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LE XII AOUT. SAINTE CLAIRE, VIERGE. L'année
même où, préalablement à tout projet de réunir des fils, saint Dominique
fondait le premier établissement des Sœurs de son Ordre, le compagnon destiné
du ciel au père des Prêcheurs recevait du Crucifix de Saint-Damien
sa mission par ces mots : « Va, Claire fut pour 1. Gen. II, 18. 416 Dans la nouvelle chevalerie du Christ, la Pauvreté, que le père des Mineurs avait choisie pour Dame, était aussi la souveraine de celle que Dieu lui avait donnée pour émule et pour fille. Suivant jusqu'aux dernières extrémités l'Homme-Dieu humilié et dénué pour nous, elle-même pourtant déjà se sentait reine avec ses sœurs au royaume des cieux (1). Dans le petit nid de son dénûment, répétait-elle avec amour, quel joyau d'épouse égalerait jamais la conformité avec le Dieu sans nul bien que la plus pauvre des mères enserra tout petit de vils langes en une crèche étroite (2)! Aussi la vit-on défendre intrépidement, contre les plus hautes interventions, ce privilège de la pauvreté absolue dont la demande avait fait tressaillir le grand Pape Innocent III, dont la confirmation définitive, obtenue l'avant-veille de la mort delà sainte, apparut comme la récompense ambitionnée de quarante années de prières et de souffrances pour l'Eglise de Dieu. La noble fille d'Assise avait justifié la prophétie qui, soixante ans plus tôt, l'annonçait à sa pieuse mère Hortulana comme devant éclairer le monde ; bien inspiré avait été le choix du nom qu'on lui donnait à sa naissance (3). « Oh ! comme puissante fut cette clarté de la vierge, s'écrie dans la bulle de sa canonisation le Pontife suprême! comme pénétrants furent ses rayons! Elle se cachait au plus profond du cloître, et son éclat, transperçant tout, remplissait la maison de Dieu (4). » De sa pauvre solitude qu'elle ne quitta jamais, le nom 1. Regula Damianitarum, VIII. — 2. Regula, II;Vita S. Clarae coeva, II. — 3 Clara claris praeclara meritis, magnas in cœlo claritate glorias ac in terra splendore miraculorum sublimium, clare claret, Bulla canonizationis. — 4. Ibid. 417 seul de Claire semblait porter
partout la grâce avec la lumière, et fécondait au loin pour Dieu et son père
saint Vaste comme le monde, où se
multipliait l'admirable lignée de sa virginité, son cœur de mère débordait
d'ineffable tendresse pour ces filles qu'elle n'avait jamais vues. A ceux qui
croient que l'austérité embrassée pour Dieu dessèche l'âme, citons ces lignes
de sa correspondance avec la Bienheureuse Agnès de Bohême. Fille d'Ottocare Ier, Agnès avait répudié pour la bure d'impériales
fiançailles et renouvelait à Prague les merveilles de Saint-Damien
: « O ma Mère et ma fille, lui disait notre sainte, si je ne vous ai pas écrit
aussi souvent que l'eût désiré mon âme et la vôtre, n'en soyez point surprise :
comme vous aimaient les entrailles de votre mère, ainsi je vous chéris ; mais
rares sont les messagers, grands les périls des routes. Aujourd'hui que
l'occasion m'en est présentée, mon allégresse est entière, et je me conjouis avec vous dans la joie du Saint-Esprit. Comme la
première Agnès s'unit à l'Agneau immaculé, ainsi donc vous est-il donné, ô
fortunée, de jouir de cette union, étonnement des cieux, avec Celui dont le
désir ravit toute âme, dont la bonté est toute douceur, dont la vision fait les
bienheureux, lui la lumière de l'éternelle lumière, le miroir sans nulle tache
! Regardez-vous dans ce miroir, ô Reine, ô Epouse! Sans cesse, à son reflet,
relevez vos charmes ; au dehors, au dedans, ornez-vous des vertus, parez comme
il convient la fille et l'épouse du Roi suprême : ô bien-aimée, les yeux sur ce
miroir, de quelles délices il vous sera donné de jouir en la divine grâce!... Souvenez-vous
cependant de votre pauvre Mère, et sachez que pour moi j'ai gravé à jamais
votre bienheureux souvenir en mon cœur (1). » La famille franciscaine n'était
pas seule à bénéficier d'une charité qui s'étendait à tous les nobles intérêts
de ce monde. Assise, délivrée des lieutenants de Frédéric II et de la horde
sarrasine à la solde de l'excommunié, comprenait quel rempart est une sainte
pour sa patrie de la terre. Mais c'étaient surtout les princes de la sainte
Eglise, c'était le Vicaire du Christ, que le ciel aimait à voir éprouver la
puissance toute d'humilité, l'ascendant mystérieux dont il plaisait au Seigneur
de douer son élue. « A sa très chère sœur en Jésus-Christ, à sa mère, Dame Claire servante du Christ, Hugolin d'Ostie, évêque indigne et pécheur. Depuis l'heure où il a fallu me priver de vos saints entretiens, m'arracher à cette joie du ciel, une telle amertume de cœur fait couler mes larmes que, si je ne trouvais aux pieds de Jésus la consolation que ne refuse jamais son amour, mon esprit en arriverait à défaillir et mon âme à se fondre. Où est la glorieuse allégresse de cette Pâque célébrée en votre compagnie et en celle des autres servantes du Christ ?... Je me savais pécheur ; mais au souvenir de la suréminence de votre vertu, ma misère m'accable, et je me crois indigne de retrouver jamais cette conversation des saints, si vos larmes et vos prières n'obtiennent grâce pour mes péchés. Je vous remets donc mon âme; à vous je confie 1. S. Clarae ad B. Agnetem, Epist. IV. 419 mon esprit, pour que vous m'en répondiez au jour du jugement. Le Seigneur Pape doit venir prochainement à Assise; puissé-je l'accompagner et vous revoir ! Saluez ma sœur Agnès (c'était la sœur même de Claire et sa première fille en Dieu) ; saluez toutes vos sœurs dans le Christ (1). » Le grand cardinal Hugolin, âgé de plus de quatre-vingts ans, devenait peu après Grégoire IX. Durant son pontificat de quatorze années, qui fut l'un des plus glorieux et des plus laborieux du XIII° siècle, il ne cessa point d'intéresser Claire aux périls de l'Eglise et aux immenses soucis dont la charge menaçait d'écraser sa faiblesse. Car, dit l'historien contemporain de notre sainte, « il savait pertinemment ce que peut l'amour, et que l'accès du palais sacré est toujours libre aux vierges : à qui le Roi des cieux se donne lui-même, quelle demande pourrait être refusée (2) ? » L'exil, qui après la mort de 1. Wadding, ad an. 1221. — 2. Vita S. Clarae coaeva, III. — 3. Wadding, ad an. 1253, bien que le fait soit rapporté par d'autres au pontificat de Grégoire IX. 420 ces pains, fit qu'à la bénédiction de la vierge, ils parurent tous marqués d'une croix. La prédiction que Claire ne devait pas mourir sans avoir reçu la visite du Seigneur entouré de ses disciples, était accomplie. Le Vicaire de Jésus-Christ présida les solennelles funérailles qu'Assise voulut faire à celle qui était sa seconde gloire devant les hommes et devant Dieu. Déjà on commençait les chants ordinaires pour les morts, lorsqu'Innocent voulut prescrire qu'on substituât à l'Office des défunts celui des saintes vierges ; sur l'observation cependant qu'une canonisation semblable, avant que le corps n'eût même été confié à la terre, courrait risque de sembler prématurée, le Pontife laissa reprendre les chants accoutumés. L'insertion de la vierge au catalogue des Saints ne fut au reste différée que de deux ans. Voici les lignes qui lui sont consacrées par l'Eglise. La noble vierge Claire naquit
à Assise en Ombrie. Marchant sur les traces de saint Déprimant la chair pour
fortifier l'esprit, elle n'avait pour lit que la terre nue, parfois des
sarments, et pour oreiller elle plaçait une bûche sous sa tête. Une seule
tunique avec un manteau d'étoffe vile et rude était son vêtement, sauf le
cilice dont souvent elle meurtrissait sa chair. Telle était son abstinence, que
longtemps elle ne prit absolument rien pour soutenir son corps trois jours de
la semaine , se restreignant dans les autres à une si faible quantité de
nourriture, que les sœurs s'étonnaient qu'elle pût vivre. Tous les ans, avant
de tomber malade, elle jeûnait deux carêmes au pain et à l'eau. De plus,
continuellement adonnée aux veilles et à la prière, elle y employait la plus
grande partie des jours et des nuits. Affaiblie par des souffrances prolongées,
elle ne pouvait se lever elle-même pour travailler ,
mais les sœurs lui venaient en aide, et la soulevant et la maintenant au moyen
d'appuis sur son séant, faisaient qu'elle pût travailler des mains pour ne pas
rester oisive en dépit des infirmités. Elle se distingua par son amour de la
pauvreté, ne l'abandonnant par la considération d'aucune nécessité, et refusant
avec constance les possessions que Grégoire IX lui offrait pour assurer la
nourriture des sœurs. Nombre de divers miracles
manifestèrent la vertu de sa sainteté. Elle rendit le libre usage de la parole
à une sœur de son monastère, l'ouïe à une autre, en guérit d'autres de fièvre,
d'hydropisie, de fistule, de maux variés. Elle fit recouvrer la raison à un
Frère Mineur qui l'avait perdue. L'huile manquant totalement au monastère,
Claire prit un vase, le lava, et par l'effet de la divine largesse il se trouva
rempli d'huile. Elle multiplia la moitié d'un pain de telle sorte qu'il y en
eût assez pour cinquante sœurs. Lorsque les Sarrasins assiégeaient Assise, ils
voulurent envahir le monastère; Claire,
malade, se fit porter à l'entrée, et avec elle le vase dans lequel était renfermé
le Très-Saint-Sacrement : « Ne livrez pas aux bêtes,
Seigneur, les âmes qui vous louent ; gardez vos servantes, que vous avez
rachetées de votre sang précieux. » Ce fut sa prière, et on entendit une voix
qui disait : « Je vous garderai toujours. » Cependant une partie des Sarrasins
avait pris la fuite ; les autres, déjà montés sur le mur, furent aveuglés et
jetés à terre. Lorsqu'enfin la vierge vit arriver
l'heure de quitter ce monde, elle reçut la visite d'une blanche troupe de
vierges bienheureuses entre lesquelles en était une plus auguste et plus
resplendissante. Ayant reçu la sainte Eucharistie, et Innocent IV lui ayant
donné l'indulgence, elle rendit son âme à Dieu la veille des ides d'août. De
nombreux miracles éclatèrent après sa mort, et Alexandre IV la mit au nombre
des saintes vierges. O Claire, le reflet de l'Epoux dont l'Eglise se pare en ce monde ne vous suffit plus ; c'est directement que vous vient la lumière. La clarté du Seigneur se joue avec délices dans le cristal de votre âme si pure, accroissant l’allégresse du ciel, donnant joie en ce jour à la vallée d'exil. Céleste phare dont l'éclat est si doux, éclairez nos ténèbres. Puissions nous avec vous, par la netteté du cœur, parla droiture de la pensée, par la simplicité du regard, affermir sur nous le rayon divin qui vacille dans l'âme hésitante et s'obscurcit de nos troubles, qu'écarte ou brise la duplicité d'une vie partagée entre Dieu et la terre. Votre vie, ô vierge, ne fut pas
ainsi divisée. La très haute pauvreté, que vous eûtes pour maîtresse et
pour guide, préservait votre esprit de cette fascination de la frivolité qui
ternit l'éclat des vrais biens pour nous mortels (1). Le détachement de tout ce
qui passe maintenait votre œil fixé vers les éternelles réalités ; il ouvrait
votre âme aux ardeurs séraphiques qui devaient achever de faire de vous l'émule
de Daignez nous continuer votre secours. Multipliez vos filles, et maintenez-les fidèles à suivre les exemples qui feront d'elles, comme de leur mère, le soutien puissant de l'Eglise. Que la famille franciscaine en ses diverses branches s'échauffe toujours à vos rayons; que tout l'Ordre religieux s'illumine à leur suave clarté. Brillez enfin sur tous, ô Claire, pour nous montrer ce que valent cette vie qui passe et l'autre qui ne doit pas finir. 1. Sap. IV,
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