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DU PÉCHÉ ORIGINEL,
DE LA JUSTIFICATION,
DE LA PRIÈRE, ETC.
Le docteur Luther se faisait un jour couper les cheveux et
raser le visage, et il dit au docteur Jonas qui se trouvait là: « Le péché
originel est en nous comme la barbe. On la coupe aujourd'hui, notre visage est
frais, demain elle a repoussé ; tant que nous tommes en vie , elle ne cesse de
repousser. Il en est de même du péché originel (1) ; il en est peut être extirpé
complètement, Il se fait sentir et se montre tant que dure notre existence. Mais
notre devoir est de l'abattre sans relâche et de nous opposer à lui autant que
nous le pouvons. »
1 Dans son commentaire sur le quatrième psaume, Luther
prétend que l'enfant est déjà pécheur dans le sein de sa mère , fange digne de
réprobation avant d'être changée en vase humain : Lutum illud ex quo vasculum
hoc fingi caepit damnabile est. Foetus in utero antequam nascimur et homines
esse incipimus, peccatum est.
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Quoique le péché originel ait eu
pour résultat, afin de nous punir. qu'il y ait eu beaucoup de bêtes méchantes et
sauvages qui peuvent nuire à l'homme, tels que les lions, loups, ours, serpents,
lézards, etc., Dieu a cependant étendu sur nous sa miséricorde. Car n'est-il pas
vrai qu'il existe bien plus de moutons que de loups, beaucoup plus d'écrevisses
que de scorpions, plus de poissons que de serpents, beaucoup plus de bœufs que
de lions , beaucoup plus de vaches que d'ours, etc. ?
L'Oraison dominicale est ma
prière ; c'est celle que je répète ; j'y mêle de temps en temps quelque chose
des psaumes, afin de demandera Dieu qu'il confonde et couvre de honte les faux
docteurs et les ennemis de la foi. Je ne trouve aucune prière qui soit
comparable à l'Oraison dominicale; je la préfère à tous les psaumes (1)
Les papistes s'efforcent de
soutenir leur détestable cause par de très-mauvais arguments qu'il est facile de
réfuter; c'est ainsi
1 Telle était aussi l'opinion de Montaigne : « Je ne scay
si je me trompe, mais, puisque par une faveur particulière de la bonté divine,
certaine façon de prière nous a esté prescrite et dictée par la bouche de Dieu,
il m'a tousiours semblé que nous en debvions avoir l'usage plus ordinaire que
nous n'avons. A toutes actions particulières auxquelles on a accoustumé de
mesler des prières ie vouldroy que ce feust le Patenostre que les chrestiens y
employassent, sinon seulement au moins tousiours.» (Essais. liv. I, ch.
I. VI.)
Luther s'appliquait avec ferveur
à l'oraison ; il écrivait, à l'époque de la diète d'Augsbourg .- «Je prierai et
je pleurerai jusqu'à ce que je sache que mes cris ont été entendus dans le
ciel.» Citons encore le témoignage d'un de ses familiers, le docteur Vilus, qui
s'exprime ainsi dans une lettre adressée à Mélancthon : « Il ne s'écoule pas un
jour dont Luther ne passe en oraison au moins trois des heures les plus
favorables à l'étude. Il m'est arrivé une fois de l'entendre prier. Bon Dieu !
quelle spiritualité ! quelle foi dans ses paroles ! »
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qu'ils disent : « Tout acte de concupiscence est illicite;
donc, etc. » Je réponds : « Le penchant d'un sexe vers l'autre dans l'état de
mariage n'est pas un acte de concupiscence, mais une institution de Dieu,
légitime et pure, quoiqu'elle soit empoisonnée par les conséquences du péché
originel. »
Le fondement de la justification
(1), ce sont les promesses divines qui sont appliquées aux consciences par la
foi. La foi n'est pas seulement une qualité, mais une connaissance des promesses
de Dieu, accompagnée d'un véritable assentiment. Elle comprend la volonté de
Dieu, et elle met en elle sa confiance, en mortifiant par l'Esprit saint les
œuvres de la chair. Cette véritable foi ou confiance, les démons ne l'ont pas,
parce qu'ils no croient pas tous les articles de la foi.
Telle fut la foi d'Abraham, que
lorsqu'il ressuscitera au don nier jour, il gourmandera notre incrédulité,
disant : «J'ai à peine eu la centième partie des promesses qui vous furent
faites, et cependant j'ai persévéré dans la foi. »
1 Empruntons ici à un écrivain distingué, à M. Nisard,
quelques explications nécessaires sur un point de doctrine qui occupe une place
éminente dans les écrits de Luther et dans les controverses au milieu desquelles
s'écoula sa vie. La question de la justification était l'une des plus
considérables que la réforme eût soulevées. Être justifié, c'est-à-dire, quitter
l'étal injuste pour l'étal juste ; d'impie, de païen, devenir enfant de Dieu;
d'exclu de ses divines promesses, y être à jamais participant; quel plus grand
intérêt, et où était-il de plus grande conséquence d'assurer les esprits,
puisqu'il s'agissait pour eux de la vie ou de la mort éternelle ? Dans la
doctrine catholique, on était justifié principalement par les bonnes oeuvres. La
part de la toi se réduisait a la connaissance de la loi chrétienne. Luther
changea tout cela. Saint Paul avait dit : «Nous sommes justifiés par la seule
foi», Luther ajouta .- «Par la seule foi sans les œuvres. » Dans la doctrine
catholique, la foi était implicitement dans les œuvres ; dans la doctrine
luthérienne, elle en était séparée, elle était tout. Il est vrai qu'à cette foi
paisible et de tradition que demandait la doctrine catholique, la doctrine
luthérienne substituait une foi spéciale, absolue, véhémente, marquée du
caractère de son auteur et réclamant de Dieu la justification à titre de
promesse. Cela consistait à dire, dans la pratique, de toutes les forces de son
être : «Je crois que mes péchés me seront remis par les seuls mérites de
Jésus-Christ, médiateur et propitiateur. » C'est ce qu'on appela la justice
imputative. Dans le commencement, on fut si épris de cette justice, qu'on ne
s'occupa point des œuvres. On les proscrivit dans ce qui n'avait été que l'abus
; mais les difficultés que Luther et ses disciples n'avaient pas vues d'abord,
ne tardèrent pas à se montrer dans toutes leurs forces. Mélanchton se donna des
peines incroyables pour retenir les bonnes œuvres, dont son esprit pratique
sentait toute la nécessité, et toutefois ne pas abandonner la justice imputative
aux charmes de laquelle, pour parler comme Bossuet, il ne put jamais renoncer.
Luther ne prit point tant de peine ; une fois le dogme de la justification par
la foi proclamé, il ne se soucia point de le concilier avec les œuvres et se
reposa dans la joie de son invention, ou bien, lorsque les événements le
pressèrent, on le vit, selon le besoin de sa politique ou de son orgueil, tantôt
abonder dans son premier sens, tantôt faire à la doctrine des œuvres des
concessions inattendues, peu calculées, et comme avec la pensée de les retirer
dans l'occasion.
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C'est un grand aveuglement du
cœur humain de ne pouvoir se saisir du trésor des grâces qui lui est donné; nous
avons été baptisés, nous avons la foi, les sacrements, et nous ne voulons pas
nous dire saints. Car nous ne distinguons pas la foi de l'Esprit saint, qui est
la certitude elle-même dans la parole.— Maître Kinneck répondit : « Si vous
dites que l'Esprit saint est une certitude vis-à-vis de Dieu, alors tous les
sectaires qui ont une persuasion certaine de leur religion, ont l'Esprit saint.
» Le docteur Luther répondit : « Ils n'ont aucune certitude; Mahomet, les
papistes, les sacramentaires ne s'appuient pas sur la parole de Dieu, mais sur
leur foi personnelle. »
La foi est dans l'intelligence,
l'espérance dans la volonté; mais ces deux vertus ne peuvent se séparer, non
plus que les chérubins du lieu de propitiation.
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Des prières émanées du fond du
cœur, et les plaintes des pauvres gens, soulèvent une telle clameur, que tous
losanges dans le ciel doivent l'entendre. Notre Seigneur Dieu doit avoir de
grandes oreilles et une ouïe perçante et subtile.
Quelqu'un demanda au docteur
Luther si celui qui prie maudit aussi. « Oui, répondit-il, car lorsque je fais
cette prière : que ton nom soit béni, alors je maudis Erasme et tous les
béatifiques qui offensent et méprisent Dieu. »
Jésus-Christ a donné l'Oraison
dominicale d'après les idées des Juifs, c'est-à-dire qu'elle s'adresse au Père
seul, bien que Ceux qui prient doivent, pour être exaucés, le faire par
l'intercession du fils. Quelqu'un demanda au docteur Luther pourquoi il en était
ainsi; il répondit : « Jésus-Christ ne voulait pas être loué avant sa mort. »
L'an 1552, le docteur Luther
parla de la puissance et de l'utilité de la prière, et il raconta cette
histoire: « Le roi de Perse avait assiège la ville d'Edesse, et l'évêque, voyant
que tout secours humain était trop faible, et que la ville ne pouvait résister,
ni se défendre longtemps, monta sur les murailles, étendit sa main vers le ciel
et pria, et il fit en même temps le signe de la croix du côté des ennemis.
Aussitôt tous les chevaux eurent les yeux pleins de mouches, et ils s'enfuirent
dans la campagne. Dieu peul également affaiblir et briser le cœur des Turcs, si
nous prions avec persévérance et avec foi. »
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