternel et un cœur compatissant.
David, considérant autrefois les
immenses profusions de Dieu envers lui, se sentit obligé par reconnaissance de
faire de magnifiques préparatifs pour orner son temple ; et lui offrant de
grands dons (a), il y ajouta ces paroles : « Je sais, dit-il, ô mon Dieu,
que vous éprouvez les cœurs et que vous aimez la simplicité; et c'est pourquoi,
Seigneur tout-puissant, je vous ai consacré ces choses avec grande joie en la
simplicité de mon cœur : » Scio, Deus meus, quòd probes corda et
simplicitatem diligas; undè et ego in simplicitate cordis met lœtus obtuli
universa hœc (1). Vous voyez comme il reconnaît que les bontés de Dieu
étaient une épreuve (b) ; et qu'il voulait éprouver, en lui donnant, s'il
avait un cœur libéral qui offrît à Dieu volontairement ce qu'il reçevait de sa
main.
Croyez, ô riches du siècle,
qu'il vous ouvre ses mains dans la même vue. S'il est libéral envers vous, c'est
qu'il a dessein d'éprouver si votre âme sera attendrie par ses bontés, et sera
touchée du désir de les imiter. De là cette abondance dans votre maison ; de là
cette affluence de biens; de là ce bonheur, ce succès, ce cours fortuné de vos
affaires. Il veut voir, chrétien, si ton cœur avide
1 I Paral., XXIX, 17.
(a) Var. : Fit de magnifiques préparatifs
pour orner son temple, et lui offrant tous ses dons. — (b) Comme il
reconnaît que les libéralités que Dieu lui a faites lui tenaient lieu d'une
épreuve.
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engloutira tous ces biens pour ta propre satisfaction ; ou
bien si se dilatant par la charité, il fera couler ses ruisseaux sur les pauvres
et les misérables, comme parle l'Ecriture sainte (1). Car ce sont les temples
qu'il aime, et c'est là qu'il veut recevoir les effets de ta gratitude.
Voici, Messieurs, une grande
épreuve ; c'est ici qu'il nous faut entendre la malédiction des grandes
fortunes. L'abondance, la prospérité a coutume d'endurcir le cœur de l'homme;
l'aise, la joie, l'afflucnce (a) Remplissent l’âme de sorte qu'elles en
éloignent tout le sentiment de la misère des autres, et mettent à sec, si l'on
n'y prend garde, la source delà compassion. C'est pourquoi le divin Apôtre
parlant des fortunés de la terre, de ceux qui s'aiment eux-mêmes et qui vivent
dans les plaisirs, dans la bonne chère, dans le luxe, dans les vanités, les
appelle « cruels et impitoyables, sans affection, sans miséricorde, amateurs de
leurs voluptés : » Homines seipsos amantes, immites, sine affectione, sine
benignitate, voluptatum amatores (2). Voilà une merveilleuse contexture de
qualités différentes, (b) Mais c'est que le saint Apôtre pénétrant par
l'Esprit de Dieu dans les plus intimes replis de nos cœurs, voyait que ces
hommes voluptueux, attachés excessivement à leurs propres satisfactions,
deviennent insensibles aux maux de leurs frères. C'est pourquoi il dit qu'ils
sont sans affection, sans tendresse et sans miséricorde ; ils ne regardent
qu'eux-mêmes. Et le prophète Isaïe représente au naturel leurs véritables
sentiments, lorsqu'il leur attribue ces paroles (c) : Ego sum, et
prœter me non est altera (3) : « Je suis, il n'y a que moi sur la terre. »
Qu'est-ce que toute cette multitude ? Têtes de nul prix et gens de néant. Penser
aux intérêts des autres, leur délicatesse ne le permet pas. Chacun ne compte que
soi; et tenant tous les autres dans l'indifférence, on tâche de vivre à son aise
dans une souveraine tranquillité des fléaux qui affligent le reste des hommes.
O Dieu clément et juste! ce
n'est pas pour cette raison que vous
1 Isa., LVIII, 10, 11. — 2 II
Timoth., III, 3. — 3 Isa., XLVII, 10.
(a) Var. : Félicité. — (b) Note
marg. : Vous croyiez peut-être, Messieurs, que cet amour des plaisirs ne fût
que tendre et délicat, ou bien plaisant et flatteur, mata vous n'aviez pas
encore songé qu'il fût cruel et impitoyable. — (c) Var.: Les fait
parler admirablement dans la véritable disposition de leur cœur.
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avez départi aux riches du monde quelque écoulement (a)
de votre abondance. Vous les avez faits grands pour servir de pères à vos
pauvres; votre providence a pris soin de détourner les maux de dessus leurs
têtes, afin qu'ils pensassent à ceux du prochain ; vous les avez mis à leur aise
et en liberté, afin qu'ils fissent leur affaire du soulagement de vos enfants.
Telle est l'épreuve où vous les mettez; et leur grandeur au contraire les rend
dédaigneux, leur abondance secs, leur félicité insensibles, encore qu'ils voient
tous les jours non tant des pauvres et des misérables que la misère elle-même et
la pauvreté en personne, pleurante et gémissante à leur porte.
O riches, voilà votre épreuve;
et afin d'y être fidèles, écoutez attentivement cette parole du Sauveur des âmes
: « Donnez-vous garde de toute avarice : » Cavete ab omni avaritiâ (1).
Cette parole du Fils de Dieu demande un auditeur attentif. Donnez-vous garde de
toute avarice ; c'est qu'il y en a de plus d'une sorte. Il y a une avarice
sordide, une avarice noire et ténébreuse, qui enfouit ses trésors, qui n'en
repaît que sa vue et qui en interdit l'usage à ses mains. Quid prodest
possessori, nisi quòd cernit divitias ocidis suis (2)? Mais il y a encore
une autre avarice, qui dépense, qui fait bonne chère, qui n'épargne rien à ses
appétits. Je me trompe peut-être, mes Frères, d'appeler cela avarice, puisque
c'est une extrême prodigalité. Elle mérite néanmoins le nom d'avarice, parce que
c'est une avidité qui veut dévorer tous ses biens, qui donne tout à ses appétits
et qui ne veut rien donner aux nécessités des pauvres et des misérables; et je
parle en cela selon l'Evangile (b). Jésus-Christ ayant dit ces mots :
Donnez-vous garde de toute avarice, apporte l'exemple d'un homme qui ravi de son
abondance, veut agrandir ses greniers et augmenter sa dépense. Car il paraît
bien, chrétiens, qu'il voulait user de ses richesses, puisqu'il se dit à
lui-même : « Mon âme, voilà de grands biens; repose-toi, fais grande chère,
mange et bois longtemps à ton aise : » Requiesce, comede, bibe, epulare
(3). Encore qu'il donne tout à son plaisir et
1 Luc., XII, 15. — 2 Eccles., V. 10. —
3 Luc, XII, 19.
(a) Var. : Un rayon. — (b) Je parle
néanmoins avec l'Evangile : elle mérite le nom d'avarice, parce que c'est une
avidité qui veut... et qui ne veut rien donner aux nécessités des pauvres et des
misérables. Jésus-Christ ayant dit...
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qu'il tienne une table si abondante et si délicate,
Jésus-Christ néanmoins le traite d'avare, condamnant l'avidité de son cœur, qui
consume tous ses biens pour soi, qui donne tout à ses excès et à ses débauches,
et n'ouvre point ses mains aux nécessités ni aux besoins de ses frères. Prenez
garde à cette avarice de cœur, à cette avidité ; modérez vos passions, (a)
et laites un fonds aux pauvres sur la modération de vos vanités : Manum
inferre rei suœ in causa eleemosynœ (1).
Pourquoi agrandir tes greniers?
Jeté montre un lieu convenable où tu mettras tes richesses plus en sûreté :
laisse un peu déborder ce fleuve, laisse-le se répandre sur les misérables. Mais
pourquoi tout donner à tes appétits? Mon âme, dis-tu, repose-toi, mange et bois
longtemps à ton aise. Regarde de quels biens tu repais ton âme, de même, dit
saint Basile, que si tu avais une âme de bête (2). Ne me dis point : Que
ferai-je ? Il faut te.... Si vous ne le faites, mes Frères, il n'y a point
d'espérance de salut pour vous. Car pour arriver à la gloire que Jésus-Christ
nous a méritée, il faut porter son image, il faut être marqué à son caractère,
il faut en un mot lui être conforme. Quelle ressemblance avez-vous avec sa
pauvreté dans votre abondance ; avec ses délaisserons dans vos joies ; avec sa
croix, avec ses épines, avec son fiel et ses amertumes parmi vos délices
dissolues? Est-ce là une ressemblance, ou plutôt une manifeste contrariété?
Voici néanmoins quelque ressemblance et quelques ressources pour vous : c'est
que la croix de notre Sauveur n'est pas seulement une souffrance (b),
mais encore une inondation d'une libéralité infinie. Il donne pour nous son âme
et son corps, il prodigue tout son sang pour notre salut. Imitez du moins
quelque trait, sinon de ses souffrances affreuses, du moins d'une libéralité si
aimable et si attirante; donnez au prochain, sinon vos peines, du moins vos
commodités ; sinon votre vie et votre substance, du moins le superflu de vos
biens ou le reste de vos excès (c). Entrez dans les saints désirs du
Sauveur et dans les empressements de sa charité pour les hommes.
1 Tertull., de Patient., n. 7. — 2 Homil. de
Avar., n. 6.
(a) Note marg. : Voyez saint Thomas de
Villeneuve : Pauvres intérieurs; Carême du Louvre, Ier et IIme
serm. — (b) Var. : Un exercice. — (c) Sinon votre sang et
votre vie, du moins quelque partie de vos biens.
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Il a guéri les malades, il a repu les faméliques, il a
soutenu les désespérés. C'est là sans doute la moindre partie que vous puissiez
imiter de la vie de notre Sauveur. Soyez les imitateurs, sinon des souffrances
qu'il a endurées à la croix, du moins des libéralités qu'il y exerce, (a)
Venez travailler au salut des âmes. Considérez ces filles non moins innocentes
qu'affligées. Faut-il vous représenter et les périls de ce sexe, et les
dangereuses suites de sa pauvreté, l'écueil le plus ordinaire où sa pudeur fait
naufrage ? Faut-il vous dire les tentations où leur foi se trouve exposée dans
les extrémités qui les pressent?...
Considérez le ravage qu'a fait
l'hérésie. Quelle plaie, quelle ruine, quelle funeste désolation! La terre est
désolée, le ciel est en deuil et tout couvert de ténèbres, après qu'un si grand
nombre d'étoiles qui devaient briller dans son firmament, a été traîné au fond
de l'abîme avec la queue du dragon (1). L'Eglise gémit et soupire de se voir
arracher si cruellement une si grande partie de ses entrailles. Asile pour
recueillir quelque reste de son naufrage, cette maison depuis si longtemps n'a
pas encore de pain. Qu'attendez-vous, mes chers Frères? Quoi? que leurs parents,
qu'elles ont quittés, viennent offrir le pain que votre dureté leur dénie?
Horrible tentation ! Dans le schisme , le plus grand malheur c'est la charité
éteinte. Le diable pour leur imposer, image de charité dans le secours mutuel
qu'ils se donnent les uns aux autres. Voulez-vous donc qu'elles pensent qu'il
n'y a point de charité dans l'Eglise , et qu'elles tirent cette conséquence :
Donc l'Esprit de Dieu s'en est retiré ? Vous leur vantez votre foi ; et l'apôtre
saint Jacques vous dit : Montre ta foi par tes œuvres (2). C'est ainsi que le
malin s'efforce de les séduire, et de les replonger dans l'abîme d'où elles ne
sont encore qu'à demi sorties. Veux-tu être aujourd'hui par ta dureté
coopérateur de sa malice, autoriser ses tromperies et donner efficace à ses
tentations? Sois plutôt coopérateur de la charité de Jésus pour sauver lésâmes!
Maintenant que je vous parle, ce divin Sauveur vous éprouve. Si vous aimez les
âmes, si vous désirez
1 Apoc., XII, 4. — 2 Jacob.,
II, 18.
(a) Note marg. : Jésus-Christ demande une
partie des biens qu'il vous a donnés, pour sauver sou bien et son trésor : son
trésor ce sont les âmes
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leur salut, si vous êtes effrayés de leurs périls, vous
êtes ses véritables disciples. Si vous sortez de cet oratoire sans être touchés
de si grands malheurs, vous reposant du soin de cette maison sur ces dames si
charitables, comme si cette œuvre importante ne vous regardent pas autant
qu'elles. Funeste épreuve pour vous, qui prouvera votre dureté, convaincra votre
obstination, condamnera votre ingratitude !
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