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XVIIIe SEMAINE.
LA PRÉSENTATION DE JÉSUS-CHRIST AU TEMPLE, AVEC LA PURIFICATION DE LA SAINTE
VIERGE.
PREMIÈRE ÉLÉVATION. Deux préceptes de la Loi sont expliqués.
IIe ÉLÉVATION. La présentation de Jésus-Christ.
IIIe ÉLÉVATION. La purification de Marie.
IVe ÉLÉVATION. L'offrande des deux tourterelles, ou des deux petits de colombe.
Ve ÉLÉVATION. Sur le saint vieillard Siméon.
VIe ÉLÉVATION. Dernière préparation à la grâce que Siméon devait recevoir : le
Saint-Esprit le conduit au temple.
VIIe ELEVATION. Heureuse rencontre de Siméon et de Jésus.
VIIIe ÉLÉVATION. Qu'est-ce que recevoir Jésus-Christ entre ses bras ?
IXe ÉLÉVATION. Qu'est-ce que bénir Dieu, en tenant Jésus-Christ entre ses bras?
Xe ÉLÉVATION. Le cantique de Siméon.
XIe ÉLÉVATION. Admiration de Joseph et de Marie.
XIIe ÉLÉVATION. Prédictions du saint vieillard. Jésus-Christ en butte aux
contradictions.
XIIIe ÉLÉVATION. D'où naissaient ces contradictions.
XIVe ÉLÉVATION. Contradictions des chrétiens mêmes contre Jésus-Christ, sur sa
personne.
XVe ÉLÉVATION. Contradictions contre Jésus-Christ sur te mystère de la grâce.
XVIe ÉLÉVATION. Solution manifeste des contradictions par l'autorité de
l'Eglise.
XVIIe ÉLÉVATION. L'humilité résout toutes les difficultés.
XVIIIe ÉLÉVATION. Contradictions dans l'Eglise par les péchés des fidèles, et
sur la morale de Jésus-Christ.
XIXe ÉLÉVATION. L'épée perce l’âme de Marie.
XXe ÉLÉVATION. Les contradictions de Jésus-Christ découvrent Le secret des
cœurs.
XXIe ÉLÉVATION. Sur Anne la prophétesse.
XXIIe ÉLÉVATION. Abrégé et conclusion des réflexions précédentes.
La loi de Moïse ordonnait deux
choses aux parents des enfants nouvellement nés. La première, s'ils étaient les
aînés, de les présenter et les consacrer au Seigneur, dont la loi rend deux
raisons. L'une générale : « Consacrez-moi tous les premiers-nés; car tout esl à
moi, : » et dans la personne des aînés, tout le reste des familles m'est donné
en propre. La seconde était particulière au peuple juif : Dieu avait exterminé
en une nuit tous les premiers-nés des Egyptiens; et épargnant ceux des Juifs, il
voulut que dorénavant tous leurs premiers-nés lui demeurassent consacrés par une
loi inviolable, en sorte que leurs parents ne pussent s'en réserver la
disposition, ni aucun droit sur eux qu'ils ne les eussent auparavant rachetés de
Dieu par le prix qui était prescrit. Cette loi s'étendait jusqu'aux animaux; et
en général tout ce qui était premier-né, ou comme parle la loi, « tout ce qui
ouvrait le sein d'une mères » et en sortait le premier, était à Dieu.
La seconde loi regardait la
purification des mères, qui étaient impures dès qu'elles avaient mis un enfant
au monde. Il leur était défendu, durant quarante ou soixante jours, selon le
sexe de leurs enfants, de toucher aucune chose sainte, ni d'approcher du temple
et du sanctuaire. Aussitôt qu'elles étaient mères, elles étaient comme
excommuniées par leur propre fécondité ; tant la naissance des hommes était
malheureuse et sujette à une malédiction
1 Exod., XIII, 2, 13-15; Numer.,
VIII, 17. — 2 Exod. XIII, 2; Num. III, 12.
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inévitable. Mais voici que Jésus et Marie venoient la
purifier, en subissant volontairement et pour l'exemple du monde, une loi pénale
à laquelle ils n'étaient soumis qu'à cause que le secret de l'enfantement
virginal n'était pas connu.
Dans cette purification les
parents devaient offrir à Dieu un agneau; et s'ils étaient pauvres et n'en
avaient pas le moyen, ils pouvaient offrir à la place « deux tourterelles ou
deux petits de colombes, pour être immolés, l'un en holocauste et l'autre» selon
le rit du sacrifice « pour le péché (1). » Et voilà ce que portait la loi de
Moïse, à l'opprobre perpétuel des enfants d'Adam et de toute sa race pécheresse.
La première de ces deux lois
paraissait manifestement avoir été faite en figure de Jésus-Christ, qui étant,
comme dit saint Paul, « le premier-né avant toutes les créatures (2), » était
celui en qui tout devait être sanctifié et éternellement consacré à Dieu.
Unissons-nous donc en ce jour par la foi à Jésus-Christ, afin d'être en lui et
par lui présentés à Dieu pour être son propre bien, et nous dévouer à
l'accomplissement de sa volonté, aussi juste que souveraine.
Nous savons que le premier acte
de Jésus, entrant au monde, fut de se dévouer à Dieu, et de se mettre à la place
de toutes les victimes, de quelque nature qu'elles fussent, pour accomplir sa
volonté en toute manière. Ce qu'il fit dans le sein de sa mère par la
disposition de son cœur, il le fait aujourd'hui réellement en se présentant au
temple, et se livrant au Seigneur comme une chose qui est à lui entièrement.
Entrons dans ce sentiment du Seigneur Jésus ; et unis à son
oblation, disons-lui d'une ferme foi : O Jésus, quelle victime voulez-vous que
je sois? Voulez-vous que je sois un holocauste
1 Levit., XII, 8. — 2 Coloss., I, 15.
297
consumé et anéanti devant votre Père par le martyre du
saint amour? Voulez-vous que je sois ou une victime pour le péché par les
saintes austérités de la pénitence, ou une victime pacifique et eucharistique
dont le cœur touché de vos bienfaits, s'exhale en actions de grâces et se
distille en amour à vos yeux? Voulez-vous qu'immolé à la charité, je distribue
tous mes biens pour la nourriture des pauvres, ou que « frère sincère et
bienfaisant (1), » je donne ma vie pour les chrétiens, me consumant en pieux
travaux dans l'instruction des ignorants et dans l'assistance des malades ? Me
voilà prêt à m'offrir, à me dévouer, pourvu que ce soit avec vous, puisqu'avec
vous je puis tout, et que je serai heureux de m'offrir par vous et en vous à
Dieu votre Père.
Mais pourquoi ce premier-né
est-il racheté? Fallait-il racheter le Rédempteur? Le Rédempteur portoit en
lui-même la figure des esclaves et des pécheurs : sa sainte mère ne le pouvait
conserver en sa puissance qu'en le rachetant : il lui fut soumis, il lui obéit,
il la servit durant trente ans. Rachetez-le, pieuse mère : mais vous ne le
garderez pas longtemps : vous le verrez revendu pour trente deniers, et livré au
supplice de la croix. Divin premier-né, soit que vous soyez racheté pour être à
moi dans votre enfance, soit que vous soyez vendu pour être encore plus à moi à
la fin de votre vie : je veux me racheter pour vous de ce siècle malin : je veux
me vendre pour vous, et me livrer aux emplois de la charité.
Ne cherchons aucun prétexte pour
nous exempter de l'observation de la loi. Par les termes mêmes de la loi de la
purification , il paraît que la suinte Vierge en était exempte, n'ayant
contracté ni l'impureté des conceptions ordinaires, ni celle du sang et des
autres suites des vulgaires enfantements. Elle obéit néanmoins :
1 I Joan., III, 16 ; III Joan., 5, 6.
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elle s'y croit obligée pour l'édification publique, comme
son Fils avait obéi par son ministère à la loi servile de la circoncision.
Ne cherchons aucun prétexte de
nous dispenser des saintes observances de l'Eglise, de ses jeûnes, de ses
abstinences, de ses ordonnances. Le plus dangereux prétexte de se dispenser de
ce que Dieu demande de nous, est la gloire des hommes. Un fidèle vous dira : Si
je m'humilie, si je me relâche, si je pardonne, on dira que j'aurai tort. Un
ecclésiastique à qui vous conseillerez de se retirer durant quelque temps dans
un séminaire, pour se recueillir et se redresser contre ses dissipations, vous
dira : On croira qu'on me l'a ordonné par pénitence, et on me croira coupable.
Mais ni Jésus, ni Marie n'ont eu ces vues : Jésus ne dit pas : On me croira
pécheur comme les autres, si je subis la loi de la circoncision : Marie ne dit
pas : On me croira mère comme les autres, et le péché comme la concupiscence
mêlé dans la conception de mon Fils comme dans celle des autres ; ce qui fera
tort non tant à moi qu'à la dignité et à la sainteté de ce cher Fils : elle
subit la loi, et donne un exemple admirable à tout l'univers de mettre sa gloire
dans celle de Dieu et dans l'honneur de lui obéir, et d'édifier son Eglise.
« On offrira un agneau d'un an
en holocauste pour un fils et une fille, et un petit de colombe ou une
tourterelle pour le péché : que si l'on n'a pas un agneau d'un an, et qu'on n'en
ait pas le moyen, on offrira deux tourterelles ou deux petits pigeons, l'un en
holocauste et l'autre pour le péché (1). » Dieu tempère sa loi selon les besoins
: sa rigueur, quoique régulière, est accommodante; et il permet aux pauvres, au
lieu d'un agneau qui dans son indigence lui coûterait trop, d'offrir des oiseaux
de vil prix, mais agréables à ses yeux par leur simplicité et par leur douceur.
Quoi
1 Levit., XII, 6, 8.
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qu'il en soit, il est constant que les tourterelles et les
pigeons sont la victime des pauvres : dans l'oblation du Sauveur l'Evangile
excluant l'agneau et ne marquant que l'alternative des colombes ou des
tourterelles, a voulu expressément marquer que le sacrifice de Jésus-Christ a
été celui des plus pauvres. C'est ainsi qu'il se plait dans la pauvreté, qu'il
en aime la bassesse, qu'il en étale les marques en tout et partout. N'oublions
pas un si grand mystère ; et en mémoire de celui « qui étant si riche s'est fait
pauvre pour l'amour de nous, afin de nous enrichir par sa pauvreté (1) »
aimons-en le précieux caractère.
« Pour moi, disait Origène (2),
j'estime ces tourterelles et ces colombes, heureuses d'être offertes pour leur
Sauveur ; car il sauve et les hommes et les animaux (3), » et leur donne à tous
leur petite vie. Allez, petits animaux et innocentes victimes, allez mourir pour
Jésus : c'est nous qui devions mourir à cause de notre péché : sauvons donc
Jésus de la mort, en subissant celle que nous avions méritée. Dieu nous en
délivre par Jésus qui meurt pour nous, et c'est en figure de Jésus notre
véritable victime qu'on immole des animaux : ils meurent donc pour lui en
quelque sorte, jusqu'à ce qu'il vienne, et nous sommes exempts de la mort par
son oblation. Une autre mort nous est réservée : c'est la mort de la pénitence,
la mort aux péchés, la mort aux mauvais désirs : par nos péchés et nos
convoitises nous donnons la mort à Jésus « et nous le crucifions encore une fois
(4). » Sauvons au Sauveur cette mort seule affligeante pour lui : mourons comme
des tourterelles et des colombes, en gémissant dans la solitude et dans la
retraite : que les bois, que les rochers, que les lieux seuls et écartés
retentissent de nos cris, de nos tendres gémissements : soyons simples comme la
colombe, fidèles et doux comme la tourterelle : mais ne croyons pas pour cela
être innocents comme le sont ces animaux : notre péché est sur nous, et il nous
faut mourir dans la pénitence.
1 II Cor., VIII, 9. — 2 Origen.
in Luc., hom. XIV. — 3 Psal. XXXV, 7. — 4 Hebr., VI, 6.
300
« Il y avait dans Jérusalem un
homme juste et craignant Dieu; nommé Siméon, qui vivait dans l'attente delà
consolation d'Israël, et le Saint-Esprit était en lui : et il lui avait été
révélé par le Saint-Esprit qu'il ne mourrait point, qu'auparavant il n'eût vu le
Christ du Seigneur (1). » Voici un homme admirable, et qui fait un grand
personnage dans les mystères de l'enfance de Jésus. Premièrement, c'est un saint
vieillard qui n'attendait plus que la mort : il avait passé toute sa vie dans
l'attente de la céleste consolation. Ne vous plaignez point, âmes saintes, âmes
gémissantes, âmes qui vivez dans l'attente ; ne vous plaignez pas si vos
consolations sont différées : attendez : attendez encore une fois : Expecta :
reexpecta (2). Vous avez long temps attendu, attendez encore : expectans
expectavi Dominum (3) : attendez en attendant : ne vous lassez jamais
d'attendre. « Dieu est fidèle (4), » et il veut être attendu avec foi : attendez
donc la consolation d'Israël. Et quelle est la consolation du vrai Israël? C'est
de voir une fois, et peut-être à la fin de vos jours, le Christ du Seigneur.
Il y a des grâces uniques en
elles-mêmes, dont le premier trait ne revient plus, mais qui se continuent ou se
renouvellent par le souvenir. Dieu les fait attendre longtemps pour exercer la
foi et en rendre l'épreuve plus vive : Dieu les donne quand il lui plait d'une
manière soudaine et rapide : elles passent en un moment : mais il en demeure un
tendre souvenir et comme un parfum : Dieu les rappelle, Dieu les multiplie, Dieu
les augmente : mais il ne veut pas qu'on les rappelle comme de soi-même par des
efforts violents : il veut qu'on l'attende toujours : et on ne se doit permettre
que de doux et comme insensibles retours sur ses anciennes bontés. « Que ceux
qui ont des oreilles pour entendre,
1 Luc., II, 20, 26. — 2 Isa., XXVIII, 10, 13.
— 3 Psal. XXXIX, 2. — 4 II Thessal., III, 3.
301
écoutent (1). » Telle sera, par exemple, une certaine
suavité du Saint-Esprit, un goût caché de la rémission des péchés, un
pressentiment de la jouissance future ; une impression aussi efficace que
sublime de la souveraine majesté de Dieu, ou de sa bonté et de sa communication
en Jésus-Christ; d'autres sentiments que Dieu sait et que saint Jean dans
l'Apocalypse appelle « la manne cachée (2), » la consolation dans le désert,
l'impression secrète dans le fond du cœur du « nouveau nom de Jésus-Christ, que
nul ne connaît que celui qui l'a reçu (3). » C'est la consolation de Siméon dans
ce mystère. Tous les fidèles y ont part, chacun à sa manière, et tous doivent le
comprendre selon leur capacité.
O Dieu et Père de miséricorde,
faites-moi entendre ce nouveau nom de votre Fils : ce nom de Sauveur que chacun
de nous se doit appliquer par la foi, lorsque Dieu dit à notre âme : « Je suis
ton salut (4) ». La voilà la consolation de Siméon : voyons comme il y est
préparé.
L'attente de Siméon était une
préparation à la grâce de voir Jésus; mais cette préparation était encore
éloignée : la dernière et la plus prochaine disposition, c'est qu'après avoir
longtemps attendu avec foi et patience, tout d'un coup il sent dans son cœur une
impulsion aussi vive que secrète, qui le pressait à ce moment d'aller au temple,
sans qu'il sût peut-être distinctement ce qu'il y allait trouver, Dieu se
contentant de lui faire sentir que ses désirs seraient satisfaits. « Il vint »
donc « en esprit au temple : » il y vint par une secrète instigation de l'esprit
de Dieu. Allons aussi en esprit au temple, si nous y voulons trouver
Jésus-Christ. N'y allons point par coutume, par bienséance : « Les vrais
adorateurs adorent Dieu en esprit et en vérité (5) : » c'est le Saint-Esprit qui
les meut, et ils suivent cet invisible moteur.
1 Luc., XIV, 86. — 2 Apoc.,
II, 17. — 3 Ibid., — 4 Psal. XXXIV, 3.— 3 Joan.,
IV, 24.
302
Le temple matériel, l'assemblée
visible des fidèles est la figure de leur invisible réunion avec Dieu dans
l'éternité. C'est là le vrai temple de Dieu : le vrai temple de Dieu où il
habite, c'est la sainte et éternelle société de ses saints, réunis en lui par
Jésus-Christ. Ainsi aller au temple en esprit, c'est s'unir en esprit à ce
temple invisible et éternel, où Dieu, comme dit l'Apôtre, « sera tout en tous
(1). »
Allons donc en esprit au temple
; et toutes les fois que nous entrerons dans ce temple matériel, unissons-nous
en esprit « à la sainte et éternelle Jérusalem (2) » où est le temple de Dieu,
où sont réunis les saints purifiés et glorifiés, qui attendent pourtant encore à
la dernière résurrection leur parfaite glorification, et l'assemblage consommé
de leurs frères qui manquent encore en leur sainte société, et que Dieu ne cesse
de rassembler tous les jours.
Là donc on trouve Jésus-Christ,
mais Jésus-Christ entier, c'est-à-dire le chef et les membres : mais il ne sera
entier que lorsque le nombre des saints sera complet. Ayons toujours la vue
arrêtée à cette consommation de l'œuvre de Dieu, et nous irons en esprit au
temple pour y trouver Jésus-Christ.
« Il vint en esprit au temple au
moment que le père et la mère de Jésus l'y portaient, selon la coutume prescrite
par la loi (3). » Heureuse rencontre, mais qui n'est pas fortuite; heureuse
rencontre de venir au temple au moment que Joseph et Marie y portaient l'enfant
! C'est pour cela que les anciens Pères grecs ont appelé ce mystère « la
rencontre. » Mais la rencontre parmi les hommes paraît au dehors comme un effet
du hasard : il n'y a point de hasard : tout est gouverné par une sagesse dont
l'infinie capacité embrasse jusqu'aux moindres circonstances. Mais surtout
l'heureuse rencontre de Siméon avec Jésus porté dans le temple par ses parents,
est dirigée par un ordre spécial de Dieu.
1 I Cor., XV, 28. — 2 Hebr.,
XII, 22. — 3 Luc., II, 27.
303
Dieu détermina le moment où l'on
se devait rencontrer. Par quel esprit Jésus vint-il au temple? S'il est écrit
que « le Saint-Esprit le mena dans le désert (1), » ne doit-on pas dire de même
que le Saint-Esprit le mena dans le temple, qu'il y mena aussi Joseph et Marie?
Voici donc l'heureuse rencontre conduite par le Saint-Esprit : le même Esprit
qui mena au temple Joseph, Marie et Jésus, y mena aussi Siméon. Il cherchait
Jésus : mais plutôt et premièrement Jésus le cherchait, et voulait encore plus
se donner à lui que Siméon ne voulait le recevoir.
Mettons-nous donc en état d'être
menés par le même esprit qui mène Joseph, qui mène Marie, qui mène Jésus ; et
pour cela dépouillons-nous de notre propre esprit : car ceux qui sont conduits
par leur esprit propre, ne peuvent pas être conduits par l'esprit de Dieu et de
Jésus-Christ.
Mais qu'est-ce que cet esprit
propre? Apprenons à le connaître. Cet esprit propre consiste dans la recherche
de ses avantages : et l'esprit de Jésus-Christ consiste aussi à se réjouir des
avantages, si l'on peut ainsi parler, et de la gloire de Dieu en Jésus-Christ.
« Si vous m'aimiez, vous vous
réjouiriez de ce que je retourne à mon Père, parce que mon Père est plus grand
que moi (2) ; » et que retourner à lui, c'est retourner à ma naturelle et
originaire grandeur : c'est là se réjouir de la gloire et des avantages de
Jésus-Christ. D'autres sont dévots dans la maladie, dans les grandes affaires du
monde, afin qu'elles réussissent. Que de messes, que de prières, que de billets
dans les sacristies, pour engager Dieu dans leurs Intérêts et le faire servir à
leur ambition ! Ceux-là n'entrent pas au temple dans l'esprit de Jésus-Christ,
et ne l'y rencontrent pas. Laissons là ces dévots grossiers : en voici de plus
spirituels. Ce sont les apôtres qui semblent se réjouir en Jésus-Christ même; et
qui, touchés de sa douce conversation, ne peuvent se résoudre à le voir partir.
Ce sont de faibles amis qui aiment Leur joie plus que la gloire de celui qu'ils
aiment. Ils quitteront l'oraison, pour peu qu'elle cesse à leur apporter ces
délectations sensibles. Ce sont ceux que Jésus-Christ appelle «disciples pour un
temps, qui reçoivent d'abord la parole avec joie, mais à la
1 Luc., IV, 1. — 2 Joan., XIV, 28
301
première tentation l'abandonnent (1). » La vérité ne les
règle pas, mais leur goût passager et spirituel.
Que dirons-nous de ceux qui
viennent dire au Sauveur avec un mélange de joie sensible et humaine : «
Seigneur, les démons mômes nous sont soumis en votre nom (2). » Ils semblent se
réjouir de la gloire de Notre-Seigneur, au nom duquel ils rapportent cet effet
miraculeux. Mais parce qu'ils y mêlaient par rapport à eux une complaisance trop
humaine, Jésus-Christ leur dit : Il est vrai : « je vous ai donné ce pouvoir sur
les démons : néanmoins ne vous réjouissez pas de ce qu'ils vous sont soumis;
mais réjouissez-vous de ce que vos noms sont écrits dans le ciel (3); » et ce
discours se termine à rendre gloire à Dieu de l'accomplissement de sa volonté :
« Il est ainsi, mon Père, parce que c'a été votre bon plaisir (4). »
Ceux aussi dont parle saint Paul
(5), qui donneraient « tous leurs biens aux pauvres et leurs membres mêmes au
martyre, » ne seraient pas dépourvus de quelque joie, en faisant à Dieu ce
sacrifice apparent : et néanmoins, s'ils « n'avaient pas la charité » et cette
céleste délectation de l'accomplissement de la volonté de Dieu, « ils ne
seraient rien. » Cherchons donc à nous réjouir en Jésus-Christ de ce qui a
réjoui Jésus-Christ même, c'est-à-dire du bon plaisir de Dieu, et mettons là
toute notre joie. Alors guidés au temple par l'esprit de Jésus-Christ, nous le
rencontrerons avec Siméon, et la rencontre sera heureuse.
« Il prit l'Enfant entre ses
bras (6). » Ce n'est pas assez de regarder Jésus-Christ; il faut le prendre, le
serrer entre ses bras avec Siméon, afin qu'il n'échappe point à notre foi.
Jésus-Christ est la vérité : le
tenir entre ses bras, c'est
1 Luc., VIII, 13. — 2 Ibid.,
X, 17. — 3 Ibid., 19, 20. — 4 Ibid., 21. — 5 I Cor., XIII,
2, 3. — 6 Luc., II, 28.
305
comprendre ses vérités, se les incorporer, se les unir,
n'en laisser écouler aucune, les goûter, les repasser dans son cœur, s'y
affectionner , en faire sa nourriture et sa force : ce qui en donne le goût et
les fait mettre en pratique.
C'est un défaut de songer
seulement à la pratique : il faut aller au principe de l'affection et de
l'amour. Lisez le psaume CXVIII, tout consacré à la pratique de la loi de Dieu :
« Heureux ceux qui marchent dans la loi de Dieu (1). » Mais que fait David pour
cela? Il la recherche, il l’approfondit, il désire qu'elle soit sa règle, il
désire de la désirer, il s'y attache par un saint et fidèle amour ; il en aime
la vérité, la droiture ; il en chante les merveilles, il use ses yeux à la lire
nuit et jour, il la goûte, elle est un miel céleste à sa bouche. C'est ce qui
rend la pratique amoureuse et persévérante.
Combien plus devons-nous aimer
l'Évangile? Mais pour aimer l'Evangile, il faut primitivement aimer
Jésus-Christ, le serrer entre ses bras, dire avec l'Epouse : « Je le tiens, et
ne le quitterai pas (2). » Une pratique sèche ne peut pas durer : une affection
vague se dissipe en l'air : il faut, par une forte affection, en venir à une
solide pratique.
Ceux qui disent qu'il en faut
venir à la pratique, disent vrai sans doute ; mais ceux qui pensent qu'on en
peut venir à une pratique forte, courageuse et persévérante sans l'attention de
l'esprit et l'occupation du cœur, ne connaissent pas la nature de l'esprit
humain, et ne savent pas embrasser Jésus-Christ avec Siméon.
« Et il bénit Dieu , et il dit :
Vous laisserez maintenant aller en paix votre serviteur (3). » La bénédiction
que nous donnons à Dieu , vient originairement de celle qu'il nous donne. Dieu
nous bénit, lorsqu'il nous comble de ses biens : nous le bénissons,
1 Psal. CXVIII, 1, 2 et seq. — 2 Cantic.,
III, 4. — 3 Luc., II, 28, 29.
306
lorsque nous reconnaissons que tout le bien que nous avons
vient de sa bonté; et que ne pouvant lui rien donner, nous confessons avec
complaisance ses perfections et nous nous en réjouissons de tout notre cœur.
Cette occupation naturelle de
l'homme a été interrompue par le péché, et rétablie par Jésus-Christ ; en sorte
que par nous-mêmes ne pouvant bénir Dieu, ni rien faire qui lui soit agréable ,
nous le bénissons en Jésus-Christ, « en qui » aussi « il nous a » premièrement «
bénis de toute bénédiction spirituelle (1), » comme dit saint Paul.
Pour donc bénir Dieu, il faut le
tenir entre nos bras, qui est une posture d'offrande et un acte pour présenter à
Dieu son Fils bien-aimé.
Par ce moyen nous rendons à Dieu tout ce que nous lui
devons et lui faisons une oblation égale, non-seulement à ses bienfaits, mais
encore à ses grandeurs, en lui présentant un autre lui-même. Au reste nous
pouvons l'offrir, puisqu'il est à nous, de même sang , de même nature que nous
sommes; qui d'ailleurs se donne à nous tous les jours dans la sainte
Eucharistie, afin que nous ayons tous les jours de quoi donner à Dieu qui nous
donne tout.
L'effet dans nos cœurs de cette
bénédiction, c'est de nous dégoûter de la vie et de tous les biens sensibles.
Celui-là bénit Dieu véritablement, qui, attaché à Jésus-Christ qu'il présente à
Dieu et détaché de tout le reste, dit avec Siméon : « Laissez-moi aller en paix
: » je ne veux rien, je ne tiens à rien sur la terre; ou bien avec Job : « Le
Seigneur a donné : le Seigneur a ôté : tout ce que le Seigneur a voulu est
arrivé : le nom du Seigneur soit béni (2) : à lui la gloire et l'empire (3) : »
à nous l'humilité et l'obéissance. En quelque état que nous soyons, mettons
Jésus entre Dieu et nous : Veux-je vous rendre grâces, voilà votre Fils : vous
ai-je offensé, voilà voire Fils, mon grand propitiateur. Voyez les pleurs de ses
yeux enfantins : c'est pour moi qu'il les verse. Qui en doute , puisqu'il a bien
versé son sang? Recevez donc de mes mains le Sauveur que vous nous avez donné.
C'est pour cela qu'il
1 Ephes., 1, 3. — 2 Job., I, 21. — 3
Apoc., I, 6.
307
se met encore tous les jours entre nos mains. Mais soyons
purs, soyons saints pour offrir à Dieu le Saint des saints : levons à Dieu des
mains pures et allons en paix.
Le saint vieillard ne veut plus
rien voir, après avoir vu Jésus-Christ (1). Il croyait profaner ses yeux
sanctifiés par la vue de Jésus-Christ : et il ne désire plus que d'aller bientôt
au sein d'Abraham y attendre l'espérance du monde, et annoncer comme prochaine
aux enfants de Dieu la consolation d'Israël.
En général on ne doit souhaiter
de vivre que jusqu'à tant qu'on ait connu Jésus-Christ. Mourir sans l'avoir
connu, c'est mourir dans son péché : mais aussi quand on l'a connu et goûté par
la rémission de ses péchés, qui pourrait aimer la vie et se repaître encore de
ses illusions? La vie de l'homme n'est que tentation et tromperie. Les pompes,
les grandeurs, les biens du monde, qu'est-ce autre (2), » un vain faste, une
vaine enflure, un amusement dangereux, un piège, un attrait trompeur pour les
faibles ? « Fuyons, fuyons cette Babylone, pour n'être point corrompus par ses
délices (3): » après avoir vu le vrai en Jésus, fuyons le faux qui est dans le
monde.
Eh bien, je laisserai le monde :
je m'en irai contempler les œuvres de Dieu dans la retraite : je n'y trouverai
pas ce faux que j'aperçois dans le monde : quelle consolation, puisque le vrai y
est encore imparfait ! Les créatures peuvent être nos introducteurs vers Dieu:
mais quand nous le pouvons voir lui-même, qu'avons-nous besoin des
introducteurs ? Fermez-vous dorénavant, nos yeux : vous avez vu Jésus-Christ ;
il n'y a plus rien à voir pour vous.
C’est ainsi que le juste méprise
la vie, et ne la supporte qu'avec peine. Mais alors, et quand Jésus-Christ
devait paraître, on
1 Luc., I, 26. — 2 I Job, II, 16. — 3 Apoc.,
XVIII, 4.
308
pouvait désirer la consolation de le voir et de lui rendre
témoignage. Maintenant, où pour le voir il faut mourir, la mort n'est-elle pas
douce? Si le saint vieillard a tant désiré de voir Jésus dans l'infirmité de sa
chair, combien plus devons-nous désirer de le voir dans sa gloire! Heureux
Siméon, combien de « prophètes, » combien « de rois ont désiré de voir ce que
vous voyez, et ne l'ont pas vu ? » C'est ce que Jésus disait à ses disciples ;
et il ajouta : « Et d'ouïr ce que vous écoutez, et ne l'ont pas ouï (1). »
Siméon n'écoutait pas sa parole, qui faisait dire à ses auditeurs, peut-être
encore incrédules : « Jamais homme n'a parlé comme celui-ci (2) ; » et néanmoins
il est ravi : combien plus le devons-nous être d'entendre sa sainte parole, et
d'en attendre la dernière et parfaite révélation dans la vie future! Siméon ne
voit rien encore qu'un enfant où rien ne paraît d'extraordinaire ; et Dieu lui
ouvre les yeux de l'esprit, pour voir que c'est la « lumière » que Dieu prépare
« aux gentils » pour les éclairer, et le flambeau pour les recueillir de leur
dispersion : en même temps la« gloire d'Israël, » et celui où se réunissent ceux
qui sont loin et ceux qui sont près : en un mot l'attente commune des deux
peuples, comme Jacob le vit eu mourant, lorsqu'il vit sortir de Juda celui « qui
était l'espérance de tous les peuples de l'univers (3). »
Eclairez-nous, ô Sauveur, «
lumière qui éclairez tout homme venant au monde (4) : » éclairez-nous, nous que
votre Evangile a tirés de la gentilité : éclairez les Juifs encore endurcis, et
qu'ils viennent confesser avec nous Jésus-Christ Notre-Seigneur. Qui verra cet
heureux temps? Quand viendra-t-il? Bienheureux les yeux qui verront, après la
conversion des gentils, la gloire du peuple d'Israël !
« Le père et la mère de l'enfant
étaient en admiration de ce qu'on disait de lui (5). » Pourquoi tant être en
admiration ? Ils en
1 Luc., X,24.— 2 Joan., VII, 46. — 3
Genes., XLIX, 10. — 4 Joan., I, 9.— 5 Luc., II, 33.
309
savaient plus que tous ceux qui leur en parlaient. Il est
vrai que l'ange ne leur avait pas encore annoncé la vocation des gentils. Marie
n'avait ouï parler que « du trône de David et de la maison de Jacob (1). » Elle
avait senti toutefois par un instinct manifestement prophétique et sans
limitation, que « dans tous les temps on la publierait bienheureuse (2) : » ce
qui semblait comprendre tous les peuples comme tous les âges : et l'adoration
des mages était un présage de la conversion des gentils. Quoi qu'il en soit,
Siméon est le premier qui paroisse l'avoir annoncée , et c'était un grand sujet
d'admiration.
Sans en tant rechercher les
causes, le Saint-Esprit nous veut faire entendre une excellente manière
d'honorer les mystères. C'est à la vue des bontés et des merveilles de Dieu, de
demeurer devant lui en grande admiration et en grand silence. Dans ce genre
d'oraison, il ne s'agit pas de produire beaucoup de pensées, ni de faire de
grands efforts : on est devant Dieu : on s'étonne des grâces qu'il nous fait :
on dit cent et cent fois sans dire mot, avec David : Quid est, homo? «
Qu'est-ce que l'homme, que vous daigniez vous en souvenir (3)? » Encore un coup
: qu'est-ce que l'homme, que vous, vous qui êtes le Seigneur admirable par toute
la terre , vouliez y penser? Et on s'abîme dans l'étonnement et dans la
reconnaissance, sans songer à vouloir produire, ni au dedans, ni au dehors, la
moindre parole, tant que dure cet le bienheureuse et très-simple disposition.
Il y a dans l'admiration une
ignorance soumise, qui, contente de ce qu'on lui montre des grandeurs de Dieu ,
ne demande pas d'en savoir davantage ; et perdue dans l'incompréhensibilité des
mystères , les regarde avec un saisissement intérieur, également disposée à voir
ou à ne voir pas, à voir plus ou moins selon qu'il plaira à Dieu. Cette
admiration est un amour. Le premier effet de l'amour, c'est de faire admirer ce
qu'on aime, le faire toujours regarder avec complaisance, y rappeler les yeux ,
ne vouloir point le perdre de vue. Cette manière d'honorer Dieu est marquée dans
les saints dès les premiers temps. Elle est répétée plusieurs fois dans saint
Clément d'Alexandrie. Mais quoi? Elle est de David,
1 Luc., I, 32. — 2 Ibid., 48. — 3 Psal.,
VIII, 5.
310
lorsqu'il dit : Quàm admirabile ! quid est homo ! quàm
magna multitudo dulcedinis tuae. Domine ! « Que votre nom est admirable!
qu'est-ce que l'homme! que vos douceurs sont grandes et innombrables (1) ! »
C'est le cantique de tous les saints dans l'Apocalypse : « Qui ne vous craindra,
Seigneur? Qui n'exaltera votre nom? car vous êtes le seul saint (2). » On se
tait alors, parce qu'on ne sait comment exprimer sa tendresse, son respect, sa
joie, ni enfin ce qu'on sent de Dieu : et c'est « dans le ciel le silence
d'environ une demi-heure (3) : » silence admirable, et qui ne peut durer
longtemps dans cette vie turbulente et tumultueuse.
« Cet enfant que vous voyez, est
pour la ruine et pour la résurrection de plusieurs dans Israël (4) » C'est ce
qu'opère tout ce qui est haut et ce qui est simple tout ensemble. On ne peut
atteindre à sa hauteur : on dédaigne sa simplicité : ou bien on le veut
atteindre par soi-même ; et on ne peut, et on se trouble , et on se perd dans
son orgueil. Mais les humbles cœurs entrent dans les profondeurs de Dieu sans
s'émouvoir ; et éloignés du monde et de ses pensées, ils trouvent la vie dans la
hauteur des œuvres de Dieu.
« Et il sera en butte aux
contradictions des hommes (5). » Siméon est inspiré de parler à fond à Marie,
qui plais (pie personne a ces oreilles intérieures où le Verbe se fait entendre.
Ouvrons l'Evangile, et surtout celui de saint Jean, où le mystère de
Jésus-Christ est découvert plus à fond : c'est le plus parfait commentaire de la
parole de Siméon. Ecoutons murmurer le peuple. « Les uns disaient : C'est un
homme de bien; les autres disaient: Non, il trompe le peuple et abuse de sa
crédulité. N'est-ce pas lui qu'ils voulaient faire mourir? Et il prêche et
personne ne lui dit mot :
1 Psal. VIII, 2, 5 ; Psal.
XXX, 10. — 2 Apoc., XV, 4. — 3 Apoc., VIII, 1. — 4 Luc.,
II, 84.— 8 Ibid.
311
les prêtres auraient-ils connu qu'il est le Christ ? Mais
on ne saura d'où viendra le Christ, et celui-ci nous savons d'où il est venu
(1). Que veut-il dire, qu'on ne peut aller où il va ? Ira-t-il aux gentils
dispersés, et s'en rendra-t-il le docteur? Les uns disaient : C'est le Christ ;
les autres disaient : Le Christ doit-il venir de Galilée? Ne sait-on pas qu'il
doit venir de Bethléem ? Il y eut donc sur ce sujet une grande dissension (2), »
et le voilà « en butte aux contradictions des hommes. »
Poursuivons. Jésus répète encore
une fois : « Je m'en vais, et vous ne pouvez venir où je vais. » Où ira-t-il? «
Se tuera-t-il lui-même (3), » afin qu'on ne puisse le suivre? Ce n'était pas
seulement les infidèles et les incrédules qui contredisaient à ses paroles :
ceux qui croyaient, mais non pas encore assez à fond, aussitôt qu'ils lui
entendirent dire cette parole la plus consolante qu'il ait jamais prononcée: «
La vérité vous affranchira, » s'emportèrent jusqu'à oublier leurs captivités si
fréquentes, et jusqu'à lui dire : Vous nous traitez d'esclaves : « nous n'avons
jamais été dans l'esclavage (4). » Il leur fait voir leur captivité sous le
péché , dont lui seul pouvait les affranchir : ils ne veulent point s'apaiser ;
et de discours en discours, pendant que Jésus leur dit la vérité, ils
s'emportent jusqu'à lui dire qu'il était « un samaritain et possédé du malin
esprit, » sans être touchés de sa douceur : l'entretien se finit par vouloir
prendre des pierres pour le lapider.
Continuons. « Je donne, leur
dit-il, ma vie de moi-même, et personne ne me la peut ôter (5). » Et il s'élève
sur cette parole de nouvelles dissensions : « C'est un possédé, disaient les
uns, c'est un fol; pourquoi l'écouter davantage? D'autres disaient : Ce ne sont
pas là les paroles d'un possédé; un possédé rend-il la vue à un aveugle-né (6)?
» Les contradictions étaient fortes; les défenseurs étaient faibles; et le parti
des contradicteurs devint si fort, qu'à la fin il met en croix l'innocence même.
« Ils s'amassent pourtant autour de lui ; » et avec une bonne foi apparente ils
lui disent : « Pourquoi nous faire mourir et nous tenir toujours en suspens? Si
vous êtes le Christ, dites-le nous ouvertement (7). » Il le leur
1 Joan., VII, 12, 25-27. — 2 Ibid., 35 et
seq. — 3 Joan., VIII, 21, 22.— 4 Ibid., 32-34 et seq.— 5 Joan.,
X, 18.— 6 Ibid., 19-21.— 7 Ibid., 24.
312
avait dit tant de fois, et ses œuvres mêmes partaient ; ce
qui lui fait dire : « Je vous le dis , et vous ne me croyez pas ; » et quand je
me tairais, «les œuvres que je fais au nom de mon Père rendent témoignage de moi
(1). » Ils ne l'en croient pas, et ils en reviennent à prendre des pierres pour
le lapider : tant il était né pour essuyer les contradictions du genre humain.
On le chicanait sur tout : « Pourquoi vos disciples
méprisent-t-ils nos traditions? Ils se mettent à table sans se laver (2). »
Voici une chicane bien plus étrange. « Cet homme ne vient pas de Dieu : il fait
des miracles et il guérit les malades le jour du sabbat (3). » Ils n'eussent pas
« craint le jour du sabbat de retirer d'un fossé leur âne ou leur bœuf (4) : »
mais guérir le jour du sabbat une fille d'Abraham , et la délivrer du malin
esprit dont elle était opprimée, c'est un crime abominable. Faut-il s'étonner si
on contredit sa doctrine et ses mystères , puisqu'on trouve mauvais jusqu'à ses
miracles et à ses bienfaits ?
« Vous êtes d'en bas, et je suis
d'en haut (5) : » Je viens apprendre aux hommes des choses hautes qui les
passent; et les hommes superbes ne veulent pas s'humilier pour les recevoir.
« Vous êtes du monde , et je ne
suis pas du monde (6) : » Vous êtes charnels et sensuels ; et ce que je vous
annonce qui est spirituel , ne peut entrer dans votre esprit. Il faut que je
vous régénère , que je vous renouvelle, que je vous refonde, car, « ce qui est
né de la chair est chair (7), » et on n'est spirituel qu'en renaissant et en
renonçant à sa première vie.
« La lumière est venue au monde
; et les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière, parce que leurs
œuvres étaient mauvaises. » Car « celui qui fait mal hait la lumière; et il ne
vient
1 Joan., X, 25, 31.— 2 Matth.,
XV , 2. — 3 Joan., IX , 16. — 4 Luc., XIV, 3-5. —
5
Joan., VIII, 23. — 6 Ibid. — 7 Joan., III, 6.
313
point à la lumière, de peur que ses œuvres ne soient
manifestées (1). »
Voilà trois paroles du Fils de
Dieu , qui contiennent trois raisons pour lesquelles les hommes n'ont pu le
souffrir. Ils sont superbes, et ils ne veulent pas s'humilier pour recevoir les
sublimités qu'il leur annonce : ils sont charnels et sensuels, et ils ne veulent
pas se dépouiller de leurs sens pour entrer dans les choses spirituelles où il
les veut faire entrer : ils sont vicieux et corrompus, et ils ne peuvent
souffrir d'être repris par la vérité.
« Vous me voulez faire mourir,
dit le Sauveur, parce que ma parole ne prend point en vous et n'y trouve point
d'entrée (2). » Ainsi elle vous révolte , parce que vous ne pouvez pas y entrer.
Comme jamais il n'y eut de vérité ni plus haute, ni plus spirituelle, ni plus
convaincante et plus vivement reprenante que celle de Jésus-Christ, il n'y eut
jamais aussi une plus grande révolte ni une plus grande contradiction. C'est
pourquoi il en faut venir jusqu'à la détruire, jusqu'à faire mourir celui qui
l'annonce. « Vous cherchez à me faire mourir, moi qui suis un homme qui vous dis
la vérité. » Voilà le sujet de votre haine : « Vous ne connaissez pas mon
langage. » Pourquoi? « parce que vous ne pouvez pas seulement écouter ma parole
(3) : » elle vous est insupportable, parce qu'elle est vive, convaincante,
irrépréhensible.
C'est la grande contradiction
que souffre Jésus : les hommes se révoltent contre lui, parce qu'ils ne veulent
pas se convertir, s'humilier, se mortifier , combattre leurs cupidités et leurs
passions. Ils aimeront quelquefois ses vérités qui sont belles en elles-mêmes :
quand elles se tournent en jugement, en répréhension, en correction , ils se
révoltent contre lui et contre les prédicateurs qui prêchent les vérités fortes
; et contre les supérieurs , contre les amis qui nous mettent nos défauts devant
les yeux, et qui troublent le faux repos d'une mauvaise conscience. C'est de ce
côté-là plus que de tous les autres que Jésus-Christ est « en butte aux
contradictions, » et cet endroit est pour lui le plus sensible.
1 Joan., III, 19, 20.— 2 Ibid.,
VIII, 37.— 3 Ibid., 40, 43.
314
Je frémis, je sèche, Seigneur,
je suis saisi de frayeur et d'étonnement; mon cœur se pâme , se flétrit, quand
je vous vois en butte aux contradictions, non-seulement des infidèles, mais
encore de ceux qui se disent vos disciples. Et premièrement, quelles
contradictions sur votre personne ! Vous êtes tellement Dieu qu'on ne peut
croire que vous soyez homme : vous êtes tellement homme, qu'on ne peut croire
que vous soyez Dieu. Les uns ont dit : « Le Verbe est en Dieu (1); » mais ce
n'est rien de substantiel ni de subsistant : il est en Dieu comme notre pensée
est en nous : en ce sens il est Dieu comme la pensée est notre aine. Car
qu'est-ce que la pensée, sinon notre âme en tant qu'elle pense? Non, disent les
autres : on voit trop que le Verbe est quelque chose qui subsiste : c'est un
fils ; c'est une personne : qui ne le voit pas par toutes les actions et toutes
les choses qu'on lui attribue? Mais aussi ne doit-on pas croire que cet homme
qui est né de Marie, sans être rien autre chose, est cette personne qu'on nomme
le Fils de Dieu? Quoi! il n'est pas devant Marie, lui qui dit qu'il est « devant
Abraham (2)? » lui qui « était au commencement (3)? » Vous vous trompez, il est
évident, dit Arius, qu'il est devant que le monde fût : c'est dès lors une
personne subsistante ; mais inférieure à Dieu, faite du néant comme le sont les
créatures, quoique plus excellente. Tiré du néant? cela ne se peut : lui « par
qui tout a été tiré du néant (4). » Comment donc est-il fils? Un fils n'est-il
pas produit de la substance de son père, et de même nature que lui? Le Fils de
Dieu sera-t-il moins fils, et Dieu sera-t-il moins père que les hommes ne le
sont? Il serait donc fils par adoption comme nous? Et comment avec cela « être
fils unique, qui est dans le sein du Père (5) ? » Arius, vous avez tort, dit
Nestorius : Le Fils de Dieu est Dieu
1 Joan., I, 1. — 2 Ibid.,
VIII, 58. — 3 Ibid., I, 1,2. — 4 Ibid., 3. — 5 Ibid., 18.
315
comme lui ; mais aussi ne peut-il pas en même temps être
fait homme? Il habite en l'homme comme Dieu habite dans un temple par grâce; et
si le Fils de Dieu est fils par nature, l'homme qu'il s'est uni par sa grâce ne
l'est que par adoption.
On s'oppose à cette perverse
doctrine : on dit à Nestorius : Vous séparez trop : il faut unir jusqu'à tout
confondre, et faire de deux natures une nature. Hélas! quand finiront ces
contentions? Pouvez-vous croire, disent ceux-ci, qu'un Dieu puisse en effet se
rabaisser jusqu'à être effectivement homme? La chair n'est pas digne de lui : il
n'en a point, si ce n'est une fantastique et imaginaire. Imaginaire ! dit
l'autre; et comment donc a-t-on dit : « Le Verbe a été fait chair (1), » en
définissant l'incarnation par l'endroit que vous rebutez? Il a une chair, et
l'incarnation n'est pas une tromperie. Mais le Verbe lui tient lieu d'âme : ou
bien, si vous voulez lui donner une âme, donnons-lui celle des bêtes quelle
qu'elle soit; mais ne lui donnons point celle des hommes. Le Verbe est son âme
encore un coup : ou du moins il est son intelligence : il veut par sa volonté,
et il ne peut en avoir d'autre. Est-ce tout enfin ? Oui c'est tout : car on a
tout contesté, le corps, l’âme, les opérations intellectuelles; et toutes les
contradictions sont épuisées. Jésus est donc « en butte aux contradictions » de
ceux qui se disent ses disciples! Car, disent-ils, le moyen de comprendre cela
et cela? Mais Jésus avait prévenu les contradictions par une seule parole : «
Dieu a tant aimé le monde, qu'il lui a donné son Fils unique (2). »
Pour tout entendre, il ne faut
qu'entendre son amour. « Dieu a tant aimé le momie. » Un amour incompréhensible
produit des effets qui le sont aussi. Vous demandez des pourquoi à Dieu?
Pourquoi un Dieu se faire homme! Jésus-Christ vous dit ce pourquoi. « Dieu a
tant aimé le monde. » Tenez-vous-en là : les hommes ingrats ne veulent pas
croire que Dieu les aime autant qu'il fait. Mais le disciple bien-aimé résout
leurs doutes, en disant : « Nous avons cru à l'amour que Dieu a pour nous (3). »
Dieu a tant aimé le monde : et que reste-t-il après cela, sinon de croire à
l'amour pour croire à tous les mystères ?
1 Joan., I, 14. — 2 Ibid.,
III, 16. — 3 Ibid., IV, 10.
316
Esprits aussi insensibles à
l'amour divin, que vous êtes d'ailleurs présomptueux. Le mystère de
l'Eucharistie vous rebute? Pourquoi nous donner sa chair et s'unir à nous corps
à corps pour s'y unir esprit à esprit? « Dieu a tant aimé le monde, » dit Jésus
: et saint Jean répond pour nous tous : « Nous avons cru à l'amour que Dieu a eu
pour nous. » Mais il est incompréhensible : c'est pour cela que je veux le
croire et m'y abîmer : il n'en est que plus digne de Dieu. Après cela il ne faut
plus disputer, mais aimer ; et après que Jésus a dit : « Dieu a tant aimé le
monde, » il ne fau-droit plus que dire : Le monde racheté a tant aimé Dieu.
Voici encore un écueil terrible
pour l'orgueil humain. L'homme dit en son cœur : J'ai mon franc arbitre : Dieu
m'a fait libre, etje me veux faire juste : je veux que le coup qui décide de mon
salut éternellement vienne primitivement de moi. Ainsi on veut par quelque coin
se glorifier en soi-même. Où allez-vous, vaisseau fragile ? vous allez vous
briser contre l'écueil, et vous priver du secours de Dieu qui n'aide que les
humbles, et qui les fait humbles pour les aider. Connaissez-vous bien la chute
de votre nature pécheresse ; et après même en avoir été relevé, l'extrême
langueur, la profonde maladie qui vous en reste ? Dieu veut que vous lui disiez
: « Guérissez-moi (1) ; » car à tout moment je me meurs, etje ne puis rien sans
vous. Dieu vont que vous lui demandiez toutes les bonnes actions que vous devez
faire : quand vous les avez faites. Dieu veut que vous lui rendiez grâces de les
avoir faites. Il ne veut pas pour cela que vous demeuriez sans action, sans
effort-mais il veut qu'en vous efforçant comme si vous deviez agir tout seul,
vous ne vous glorifiiez non plus en vous-même que si vous ne faisiez rien.
Je ne puis : je veux trouver
quelque chose à quoi me prendre
1 Psal. VI, 3.
317
dans mon libre arbitre, que je ne puis accorder avec cet
abandon à la grâce. Superbe contradicteur, voulez-vous accorder ces choses, ou
bien croire que Dieu les accorde? Il les accorde tellement qu'il veut, sans vous
relâcher de votre action, que vous lui attribuiez finalement tout l'ouvrage de
votre salut : car il est le Sauveur ; et il dit : « Il n'y a point de Dieu qui
sauve que moi (1). » Croyez bien que Jésus-Christ est Sauveur, et toutes les
contradictions s'évanouiront.
Seigneur, vos mystères sont
enveloppés de ténèbres. Vous avez répandu dans votre Ecriture des obscurités
vénérables à la vérité, mais enfin qui déconcertent notre faible esprit : je
tremble en les voyant, et je ne sais par où sortir de ce labyrinthe. Vous ne
savez par où en sortir? Mais Jésus a-t-il parlé obscurément de son Eglise?
N'a-t-il pas dit qu'il la mettait sur « une montagne (2), » afin qu'elle fût vue
de tout le monde? N'a-t-il pas dit « qu'il la posait sur le chandelier, afin
qu'elle luisît à tout l'univers (3)? » N'a-t-il pas dit assez clairement : « Les
portes d'enfer ne prévaudront pas contre elle (4)? » N'a-t-il pas assez
clairement renvoyé jusqu'aux moindres difficultés à la décision de l'Eglise, et
rangé « parmi les païens et les péagers (5) » ceux qui refuseraient d'en passer
par son avis? Et lorsque montant aux cieux on aurait pu croire qu'il la laissait
destituée de son assistance, n'a-t-il pas dit : « Allez, baptisez, enseignez ;
et voilà que je suis avec vous » enseignant ainsi et baptisant, «jusqu'à la fin
des siècles6? » Si donc vous avez des doutes, allez à l'Eglise : elle est en vue
: elle est toujours inébranlable, immuable dans sa foi, toujours avec
Jésus-Christ et Jésus-Christ avec elle. Disons ici encore une fois : « Dieu a
tant aimé le monde, » que pour en résoudre les doutes il n'a point laissé de
doute sur son Eglise qui les doit résoudre.
1 Isa., XLIII, 8, II. — 2
Matth., V, 14. — 3 Ibid., 15. — 4 Ibid., XVI, 18. —5 Ibid.,
XVIII, 17. — 6 Ibid., XXVIII, 19, 20.
318
Mais combien de sociétés
prennent le titre d'Eglise? Pouvez-vous vous y tromper? Ne voyez-vous pas que
celle qui a toujours été ; celle qui demeure toujours sur sa base ; celle qu'on
ne peut pas seulement accuser de s'être séparée d'un autre corps et dont tous
les autres corps se sont séparés, portant sur leur front le caractère de leur
nouveauté; ne voyez-vous pas encore un coup que c'est celle qui est l'Eglise?
Soumettez-vous donc. Vous ne pouvez? j'en vois la cause : vous voulez juger par
vous-même : vous voulez faire votre règle de votre jugement : vous voulez être
plus, savant et plus éclairé que les autres : vous vous croyez ravili en suivant
le chemin battu, les voies communes : vous voulez être auteur, inventeur, vous
élever au-dessus des autres par la singularité de vos sentiment s : en un mot,
vous voulez, ou vous faire un nom parmi les hommes, ou vous admirer vous-même en
secret comme un homme extraordinaire. Aveugle conducteur d'aveugles, en quel
abime vous allez vous précipiter avec tous ceux qui vous suivront ! Si vous
étiez tout à fait aveugle, vous trouveriez quelque excuse dans votre ignorance ;
« mais vous dites : Nous voyons, » nous entendons tout, et le secret de
l'Ecriture nous est révélé : « Votre péché demeure en vous (1).»
Pourquoi nous renvoyer à
l'Eglise ? Ne pouviez-vous pas nous éclairer par vous-même, et rendre votre
Ecriture si pleine et si claire qu'il n'y restât aucun doute? Superbe
raisonneur, n'entendez-vous pas que Dieu a voulu faire des humbles? Votre
maladie, c'est l'orgueil : votre remède sera l'humilité : votre orgueil vous
révolte contre Dieu : l'humilité doit être votre véritable sacrifice. Et
pourquoi a-t-il répandu dans son Ecriture ces ténèbres mystérieuses, sinon pour
vous renvoyer à l'autorité de l'Eglise où l'esprit de la tradition, qui est
celui du Saint-Esprit, décide tout?
1 Joan., IX, 41.
319
Ignorez-vous, vous qui vous plaignez de l'obscurité des
Ecritures, que sa trop grande lumière vous éblouirait plus que ses saintes
ténèbres ne vous confondent? N'avez-vous pas vu les Juifs demander à Jésus qu'il
s'explique; et Jésus s'expliquer de sorte, quand il l'a voulu, qu'il n'y avait
plus d'ambiguïté dans ses discours? Et qu'en est-il arrivé? Les Juifs en ont-ils
été moins incrédules ? Point du tout : la lumière même les a éblouis : plus elle
a été manifeste, plus ils se sont révoltés contre elle : et si on le veut
entendre, la lumière a été plus obscure, et plus ténébreuse pour leurs yeux
malades, que les ténèbres mêmes.
Enfin par-dessus toutes choses,
vous avez besoin de croire que ceux qui croient doivent tout à Dieu ; qu'ils
sont, comme dit le Sauveur, « enseignés de lui, » docibiles Dei, de mot à
mot, docti à Deo (1); qu'il faut qu'il parle dedans, et qu'il aille
chercher dans le cœur ceux à qui il veut spécialement se faire entendre. Ne
raisonnez donc plus : humiliez-vous : « Qui a des oreilles pour écouter, qu'il
écoute (2) : » mais qu'il sache que ces oreilles qui écoutent, c'est Dieu qui
les donne : Dominus dat aures audientes (3).
Mais la contradiction la plus
douloureuse du Sauveur est celle de nos péchés, de nous qui nous disons ses
fidèles et qui sommes les enfants de son Eglise. Le désordre, le dérèglement, la
corruption se répand dans tous les états, et toute la face de l'Eglise paraît
infectée. « Depuis la plante des pieds jusqu'à la tête, il n'y a point de santé
en elle (4). Voilà, dit-elle, que mon amertume la plus amère est dans la paix
(5) : ma première amertume qui m'a été, » disait saint Bernard, «bien amère, a
été dans les persécutions des gentils : la seconde amertume encore plus amère, a
été dans les
1 Joan., VI, 45. — 2 Matth.,
XI, I5 ; XIII, 9 et seq. — 3 Prov., XX, 12, quoad sensum. — 4
Isa, 6. — 5 Ibid., XXXVIII, 17.
320
schismes et dans l'hérésie : mais dans la paix et quand
j'ai été triomphante, mon amertume très-amère est dans les dérèglements des
chrétiens catholiques (1). »
Que chacun repasse ici ses
péchés : il verra par quel endroit Jésus-Christ, durant tout le cours de sa vie
et dans son agonie au sacré jardin, a été le plus douloureusement contredit. Les
Juifs, qui ont poussé leur dérision jusque parmi les horreurs de sa croix, ne
l'ont pas percé de plus de coups, ni n'ont pas été « un peuple plus contredisant
envers celui qui étendait ses bras vers eux (2), » que nous le sommes. Et si le
cœur de Jésus pouvait être affligé dans sa gloire, il le serait de ce côté-là
plus que par toute autre raison. C'est vous, chrétiens et catholiques, c'est
vous « qui faites blasphémer mon nom par toute la terre (3). » On ne peut croire
que ma doctrine soit venue du ciel, quand on la voit si mal pratiquée par ceux
qui portent le nom de fidèles (a).
Ils en sont venus jusqu'à
vouloir courber la règle, comme les docteurs de la loi et les pharisiens : ils
se font des doctrines erronées, de fausses traditions, de fausses probabilités :
la cupidité résout les cas de conscience, et sa violence est telle qu'elle
contraint les docteurs de la flatter. O malheur ! On ne peut convertir les
chrétiens, tant leur dureté est extrême, tant les mauvaises coutumes prévalent :
on leur cherche des excuses : la régularité passe pour rigueur : on lui donne
un nom de secte : la règle ne peut plus se faire entendre. Pour affaiblir tous
les préceptes dans leur source, on a attaqué celui de l'amour de Dieu : on ne
peut trouver le moment où l'on soit obligé de le pratiquer ; et à force de
reculer l'obligation, on l'éteint tout à fait. O Jésus, je le sais, la vérité
triomphera éternellement dans votre Eglise : suscitez-y des docteurs pleins de
vérité et d'efficace, qui fassent taire enfin les contradicteurs : et toujours,
en attendant, que chacun de nous fasse taire la contradiction en soi-même.
1 S. Bern., serm. XXXII, in Cant.,
n. 19.— 2 Isa., LXV, 2 ; Rom.,
X, 21. — 3 Isa., LII, 5 ; Rom.,
II, 24.
(a) Var. : Qui se disent fidèles.
321
« Cet enfant sera en butte aux
contradictions : et votre âme même, » ô mère affligée et désolée, « sera percée
d'une épée (1). » Vous aurez part aux contradictions : vous verrez tout le monde
se soulever contre ce cher Fils : vous en aurez le cœur percé, et il n'y a point
d'épée plus tranchante que celle de votre douleur : votre cœur sera percé par
autant de plaies que vous en verrez dans votre Fils : vous serez conduite à sa
croix pour y mourir de mille morts. Combien serez-vous affligée, quand vous
verrez sa sainte doctrine contredite et persécutée? Vous verrez naître les
persécutions et les hérésies : le miracle de l'enfantement virginal sera
contredit comme tous les autres mystères, pendant même que vous serez encore sur
la terre ; et il y en aura qui ne voudront pas croire votre inviolable et
perpétuelle virginité. Vous serez cependant la merveille de l'Eglise, la gloire
des femmes, l'exemple et le modèle de toute la terre. Peut-on assez admirer la
foi qui vous fait dire : « Ils n'ont pas de vin ; » et : « Faites ce qu'il vous
dira (2) ? » Vous êtes la mère de tous ceux qui croient ; et c'est à votre
prière que s'est fait le premier miracle qui les a fait croire.
Il faut joindre ces paroles : «
Cet enfant sera en butte aux contradictions, » à celles-ci : « Les pensées que
plusieurs cachent dans leurs cœurs seront découvertes (3). » Si Jésus-Christ
n'avait point paru sur la terre, on ne connaîtrait pas la profonde malice, le
profond orgueil, la profonde corruption, la profonde dissimulation et hypocrisie
du cœur de l'homme.
1 Luc., II, 34, 35. — 2 Joan., II, 3, 5. — 3
Luc., II, 34, 35.
322
La plus profonde iniquité est
celle qui se couvre du voile de la piété. C'est où en étaient venus les
pharisiens et les docteurs de la loi. L'avarice, l'esprit de domination et le
faux zèle de la religion les transportait et les aveuglait, de sorte qu'ils
voulaient avec cela se croire saints et les plus purs de tous les hommes. Sous
couleur de faire pour les veuves et pour tous les faibles esprits de longues
oraisons, ils se rendaient nécessaires auprès d'elles, et dévoraient leurs
richesses ; ils parcouraient la terre et la mer pour faire un seul prosélyte,
qu'ils damnaient plus qu'auparavant sous prétexte de les convertir, parce que
sans se soucier de les instruire du fond de la religion, ils ne voulaient que se
faire renommer parmi les hommes, comme des gens qui gagnaient des âmes à Dieu;
et en se les attachant, ils les faisaient servir à leur domination et à
l'établissement de leurs mauvaises maximes (1). Ils se donnaient au public comme
les seuls défenseurs de la religion. Esprits inquiets et turbulents, qui
retiraient les peuples de l'obéissance aux puissances, se portant en apparence
pour gens libres, qui n'avaient en recommandation que les intérêts de leurs
citoyens, et en effet, pour régner seuls sur leurs consciences. Le peuple
prenait leur esprit : et entraîné à leurs maximes corrompues, pendant qu'ils se
faisaient un honneur de garder les petites observances de la loi, ils en
méprisaient les grands préceptes, et mettaient la piété où elle n'était pas.
S'ils affectaient partout les premières places ils faisaient semblant que
c'était pour honorer la religion dont ils voulaient paraître les seuls
défenseurs, mais en effet c'est qu'ils voulaient dominer et qu'ils se
repaissaient d'une vaine gloire. Les reprendre et leur dire la vérité dont ils
voulaient passer pour les seuls docteurs, c'était les révolter contre elle de la
plus étrange manière. Aussitôt ils ne manquaient pas d'intéresser la religion
dans leur querelle ; et ils étaient si entêtés de leurs fausses maximes, qu'ils
croyaient rendre service à Dieu en exterminant ceux qui osaient les combattre.
Comme jamais la vérité n'avait
paru plus pure, plus parfaite, plus victorieuse que dans la doctrine et dans les
exemples de Jésus-Christ, elle ne pouvait manquer d'exciter plus que jamais
1 Matth., XXIII, 1-4 et seq.
323
le faux zèle de ces aveugles conducteurs du peuple. Le
secret de leurs cœurs fut révélé : on vit ce que pouvait l'iniquité et l'orgueil
couvert du manteau de la religion : on connut plus que jamais ce que pouvait le
faux zèle et les excès où se portent ceux qui en sont transportés. Il fallut
crucifier celui qui était la sainteté même et persécuter ses disciples : et
Jésus leur apprend que ceux contre qui ils doivent être le plus préparés, sont
les faux zélés, qui entêtés du besoin que la religion, dont ils se croient les
arcs-boutants, a de leur soutien, « croient rendre service à Dieu en persécutant
ses enfants, » dès qu'ils les croient leurs ennemis. Ainsi les pensées secrètes,
qui doivent être découvertes par Jésus-Christ, sont principalement celles où
nous nous trompons nous-mêmes, en croyant faire pour Dieu ce que nous faisons
pour nos intérêts, pour la jalousie de l'autorité, pour nos opinions
particulières. Car ce sont les pensées qu'on cache le plus, puisqu'on tache même
de se les cacher à soi-même. Observons-nous nous-mêmes sur ces caractères; et ne
croyons pas en être purgés, sous prétexte que nous ne les sentirions pas tous en
nous-mêmes : mais tremblons et ayons horreur de nous-mêmes, pour légère que nous
paroisse la teinture que nous prendrons.
« Il y avait une prophétesse
nommée Anne, d'un âge fort avancé ; car elle avait quatre-vingt-quatre ans. Elle
avait vécu dans un long veuvage, n'ayant été que sept ans avec son mari; et
passa tout le reste de sa vie dans la retraite, ne bougeant du temple et servant
Dieu nuit et jour dans les jeûnes et dans la prière. » Voilà encore un digne
témoin de Jésus-Christ. « Elle survint an temple dans ce même instant, louant le
Seigneur et parlant de lui à tous ceux qui attendaient la rédemption d'Israël
(1). » Ce Seigneur qu'elle louait, visiblement était Jésus-Christ. Elle fut
digne de le connaître et de l'annoncer, parce que, détachée de la
1 Luc., II, 36-38.
324
vie des sens et unie à Dieu par l'oraison, elle avait
préparé son
cœur à la plus pure lumière.
Saint Luc a voulu en peu de
paroles nous faire connaître cette sainte veuve et en marquer, non-seulement les
vertus, mais encore la race même, en nous apprenant « qu'elle était fille de
Phanuël et de la tribu d'Aser, » afin que ces circonstances rappelassent le
souvenir du témoignage de cette femme : ce qu'il ne fait pas de Siméon, qui
peut-être était plus connu. Peut-être aussi qu'il fallait montrer que
Jésus-Christ trouva des adorateurs dans plusieurs tribus, et entre autres dans
celle d'Aser, à qui Jacob et Moïse n'avaient promis que « de bon pain, de
l'huile en abondance, » et en un mot, « des richesses dans ses mines de fer et
de cuivre. » Mais voici en la personne de cette veuve, « les délices des rois et
des peuples (1)» parmi les biens de la terre changés en jeûnes et en
mortifications. Quoi qu'il en soit, honorons en tout et les expressions et le
silence que le Saint-Esprit inspire aux évangélistes.
L'abrégé de ce mystère est que
Jésus s'offre, nous offre en lui et avec lui, et que nous devons entrer dans
cette oblation et nous y unir comme à la seule et parfaite adoration que Dieu
demande de nous.
Les trois personnes qui se trouvent avec Jésus-Christ dans
ce mystère, nous apprennent ce que nous devons offrir à Dieu.
La sainte Vierge lui offre et
lui sacrifie le cher objet de son cœur, pour en faire ce qu'il lui plaira,
c'est-à-dire son propre Fils : elle voit la contradiction poussée à l'extrémité
contre lui, et en même temps elle sent ouvrir la plaie de son cœur par cette
épée qui la perce. Mères chrétiennes, aurez-vous bien le courage dans l'occasion
de faire à Dieu avec elle une oblation semblable ? Tant que nous sommes de
fidèles, unissons-nous à la foi d'
1 Genes., XLIX, 20; Deuter., XXXIII, 24, 25.
325
Abraham et offrons à Dieu notre Isaac, c'est-à-dire ce qui
nous tient le plus au cœur.
Siméon a immolé l'amour de la
vie, et la laisse pour ainsi dire s'exhaler à Dieu en pure perte. Ne disons pas
qu'il ne lui sacrifie qu'un reste de vie dans sa vieillesse : il n'a jamais
désiré de vivre, que pour avoir la consolation de voir Jésus-Christ et de lui
rendre témoignage. Car ce n'était pas seulement une faible consolation des yeux
que ce saint vieillard attendait. Il désirait les sentiments que Jésus présent
inspire dans les cœurs : il voulait l'annoncer, le faire reconnaître, en publier
les merveilles, autant qu'il pouvait, aux Juifs et aux gentils ; montrer au
monde ses souffrances et la part qu'y aurait sa sainte Mère. Après cela il
voulait mourir, et l'on voit en lui dans tous les temps un parfait détachement
de la vie. C'est ce qu'il nous faut offrir à Dieu avec le saint vieillard.
Et qu'immolerons-nous avec Anne,
sinon l'amour des plaisirs par la mortification des sens? Exténuons par le jeune
et par l'oraison ce qui est trop vivant en nous. Vivons avec cette sainte veuve
dans une sainte désolation : arrachons-nous à nous-mêmes ce qui est permis, si
nous voulons n'être point entraînés par ce qui est défendu. Déracinons à fond
l'amour du plaisir. Le plaisir des sens est le perpétuel séducteur de la vie
humaine. L'attention au beau et au délectable a commencé la séduction du genre
humain. Eve prise par là, commence à entendre la tentation qui lui dit avec une
insinuation aussi dangereuse que douce : Pourquoi Dieu vous a-t-il défendu ce
qui est si plaisant et si flatteur ? L'attention au plaisir éloigne la vue du
supplice. On se pardonne tout à soi-îiirine, et on croit que Dieu nous est aussi
indulgent que nous nous le sommes. « Vous n'en mourrez pas : » vous reviendrez
des erreurs et des faiblesses de votre jeunesse. Eve entraîne Adam : la partie
faible entraîne la plus forte : le plaisir a fait tout son effet : il a rendu le
péché plausible et lui a fourni des excuses. Il emmielle le poison : il
affaiblit, il étouffe le remords de la conscience : il en émousse la piqûre ; et
à peine sent- on la grièveté de son péché, jusqu'à ce que dans les flammes
éternelles ce ver rongeur se réveille, et par ses morsures éternelles nous cause
un pleur inutile avec cet effroyable grincement de dents.
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