Accueil Remonter Remarques I Toussaint I I Toussaint II II Toussaint III Toussaint Toussaint Esq. Exorde Charité Jour des Morts I Avent I Ière S. Avent Abgr. I Avent II Exorde Avent I Avent III II Avent I Scd Ex. II Dim. Av. II Avent II III Avent I III Avent Frg. III Avent Abr. I Noël II Noël III Noël Exorde Noël Octave Noël I Circoncision II Circoncision III Circoncision IV Circoncision V Circoncision Pér. Circoncision Epiphanie IIe Epiphanie IIe Frg. Epiphanie IIIe Epiphanie Ve Dim. Septuagésime Dim. Septuag. Abr. Dim. Quinq. I Dim. Quinq. II II Exorde Dim. Q. II Jubilé Vendredi Cendres Samedi Cendres
| |
SERMON
POUR
LE TEMPS DU JUBILÉ,
SUR LA PÉNITENCE (a).
Qui enim mortui sumus peccato, quomodo adhuc vivemus in
illo ?
Nous qui sommes morts au péché, ruminent pourrons-nous
désormais y vivre? Rom., VI, 2.
Je ne puis vous exprimer,
chrétiens, combien est grande aujourd'hui la joie de l'Eglise. Cette grâce du
jubilé que vous avez si ardemment embrassée, celle piété exemplaire, ce zèle que
vous avez témoigné dans la fréquentation des suints sacrements, satisfait
infiniment cette bonne mère; et si le père de ce prodigue voulut que toute sa
maison fut en joie pour le retour d'un de ses enfants, quels sont les sentiments
de l'Eglise voyant un si grand nombre des siens ressuscites par la pénitence?
Mais cette joie divine et spirituelle ne s'arrête pas sur la terre, elle passe
jusqu'au ciel; et nous apprenons du Sauveur des âmes que la conversion des
hommes pécheurs fait la solennité des esprits célestes, nos gémissements font
leur joie, et nos douleurs font leurs actions
(a) Prêché à Metz, en 1655.
Des Indications certaines fixent l'origine de notre sermon
dans l'époque de Metz. D'abord les interrogations sans la particule ne,
comme celles-ci : « Aurions-nous pas bien mérité? — Craignons-nous pas?»
Ensuite ces sortes d’expression : « Amitié refleurie — L'amertume de la
pénitence a quelque chose de plus doux pour eux (les anges) que le miel de la
dévotion ; elle dit : Je nettoie el je fortifie; — remède qui purge, » etc.
Enfin le manuscrit ne permet pas le moindre doute.
D'une autre part, notre sermon a été prêché pendant un
jubilé ; on le voit par ces paroles de la péroraison : «C'est pour cela que Dieu
nous envoie cette grâce extraordinaire du jubilé. » Or Alexandre VII accorda
lors de son avènement, en 1655, un jubilé pour conjurer Dieu d'accorder la paix
au monde désolé par la guerre,
Ce sermon a été mis à la place qu'il occupe, disent les
éditeurs, parce qu’il n'appartient précisément à aucune partie de l'année
liturgique, et qu'il convient mieux au temps du Carême qu'à tout autre.
491
de grâces. Donc les larmes des pénitents sont si précieuses
qu'elles sont recueillies en terre pour être portées jusque dans le ciel, et
leur vertu est si grande qu'elle s'étend même jusque sur les anges; et ce qui
est bien plus merveilleux, c'est qu'encore que l'innocence ait ses larmes, les
anges estiment de plus grand prix celles que, les péchés font répandre, et
l'amertume de la pénitence a quelque chose de plus doux pour eux que le miel de
la dévotion. Que reste-t-il donc maintenant à faire, sinon de vous dire avec
l'Apôtre : « Nous qui sommes morts au péché, pourrons-nous bien désormais y
vivre? » Nous qui avons réjoui le ciel, pourrons-nous après cela réjouir l'enfer
et rendre inutile une pénitence qui a déjà pu porter ses fruits jusque dans la
Jérusalem bienheureuse? Comprenez, pécheurs convertis, que vos larmes pénètrent
le ciel, puisqu'elles y vont réjouir les anges; voyez combien les pleurs de la
pénitence sont fructueux à ceux qui les versent, puisqu'ils le sont même aux
intelligences célestes, Entendons dans notre évangile quelle abondante
satisfaction produira un jour en nous-mêmes l'affliction d'un cœur repentant,
puisqu'elle en produit déjà dans les anges, auxquels le Fils de Dieu nous promet
que sa grâce nous fera semblables. Et puisque ces sublimes esprits prennent tant
de part à notre bonheur el qu'ils veulent bien se joindre avec nous (a)
par une société si étroite, joignons-nous aussi avec eux, et disons tous
ensemble avec Gabriel, l'un de leurs bienheureux compagnons : Ave, Maria.
Après que la grâce du saint
baptême nous ayant heureusement délivres de la damnation du premier Adam, avait
si abondamment répandu sur nous (b) les bénédictions du nouveau; après
que cette seconde naissance qui nous a ressuscites en Notre-Seigneur avait
consacré pour toujours nos corps et nos âmes à une sainte nouveauté de vie, il
fallait certainement, chrétiens, que les hommes régénérés par une si grande
bonté de leur Créateur, honorassent la miséricorde divine en conservant
soigneusement ses bienfaits, et gardassent éternellement l'innocence que le
(a) Var., : S’allier à nous. — (b)
Avait répandu sur nous si abondamment.
492
Saint-Esprit leur avait rendue. Car puisque nous apprenons
de l'Apôtre que cette eau salutaire et vivifiante qui nous a lavés au baptême,
,i détruit en nous le corps du péché, «pour nous exempter à jamais de sa
servitude, » ut ultrà non serviamus peccato (1), y avait-il rien de plus
nécessaire que de nous maintenir dans la liberté que le sang de Jésus-Christ
nous avait acquise ? Et nous étant rengagés volontairement dans un si honteux
esclavage après la sainteté du baptême, aurions-nous pas bien justement mérité
que Dieu punit notre ingratitude par une entière soustraction de ses grâces?
Oui, sans doute, nous
méritions, ayant violé le baptême, qu'on ne nous laissât plus aucune ressource
; mais cette boute qui n'a point de bornes a traité plus favorablement la
faiblesse humaine ; elle a regardé d'un œil de pitié l'extrême fragilité de
notre nature; et voyant que notre vie n'était autre chose qu'une continuelle
tentation, elle a ouvert la porte de la pénitence comme un second asile aux
pécheurs et une nouvelle espérance après le naufrage. Et encore que Dieu ait
prévu que les hommes toujours ingrats abuseraient de la pénitence comme ils
avaient fait du baptême, sa miséricorde ne s'est pas lassée. Jésus-Christ, qui a
voulu que la pénitence nous tint lieu en quelque sorte d'un second baptême, a
mis entre ces deux sacrements cette différence notable, que le premier nous
étant donné comme la nativité du fidèle, ne peut être reçu qu'une fois, parce
qu'il n'y a qu'une naissance en esprit comme il n'y en a qu'une en la chair; et
qu'au contraire le sacrement de la pénitence est mis entre les mains de l'Eglise
comme une clef salutaire par laquelle elle peut ouvrir le ciel aux pécheurs
autant de fois qu'ils se convertissent : Je n'excepte rien , dit notre Sauveur :
tout ce que vous pardonnerez sur la terre, leur sera remis devant Dieu (2), pour
nous faire voir par cette parole que son Père n'est jamais si inexorable qu'il
ne puisse être apaisé par la pénitence. Voilà comme la miséricorde divine ne
cesse jamais de bien faire aux hommes ; mais comme si notre malice avait
entrepris d'abuser de tous ses bienfaits, nous tournons à notre ruine tout ce
qu'on nous présente pour notre salut.
1 Rom., VI, 6.— 2 Matth., XVIII, 18; Joan.,
XX, 23.
497
En effet qui ne voit par
expérience que c'est la facilité du pardon qui nous endurcit dans le crime? Le
remède de la pénitence, qui devait l'arracher jusqu'à la racine, ne sert qu'à le
rendre plus audacieux par l'espérance de l'impunité ; les rebelles enfants
d'Adam ont cru qu'on leur prolongeait le temps de pécher, parce qu'on leur en
donnait pour se repentir; et par une insolence inouïe nous sommes devenus plus
méchants, parce que Dieu s'est montré meilleur. Et afin que vous voyiez,
chrétiens, combien ce désordre est universel, permettez-moi d'appeler ici le
témoignage de vos consciences. Je veux croire qu'il n'y a personne en cette
assemblée que la grâce du jubilé, que l'exemple de la dévotion publique et la
sainteté de ces derniers jours n'ait invité à la pénitence; et je vous considère
aujourd'hui comme des hommes renouvelés par le Saint-Esprit. Dans cet heureux
état où vous êtes, si quelqu'un vous disait de la part de Dieu avec une autorité
infaillible que, si vous perdez une fois la grâce en retombant dans les mêmes
crimes que vous avez lavés par vos larmes, il n'y a plus pour vous aucune
espérance, que le ciel vous sera fermé pour toujours, et que la miséricorde
divine sera éternellement sourde à vos prières, seriez-vous si ennemis de
vous-mêmes que de vous précipiter volontairement dans une damnation assurée? les
plus déterminés ne trembleraient-ils pas, voyant leur perte si inévitable? Si
donc nous retournons aux péchés que nous avons expiés par la pénitence, et qui
n'y retournera pas ? c'est que l'espérance du pardon nous aura flattés, et que
nous aurons présumé comme des enfants libertins de l'indulgence de notre Père
que nous avons tant de fois expérimentée. De sorte qu'il n'est rien de plus
véritable que la cause la plus générale de tous nos péchés, c'est que nous
n'avons jamais bien compris ce que je me propose aujourd'hui de vous faire
entendre, que rien au monde n'est tant à craindre que de ne point profiter de la
pénitence et de déchoir par de nouveaux crimes de la grâce qu'elle nous avait
obtenue. Pour prouver solidement cette vérité, je remarque trois qualités dans
la pénitence : c'est une réconciliation de l'homme avec Dieu, c'est un remède,
c'est un sacrement. La pénitence nous réconcilie; de là vient que L'Apôtre dit :
« Je vous conjure au nom de Jésus,
498
réconciliez-vous avec Dieu (1). » La pénitence est un
remède pour nos maladies ; c'est ce qui fait dire au Sauveur des âmes : « Je
vous ai rendu la santé, allez maintenant et ne péchez plus (2). » La pénitence
est un sacrement, et Jésus-Christ nous l'enseigne assez (a) lorsqu'il
parle ainsi aux apôtres : « Recevez le Saint-Esprit, leur dit-il; ceux dont vous
remettrez les péchés, ils leur seront remis (3)» Par où nous voyons clairement
que l'Esprit qui purge les péchés des hommes doit être communiqué aux fidèles
parle ministère des saints apôtres; et c'est ce que nous appelons sacrement,
quand un ministère visible opère intérieurement le salut des âmes. Mais pour
mieux comprendre ces trois qualités et la connexion qu'elles ont entre elles,
concevez premièrement trois désordres que le péché produit dans les hommes. Le
premier de tous les désordres et qui est la source de tous les autres, c'est de
les séparer de leur Créateur et de rompre le nœud sacré de la société
bienheureuse que Dieu avait voulu lier (b) avec nous. « Ce sont,
nous dit-il, vos péchés qui ont mis la division entre vous et moi (4). » Et de
là naît un second malheur : c'est que l’âme étant séparée de Dieu et ne buvant
plus à cette fontaine de vie qui seule est capable de la soutenir, aussitôt ses
forces défaillent, elle est accablée de langueurs mortelles; et c'est ce que
ressentait le divin Psalmiste, lorsqu'il criait à Dieu du fond de son cœur : «
Mes forces, ô mon Dieu, m'ont abandonné, la lumière de mes yeux n'est plus avec
moi (5); guérissez-moi bientôt, ô Seigneur, parce que j'ai péché contre vous
(6). » Mais le péché n'est pas seulement une maladie, c'est encore une
profanation de nos âmes; et la raison en est évidente : car comme l'union avec
Dieu les sanctifiait par une espèce de consécration, le péché au contraire les
rend profanées. C'est une lèpre spirituelle, qui non-seulement affaiblit les
hommes par la maladie, mais les met au rang des choses immondes; et ce sonnt les
trois maux que fait le péché. Il sépare premièrement l’âme d'avec Dieu, et par
cette funeste séparation, de saine elle devient languissante, et de sainte elle
devient profanée.
1 II Cor., V, 20. — 2 Joan.,
V, 14. — 3 Ibid., XX, 22, 23. — 4 Isa., LIX, 2. — 5 Psal.
XXXVII, 11. — 6 Psal., XI, 5.
(a) Var. : Le fait bien voir.— (b)
Avoir.
499
C’est pourquoi il a fallu que la
pénitence eût les trois qualités que je vous ai dites. Le poché nous séparant
d'avec Dieu, il fallait que la pénitence nous y réunit, et c'est la première de
ses qualités, c'est une réconciliation. Mais le péché en nous séparant, nous a
faits malades; par conséquent il ne suffit pas que la pénitence nous réconcilie,
il faut encore qu'elle nous guérisse : et de là vient qu'elle est un remède. Et
enfin comme le péché ajoute la profanation et l'impureté aux infirmités qu'il
apporte, une maladie de cette nature ne peut être déracinée que par un remède
sacré qui ait la force de sanctifier comme de guérir : c'est pourquoi la
pénitence est un sacrement. Vous voyez, fidèles, ces trois qualités, d'où je
tire trois raisons solides pour montrer qu'il n'est rien déplus dangereux que
d'abuser de la pénitence en la rendant inutile et infructueuse. Car s'il est
vrai que la pénitence soit la réconciliation de l'homme avec Dieu, si c'est un
remède qui nous rétablisse et un sacrement qui nous sanctifie, on ne peut sans
un insigne mépris rompre une amitié si saintement réconciliée, ni rejeter sans
un grand péril un remède si efficace, ni violer sans irrévérence un sacrement si
saint et si salutaire. Ce sont les trois points; et de là nous conclurons avec
l'Apôtre que, puisque nous sommes morts au péché, nous ne pouvons plus désormais
y vivre. C’est ce que j'espère vous rendre sensible avec le secours de la grâce.
PREMIER POINT.
Pour entrer d'abord en matière,
posons pour fondement de tout ce discours que s'il y a quelque chose parmi les
hommes qui demande une fidélité éternelle, c'est une amitié réconciliée. Je sais
que le nom de l'amitié est saint par lui-même, et que ses droits sont
inviolables dans tous les sujets où elle se trouve; néanmoins il faut confesser
qu'il y a (a) entre les amis réconciliés je ne sais quel engagement plus
étroit et que l’amitié y reçoit de nouvelles forces. La raison, chrétiens, en
est évidente. Ce que l'homme fait avec contention, il le fait aussi avec
efficace; et les effets sont d'autant plus grands, que l’âme est plus
puissamment appliquée;
(a) Var., Mais ne laisse pas d’être véritable
qu’il y a, etc.
500
de sorte qu'une amitié qui a pu se reprendre malgré les
obstacles, qui a pu oublier toutes les injures, qui a pu revivre même après sa
mort, a sans doute quelque chose de plus vigoureux que celle qui n'a jamais fait
de pareils efforts. Cette amitié autrefois éteinte, maintenant refleurie et
ressuscitée, se souvenant du premier malheur, jette de plus profondes racines,
de crainte qu'elle ne puisse être encore une fois abattue. Les cœurs se font
eux-mêmes des nœuds plus serrés; et comme les os se rendent plus fermes dans les
endroits des ruptures, à cause du secours extraordinaire que la nature donne aux
parties blessées ; de même les amis qui se réunissent envoient pour ainsi dire
tant d'affection pour renouer l'amitié rompue, qu'elle en demeure à jamais mieux
consolidée. Mais si l'affection y est plus ardente, la fidélité d'autre part se
lie davantage. La réconciliation des amis a quelque chose de ces contrats qui
interviennent sur les procès; et nous apprenons des jurisconsultes que ce sont
les plus assurés, parce que la bonne foi y est engagée dans des circonstances
plus fortes; d'où il est aisé de conclure qu'en tout sens il n'est rien plus
inviolable que l'amitié réconciliée.
Cette vérité étant établie, je
m'adresse maintenant à vous, chrétien réconciliés par la pénitence, pour vous
dire que Dieu vous demande une fidélité plus exacte et une affection plus
sincère : pour quelle raison? Parce que vous êtes réconciliés, il veut que vous
l'aimiez davantage; et ce n'est pas moi qui le dis, c'est lui qui vous le
déclare dans son Evangile, lorsque parlant à Simon le pharisien au sujet de la
Madeleine, il dit : « Celui à qui on remet moins aime moins, celui à qui on
remet plus aime plus (1). » Peut-on parler plus expressément? Il vous a remis
vos péchés; mais après cela il attend de vous que vous l'aimerez avec plus
d'ardeur, parce qu'ainsi que nous avons dit, c'est la loi nécessaire et
indispensable de l'amitié réconciliée; et lui-même, quoiqu'il soit au-dessus des
lois, il ne laisse pas d'en donner l'exemple. Considérez ce que je veux dire :
il n'y a page de l'Evangile où nous ne voyions que Jésus a une certaine
tendresse pour les pécheurs réconciliés, plus que pour les justes qui
persévèrent. Qui ne sait que
1 Luc., VII, 47.
501
Madeleine la pénitente a été sa fidèle et sa bien-aimée;
que Pierre. après l'avoir renie, est choisi pour confirmer la foi de ses frères:
qu'il laisse tout le troupeau dans les bois pour courir après sa brebis perdue;
et que celui de tous ses enfants qui émeut le plus sensiblement ses entrailles,
c'est le dissipateur qui retourne, afin que nous entendions, chrétiens,
qu'encore que L'innocence ait ses larmes, il estime plus précieuses celles que
les péchés font répandre dans les saints gémissements de la pénitence, et que la
justice recouvrée a quelque chose de plus agréable à ses yeux que la justice
toujours conservée. Et d'où vient cela? C'est que s'étant réconcilié avec les
pécheurs, il veut soigneusement observer les lois de l'amitié réunie; et si Dieu
les observe si exactement, nous fidèles, les voulons-nous mépriser? Quelle
serait notre perfidie? Dans la réconciliation de l'homme avec Dieu, ce n'est pas
l'homme qui se relâche; Dieu n'a pas rompu le premier, au contraire il nous
comblait de ses biens; c'est l'homme qui a été l'agresseur, quelle insolence!
mais c'est Dieu qui remet, c'est Dieu qui oublie. Que si celui qui pardonne et
qui se relâche se soumet volontairement aux lois de l'amitié réconciliée, s'il
consent d'aimer davantage, que ne doit pas faire celui qui reçoit la grâce, à
qui l'on quitte toutes ses dettes et duquel on oublie toutes les injures? C'est
donc une vérité très-indubitable, que le pécheur réconcilie doit à Dieu une
amitié plus ardente que le juste qui persévère. Tu le dois certainement,
chrétien, tu le dois, et Jésus-Christ s'y attend, et il te l'a dit dans son
Evangile; mais que son attente est frustrée! O Sauveur, votre bonté nous fait
tort, et les hommes abusent de votre indulgence, parce que votre miséricorde se
rend trop facile. Cette facilité, je l'avoue, devrait exciter nos affections ;
mais notre âme basse et servile n'est pas capable de se gouverner par des
considérations si honnêtes, il nous faut de la crainte comme à des esclaves.
Eveillons-nous donc du moins, chrétiens, au bruit de la vengeance qui nous
menace, si nous manquons à une amitié qui a été si saintement réparée (a).
Tenons-nous en garde contre la facilité que nous nous imaginons à recouvrer la
grâce : on ne la recouvre pas avec cette facilité que nous
(a) Var. : Rétablie, — réunie.
502
nous étions figurée. Je vous prie, renouvelez vos
attentions. Nous apprenons dans les saintes Lettres que dans la première
intention de Dieu la grâce sanctifiante (a) ne devait être donnée qu'une
seule fois, et que si les hommes venaient à la perdre, jamais elle ne pourrait
leur être rendue. Cela paraît d'abord bien étrange, cependant il n'est rien de
plus véritable, et c'est le fondement du christianisme. Mais d'où vient donc,
direz-vous, que les hommes sont justifiés? Eh! fidèles, ne savez-vous pas? c'est
que Jésus-Christ est intervenu. Entendez ce que c'est que notre justice : la
justice du christianisme n'est pas un bien qui nous appartienne; ce n'est pas à
nous qu'on le restitue, c'est un don que le Père a fait à son Fils, et ce Fils
miséricordieux nous le cède ; il veut que nous jouissions de son droit; nous
l'avons de lui par transport, ou plutôt nous ne l'avons qu'en lui seul, parce
que le Saint-Esprit nous a faits ses membres. C'est l'espérance du chrétien.
Donc la grâce de la justice, dans la première intention de Dieu, ne devait point
être rendue à ceux qui la perdent; et si Dieu s'est laissé fléchir en notre
faveur à la considération de son Fils, il ne s'ensuit pas pour cela qu'il ait
tout à fait oublié son premier dessein, ni qu'il se soit entièrement relâché de
sa première rigueur. Il a fallu trouver un milieu, afin de nous retenir toujours
dans la crainte : de sorte qu'il a posé cette loi éternellement immuable,
qu'autant de fois que nous perdrions la justice, s'il se résolvait à nous
pardonner, il se rendrait de plus en plus difficile. Par exemple, nous l'avons
reçue au baptême; avec quelle facilité, chrétiens ! nous le voyons tous les
jours par expérience, nous n'y avons rien contribué du nôtre, et nous n'avons
pas même senti la grâce que l'on nous a faite. Si nous péchons après le baptême,
nous ne trouvons plus cette première facilité; il faut nécessairement recourir
aux larmes et aux travaux de la pénitence, qui est appelée par l'antiquité un
baptême laborieux. Ecoutez le concile de Trente (1) : On ne répare point la
justice par le sacrement de la pénitence sans de grandes peines et de grands
travaux. Le premier baptême n'est point pénible; le second est laborieux. D'où
vient
1 Sess. XIV De Poenit., cap. II.
(a) Var. : La sainteté, — la justice.
503
cette nouvelle difficulté, sinon de la raison que nous
avons dite? Vous avez perdu la justice; ou vous n'y reviendrez jamais, ou ce
sera toujours avec plus de peine ; et si nous violons les promesses
non-seulement du sacré baptême, mais encore de la pénitence, par la même suite
de raisonnement la difficulté se fera plus grande, Dieu se rendra toujours plus
inexorable.
Et pour rechercher cette vérité
jusque dans sa source, je remarque avec le docte Tertullien, au second livre
Contre Marcion, que « tout l'usage de la justice sert à la bonté : » Omne
justitiœ opus, procuratio bonitatis est (1) parce que sa fonction principale
c'est de soutenir la miséricorde, en la faisant craindre à ceux qui seront assez
aveugles pour ne l'aimer pas. Et c'est pourquoi si la malice des hommes méprise
la miséricorde divine, en manquant à la foi donnée dans le sacrement et violant
les promesses de la pénitence, ou la justice divine devient entièrement
inflexible, ou s'il lui plait de se relâcher, elle se rend de plus en plus
rigoureuse ; autrement, si je l'ose dire, elle trahirait la bonté en
l'abandonnant au mépris. En effet (a) se peut-il voir un pareil mépris,
que de manquer à une amitié tant de fois réconciliée? Un pécheur pressé en sa
conscience regarde (b) la main de Dieu armée contre lui ; il voit déjà
l'enfer ouvert sous ses pieds : quel spectacle ! Dans cette crainte, dans cette
frayeur, il s'approche de ce trône de miséricorde (c) qui jamais n'est
fermé à la pénitence. Eh! il n'attend pas qu'on l'accuse, il se rend
dénonciateur de ses propres crimes ; il est prêt à passer condamnation, pour
prévenir l'arrêt de son juge. La justice divine se met contre lui; il se joint à
elle pour la fléchir; il avoue qu'il mérite d'être sa victime ; et toutefois il
demande grâce au nom du médiateur Jésus-Christ. On lui propose la condition de
corriger sa vie déréglée (d); il promet : c'est, fidèles, ce que nous
avons fait dans l'action de la pénitence. Mais bien plus, nous avons donné
Jésus-Christ pour caution de notre parole; car étant le médiateur, il est le
dépositaire et la caution des paroles des deux parties. Il est caution de celle
de Dieu, par laquelle il nous promet de nous
1 Tertull., Advers. Marcion., n. 13.
(a) Var. : Et certes. — (b)
Considère. — (c) Il recourt au trône de miséricorde. — (d) Ses
mœurs déréglées.
504
donner; et il l'est aussi de la nôtre, par laquelle nous
promettons de nous corriger. Nous avons pris à témoin son corps et son sang qui
a scellé la réconciliation à la sainte table; et après la grâce obtenue, nous
cassons un acte si solennel, nous nous repentons de notre pénitence, nous
retirons de la main de Dieu les larmes que nous lui avions consacrées, nous
désavouons nos promesses, et c'est Jésus-Christ même qui en est garant (a)
; nous nous étions réconciliés avec Dieu, son amitié nous est importune (b)
; et pour comble d'indignité, nous renouons avec le diable le traité que
nous avions rompu par la pénitence (c) ! Vous en frémissez ; mais c'est
néanmoins ce que nous faisons toutes les fois que nous perdons par de nom eaux
crimes la justice réparée par la pénitence. Voilà les sentiments que nous avons
de Dieu ; si notre bouche ne le dit pas, nos œuvres le crient; et c'est le
langage que Dieu entend.
Après des profanations si
étranges, croyons-nous que la miséricorde divine nous sera toujours également
accessible? Elle ne veut point être méprisée : ah ! « ne vous y trompez pas,
dit l'Apôtre; on ne se moque pas ainsi de Dieu (1). » Et s'il est vrai ce que
nous disons, que les difficultés s'augmentent toujours, que Dieu devient
toujours plus inexorable, lorsque nous manquons à la foi donnée, mon Sauveur, où
en sommes-nous après tant de réconciliations inutiles? Craignons-nous pas que le
temps approche qu'il nous rejettera de devant sa face et que le ciel deviendra
de fer sur nos têtes? Malheureux ! ne sentons-nous pas que la miséricorde se
lasse et que nous commençons à lui être à charge? Ah ! nous la méprisons trop
souvent. C'est un beau mot de Tertullien dans le livre de la Pénitence
(2) que les pécheurs réconciliés qui retournent à leurs premiers crimes, sont à
charge à la miséricorde divine; et il importe que vous entendiez sa pensée. In
pauvre homme accablé de misère vous demande votre assistance ; vous soulagez sa
nécessité, mais vous ne pouvez pas l'en tirer ; il revient à vous avec crainte,
à peine ose-t-il vous parler; mais sa pauvreté, sa misère, et plus encore sa
retenue parlent assez pour
1 Galat., VI, 7.— 2 Tertull., De Poenit., n.
5.
(a) Var. : Et Jésus-Christ en est garant. — (b)
Nous nous lassons de son amitié. — (c) Le traité que la pénitence avait
annulé.
505
lui; il ne vous est pas à charge. Mais un autre vient à
vous, qui vous presse, qui vous importune : vous vous excusez; il ne vous prie
pas, il semble exiger, comme si votre libéralité était une dette ; c'est
celui-là qui vous est à charge, vous cherchez tous les moyens de vous en
défaire. Un chrétien a succombé à quelque tentation violente; quelque temps
après il revient : Qu'ai-je fait, et où me suis-je engagé? La larme à l'œil, le
regret dans l'âme, la confusion sur la face, il demande qu'on lui pardonne ; et
ensuite il en devient plus soigneux. Je l'ose dire, il n'est point à charge à la
miséricorde divine; mais c'est toi, pécheur endurci, tant de fois réconcilié et
aussi souvent infidèle, qui prétends faire un circuit éternel de la grâce au
crime, du crime à la grâce, et qui crois la pouvoir toujours perdre et recevoir
quand tu le voudras, comme si c'était un bien qui te fût acquis : si tu lui es à
charge, elle ne te fait du bien qu'à regret, et bientôt elle cessera de t'en
faire. Tu es à charge à la miséricorde divine ; tu es de ceux dont il est écrit
que « Dieu a les oblations en horreur : » Laboravi sustinens (1) : « Ils
me sont à charge. » Il déteste tes pénitences stériles et tes réconciliations si
souvent trompeuses. Et comment pourrait-il aimer un arbre qui ne lui produit
jamais aucun fruit? Ah ! réveillons-nous, il est temps ; il est temps plus que
jamais que nous commencions à faire des fruits dignes de la pénitence. Après
cette réunion solennelle de Dieu avec nous, et ce grand renouvellement que le
jubilé a fait en nos âmes, commençons à vivre (a), fidèles, avec notre
Dieu comme des pécheurs réconciliés, comme des rebelles reçus en grâce;
respectons la miséricorde qui nous a sauvés et la foi que nous lui avons
engagée. Car si nous continuons à lui être à charge, à la fin elle se défera
tout à fait de nous ; et retirant les remèdes dont nous abusons, elle nous
laissera languir dans nos maladies. C'est la seconde considération que je vous
propose pour vous obliger, chrétiens, à être fidèles à la pénitence, parce que
ce remède est si nécessaire qu'on se jette dans un grand péril, quand on se le
rend inutile.
1 Isa., I, 11.
(a) Var. : Vivons.
506
SECOND POINT.
Une des qualités de l'Eglise qui
est le plus (a) célébrée dans les Ecritures, c'est sa perpétuelle
jeunesse et sa nouveauté qui dure toujours. Et si peut-être vous vous étonnez
qu'au lieu que la nouveauté passe en un moment, je vous parle d'une nouveauté
qui ne finit point, il m'est aisé, fidèles , de vous satisfaire. L'Eglise
chrétienne est toujours nouvelle, parce que l'esprit qui l'anime est toujours
nouveau, selon ce que dit l'apôtre saint Paul : « Ne vivons plus en l'antiquité
de la lettre, mais en la nouveauté de L'esprit (1) ; » et parce que cet esprit
est toujours nouveau, il renouvelle de jour en jour les fidèles. Et pour
pénétrer encore plus loin, comme dit le même saint Paul, « il est renouvelé de
jour en jour : » Renovatur de die in diem (2) ; d'où résulte cet effet
merveilleux, qu'au lieu que selon la vie animale plus nous avançons dans l'âge
plus nous vieillissons, l'homme spirituel au contraire, plus il s'avance plus il
rajeunit.
Pour comprendre cette vérité,
considérons trois états divers par lesquels doivent passer les enfants de Dieu.
Il y a celui de la vie présente ; après, la félicité dans le ciel ; et enfin la
résurrection générale ; et ces trois états différents sont en quelque sorte
trois différents âges par lesquels les enfants de Dieu croissent à la perfection
consommée de la plénitude de Jésus-Christ, comme parle l'apôtre saint Paul (3).
La vie présente est comme l'enfance, la force de l'âge suivra dans le ciel, et
enfin la maturité dans la dernière résurrection. Dans ce premier âge, fidèles,
c'est-à-dire dans le cours de la vie présente, nous apprenons du divin Apôtre
que l'homme intérieur, au lieu de vieillir, se renouvelle de jour en jour; et
comment ? Parce qu'il détruit en lui-même de plus en plus ce qu'il a hérité du
premier Adam, c'est-à-dire le péché et la convoitise ; c'est ce qui s'appelle
vieillesse. De là il entrera dans le second âge, c'est-à-dire dans la vie
céleste dont jouissent les saints avec Jésus-Christ. Vous voyez qu'il avance en
âge; en est-il plus vieux ? Nullement ; au contraire il est plus nouveau, il est
plus
1 Rom., VII, 6.— 2 II Cor.,
IV; 16. — 3 Ephes., IV, 13.
(a) Var. : Autant.
507
jeune qu'en son enfance, parce qu'il a moins de la
vieillesse d'Adam. Enfin le dernier âge des enfants de Dieu, c'est la
résurrection générale ; et parce que c'est leur dernier âge, c'est aussi la
jeunesse la plus florissante, où l'homme est renouvelé en corps .» on âme, où
toute la vieillesse d'Adam est anéantie : Renovabitur uta quilœ juventus tua
(1) Tellement que l'Eglise, au lieu de vieillir, se renouvelle de jour en jour
dans ses membres vivants et spirituels, et la raison de cette conduite est
très-évidente ; c'est que l'homme animal vieillit toujours, parce qu'il tend
continuellement à la mort ; au contraire (a) l'homme spirituel rajeunit
toujours, parce qu'il tend continuellement à la vie, et à une vie immortelle.
Et c'est par là que nous
entendons la nature de la pénitence. Ne nous imaginons pas (b),
chrétiens, que ce soit une action qui passe, parce que c'est un renouvellement ;
et le renouvellement du fidèle doit être une action continuée durant tout le
cours de la vie. C'est cette fausse imagination qui rend ordinairement nos
confessions inutiles; nous croyons avoir assez fait, quand nous avons pourvu au
passé : Je me suis confessé , disent les pécheurs, j'ai mis ma conscience en
repos ; pour l'avenir, on n'y pense pas. C'est là tout le fruit de la pénitence.
Vous croyez avoir beaucoup fait, et moi je vous dis avec Origène :
Détrompez-vous, désabusez-vous ; la principale partie reste encore à faire. « Ne
croyez pas que ce soit assez de vous être renouvelés une fois ; il faut
renouveler la nouveauté même : » Neque enim putes quòd innovatio vitœ, quœ
dicitur semel facta, sufficiat ; ipsa etiam novitas innovanda est (2).
C'est pourquoi il a fallu,
chrétiens, que le remède de la pénitence fût institué avec une double vertu : il
fallait qu'il guérît le mal passé, il fallait qu'il prévînt le mal à venir ; et
c'est le devoir de la pénitence de se partager également entre ces deux soins,
et en voici la raison solide. Le péché a une double malignité : il a de la
malignité en lui-même, il en a aussi dans ses suites : il a de la malignité en
lui-même, parce qu'il nous fait perdre le don de justice, cela est bien clair;
il a de la malignité dans ses suites, parce
1 Psal. CII, 5. — 2 Origen., lib.
V in Epist. ad Rom.,
n. 8.
(a) Var. : Par contrariété de raison. — (b)
Il ne faut pas se persuader.
508
qu'il abat les forces de l’âme ; c'est ce qui mérite un peu
plus d'explication. Je dis donc qu'il nous affaiblit parce qu'il nous divise, et
tout ce qui divise les forces les affaiblit. De là vient que le Sauveur dit : «
Un royaume divisé tombera bientôt (1). » Et qu'est-ce qui fait gémir l'apôtre
saint Paul (2), sinon cette division qu'il sent en lui-même entre l'esprit qui
se plaît au bien et la convoitise qui l'attire au mal ? De là naissent toutes
nos faiblesses, parce que la volonté languissante entre l'amour du bien et du
mal se partage et se déchire elle-même. Or le péché laisse toujours dans notre
âme une nouvelle impression qui nous porte au mal, et il joint le poids de la
mauvaise habitude à celui de la convoitise ; de sorte qu'il fortifie la
rébellion, et ensuite il abat d'autant plus nos forces. Et, fidèles, ce qui est
terrible, c'est que lorsqu'on éteint le péché, lorsqu'on l'efface par la
pénitence, l'habitude ne laisse pas que de vivre. Ah! l'expérience nous
l'apprend assez. Et cette pernicieuse habitude, c'est une pépinière de nouveaux
péchés; c'est un germe que le péché laisse, par lequel il espère revivre
bientôt; c'est un reste de racine qui fera bientôt repousser cette mauvaise
herbe. Il paraît donc manifestement que le péché a une double malignité ; qu'il
a de la malignité en lui-même, et qu'il en a aussi dans ses suites. Contre cette
double malignité, ne fallait-il pas aussi, chrétiens, que le remède de la
pénitence reçût une double vertu? Il fallait qu'elle effaçât le péché, il
fallait qu'elle s'opposât à ses suites, qu'elle fût un remède pour le passé et
une précaution pour l'avenir. Si nous sommes morts au péché, c'est pour n'y plus
vivre : si l'on détruit en nous le corps du péché, c'est afin que nous ne
retombions plus dans la servitude. Ainsi la pénitence doit guérir le mal, mais
elle le doit aussi prévenir.
Telle est la nature de ce
remède, telles sont ses deux qualités, toutes deux également saintes, toutes
deux également nécessaires. Il ne te sert de rien de le recevoir dans la
première de ses qualités, si tu le violes dans la seconde. En effet que
penses-tu faire? tues soigneux de laver tes péchés passés, et après tu te
relâches et tu te reposes, tu négliges de prévenir les maux à venir. La
pénitence se plaint de toi : J'ai, dit-elle, deux qualités : je guéris
1 Matth., XII, 25. — 2 Rom., VII, 18 et seq.
509
et je préserve, je nettoie et je fortifie ; je suis
également établie et pour ôter les péchés que tuas commis, et pour empêcher ceux
qui pourraient naître. Tu m'honores en qualité de remède tu me méprises en
qualité de préservatif; ces deux fonctions sont inséparables : pour quelle
raison me divises-tu? Ou prends-moi toute, ou laisse-moi toute. Que
répondrez-vous, chrétiens? d'où vient que vous vous préparez à vous confesser?
d'où vient que vous examinez votre conscience? d'où vient que vous faites effort
pour vous exciter à la contrition? Ah ! dites-vous, je ne veux point faire un
sacrilège en empêchant l'effet de la pénitence. C'est une fort bonne pensée ;
mais songez-vous que la pénitence a deux qualités ? Vous croyez faire un
sacrilège, si vous empêchez son effet dans la vertu qu'elle a d'effacer les
crimes ; pensez-vous que l'irrévérence soit moindre, de l'empêcher dans celle
qu'elle a de les prévenir ?
C'est là tout le fruit du remède
: si c'était tout l'effet de la pénitence d'obtenir seulement pardon aux
pécheurs et qu'elle ne les aidât pas à se corriger, vous voyez qu'elle ne ferait
que flatter le vice, au lieu que Dieu l'a établie pour en arracher jusqu'aux
plus profondes racines. Mais pour mettre ce raisonnement dans sa force, joignons
à la qualité de remède celle que nous avons réservée pour le dernier point, je
veux dire la qualité de sacrement, et considérons, chrétiens, quel sacrement
c'est que la pénitence.
TROISIÈME POINT.
Toute l'antiquité chrétienne
nous répond que c'est un second baptême. Apprenons donc du divin Apôtre quel
doit être l'effet du baptême : C'est, dit-il, de nous faire mourir au péché et
de nous ensevelir avec Jésus-Christ (1). Il en est de même de la pénitence,
d'autant plus que c'est un baptême de larmes, un baptême pénible et laborieux. «
Et si nous sommes morts au péché, comment pourrons-nous désormais y vivre (2) ?
» Mais si la pénitence doit être une mort, comprenons qu'on ne demande pas de
nous un changement médiocre, ni une réformation extérieure et superficielle.
1 Rom., VI, 3; 4. — 2 Ibid., 2.
510
C'est-à-dire qu'il faut couper jusqu'au vif, c'est-à-dire
qu'il faut porter le couteau jusqu'aux inclinations les plus chères,
c'est-à-dire qu'il fout arracher du fond de nos cœurs tous ces objets qui leur
plaisent trop, quand ils nous seraient plus doux que nos yeux, plus nécessaires
que notre main droite, plus aimables même que notre vie; coupons, tranchons :
Abscide illam (1). Ce n'est pas sans raison que l'Apôtre ne nous proche que
mort : filtrons en cette pieuse méditation, et considérons encore quelle est
cette mort. C'est une mort spirituelle et mystérieuse, par laquelle nous
appliquons sur nous-mêmes la mort effective du Sauveur des âmes par une sainte
imitation. Et c'est, fidèles, ce que nous faisons lorsque nos cœurs sont de
glace pour les vains plaisirs, nos mains immobiles pour les rapines, nos yeux
fermés pour les vanités, et nos bouches pour les blasphèmes et les médisances.
C'est alors que nous sommes morts avec Jésus-Christ. Et comme il n'y a sur son
corps aucune partie qui n'ait éprouvé la rigueur de quelque supplice, nous
devons crucifier en nous le vieil homme dans tout ce qu'il a de mauvais désirs,
et pour cela les rechercher jusqu'à la racine. La pénitence nous dévoue à
l'imitation de la mort de Jésus-Christ : c'est à quoi nous nous obligeons par la
pénitence.
Telle est la vertu de ce
sacrement. Tu te trompes donc, chrétien, si tu crois qu'il soit temps de te
reposer après avoir reçu l'absolution ; ce n'est que le commencement du travail.
Ce remède sacré de la pénitence n'a fait que la moitié de son opération ;
n'empêche pas l'autre par ta négligence ; autrement nous sommes coupables de la
profanation de ce sacrement, le violant dans sa partie la plus nécessaire,
c'est-à-dire dans le secours qu'il nous donne pour nous corriger. Quand ce ne
serait qu'un simple remède, ce serait toujours beaucoup de le rejeter de la main
de ce médecin charitable ; mais c'est un remède sacré, il y a de la profanation
et du sacrilège ; et comme Dieu ne venge rien tant que la profanation de ses
saints mystères, sa colère s'élèvera enfin contre nous, et il ne nous permettra
pas de nous jouer ainsi de ses dons.
1 Marc., IX, 12.
511
C'est une parole bien
remarquable du sacré concile d'Elvire : « Ceux, dit-il, qui retomberont dans
leurs premiers crimes après le remède de la pénitence, il nous a plu qu'on ne
leur permît pas de se jouer encore une fois de la communion : » Placuit eos
non ludere ulteriùs de communione pacis (1). Voilà une terrible parole. Vous
voyez que cette assemblée vénérable estime qu'on se joue des sacrés mystères,
lorsqu'après les avoir reçus on retourne à ses premières ordures ; et cela quand
ce ne serait qu'une fois. Si nous avions à rendre compte de nos actions en
présence de ces saints évêques, quelles exclamations feraient-ils ? Nous
prendraient-ils pour des chrétiens, nous qui faisons comme un jeu d'enfant de la
grâce de la pénitence ? Cent fois la quitter, cent fois la reprendre; cent fois
promettre, cent fois manquer; n'est-ce pas se jouer des saints sacrements? Mais,
ô jeu funeste pour nous, qu'une créature impuissante ose ainsi se jouer à Dieu,
et ce qui est bien plus horrible, se jouer de Dieu ! C'est se jouer de Dieu que
de se jouer de ses dons. Ah ! il est temps enfin que ce jeu finisse; il y a déjà
trop longtemps qu'il dure, il y a déjà trop longtemps que nous abusons de la
pénitence. Et ne me dites pas que sa miséricorde est infinie. Il est vrai
qu'elle est infinie, mais ses effets ont leurs limites que sa sagesse leur a
marquées. Elle qui a compté les étoiles, qui a borné l'étendue du ciel dans une
rondeur finie, qui a prescrit des bornes aux flots de la mer, a marqué aussi la
hauteur jusqu'où elle a résolu de laisser croître nos iniquités. Dieu a dit que
ses miséricordes n'ont point de mesure; mais il a dit aussi dans son Evangile :
« Remplissez la mesure de vos pères (2). » Il a dit qu'il recevrait tous les
pénitents ; mais il a dit aussi à certains pécheurs : « Vous mourrez dans votre
péché (3). » Il a pardonné à l'un des larrons; mais l'autre a été condamné dans
le trône même de miséricorde, à la croix. Il a reçu Madeleine et Pierre; mais il
a fermé les oreilles aux prières d'Antiochus ; il a endurci Pharaon ; il a puni
d'une mort soudaine le premier péché d'Ananias et de Sapphira. Ne croyez pas
qu'il nous laisse pécher des siècles entiers. Il faut mettre fin à tous ces
désordres; et il n'y a que ces deux moyens d'arrêter
1 Cap. XLVIII. Labb., tom. I,
col. 975.— 2 Matth., XXIII, 32.— 3 Joan., VIII, 24.
512
le cours de nos crimes, ou le supplice, ou la pénitence :
si nous ne l’arrêtons une fois par une pénitence fidèle, Dieu sera contraint de
l'arrêter par une vengeance implacable. Tu disputes contre Dieu depuis si
longtemps à qui emportera le dessus, toi à pécher, lui à pardonner; ta malice
conteste contre sa bonté ; enfin elle te laissera la victoire. Ah! victoire
funeste et terrible, par laquelle ayant mis à bout sa miséricorde, nous
tomberons inévitablement dans les mains de sa rigoureuse justice.
Prévenons, fidèles, un si grand
malheur. C'est pour cela que Dieu nous envoie cette grâce extraordinaire du
saint jubilé, afin que nous rentrions en nous-mêmes. Si nous ajoutons le mépris
d'une telle grâce à celui de tous ses autres bienfaits, Dieu s'irritera d'autant
plus que la libéralité méprisée aura été plus considérable ; sa haine s'allumera
avec plus d'aigreur, si nous rompons le sacré lien de cette réconciliation
solennelle ; nos mauvaises inclinations reprendront de nouvelles forces, après
qu'elles auront résisté à un remède si efficace ; nos cœurs s'endurciront
davantage, si cette grâce extraordinaire ne les amollit; et il vengera d'autant
plus rigoureusement la sainteté de ses sacrements profanés, après qu'il aura
voulu les accompagner d'une rémission si universelle.
Corrigeons donc enfin notre vie
passée ; recevons le remède de la pénitence dans l'une et dans l'autre de ses
qualités ; qu'elle efface les fautes passées, qu'elle prévienne les maux à
venir. Recevons-la comme un remède qui purge et comme un préservatif qui
prévient. La disposition pour la recevoir comme remède des péchés passés, c'est
une véritable douleur de les avoir commis ; la disposition pour la recevoir en
qualité de précaution, c'est une crainte filiale d'y retourner, et une fuite des
occasions dans lesquelles nous savons par expérience que notre intégrité a déjà
tant de fois fait naufrage. Renouvelons-nous si bien dans la vie présente, que
nous allions jouir avec Dieu de ce grand et éternel renouvellement qu'il a
prédestiné à ses serviteurs pour la gloire de la grâce de Jésus-Christ son Fils
bien-aimé, qui avec lui et le Saint-Esprit vit et règne aux siècles des siècles.
Amen.
|