Mélanchton

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MÉLANCHTON, BRENTIUS, ETC.

 

Le docteur Luther dit un jour : «Ce que Philippe Mélanchton écrit a des mains et des pieds, a de l'autorité et de la gravite, est plein de poids, mais contenu en peu de mots, ainsi que j'ai toujours trouvé ses lettres. Mais je prévins que nous serons forcés d'entrer en guerre, car les papistes voudraient bien continuer, seulement ils n'ont pas un bon estomac ; nous, nous ne pouvons laisser les choses dans l'état où elles sont à présent. Poursuivons donc notre route au nom du Seigneur ; je confierai tout à Dieu; je le prierai de convertir nos adversaires. Nous avons une bonne cause, et qui de nous ne hasarderait pas corps et sang pour la sainte parole de Dieu ? D'ailleurs, les lois temporelles et les règles de la politique sont également conformes à notre manière d'agir, car nous avons toujours désiré et demandé la paix, mais nos princes sont provoqués et réduits à se défendre, eux et leurs sujets; il faut nécessairement qu'ils résistent à un pouvoir inique. Nos adversaires ne nous laisseront pas vivre en paix. Cette lettre a été écrite il y a dix jours; dans cet intervalle se sera décidé ce qu'il faut faire. Que le Dieu éternel et miséricordieux nous accorde sa grâce. Veillons et prions, car Satan ne dort point. » 

L'an 1536, le docteur Luther écrivit sur sa table les mots suivants : Res et verba Philippus; verba sine re Erasmus; res sine verbis Lutherus; nec res, nec verba Carolostadius. C'est-à-dire : Ce que Philippe Mélanchton écrit a des pieds et des mains (1) ; le 

1 Au sujet de Mélanchton, après Luther, la plus grande figure qu'offre l'histoire de la réforme, on lira avec plaisir une élégante et judicieuse notice de M. Nisard (Revue des Deux-Mondes, 4e série, 1839, tom. XX, p. 144, 149-197, 377-413). Empreint de quelque partialité en faveur du docteur Philippe, ce travail ne dispense pas toutefois de recourir aux sources. Camerarius et Fischer ont écrit la Vie de Mélanchton, et J. F. Strobel, en publiant en 1777 un Melanchtoniana, nous apprend qu'il avait déjà paru en Allemagne 277 écrits sur la personne et les ouvrages de ce célèbre réformateur. Ses ouvrages sont extrêmement nombreux : Rotermond en a énuméré 385. (Consultez surtout la Bibliotheca Melanchtoniana de Trobel, dans le tome VI de ses Miscell. litter.) Ils n'ont été recueillis dans aucune édition complète; celles de 1541, i562, 1580, 1583, 1601, 1617, en 4 ou 5 vol. in-folio, ne renferment qu'une faible partie de tant d'écrits; l'édition entreprise en 1834 à Halle, par le savant Bretschneider, est loin d'être terminée. 

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fond est bon et les paroles aussi sont bonnes. Erasme de Rotterdam écrit beaucoup de paroles, mais sans résultat. Luther dit de bonnes choses, mais les paroles ne sont pas bonnes. Carlostadt ne dit point de bonnes choses et n'use point de bonnes paroles. — Philippe Mélanchton, arrivant à l'improviste en ce moment et lisant cela, se tourna en souriant vers le docteur Basile et il dit: « Au sujet d'Erasme et de Carlostadt, ce jugement est bon et cette censure est juste, mais trop d'éloges me sont accordés, et la bonté des paroles doit aussi être comptée parmi les mérites de Luther, car il parle extrêmement bien et ses discours sont substantiels. » 

Celui qui a l'intention de s'instruire dans la théologie a maintenant de grands avantages ; d'abord il a la Bible, que j'ai traduite de l'hébreu en allemand d'une manière si claire que chacun peut facilement la comprendre. Il peut lire ensuite les Lieux communs de Philippe Mélanchton qu'il les lise avec tant d'assiduité qu'il les sache par cœur. Lorsqu'il aura accompli ces deux choses, on peut le regarder comme un théologien contre lequel ni le diable ni aucun hérétique ne pourra remporter nul avantage, car la théologie tout entière est devant lui, et il pourra lire ce qu'il voudra. Qu'il lise alors le Commentaire de Philippe Mélanchton sur l'épître aux Romains, qu'il lise mes Explications du Deutéronome et de l'épitre aux Galates, qu'il s'efforce de devenir éloquent.

Nous ne possédons aucun livre où la théologie entière, la

 

1 Les Loci communes sont un abrégé de la doctrine chrétienne; publiés pour la première fois à Wittemberg en 1541 , ils ont été réimprimés soixante-cinq fois pendant la vie de l'auteur. Strobel a donné (Altdorf, 1776) une Bibliographie spéciale de cet ouvrage et de ses différentes traductions. 

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religion, soit mieux résumée que dans les Lieux communs de Mélanchton ; tous les Pères et les faiseurs de sentences ne peuvent être comparés à ce livre; c'est, après la sainte Ecriture, ce qui existe de plus parfait. Mélanchton est plus logicien que moi ; il combat et il enseigne. Je suis plus rhétoricien, plus orateur. Si les imprimeurs se laissaient guider par moi, ils publieraient ceux de mes livres où il y a de la doctrine, comme mes Commentaires sur l'épitre aux Galates, sur le Deutéronome, les Sermons sur les quatre chapitres de l'Evangile de saint Jean ; mes autres livres peuvent être lus pour connaître les progrès de la révélation de l'Évangile, afin qu'on puisse voir comment la doctrine s'est manifestée d'abord, car elle n'était pas alors aussi clairement exposée qu'à présent.  

Aucun des théologiens de notre époque ne manie et n'expose l'Écriture sainte aussi bien que Brentius (1), au point que j'admire grandement son énergie, et que je désespère de l'égaler. Je crois vraiment que nul d'entre nous ne serait capable de faire ce qu'il fait, lorsqu'il explique l'Evangile selon saint Jean ; quoique parfois il s'arrête trop sur ses propres idées, toutefois il reste dans le véritable et juste sens, et il ne s'irrite pas de la noble simplicité de la parole de Dieu. 

En 1538, le 18 septembre, le docteur Luther apprenant que les prédications de Jacques Schenck étaient partout louées et exaltées, s'écria : « Oh! que ces nouvelles me seraient agréables, s'il ne mettait pas dans ses sermons ces mots doux à la bouche, glissants et sonores, dont saint Paul se plaignait aux Romains, et qui trompent 

1 André Brentius, dont le véritable nom était Althamer, était né à Brentz, en Souabe; son zèle et son érudition lui firent jouer un rôle important dans les controverses religieuses de l'époque. Il partageait les préventions de Luther contré l'Epître de saint Jacques, et il se permit, dans un de ses écrits polémiques, cette expression étrange : Si Jacobus dixit ex immolatione filii sui justificatum esse Abrahamum, mentitur in caput suum. J. Arnold Ballenstad a publié en 1740 la biographie de ce réformateur. 

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la plupart des auditeurs. Ils sont comme le vent Cecias qui souffle avec tant de douceur et de mollesse, tant de chaleur et de mollesse que les bourgeons des arbres, les fleurs et les plantes se trouvent poussés à éclore, ce qui amène leur destruction. Le diable agit de même, car lorsqu'il prêche Jésus-Christ par la bouche de ses ministres, il a l'intention de détruire Jésus-Christ, et quoiqu'il dise la vérité, il nient. Un honnête homme peut bien monter les escaliers lorsqu'un coquin est caché derrière eux, et le diable peut bien, lorsqu'il est tapi sous une langue, souffrir que Jésus-Christ soit dessus, d'autant que les oreilles du peuple sont chatouillées et enflammées par ce qu'il entend volontiers. Mais ce doux chatouillement n'est pas de longue durée; Satan pervertira l'Evangile par le moyen de l'Evangile, caries esprits présomptueux et pleins de sécurité ne reconnaissent pas leurs péchés. Lorsqu'il n'y a pas d'amadou ou de combustible pour que le l'eu puisse y prendre, alors Jésus-Christ n'a pas de place ou d'endroit où il puisse se mettre à l'œuvre, car il est venu seulement pour ceux qui sont brisés et embarrassés de cœur et d'esprit, ainsi qu'il l'a dit : l’Évangile est prêché aux pauvres

Philippe Mélanchton et moi, nous aurions bien mérité de recevoir en ce monde, des mains de Dieu, tout autant de richesses pour le moins qu'en possède un cardinal, car nous avons fait pour sa cause plus que cent cardinaux. Mais Dieu nous a dit : « Soyez satisfait de me posséder; sufficit tibi gratia mea.» Lorsque nous le possédons, nous avons aussi l'opulence ; et que nous servirait d'être en possession de toutes les richesses, si Dieu n'était pas avec nous ? — Et le docteur Luther cita à cet égard les paroles du Seigneur, dans la prophétie d'Ezéchiel (chap. XXIX, v. 18) : « Nebucadnetsar a fait servir son armée dans un service pénible contre Tyr, et il n'a point eu de salaire. Que lui donnerai-je? Je donnerai la terre d'Egypte à Nebucadnetsar, et ce sera son salaire. » 

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Le docteur Philippe raconta un jour l'apologue suivant : Un paysan, en traversant une forêt, trouva une caverne ou était un grand serpent, mais il ne pouvait en sortir, parce qu'une pierre énorme en bouchait l'entrée ; le serpent pria instamment l'homme d'ôter cette pierre, et il lui promit une magnifique récompense. Le paysan fut tente : il délivra le serpent, et lui demanda ensuite la récompense promise. L'animal lui répondit qu'il allait le traiter comme le monde traite ceux qui lui font du bien, qu'il allait le tuer. Le paysan supplia longtemps, et il obtint que le différend serait soumis à la décision du premier animal qui viendrait à passer. Ce fut un vieux cheval, extrêmement maigre, et il dit : «J'ai passé ma vie et je me suis épuisé, à servir l'homme, et pour ma récompense, il va me tuer et s'emparer de ma peau. » Ils rencontrèrent ensuite un chien qui avait été cruellement battu par son maître et qui parla dans le même sens. Pour le coup, le serpent résolut de tuer celui qui lui avait rendu service, et ce ne. fut pas sans beaucoup de peine que celui-ci obtint qu'ils s'en rapporteraient à un dernier juge, et que la décision de celui-ci serait en dernier ressort. Un renard vint à eux, et le paysan lui promit toutes ses poules s'il se prononçait en sa faveur. Quand le renard eut entendu les raisons données de part et d'autre, il dit qu'avant qu'il prononçât son jugement, il fallait que les choses fussent rétablies dans leur état primitif. Le serpent y consentit et rentra dans la caverne, et le paysan s'empressa alors de replacer la pierre, de sorte que le reptile se retrouva prisonnier. La nuit suivante, le renard vint pour prendre les poules qui lui avaient été promises, mais la femme et les valets du paysan l'attendaient, et ils le tuèrent.— Le docteur Luther répondit : «C'est bien l'image de ce monde. Préservez quelqu'un de la potence, et il vous fera pendre. Nous en avons bien des exemples, mais je ne citerai que celui de Jésus-Christ ; il a racheté le monde du péché, du diable, de l'enfer et de la mort, et il a été mis en croix par les siens.»

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