CLAIRE

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LE XII AOUT. SAINTE CLAIRE, VIERGE.

 

            L'année même où, préalablement à tout projet de réunir des fils, saint Dominique fondait le premier établissement des Sœurs de son Ordre, le compagnon destiné du ciel au père des Prêcheurs recevait du Crucifix de Saint-Damien sa mission par ces mots : « Va, François, réparer ma maison qui tombe en ruines. » Et le nouveau patriarche inaugurait son œuvre en préparant, comme Dominique, à ses futures filles l'asile sacré où leur immolation obtiendrait toute grâce à l'Ordre puissant qu'il devait fonder. Sainte-Marie de la Portioncule, berceau des Mineurs, ne devait qu'après Saint-Damien, maison des Pauvres-Dames, occuper la pensée du séraphin d'Assise. Ainsi une deuxième fois dans ce mois, l'éternelle Sagesse veut-elle nous montrer que tout fruit de salut, qu'il semble provenir de la parole ou de l'action, procède premièrement de la contemplation silencieuse.

Claire fut pour François l'aide semblable à lui-même (1) dont la maternité engendra au Seigneur cette multitude d'héroïques vierges, d'illustres pénitentes, que l'Ordre séraphique compta bientôt sous toutes les latitudes, venant à lui des plus humbles conditions comme des marches du trône.

 

1. Gen. II, 18.

 

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Dans la nouvelle chevalerie du Christ, la Pauvreté, que le père des Mineurs avait choisie pour Dame, était aussi la souveraine de celle que Dieu lui avait donnée pour émule et pour fille. Suivant jusqu'aux dernières extrémités l'Homme-Dieu humilié et dénué pour nous, elle-même pourtant déjà se sentait reine avec ses sœurs au royaume des cieux (1). Dans le petit nid de son dénûment, répétait-elle avec amour, quel joyau d'épouse égalerait jamais la conformité avec le Dieu sans nul bien que la plus pauvre des mères enserra tout petit de vils langes en une crèche étroite (2)! Aussi la vit-on défendre intrépidement, contre les plus hautes interventions, ce privilège de la pauvreté absolue dont la demande avait fait tressaillir le grand Pape Innocent III, dont la confirmation définitive, obtenue l'avant-veille de la mort delà sainte, apparut comme la récompense ambitionnée de quarante années de prières et de souffrances pour l'Eglise de Dieu.

La noble fille d'Assise avait justifié la prophétie qui, soixante ans plus tôt, l'annonçait à sa pieuse mère Hortulana comme devant éclairer le monde ; bien inspiré avait été le choix du nom qu'on lui donnait à sa naissance (3). « Oh ! comme puissante fut cette clarté de la vierge, s'écrie dans la bulle de sa canonisation le Pontife suprême! comme pénétrants furent ses rayons! Elle se cachait au plus profond du cloître, et son éclat, transperçant tout, remplissait la maison de Dieu (4). » De sa pauvre solitude qu'elle ne quitta jamais, le nom

 

1. Regula Damianitarum, VIII. — 2. Regula, II;Vita S. Clarae coeva, II. — 3 Clara claris praeclara meritis, magnas in cœlo claritate glorias ac in terra splendore miraculorum sublimium, clare claret, Bulla canonizationis. — 4. Ibid.

 

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seul de Claire semblait porter partout la grâce avec la lumière, et fécondait au loin pour Dieu et son père saint François les cités.

Vaste comme le monde, où se multipliait l'admirable lignée de sa virginité, son cœur de mère débordait d'ineffable tendresse pour ces filles qu'elle n'avait jamais vues. A ceux qui croient que l'austérité embrassée pour Dieu dessèche l'âme, citons ces lignes de sa correspondance avec la Bienheureuse Agnès de Bohême. Fille d'Ottocare Ier, Agnès avait répudié pour la bure d'impériales fiançailles et renouvelait à Prague les merveilles de Saint-Damien : « O ma Mère et ma fille, lui disait notre sainte, si je ne vous ai pas écrit aussi souvent que l'eût désiré mon âme et la vôtre, n'en soyez point surprise : comme vous aimaient les entrailles de votre mère, ainsi je vous chéris ; mais rares sont les messagers, grands les périls des routes. Aujourd'hui que l'occasion m'en est présentée, mon allégresse est entière, et je me conjouis avec vous dans la joie du Saint-Esprit. Comme la première Agnès s'unit à l'Agneau immaculé, ainsi donc vous est-il donné, ô fortunée, de jouir de cette union, étonnement des cieux, avec Celui dont le désir ravit toute âme, dont la bonté est toute douceur, dont la vision fait les bienheureux, lui la lumière de l'éternelle lumière, le miroir sans nulle tache ! Regardez-vous dans ce miroir, ô Reine, ô Epouse! Sans cesse, à son reflet, relevez vos charmes ; au dehors, au dedans, ornez-vous des vertus, parez comme il convient la fille et l'épouse du Roi suprême : ô bien-aimée, les yeux sur ce miroir, de quelles délices il vous sera donné de jouir en la divine grâce!... Souvenez-vous cependant de votre pauvre Mère, et sachez que pour moi j'ai gravé à jamais votre bienheureux souvenir en mon cœur (1). » La famille franciscaine n'était pas seule à bénéficier d'une charité qui s'étendait à tous les nobles intérêts de ce monde. Assise, délivrée des lieutenants de Frédéric II et de la horde sarrasine à la solde de l'excommunié, comprenait quel rempart est une sainte pour sa patrie de la terre. Mais c'étaient surtout les princes de la sainte Eglise, c'était le Vicaire du Christ, que le ciel aimait à voir éprouver la puissance toute d'humilité, l'ascendant mystérieux dont il plaisait au Seigneur de douer son élue. François, le premier, ne lui avait-il pas, dans un jour de crise comme en connaissent les saints, demandé direction et lumière pour son âme séraphique ? De la part des anciens d'Israël arrivaient à la vierge, qui n'avait pas trente ans alors, des messages de cette sorte :

« A sa très chère sœur en Jésus-Christ, à sa mère, Dame Claire servante du Christ, Hugolin d'Ostie, évêque indigne et pécheur. Depuis l'heure où il a fallu me priver de vos saints entretiens, m'arracher à cette joie du ciel, une telle amertume de cœur fait couler mes larmes que, si je ne trouvais aux pieds de Jésus la consolation que ne refuse jamais son amour, mon esprit en arriverait à défaillir et mon âme à se fondre. Où est la glorieuse allégresse de cette Pâque célébrée en votre compagnie et en celle des autres servantes du Christ ?... Je me savais pécheur ; mais au souvenir de la suréminence de votre vertu, ma misère m'accable, et je me crois indigne de retrouver jamais cette conversation des saints, si vos larmes et vos prières n'obtiennent grâce pour mes péchés. Je vous remets donc mon âme; à vous je confie

 

1. S. Clarae ad B. Agnetem, Epist. IV.

 

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mon esprit, pour que vous m'en répondiez au jour du jugement. Le Seigneur Pape doit venir prochainement à Assise; puissé-je l'accompagner et vous revoir ! Saluez ma sœur Agnès (c'était la sœur même de Claire et sa première fille en Dieu) ; saluez toutes vos sœurs dans le Christ (1). »

Le grand cardinal Hugolin, âgé de plus de quatre-vingts ans, devenait peu après Grégoire IX. Durant son pontificat de quatorze années, qui fut l'un des plus glorieux et des plus laborieux du XIII° siècle, il ne cessa point d'intéresser Claire aux périls de l'Eglise et aux immenses soucis dont la charge menaçait d'écraser sa faiblesse. Car, dit l'historien contemporain de notre sainte, « il savait pertinemment ce que peut l'amour, et que l'accès du palais sacré est toujours libre aux vierges : à qui le Roi des cieux se donne lui-même, quelle demande pourrait être refusée (2) ? »

L'exil, qui après la mort de François s'était prolongé vingt-sept ans pour la sainte, devait pourtant finir enfin. Des ailes de feu, aperçues par ses filles au-dessus de sa tête et couvrant ses épaules, indiquaient qu'en elle aussi la formation séraphique était à son terme. A la nouvelle de l'imminence d'un tel départ intéressant toute l'Eglise, le Souverain Pontife d'alors, Innocent IV, était venu de Pérouse avec les cardinaux de sa suite. Il imposa une dernière épreuve à l'humilité de la sainte, en lui ordonnant de bénir devant lui les pains qu'on avait présentés à la bénédiction du Pontife suprême (3) ; le ciel, ratifiant l'invitation du Pontife et l'obéissance de Claire au sujet de

 

1. Wadding, ad an. 1221. — 2. Vita S. Clarae coaeva, III. — 3. Wadding, ad an. 1253, bien que le fait soit rapporté par d'autres au pontificat de Grégoire IX.

 

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ces pains, fit qu'à la bénédiction  de la vierge, ils parurent tous marqués d'une croix.

La prédiction que Claire ne devait pas mourir sans avoir reçu la visite du Seigneur entouré de ses disciples, était accomplie. Le Vicaire de Jésus-Christ présida les solennelles funérailles qu'Assise voulut faire à celle qui était sa seconde gloire devant les hommes et devant Dieu. Déjà on commençait les chants ordinaires pour les morts, lorsqu'Innocent voulut prescrire qu'on substituât à l'Office des défunts celui des saintes vierges ; sur l'observation cependant qu'une canonisation semblable, avant que le corps n'eût même été confié à la terre, courrait risque de sembler prématurée, le Pontife laissa reprendre les chants accoutumés. L'insertion de la vierge au catalogue des Saints ne fut au reste différée que de deux ans.

 

Voici les lignes qui lui sont consacrées par l'Eglise.

 

La noble vierge Claire naquit à Assise en Ombrie. Marchant sur les traces de saint François son concitoyen, elle distribua tous ses biens en saintes largesses et aumônes. Le bienheureux lui coupa les cheveux dans une église hors de la ville, où elle s'était retirée en fuyant le siècle ; les efforts de ses proches pour la rappeler à eux durent céder à sa résistance intrépide. Conduite enfin par son père spirituel à Saint-Damien,  elle vit le Seigneur lui amener en ce lieu plusieurs compagnes; devenue elle-même ainsi la fondatrice d'une réunion de sœurs consacrées à Dieu, les instances de saint François, plus fortes que ses répugnances, lui en firent prendre la conduite. Elle gouverna quarante-deux ans son monastère avec une admirable sollicitude et prudence, dans la crainte du Seigneur et la pleine observance des règles de l'Ordre ; sa vie était pour les autres un enseignement et une lumière, montrant à toutes comme il fallait vivre elles-mêmes.

 

Déprimant la chair pour fortifier l'esprit, elle n'avait pour lit que la terre nue, parfois des sarments, et pour oreiller elle plaçait une bûche sous sa tête. Une seule tunique avec un manteau d'étoffe vile et rude était son vêtement, sauf le cilice dont souvent elle meurtrissait sa chair. Telle était son abstinence, que longtemps elle ne prit absolument rien pour soutenir son corps trois jours de la semaine , se restreignant dans les autres à une si faible quantité de nourriture, que les sœurs s'étonnaient qu'elle pût vivre. Tous les ans, avant de tomber malade, elle jeûnait deux carêmes au pain et à l'eau. De plus, continuellement adonnée aux veilles et à la prière, elle y employait la plus grande partie des jours et des nuits. Affaiblie par des souffrances prolongées, elle ne pouvait se lever elle-même pour travailler , mais les sœurs lui venaient en aide, et la soulevant et la maintenant au moyen d'appuis sur son séant, faisaient qu'elle pût travailler des mains pour ne pas rester oisive en dépit des infirmités. Elle se distingua par son amour de la pauvreté, ne l'abandonnant par la considération d'aucune nécessité, et refusant avec constance les possessions que Grégoire IX lui offrait pour assurer la nourriture des sœurs.

 

Nombre de divers miracles manifestèrent la vertu de sa sainteté. Elle rendit le libre usage de la parole à une sœur de son monastère, l'ouïe à une autre, en guérit d'autres de fièvre, d'hydropisie, de fistule, de maux variés. Elle fit recouvrer la raison à un Frère Mineur qui l'avait perdue. L'huile manquant totalement au monastère, Claire prit un vase, le lava, et par l'effet de la divine largesse il se trouva rempli d'huile. Elle multiplia la moitié d'un pain de telle sorte qu'il y en eût assez pour cinquante sœurs. Lorsque les Sarrasins assiégeaient Assise, ils voulurent envahir le  monastère; Claire, malade, se fit porter à l'entrée, et avec elle le vase dans lequel était renfermé le Très-Saint-Sacrement : « Ne livrez pas aux bêtes, Seigneur, les âmes qui vous louent ; gardez vos servantes, que vous avez rachetées de votre sang précieux. » Ce fut sa prière, et on entendit une voix qui disait : « Je vous garderai toujours. » Cependant une partie des Sarrasins avait pris la fuite ; les autres, déjà montés sur le mur, furent aveuglés et jetés à terre. Lorsqu'enfin la vierge vit arriver l'heure de quitter ce monde, elle reçut la visite d'une blanche troupe de vierges bienheureuses entre lesquelles en était une plus auguste et plus resplendissante. Ayant reçu la sainte Eucharistie, et Innocent IV lui ayant donné l'indulgence, elle rendit son âme à Dieu la veille des ides d'août. De nombreux miracles éclatèrent après sa mort, et Alexandre IV la mit au nombre des saintes vierges.

 

O Claire, le reflet de l'Epoux dont l'Eglise se pare en ce monde ne vous suffit plus ; c'est directement que vous vient la lumière. La clarté du Seigneur se joue avec délices dans le cristal de votre âme si pure, accroissant l’allégresse du ciel, donnant joie en ce jour à la vallée d'exil. Céleste phare dont l'éclat est si doux, éclairez nos ténèbres. Puissions nous avec vous, par la netteté du cœur, parla droiture de la pensée, par la simplicité du regard, affermir sur nous le rayon divin qui vacille dans l'âme hésitante et s'obscurcit de nos troubles, qu'écarte ou brise la duplicité d'une vie partagée entre Dieu et la terre.

Votre vie, ô vierge, ne fut pas ainsi divisée. La très haute pauvreté, que vous eûtes pour maîtresse et pour guide, préservait votre esprit de cette fascination de la frivolité qui ternit l'éclat des vrais biens pour nous mortels (1). Le détachement de tout ce qui passe maintenait votre œil fixé vers les éternelles réalités ; il ouvrait votre âme aux ardeurs séraphiques qui devaient achever de faire de vous l'émule de François votre père. Aussi, comme celle des Séraphins qui n'ont que pour Dieu de regards, votre action sur terre était immense ; et Saint-Damien, tandis que vous vécûtes, fut une des fermes bases sur lesquelles le monde vieilli put étayer ses ruines.

Daignez nous continuer votre secours. Multipliez vos filles, et maintenez-les fidèles à suivre les exemples qui feront d'elles, comme de leur mère, le soutien puissant de l'Eglise. Que la famille franciscaine en ses diverses branches s'échauffe toujours à vos rayons; que tout l'Ordre religieux s'illumine à leur suave clarté. Brillez enfin sur tous, ô Claire, pour nous montrer ce que valent cette vie qui passe et l'autre qui ne doit pas finir.

 

1. Sap. IV, 12.

 

 

 

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