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LE XVI OCTOBRE. SAINT MICHEL AU PÉRIL DE LA MER.Nous devons un souvenir à cette fête si aimée de nos pères. Le VIII° siècle inaugurait ses glorieuses annales. « Dieu tout-puissant allait y faire de l'empire des Francs le glaive et le boulevard de son Eglise (1). » C'était l'heure où, sa fougueuse adolescence domptée, le peuple premier-né faisait écho à tous les Saints et Saintes qui l'engendrèrent à Dieu, et s'écriait d'une seule voix : « Donnez aux fils des Francs la lumière, afin qu'ils voient ce qu'il faut faire pour établir votre règne en ce monde, afin que le voyant ils l'accomplissent dans la force et l'amour (2). » Au peuple donc qui se déclarait le chevalier de Dieu, Michel, prince des milices angéliques, offrait son alliance à cette heure même. Par saint Aubert, auquel se manifestait l'Archange, il prenait possession du roc fameux qui s'élève en plein océan, près du rivage de cette France dont l'épée s'apprêtait à poursuivre sur terre le grand combat commencé dans les hauteurs des cieux. Notre nation sut honorer le céleste associé de ses luttes d'ici-bas ; elle transforma son pied-à-terre abrupt en un séjour qui put complaire au vainqueur de Satan : à la fois forteresse incomparable, et sanctuaire où sans fin les chants des moines s'unissaient aux harmonies des neuf 1. Prière des Francs ; voir plus haut, p. 36o. — 2. Ibid. 473 chœurs ; vraiment digne de ce nom de Merveille qui lui fut donné ; rendez-vous commun du peuple et des rois venant présenter leur hommage d'action de grâces et de prière au protecteur de la nation. Car lui aussi fut fidèle. Tant que dura la monarchie, l'Archange ne souffrit pas qu'aux plus mauvais jours d'invasion étrangère ou de rébellion hérétique, une autre bannière que celle du roi très chrétien flottât jamais près de la sienne sur ses remparts. Et quand l'Anglais, bientôt partout maître, s'épuisait en efforts impuissants contre le Mont Saint-Michel, qui donc venait dire à Jeanne la Pucelle la grande pitié qui était au royaume de France, et l'envoyait rendre au roi son royaume ? Le VIII mai, première fête de l'Archange, voyait la délivrance d'Orléans par celle en qui lui-même avait nourri, durant trois années d'angéliques entrevues, ce dévouement à la patrie et cet amour de Dieu qui s'unissent en toute âme bien née. Aussi fût-ce œuvre digne et juste, au siècle du triomphe, que la création de cet Ordre de Saint-Michel établi par les rois : « à la gloire et louange de Dieu notre Créateur tout-puissant et révérence de sa glorieuse Mère, et commémoration et honneur de Monsieur saint Michel Archange, premier Chevalier, qui pour la querelle de Dieu victorieusement batailla contre le dragon et le trébucha du ciel ; et qui son lieu et oratoire, appelé le Mont Saint-Michel, a toujours seurement gardé, préservé et défendu, sans être pris, subjugué ne mis es mains des ennemis du royaume (1). » 1. Lettres royales du 1er août 1460, établissant l'Ordre nouveau, dont l'insigne était un collier d'or de coquilles lacées soutenant l'image de saint Michel avec la devise : IMMENSI TREMOR OCEANI. 474 Les Leçons qui suivent sont empruntées au Propre du diocèse de Coutances et Avranches pour cette fête, appelée la Dédicace de saint Michel Archange in monte Tumba. Une vaste plaine couverte
d'épaisses forêts,et que défendaient contre l'Océan
les rochers de Sessiacum, s'étendait au quatrième
siècle entre les territoires de Coutances et d'Avranches et ceux de Dol et d'Aleth. Lorsque la foi chrétienne eut brillé sur les côtes
d'Armorique et de Neustrie, les solitudes les plus retirées de ce désert
devinrent le séjour de pieux personnages qu'attirait la facilité de s'y donner
entièrement au service de Dieu et à la contemplation des vérités surnaturelles
; plusieurs se trouvent au catalogue des Saints. Mais cette terre qu'avaient
sanctifiée leurs pas, devint plus illustre encore à la suite d'une apparition
de l'Archange saint Michel. Ce fut sous le règne de Childebert III que, se
manifestant à l'évêque d'Avranches Aubert pendant son sommeil, il lui notifia
sa volonté qu'on bâtît une église sous son patronage au sommet du mont Tombe,
ainsi appelé de son élévation en forme de tumulus. Il fallut trois intimations
successives au prélat hésitant, pour qu'il se mît à l'oeuvre. La forme par lui
donnée au sanctuaire nouveau fut celle d'une crypte arrondie rappelant la
grotte sainte du mont Gargan ; des reliques apportées
de cette dernière y furent déposées ; et l'on fit solennellement la dédicace au
dix-sept des calendes de novembre, jour célébré depuis non seulement dans les
églises de la seconde Lyonnaise et beaucoup d'autres de France, mais encore
dans celles d'Angleterre. Ainsi fut consacré à Dieu sous le patronage de saint
Michel ce mont, qu'on appelle aussi au péril de la mer depuis que,
l'océan ayant envahi les forêts dont nous avons parlé, le saint rocher se voit
deux fois le jour entouré par les flots. Saint Aubert y fonda une
collégiale de douze clercs attachés au service perpétuel du bienheureux
Archange. Toutefois par la suite Richard Ier, duc de Normandie, leur substitua
des moines de saint Benoît. La fréquence des miracles accomplis en ce lieu y
attirait de nombreux pèlerinages venant de presque toute l'Europe acquitter
leurs vœux : on y vit beaucoup de rois ou de princes de France et d'Angleterre
Louis XI y institua l'Ordre des Chevaliers de saint Michel, qui gardèrent
longtemps la coutume de tenir audit lieu leurs assemblées générales de
chaque année. Ce fut au commencement du XI° siècle que l'on entreprit
l'audacieux travail, longtemps poursuivi, de cette basilique grandiose établie
sur la crête du mont comme auguste base, et dont les merveilles, en grande
partie conservées, attirent encore à saint Michel la vénération de nos
contemporains. Ce fut un grand jour que celui où la fille aînée de la sainte Eglise put s'appliquer la parole des saints Livres : Voici que Michel vient à mon aide (1) ! Longtemps le monde bénéficia de cette alliance heureuse. Soyez béni pour l'honneur ainsi fait à nos pères, ô Archange ! En souvenir du passé, malgré tant de pactes brisés, tant de gloires profanées, n'abandonnez pas leurs descendants trop indignes. N'y va-t-il pas du sort de l'Eglise elle-même, dont les malheurs apparaissent liés dans nos temps à ceux de notre infortunée patrie ? Le Vicaire de l'Epoux le comprenait sans doute ainsi, lorsque naguère (2) il voulait qu'en son nom fût couronnée solennellement votre image, rétablie sur l'auguste mont d'où vous présidiez en des jours meilleurs à nos destinées. Daignez répondre à sa confiance, à celle de ces vrais fils des Francs qui, nombreux déjà, ont su retrouver dévots et pénitents le chemin de votre sanctuaire. Entendez le cri du pays sous l'angoisse présente : Nemo adjutor meus nisi Michael. Michel est mon seul soutien (3). 1. Dan. X, 13. — 2. |