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LE XVIII JUILLET. SAINT CAMILLE DE LELLIS, CONFESSEUR.Ne croyons pas que l’Esprit-Saint, dans son désir d'élever nos âmes au-dessus de la terre, n'ait que mépris pour les corps. C'est l'homme tout entier qu'il a reçu mission de conduire à l'éternité bienheureuse, comme tout entier l'homme est sa créature et son temple (1). Dans l'ordre de la création matérielle, le corps de l'Homme-Dieu fut son chef d'oeuvre; et la divine complaisance qu'il prend dans ce corps très parfait du chef de notre race, rejaillit sur les nôtres dont ce même corps, formé par lui au sein de la Vierge toute pure, a été dès le commencement le modèle. Dans l'ordre de réhabilitation qui suivit la chute, le corps de l'Homme-Dieu fournit la rançon du monde; et telle est l'économie du salut, que la vertu du sang rédempteur n'arrive à l'âme de chacun de nous qu'en passant par nos corps avec les divins sacrements, qui tous s'adressent aux sens pour leur demander l'entrée. Admirable harmonie de la nature et de la grâce, qui fait qu'elle-même celle-ci honore l'élément matériel de notre être au point de ne vouloir élever l'âme qu'avec lui vers la lumière et les cieux ! Car dans cet insondable 1. I Cor. VI, 19, 20. 151 mystère de la sanctification, les sens ne sont point seulement un passage : eux-mêmes éprouvent l'énergie du sacrement, comme les facultés supérieures dont ils sont les avenues; et l'âme sanctifiée voit dès ce monde l'humble compagnon de son pèlerinage associé à cette dignité de la filiation divine, dont l'éclat de nos corps après la résurrection ne sera que l'épanouissement. C'est la raison qui élève à la divine noblesse de la sainte chargé les soins donnés au prochain dans son corps; car, inspirés par ce motif, ils ne sont autres que l'entrée en participation de l'amour dont le Père souverain entoure ces membres, qui sont pour lui les membres d'autant de fils bien-aimés. J’ai été malade et vous m’avez visité (1), dira le Seigneur au dernier des jours, montrant bien qu'en effet, dans les infirmités mêmes de la déchéance et de l'exil, le corps de ceux qu'il daigne appeler ses frères (2) participe de la propre dignité du Fils unique engendré au sein du Père avant tous les âges. Aussi l'Esprit, chargé de rappeler les paroles du Sauveur à l'Eglise (3), n'a-t-il eu garde d'oublier celle-ci; tombée dans la bonne terre des âmes d'élite (4) elle a produit cent pour un en fruits de grâce et d'héroïque dévouement. Camille de Lellis l'a recueillie avec amour; et par ses soins la divine semence est devenue un grand arbre (5) offrant son ombre aux oiseaux fatigués qu'arrête plus ou moins longuement la souffrance, ou pour lesquels l'heure du dernier repos va sonner. L'Ordre des Clercs réguliers Ministres des infirmes, ou du bien mourir, mérite la reconnaissance de la terre; depuis longtemps celle des 1. Matth. XXV, 36. — 2. Heb. II, 11-17. — 3. Johan. XIV, 26. — 4. Luc. VIII, 8, 15. — 5. Ibid.
XIII, 19. 152 cieux lui est acquise, et les Anges sont ses associés, comme on l'a vu plus d'une fois au chevet des mourants. Le récit liturgique de la vie de Camille est assez étendu pour nous dispenser d'y rien ajouter. Camille naquit à Bucchianico, ville du diocèse de Chieti. Il était de la
noble famille des Lellis. Sa mère était sexagénaire
quand elle le mit au monde ; au temps qu'elle le portait, il lui sembla pendant
son repos qu'elle donnait naissance à un petit enfant muni sur la poitrine du
signe de la croix et conduisant une troupe d'enfants qui portaient le même
signe. Dans sa jeunesse il suivît le métier des armes, et se laissa quelque
temps aller aux vices du siècle. Mais à la vingt-cinquième année de son âge, il
fut éclairé d'une telle grâce d'en haut et saisi d'une telle douleur d'avoir
offensé Dieu, que soudain, tout en larmes, il résolut irrévocablement de laver
les souillures de sa vie passée et de revêtir l'homme nouveau. C'était la fête
de la Purification de la bienheureuse Vierge ; le jour même, accourant chez les
Frères Mineurs Capucins, il les supplia instamment de le recevoir parmi eux.
Une première et une seconde fois sa prière
fut exaucée ; mais un ulcère repoussant, dont il avait souffert autrefois à la
jambe, avant aux deux fois reparu et empiré, il se soumit humblement au dessein
de la divine Providence qui avait sur lui de plus grandes vues. Vainqueur de
lui-même, par deux fois donc il demanda l'habit de cet Ordre, et par deux fois,
après l'avoir reçu, il le quitta. Parti pour Rome, il y fut
reçu dans l'hôpital dit des Incurables. Tel était l'éclat de ses vertus, qu'on
lui en confia même l'administration, ce dont il s'acquitta en toute intégrité
et avec une sollicitude véritablement paternelle. Se regardant comme le
serviteur de tous les malades, il faisait leurs lits, les nettoyait, soignait
leurs plaies, et dans leur dernière agonie les soutenait par ses prières et ses
pieuses exhortations ; dans ces soins qui lui étaient habituels, il donna
d'illustres exemples de patience admirable, de force invincible, d'héroïque
charité. Mais il comprit bientôt de quel secours la connaissance des lettres
pouvait lui être pour cet unique objet de ses pensées, le soulagement des âmes
au milieu des dangers du dernier combat ; à trente-deux ans donc il ne rougit
pas de revenir au milieu des enfants s'adonner à l'étude des premiers éléments
de la grammaire. Elevé par la suite au sacerdoce, il s'adjoignit quelques
compagnons, et, en dépit des efforts contraires de l'ennemi du genre humain,
jeta les premiers fondements de la Congrégation des Clercs réguliers Ministres
des infirmes. Une voix du ciel partie de l'image du Christ en croix, laquelle
même, admirable prodige ! détacha ses mains du bois et
les tendit vers lui, était venue merveilleusement l'affermir. Camille obtint
pour son Ordre l'approbation du Siège apostolique ; les membres s'astreignaient
par un quatrième vœu très ardu à servir les malades même atteints de la peste.
Il parut bien que cet institut était singulièrement
agréable à Dieu et profitable au salut des âmes ; car saint Philippe Néri,
confesseur de Camille, attesta que souvent il avait vu les Anges suggérer à ses
disciples auprès des mourants les paroles qu'ils devaient employer. Voué par ces liens plus
étroits au service des malades, on ne saurait dire quelle merveilleuse ardeur,
de jour et de nuit jusqu'à son dernier souffle, sans se lasser d'aucune
fatigue, sans redouter aucun danger de la vie, il déploya pour
leurs intérêts. Tout à tous, on le voyait d'un esprit prompt et joyeux
dans la plus profonde humilité s'arroger près d'eux les plus vils offices, souvent
à genoux , comme s'il eût vu le Christ dans les
malades ; pour être mieux à la disposition de tous en leurs besoins, il renonça
spontanément au gouvernement général de
l'Ordre et aux délices célestes dont il était
inondé dans la contemplation. Son paternel amour pour les malheureux brilla surtout, lorsque
Rome fut éprouvée par une maladie contagieuse que suivit une disette extrême,
et lorsque à Nole en Campanie une cruelle peste exerça ses ravages. Telle fut enfin la flamme de sa
charité envers Dieu et le prochain, qu'il mérita d'être appelé un Ange et
d'éprouver en divers dangers de ses voyages le secours des Anges. Doué du don
de prophétie et de la grâce des guérisons, il connut aussi les secrets des
cœurs ; à sa prière on vit tantôt se
multiplier les vivres, et tantôt l'eau se changer en vin. Epuisé de
veilles, de jeûnes, de travaux assidus,
n'ayant plus, semblait-il, que la peau et les os, il supporta aussi
courageusement cinq maladies également longues et cruelles, qu'il appelait les
miséricordes du Seigneur ; enfin à
l'heure qu'il avait annoncée la veille des ides de juillet de l'an du salut mil
six cent quatorze, muni des Sacrements il s'endormit a Rome dans le Seigneur en
la soixante-cinquième année de son âge, entre les très doux noms de Jésus et de
Marie, à ces mots : Que l'apparition du Christ Jésus te soit douce et festive.
Il fut illustré par plusieurs miracles, et Benoît XIV l'inscrivit
solennellement dans les fastes des Saints. Selon le vœu des prélats du monde
catholique, et sur l'avis de la Congrégation des Rites sacrés, Léon XIII l’a
déclaré Patron des hôpitaux et des malades en tous lieux, ordonnant d'invoquer
son nom dans les litanies des agonisants. Ange de la charité, quelles voies ont été les vôtres sous la conduite du divin Esprit ! Il fallut un long temps avant que la vision de votre pieuse mère, quand elle vous portait, se réalisât : avant de paraître orné du signe de la Croix et d'enrôler des compagnons sous cette marque sacrée, vous connûtes la tyrannie du maître odieux qui ne veut que des esclaves sous son étendard, et la passion du jeu faillit vous perdre. O Camille, à la pensée du péril encouru alors, ayez pitié des malheureux que domine l'impérieuse passion, arrachez-les à la fureur funeste qui jette en proie au hasard capricieux leurs biens, leur 157 honneur, leur repos de ce monde et de l'autre. Votre histoire montre qu'il n'est point de liens que la grâce ne brise, point d'habitude invétérée qu'elle ne transforme : puissent-ils comme vous retourner vers Dieu leurs penchants, et oublier pour les hasards de la sainte charité ceux qui plaisent à l'enfer ! Car, elle aussi, la charité a ses risques, périls glorieux qui vont jusqu'à exposer sa vie comme le Seigneur a donné pour nous la sienne : jeu sublime, dans lequel vous fûtes maître, et auquel plus d'une fois applaudirent les Anges. Mais qu'est-ce donc que l'enjeu de cette vie terrestre, auprès du prix réservé au vainqueur ? Selon la recommandation de l'Evangile que l'Eglise nous fait lire aujourd'hui en votre honneur, puissions-nous tous à votre exemple aimer nos frères comme le Christ nous a aimés (1) ! Bien peu, dit saint Augustin (2), ont aujourd'hui cet amour qui accomplit toute la loi ; car bien peu s'aiment pour que Dieu soit tout en tous (3). Vous l'avez eu cet amour, ô Camille ; et de préférence vous l'avez exercé à l'égard des membres souffrants du corps mystique de l'Homme-Dieu, en qui le Seigneur se révélait plus à vous, en qui son règne aussi approchait davantage. A cause de cela, l'Eglise reconnaissante vous a choisi pour veiller, de concert avec Jean de Dieu, sur ces asiles de la souffrance qu'elle a fondés avec les soins que seule une mère sait déployer pour ses fils malades. Faites honneur à la confiance de la Mère commune. Protégez les Hôtels-Dieu contre l'entreprise d'une laïcisation inepte et odieuse. 1. Johan XV,
12. — 2. Homilia diei Aug. In Joh. tract. LXXXIII.
— 3. I Cor. XV, 28. 158 qui sacrifie jusqu'au bien-être des corps à la rage de perdre les âmes des malheureux livrés aux soins d'une philanthropie de l'enfer. Pour satisfaire à nos misères croissantes, multipliez vos fils ; qu'ils soient toujours dignes d'être assistés des Anges. Qu'en quelque lieu de cette vallée d'exil vienne à sonner pour nous l'heure du dernier combat, vous usiez de la précieuse prérogative qu'exalte aujourd'hui la Liturgie sacrée, nous aidant par l'esprit de la sainte dilection à vaincre l'ennemi et à saisir la couronne céleste (1). 1. Collecta diei. |