LE XXX AOUT. SAINTE ROSE DE SAINTE-MARIE, VIERGE.
Quel parfum d'au delà de l'Océan
nous apporte aujourd'hui la brise! L'ancien monde renouvelle sa jeunesse à ces senteurs du ciel; le nouveau se concilie
par elles la terre et les cieux.
Cent ans ont passé depuis les
jours où l'Europe étonnée apprit qu'un continent nouveau se révélait par delà
les flots de la mer Ténébreuse, effroi des navigateurs. L'Espagne venait
d'expulser le Croissant de ses propres terres; comme récompense, elle reçut la
mission de planter la Croix sur ces plages immenses. Ni héros, ni apôtres, ne
firent défaut dans cette œuvre au royaume Catholique; ni non plus, pour son
malheur, les aventuriers dont la soif de l'or fit le
fléau des Indiens qu'il s'agissait d'amener au vrai Dieu. La décadence si
prompte de l'illustre nation qui avait triomphé du Maure, montrera bientôt
jusqu'à quel point les peuples prévenus des plus hautes bénédictions restent
pourtant solidaires des crimes commis, sous le couvert de leur nom, par
quiconque porte le drapeau du pays. On sait comment finit au Pérou l'empire des
Incas : malgré les protestations indignées des missionnaires
, malgré les ordres venus de la mère patrie, quelques années suffirent
aux compagnons de Pizarre pour exterminer le tiers
des habitants de ces
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florissantes contrées; un autre
tiers achevait de périr dans la misère d'une servitude pire que la mort
immédiate; le reste fuyait vers les montagnes, emportant au fond des forêts la
haine de l'envahisseur, et trop souvent, hélas ! de
l'Evangile, responsable à ses yeux des atrocités accomplies par les baptisés.
La cupidité des vainqueurs donnait entrée à tous les vices dans ces âmes en
lesquelles cependant la foi restait vive : Lima, fondée au pied des Cordillères
comme métropole des provinces conquises, semblait bâtie sur la triple
concupiscence; avant la fin du siècle, Jonas nouveau d'une nouvelle Ninive,
saint François Solano
la menaçait du courroux de Dieu.
Mais déjà la miséricorde avait
pris les devants ; la justice et la paix s'étaient rencontrées (1) dans
l'âme d'une enfant prête à toutes les expiations, insatiable d'amour. Combien
nous voudrions nous arrêter à contempler la vierge péruvienne dans son héroïsme
qui s'ignora toujours, dans sa grâce si candide et si pure! Rose qui n'eut pour
ceux qui l'approchaient que des suavités embaumées, et garda pour elle le
secret des épines sans lesquelles ne vont point les
roses ici-bas ! Eclose du sourire de Marie, elle ravit l'Enfant-Dieu
qui la veut sur son cœur. Les fleurs la reconnaissent pour reine, et toute
saison les voit répondre à son désir; à son invitation, les plantes s'agitent
joyeuses, les arbres inclinent leurs rameaux, toute la nature tressaille,
eux-mêmes les insectes organisent des chœurs, les oiseaux rivalisent avec elle
d'harmonies pour célébrer leur auteur commun. Et elle chante, au souvenir des
noms de son père et de sa mère, Gaspard des Fleurs et
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Marie d'Olive : « O mon Jésus, que vous êtes beau entre les
olives et les fleurs ; et vous ne dédaignez pas votre Rose ! »
Cependant l'éternelle Sagesse se
révélait dans les jeux de l'Enfant divin et de sa bien-aimée (1). C'est Clément
X qui, dans la bulle de canonisation, nous rappelle qu'un jour où elle était
plus souffrante, le tout aimable fils de la Vierge bénie l'invita pour une
partie mystérieuse où l'enjeu serait laissé au libre choix du vainqueur. Rose
gagne, et réclame sa guérison, aussitôt accordée. Mais Jésus demande la
revanche, et l'emportant au second tour, il rend son mal, accompagné du don de patience,
à la perdante toute joyeuse ; car elle avait compris qu'elle gagnait plus à la
seconde partie qu'à la première.
Réservons à l'Eglise de raconter,
en la Légende, jusqu'où notre Sainte fut amenée par l'efficacité de ces divines
leçons touchant la souffrance. Dans les tortures surhumaines de sa dernière
maladie, elle répondait à qui l'exhortait au courage : « Ce que je demande à
mon Epoux, c'est qu'il ne cesse point de me brûler des ardeurs les plus
cuisantes, jusqu'à ce que je sois pour lui le fruit mûr qu'il daigne recevoir
de cette terre à sa table des deux. » Et comme on s'étonnait alors de sa
sécurité, de sa certitude d'aller directement au paradis, elle dit avec feu
cette autre parole qui montre aussi tout un aspect de son âme : « Moi, j'ai un
Epoux qui peut ce qu'il y a de plus grand, qui possède ce qu'il y a de plus
rare; et je ne me vois pas n'espérant de lui que de petites choses. »
Confiance bien justifiée par
l'infinie bonté, les assurances et
les prévenances du Seigneur à
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l'égard de Rose. Elle n'avait que
trente et un ans, lorsque, au milieu de la nuit qui ouvrait la fête de saint Barthélémy de l'année 1617, elle entendit le cri : Voici
l'Epoux (1) ! Dans Lima, dans tout le Pérou, dans l'Amérique entière, des
prodiges de conversion et de grâce signalèrent le trépas de l'humble vierge, inconnue jusque-là du grand nombre. « Il fut attesté
juridiquement, dit le Pontife suprême (2), que, depuis la découverte du Pérou,
aucun missionnaire ne s'était rencontré qui eût produit pareil ébranlement
d'universelle pénitence. » Cinq ans plus tard, était dédié ce monastère de Sainte-Catherine-de-Sienne qui devait continuer au milieu
de Lima l'œuvre de sanctification, d'assainissement, de défense sociale, et
qu'on appelait le monastère de Rose, parce qu'elle en était en effet devant
Dieu la fondatrice et la mère. Ses prières en avaient obtenu l'érection qu'elle
avait prédite pour après sa mort, désignant d'avance le plan, les religieuses
futures, la première supérieure, qu'elle investit un jour prophétiquement de
son esprit dans un embrassement plein de mystère.
Lisons le beau récit liturgique
qui la concerne.
La première fleur de sainteté
que l'Amérique méridionale ait donnée au monde, la vierge Rose naquit à Lima de
parents chrétiens. Dès le berceau brillèrent en elle les marques de sa sainteté
future. Un jour le visage de l'enfant apparut merveilleusement transfiguré comme une rose ; ce fut
l'occasion du nom qu'on lui donna ensuite, et auquel depuis la Vierge Mère de
Dieu ajouta le sien comme surnom, voulant qu'elle s'appelât désormais Rose de
Sainte-Marie. Elle fit à cinq ans vœu de virginité perpétuelle. Plus grande,
pour éviter d'être contrainte au mariage par ses parents, elle coupa en secret
sa magnifique chevelure. Ses jeûnes dépassaient la limite humaine; elle passa
sans pain des Carêmes entiers, ne vivant que de cinq pépins de citron par jour.
Ayant reçu l'habit du tiers
Ordre de saint Dominique, elle redoubla ses austérités, usant d'un long et dur
cilice garni de pointes acérées, portant jour et nuit sous son voile une
couronne armée au dedans d'un grand nombre de clous aiguisés. Elle s'était proposé sainte Catherine de Sienne pour modèle et pour guide
dans les sentiers de la pénitence. Une chaîne de fer ceignait ses reins à
triple tour. Elle s'était fait un lit de troncs d'arbres noueux, dont elle
avait rempli les vides de tessons. Une cellule étroite qu'elle se construisit à
l'extrémité du jardin, pour y vaquer à la contemplation des choses du ciel, la
vit mater son faible corps par des disciplines fréquentes, par la faim et les
veilles ; mais son esprit y puisait la vigueur, et, victorieuse des démons en
de nombreux combats, elle se riait de leurs efforts et réduisait à néant leurs
illusions.
En butte à des maladies cruelles, aux mauvaises
langues, aux affronts des siens, elle
se plaignait de n'être point
encore traitée selon son mérite. Livrée pendant quinze ans plusieurs heures par jour à une effroyable
désolation spirituelle, desséchée, consumée par l'épreuve, elle supporta
courageusement ces agonies plus amères que toute mort. Mais c'étaient à la
suite les délices d'en haut, les visions,
les séraphiques ardeurs. Son ange gardien, sainte Catherine de Sienne, la
Vierge Mère de Dieu lui apparaissaient dans une admirable familiarité. Elle méritait d'entendre ces mots du Christ
Jésus : Rose de mon cœur, sois mon
épouse. Enfin arriva le jour fortuné où
s'ouvrit pour elle le
paradis de cet Epoux.
Nombreux furent ses
miracles après comme avant son trépas ; et le Souverain Pontife
Clément X l'inscrivit solennellement au catalogue des saintes Vierges.
Patronne de votre patrie de ce
monde, veillez sur elle toujours. Justifiez sa confiance, dans l’ordre même de
la vie présente, en la défendant des tremblements de terre dont les secousses
promènent l'effroi sur ses rivages, des commotions politiques dont sa récente
indépendance s'est vue si cruellement éprouvée. Etendez votre action tutélaire
aux jeunes républiques qui l'avoisinent, et qui elles aussi vous honorent;
ainsi que votre terre natale, protégez-les contre le mirage des utopies venues
de notre vieux monde, contre les entraînements, les illusions de leur propre
jeunesse, contre les sectes condamnées qui finiraient par ébranler jusqu'à leur
foi toujours vive. Enfin, Rose aimée du Seigneur, souriez à l'Eglise entière
que ravissent aujourd'hui vos charmes célestes. Comme elle, nous voulons tous
courir à l'odeur de vos parfums (1).
Apprenez-nous à nous laisser
prévenir comme vous par la céleste rosée. Montrez-nous à répondre aux avances
du sculpteur divin qui vous apparut un jour, remettant aux soins de ceux qu'il
aime les marbres de choix des vertus, pour les polir et les tailler en s'aidant
de leurs larmes et du ciseau de la pénitence. Plus que tout le reste,
enseignez-nous la confiance et l'amour. Tout ce qu'opère, disiez-vous, le
soleil dans l'immensité de l'univers, faisant éclore les fleurs et mûrissant
les fruits, créant les perles au sein des océans, les pierres précieuses dans
les plis des montagnes : l'Epoux l'accomplissait dans les espaces sans fin de
votre âme, y produisant toute richesse, toute beauté, toute joie, toute chaleur
et toute vie. Puissions-nous, ainsi que vous-même, profiter de la descente du
Soleil de justice eh nos poitrines au Sacrement d'union, ne vivre plus que de
sa
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lumière bénie, porter la bonne
odeur du Christ en tous lieux (1).
Les saints Martyrs Félix et Adauctus conquirent la palme au temps de Dioclétien. Ils
méritèrent que le saint Pape Damase honorât d'une de ses glorieuses épitaphes
leur sépulture, voisine du tombeau de l'Apôtre des nations. Adressons à Dieu la
prière où l'Eglise implore aujourd'hui leur protection puissante.
ORAISON.
Daigne votre Majesté,
Seigneur, exaucer nos supplications ; le souvenir de vos Saints nous est une
allégresse toujours renouvelée : que toujours aussi leur intercession soit
notre défense. Par Jésus-Christ.