LE XXIII JUILLET. SAINT APOLLINAIRE, EVEQUE ET MARTYR.
Ravenne, mère des cités, convoque
aujourd'hui l'univers à célébrer l'évêque martyr dont les travaux firent plus
pour son éternelle renommée que la faveur des empereurs et des rois. Du milieu
de ses antiques monuments la rivale de Rome, aujourd'hui déchue, n'en montre
pas moins fièrement la chaîne ininterrompue de ses Pontifes, remontant jusqu'au
Vicaire de l'Homme-Dieu par Apollinaire, qu'ont
exalté dans leurs discours les Pères et Docteurs de l'Eglise universelle, ses
successeurs et ses fils (1). Plût au ciel que toujours la noble ville se fût
souvenue de ce qu'elle devait à Pierre !
Pour suivre uniquement le Prince
des Apôtres, Apollinaire, oubliant famille, patrie ,
avait tout quitté. Or, un jour, le maître dit au disciple : « Pourquoi
restes-tu assis avec nous ? Voilà que tu es instruit de tout ce que Jésus a
fait : lève-toi, reçois le Saint-Esprit, et va vers cette ville qui ne le
connaît pas. » Et le bénissant, et lui donnant le baiser, il l'envoya au loin (2).
Scènes sublimes de séparation, fréquentes en ces premiers temps, bien
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des fois répétées depuis, et qui font dans leur héroïque simplicité la
grandeur de l'Eglise.
Apollinaire courait au sacrifice.
Le Christ, dit saint Pierre Chrysologue (1), se hâtait au-devant du martyr, le
martyr précipitait le pas vers son Roi : l'Eglise qui voulait garder cet appui
de son enfance se jeta au-devant du Christ pour retarder, non le combat, mais
la couronne ; et durant vingt-neuf ans, ajoute Pierre Damien (2), le martyre se
poursuivit à travers d'innombrables tourments, de telle sorte que les labeurs
du seul Apollinaire suffirent à ces contrées qui n'eurent point d'autre témoin
de la foi par le sang. Selon les traditions de l'Eglise qu'il avait si
puissamment fondée, la divine Colombe intervint directement et visiblement par
douze fois, jusqu'à l'âge de la paix, pour désigner chacun des successeurs
d'Apollinaire.
Voici les lignes consacrées dans
la sainte Liturgie à l'histoire du vaillant apôtre.
Apollinaire vint d'Antioche à
Rome avec le Prince des Apôtres qui l'ordonna évêque, et renvoya à Ravenne
prêcher l'Evangile du Seigneur Christ. Nombreuses furent les conversions à la
foi qu'il y fit; d'où il advint que, saisi par les prêtres des idoles, il fut
frappé cruellement. Il arriva qu'ensuite, à sa prière, un noble personnage du
nom de Boniface recouvra la parole que depuis longtemps il avait perdue, et vit
sa fille délivrée de l'esprit immonde : d'où nouveau soulèvement contre
l'apôtre. Battu de verges, on le fait marcher pieds nus sur des charbons
ardents, lesquels ne lui faisant nul mal, on le chasse de la ville.
Après être resté caché
quelque temps en compagnie de chrétiens, il partit pour l'Emilie, où la fille
du patrice Rufinus qui était morte fut par lui
rappelée à la vie : ce qui détermina la famille tout entière de Rufinus à croire en Jésus-Christ. Fortement courroucé, le
préfet mande Apollinaire et lui signifie sévèrement d'avoir à cesser de
propager la foi du Christ en la ville. Apollinaire, n'ayant tenu aucun compte
de ses ordres, est torturé sur le chevalet, on répand sur ses plaies de l'eau
bouillante, et on lui meurtrit la bouche avec une pierre ; après quoi on
l'enferme en prison chargé de fers. Jeté le quatrième
jour sur un vaisseau qui l'emporte en exil , il fait
naufrage et vient en Mysie, d'où il passe aux bords du Danube, puis en Thrace.
Dans un temple de Sérapis, le
démon refuse de donner ses réponses, tant qu'il y aurait là un disciple de
l'Apôtre Pierre ; cherché longtemps, trouvé enfin, Apollinaire est contraint de
reprendre la mer. Ainsi revient-il à Ravenne. Mais accusé par les mêmes prêtres
des idoles, on le remet à la garde d'un centurion qui honorait en secret le
Christ et renvoie de nuit Apollinaire. A cette nouvelle, les satellites sont
mis à sa poursuite, le rejoignent sur la route et l'accablent de coups, le
laissant pour mort. Recueilli par les chrétiens, il quitta cette vie sept jours
après, couronné de la gloire du martyre et les exhortant à la constance dans la
foi. Son corps fut enseveli près du mur de la ville.
Instruits par Venance
Fortunat (1) venu de Ravenne en nos régions du Nord, nous saluons de loin votre
glorieuse tombe. Répondez-nous par le souhait que vous formuliez durant les
jours de votre vie mortelle : Que la paix de notre Seigneur et Dieu Jésus-Christ
repose sur vous ! La paix, don parfait, premier salut de l'apôtre (2) et
consommation de toute grâce (3) : combien vous l'avez appréciée, combien vous
en fûtes jaloux pour vos fils, même après avoir quitté la terre! C'est elle qui
vous fit obtenir du Dieu de paix et de dilection (4) cette intervention
miraculeuse par
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laquelle si longtemps furent
marqués les pontifes qui devaient après vous s'asseoir en votre chaire.
Vous-même n'apparûtes-vous pas un jour au Pontife romain, pour lui montrer dans
Chrysologue l'élu de Pierre et d'Apollinaire ? Et plus tard, sachant que les
cloîtres allaient devenir l'asile de cette divine paix bannie du reste du
monde, vous vîntes en personne par deux fois solliciter Romuald d'obéir à
l'appel de la grâce et d'aller féconder le désert.
Pourquoi faut-il qu'enivré de
faveurs qui partaient de la terre, plus d'un de vos successeurs, que ne
désignait plus, hélas ! la divine Colombe, ait oublié
si tôt les leçons laissées par vous à votre Eglise ? Fille de Rome, ne
devait-elle pas se trouver assez grande d'occuper entre ses illustres sœurs la
première place à la droite de la mère (1) ? Du moins l'Evangile même chanté
depuis douze siècles et plus peut-être (2), en la solennité de ce jour,
aurait-il dû la protéger contre les lamentables excès appelés à précipiter sa
déchéance. Rome, avertie par de trop regrettables indices, prévoyait-elle donc
déjà les sacrilèges ambitions des Guibert, quand son choix se fixait sur ce
passage du texte sacré : Il s'éleva une contestation parmi les disciples, à
qui devait passer pour le plus grand (3) ? Et quel commentaire, à la fois
plus significatif et plus touchant, pouvait-on donner à cet Evangile, que les
paroles de Pierre même en l'Epître : « Les vieillards qui sont parmi vous, je
les supplie, moi vieillard comme eux et témoin des souffrances du Christ, de
paître le troupeau, non dans un esprit de domination sur l'héritage
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du Seigneur, mais en étant ses
modèles dans le désintéressement et l'amour; que tous s'animent à l'humilité
mutuellement, car Dieu résiste aux superbes, et il donne sa grâce aux humbles
(1). » Faites, ô Apollinaire, que pasteurs et troupeau, dans toutes les
Eglises, profitent maintenant du moins de ces apostoliques et divines leçons,
pour que tous un jour nous nous trouvions assis à la table éternelle où le
Seigneur convie les siens près de Pierre et de vous dans son royaume (2).
Tandis que la Mère commune
resplendit sous la pourpre du martyre dont l'a ornée Apollinaire, un autre
noble fils couronne son front de la blanche auréole des Confesseurs Pontifes. Liboire, héritier des Julien, des Thuribe,
des Pavace, anneau brillant de la série glorieuse qui
rattache à Clément successeur de Pierre l'origine d'une illustre Eglise, se
lève en la cité des Cénomans comme l'astre radieux
qui dissipe les dernières nuées d'orage après la tempête ; il rend à la terre
bouleversée la fécondité réparant au centuple les ruines que la tourmente avait
causées.
Plus encore que la froide légalité des proconsuls et la
haine farouche des vieux Druides, le fanatique prosélytisme des disciples
d'Odin, envahissant l'Ouest des Gaules, avait ravagé dans nos contrées le champ
du Seigneur. Défenseur de la patrie terrestre et guide des âmes à celle des
cieux, Liboire rendit l'ennemi citoyen de l'une et de
l'autre en le faisant chrétien. Pontife, il employa le plus pur de son zèle à
développer les magnificences du culte
divin qui rend à Dieu
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l'hommage et assainit la terre (1);
apôtre, il reprit l'œuvre d'évangélisation des premiers messagers de la foi,
chassant l'idolâtrie des positions qu'elle avait reconquises et l'expulsant des
campagnes où toujours elle était restée maîtresse : Martin, dont il fut l'ami,
n'eut pas d'émulé qui lui fût à ce point comparable.
Mais quels ne furent pas surtout ses triomphes d'outre-tombe,
lorsque cinq siècles après la fin des travaux de sa vie mortelle, on le vit se
lever du sanctuaire où il reposait en la compagnie des évêques ses frères, et,
semant les miracles sur sa route, aller victorieusement forcer dans ses
retranchements le paganisme saxon que Charlemagne avait vaincu sans le dompter
! La barbarie reculait de nouveau en présence de Liboire
; ses reliques saintes avaient conquis au Christ la Westphalie ; Le Mans et
Paderborn scellaient, dans la vénération de leur commun apôtre, un pacte de
fraternité dont mille ans n'ont point encore affaibli la puissance.
ORAISON.
Accordez-nous, Dieu
tout-puissant, que la glorieuse solennité du bienheureux Liboire
votre Confesseur et Pontife, fasse croître en nos âmes la dévotion et les
fruits du salut. Par Jésus-Christ.