Livre VIII - Ch. XVIII-XXIII

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Livre VIII - Ch. XVIII-XXIII

 

 CHAPITRE XVIII. Les désirs de voir Dieu redoublent chez la bienheureuse Marie dans les derniers temps de sa vie. — Elle prend congé des lieux saints et de l'Église catholique, et fait son testament, assistée de la très-sainte Trinité.

Instruction que la grande Reine des anges m'a donnée.

CHAPITRE XIX. La bienheureuse et glorieuse mort de l'auguste Marie, et comment les apôtres et les disciples arrivèrent auparavant à Jérusalem, et s'y trouvèrent présents.

Instruction que j'ai reçue de la grande Reine du ciel:

CHAPITRE XX. De la sépulture du corps sacré de la bienheureuse Marie, et de ce qui y arriva.

Instruction que j'ai reçue de la grande Reine du ciel.

CHAPITRE XXI. L'âme de la bienheureuse Marie entra dans l'empyrée. — Comme celui de notre Rédempteur Jésus-Christ, son sacré corps ressuscita le troisième jour, et en ce même corps elle monta à la droite du Seigneur.

Instruction que la grande Reine des anges m'a donnée.

CHAPITRE XXII. La bienheureuse Marie est couronnée Reine des cieux, et de toutes les créatures. — Plusieurs grands privilèges lui sont confirmés en faveur des hommes

Instruction que m'a donnée la grande Reine du ciel la bienheureuse Marie.

CHAPITRE XXIII. Acte de louanges et d'actions de grâces que moi la moindre des mortels, soeur Marie de Jésus, a fait au seigneur et à sa très-sainte Mère, pour avoir écrit cette divine histoire avec l'assistance de la Reine du ciel elle-même. — Suit une lettre qu'elle adresse aux religieuses de son Monastère.

PROTESTATION PUBLIQUE, DEMANDE ET CONSENTEMENT DE CE MONASTÈRE ET DES RELIGIEUSES DÉCHAUSSÉES DE L’IMMACULÉE-CONCEPTION DE CETTE VILLE D'AGRÉDA, POUR RECEVOIR POUR LEURS PATRONS ET POUR LEURS PROTECTEURS, EN PREMIER LIEU LA SUPRÊME REINE DU CIEL ET DE LA TERRE L'AUGUSTE MARIE, ET AVEC SON BON PLAISIR LE GLORIEUX PRINCE SAINT MICHEL ET NOTRE PÈRE SAINT FRANÇOIS

 

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CHAPITRE XVIII. Les désirs de voir Dieu redoublent chez la bienheureuse Marie dans les derniers temps de sa vie. — Elle prend congé des lieux saints et de l'Église catholique, et fait son testament, assistée de la très-sainte Trinité.

 

711. Je me trouve plus pauvre de paroles et d'expressions lorsque j'en aurais un plus grand besoin pour dire quelque chose de l'état auquel parvint l'amour de. l'auguste Marie dans les derniers jours de sa vie, des élans et des entraînements de son très-pur esprit, de ses aspirations et de la véhémence incroyable de ses désirs pour arriver à l'étroit embrassement de la Divinité. Dans toute la nature je ne trouve point de terme de comparaison convenable, et si quelque chose peut en servir, c'est le feu, à cause des rapports qu'il présente avec l'amour. Cet élément est admirable par son activité et par sa force ; il n'y en a aucun qui souffre avec plus d'impatience d'être enfermé; car, ou il meurt dans sa prison, ou il la rompt pour s'élancer avec une légèreté extrême vers sa propre sphère. S'il se trouve enfermé dans les entrailles de la terre, il la déchire, entr'ouvre les montagnes, et arrache les rochers avec une violence irrésistible. Sa prison fût-elle de bronze, s'il ne la brise

 

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point, du moins il en ouvre les portes avec une force terrible qui porte l'effroi dans les environs, et lance dans l'espace le globe de métal qui empêche sa sortie, avec cette violence que l'expérience nous fait voir. Telle est la nature de cette créature insensible.

712. Mais si le feu de l'amour divin avait atteint son plus haut degré d'intensité dans le coeur de la bienheureuse Vierge (je suis réduite à employer ces termes), il est clair que les effets correspondaient à la cause, et que ces effets devaient être beaucoup plus merveilleux dans l'ordre de la grâce, et surtout d'une grâce si immense, que les premiers ne le sont en celui de la nature. Revêtue de son corps mortel, notre auguste Reine fut toujours pèlerine dans le monde, et un Phénix unique sur la terre ; mais lorsqu'elle fut près de partir pour le ciel , et assurée de l'heureux terme de son pèlerinage, quoique son corps virginal se trouvât encore sur la terre, la flamme de son très-pur esprit s'élevait avec une vitesse inconcevable jusqu'à sa sphère, qui était la Divinité même. Elle ne pouvait arrêter ni empêcher les élans de son coeur, et il semblait qu'elle ne fût point Maîtresse de ses mouvements intérieurs; car elle avait livré toute sa liberté à l'empire de l'amour et aux désirs de la possession du souverain Bien qui l'attendait, en qui elle était transformée et comme détachée de la mortalité terrestre. Elle ne rompait point ces chaînes , parce qu'elles lui étaient conservées plutôt par miracle que naturellement ; elle n'entraînait pas non plus avec

 

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elle le corps mortel et pesant, parce que le terme n'était pas encore arrivé ; et cependant la force de l'esprit et de l'amour eût pu l'enlever. Mais, dans ce doux et continuel combat, cette force suspendait eu elle toutes les opérations vitales de la nature, de sorte qu'il semble que le corps ne recevait plus de cette âme si divinisée que la vie du divin amour; et afin que la vie naturelle ne fùt-point consumée, il fallait la conserver par miracle, et qu'une autre cause supérieure intervînt pour la soutenir, et pour empêcher qu'elle ne défaillit à chaque instant.

713. Il lui arriva souvent dans ces derniers jours, pour donner une issue à ces effluves intérieurs si violents , de rompre le silence dans sa solitude, et d'exhaler les sentiments de son coeur, prêt à éclater; et alors, s'adressant au Seigneur, elle disait : « Mon très-doux Amour, mon souverain Bien, mon unique   Trésor, attirez-moi après l'odeur de vos parfums (1),  que vous avez fait goûter à votre servante et votre  Mère pèlerine dans le monde. Ma volonté vous a toujours été consacrée, à vous qui êtes la Vérité  suprême et mon véritable bien : elle n'a jamais su  rien aimer hors de vous. O mon unique espérance  et ma seule gloire ! n'allongez point ma carrière,  ne reculez pas le terme où je dois trouver ma  liberté si désirée. Déliez les chaînes de la mortalité  qui me retiennent; faites que j'arrive à la fin vers  laquelle je marche dès le premier instant auquel je

 

(1) Cant., I, 4.

 

reçus de vous l'être que j'ai (1). Ma demeure a été   prolongée parmi les enfants de Cédar (2) : mais je  regarde de toute la force de mon filme et de ses puissances le Soleil qui lui donne la vie; je me a dirige vers l'étoile polaire dont la lumière me  guide, et je tombe en défaillance sans la possession  du Bien que j'attends. O esprits célestes, je vous en conjure, par la noblesse et l'excellence de votre a nature angélique et par le bonheur que vous avez a de jouir de la vue et de la beauté de mon bien aimé, dont vous n'êtes jamais privés, ô mes amis,  ayez compassion de mail. Plaignez, mes amis, cette   pèlerine entre les enfants d'Adam, captive dans  les chaînes de la chair. Dites à votre Maître et au  mien la cause de ma douleur, qui ne lui est pas   cachée (3); dites-lui que pour lui plaire j'embrasse ses souffrances dans mon bannissement, et très volontiers ; mais je ne puis vouloir vivre en moi;  et si je vis en lui pour vivre, comment pourrai-je  vivre en l'absence de ma vie ? L'amour me la  donne, et ce même amour me l'ôte. Je ne saurais  vivre sans aimer la vie; or comment vivrai-je sans  la vie que j'aime uniquement ? Je languis dans   cette douce violence ; entretenez-moi du moins des  qualités de mon bien-aimé, car par ces  fleurs aromatiques je serai fortifiée dans les défaillances que mon amour impatient me cause (4). »

 

(1) Ps. CXLII, 8. — (2) Ps. CXIX, 5. — (3) Cant., V, 8. — (4) Cant., II, 5.

 

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714. La bienheureuse Mère exhalait par ces paroles et par plusieurs autres encore plus tendres les feux de son esprit enflammé, au milieu de l'admiration et de la joie des saints anges qui l'entouraient et la servaient. Et comme ils sont si remplis de la divine science , ils répondirent dans une de ces occasions à ses désirs par les paroles suivantes : « Notre auguste  Reine, si vous voulez entendre de nouveau les qua lités que nous connaissons de votre bien-aimé, sachez qu'il est la beauté même, et qu'il renferme  en lui toutes les perfections qui surpassent le désir. Il est aimable sans défaut, agréable sans défiance, et plus délicieux que tout ce qu'il y a de plus exquis. Sa sagesse est inestimable, sa bonté sans mesure; sa puissance sans bornes, son être immense, sa  grandeur incomparable, sa majesté inaccessible, et toutes les perfections qu'il renferme en lui sont  infinies. Il est terrible dans ses jugements (1), impénétrable dans ses conseils (2) , très-équitable dans  sa justice (3), très-secret dans ses pensées, véridique, dans ses paroles, saint dans ses oeuvres (4), et riche en miséricordes (5). Ce qui est vaste ne lui donne aucune étendue ; ce qui est étroit ne le  limite point ; les choses tristes ne sauraient pas  plus le troubler que ce qui est joyeux ne saurait  l'émouvoir; sa volonté ne change point (6); il n'y  a point d'abondance qui puisse rien ajouter, comme

 

(1) Ps. LXV; 5. — (2) Rom., XI, 33    . — (3) Ps. CXXVIII, 137. — (4) Ps. CXLIV, 14. — (5) Ephes., II, 4. — (6) Jacob., I,17.

 

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il n'y a point de nécessité qui puisse rien retrancher à ce qu'il a; le souvenir ne lui apporte, et a l'oubli ne lui ôte rien ; ce qui a été n'est point a passé pour lui; les choses à venir ne sont pas pour a lui des faits nouveaux. Il n'y a point de principe  qui ait marqué le commencement de son être; et le temps ne lui donnera non plus aucune fin : sans qui aucune cause lui ait donné un principe, il l'a donné à toute chose (1) ; non qu'il eût besoin d'aucune (2) , mais toutes ont besoin de sa participation: il les conserve sans travail, et il les gouverne sans confusion. Celui qui le suit ne marche point dans les ténèbres (3) ; celui qui le tonnait, qui l'aime et qui jouit de sa présence est bien heureux; car il enrichit ses amis, et à la fin il les glorifie par sa vue et par sa compagnie éternelles (4). Telle est, auguste Reine, le Bien que vous aimez, et des embrassements duquel vous jouirez bientôt, pour, ne  plus le quitter durant toute son éternité. ». Ainsi parlèrent les anges.

715. Ces entretiens se renouvelaient souvent entre notre grande Reine et ses ministres. Mais de même que quelques gouttes d'eau n'étanchent point la soif de celui qui est altéré par une fièvre ardente, et qu'au contraire elles l'augmentent ; de même ces sortes de soulagements ne modéraient point la flamme du divin amour en la très douce Mère, parce qu'ils renouvelaient

 

(1) Eccles., XVIII, 1. — (2) II Mach., XIV, 35. — (3) Joan., VIII, 12. — (4) Joan., XVII, 3.

 

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en son coeur la cause de ses amoureuses peines. Et quoique dans ces derniers jours de sa vie les faveurs que j'ai rapportées en parlant des fêtes qu'elle célébrait, lui fussent continuées avec celles qu'elle recevait tous les dimanches, outre tant d'autres qu'il n'est pas possible d'énumérer, il fallait néanmoins, pour la soulager et la fortifier dans les angoissés de son amour, que son très-saint Fils la visitât en: personne plus fréquemment que par le passé. Dans ces visites il la consolait par des caresses ineffables, et l'assurait de nouveau que son exil serait fort court; qu'il l'élèverait à sa droite, où elle serait placée, par Je Père et par le Saint-Esprit, sur son trône royal, et absorbée dans l'abîme de sa divinité; et que son élévation remplirait d'une nouvelle joie tous les saints, qui l'attendaient et qui la souhaitaient. Dans ces occasions la très-charitable Mère redoublait ses prières pour la sainte Église, pour les apôtres, pour les disciples et pour tous les ministres qui, dans les siècles à venir, serviraient l'Église en prêchant l'Évangile et en travaillant à la conversion du monde, afin que tous les mortels reçussent la foi., et arrivassent à la connaissance de la vérité divine.

716. Entre les merveilles que le Seigneur fit à l'égard de sa bienheureuse Mère dans ces dernières années, il y en eut une dont furent témoins non-seulement l'évangéliste saint Jean, mais encore plusieurs fidèles : c'est que, quand notre auguste Reine communiait, elle restait pendant quelques heures toute resplendissante et environnée de clartés si

 

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admirables, quelle semblait être transfigurée par les dons de la gloire. Cet effet fui était communiqué par le sacré corps de son très-saint Fils, qui, comme on l'a vu, se manifestait à elle transfiguré et plus glorieux que sur le mont Thabor. Et tous ceux qui la regardaient dans cet heureux état se trouvaient pénétrés de joie, et sentaient des effets si divins, qu'ils pouvaient mieux en éprouver les douceurs que les déclarer.

717. La très-pieuse Reine résolut de faire ses adieux aux lieux saints avant de partir pour le ciel, et en ayant demandé la permission à saint Jean, elle sortit. de la maison en sa compagnie et en celle des mille anges qui l'assistaient. Et quoique ces princes célestes l'eussent toujours suivie dans toutes ses démarches, dans toutes ses occupations, dans tous ses voyages, sans l'avoir quittée un seul moment dès l'instant de sa naissante, dans cette circonstance ils se manifestèrent à elle avec une plus grande lumière, comme se félicitant de leur prochain départ. La bienheureuse Vierge, se débarrassant des occupations humaines pour marcher vers sa propre et véritable patrie, visita tous les lieux de notre rédemption, adressant à chacun d'eux un dernier adieu en versant des torrents de larmes au douloureux souvenir de ce que son Fils avait souffert; elle faisait les actes les plus fervente et les plus admirables, poussait de profonds gémissements, et priait pour toua les fidèles qui visiteraient ces saints lieux avec une pieuse vénération dans. tous les siècles à venir de l'Église. Elle s’arrêta plus longtemps

 

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sur la montagne du Calvaire, demandant à son adorable Fils l'efficace de la mort et de la rédemption qu'il avait opérées en ce lieu pour toutes les âmes rachetées. Elle s'embrasa tellement des ardeurs de sa charité ineffable dans cette prière , qu'elle aurait perdu la vie naturelle avant de quitter la montagne, si elle ne lui eût été conservée par la vertu divine.

718. Son très-saint Fils descendit alors du ciel, et se manifesta à elle en ce lieu où il était mort. Et répondant à ses prières, il lui dit: « Ma Mère, ma très-chère Colombe et ma Coadjutrice en l'oeuvre de la rédemption du genre humain, vos désirs et vos demandes sont arrivés à mes oreilles et à mon coeur; je vous promets que je serai très-libéral envers les hommes, et que je leur donnerai de continuels secours de ma grâce, afin qu'en vertu de mon sang ils méritent, par leur libre arbitre, la gloire que je leur ai préparée, si eux-mêmes ne la méprisent. Vous serez dans le ciel leur Médiatrice et leur Avocate; et je comblerai de mes trésors et de mes miséricordes infinies tous ceux qui s'acquerront votre intercession. » Notre Sauveur Jésus-Christ renouvela cette promesse au lieu même où il nous racheta. Sa bienheureuse Mère, prosternée à ses pieds, lui en rendit des actions de grâces, et le pria de lui donner sa dernière bénédiction en ce même lieu consacré par son précieux sang et par sa mort. Le Seigneur la lui donna, et lui confirma toutes les promesses qu'il lui avait faites ; ensuite il s'en

 

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retourna à la droite de son Père éternel. La très-pure Marie fut réconfortée dans ses amoureuses peines, et, continuant ses pieux exercices, elle baisa avec respect la terre du Calvaire, disant : « Terre sainte, lieu  sacré, je vous regarderai du ciel avec la vénération  que je vous dois, et je vous révèrerai dans cette  lumière qui manifeste toutes choses en leur propre  origine, d'où sortit le Verbe divin, qui vous a  enrichie en prenant la chair mortelle. » Puis elle recommanda de nouveau aux saints anges de garder ces lieux sacrés, et d'assister par de saintes inspirations les fidèles qui les visiteraient avec dévotion, afin qu'ils connussent et appréciassent le bienfait inestimable de la rédemption, qui y avait été opéré. Elle leur recommanda aussi de défendre ces sanctuaires ; et si la témérité et les péchés des hommes n'eussent empêché cette faveur, il est certain que les saints anges les auraient mis à l'abri des profanations des infidèles; et encore les en ont-ils bien souvent garantis jusqu'aujourd'hui.

719. Notre grande Reine pria aussi les mêmes anges qui gardaient ces saints lieux, et l'évangéliste, de lui donner leur bénédiction dans cette dernière visite; après cela elle s'en retourna à son oratoire avec beaucoup de larmes, comme quittant avec une sorte de regret ce qu'elle aimait si tendrement sur la terre. Ensuite elle se prosterna la face contre terre, et fit une longue et très-fervente prière pour l'Église; elle y persévéra jusqu'à ce que, par la vision abstractive de la Divinité, le Seigneur lui répondit que ses

 

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prières étaient, exaucées au tribunal de sa clémence. Et pour donner en tout la plénitude de sainteté à ses Qeuvres, elle demanda au Seigneur la permission de prendre congé de la sainte Église , et lui dit : « Souverain Seigneur, mon unique bien, Rédempteur du monde, chef des saints et des prédestinés; justificateur et glorificateur des âmes, je suis fille de la  sainte Église que vous avez acquise et fondée par  votre sang: permettez-moi, Seigneur, de faire mes   adieux à une si bonne mère et à tous mes frères  vos enfants. » Ayant connu à cet égard l'agrément de son très-doux Fils, elle s'adressa au corps de la sainte Église, et lui dit avec beaucoup de larmes et de tendresse ce qui suit :    

720. « Église sainte et catholique (qui dans les siècles à venir serez appelée romaine), ma mère et ma maîtresse, véritable trésor de mon âme, vous a avez été l'unique consolation de mon exil; le refuge de mes peines et le soulagement de mes travaux, ma joie et mon espérance; c'est vous qui,m'avez a conservée en ma carrière, c'est en vous que pauvre pèlerine j'ai vécu loin de ma patrie, et c'est vous qui m'avez entretenue depuis que j'ai reçu en vous  d’être de la grâce par votre chef et le mien, Jésus Christ mon Fils et mon Seigneur. En vous sont les trésors de ses mérites infinis, vous êtes, pour ses  fidèles enfanta le passage assuré qui mène à la terre promise, et vous les protégez dans leur dangereux et a difficile pèlerinage. Vous êtes la maîtresse des nations que tous doivent révérer; en vous les afflictions,

 

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les opprobres, les sueurs, les tourments, la  croix et la mort sont des joyaux d'un prix inestimable, car tout a été consacré par la mort de mon u Seigneur votre Père, votre maître et votre chef,  et réservé pour ses plus grands serviteurs et pour  ses plus chers amis. Vous m'avez ornée de vos   pierreries pour entrer aux noces de l'Époux, vous  m'avez enrichie, comblée de dons et de présents,  et vous avez en vous-même votre auteur dans l'adorable Sacrement. Heureuse mère, ma chère Église militante, vous êtes opulente et riche de  trésors. Vous avez toujours eu tout mon cœur et  tous mes soins; mais il faut que je vous quitte main tenant et que je m'arrache à votre douce compagnie pour arriver à la fin de ma carrière. Appli quez-moi l'efficace de tant de biens, arroses-moi  abondamment des flots sacrés du sang de l'Agneau  que vous avez en dépôt, et qui pourrait sanctifier  des milliers de mondes. Je voudrais su prix de mille  vies vous acquérir toutes les nations et toutes les  générations des mortels, afin qu'elles profitassent  de vos trésors. Ma bien-aimée Église, mon bon lieur et ma gloire, je vous laisse en la vie mortelle, mais je vous trouverai triomphante en la vie éternelle, dans cet être où toutes choses sont renfermées. Je vous regarderai de là avec tendresse, et je prierai toujours pour votre prospérité et  pour  tous vos progrès. »

721. Ce fut là l'adieu qu'adressa la très-pure Marie au corps mystique de la sainte Église catholique

 

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romaine mère des fidèles, pour leur enseigner (quand ils en auront la connaissance) la vénération, l'amour et l'estime qu'elle avait pour elle , et qu'elle témoignait par de si douces larmes et par de si tendres affections. Après cet adieu, notre grande Dame détermina, comme Mère de la Sagesse, de faire son testament. Et lorsqu'elle eut manifesté au Seigneur ce très-prudent désir, sa divine Majesté voulut l'autoriser par sa présence. La très-sainte Trinité descendit donc dans l'oratoire de sa Fille et de son Épouse, avec une infinité d'anges qui entouraient le trône de la Divinité, et après que la très-pieuse Reine eut adoré l'être de Dieu infini, il sortit une voix du trône qui lui disait : « Notre Épouse et notre élue, exprimez votre dernière volonté comme vous souhaitez, nous l'accomplirons et la confirmerons en   tous points par noire pouvoir infini. » La très-prudente Mère se retint quelque temps dans sa profonde humilité, parce qu'elle désirait savoir la volonté du Très-Haut avant de manifester la sienne propre. Mais le Seigneur répondit à cet humble désir, et la personne du Père lui dit : « Ma Fille, votre;  volonté me sera agréable , vous ne vous priverez  point du mérite de vos oeuvres en ordonnant ce que vous avez déterminé pour partir de la vie mortelle, car je satisferai vos désirs. » Le Fils et le Saint-Esprit confirmèrent cette parole. Et la bienheureuse Vierge ayant reçu ces promesses, fit sou testament en cette forme.

722 Dieu éternel, moi vermisseau de terre, je

 

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vous glorifie et vous adore du fond de mon Ame,  Père, Fils, et Saint-Esprit, trois personnes distinctes en un même être indivisible et éternel, en   une seule substance et en une majesté infinie, en  attributs et en perfections. Je vous exalte et vous  confesse pour l'unique, le véritable et le seul Créateur et conservateur de tout ce qui a l'être. Je déclare en votre divine présence que ma dernière volonté est celle-ci : Je n'ai rien à laisser des biens de la vie mortelle et du monde dans lequel je vis , car je n'ai jamais possédé ni aimé autre chose que vous, qui êtes mon unique bien et toutes mes richesses. Je rends des actions de grâces aux cieux, aux astres, aux étoiles, aux planètes , aux éléments et à toutes les autres créatures, de ce qu'obéissant à votre volonté, elles ont pourvu à ma subsistance, sans que je l'eusse mérité. Je souhaite de tout mon  coeur qu'elles vous servent et vous louent dans les  offices et dans les ministères dont cous les avez char gés, et qu'elles pourvoient à la subsistance de mes  frères les hommes. Et afin qu'elles le fassent mieux, je cède et transporte aux mêmes hommes la possession et, autant qu'il est possible, le domaine que  votre divine Majesté m'avait. donné de toutes ces  créatures irraisonnables. Je laisserai à Jean deux tuniques et un voile dont je me suis servi pour me  couvrir, afin qu'il en dispose, puisque je le regarde a comme mon fila. Je demande à la terre de recevoir a mon corps, puisqu'elle est la mère commune, et  quelle vous sert comme votre ouvrage. Je remets,

 

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mon Dieu, entre vos mains mon âme dépouillée du corps et de tout ce qui est visible , afin qu'elle vous a aime et vous glorifie pendant toute votre éternité. Je laisse la sainte Eglise ma mère pour l'héritière universelle de tous mes mérites, de toutes a mes oeuvres, de tous mes travaux et de tous les trésors que j'ai acquis avec votre divine grâce, avec votre permission; je les lui donne en dépôt, a et je voudrais qu'il y en exit beaucoup plus.  Je  désire en premier lieu qui ils servent à l'exaltation  de votre saint nom, et à obtenir que votre sainte   volonté se fasse toujours sur la terre comme su a ciel, et que toutes les nations vous connaissent,  vous aiment et vous rendent le culte suprême qui vous est dû, comme étant le seul et le véritable

 Dieu.

723. « En second lieu je les offre pour les apôtres, mes vénérables maîtres, et pour les apôtres présents et à venir, afin que votre clémence ineffable  les rende des ministres aptes à leur office et, dignes  de leur état, et que, par leur sagesse, leur vertu et leur sainteté , ils édifient et sanctifient les âmes rachetées par votre sang. En troisième lieu je les applique pour le bien spirituel des personnes qui  me seront dévotes, qui me serviront et qui m'invoqueront, afin qu'elles obtiennent votre grâce et  votre protection , et ensuite la vie éternelle. En  quatrième lieu je désire que mes travaux et mes  services vous portent à être favorable envers tous les pécheurs enfants d'Adam, afin qu'ils sortent du

 

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malheureux état du péché. Et dès maintenant je  me propose de toujours prier, et je prierai toujours  pour eux en votre divine présence tant que le  monde durera. C'est là, mon Dieu, ma dernière volonté, toujours soumise à la vôtre. Notre auguste Reine conclut ce testament, et la très-sainte Trinité le confirma et l'approuva, et notre Rédempteur Jésus-Christ, comme en autorisant toutes les dispositions, écrivit dans le coeur de sa Mère ces paroles en guise de signature : Que ce que cous vouiez et ordonnez se fasse.

726. Quand les enfants d'Adam, et en particulier ceux qui naissent dans la loi de grâce, n'auraient point d'autre obligation à la bienheureuse Marie que de les avoir fait héritiers de ses mérites immenses et de tout ce que son court et mystérieux testament enferme, ils ne sauraient s'acquitter de leur dette, pussent-ils en retour sacrifier leur vie au milieu de. tous les supplices que les plus grands martyrs ont soufferts Je ne fais point ici de comparaison, parce qu'il n'y eu a aucune, avec les mérites et les trésors infinis que notre Sauveur Jésus-Christ nous a laissés dans l'Église. Mais quelle excuse auront les réprouvés qui n'ont, fait leur profit ni des uns ni des autres, et qui les ont tous méprisés, oubliés et perdus? Quel sera leur tourment et leur désespoir lorsqu'ils reconnaîtront trop tard qu'ils ont perdu pour toujours tant de bienfaits et tant de trésors pour un plaisir passager? Ils avoueront l'équité du jugement par lequel ils sont très-justement punis et privés de la

 

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présence du Seigneur et de celle de sa miséricordieuse Mère, qu'ils ont méprisé avec une folle témérité.

725. Après que notre grande Reine eut fait son testament, elle rendit des actions de grâces au Tout-Puissant, et lui demanda la permission de lui faire une autre prière; et l'ayant obtenue, elle dit : « Mon  Seigneur très-clément, Père des miséricordes, si c'est votre gloire et. votre bon plaisir, je souhaite   que mes vénérables maîtres les apôtres et les autres  disciples assistent à ma mort, afin qu'ils prient pour moi, et que je parte avec leur bénédiction, de cette vie, pour aller jouir de la vie éternelle. » Son très-saint fils répondit à cette demande : « Ma  très-chère Mère, mes apôtres sont déjà en route  pour se rendre auprès de vous, et ceux qui sont  dans les provinces les plus voisines arriveront bientôt; quant aux autres qui parcourent des régions éloignées, je leur enverrai mes anses qui les  porteront, car ma volonté est qu'ils assistent tous  à votre glorieuse mort pour votre consolation et la leur, et dans l'intérêt de ma plus grande gloire et de la vôtre. » L'auguste Vierge s'étant prosternée rendit des actions de grâces pour cette nouvelle faveur et pour toutes les autres, puis les divines personnes s'en retournèrent dans l'empyrée.

 

Instruction que la grande Reine des anges m'a donnée.

 

726. Ma fille, vous admirez l'estime et le grand amour que j'eus pour la sainte Église, c'est pour cela que je veux vous aider à augmenter vos affections, afin que vous ayez aussi pour elle une nouvelle vénération, et que vous en conceviez nue plus haute idée. Vous ne, sauriez comprendre, tant que vous vivrez dans votre chair mortelle , ce qui se passait dans mon intérieur à l'égard de la sainte Eglise. Cependant, outre ce que vous avez appris, vous en découvrirez encore davantage si vous considérez les causes qui provoquaient les sentiments de mon cœur. Ces causes furent l'amour et les ouvres de mon très-saint saint Fils envers cette mime Église , et c'est sur quoi vous devez méditer jour et nuit, car par ce qu'il a fait pour l'Église vous connaîtrez l'amour que j'eus pour elle. Pour être son chef en ce monde (1), et. à jamais celui des prédestinée (2), il descendit du sein du l'ire éternel, et prit la chair humaine dans mes entrailles. Pour recouvrer ses enfants, qui étaient perdus par le premier péché d'Adam (3), il se revêtit de la chair mortelle et passible. Pour laisser aux hommes les exemples de son innocente vie (4) et la doctrine de la vérité et du salut, il vécut et conversa avec eux

 

(1) Colos., I, 18. — (2) Rom., VIII, 29. — (3) Luc., XIX, 10. — (4) Baruch., III, 38.

 

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durant trente-trois années (1). Pour les racheter en effet, et pour leur mériter des biens infinis de grâce et de gloire que les fidèles ne pouvaient mériter, il souffrit la plus cruelle Passion, il versa son sang a subit la mort douloureuse et ignominieuse de la croix (2). Enfin , pour que l'Église sortit mystérieusement de son corps sacré déjà inanimé; il se laissa ouvrir le côté d'un coup de lance (3).

727. Et c'est parce que le Père éternel se complut infiniment dans sa vie, dans sa Passion et dans sa mort, que le même Rédempteur institua dans l'Église le sacrifice de son corps et de son sang , afin que les fidèles en renouvelassent la mémoire (4), et l'offrissent pour apaiser et satisfaire la divine justice ; et aussi afin qu'il demeurât toujours sous les espèces sacramentales dans l'Église, pour être la nourriture spirituelle de ses enfants, et qu'ils eussent près d'eux la source même de la grâce, le viatique et le gage certain de la vie éternelle. Il envoya de plus le Saint-Esprit sur l'Église (5), afin qu'il la remplit de ses dons et de sa sagesse, lui promettant son assistance, et l'assurant qu'il la gouvernerait et la dirigerait à l'abri de l'erreur et de tous les dangers. Il l'enrichit de tous les mérites de sa Passion , de sa vie et de mort , les lui appliquant par le moyen des sacrements qu'il établit suivant les besoins des hommes , dès leur naissance jusqu'à leur mort, pour qu'ils pussent se purifier de leurs péchés , persévérer dans sa grâce , se

 

(1) I Petr., II, 21. (2) Philip., II, 8. — (3) Joan., XII, 34. — (4) Luc., XXII, 19. — (5) Act., II, 2; Joan., XV, 26.

 

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défendre contre les démons , les vaincre avec les armes de l'Église , et maîtriser leurs propres passions naturelles, et laissant à cet effet des ministres capables de les administrer. Il se communique dans l'Église militante familièrement aux limes saintes , il leur fait part de ses secrètes faveurs, il opère pour elles des miracles et des merveilles quand sa gloire l'exige, il agrée leurs oeuvres et il exauce les prières qu'elles lui adressent, soit pour elles, soit pour les autres, afin de conserver dans l'Église la communion des saints.

728. Il y laissa une autre source de lumière et de vérité, qui sont les saints Évangiles et les divines Écritures, dictées par le Saint-Esprit, les décisions des conciles, et les traditions anciennes et authentiques. Il lui a suscité aux temps opportuns de saints docteurs pleins de sagesse; lui a donné une multitude de maîtres habiles, de prédicateurs et de ministres; l'a illustrée par des saints admirables; l'a embellie par la variété des ordres religieux, où l'ou conserve et professe la vie parfaite et apostolique ; et continue à la gouverner par un grand nombre de prélats. Et afin que cette constitution de l'Église fût plus parfaite, il y a établi un chef supérieur, qui est le Pontife romain, son vicaire, avec une juridiction suprême et un divin pouvoir, comme chef de ce beau corps mystique, qu'il protége et défendra jusqu'à la lin du monde contre les puissances de la terre et de l'enfer (1). Et entre toutes ces faveurs qu'il a faites

 

(1)     Matth., XVI, 18.

 

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et qu'il fait soit Église bien-aimée, la moindre ne fut pas de m'y laisser après son admirable ascension, afin que je la guidasse et que je l'affermisse par mes mérites et par ma présence. Je regardai dès lors, et je regarderai toujours cette Église comme mienne; le Très-Haut me fit cette donation, et m'ordonna d'en prendre soin comme en étant la Mère et la Maîtresse.

729. Ce sont là, ma très-chère fille, les grands titres et les pressants motifs que j'eus et que j'ai maintenant pour aimer la sainte Église comme vous avez vu que je l'aimais : et je veux que ce soient les mêmes qui vous excitent à m'imiter en tout ce qui vous regarde, comme étant ma disciple, ma tille, et celle de la même Église. Aimez-la, honorez-la et estimez-la du fond de votre coeur ; jouissez de ses trésors, et profitez des richesses du ciel, qui sont toises en dépôt dans l'Église avec son Auteur. Tâchez de l'unir à vous et de vous unir à elle, puisque vous trouvez en elle votre refuge, votre remède, la consolation dans vos épreuves, l'espérance en votre exil, et la vérité qui vous conduit parmi les ténèbres du monde. Je veux que vous travailliez pour cette sainte Église tout le reste de votre vie, puisqu'elle vous a été accordée à cette titi, et pour que vous m'imitiez dans la sollicitude infatigable que j'eus durant ma vie mortelle; c'est là votre plus grand bonheur, que vous devez reconnaître éternellement. Je veux aussi que vous sachiez que dans cette intention et ce désir je vous ai appliqué une grande partie ries trésors de

 

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l'Église, afin que vous écrivissiez ma vie; et le Seigneur vous a choisie pour être la secrétaire des mystères cachés qui regardent sa plus grande gloire. Ne vous imaginez point que, pour avoir travaillé un peu par suite de ce choix, vous lui ayez donné une partie du retour que vous lui devez pour vous acquitter de cette dette ; au contraire, vous êtes maintenant plus obligée à mettre en pratique toute la doctrine que vous avez écrite; et tant que vous ne le ferez point, vous serez toujours pauvre, vous ne satisferez pas à votre dette, et il vous sera demandé un compte rigoureux de ce que vous avez reçu. Voici le moment de travailler, afin que vous vous trouviez préparée et libre à l'heure de votre mort, et qu'il n'y ait rien en vous qui vous empêche de recevoir l'Époux. Considérez à quel détachement j'étais arrivée, et combien j'étais débarrassée et affranchie de tout ce qui est. terrestre ; je veux que vous vous conduisiez par cette règle, et que vous veilliez à ce que l'huile de la lumière et de l'amour ne votas manque point, afin que vous entriez aux noces de l'Époux (1), et qu'il vous ouvre les portes de sa miséricorde et de sa clémence infinies.

 

(1) Matth., XXV, 3.

 

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CHAPITRE XIX. La bienheureuse et glorieuse mort de l'auguste Marie, et comment les apôtres et les disciples arrivèrent auparavant à Jérusalem, et s'y trouvèrent présents.

 

730. Le jour que la divine volonté avait déterminé approchait, le jour où l'Arche vivante et véritable du Testament devait être transférée dans le temple de la Jérusalem céleste avec beaucoup plus lie gloire et de joie que Salomon ne plaça dans le sanctuaire sous les ailes des chérubins celle qui eu était la figure (1). Trois jours avant la glorieuse mort de notre grande Dame, les apôtres et les disciples se trouvèrent réunis à Jérusalem dans la maison du Cénacle. Le premier qui y arriva fut saint Pierre, parce qu'un ange l'y transporta de Rome, où il était en ce moment. Le messager céleste lui avait apparu, et lui avait dit que la mort de la très-pure Marie approchait, et que le Seigneur ordonnait qu'il vint à Jérusalem pour y assister. Et lui ayant donné cet avis, il le porta d'Italie au Cénacle, où la Reine de l'univers était dans son oratoire. Déjà, chez elle les forces du corps cédaient à la force de l'amour divin, qui, à, mesure que sa

 

(1) III Reg., VI, 8.

 

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fin approchait, lui faisait sentir ses effets avec plus d'effcace.

731. Notre auguste Reine se présenta à la porte de l'oratoire pour recevoir le vicaire de notre Sauveur Jésus-Christ; et, s'étant mise à genoux , elle lui demanda sa bénédiction, et lui dit: « Je remercie et  bénis le Tout-Puissant de ce qu'il m'a amené mon  saint père, afin qu'il m'assiste à l'heure de ma mort. » Bientôt arriva saint Paul, auquel la bienheureuse Vierge rendit à proportion le même respect, lui témoignant par d'égales démonstrations la joie qu'elle avait de le revoir. Les apôtres la saluèrent comme Mère de Dieu, comme, leur propre Reine et comme Maîtresse de tout ce qui est créé, mais avec non moins de douleur que de vénération, parce qu'ils savaient qu'ils étaient venus pour assister à sa très-heureuse mort. Les autres apôtres et les disciples qui vivaient encore arrivèrent ensuite; et tous se trouvèrent réunis dans le Cénacle trois jours avant le triste événement: la divine Mère les reçut tous avec une profonde humilité et avec une tendresse maternelle, demandant à chacun sa bénédiction. Ils la lui donnèrent tous, et la saluèrent avec un respect inexprimable; et par l'ordre que notre Reine donna elle-même à saint Jean, ils furent tous logés et pourvus du nécessaire, l'apôtre saint Jacques le Mineur partageant tous ces soins avec saint Jean.

732. Quelques-uns des apôtres qui furent transportés par les mains des anges, apprirent d'eux le sujet de leur venue; et cette nouvelle les affligea

 

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extrêmement, et leur fit répandre des torrents de larmes, parce qu'ils considéraient qu'ils allaient perdre leur Protectrice et leur unique consolation. Les autres l'ignoraient, et en particulier les disciples; car ils ne reçurent aucun avis extérieur des anges ils sentirent seulement, par quelques inspirations douces et efficaces, que c'était la volonté de Dieu qu'ils se rendissent immédiatement à Jérusalem, comme ils le firent. En y arrivant ils communiquèrent aussitôt à saint Pierre la cause de leur venue, afin qu'il les informât des circonstances particulières qui se présentaient; car ils comprirent tous que, s'il n'y en avait pas eu, le Seigneur ne les aurait pas appelés avec la force qu'ils avaient sentie. L'apôtre saint Pierre, en qualité de chef de l'Église, les assembla tous pour leur apprendre le sujet de leur venue, et leur dit: « Mes très-chers enfant et mes bien-aimés frères, le Seigneur ne nous a point appelés et fait venir à Jérusalem de divers endroits si éloignés sans une cause bien grande et bien affligeante pour nous. il vent élever à la gloire éternelle sa bienheureuse, Mère, notre Maîtresse, notre Protectrice, et toute notre consolation ; et il vont aussi que nous nous trouvions tous présents à sa glorieuse mort. Lorsque notre Maître et notre Rédempteur monta à la droite de son Père éternel, quoiqu'il nous laissât orphelins de sa vue si désirable, nous avions au moins sa très-sainte Mère pour notre refuge et pour notre véritable consolation dans la vie mortelle; mais maintenant que notre Mère et notre

 

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Lumière nous quitte, que ferons-nous? Quelle  protection et quelle espérance aurons-nous qui a nous anime dans notre pèlerinage? Je n'en trouve   aucune, si ce n'est que nous la suivrons tous avec  le temps. »

733. Saint Pierre ne put continuer son discours, suffoqué par les larmes et les sanglots qu'il ne put retenir. Les autres apôtres ne purent non plus lui répondre pendant longtemps que par des gémissements qu'ils poussaient du fond de leur coeur, et par des larmes abondantes ; mais lorsque le vicaire de Jésus-Christ fut assez maître de son émotion pour pouvoir parler, il reprit en ces termes : a Mes en farts, allons trouver notre Mère, restons auprès  d'elle durant le peu de temps qu'il lui reste à  vivre, et demandons-lui sa sainte bénédiction. v Ils se rendirent tous avec saint Pierre à l'oratoire de notre grande Reine, où ils la trouvèrent agenouillée sur une petite estrade sur laquelle elle s'appuyait lorsqu'elle prenait un peu de repos. Ils la virent tous resplendissante de beauté, revêtue d'une lumière céleste, et entourée des mille anges qui l'assistaient.

734. La disposition naturelle de sou corps virginal et de son visage était celle qu'elle avait cite à l'âge de trente-trois ans; car, à partir de cette époque, (comme je l'ai dit dans la seconde partie), elle ne subit aucun changement dans son état naturel ; elle ne sentit point l'action du temps, ni les effets de la vieillesse; elle n'eut aucune ride ni sur son visage,

 

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ni sur ses membres ; elle n'éprouva aucun affaissement, aucun affaiblissement, et son corps ne maigrit point comme celui des autres enfants d'Adam , que la vieillesse abat et défigure, au point qu'ils ne conservent presque rien de leur jeunesse ou de leur maturité. Cette immutabilité fut un privilège unique pour la bienheureuse Marie, tant parce qu'elle correspondait à la stabilité de son âme très-sainte, que parce que ce .fut eu elle une suite de l'immunité qui la préserve du premier péché d'Adam, dont les effets à cet égard n'atteignirent ni son sacré corps, ni son âme très-pure. Les apôtres, les disciples et quelques autres fidèles étaient rangés dans l'oratoire de l'auguste Marie ; saint Pierre et saint Jean se trouvaient au chevet du lit. Notre grande Dame les regarda tous avec la modestie et l'humble douceur qui lui étaient ordinaires, et leur dit : « Mes très-chers enfants, permettez à votre servante de parler en votre présence, et de vous découvrir ses humbles désirs. » Saint Pierre lui répondit qu'ils l'écoutaient tous avec attention, et qu'ils lui obéiraient en ce qu'elle leur commanderait, et la supplia de s'asseoir sur le lit pour leur parler : car il parut à saint Pierre qu'elle devait être fatiguée d'avoir demeuré si longtemps à genoux, et que si elle priait en cette posture le Seigneur, il était juste que pour leur parler elle s'assit comme étant leur Reine.

735. Mais Celle qui était la Maîtresse de l'humilité et de l'obéissance jusqu'à la mort, pratiqua ces vertus à cette heure ; elle répondit qu'elle obéirait après

 

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leur avoir demandé leur bénédiction, et les pria de lui permettre de se mettre en état de recevoir cette consolation. Avec le consentement de saint Pierre, elle descendit de l'estrade, et, se mettant à genoux devant le même apôtre, elle lui dit : « Seigneur, je vous supplie, comme pasteur universel et chef de la sainte Église, de me donner en votre nom et au sien votre sainte bénédiction, et de pardonner à votre servante le peu qu'elle a fait durant sa vie pour vous servir, afin qu'elle s'en aille à la vie éternelle. Et si c'est votre volonté, permettez que Jean dispose de mes habits, qui consistent en deux tuniques, et qu'il les donne à certaines filles pauvres qui m'ont toujours obligée par leur charité. » Ensuite elle se prosterna, et baisa avec

beaucoup de larmes les pieds de saint Pierre, comme vicaire de Jésus-Christ, à la grande admiration du même apôtre et de tous les assistants, qui étaient profondément attendris. Elle s'adressa ensuite à saint Jean, et, s'étant aussi prosternée à ses pieds, elle lui dit : « Pardonnez-moi, mon fils, de ce que je ne me suis pas assez bien acquittée envers vous de l'office de Mère que le Seigneur m'a confié, lorsque étant sur la croix il vous destina pour être mon fils, et me nomma pour être votre Mère (1). Je vous rends d'humbles actions de grâces pour la bonté avec laquelle vous m'avez assistée comme fils. Donnez-moi votre bénédiction avant que j'aille jouir de la

 

(1) Joan., XIX, 27.

 

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compagnie et de la vue éternelle de Celui qui m'a  créée. »

736. La très-douce Mère continua cet adieu, s'adressant séparément à tous les apôtres et à quelques disciples, et ensuite en général à tous les autres assistants, qui étaient nombreux. Puis elle se releva, et parlant à toute cette sainte assemblée, elle dit: « Mes  très-chers enfants et seigneurs, vous avez toujours  été écrits dans mon coeur, où je vous ai tendrement   aimés avec la charité qui m'a été communiquée par  mon très-saint Fils, que j'ai toujours regardé en  vous comme en ses élus et en ses amis. Je m'en   vais par sa sainte et éternelle volonté aux demeures  célestes, où je vous promets comme Mère 'q ne  vous me serez présents dans la très-claire lumière   de la Divinité, dont mon âme désire et attend la  vision avec confiance. Je vous recommande l'Église,  ma mère, l'exaltation du nom du Très-Haut, la   propagation de sa loi évangélique , l'estime des  paroles de mon très-saint Fils, la mémoire de sa  vie et de sa mort, et la pratique de toute sa doctrine. Aimez, mes enfants, la sainte Église, et  aimez-vous les uns les autres de tout votre coeur,  dans les liens de la charité et de la paix, que votre  adorable Maître a toujours enseignées (1). Et vous;  Pierre, pontife saint, je vous recommande mon fils  Jean, et les autres aussi. »

737. La bienheureuse Marie acheva de parler, et

 

(1) Joan., XIII, 34.

 

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ses paroles, comme autant de dards enflammés du feu divin, percèrent et embrasèrent le coeur de tous les apôtres et de tous ceux qui étaient avec eux, et fondant en larmes, pénétrés d'une douleur inconsolable, ils se prosternèrent tous devant la très-douce Marie, qu'ils émurent si vivement par leurs sanglots et par leurs gémissements, que, ne voulant pas résister à leur juste douleur, elle se mit à pleurer elle- même avec ses enfants. Quelques instants après elle leur parla de nouveau, et les exhorta à prier avec elle et pour elle. en silence, ce qu'ils firent. Au milieu de ce doux calme, le Verbe incarné descendit du ciel sur un trône d'un éclat ineffable, accompagné de tous les saints de la nature humaine et d'une multitude innombrable d'anges de tous les chœurs, de sorte que la maison du Cénacle fut toute remplie de gloire. L'auguste Marie adora le Seigneur et lui baisa les pieds, et se prosternant devant sa divine Majesté, elle fit, pour la dernière fois dans la vie mortelle, le plus profond acte de reconnaissance et d'humiliation; en ce moment la grande Reine de l'univers s'humilia plus que tous les hommes ensemble ne se sont jamais humiliés s après leurs péchés, et ne s'humilieront jusqu'à la fin du monde. Son très-saint Fils lui donna sa bénédiction, et en présence des courtisans du ciel, il lui dit ces paroles : Ma très-chère Mère, que j'ai  choisie pour ma demeure, voici l'heure à laquelle   vous devez passer de la vie mortelle et du monde à  la gloire de mon Père et à la mienne, où se trouve préparée à ma droite la place dont vous jouirez

 

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pendant toute l'éternité. Et de même que j'ai voulu qu'en qualité de ma Mère, vous entrassiez dans le monde libre et exempte du péché , de même je veux que, pour vous en faire sortir, la mort n'ait aucun droit de vous toucher. Si vous ne voulez point passer par elle, venez avec moi, afin que vous participiez à ma gloire que vous avez méritée. »

738. La très-prudente Mère se prosterna devant son Fils, et lui répondit avec un air joyeux : « Mon  Fils et mon Seigneur, je vous supplie de permettre  que votre Mère et votre servante entre dans la vie  éternelle par la porte commune de la mort naturelle, comme les autres enfants d'Adam. Vous qui   êtes mon véritable Dieu, vous l'avez subie sans être  aucunement obligé à mourir; il est juste que, comme  j'ai tâché de vous suivre en la vie, je vous suive   aussi en la mort. » Notre Sauveur Jésus-Christ approuva le sacrifice et la volonté de sa très-sainte Mère, et lui dit que ce qu'elle souhaitait pouvait s'accomplir. Aussitôt tous les anges commencèrent à chanter avec une harmonie céleste divers versets des cantiques de Salomon et d'autres nouvelles hymnes. Et quoique la présence de Jésus-Christ notre Sauveur ne fût manifestée par une illustration particulière qu'à saint Jean et à quelques apôtres, tandis que les autres éprouvaient seulement dans leur âme de divins et puissants effets, la musique des anges fut entendue, tant par les disciples et beaucoup de fidèles qui étaient avec eux, que par les apôtres.

 

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L'air se remplit aussi d'une divine odeur, qui se faisait sentir comme la musique st faisait entendre jusque dans la rue. Toute la maison du Cénacle fut illuminée d'une splendeur admirable qui frappait tous les yeux, et le Seigneur, voulant augmenter le nombre des témoins de cette nouvelle merveille, y fit accourir beaucoup d'habitants de Jérusalem qui se trouvaient dans la rue.

739. Au moment où les anges commencèrent leurs chants, la bienheureuse Marie s'inclina sur son lit, sa tunique comme collée à son sacré corps , les mains jointes, les yeux fixés sur son très-saint Fils, tout embrasée de son divin amour. Et lorsque les anges vinrent à chanter ces versets du second chapitre du Cantique des cantiques : Hâtez-vous de vous lever, ma bien-aimée, ma colombe, ma toute belle, et venez; car l'hiver est passé; etc. (1), alors, à ces douces paroles, elle prononça  celles que dit son très-saint Fils sur la croix: Seigneur, je remets mon âme entre vos mains (2). Puis elle ferma les yeux et elle expira. La maladie qui lui ôta la vie ce fut l'amour, sans aucun autre accident ou infirmité, et voilà comment le pouvoir divin suspendit l'intervention miraculeuse par laquelle il lui conservait les forces naturelles afin qu'elles ne fussent point consumées par l'ardeur sensible que lui causait l'amour divin, et, ce miracle cessant, ce feu sacré produisit son effet, et dessécha en elle l'humide radical du coeur, de sorte que la vie naturelle dut finir.

 

(1) Cant., II, 10. — (2) Luc, XXIII, 46.

 

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740. L'àme très-pure de Marie passa de son corps virginal à la droite et sur le trône de son très-saint Fils, où à l'instant elle fut placée avec une gloire immense. Bientôt on commença à s'apercevoir que la musique des anges s'éloignait dans la région de l'air, car tout ce cortége d'anges et de saints, accompagnant leur Roi et leur Reine, monta dans l'empyrée. Le corps sacré de l'auguste Marie, qui avait été le temple et le sanctuaire du Dieu vivant, resta revêtu de lumière et de splendeur, et il exhalait une odeur si délicieuse et si extraordinaire, que tous ceux qui se trouvaient présents se sentaient pénétrés dans leurs sens et dans leurs puissances d'une suavité céleste. Les mille anges composant la garde de la bienheureuse Vierge demeurèrent pour garder le trésor inestimable de son très-saint corps. Les apôtres et les disciples, partagés entre la douleur qui leur arrachait encore des larmes et la joie que leur causaient toutes ces merveilles, restèrent quelque, temps dans une sorte de ravissement, puis ils se mirent à chanter plusieurs hymnes et plusieurs psaumes à l'honneur de la très-pure Marie déjà morte. Cette glorieuse fin de la grande Reine de l'univers arriva un vendredi à trois heures du soir, à la même heure que son adorable Fils mourut, le 13 août, et à la soixante-dixième année de son âge, moins les vingt-six jours qu'il y a du 13 août, jour où elle mourut, jusqu'au 8 septembre, anniversaire de sa naissance , auquel elle aurait accompli les soixante-dix ans. Après. la mort de notre Sauveur Jésus-Christ, la divine Mère survécut dans le

 

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monde vingt-un ans quatre mois et dix-neuf jours, et c'était la cinquante-cinquième année de son enfantement virginal. Il est facile de faire cette supputation. Lorsque notre Rédempteur Jésus-Christ naquit, sa Mère Vierge avait quinze ans trois mois et dix-sept jours. Le Seigneur vécut trente-trois ans et trois mois, de sorte qu'à l'époque de sa Passion, la bienheureuse Marie avait quarante-huit ans six mois et dix-sept jours; en y ajoutant vingt-un ans quatre mois et dix-neuf jours, on a soixante-dix ans moins vingt-cinq ou vingt-six jours.

741. De grandes merveilles et plusieurs prodiges marquèrent cette précieuse mort de notre auguste Reine; car le soleil s'éclipsa (comme je l'ai dit ailleurs) et en signe de deuil il déroba sa lumière pendant quelques heures. Beaucoup d'oiseaux de diverses espèces se réunirent autour de la maison du Cénacle, et par les cris plaintifs et les gémissements qu'ils ne cessaient de pousser, ils touchaient le coeur de tous ceux qui les entendaient. Toute la ville. de Jérusalem s'émut, et ses habitants frappés d'admiration accouraient au Cénacle , publiant à haute voix la puissance de Dieu et la grandeur de ses oeuvres. Il y en avait qui étaient tout éperdus et comme hors d'eux-mêmes. Quant aux apôtres, aux disciples et aux autres fidèles, ils ne faisaient que soupirer et pleurer. Beaucoup de malades accoururent, et tous furent guéris. Les âmes qui étaient dans le purgatoire en sortirent. Et la plus grande merveille fut, qu'au moment même où la bienheureuse Marie expira, trois personnes expirèrent

 

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aussi, un homme à Jérusalem, et deux femmes qui habitaient près du Cénacle; elles moururent en état de péché et dans l'impénitence, de sorte qu'elles allaient être damnées; mais leur cause arrivant su tribunal de Jésus-Christ, sa très-douce Mère demanda miséricorde pour elles, et elles revinrent à la vie. Elles l'améliorèrent ensuite de telle sorte, qu'elles moururent en état de grâce et se sauvèrent. Ce privilège ne fut pas général pour les autres qui moururent ce jour-là dans le monde, mais seulement pour ces trois personnes de Jérusalem qui expirèrent à la même heure. Je dirai dans un autre chapitre ce qui arriva dans le ciel après la mort de l'auguste Vierge, et combien ce jour fut solennel dans la Jérusalem triomphante, pour ne point mêler cette joie avec le deuil des mortels.

 

Instruction que j'ai reçue de la grande Reine du ciel:

 

742. Ma fille, outre ce que vous avez appris et rapporté de ma glorieuse mort, 1je veux vous faire connaître un autre privilège que mon très-saint Fils m'accorda à cette heure. Vous avez écrit que sa divine Majesté laissa à mon choix de mourir ou de passer à la vision béatifique et éternelle, sans me soumettre à cette peine de la mort. Et si je n'eusse pas voulu la subir, il est certain que le Très-Haut m'en eût exemptée ;

 

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car, comme le péché n'eut aucune entrée en. moi, la peine du péché, qui fut la mort, n'en aurait point eu non plus. Il en eût été de même, et à plus forte raison, pour mon très-saint Fils, s'il ne se fût chargé de satisfaire à la justice divine pour les hommes, au moyen de sa Passion et de sa mort (1). Je choisis moi-même la mort pour l'imiter, comme je l'avais fait dans les douleurs de sa Passion, et parce que si, après avoir vu mourir mon Fils et mon Dieu véritable, j'eusse refusé la mort, je n'aurais point satisfait à l'amour que je lui devais, et j'aurais laissé une grande disparate en la ressemblance que je désirais avoir avec le même Seigneur incarné, et que sa divine Majesté voulait que j'eusse en toutes choses avec sa très-sainte humanité; et comme en refusant la mort je n'aurais pu désormais faire cesser cette disparate, mon âme n'aurait point joui de la plénitude de joie que j'éprouve d'avoir accepté la mort à l'exemple de mon adorable Fils.

743. C'est pourquoi il lui fut si agréable que je choisisse de mourir, ma prudence et mon amour lui causèrent une si grande satisfaction , qu'il me fit en récompense à l'instant même une faveur singulière pour les enfants de l'Église, selon mes désirs. Ce fut que tous mes dévots qui l'invoqueraient à leur mort, en me prenant pour leur avocate et en me demandant mon secours, en mémoire de mon heureuse mort et du choix que je fis de mourir pour l’imiter, ceux-là

 

(1) Isa., LIII, 11.

 

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soient sous ma protection spéciale en cette dernière heure, afin que je les défende contre le démon, que je les assiste, que je les protège, et qu'à la fin je les présente au tribunal de sa miséricorde, et que j'y intercède. pour eux. Le même Seigneur m'accorda pour tout cela une nouvelle délégation et une nouvelle puissance , et me promit de leur donner de grands secours de sa grâce pour bien mourir et pour vivre avec une plus grande pureté, s'ils m’ invoquaient avant cette heure, et s'ils honoraient ce mystère de ma précieuse mort. C'est pourquoi je veux, ma fille, que dès aujourd'hui vous en fassiez une continuelle mémoire avec une intime dévotion, et que vous bénissiez et magnifiiez le Tout-Puissant de ce qu'il a daigné opérer à mon égard tant de saintes merveilles en ma faveur et en celle des mortels. Par là vous porterez le Seigneur et moi aussi à vous protéger en cette dernière heure.

744. Et comme la mort suit la vie, et qu'ordinairement elles se ressemblent, soyez persuadée que le gage le plus sûr de la bonne mort est la bonne vie, et qu'il n'y a rien de plus important que de détacher son coeur de l'amour des choses de la terre, qui en cette dernière heure afflige et opprime l'âme, et lui sert de fortes chaînes, de sorte qu'elle ne' jouit pas d'une pleine liberté et qu'elle a peine à s'élever au-dessus de fie qu'elle a aimé durant la vie: Oh 1 ma fille, combien peu les mortels entendent cette vérité, faisant en tout le contraire de ce qu'ils devraient faire pour s'assurer une bonne mort ! Le Seigneur leur

 

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donne la vie afin qu'ils y travaillent à se débarrasser des effets du péché originel pour ne les point sentir à l'heure de la mort; et ces ignorants et infortunés enfants d'Adam emploient toute cette vie à se charger de nouveaux embarras et de nouvelles chaînes pour mourir captifs dans leurs passions, et sous le pouvoir tyrannique de leur ennemi. Je n'eus aucune part au péché originel, et ses mauvais effets ne pouvaient aucunement influer sur mes puissances; cependant je vécus en usant sans cesse dans ma conduite des plus grandes précautions, toujours pauvre, sainte et par. faite, et toujours détachée de tous les objets terrestres; aussi, comme j'expérimentai cette sainte liberté à l'heure de ma mort! Soyez donc attentive, ma fille, à ce vivant exemple, et débarrassez chaque jour de plus en plus votre coeur, de sorte qu'en avançant en âge vous vous trouviez plus libre, mieux préparée et sans aucune attache aux choses visibles, afin que, lorsque l'époux vous appellera au noces, vous ne soyez point alors obligée de. chercher une liberté et une prudence que vous ne trouveriez plus.

 

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CHAPITRE XX. De la sépulture du corps sacré de la bienheureuse Marie, et de ce qui y arriva.

 

745. Il fallut que la vertu divine consolât et fortifiât d'une manière spéciale les apôtres, les disciples et tant d'autres fidèles dans leur affliction extrême, afin qu'ils ne se laissassent point entièrement abattre, et que quelques-uns même ne mourussent de la douleur que leur causa la mort de la bienheureuse Marie; car la certitude qu'ils avaient de ne pouvoir réparer cette perte en la vie présente, ne leur permettait aucun soulagement; la privation de ce trésor était sans compensation possible; comme la très-douce et très-charitable conversation de cette grande Reine leur avait ravi le cœur, se voyant privés d'une telle protectrice et d'une telle compagnie, ils se trouvèrent comme sans âme et sans vie. Mais le Seigneur, qui connaissait la cause d'une si juste douleur, les assista et les encouragea secrètement par sa vertu divine, afin qu'ils ne succombassent point à l'excès de leur douleur, et qu'ils s'occupassent de ce qu'il était convenable de faire pour le sacré corps, et de tout ce que réclamaient les circonstances.

 

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746. Après ce divin secours, les saints apôtres, que regardaient particulièrement les mesures à prendre, décidèrent entre eux qu'il fallait donner la sépulture au très-saint corps de leur Reine. Ils lui destinèrent dans la vallée de Josaphat un sépulcre nouveau, qui y avait été préparé par une disposition mystérieuse de la providence de son très-saint Fils.. Et les apôtres se souvenant que le corps déifié du Seigneur lui-même avait été enveloppé dans un linceul avec des aromates, selon la coutume des Juifs (1), il leur sembla qu'il en fallait faire de même à l'égard du corps sacré de sa bienheureuse Mère, sans penser alors à autre chose. Or, voulant exécuter ce dessein, ils, firent venir les deux filles qui avaient assisté notre auguste Reine durant sa vie, et qui étaient héritières du trésor de ses deux tuniques; et ils leur ordonnèrent d'envelopper avec la plus respectueuse circonspection, dans un linceul enduit de parfums précieux, le corps de la Mère de Dieu, afin de le mettre ensuite dans le cercueil. Ces filles entrèrent, pénétrées d'une sainte et profonde vénération, dans l'oratoire où la vénérable défunte était sur son lit; mais la splendeur dont elle était revêtue les arrêta et les éblouit de telle sorte, qu'elles ne purent toucher ni voir le corps sacré, ni savoir en quel lieu déterminé il se trouvait.

747. Elles sortirent de l’oratoire avec plus de crainte et plus de vénération qu'elles n'y étaient entrées, et rapportèrent, toutes saisies d'étonnement, aux apôtres

 

(1) Joan., XIX, 40.

 

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ce qui leur était arrivé. Ils convinrent (non sans inspiration du ciel) qu'on ne devait point traiter cette Arche sacrée du Testament suivant les règles communes. Ensuite saint Pierre et saint Jean entrèrent dans le même oratoire, remarquèrent la splendeur, et entendirent en même temps la musique céleste des anges qui chantaient : Ave, Maria, gratia plena : Dominus tecum. Il y en avait d'autres qui disaient: Vierge avant l'enfantement, dans l'enfantement et après l'enfantement. Et dès lors beaucoup de fidèles de la primitive Église répétèrent avec dévotion ce divin éloge de la très-pure Marie; dès ce temps-là la tradition l'a transmis jusqu'à nous quile proclamons aujourd'hui, et la sainte Église l'a confirmé. Les deux apôtres saint Pierre et saint Jean restèrent quelque temps comme ravis en admiration de ce qu'ils entendaient et voyaient autour du corps sacré de la Reine de l'univers; et pour délibérer sur ce qu'ils devaient faire , ils se mirent à genoux et prièrent la Seigneur de le leur manifester. Ils entendirent aussitôt une voix qui leur dit : Qu'on ne découvre et qu'on ne touche point le sacré corps.

748. Ils connurent par cette voix la volonté divine; ensuite ils apportèrent un cercueil, et la splendeur s'étant tempérée, ils s'approchèrent du lit où était le corps virginal, et les deux mêmes apôtres joignirent avec une, vénération inexprimable les extrémités de la tunique qui l'enveloppait, le soulevèrent sans en changer la position, puis déposèrent dans le cercueil cet inestimable trésor. Ils le firent sans aucune

 

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difficulté, car ils ne sentirent aucun poids, il leur semblait qu'ils touchaient seulement la tunique d'une manière presque imperceptible. Quand le corps eut été mis dans le cercueil, sa splendeur se tempéra encore davantage , de sorte que tous les assistants purent voir et observer de leurs propres yeux la beauté du visage et des mains de la bienheureuse Vierge, le Seigneur le disposant ainsi pour leur commune consolation. À lais sa toute-puissance se réserva si exclusivement cet auguste Tabernacle de sa demeure, soit en la vie, soit en la mort, que personne n'en vit que ce qui était nécessaire pour la conversation humaine, à savoir son très-modeste visage afin qu'on la reconnût, et ses mains avec lesquelles elle travaillait.

749. Tel fut le soin jaloux qu'il prit de sa pudique et bienheureuse Mère, qu'à cet égard il ne montra pas autant de zèle pour son corps déifié que pour celui de la très-pure Vierge. En sa conception immaculée et sans péché, il la fit semblable à lui-même, ainsi que dans sa naissance, en tant qu'elle ne fut point soumise aux règles communes et naturelles suivant lesquelles naissent les autres enfants. il la préserva aussi de toutes sortes de tentations contre la pureté. biais en cachant son corps virginal, il fit pour elle; en sa qualité de femme, ce qu'il ne fit point pour lui-même, parce qu'il était homme et Rédempteur du monde par le moyen du sacrifice de sa Passion. Déjà pendant sa vie notre très-pure Reine l'avait prié de lui faire la grâce que personne ne vit son corps après

 

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sa mort, et son désir fut accompli. Ensuite les apôtres songèrent à la sépulture, et par leurs soins, aidés de la dévotion des fidèles, alors réunis en grand nombre à Jérusalem, ils se procurèrent beaucoup de flambeaux, à l'égard desquels il arriva une merveille c'est qu'étant tous allumés ce jour-là et les deux jours suivants, il n'y en eut aucun qui. s'éteignit ni qui se consumât même en partie.

750. Or, afin que cette merveille et plusieurs autres que le Tout-Puissant opéra en cette occasion , fussent plus notoires pour tout le monde, la divine Majesté poussa tous les habitants de la ville à se rendre aux funérailles de sa très-sainte Mère, et 'à peine resta-t-il dans Jérusalem un seul Juif ou un Seul Gentil qui n'accourût à la nouvelle de ce,spectacle. Les apôtres levèrent le sacré corps qui était le Tabernacle de Dieu ; nouveaux prêtres de la loi évangélique, ils portaient sur leurs épaules le Propitiatoire des divins oracles et des faveurs célestes; puis ils partirent du Cénacle dans le plus bel ordre, traversant la ville pour aller à la vallée de Josaphat, et c'était là le convoi visible pour les habitants de Jérusalem. Mais il y en avait un autre invisible, c'était celui des courtisans du ciel. En premier lieu s'y trouvaient les mille anges de notre auguste Reine, continuant leur musique céleste, que les apôtres, les disciples et beaucoup d'autres personnes entendaient, et qui dura pendant trois jours avec la plus douce et la plus admirable harmonie. Il descendit aussi des hauteurs du ciel une multitude innombrable d'autres anges avec les

 

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anciens patriarches et les prophètes, notamment saint Joachim, sainte Anne, saint Joseph , sainte Élisabeth, saint Jean- Baptiste et un grand nombre d'autres saints que notre Sauveur Jésus envoya de l'empyrée afin qu'ils assistassent aux funérailles de sa bienheureuse Mère.

751. Tout ce convoi du ciel et de la terre, invisible et visible, marcha accompagnant le corps sacré; et il arriva tant de miracles durant le trajet, que le récit m'en arrêterait trop longtemps. Je dirai seulement que tons les malades qui se présentèrent, et en très-grand nombre, furent parfaitement guéris, quelles que fussent leurs maladies. Beaucoup de possédés furent délivrés sans que les démons osassent attendre que les personnes dont ils s'étaient emparés s'approchassent du très-saint corps. Il y eut quelque chose de plus merveilleux encore dans la conversion d'un grand nombre de Juifs et de Gentils; car les trésors de la divine miséricorde s'ouvrirent pour les obsèques de la bienheureuse Marie, et par là bien des personnes obtinrent la connaissance de notre Seigneur Jésus-Christ, se mirent à le confesser à haute voix pour le vrai Dieu et pour le Rédempteur du monde, et demandèrent en même temps le baptême. De sorte qu'après les funérailles les apôtres et les disciples employèrent plusieurs jours à catéchiser et à baptiser ceux qui se convertirent ce jour-là à la sainte foi. Les apôtres , en portant le vénérable corps, éprouvèrent des effets admirables de la divine lumière et reçurent des consolations célestes, et les disciples y participèrent

 

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avec proportion. Tous ceux qui assistaient au convoi, sentant l'odeur délicieuse que le corps répandait, entendant la musique mystérieuse des anges, et remarquant plusieurs autres faits prodigieux, étaient saisis d'étonnement, et avouaient hautement que Dieu faisait éclater sa grandeur et sa puissance en cette créature ; et en témoignage de leurs sentiments ils se frappaient la poitrine avec la plus vive componction.

752. Ils arrivèrent au lieu où était l'heureux sépulcre , dans la vallée de Josaphat. Et les mêmes apôtres saint Pierre et saint Jean , qui avaient enlevé le trésor céleste du lit pour le mettre dans le cercueil, l'en ôtèrent avec le même respect et avec la même facilité, le placèrent dans le sépulcre et le couvrirent d'an suaire, tout cela par les mains des anges plutôt que par les leurs. Ils fermèrent le sépulcre avec nue grande pierre, selon la coutume, et les courtisans du ciel s'en retournèrent dans l'empyrée, tandis que les mille anges de la garde de notre aùguste Reine demeurèrent auprès de son sacré corps, en continuant la même musique. Le peuple se retira, et les saints apôtres et les disciples s'en retournèrent au Cénacle en arrosant la route de leurs larmes. La très-douce odeur que le corps de notre grande Reine avait répandue dans toute cette maison , s'y fit sentir un an entier, et elle se conserva plusieurs années dans l'oratoire. Ce sanctuaire continua à être dans Jérusalem un lieu de refuge pour ceux qui allaient y chercher un remède à toutes leurs peines, à toutes leurs nécessités,

 

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car ils l'y trouvaient tous d'une manière miraculeuse, tant dans leurs maladies que dans leurs tribulations, et dans les autres maux qui affligent l'humanité. Quelques années après, les péchés des habitants de Jérusalem , entre plusieurs autres châtiments qu'ils leur attirèrent, les privèrent aussi de ce bienfait inestimable.

753. Les apôtres décidèrent dans le Cénacle que quelques-uns d'entre eux et des disciples resteraient auprès du saint sépulcre de leur Reine tant que l'on y entendrait la musique céleste , car ils attendaient tous la fin de cette merveille. Cette décision prise, les uns s'employèrent aux affaires qui regardaient l'Église, à catéchiser et à baptiser les néophytes; les autres se rendirent aussitôt au sépulcre, et tous le visitèrent durant ces trois jours. Mais saint Pierre et saint Jean répétaient et prolongeaient leurs visites plus que les autres, et quoiqu'ils allassent quelquefois au Cénacle, ils se hâtaient de regagner aussitôt le lieu où était leur trésor et leur coeur. Les animaux irraisonnables ne manquèrent pas non plus aux funérailles de la Reine de l'univers; car au moment où sou sacré corps approchait du sépulcre, on vit venir de l'air une infinité de petits oiseaux et d'autres plus grands, et des montagnes voisines plusieurs ])êtes féroces qui accouraient précipitamment au sépulcre : les uns par des chants lugubres, les autres par de tristes hurlements, tous par des mouvements de douleur, manifestaient b leur manière leurs regrets, comme s'ils eussent senti la perte commune. Il n'y eut que quelques Juifs

 

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incrédules, plus durs que les rochers et plus cruels que les bêtes féroces, quine se montrèrent pas plus touchés de la mort de leur Réparatrice qu'ils ne l'avaient été de celle de leur divin Rédempteur.

 

Instruction que j'ai reçue de la grande Reine du ciel.

 

754. Ma fille, je veux que le souvenir de ma mort naturelle et de la sépulture de mon sacré corps, amène pour vous une espèce de mort. civile et de sépulture morale, qui doit être le premier fruit et l'effet particulier du privilège que vous avez eu de connaître et de rapporter les mystères de ma vie. Je vous ai maintes fois manifesté ce désir et découvert ma volonté pendant tout le temps que vous avez employé à les écrire, afin que vous fissiez votre profit de ce grand bienfait que vous avez reçu de la bonté du Seigneur et de la mienne. C'est une chose honteuse qu'un chrétien, après qu'il est mort au péché, qu'il a été régénéré en Jésus-Christ. par le baptême, et qu'il a appris que le divin Seigneur a sacrifié pour lui sa vie, retombe encore dans le péché; mais elle l'est surtout pour ceux qui, par une grâce particulière, sont choisis et appelés pour être les plus chers amis du même Seigneur, comme le sont ceux qui, avec cet espoir, se consacrent à son plus grand service dans les ordres religieux , chacun selon son état.

 

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755. En ces âmes les vices du monde font véritablement horreur au ciel; car l'orgueil, la présomption, la fierté, l'immortification, la colère, l'avarice, les souillures de la conscience et la difformité des autres péchés, forcent le Seigneur et les saints à détourner leurs regards d'une pareille monstruosité, et à en être plus irrités et plus offensés que lorsqu'ils les aperçoivent en d'autres personnes. C'est pourquoi le Seigneur en répudie plusieurs qui portent injustement le nom de ses épouses, et qu'il les laisse entre les mains de leur mauvais conseil , parce qu'elles ont indignement manqué à la fidélité qu'elles ont promise à Dieu et à moi en leur vocation et en leur profession. Aussi toutes les Mmes doivent-elles craindre ce malheur, afin de ne point commettre une infidélité si horrible. À votre tour, ma fille, il faut considérer combien vous seriez odieuse aux yeux de Dieu si vous vous rendiez coupable d'un pareil crime. Il est temps que vous mouriez à tout ce qui est visible, que votre corps soit enseveli dans la connaissance de vous-même et dans vos humiliations, et votre âme en l'être de Dieu. Vos jours et votre vie sont achevés pour le monde, et je suis le juge de cette cause pour exécuter en vous la division de votre vie et du siècle. Vous n'avez plus rien à faire avec ceux qui y vivent, ni eux avec vous. Écrire ma vie et mourir, ce doit être en vous une même chose, comme je vous l'ai dit si souvent, et comme vous me l'avez promis, en réitérant ces promesses entre mes mains avec des larmes qui partaient de votre coeur.

 

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756. Je veux que ce soit là la preuve de ma doctrine et le témoignage de son efficace, je ne permettrai point que vous la décréditiez à mon déshonneur; mais il faut que le ciel et la terre connaissent la force de ms vérité et de mon exemple en la vérifiant dans toutes vos oeuvres. Pour cela vous n'avez point à user de votre raisonnement ni de votre volonté, encore moins de vos inclinations et de vos passions , car tout cela est fini pour vous. Votre loi doit être la volonté du Seigneur, la mienne et celle de vos supérieurs. Et afin que vous n'ignoriez jamais par ces moyens ce qui est le plus saint, le plus parfait et le plus agréable , le Seigneur a tout prévu, tout ordonné par lui-même; par moi , par ses anges et par ceux qui vous dirigent. N'alléguez point votre ignorance, vos craintes, votre faiblesse, encore moins votre lâcheté. Pesez vos obligations, calculez votre dette, tenez constamment les yeux ouverts à la lumière qui vous éclaire, agissez avec la grâce que vous recevez; car, avec tous ces bienfaits et tant d'autres dont vous êtes favorisée, il n'y a point de croix pesante pour vous, il n'y a point de .mort si amère qui ne vous doive être fort supportable et fort douce. Tout votre bien se trouve en la croix et en la mort, et vous y devez trouver toutes vos délices, puisque, si vous ne parvenez pas à mourir à tout, outre que je sèmerai d'épines toutes vos voies, vous n'acquerrez point la perfection que vous désirez, et vous n'arriverez point à l'état auquel le Seigneur. vous appelle.

757. Si le monde ne vous oublie point, oubliez-le

 

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vous-même; s'il ne vous abandonne point, rappelez-vous que vous l'avez abandonné, et que je vous en ai éloignée. S'il vous poursuit, fuyez; s'il vous flatte, méprisez-le; sil vous méprise, souffrez-le; s'il vous cherche, faites qu'il ne vous trouve que pour glorifier .en vous le Tout-Puissant. )riais en tout le reste vous ne devez non plus vous rappeler à son souvenir que les vivants ne se rappellent à celui des morts, et de votre côté vous devez l'oublier comme les morts oublient les vivants: ainsi je veux que vous n'ayez pas plus de commerce avec les habitants de ce siècle que les vivants et. les morts n'en ont entre eux. Vous ne serez pas surprise qu'au commencement, au milieu et à la fin de cette histoire je vous répète si souvent cette leçon, si vous considérez combien il vous importe de la pratiquer. Réfléchissez, ma très-chère fille, aux persécutions secrètes que le démon vous a suscitées par le moyen du monde et de ses habitants sous divers prétextes. Et si Dieu l'a permis pour votre épreuve et pour l'exercice de sa grâce, ce n'en est pas moins pour, vous une raison d'être persuadée que votre trésor est précieux, que vous le portez dans un vaisseau fragile (1), et que tout l'enfer conspire contre vous. Vous vivez dans la chair mortelle environnée et combattue par des ennemis vigilants et rusés. Vous êtes l'épouse de Jésus-Christ, mon très-saint Fils, et je suis votre Mère et votre Maîtresse. Reconnaissez donc votre misère et votre

 

(1) II Cor., IV, 7.

 

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faiblesse, et, répondez à mes soins comme ma fille bien-aimée, et comme ma parfaite et toujours obéissante disciple.

 

CHAPITRE XXI. L'âme de la bienheureuse Marie entra dans l'empyrée. — Comme celui de notre Rédempteur Jésus-Christ, son sacré corps ressuscita le troisième jour, et en ce même corps elle monta à la droite du Seigneur.

 

758. Saint Paul, parlant de la gloire et de la félicité des saints qui participent à la vision béatifique et à la jouissance bienheureuse, dit avec Isaïe que les yeux des mortels n'ont point vu, que leurs oreilles n'ont point entendu, et que leur esprit n'a point conçu les choses que Dieu a préparées pour ceux qui l'aiment et qui espèrent en lui (1). D'après cette vérité catholique, on ne doit pas être surpris de ce qu'on rapporte être arrivé à saint Augustin, bien qu'il fût une si grande lumière de l'Église. Il se disposait à écrire un traité sur la gloire des bienheureux, quand son grand ami saint Jérôme, qui venait de mourir et d'entrer dans la joie du Seigneur, lui apparut et lui

 

(1) I Cor., II, 9  ; Isa., LXIV, 4

 

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fit comprendre qu'il ne pouvait pas exécuter le dessein qu'il avait formé , parce que jamais langue ni plume humaine ne serait capable de manifester la moindre partie des biens dont les saints jouissent dans la vision béatifique. Voilà ce que lui dit saint Jérôme. Et quand, par les témoignages de la divine Écriture, nous saurions seulement que cette gloire sera éternelle, par ce seul endroit elle surpasse toute la portée de notre intelligence, qui ne peut atteindre à l'éternité, quelque effort qu'elle fasse : car l'objet étant infini, incommensurable, il est par là même inépuisable et incompréhensible, quels que soient l'ardeur et l'amour avec lesquels on cherche à le connaître. Et de même que Dieu est resté infini et tout-puissant en créant toutes choses, sans qu'elles aient épuisé sa puissance, pas plus que ne l'épuiseraient des milliers d'autres mondes, s'il lui plaisait de les créer, parce qu'il serait toujours infini et immuable ; de mime, quel que fût le nombre des saints qui le vissent, qui en jouissent, il leur resterait toujours infiniment à connaître et à aimer, parce qu'eu la création et en la gloire tous ne reçoivent sa participation que dans une certaine mesure, selon la capacité de chacun: tandis qu'en lui-même il n'a ni terme ni fin.

759. C'est pour cette raison que la gloire du moindre des saints est ineffable: que dirons-nous donc de la gloire de l'auguste Marie, puisque entre les saints elle est la très-sainte, quelle seule est plus semblable à son adorable Fils que tous les saints

 

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ensemble, et que par sa grâce et sa gloire elle les surpasse tous comme la Reine surpasse ses sujets? C'est là une vérité que l'on peut et que l'on doit croire; mais en la vie mortelle il n'est pas possible de la comprendre ni d'en expliquer la moindre chose , parce„ que la faiblesse et la disproportion de nos termes sont plus propres à l'obscurcir qu'à l'élucider. Travaillons maintenant, non à la comprendre, mais à mériter qu'elle nous soit un jour manifestée dans la même gloire , où selon nos oeuvres nous participerons plus ou moins à cette joie que nous espérons.

760. Notre Rédempteur Jésus-Christ entra dans l'empyrée avec l'âme très-pure de sa Mère à sa droite. Elle seule entre tous les mortels n'eut point de cause à soumettre au jugement particulier, et n'eut aucun compte à rendre de ce qu'elle avait reçu ; aussi ne lui en fut-il pas demandé; et c'est ce qui lui; avait été promis lorsqu'elle fut exemptée du commun péché, comme étant choisie pour Reine, et affranchie par un privilège exclusif des lois des enfants d'Adam. Par la mène raison, sans être jugée comme les autres, lors du jugement universel, elle viendra encore à la droite de sou très-saint Fils, pour juger avec lui toutes les créatures. Et si dans le premier instant de sa conception. elle fut une aurore brillante, rehaussée parles rayons du Soleil de la Divinité au-dessus des splendeurs des plus ardents séraphins, si elle fut depuis élevée jusqu'à toucher à la Divinité elle-même par l'union du Verbe avec sa très-pure substance et par

 

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l'humanité de Jésus-Christ, il fallait bien, par conséquent, qu'elle fût pendant toute l’éternité sa compagne avec la ressemblance possible entre le Fils et la Mère, lui étant Dieu et homme, et elle une simple. créature. A ce titre, le Rédempteur la présenta lui-même devant le trône de la Divinité ; et, s'adressant au Père éternel en présence de tous les bienheureux qui étaient attentifs à cette merveille, la très-sainte Humanité dit ces paroles: « Mon Père éternel, ma très-chère Mère, voire bien-aimée Fille et l'Épouse a chérie du Saint-Esprit, vient recevoir la possession a éternelle de la couronne et de la gloire que nous a lui avons préparée en récompense de ses mérites. C'est elle qui est née entre les enfants d'Adam comme une rose entre les épines, toute pure et toute belle; elle mérite que nous la recevions en nos mains, et que nous lui donnions la place à laquelle aucune de nos créatures n'est arrivée, et à laquelle ne sauraient parvenir ceux qui ont été a conçus dans le péché. C'est elle qui est notre élue

et notre unique favorite, à qui nous avons donné la grâce et la participation de nos perfections au dessus de la loi commune des autres créatures, et   en qui nous avons déposé le trésor de notre Divinité incompréhensible et de ses dons; elle l'a très fidèlement gardé ; elle a fait profiter les talents a qu'elle a reçus de nous (1) ; elle ne s'est jamais i écartée de notre volonté, et elle a trouvé grâce

 

(1) Matth., XXV, 20.

 

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devant nos yeux. Mon Père, le tribunal de notre  miséricorde et de notre justice est très-équitable;  nous y récompensons les services de nos amis avec  surabondance. Il est juste que ma Mère soit ré compensée comme mère: et si en toute sa vie et  en toutes ses oeuvres elle a été semblable à moi autant que pouvait l'être une simple créature, elle  doit l'être aussi en la gloire et s'asseoir comme  moi sur le trône dé notre Majesté, afin que là où est la sainteté par essence, là, soit aussi la somme  de la sainteté par participation. »

161. Le Père et le Saint-Esprit approuvèrent ce décret du Verbe incarné. Aussitôt cette âme très-sainte de Marie fut élevée à la droite de son adorable Fils, et placée sur le trône même de la très-sainte Trinité, où jamais hommes, ni anges, ni séraphins n'ont pu et ne pourront monter pendant toute l'éternité. C'est la plus haute et la plus excellente prééminence de notre Reine, que d'être sur le trône même des divines Personnes, et d'y être placée comme Impératrice, pendant que les autres n'ont qu'une place de serviteurs et de ministres du souverain Roi. Et les dons de gloire, de compréhension, de vision et de jouissance correspondent, chez l'auguste Marie, à l'éminence ou supériorité de ce lieu, inaccessible à toutes les autres créatures ; de sorte qu'elle jouit au-dessus de tous et plus que tous les bienheureux ensemble de cet objet infini , dont ils jouissent à des degrés et avec des différences sans nombre. Elle tonnait litre divin et ses attributs ; elle l'aime, elle

 

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jouit de ses mystères, et pénètre ses profonds secrets plus que tout le reste des bienheureux. Et quoiqu'il y ait une distance infinie entre la gloire des divines Personnes et celle de la très-pure Marie, parce que, comme dit l'Apôtre, la lumière de la Divinité est inaccessible, et qu'en elle seule habite l'immortalité et la gloire par, essence (1) ; quoique l'âme très-sainte de Jésus;Christ surpasse aussi sans mesure les dons de sa Mère, il n'en est pas moins certain que la gloire de cette grande Reine, comparée avec celle de tous les saints, s'élève au-dessus de tous comme inaccessible, et a une ressemblance avec celle de Jésus-Christ qu'on ne saurait comprendre ni exprimer en cette vie.

762. Il n'est pas possible non plus de dépeindre la nouvelle joie que sentirent ce jour-là les bienheureux, chantant de nouveaux cantiques de louanges au Tout-Puissant, et à la gloire de sa Fille, de sa Mère et de son Épouse, en qui il glorifiait les oeuvres de sa droite. Et quoique le Seigneur lui-même ne puisse, avoir une nouvelle gloire intérieure, parce qu'il a eu et qu'il a de toute éternité toute la gloire d'une manière immuable et infinie, les démonstrations extérieures de sa complaisance en l'accomplissement de ses décrets éternels furent néanmoins plus grandes en ce jour: car il sortit une voix du trône comme de la personne du Père, qui disait: « En la  gloire de notre bien-aimée Fille, notre sainte volonté

 

(1) 1 Tim., VI, 16.

 

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et nos désirs se sont accomplis avec la plénitude de notre complaisance. Nous avons donné . à toutes les créatures l'être qu'elles ont, les tirant  du néant afin qu'elles participassent à nos biens et o à nos immenses trésors, selon l'inclination de notre  bonté infinie. Ceux mêmes que nous avons rendus capables de notre grâce et de notre gloire n'ont  pas profité de ce bienfait. Notre seule bien-aimée a et notre Fille n'a point pris part à la désobéissance a et à la prévarication des autres : elle a mérité ce que les enfants de perdition ont méprisé comme . indignes; notre coeur n'a été frustré en elle en  aucun temps, en aucun moment. A elle reviennent  les récompenses qua, par notre volonté commune  et conditionnelle, nous avions préparées pour les   anges rebelles et pour les hommes qui les ont  imités, s'ils eussent tous coopéré à notre grâce et  à notre vocation. Elle a réparé cette rébellion par n sa soumission et par son obéissance; elle nous a  été pleinement agréable en toutes ses œuvres; elle a donc mérité de s'asseoir sur le trône de notre Majesté. »

763. Il y avait trois jours que l'âme très-sainte de Marie jouissait de cette gloire pour ne la quitter jamais, lorsque le Seigneur manifesta aux saints qu'il voulait qu'elle revint sur la terre, et qu'elle ressuscitât son corps sacré en s'y unissant, afin d'être de nouveau élevée en corps et en âme à la droite de son très-saint Fils, sans attendre la résurrection générale des morts. Les saints ne pouvaient ignorer la convenance

 

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de cette faveur, ni le rapport qu'elle avait avec les autres qu'a reçues la Reine du ciel, et avec sa sublime dignité, puisqu'elle parait si croyable même aux mortels, que quand même la sainte Église n'en aurait pas approuvé la croyance, nous regarderions comme impies et insensés ceux qui prétendraient nier le fait. Mais les bienheureux le connurent de la manière la plus nette, aussi bien que le jour et l'heure où il devait s'accomplir, lorsque sa divine Majesté leur manifesta en lui son décret éternel. Et quand le moment arriva de faire cette merveille, notre Sauveur Jésus-Christ descendit du ciel, emmenant à sa droite l'Aine de sa bienheureuse Mère, au milieu d'innombrables légions d'anges, et des anciens patriarches et prophètes. Ils arrivèrent au sépulcre eu la vallée de Josaphat, et s'arrêtèrent tous devant le temple virginal ; puis le Seigneur, s'adressant aux saints, dit ces paroles :

764. « Ma Mère a été conçue sans péché, afin que  de sa substance toute pure et immaculée je prisse  l'humanité en laquelle je vins au monde et le rachetai du péché. Ma chair est sa chair, elle a coopéré avec moi aux oeuvres de la rédemption;  c'est pourquoi je dois la ressusciter, comme moi même je ressuscitai d'entre les morts; et ce doit  être au même moment et à la même heure; car je  veux qu'elle me ressemble en tout. Les saints de la nature humaine rendirent tous des actions de grâces, et firent de nouveaux cantiques de louange au Seigneur pour ce bienfait. Et ceux qui se distinguèrent

 

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le plus, ce furent nos premiers parents Adam et Ève, et après eux sainte Anne, saint Joachim et saint Joseph , comme ayant des titres particuliers pour glorifier le Seigneur en cette merveille de sa toute-puissance. Aussitôt l'âme très-pure de notre auguste Reine, sur l'ordre de son très-saint Fils, entra dans son corps virginal et le ressuscita, lui donnant une nouvelle vie immortelle et glorieuse, et lui communiquant' les quatre dons de clarté, d'impassibilité , d'agilité et de subtilité , qui correspondaient à la gloire de l'âme, d'où ils rejaillissent sur les corps.

765. La bienheureuse Marie, enrichie de ces dons, sortit en corps et en âme du sépulcre, sans mouvoir la pierre qui le fermait, la tunique et le suaire conservant les plis qu'ils avaient quand ils couvraient son. vénérable corps. Et comme il est impossible de manifester la beauté et la splendeur qu'elle recevait d'une si grande gloire, je ne m'y arrête point. Il me suffit de dire que, de même que la divine Mère donna à son très-saint Fils la forme humaine dans son sein virginal, la lui donnant toute pure, sans tache et. impeccable pour racheter le monde : de même, en récompense de ce don, le même Seigneur lui donna in cette résurrection et en cette nouvelle génération une autre gloire et une autre beauté semblable à la sienne. En ce commerce si mystérieux et si divin, chacun fit ce qu'il put; en effet, l'auguste Marie engendra. Jésus-Christ semblable à elle-même en tant qu'il fut passible; et Jésus-Christ la ressuscita, lui

 

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communiquant de sa gloire tout ce qu'elle put en recevoir dans sa capacité de simple créature.

766. Alors se déroula en partant du sépulcre une procession très-solennelle aux sons d'une musique céleste à travers les régions de l'air, qu'elle franchit pour s'élever à l'empyrée. Cette merveille arriva à la même heure que notre Sauveur Jésus-Christ ressuscita, un dimanche, immédiatement après minuit; c'est pourquoi tous les apôtres ne purent point la remarquer alors, à l'exception de quelques-uns qui en furent témoins, parce qu'ils veillaient autour du vénérable sépulcre. Les saints et les anges entrèrent dans le ciel chacun selon son rang; après eux venait notre Rédempteur Jésus-Christ, ayant à sa droite la Reine, revêtue, comme dit David, de l'or d'Ophir (1), parée des plus riches ornements, et st belle, que les courtisans du ciel étaient ravis d'admiration. Ils se tournèrent tous vers elle pour la regarder et la bénir avec une nouvelle jubilation et avec de nouveaux cantiques de louange. C'est là où l'on entendit ces éloges mystérieux que Salomon avait écrits pour elle Sortez, filles de Sion, pour voir votre Reine (2), que louent les étoiles du matin, et que fêtent les enfants du Très-Haut. Quelle est celle-ci, qui s'élève du désert comme une colonne de vapeur, exhalant toute sorte de parfums (3)? Quelle est celle-ci, qui s'avance comme l'aube du jour, plus belle que la lune, brillante comme le soleil, terrible comme une armée

 

(1) Ps. XLIV, 9. — (2) Cant., III, 11. (3) Ibid., 6.

 

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rangée en bataille (1)? Quelle est celle-ci, qui monte du désert s'appuyant sur son bien-aimé (2), et répandant des délices avec abondance? Quelle est celle-ci; en qui la Divinité môme s'est tellement plu et complu plus qu'en toutes les créatures, et qu'il élève au-dessus de toutes jusqu'au trône de son inaccessible lumière et de sa majesté? O merveilles dont les cieux n'ont jamais été témoins! O prodige digne de la sagesse infinie! O miracle de la toute-puissance, qui la glorifie et l'exalte de la sorte!

767. La bienheureuse Marie arriva avec toutes ces gloires en corps et en âme au pied du trône de la très-sainte Trinité. Les trois personnes divines la reçurent avec un embrassement éternel et indissoluble, et le Père éternel lui dit : « Montez plus haut que toutes  les créatures, ma Bien-Année, ma Fille et ma Colombe. » Le Verbe incarné lui dit : « Ma Mère , de  qui j'ai reçu l'être humain, et le retour de mes  oeuvres par votre parfaite imitation, recevez de ma  main la récompense que vous avez méritée. » Le Saint-Esprit lui dit : « Ma très-chère Épouse, entrez dans la joie éternelle qui correspond à votre  très-fidèle amour; aimez et jouissez sans inquiétude, car l'hiver des souffrances est passé (3), et vous êtes arrivée à la possession éternelle de nos  embrassements. » Dans cet heureux état l'auguste Marie fut absorbée entre les personnes divines; et comme submergée dans cet océan infini et dans l'abîme

 

(1) Cant., VI, 9. — (2) Cant., VIII, 5. — (3) Cant., II, 11.

 

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de la Divinité, tandis que les saints étaient pénétrés d'une admiration ineffable et d'une nouvelle joie accidentelle. Et comme cette oeuvre de la Toute-Puissance renferme d'autres merveilles, je tâcherai d'en dire quelque chose dans le chapitre suivant.

 

Instruction que la grande Reine des anges m'a donnée.

 

768. Ma fille, l'ignorance des hommes est lamentable et sans excuse, puisqu'ils oublient si volontairement la gloire éternelle que Dieu a préparée pour ceux qui se disposent à la mériter. Je veux que vous gémissiez sans cessé sur cet oubli si pernicieux, et que vous le pleuriez amèrement; car il est hors de doute que ceux qui oublient de la sorte la gloire et la félicité éternelles, sont fort exposés à les perdre. Personne n'a aucune excuse légitime pour se justifier de cette faute, non-seulement parce qu'il ne coûte pas beaucoup aux mortels d'en avoir et d'en conserver le souvenir, mais surtout parce que la plupart travaillent, au contraire, de tontes leurs forces à oublier la fin pour laquelle ils ont été créés. Il est certain que cet oubli vient de ce que les hommes s'abandonnent à l'orgueil de la vie, à la concupiscence des yeux et à la concupiscence de la chair (1), c'est parce qu'ils y consacrent toutes leurs forces et toutes les puissances

 

(1) 1 Joan., II, 16.

 

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de leur âme, et tout le temps de leur vie, qu'il ne leur reste aucun moyen , où qu'ils soient, de réfléchir d'une manière sérieuse, ou même autrement, au bonheur de l'éternelle béatitude. Que les hommes disent donc, qu'ils avouent s'il leur coûterait plus de s'en souvenir, qu'il ne leur coûte de suivre leurs passions aveugles, et de travailler à se procurer les honneurs, la fortune et des plaisirs passagers, qui finissent. avant la vie; et encore combien de fois ne parviennent-ils pas à se les procurer, après mille efforts et mille fatigues!

769. Combien il est plus facile aux mortels d'éviter ce désordre, et particulièrement aux enfants de l'Église, puisqu'ils ont la précieuse ressource de la foi et de l'espérance, qui leur enseignent cette vérité sans qu'ils doivent se donner la moindre peine! Et quand il leur en coûterait autant pour mériter les biens éternels que pour acquérir les honneurs, les richesses et les autres plaisirs apparents, ce serait toujours une insigne folie de se donner autant de mal pour les choses fausses que pour les choses réelles, pour les peines éternelles que pour la gloire qui n'a point de fin. Vous comprendrez , ma fille, combien il y a là de criminelle stupidité, pour la déplorer, si, vivant dans un siècle tourmenté par tant de guerres et de désordres, vous considérez le nombre des infortunés qui courent à la mort pour un vain et fugitif honneur, pour satisfaire leur vengeance ou pour les plus vils intérêts, ne se souvenant et ne se souciant non plus de ta vie éternelle que s'ils étaient privés de

 

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raison. Assurément ils pourraient s'estimer heureux de terminer leurs destinées, comme les animaux, par la mort temporelle; mais comme la plupart ne commettent que l'iniquité, et que les autres vivent également dans l'oubli de leur fin, ceux-ci aussi bien que ceux-là encourent la mort éternelle.

770. C'est là une calamité au-dessus de toutes les calamités, c'est là, un malheur sans égal et sans remède. Affligez-vous donc, et gémissez avec une douleur inconsolable, de la perte de tant d'âmes rachetées par le sang de mon très-saint Fils. Je vous assure, ma très-chère fille, que du ciel où je suis, dans la gloire que vous avez connue, je serais pressée par ma charité, si les hommes ne s'en rendaient pas indignes, de leur faire entendre une voix qui retentirait dans tout l'univers, et je leur crierais : Hommes mortels et abusés, que faites-vous? A quoi pensez-vous? Savez-vous bien ce que c'est que de voir Dieu face à face, et de participer à sa gloire et à sa compagnie éternelle? Que prétendez-vous? Qui vous a troublé et, fasciné l'esprit de la sorte? Que cherchez-vous, si vous perdez ce véritable bien et ce bonheur éternel sans en pouvoir trouver un autre? Le travail est court, la gloire infinie, la peine éternelle.,

771. Pénétrée de cette douleur que je veux exciter en vous, tâchez de travailler avec zèle pour ne point tomber dans ce péril. Ma vie, qui fut une souffrance continuelle, vous fournit un vivant exemple que vous avez connu; mais quand j'arrivai aux récompenses que je reçus, tout ce que j'avais souffert

 

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me parut comme rien, et je l'oubliai comme si je ne l'avais jamais souffert. Résolvez-vous donc, ma chère fille, à me suivre dans le travail, et dussent vos épreuves surpasser toutes celles des autres mortels, regardez-les comme légères, de sorte que rien ne vous paraisse' difficile, ou pesant, ou trop amer, quand même il vous faudrait passer par le fer et le feu. Portez vos mains à des choses fortes (1), et donnez à vos sens comme à vos domestiques un double vêtement, en souffrant et en agissant avec toutes vos puissances. Je veux de plus que vous vous gardiez d'une autre erreur commune des hommes qui disent : Tâchons seulement de nous assurer le salut, un peu plus, un peu moins de gloire ne nous importe guère, puisqu'en . nous sauvant nous jouirons tous de la béatitude éternelle. Avec une semblable ignorance, ma fille, on n'assure point le salut, mais au contraire on le hasarde; car un pareil langage ne s'explique que par une grande folie et par un grand manque d'amour de Dieu, et ceux qui prétendent faire ces arrangements avec sa divine Majesté, l'offensent et la portent à les laisser en danger de tout perdre. La faiblesse humaine va toujours dans le bien moins loin que ses désirs, et si ces désirs ne sont pas grands, elle fait fort peu de chose; que s'ils sont tout à fait tièdes, elle court risque de ne rien avoir et de tout perdre.

772. Celui qui se contente d'un certain milieu ou

 

(1) Prov., XXXI, 19, 21.

 

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du dernier rang dans la vertu, laisse toujours quelque liberté à sa volonté et à ses inclinations, pour admettre à dessein d'autres affections terrestres, et pour aimer les choses passagères; et cette disposition ne saurait durer sans s'opposer bientôt à l'amour divin : c'est pourquoi il est impossible d'empêcher qu'entre ces deux sentiments l'un ne se perde , et l'autre ne subsiste. Sans doute, lorsque la créature se détermine à aimer Dieu de tout son coeur et de toutes ses forces comme il le commande (1) , le Seigneur tient compte de cette résolution, quand même l'âme n'arriverait point, à cause d'autres manquements, aux plus hautes récompenses. Mais si on les méprise délibérément, ou si on en fait peu de cas, alors, loin de témoigner l'amour d'un enfant ou d'un véritable ami, on ne montre que les sentiments d'un esclave qui se contente de manger et de passer son chemin. Tandis que si les saints pouvaient revenir sur la terre pour mériter encore quelque nouveau degré de gloire, en souffrant tous les. tourments imaginables jusqu'au jour du jugement, ils le feraient avec plaisir, parce qu'ils connaissent parfaitement la valeur de,la récompense, et qu'ils aiment Dieu d'un véritable amour. Il n'est pas convenable que cette grâce soit accordée aux saints, mais elle m'a été accordée, à moi, comme vous l'avez écrit dans cette histoire, et mon. exemple confirme cette vérité, et condamne la folie de ceux qui, pour ne point souffrir ni embrasser la croix de Jésus-

 

(1) Deut., VI, 5.

 

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Christ, demandent une récompense bornée,, contre l'inclination de la bonté infinie du Très-Haut, qui désire que les âmes aient des mérites qu'il puisse amplement récompenser dans le bonheur de la gloire éternelle.

 

CHAPITRE XXII. La bienheureuse Marie est couronnée Reine des cieux, et de toutes les créatures. — Plusieurs grands privilèges lui sont confirmés en faveur des hommes

 

773. Lorsque notre Sauveur Jésus-Christ, prit congé de ses disciples pour aller souffrir,. il leur dit que leur coeur ne devait point. se troubler. pour les choses qu'il leur avait dites, parce qu'il y avait plusieurs demeures dans. la maison de, son, Père, qui est la béatitude (1), il les assurait par là qu'il y avait des places et des récompenses pour tous, malgré la différence de leurs. mérites et de leurs bonnes oeuvres; et leur enseignait que personne ne devait se troubler, ni s'affliger, ni perdre la paix et l'espérance en voyant son prochain favorisé de plus de grâces, ou , plus avancé dans la vertu, parce qu'il y a beaucoup de

 

(1) Joan., XIV, 1 et 2.

 

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degrés dans la maison de Dieu, où chacun sera content de la place qu'il occupera, sans porter envie au autres. Et c'est là un des grands bonheurs de cette félicité éternelle. J'ai dit que l'auguste Marie fut élevée su degré suprême sur le trône de la très-sainte Trinité, et je me sois souvent servie, pour rapporter des mystères si grands, d'une expression qu'ont aussi employée les saints et même les divines Écritures (1). Cette remarque pourrait suffire, toutefois j'ajoute, pour ceux qui sont moins savants, que Dieu étant un très-pur esprit sans corps, et en même: temps infini. immense et incompréhensible, n'a pas besoin d'un trône matériel; car il remplit toutes choses, il est présent chez toutes les créatures, aucune ne le comprend ou ne l'environne, mais au contraire il les comprend et les renferme tontes en lui-même. Les saints dans le ciel ne voient pas non plus la Divinité avec les yeux corporels, mais avec les yeux de l'âme; néanmoins, comme ils la regardent en un endroit déterminé (je recours à cette figure matérielle pour me faire mieux entendre), nous disons qu'elle est sur le trône où la très-sainte Trinité tient son siégea quoiqu'elle possède en elle-même la gloire, et qu'elle la communique en elle-même aux saints. Quant à l'humanité de notre Sauveur Jésus-Christ et à sa très-sainte Mère, je ne nie point qu'ils n'occupent dans le ciel un lieu plus éminent que les antres saints, et entre les bienheureux qui y seront en corps et en âme .

 

(1) Apoc., I, 4 ; III, 21

 

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il y aura un certain ordre d'après lequel ils seront plus ou moins près de notre Seigneur Jésus-Christ et de notre auguste Reine; mais ce n'est pas ici que je dois déclarer comment cela arrive dans le ciel.

776. Or, nous appelons trône de la Divinité cet endroit où Dieu se manifeste aux saints, comme cause principale de la gloire, et comme Dieu éternel , infini, qui ne dépend de personne, et de la volonté duquel toutes les créatures dépendent; il se manifeste comme Seigneur, comme Roi, comme Juge et comme Maître de tout ce qui a l'être. Notre Rédempteur Jésus-Christ a cette dignité en tant que Dieu par essence, et en tant qu'homme par l'union hypostatique par laquelle la divinité s'est communiquée à l'humanité sainte; c'est pourquoi il est dans le ciel comme Roi, comme Seigneur et comme Juge suprême, et quoique la gloire et l'excellence des saints surpassent infiniment tout ce que l'esprit de l'homme peut concevoir, ils n'y sont que comme des serviteurs infiniment inférieurs à cette Majesté inaccessible. Après notre Sauveur Jésus Christ la bienheureuse Marie participe à cette excellence à un, degré inférieur à son très-saint Fils, d'une manière spéciale, ineffable, et proportionnée à sa condition de simple créature immédiate au Dieu-Homme; elle est debout, toujours à la droite de son Fils (1) comme Reine et Maîtresse de tout ce qui est créé, étendant son empire jusqu'où s'étend celui de son Fils lui-même, quoique ce soit d'une autre manière.

 

(1) Ps., XLIV, 9.

 

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775. L'auguste Marie ayant été placée sur ce trône très-éminent, le Seigneur déclara aux courtisans du ciel les privilèges dont elle jouissait par cette participation à la Majesté. Et la personne du Père éternel, comme premier principe de tout, dit, en s'adressant aux anges et aux saints: Notre Fille Marie est l'objet que notre volonté éternelle a choisi et possédé entre toutes les créatures ; elle fait nos premières délices ; elle n'a jamais déchu du titre ni dégénéré de l’être de Fille que nous lui avons donné dans notre entendement divin, et elle a droit sur notre royaume, dont elle doit dire reconnue et couronnée pour légitime Maîtresse et pour Reine unique. Le Verbe incarné dit : Toutes les créatures qui ont été par moi créées et rachetées appartiennent d ma Mère véritable et naturelle; elle doit dire la Souveraine légitime de tout et dont je suis Roi. Le Saint-Esprit dit: Par le titre de mon Épouse, de mon unique et de mon élue, auquel elle a correspondu avec fidélité, la couronne de Reine pour toute l'éternité lui est également due.

776. Ensuite les trois personnes divines mirent sur là tète de l'auguste Marie une couronne de gloire si magnifique et d'une splendeur si nouvelle, qu'on n'en a vu et qu ou n'en verra jamais une semblable sur la tête d'aucune autre simple créature. Au même moment sortit une voix du trône qui disait : « Notre Bien-Aimée et notre Élue entre les créatures, notre royaume est le vôtre; vous êtes la Reine et la Maîtresse des séraphins, de tous nos ministres les anges, et de toute l'universalité de nos créatures.

 

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Commandez et régnez sur elles (1); car, dans notre consistoire suprême, nous vous donnons la domination, l'empire et la majesté. Étant pleine de grâce au-dessus de tous, vous vous êtes humiliée en votre propre estime jusqu'au rang le plus bas ; occupez maintenant le rang suprême qui vous est dû, et recevez, par une délégation de notre autorité divine, le domaine sur tout ce que nos mains ont formé par notre toute-puissance. Du haut de votre trône, vous commanderez jusqu'au centre de la terre; et par le pouvoir que nous vous donc nous, vous assujettirez l'enfer, tous ses démons et tous ses habitants; ils vous craindront tous, comme la souveraine Impératrice des abîmes, sombres demeures de nos ennemis. Vous régnerez sur toute la terre, sur tous les éléments, et sur toutes les autres créatures. Nous mettons entre vos mains et nous soumettons à votre volonté les vertus et les effets de toutes les causes, leurs opérations, leur perpétuité, afin que vous disposiez des influences des cieux, de la pluie, des nuées, des fruits de la terre, et que vous distribuiez tout cela à votre gré, par une dispensation à laquelle notre volonté sera attentive pour exécuter la vôtre. Vous serez la Reine de tous les mortels, auxquels vous pourrez soit envoyer la mort, soit conserver et prolonger la vie. Vous serez l'Impératrice de l'Église militante, sa Protectrice, son Avocate, sa Mère et sa

 

(1.) Ps. XLIV, 5.

 

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Maîtresse. Vous serez la Patronne spéciale des royaumes catholiques, et si les fidèles et tous les enfants d'Adam vous invoquent du fond de leur coeur et vous servent fidèlement, vous guérirez leurs maux, et vous les secourrez dans leurs épreuves et dans leurs besoins. Vous serez la Protectrice, le Soutien, l'Amie de tous les justes nos amis; vous les consolerez, vous les fortifierez et les comblerez tous de faveurs, suivant qu'ils les mériteront par leur dévotion. Pont tout cela nous vous faisons la Dépositaire de nos richesses , et la Trésorière de nos biens; nous mettons en vos mains les secours de notre grâce, afin que vous les dispensiez ; nous ne voulons rien accorder au monde que ce ne soit par votre entremise, et nous ne voulons rien refuser de ce que vous accorderez aux hommes. La grâce sera répandue sur vos lèvres (1) pour tout ce que vous voudrez ordonner dans le ciel et dans la terre; les anges et les hommes vous obéiront partout, parce que tout ce qui est à nous est vôtre, comme vous avez toujours été nôtre; et vous régnerez avec nous vendant toute l'éternité. »

777. En exécution de ce décret et de ce privilège accordé à la Reine de l'univers, le Tout-Puissant commanda à tous les courtisans du ciel, anges et hommes, de rendre obéissance à l'auguste Marie, et de la reconnaître pour leur Reine. Cette merveille

 

(1) Ps. XLIV, 3.

 

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renfermait un autre mystère, et c'est que la divine Mère était ainsi récompensée de la profonde humilité et du culte de vénération avec lesquels elle avait honoré les saints lorsqu'elle était au nombre des voyageurs et qu'ils lui apparaissaient (comme on a pu le remarquer dans tout le cours de cette histoire), quoiqu'elle fût Mère de Dieu lui-même, et pleine de grâces au-dessus de tous les anges et de tous les saints. En effet, quand notre grande Dame vivait sur la terre, il était convenable pour son plus grand mérite qu'elle s'humiliât devant eux tous, parce qu'ils étaient compréhenseurs, et parce que le Seigneur l'ordonnait de la sorte; mais à présent qu'elle se trouvait en possession du royaume qui lui appartenait, il était juste que tous lui rendissent leur culte, et reconnussent leur infériorité et leur sujétion. C'est ce qu'ils firent dans ce très-heureux état, dans toutes les parties duquel règnent l'ordre, la proportion et l'harmonie. Les esprits angéliques et les âmes des saints rendirent cet hommage dans la même forme qu'ils avaient reconnu et adoré notre Seigneur Jésus-Christ, avec une crainte et un respect religieux, honorant sa divine Mère proportionnellement d'un culte semblable; et les saints qui étaient en corps et en Ame dans le ciel se prosternèrent, et révérèrent leur Reine par des actes corporels. Toutes ces démonstrations et le couronnement de l'Impératrice des cieux lui procurèrent une gloire ineffable, transportèrent les saints d'une nouvelle allégresse, et furent très agréables à la très-sainte Trinité; de sorte que ce

 

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jour fut en tout solennel, et répandit dans le ciel une nouvelle gloire accidentelle. Ceux qui en reçurent le plus, ce furent son très-chaste époux saint Joseph, saint Joachim, sainte Anne et tous les autres parents de notre auguste Reine, et encore les mille anges de sa garde.

778. En contemplant le corps glorieux de la grande Reine, les saints découvrirent sur sa poitrine la formé d'un petit globe lumineux d'une beauté et d'une splendeur singulières, qui leur causa et leur cause encore une admiration et une joie incomparables. Et c'est comme une récompense et un témoignage de ce qu'elle a conservé dans son coeur, comme dans un digne sanctuaire, le Verbe incarné sous les espèces sacramentales, et de ce qu'elle l'avait reçu si dignement, avec des dispositions si pures et si saintes, sans la moindre imperfection, mais avec une souveraine dévotion, avec un respect et un amour tels, que jamais aucun saint n'y a pu parvenir. Quant aux autres récompenses qui correspondaient à ses vertus et à ses oeuvres sans égales, je ne saurais trouver de termes assez propres pour les exprimer; c'est pour quoi j'en remets la connaissance jusqu'à la vision béatifique, où chacun les découvrira selon qu'il l'aura mérité par ses oeuvres et par sa dévotion. J'ai dit au chapitre dix-neuvième de ce livre que la mort de notre Reine arriva le 13 août. Sa Résurrection, son Assomption et son Couronnement eurent lieu un dimanche, le 15 du même mois, jour auquel la sainte Église en célèbre la fête. Son sacré corps demeura

 

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dans le sépulcre trente-six heures, comme celui de son très-saint Fils : car sa mort et sa résurrection arrivèrent aux mêmes heures auxquelles notre adorable Rédempteur mourut et ressuscita. J'ai fait plus haut la supputation des années, à l'endroit où j'ai dit que cette merveille s'accomplit dans l'année 55 du Seigneur, de laquelle s'étaient écoulés les mois qu'il y a depuis la naissance du même Seigneur jusqu'au 15 août.

779. Laissons notre grande Dame à la droite de son très-saint Fils, où elle règnera pendant les siècles des siècles, et revenons aux apôtres et aux disciples, qui, sans pouvoir essuyer leurs larmes, entouraient le sépulcre de la bienheureuse Marie dans la vallée de Josaphat. Saint Pierre et saint Jean, qui y demeurèrent avec plus d'assiduité, remarquèrent le troisième jour que la musique céleste avait cessé, puisqu'ils ne l'entendaient plus; et, éclairés de l'Esprit divin, ils en conclurent que la très-pure Mère était ressuscitée et élevée au ciel en corps et en âme comme son adorable Fils. Ils se communiquèrent leur pensée, et s'y confirmèrent mutuellement; saint Pierre, comme chef de l'Église , décida qu'il fallait s'assurer du prodige; afin que la réalité en fût manifestée à tous ceux qui avaient été témoins de la mort et de la sépulture de l'auguste Vierge. Pour cela il assembla le même jour tous les apôtres, tous les disciples et les autres fidèles auprès du sépulcre. Il leur exposa les raisons qu'il avait d'attester à l'Église la vérité de ce prodige, qui obtiendrait la vénération de, tous les siècles; et. procurerait

 

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une grande gloire au Seigneur et à sa très-sainte Mère, lls approuvèrent tous le sentiment du vicaire de Jésus-Christ, et par son ordre ils enlevèrent aussitôt la pierre qui fermait le sépulcre, et y ayant bien regardé partout, ils n'y trouvèrent point le corps sacré de la Reine du ciel; sa tunique y était tendue comme lorsqu'elle le couvrait, de sorte qu'on voyait qu'il avait pénétré la tunique et la pierre sans les remuer ni les déranger; saint Pierre prit la tunique et le suaire, et les honora avec une juste vénération. Tous les autres en firent de même, convaincus de la résurrection et de l'assomption de la bienheureuse Marie; et, partagés entre la joie et la douleur, ils célébrèrent avec de douces larmes cette mystérieuse merveille, et chantèrent des psaumes et des hymnes à le louange et à la gloire du Seigneur et de sa très-sainte Mère.

780. Mais ils restaient tous à regarder le sépulcre, absorbés dans leurs tendres regrets, sans pouvoir s'en éloigner, jusqu'à ce que l'ange du Seigneur descendît, et se manifestant à eux, leur dit : « Hommes de Galilée,  de quoi vous étonnez-vous, et pourquoi vous arrêtez-vous ici ? Votre Reine et la nôtre est maintenant  en corps et en âme dans le ciel, ou elle règne pour toujours avec Jésus-Christ. Elle m'envoie afin que  je vous confirme cette vérité, et pour vous dire  de sa part qu'elle vous recommande de nouveau  l'Église, la conversion des âmes et la prédication  de l'Évangile; elle veut que vous repreniez au plustôt le ministère dont vous êtes chargés, et

 

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quoiqu'elle soit dans la gloire, elle ne laissera pas de  vous assister. » Ces paroles encouragèrent les apôtres, et dans leurs voyages ils expérimentèrent la protection de notre charitable Reine , surtout à l'heure de leur martyre , car alors elle leur apparut à tous, et présenta leurs âmes au Seigneur. On rapporte diverses autres choses de la mort et de la résurrection de la bienheureuse Vierge, mais comme elles ne m'ont pas été manifestées, je ne les écris point; du reste, dans toute cette divine histoire , je n'ai pas eu à choisir mes matières, et je n'ai pu dire que ce qui m'a été enseigné, et ce qu'il m'a été prescrit d'écrire.

 

Instruction que m'a donnée la grande Reine du ciel la bienheureuse Marie.

 

817. Ma fille, si quelque chose était capable de diminuer la joie de la gloire ineffable que je possède, et si dans cet heureux état je pouvais recevoir quelque peine , assurément je serais fort affligée de voir la sainte Église et le reste du monde dans la triste situation où ils se trouvent maintenant, tandis que les hommes savent due je suis dans le ciel leur Mère, leur Avocate et leur Protectrice pour les secourir et pour les conduire à la vie éternelle. Cela étant, et le Très-Haut m'ayant accordé , comme à sa Mère et à raison

 

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des autres titres que vous avez fait connaître, tant de privilèges que je fais servir et que j'applique en faveur des mortels avec une bonté et une clémence toutes maternelles, je serais, dis-je, fort affligée, si je pouvais l’être, de voir qu'ils ne s'en servent point pour leur propre avantage, et que tant d'âmes se perdent parce qu'elles ne m'invoquent pas du fond de leur coeur; cette vue seule suffirait pour déchirer mes entrailles de miséricorde. Mais si je suis à l'abri de la douleur, je n'en ai pas moins un juste sujet de me plaindre des hommes qui se procurent à eux-mêmes la peine éternelle, et qui ne veulent point me donner cette gloire de procurer leur salut.

782. On n'a jamais ignoré dans l'Église ce que vaut mon intercession et le pouvoir que j'ai dans le ciel pour secourir tous les mortels, puisque j'ai établi la certitude de cette vérité par une infinité de miracles et de merveilles que. j'ai opérés via faveur de mes dévots; j'ai toujours été libérale envers ceux qui m'ont invoquée dans leurs besoins, le Seigneur les a aussi favorisés à ma considération; et cependant , quoique le nombre dm âmes que j'ai assistées soit fort grand, il est bien petit par rapport à celles que je puis et que je désire assister. Pendant que le monde passe et que les siècles continuent leur marche rapide, les mortels tardent à se convertir à Dieu et à le connaître ; les enfants de l'Église s'embarrassent dans les pièges du démon , le nombre des pécheurs augmente aussi bien que celui des péchés, parce que la charité se refroidit, quoique Dieu se soit fait homme, qu'il

 

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ait enseigné le monde par sa vie et par sa doctrine, qu'il l'ait racheté par sa Passion et par sa mort, qu'il ait établi la loi évangélique, toujours efficace si la créature veut concourir de son côté, qu'il ait éclairé l'Église au moyen de tant de miracles, de lumières et de bienfaits, par lui-même et par ses saints, et qu'il ait en outre ouvert les portes de ses miséricordes par sa bouté et par mon intercession, en me signalant comme la Mère, la Protectrice et l'Avocate de tous les mortels , au profit desquels je m'acquitte de ces offices avec tant de ponctualité, de charité et de zèle. Après cela doit-on être surpris si la justice divine est irritée, puisque les hommes s'attirent eux-mêmes par leurs péchés le châtiment qui les menace et qu'ils commencent à sentir? N'est-il pas évident que par toutes ces circonstances leur malice arrive à son plus haut degré ?

783. Tout cela, ma fille, est incontestable; mais ma bouté maternelle surpasse toute cette malice, incline la miséricorde infinie, arrête la divine justice, et le Très-Haut est disposé à distribuer libéralement ses trésors infinis, et à favoriser les mortels s'ils veulent profiter de mon intercession, et s'ils me portent à l'interposer avec efficace, en sa divine présence. C'est là la voie sûre à suivre ; c'est le puissant moyen à employer pour améliorer la situation de l'Église, pour remédier aux maux des royaumes catholiques, pour propager la foi, pour rendre la paix aux familles et aux États, et pour ramener les âmes à la grâce et à l’amitié de Dieu. J'ai, voulu, ma fille,

 

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que vous travaillassiez et que vous m'aidassiez:en cette cause autant que vos forces vous le permettraient, avec l'assistance de la vertu divine. Vous ne devez pas voua imaginer que vous aurez. satisfait à cette obligation en écrivant ma vie, mais il faut encore que vous l'imitiez en profitant de mes conseils et des instructions salutaires que vous avez reçues avec tant d'Abondance, tant en ce que vous avez écrit, qu'au milieu d'autres faveurs innombrables qui ont suivi celle que le Très-Haut vous a faite de vous avoir choisie pour écrire ma vie. Considérez bien, ma très-chère fille, l'étroite obligation que vous avez de m'obéir comme à votre unique Mère, à votre véritable Maîtresse, à votre légitime Supérieure, puisque j'exerce envers vous tous ces offices, en vous comblant de tant d'autres bienfaits insignes; et que vous avez renouvelé maintes fois les voeux de votre profession entre mes mains , en me promettant alors une obéissance particulière. Souvenez-vous des promesses que vous avez faites si souvent au Seigneur et à ses anges; nous vous avons manifesté notre volonté, qui est que vous soyez, viviez et agissiez comme eux , que vous participiez dans la chair mortelle aux qualités et aux opérations angéliques, et que vous n'ayez, de conversation et de rapports,qu'avec ces esprits très-purs; et de même qu'ils se communiquent les uns aux autres leurs lumières, et que les supérieurs éclairent les inférieurs, de même ils vous instruiront des perfections de votre Bien-Aimé, et vous feront part de la lumière dont vous avez besoin pour pratiquer toutes les vertus, et

 

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surtout la charité, qui en est la reine, et qui vous enflammera de l'amour de votre divin Maître et de votre prochain. Vous devez aspirer à cet état de toutes vos forces, afin de mériter que le Très-Haut accomplisse en vous sa très-sainte volonté, et se serve de vous pour tout ce qu'il désire. Que sa puissante droite vous accorde sa bénédiction éternelle, quelle vous manifeste la joie de sa face et vous donne sa pais : tâchez, de votre côté, de ne pas vous en rendre indigne.

 

CHAPITRE XXIII. Acte de louanges et d'actions de grâces que moi la moindre des mortels, soeur Marie de Jésus, a fait au seigneur et à sa très-sainte Mère, pour avoir écrit cette divine histoire avec l'assistance de la Reine du ciel elle-même. — Suit une lettre qu'elle adresse aux religieuses de son Monastère.

 

784. Je vous bénin, Dieu éternel, Seigneur du ciel et de la terre, Père, Fils, et Saint-Esprit, un seul et véritable Dieu, substance et majesté unique en une trinité de personnes, je vous bénis de ce que, sans qu'il y ait aucune créature qui vous ait donné quelque chose la première, pour en attendre la récompense (1)

 

(1) Rom., XI, 35.

 

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vous découvrez par votre seule clémence ineffable, vos mystères aux petits (f) , et de ce que vous le faites avec une bonté immense et avec une sagesse infinie; vous accomplissez en cela votre bon plaisir : qui sera assez osé que d'y trouver à redire? Par vos oeuvres vous glorifiez votre saint nom, vous exaltez votre toute- puissance, vous manifestez votre grandeur, vous déployez vos miséricordes, et vous établissez la gloire qui vous est due connue saint, sage , puissant, bon , libéral , le seul principe et le seul auteur de tout bien. Personne n'est saint comme vous, personne n'est fort connue vous (2); vous ètes le seul Très-Haut qui tirez l'indigent de la poussière, et qui életez le pauvre du fumier (3). 0 Dieu suprême ! la terre Nous appartient, et les cieux sont à vous (4). Vous ètes le Seigneur et le Dieu véritable de toute science (5), vous ôtez et vous donnez la vie (6), vous humiliez et vous abattez les superbes jusque dans l'abime, vous élevez les humbles selon votre volonté , vous faites le pauvre et vous faites le riche (7) , afin que nul homme ne se glorifie devant vous (8), que le plus fort ne présume point de sa force, et que le plus faible ne perde point courage à cause de sa fragilité et de sa bassesse.

785. Je vous glorifie, Seigneur véritable, Jésus-Christ, Roi et Sauveur du monde. Je loue votre saint

 

(1) Matth, XI, 45. — (2) I Reg., II, 2. — (3) Ps. CXII, 7. — (4) Ps. LXXXVIII, 12. — (5) I Reg., II, 3. — (6) Ibid., 6. — (7) Ibid., 7. — (8) I Cor., I, 29.

 

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nom, et je donne la gloire à Celui qui donne la sagesse. Je vous exalte , auguste Souveraine des cieux, bienheureuse Marie, digne Mère de mon Seigneur Jésus-Christ, Temple vivant de la Divinité, dépositaire des trésors de sa grâce , principe de notre salut, Réparatrice de la ruine générale du genre humain, nouvelle joie des saints, gloire des oeuvres du Très-Haut, et unique instrument de sa toute-puissance. Je vous bénis, très-douce Mère de miséricorde, refuge des misérables, protectrice des pauvres, consolation des affligés; je vous glorifie sous ces titres, et tout ce que les anges et les saints reconnaissent en vous, par vous et de vous, je le reconnais; de tout ce dont en vous et par vous ils louent et glorifient la Divinité, je la loue et la glorifie à mon tour, et pour toutes choses et en toutes choses je vous bénis, je vous magnifie, je vous confesse et je vous crois, ô Reine et Maîtresse de tout ce qui est créé , qui, par votre seule et puissante intercession, et parce que les yeux de votre clémence m'ont regardée, avez porté votre très-saint Fils à jeter sur moi ceux de sa miséricorde paternelle, et à ne pas dédaigner, à votre considération, de choisir ce vermisseau de terre et la moindre de ses créatures pour manifester ses vénérables et mystérieux secrets. Le torrent de mes péchés, de mes ingratitudes et de mes misères n'a pu éteindre sa charité immense (1) , et mes honteuses et grossières infidélités n’ont pas été capables d'arrêter les écoulements de la

 

(1) Cant., VIII, 7.

 

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lumière et les communications de la sagesse divine dont il m'a favorisée.

756. Je déclare, ô Mère très-bénigne, en présence du ciel et. de la terre , que j'ai lutté contre moi-même et contre mes ennemis, et que mon âme s'est troublée, placée entre le sentiment de mon indignité et le désir de la sagesse. J'ai élevé mes mains en haut et j'ai déploré l'égarement de mon esprit (1); j'ai dirigé mon coeur vers la sagesse, et je l'ai trouvée dans la connaissance de moi-même (2); avec cette connaissance j'ai, possédé la paix, et quand je l'ai aimée et cherchée, j'ai trouvé une bonne possession et je n'ai pas été confondue (3). La douce force de la sagesse a opéré en moi (4), elle m'a découvert les choses les plus secrètes et les plus incertaines pour la science humaine (5). Elle vous a mise devant mes yeux, auguste Marie, magnifique image de la Divinité et Cité mystique de sa demeure, afin que, dans la nuit de cette vie mortelle, vous me guidiez comme une étoile, et que vous m'éclairiez comme la lune du divin Soleil, afin que je vous suive comme ma Reine, que je vous aime comme ma Mère, que je vous obéisse comme à ma Directrice, due je vous écoute comme ma Maîtresse, et qu'en me regardant en vous comme dans un miroir sans tache et très-pur, je réalise en moi le modèle de la haute perfection et de la sainteté que vous m'avez présenté par la connaissance et le nouvel

 

(1) Eccles., LI, 26. — (2) Ibid., 27. — (3) Ibid., 28. — (4) Sap., VIII,1, etc. — (5) Ps. L., 7.

 

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exemple de vos vertus ineffables et de vos actions héroïques.

787. Mais qui a pu porter la Majesté souveraine à s'abaisser ainsi jusqu'à cette vile esclave, sinon vous, ô rua puissante Reine, qui êtes la grandeur de l'amour, l'étendue de la charité , le prodige de la grâce , Celle qui nous attire la miséricorde et qui a comblé les abîmes que les péchés de tous les enfants d'Adam out creusés! La gloire, ô Vierge sainte ! vous appartient, et cet ouvrage que j'ai écrit vous appartient aussi , non-seulement parce qu'il contient votre très-sainte et très-admirable vie, mais parce que vous lui avez donné le commencement, le milieu et la fin; et si vous ne l'eussiez dicté vous-même comme Maitresse, jamais l'esprit humain n'aurait pu le concevoir. Chargez-vous donc de la reconnaissance , car vous seule la pouvez rendre dignement à votre très-saint Fils, notre Rédempteur, pour tut si rare bienfait. Pour moi je ne puis que vous en supplier au nom de la sainte Église et au mien. C'est ce que je désire faire, ô Mère et Reine des vertus! et, humiliée profondément en vitre présence, je confesse que j'ai reçu cette faveur et tant d'autres que je n'ai jamais pu mériter. Je n'ai écrit que ce que vous m’avez enseigné et prescrit, je ne suis qu'un muet instrument de votre langue, mit et dirigé par vote sagesse. Perfectionnez cet ouvrage de vos mains , non-seulement en le faisant dignement servir à la gloire du Très-Haut, mais en achevant encore ce qui y manque, afin que j'exerce votre doctrine, que je suive vos traces, que j'obéisse à vos

 

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commandements, et que je coure à l'odeur de vos parfums (1), qui est le doux baume de vos vertus que voua avez répandu dans cette histoire avec une bonté ineffable.

788. Je me reconnais, ô Impératrice du ciel! comme la plus indigne et en même temps la plus redevable des enfants de la sainte l'Église. Et afin qu'elle ne soit pas témoin devant le Très-Haut et-devant vous d'une monstrueuse ingratitude de ma part, je déclare, je promets et je veux que l'on sache que je re-nonce à tout ce qui est visible et terrestre, et que j'assujettis de nouveau nia liberté sous l'empire de la volonté divine et de la vôtre, pour n'user de mon libre arbitre qu'en vue de son bon plaisir et pour sa plus grande gloire. Je vous prie, ô vous qui êtes bénie entre tontes les créatures, de ne point permettre, puisque par la clémence du Seigneur et par la vôtre j'ai, saris l'avoir mérité, le titre de soli épouse, que vous m'avez donné celui de fille et de disciple, et que le Seigneur Cotre Fils a daigné lui-même me le confirmer si souvent, de ne point permettre, ô très-pure Princesse, que je déchoie de ces titres honorables. Vous m'avez assistée de votre protection pour écrire votre vie miraculeuse, aidez-moi maintenant à pratiquer votre doctrine, en laquelle consiste la vie éternelle. Vous m'ordonnez de vous imiter, gravez en moi votre vive image. Vous avez sensé le bon gratin en mon cœur terrestre, conservez-le, arrosez-le, vous qui

 

(1) Cant., I, 3.

 

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êtes ma Mère, ma Gouvernante et ma Maîtresse, et faites qu'il rapporte du fruit au centuple (1); empêchez qu'il ne me soit enlevé par les oiseaux de proie, le dragon et ses démons, dont j'ai vu la colère dans tous les événements de votre vie que j'ai rapportés. Conduisez-moi jusqu'à la fin, commandez-moi comme Reine, enseignez-moi comme Maîtresse, et corrigez-moi comme Mère. Recevez en reconnaissance votre vie même, et la souveraine satisfaction que par elle vous avez donnée à la très-sainte Trinité, comme étant l'abrégé de ses merveilles. Que les anges et les saints vous louent, que toutes les nations vous connaissent, que toutes les créatures bénissent éternellement leur Créateur en vous et par vous, et que toutes les puissances de mon âme vous exaltent.

789. J'ai écrit cette divine histoire (comme j'ai dû le répéter si souvent) par ordre de mes supérieurs et de mes confesseurs qui dirigent mon âme, m'assurant par ce moyen que c'était la volonté de Dieu que je l'écrivisse et que j'obéisse à sa bienheureuse Mère, qui me l'a prescrit pendant plusieurs années, et quoique je l'aie soumise tout entière au jugement de mes confesseurs, sans qu'il y ait une phrase qu'ils n'aient vue et examinée avec moi , je la soumets néanmoins de nouveau à leur censure plus approfondie, et surtout à la correction de la sainte Église catholique romaine, à. l'enseignement de laquelle je proteste que je me soumets, comme étant sa fille, pour ne croire

 

(1) Luc., VIII, 8.

 

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que ce que la même sainte Église notre mère approuvera, et pour condamner ce qu'elle condamnera, parce que je veux vivre et mourir sous son obéissance: Ainsi soit-il.

 

Aux religieuses de la Conception-Immaculée de la ville d'Agréda, de la province de Burgos, filles de notre père saint François, soeur Marie de Jésus, leur indigne servante et abbesse, au nom de l'auguste Reine la bienheureuse Marie, conçue sans la tache du péché originel.

 

1. Mes bien-aimées filles et très-chères soeurs présentes et à venir dans ce monastère de l'Immaculée-Conception de notre grande Reine, dès l'heure ou la providence du Seigneur m'eut attribué les fonctions de supérieure, que je remplis indignement en vertu de la sainte obéissance, mon coeur fut percé de deux traits de douleur qui le pénètrent et le déchirent encore à présent. D'abord je sentis une vive crainte en voyant remis entre fines mains et sous ma garde le vase du plus précieux du sang de notre Sauveur Jésus-Christ ; c'est-à-dire l'état et les âmes de Vos Révérences, appelées et choisies en vertu de sa Passion et de sa mort pour la plus grande pureté de vie et pour la plus haute sainteté. Ce grand trésor déposé dans des vases fragiles (1), et confié à

 

(1) II Cor., IV, 7.

 

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un autre vase plus terrestre et plus exposé à se briser, c'est-à-dire à la moindre religieuse, à la plus tiède et à la plus négligente, me causa une grande surprise et une peine plus grande encore. Je sentis ensuite une vive inquiétude qui était la conséquence de cette crainte : car comment celle qui ne sait pas garder sa vigne, gardera-t-elle les vignes des autres (1)? Avec quelle tristesse celle qui trouvait dans l'obéissance sa consolation et le remède à ses misères, ne devait-elle pas perdre un bien qu'elle connaissait, et commencer à exercer une autorité qu'elle ignorait? Vos Révérences ont ouï dire plusieurs fois que la pureté virginale et la chasteté religieuse est le premier fruit, le plus odoriférant et le plus doux de la vie et de la mort de notre Rédempteur Jésus-Christ, que c'étaient les titres honorables que notre séraphique Père saint François donnait à cette vertu. Que si le Sauveur a versé pour tous le sang de sen veines sacrées (2), nous devons être persuadées, nous antres religieuses, qu'il nous a appliqué ce sang et surtout celai de son coeur; car ce n'est pas sans mystère qu'il dit lui même à l'Épouse qu'elle lui a blessé le coeur (3); qui se laisse blesser le coeur ne veut point refuser son sang, et, il semble qu'il le verse et le donne avec on plus grand amour. Au moins, mes très-chères soeurs, nous savons toutes par lit doctrine véritable et. catholique, dans laquelle la sainte Église notés élève , que notre seigneur Jésus-Christ traite les âmes pures comme ses épouses, avec

 

(1) Cant., I, 6. — (2) II Cor., V, 15. — (3) Cant., IV, 9.

 

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une tendre familiarité, et qu'il leur fait des caresses et des faveurs toutes particulières, comme trouvant en elles ses délices et le fruit de son sang , de sa vie , de sa doctrine, de sa Passion et de sa mort douloureuse : cette vérité est établie dans toute l'Écriture, et spécialement dans les mystères du Cantique des cantiques que Vos Révérences méditent chaque jour.

2. Vous ne vous étonnerez donc pas de ma douleur et de mon inquiétude, et si vous ne voulez pas tant examiner ma faiblesse, que chacune de vous examine du moins la sienne propre. Considérez que nous sommes toutes formées du même limon et d'une pâte aisée à se rompre, des femmes imparfaites et ignorantes , et qu'aucune ne l'est plus que celle qui devrait l'étre moins ; c'est ce que vous devez toutes reconnaître et avouer, afin que nous craignions toutes le péril. Vos Révérences pourraient comprendre combien celui de la supérieure est plus grand que celui des inférieures, si elles mettaient dans un bassin de la balance leur tranquillité et leurs consolations, et dans l'autre mes soucis et mes afflictions. Il y a trente ans accomplis que je remplis indignement et malgré moi cet office. Or de quelle consolation ou de quel repos peut jouir une supérieure, sachant que si elle dort, si seulement elle sommeille, elle hasarde le trésor qui lui a été confié, puisque le Seigneur, pour nous assurer qu'il garde Israël , nous dit qu'il ne dort ni ne sommeille (1) ?

 

(1) Ps. CXX, 4.

 

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3. C'est beaucoup que Dieu ordonne à une créature terrestre et faible de ne point dormir; mais si on lui demande de ne pas sommeiller, qui pourrait se promettre de le faire, si le Seigneur même n'était la sentinelle qui nous garde avec vigilance, la vertu qui nous donne des forces, la lumière qui nous conduit, le bouclier qui nous défend, et l'auteur de toutes nos bonnes oeuvres? Vos Révérences m'ont vue plusieurs fois affligée, d'autres fois impatiente et toujours craintive dans cet office; et je vous avoue que par l'expérience de mes négligences j'y aurais perdu courage, si Dieu ne m'eût fortifiée comme Père de la consolation et des miséricordes. Je ne puis pas oublier les ordres qu'il m'a donnés et les promesses qu'il m'a faites, et j'avoue que, le cas échéant, il m'a toujours prescrit d'accepter cet office et d'obéir à mes supérieurs, me promettant l'assistance de sa puissante grâce; et pour me tranquilliser et me satisfaire davantage, le Seigneur a toujours porté nos supérieurs, sans que j'eusse manifesté ses ordres, à m'obliger par leur autorité de l'accepter; et l'obéissance étant toujours le parti le plus sûr, je me suis soumise su joug qui m'a été imposé de gouverner Vos Révérences.

4. Le Seigneur daigna joindre par l'entremise de sa divine Mère une autre assurance à celle-là; car cette charitable Reine m'informa qu'il était convenable que j'obéisse au Très-Haut et à ses ministres, en me chargeant du soin de sa maison; et afin de satisfaire le désir que j'avais d'obéir et d'être inférieure,

 

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elle me promit avec une bonté maternelle qu'elle exercerait à mon égard l'office de supérieure, qu'elle me dirigerait en tout, que je lui obéirais, et que Vos Révérences m'obéiraient. C'est dans cette occasion, à l'époque où je pris le gouvernement, que la bienheureuse Mère m'ordonna d'écrire l'histoire de sa vie; elle me fit connaître que c'était sa volonté et celle de son très-saint Fils , comme je l'ai déclaré dans ma première Introduction, où j'ai aussi dit que ces ordres furent réitérés, à cause du retard que j'apportais à commencer l'ouvrage. Je connus dès le premier jour la grandeur de cette entreprise, et ce ne fut pas ce qui me décourageait le moins, quoique le légitime empêchement pour m'excuser d'écrire sur une matière si sainte et si sublime, fussent mes péchés et mes tiédeurs. Je ne fus pas fort instruite dans les commencements des fins que le Seigneur a eues en cet ouvrage, car il me suffisait d'obéir su Très-Haut et à mes supérieurs, sans éplucher sa sainte volonté. Ensuite, dans le cours de cette histoire, j'ai dit ce que la grande Reine du ciel m'a ordonné et manifesté pour ce: qui regardait mon propre avancement aussi bien que celui de Vos Révérences, comme vous le verrez lorsque vous lirez cette très-sainte vie, où vous trouverez beaucoup d'avis et d'instructions que la même Reine m'a prescrit de vous transmettre.

5. Mais à la fin de cette histoire, je veux m'expliquer d'une manière plus complète, en faisant connaître à Vos Révérences l'obligation en laquelle notre grande Reine les a mises; car j'ai souvent découvert

 

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dans son cœur maternel l'amour particulier avec lequel elle regarde ce pauvre monastère; et j'ai su que c'est pour cela, et parce qu'elle agrée vos bons désirs et vos prières, qu'elle a daigné nous faire cette faveur singulière, à nous et à celles qui viendront après nous, de nous donner sa très-sainte vie comme un modèle et un miroir brillant et sans tache, afin que nous perfectionnions la nôtre. Et quand je n'aurais point d'autres raisons pour connaître. cette volonté de notre charitable Maîtresse, elle résulterait bien clairement pour tout le monde de l'ordre même qu'elle m'a donné d'écrire sa très-sainte vie. Cette bonté si maternelle modéra mes peines, dissipa ma tristesse, et ranima mon coeur affligé , car il est certain, mes sœurs, qu'encore que je fusse si tiède, je sentis que je devais travailler autant qu'il dépendait de moi , à vous porter à être des anges par la pureté, zélées pour la perfection , enflammées de l'amour qu'exigent le nom que nous avons et l'état que nous professons de filles de la très-pure Marie, et d'épouses de son très-saint Fils notre Rédempteur.

6. Je pouvais bien souhaiter tout cela et plusieurs autres biens à Vos Révérences, mais je ne pouvais point les mériter, et je ne me trouvais point non plus capable de vous nourrir de la doctrine et de vous former par les exemples dont vous aviez besoin et que je devais vous donner. Notre très-douce Reine y suppléa en se donnant elle-même à nous comme Maîtresse et comme exemplaire; et ce fut le plus grand bienfait qu'elle prit nous accorder en la vie mortelle

 

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en laquelle nous nous trouvons. Nous avons reçu encore une autre faveur bien particulière que vous connaissez , mais dont vous n'appréciez pas assez toute la valeur; et vous ne devez pas croire, ni celles qui viendront après vous , que ce soit une simple cérémonie et une dévotion ordinaire : c'est d'avoir été toutes inspirées par un sentiment mystérieux d'élire et de nommer l'auguste Marie conçue sans péché originel, patronne et supérieure de cette communauté. Je proposai ce dessein à Vos Révérences pour les raisons que j'ai dites, et pour plusieurs autres qu'il n'est pas nécessaire de rappeler; ensuite nous finies ensemble un écrit, où nous déclarâmes prendre la grande Reine du ciel pour notre patronne; et que nous conservons, afin qu'aucune de celles qui viendront après nous, ne l'ignore et n'y déroge, et que toutes les supérieures de ce monastère se regardent comme les coadjutrices. et les vicaires de la bienheureuse Marie,, notre unique et perpétuelle supérieure, et afin que nous lui obéissions toutes, puisque tout notre bonheur consiste en cela.

7. La divine Mère m'accorda cette faveur à cette condition, parce que je suis la première supérieure de ce monastère, et celle qui en avait un plus grand besoin, comme la plus inférieure et la plus indigne des créatures. Et comme ce bienfait fut une confirmation du premier, je veux que Vos Révérences sachent que notre grande Reine a accepté l'élection que nous en avons faite pour être notre patronne et notre supérieure, et que son très-saint Fils l'a confirmée :

 

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telle est la force que cette élection a dans le ciel. Après toutes ces précautions, j’ai remis entre les mains de la très-pure Marie le vase du précieux sang que le Seigneur m'a confié en me chargeant du soin des âmes de Vos Révérences, pour qu'il soit aussi en sûreté que je le désire. Et comme je n'ai pas été dégagée par là des obligations de la responsabilité qui m'incombent, je me jette sus pieds de Vos Révérences et de toutes celles qui viendront dans ce monastère, et. je vous prie au nom du Seigneur lui-même et de son auguste Mère, de vous reconnaître plus étroitement et plus fortement liées par les douces chaînes de l'amour divin que toutes les autres filles de l'Église et de notre saint institut. Abandonnez donc, mes très-chères soeurs, le monde; oubliez-le de tout votre coeur, sans vous souvenir des créatures ni de la maison de vos parents (1); débarrassez vos puissances et vos sens des images et des soins des choses passagères, car vous avez beaucoup à faire pour vous acquitter de cette dette, et vous ne sauriez contenter notre Seigneur Jésus-Christ et sa très-douce Mère par une vertu ordinaire et commune, mais seulement par une vie et par une pureté angéliques. On doit mesurer le retour par le bienfait que l'on a reçu. Or comment satisferez-vous avec ce que les autres âmes font pour satisfaire à leur obligation, si vous devez plus qu'elles toutes? Notre Sauveur. Jésus-Christ aurait pu se borner, à faire à l'égard de ce monastère

 

(1) Ps., XLIV, 11.

 

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ce qu'il fait communément à l'égard des autres, aussi bien que sa très-sainte Mère; mais sa divine clémence s’est montrée prodigue envers nous. Cela étant, serait-il juste, serait-il raisonnable que nous ne noue signalions point par notre amour, par notre humilité, par notre pauvreté, par notre oubli du monde et par. la perfection de notre vie?

8. Notre grande Reine et notre auguste Maîtresse s'acquitte de cet office comme une très-fidèle et une véritable Supérieure: En voici une preuve : Quand , sur le point d'achever d'écrire cette troisième partie, je me demandais comment je lui dédierais l'histoire de sa très-sainte Vie, elle répondit à mon désir en me témoignant qu'elle l'approuvait et qu'elle l'agréait, parce que tout ce que cette histoire contenait venait d'elle; mais ensuite elle me prescrivit de la dédier à Vos Révérences, afin de vous enseigner en elle et par elle le chemin de la vie et de la perfection très-sublimes auxquelles nous sommes appelées, et pour lesquelles nous avons été tirées du monde. Et comme c'est là surtout ce que j'ai voulu vous faire connaître par ce que j'écris ici, j'ai cru devoir vous rapporter les paroles mêmes par lesquelles l'auguste Vierge m'a prescrit de vous l'annoncer de sa part; et pendant que notre charitable Supérieure parlera, je me tairai. Voici quelles furent ses paroles

9. « Ma fille, dédiez cette histoire de ma vie à vos religieuses, nos inférieures; et dites-leur de ma part que je la leur donne comme le miroir devant lequel elles doivent orner leurs âmes, et comme

 

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les tables de la divine loi, qui y est exposée dans  les termes les plus clairs. Je veux qu'elles se gouvernent et qu'elles règlent leur vie par elle; exhortez-les donc vivement à l'apprécier, à l'estimer et  à la graver dans leur coeur, fin qu'elles ne l'oublient jamais. J'ai manifesté au monde son remède, et à elles en premier lieu, afin qu'elles marchent sur mes pas, dont je leur montre si clairement la  trace, et tout a été fait par la providence du Très-Haut. Sa divine Majesté veut que les religieuses  de ce monastère observent inviolablement trois  choses. La première est d'oublier le monde, de  s'abstenir de toute espèce de relation et d'amitié  intime avec les créatures, de quelque état, de  quelque sexe ou de quelque condition qu'elles   soient; et de ne parler que rarement à des personnes du siècle, et jamais en tête-à-tête, fût-ce  pour de bonnes fins, si ce n'est au confesseur pour  se confesser. La seconde, de conserver entre elles  une paix et une charité inaltérables, s'aimant de  tout leur cœur les unes les autres en Dieu, sans partialité, sans divisions ni disputes, et chacune  souhaitant pour toutes ses consoeurs ce qu'elle désire pour elle-même. La troisième, de se conformer  scrupuleusement à leur règle et à leurs constitutions dans les grandes choses et dans les petites, ô comme de très-fidèles épouses de Jésus-Christ. Pour s'acquitter exactement de tout cela, elles doivent avoir une dévotion cordiale pour moi, et aussi pour l'archange Michel, et pour mon serviteur

 

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François. Et si l'une d'elles ose témérairement entreprendre d'altérer en quoi que ce soit ce qui  est écrit dans l'acte de mon patronage, ou méprise ce bienfait singulier de l'histoire de me vie telle   qu'elle est écrite, qu'elle sache qu'elle encourra  l'indignation du Très-Haut et la mienne, et qu'elle sera punie en cette vie et en l'autre avec toute la sévérité de la divine justice. Quant à celles qui, pleines de zèle pour leur âme, pour l'honneur du  Seigneur et pour le mien, travailleront à imiter cette vie, à la faire connaître et à maintenir dans la communauté la régularité, la paix et la charité  que je veux qu'on y observe, je leur donne ma   parole, comme Mère de Dieu, que je serai leur Mère, leur Protectrice et leur Supérieure; que je  les consolerai et prendrai soin d'elles durant leur vie mortelle, et qu'après je les présenterai à mon  très-saint Fils. Et si quelque autre monastère de  religieuses, soit de mon ordre de la Conception, soit de tout autre institut quelconque, veut recevoir, estimer et pratiquer cette doctrine qui se trouve dans l'histoire de ma vie, je lui fais la même promesse qu'à vos religieuses. »

10. Ce sont là les paroles de la grande Reine du ciel, après lesquelles je devrais me dispenser de vous en dire davantage, si je ne me sentais forcée de continuer par la tendre affection que je dois avoir pour Vos Révérences, après qu'elles m'ont supportée tant d'années non-seulement comme sœur, mais même comme leur supérieure, malgré toute mon indignité.

 

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Je ne puis refuser cette marque de reconnaissance à une pareille charité, et je n'y saurais mieux satisfaire qu'en vous priant avec les plus vives instances de n'oublier jamais les promesses et les menaces que vous avez entendues, considérant qu'elles ont été faites par une Maîtresse souverainement puissante, aussi libérale pour accomplir ce qu'elle promet, que sévère pour châtier ceux qui l'offensent. Je désire profondément inculquer dans votre esprit cet avis important, et suppléer par mes pressantes exhortations à la brièveté de la vie; car si je ne sais pas jusqu'où le Seigneur me la prolongera, je sais que la vie la plus longue est très-courte pour satisfaire à tant d'obligations; c'est pourquoi je voudrais que toutes les conversations de Vos Révérences ne servissent qu'à leur rappeler avec cet avis les bienfaits du Seigneur et ceux de sa bienheureuse Mère, à l'exclusion de tout autre souvenir.

11. Souvenez-vous aussi, mes bien-aimées soeurs, non-seulement des bienfaits cachés et secrets, mais encore des bienfaits publics que Dieu a répandus sur ce monastère dès le premier jour de sa fondation, les augmentant chaque jour avec une clémence libérale. Tout le monde a trouvé miraculeux qu'il se soit établi nonobstant la pauvreté de mes parents, et que les volontés des personnes qui composaient leur famille se soient accordées pour cela; car il eût semblé impossible d'unir six personnes pour le même dessein, si la droite du Très-Haut n'eût agi. En très-peu de temps notre maison fut établie sans avoir les

 

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sources nécessaires pour faire face à nos premiers besoins, et pour distribuer d'une manière convenable notre couvent si exigu; et ce qu'a opéré alors la divine grâce a excité l'admiration de tous les fidèles. Nous avons encore reçu plusieurs autres bienfaits qu'il n'est pas nécessaire de rapporter, puisque Vos Révérences les ignorent, mais qui ne laissent pas d'obliger les coeurs humbles et reconnaissants à rendre à Dieu de justes actions de grâces pour tant de bonté, et à donner au monde la satisfaction que nous lai devons, en faisant tout notre possible pour devenir telles et aussi bonnes qu'il nous croit, et plus parfaites que nous ne l'avons été jusqu'à présent. Vos Révérences ont vu en un court laps de temps tout ce que je viens de dire.

12. Et afin de conclure avec une plus grande efficace la prière et l'exhortation que je vous fais, je rapporterai, quelque chose de ce qui m'est arrivé lorsque j'avais déjà entrepris cette histoire, puisque nos Supérieurs m'ordonnent d'en écrire ici nue partie, afin que Vos Révérences sachent combien elles doivent estimer la doctrine de la Reine du ciel. Il m'arriva un jour de l'Immaculée Conception qu'étant au choeur pour dire Matines, je reconnus une voix qui m'appelait et qui demandait de moi une nouvelle attention pour les choses d-en bâut. A l'instant je fus élevée de cet état à un autre plus sublime, où je vis le trône de la Divinité tout resplendissant de gloire et de majesté. Il sortit du trône une voix qui me semblait pouvoir se faire entendre de tout l'univers, laquelle

 

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disait: « Pauvres abandonnés, ignorants, pécheurs,  grands, petits, malades, faibles, vous tous enfants  d'Adam , de quelque état, condition et sexe que vous soyez, prélats, princes et sujets; écoutez à tous d'un pôle à l'autre, recourez pour votre remède à ma libérale et infinie Providence, par l'intercession de Celle qui a donné la chair humaine au Verbe. Venez, car il est temps; et bientôt les a portes se fermeront, parce que vos péchés mettent des verrous à la miséricorde. Venez au plus tôt, hâtez-vous, puisque cette seule intercession empêche que ces verrous ne la ferment ; elle est seule  assez puissante pour solliciter votre remède et pour   l'obtenir.

13. Après avoir ouï cette voix du trône, je vis sortir de l’Être divin quatre globes d'une lumière admirable, qui se répandaient comme des astres très-éclatants dans les quatre parties du monde. Il me fut ensuite découvert que dans ces derniers siècles le Seigneur voulait exalter et étendre la gloire de sa bienheureuse Mère, et manifester au monde ses miracles et ses mystères cachés, réservés par sa Providence jusqu'au temps où la connaissance lui en serait le plus nécessaire, afin que tous ceux qui vivent à cette époque se prévalent du secours, de la protection et de la puissante intercession de notre auguste Reine. Je vis ensuite un dragon hideux à sept têtes sortir de l'abîme, accompagné de milliers d'autres, qui parcoururent tous ensemble le monde, cherchant et se désignant les hommes dont ils se serviraient

 

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pour s'opposer aux desseins du Seigneur, et pour tâcher d'empêcher la gloire de sa très-sainte Mère, et les bienfaits qui allaient être déposés dans sa main pour l'univers entier. Le grand dragon et ses satellites tâchaient de répandre des flots de fumée et de venin pour envelopper les hommes de ténèbres et les infecter, afin de les détourner de chercher le remède de leurs propres calamités par l'intercession de la très-douce Mère de miséricorde, et de lui décerner assez de gloire pour se la rendre favorable.

14. Cette vision des dragons infernaux me causa une juste douleur. Mais je vis aussitôt après que deux armées bien rangées se disposaient dans le ciel à combattre contre eux. L'une de ces armées était de notre grande Reine et des saints, et l'autre était de saint Michel et de ses anges. Je connus que le combat serait acharné de part et d'autre. Mais comme la justice, la raison et la puissance sont du côté de la Reine de l'univers, l'issue de la lutte n'était pas douteuse. Néanmoins la malice des hommes abusés par le dragon infernal peut beaucoup empêcher les très-hautes fins du Seigneur. En effet, il ne tend dans ses desseins qu'à nous procurer le salut et la vie éternelle; mais comme il faut que notre libre arbitre y coopère de notre côté , la perversité humaine peut aussi s'en servir pour résister à la bonté divine. Et cette cause étant celle de notre très-douce et très-charitable Reine, il faudrait que tous les enfants de l'Église la regardassent comme la leur propre ; mais cette obligation regarde de plus près les religieuses de ce

 

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monastère, parce que nous sommes les filles aînées de cette auguste Mère, que nous combattons sous son nom et sous le vocable du premier de ses privilèges et des dons qu'elle reçut en sa Conception immaculée et surtout parce que nous nous trouvons si favorisées de sa bonté maternelle.

15. Il arriva dans une autre circonstance que je me sentis fort inquiète, en me demandant si j'avais bien écrit cette divine histoire; et cette inquiétude était bien naturelle, puisque la grandeur de l'œuvre surpassait toute intelligence angélique et humaine; je comprenais que si je tombais dans quelque erreur, elle ne pouvait être légère; et je faisais d'autres réflexions qui , avec mon naturel timide et lâche, m'affligeaient beaucoup. Or, livrée à ces pensées, je fus appelée et élevée à un autre état supérieur, dans lequel je vis le trône de la très-sainte Trinité et les trois personnes divines, et la bienheureuse Vierge à la droite de son Fils, tous su milieu d'une gloire immense. Il se fit comme un silence dans le ciel, tous les anges et tous les saints étant attentifs à ce qui se passait sur le trône de la Majesté suprême. Je vis que la personne du Père tirait, comme du sein de son être infini et immuable, un très-beau livre, d'un plus grand prix et enrichi de plus d'ornements qu'on ne pourrait se l'imaginer; mais il était fermé: et l'ayant remis au Verbe incarné, il lui dit : « Ce livre  et tout ce qui y est contenu est mien ; il m'est  très-agréable. m Notre Sauveur Jésus-Christ le reçut avec une estime infinie; et, l'ayant comme

 

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approché de sa poitrine, il répéta les paroles du Père éternel, que confirma à son tour le Saint-Esprit. Puis ils le mirent entre les mains de la bienheureuse Marie, qui le reçut avec une complaisance incomparable. Je considérais la beauté et la richesse du livre, et je remarquais l'approbation qui lui était donnée sur le trône de la Divinité ; et cela excita en moi un désir très-ardent de savoir ce qu'il contenait mais une crainte respectueuse m'empêchait de le demander.

16. Bientôt la grande Reine du ciel m'appela et me dit: « Voulez-vous savoir quel livre est celui que a vous avez vu? Soyez donc attentive et regardez-le. » La divine Mère l'ouvrit, et me le présenta, afin que je pusse le lire. Je le lus, et je trouvai que c'était la même histoire de sa très-sainte vie, dans le même ordre et avec les mêmes chapitra s que je l'avais écrite. Après cela notre auguste Reine ajouta: Vous pouvez bien être maintenant tranquille. Elle me dit cela pour modérer et calmer mes craintes, comme elle le fit; car ces vérités et ces faveurs du Seigneur sont d'une telle nature, qu'elles font. à l'instant cesser tout trouble, tout doute dans l'âme, qu'elles animent d'une très-douce force, qu'elles illuminent, qu'elles satisfont et reposent. Il est vrai aussi que le superbe dragon ne se croit pas vaincu pour cela; et le Seigneur le lui permettant pour nous éprouver, il revient inquiéter l'âme comme une mouche importune. Et c'est ce qu'il a fait à mon égard, sans me laisser écrire un mot dans cette histoire' qu'il n'ait contredit

 

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avec une obstination incroyable, et par des tentations qu'il n'est pas nécessaire de rapporter. La plus ordinaire de ces tentations, c'était de me dire que tout ce que j'écrivais ne verrait que de mon imagination ou du raisonnement naturel, ou bien que tout était faux et uniquement propre à tromper le monde. Et la colère que cet ouvrage a inspirée à ce dragon est si grande, que, pour le décréditer, il s'humiliait à dire que ce n'était tout au plus qu'une méditation, et le fruit d'une oraison ordinaire.

17. Le Seigneur m'a défendue de toutes ces persécutions par le bouclier de l'obéissance et par la direction, les conseils et les instructions de mes directeurs, et pour me confirmer dans le bienfait que j'ai rapporté, il en ajouta un autre semblable à celui-là. Lorsque j'étais sur le point de finir cette histoire, un jour que je faisais oraison avec la communauté, je me trouvai placée, par les mêmes moyens que les autres fois, devant le trône de la Divinité; et après les actes et les opérations que l'âme y fait, je vis que du même être de Dieu et comme de la personne du Père, s'élevait un arbre d'une grandeur immense et d'une beauté merveilleuse. Notre Sauveur Jésus-Christ d'un côté, sa bienheureuse Mère de l'autre, et l'arbre entre les deux. Tous les mystères de l'incarnation , de la vie, de la mort et des oeuvres de notre Seigneur Jésus-Christ, et tous ceux de la vie et des privilèges de sa très-sainte Mère, étaient écrits sur les feuilles de cet arbre, qui me les présentèrent tous en général, et chacun cri particulier, tels que je les ai écrits. Le fruit de cet arbre

 

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était comme un fruit do vie, et je connus que l'arbre était véritablement celui que signifiait cet autre que Dieu avait planté au milieu du paradis terrestre (1). Les saints regardaient cet arbre avec attention et avec plaisir. Et les anges disaient avec admiration : « Quel est donc cet arbre d'une beauté si merveilleuse, qui nous fait porter envie à ceux qui jouissent  de ses fruits? Heureux , trois fois heureux ceux qui cueilleront et goûteront de ce fruit pour recevoir une- si grande grâce et la vie éternelle qu'il renferme en lui-même! Est-il possible que les mortels, pouvant se nourrir de ce fruit, ne se hâtent point  de le cueillir? Venez, venez tous à cet arbre, car  son fruit est déjà mûr, vous en pouvez goûter. » La fleur qui nourrissait les anciens patriarches et  les prophètes, est devenue maintenant un fruit  exquis. Les branches qui étaient si élevées, se sont maintenant abaissées à la portée de tous. » Les anges s'adressèrent à moi, et me dirent : « Épouse   du Très-Haut, soyez la première à en cueillir avec  abondance, puisque vous êtes si près de cet arbre de vie. Que ce soit là le fruit des peines que vous   avez prises pour l'écrire; témoignez ainsi votre  reconnaissance pour la manifestation des mystères  qui vous ont été découverts; faites des prières au Tout-Puissant, afin que tous les enfants d'Adam les  connaissent et profitent de l'occasion dans le temps qui leur est favorable, et qu'ils louent le Très-Haut  en ses merveilles.

 

(1) Gen., II, 9.

 

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18, Il n'est pas nécessaire d'en dire davantage à Vos Révérences pour vous faire aimer cet arbre et ses fruits. Je vous le mets devant les yeux afin que vous étendiez vos mains pour en cueillir et en goûter. Et je vous assure , mes très-chères sceurs, qu'il ne vous arrivera point ce qui arriva à notre mère Ève; car le premier arbre et son fruit étaient défendus (1) , tandis que le Seigneur vous invite à toucher à celui-ci, car il l’a planté pour cela. Le premier arbre et son fruit renfermaient la mort, cet arbre-ci renferme la vie. Goûtons de ce fruit que notre Patronne et notre Supérieure nous présente, et éloignons-nous de celui qu'elle nous a défendu; car pour ne point le toucher, il faut ne pas le regarder, et pour ne pas le goûter, il faut ne point le toucher. Et afin que vous vous disposiez mieux à ce festin par les exercices spirituels que l'on a coutume de faire de temps en temps en religion, je vous donnerai pour les faire une méthode que je tirerai de cette histoire , suivant l'ordre de notre auguste Reine, ainsi que je l'ai dit plus haut. En attendant, vous vous servirez de celle qui a été tirée de la Passion de notre Seigneur Jésus-Christ, telle qu'elle est écrite. Demandez-lui sa divine grâce pour moi comme pour vous-mêmes, et que sa bénédiction éternelle descende sur toutes Vos Révérences. Ainsi, soit-il.

J'ai achevé d'écrire pour la seconde fois cette divine Histoire et la Vie de la bienheureuse Marie le

 

(1) Gen., III, 6.

 

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6 mai de l'année 1660, le jour de l'Ascension de notre Seigneur Jésus-Christ. Je supplie les religieuses de cette communauté de ne point permettre que cet original sorte du monastère; que si, par quelque ordre des supérieurs, on veut l'examiner, elles n'en donneront qu'une copie; et si l'on demande l'original pour ta lui confronter, elles donneront seulement un livre après l'autre, et se feront rendre le premier avant de donner le second, et ainsi des autres, pour éviter de nombreux inconvénients, et parce que c'est la volonté de Dieu et celle de la Reine du ciel.

 

Soeur Marie de Jésus.

 

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PROTESTATION PUBLIQUE, DEMANDE ET CONSENTEMENT DE CE MONASTÈRE ET DES RELIGIEUSES DÉCHAUSSÉES DE L’IMMACULÉE-CONCEPTION DE CETTE VILLE D'AGRÉDA, POUR RECEVOIR POUR LEURS PATRONS ET POUR LEURS PROTECTEURS, EN PREMIER LIEU LA SUPRÊME REINE DU CIEL ET DE LA TERRE L'AUGUSTE MARIE, ET AVEC SON BON PLAISIR LE GLORIEUX PRINCE SAINT MICHEL ET NOTRE PÈRE SAINT FRANÇOIS

 

La vénérable mère soeur Marie de Jésus l'écrivit elle-même étant abbesse dudit monastère.

 

SOUVERAIN SEIGNEUR DIEU ÉTERNEL,

 

Que tous les habitants du ciel en l'Église de la Jérusalem triomphante, et que tous les fidèles de l'Église militante sachent que nous toutes, religieuses de ce monastère de l'Immaculée-Conception de la bienheureuse Marie de cette ville d'Agréda, en notre nom et en celui de toutes celles qui doivent nous succéder dans le temps à venir, nous nous présentons en votre divine présence , et, prosternées contre terre , nous adorons votre saint nom et votre être immuable; une substance indivisible, une puissance et une majesté; un Dieu unique et véritable en trois personnes distinctes, Père, et Fils, et Saint-Esprit, et une seule Divinité, que nous adorons comme le Créateur universel

 

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et comme la cause première de tout ce qui a l'être, et comme digne de toute gloire, de tout honneur et de toute louange; nous confessons qu'il est juste que les anges et les hommes vous bénissent, vous louent, vous servent et vous aiment de toutes leurs forces. En foi de ces vérités infaillibles, nous autres chétifs vermisseaux de terre, et pauvres femmes unies par la charité aux justes et aux saints du ciel et de la terre, et confiantes en votre divine miséricorde, nous faisons cette protestation du fond de notre coeur. Nous disons, nous déclarons et nous affirmons que tout notre désir et tout notre soin est de nous consacrer éternellement de toutes nos forces, de toute notre âme et de tout notre coeur à votre divin amour, à votre service et à tout ce qui vous sera le plus agréable. Nous reconnaissons que nous sommes nées dans le péché, pleines de misères et de répugnances pour le bien. Nous vivons environnées d'ennemis, assaillies de leurs tentations, affligées de notre propre fragilité, et toujours exposées à perdre le bonheur éternel de la vision béatifique; nous savons et avouons que nous ne pouvons rien sans voire divine assistance, et que tout ce qui est parfait et tout ce qui est saint procède de votre volonté et vient de votre plain ; vous êtes l'origine et le principe de toute vertu, de toute perfection, de toute sainteté, de toute bonté et de toute bénignité; les hommes les plus savants ont puisé leur science dans votre entendement, les plus sages sont devenus sages dans et par votre sagesse infinie; tous les saints et tous les justes ont été dans votre être immuable avant d'avoir l'existence

 

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et la forme; c'est par votre grâce qu'ils ont pratiqué le bien, et si vous le voulez nous nous sauverons du milieu des flots de cette mer dangereuse et de cette vallée de larmes. Nous savons aussi qu'à raison de la fragilité de notre sexe, nous avons besoin d'une protectrice pour acquérir la récompense de notre .vocation, d'une colonne de feu, qui nous guide comme votre peuple, d'une maîtresse qui nous enseigne. votre divine loi, écrite avec le sang du Verbe incarné et émaillée des plaies de l'Agneau, d'une verge qui puisse frapper le rocher de notre coeur, afin d'en faire sortir l'eau qui rejaillisse jusqu'à la vie éternelle, d'une nuée qui nous couvre de son ombre dans ce long pèlerinage, d'un ange qui nous éloigne de Sodome, d'un messager qui nous recommande de craindre les périls de Babylone, d'une mère qui nous nourrisse,d'une amie qui nous console; d'une gouvernante qui nous commande et nous dirige ; et d'une reine dont nous soyons les servantes, d'un miroir de sainteté, d'un modèle de chasteté, d'un exemple de virginité qui soit la beauté de toutes les vertus et la règle de la véritable prudence, et de tout ce qui peut et gui doit être appelé saint et parfait. Nous confessons qui après votre, Fils unique incarné, toutes ces excellences et tous ces dons se trouvent au suprême degré en sa divine Mère, notre auguste Princesse la très-pure Marie, avec beaucoup d'autres grâces qui surpassent la conception de l'intelligence des hommes ;et des anges; et nous espérons de sa très-douce clémence qu'elle jettera sur, nous des yeux pleins de miséricorde. Dans cette confiance,

 

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souverain Seigneur de tout ce qui est créé, prosternées en votre présence et assemblées en votre nom , afin que selon votre divine promesse vous soyez avec nous, nous vous: supplions Humblement durions accorder notre grande Reine, la Fille du Père, la Mère du Fils, et l'Épouse du Saint-Esprit, pour la Patronne, la Protectrice et la luire spéciale de ce petit troupeau; car dès maintenant pour toujours nous la nommons, la souhaitons, la constituons et la demandons pour notre unique espérance, pour l'organe de tout notre bonheur, pour notre avocate et pour notre médiatrice dans nos nécessités. Et voulant perfectionner ce désir, nous disons et offrons tout ce que les saints du ciel et de la terre peuvent dire, et tout ce qui peut, ô souverain Roi, vous être le plus agréable.

Et pour vous attirer de notre côté autant que nous le pouvons avec votre divine grâce, nous vous offrons votre propre bouté et votre gloire infinie, votre Fils unique incarné, tous ses mérites infinis, l'amour avec lequel il a racheté le monde et nous a rendues ses épouses; sa propre Mère, notre charitable Maîtresse l'auguste Marie, comme la plus immédiate su même Fils, plus pure et plus sainte que toutes les créatures, écrite en votre mémoire éternelle avant aucune autre, préservée entre les enfants d'Adam de la commune contagion, choisie et sanctifiée dans le premier instant pour être la digne Mère de votre Fils unique, et élevée en dignité, en grâce, en mérites et en gloire au-dessus de tous les ordres des esprits angéliques et

 

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des plus hauts séraphins. Et quoique nous combattions sous la bannière de notre Dame et sous le vocable du mystère de son immaculée conception, quoiqu'à ce titre nous soyons ses filles et que nous nous déclarions pour telles, puisque nous avons été réengendrées en religion sous ce nom , et que nous en faisons profession en notre habit et en notre institution , usant néanmoins maintenant de notre libre arbitre, et par une détermination spéciale, nous nous remettons de nouveau sous l'empire de cette grande Reine conçue sans le péché originel , et en la créance de ce privilège, unique et sans égal, nous la demandons, la proclamons et la nommons pour notre Patronne, encore qu'elle ne le fût point en vertu de notre profession.

Et vous , auguste Impératrice du ciel et de la terre, ne dédaignez point d'agréer avec votre bonté ineffable l'humble affection de vos pauvres servantes, qui prosternées à vos pieds vous invoquent et répandent leur coeur en votre très-douce présence. Écoutez, ô Reine des vertus , les gémissements que nous poussons pour marquer que nous cherchons votre protection maternelle. Ne rejetez point celles qui vous appellent avec de si tendres désirs et avec tant de sincérité. Accueillez celles qui sollicitent votre assistance miséricordieuse que vous promettez à ceux qui vous implorent. Souvenez-vous, il Mère de la grâce, que par la divine bonté vous déclarez vous-même que le conseil et la justice, la prudence et la force sont avec vous; en vous se trouve toute l'espérance de la vie et

 

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de la vertu, la vérité et le chemin de la grâce; en vous sont les richesses des trésors du ciel; votre esprit est plus doux que le miel, et votre héritage vaut mieux que les rayons du miel le plus exquis. Vous êtes Celle en qui le Créateur a reposé, et Celle qui habite en son héritage et qui prend racine dans ses élus et dans le peuple qu'il a honoré; vous avez établi votre demeure dans l'assemblée de tous les saints, votre mémoire vivra dans la cuite de tous les siècles; cent qui goûtent de vos douceurs en seront encore affamés, et ceux qui en boivent auront encore soif; celui qui toits écoute ne sera point confondus et ceux qui agissent par nous et en vous ne pècheront point. Considérez donc, ô notre douce vie, qu'ayant goûté et reconnu combien il est bon de s'asseoir à votre table , nous avons encore faim, et qu'ayant été nourries à Notre sein, nous sommes toujours plus altérées et plus avides de votre lait; nous brûlons d'éterniser votre mémoire clans les siècles à venir, et de paraître sans confusion à la fin des temps, pour avoir agi en vous par votre imitation. En votre lumière nous cherchons la prudence et le conseil; en votre sainteté, la justice parfaite et Véritable; en votre faveur, la force; en Notre intercession, notre espérance; en votre vérité, notre assurance; en votre direction, notre Noie; eu votre douceur, l'oubli de tout ce qui est terrestre; eu votre suavité, la facilité de la vertu; en votre abondance, le remède à toute notre pauvreté; et nous désirons uniquement être votre partage, votre héritage et votre peuple, que vous

 

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viviez en nous et jettiez vos racines dans notre cœur, que vous soyez toujours pour nous, et que nous soyons toujours pour vous; nous désirons trouver en vous une Mère, une Maîtresse, une Reine, un exemple, un miroir, un modèle, une correction, un amour et tous les biens réunis, avec lesquels nous puissions nous préparer et nous orner dans notre pauvreté, pour entrer dans le lit nuptial de votre très-saint Fils notre Époux , afin que tous les anges et tous, les saints du ciel , et tous les justes de la terre vous connaissent pour notre Patronne, vous proclament telle par des hymnes de louanges , et qu'ils sachent que nous sommes vos servantes titrées, pour que le monde et tous ceux qui s'y trouvent nous oublient entièrement.

Et pour donner encore plus de force et de valeur à ce contrat, nous promettons, en notre nom et en celui de toutes celles qui viendront après nous dans ce monastère, de renoncer de tout notre cœur au monde et à toutes ses vanités ; à tout l'amour, à toute l'amitié, au commerce, aux consolations et aux plaisirs de Babylone, et de ne point nous montrer indignes de notre profession, de notre habit, de notre nom, et du titre honorable de vos filles. Ainsi dépouillées de tout ce qui est terrestre et visible, nous promettons d'être vos servantes, vos véritables filles, et les épouses de votre Fils notre Rédempteur; et en foi de cette douce servitude, nous offrons en donation le droit que nous avons d'user de notre libre arbitre, afin que par votre intercession dès aujourd'hui notre

 

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volonté soit soumise à vos pieds, et se trouve heureuse captive à la merci du saint et chaste amour de notre Seigneur Jésus-Christ. Nous célèbrerons vos neuf fêtes avec toute la solennité spirituelle qui nous sera possible. Nous ferons ces jours-là une procession avec votre sainte image, chantant votre divin cantique et les hymnes; et la veille nous jeûnerons. Nous continuerons à dire tous les jours vos litanies, sans en laisser passer aucun que nous ne vous invoquions et exaltions comme Reine de l'univers. Et dès maintenant, pour tout le temps à venir, nous vous offrons et dédions toutes nos bonnes œuvres, communes et particulières, afin que vous soyez connue, révérée et aimée de toutes les nations pour la très-digne Mère de Dieu, pour la Maîtresse de tout ce qui est créé, et pour l'Avocate et le refuge de fous les mortels. Et afin qu'en premier lieu le petit, troupeau de ce monastère, ses supérieurs et ces royaumes d'Espagne obtiennent cette grâce, nous vous offrons encore spécialement nos désirs et nos prières, afin que votre clémence maternelle porte le cœur de nos rois catholiques, Philippe et Mariamne, à vous prendre pour Patronne et Protectrice de tous leurs Étals, qu'en récompense de celte dévotion vous les pacifiiez, et que par votre protection vous les défendiez et réformiez, en y faisant régner la justice et la paix, et en éclairant ses habitants, pour qu'ils n'aient sur la terre d'autre crainte que la crainte de Dieu, qu'ils propagent son Évangile, son culte et la foi catholique dans le monde, et qu'ils sollicitent la définition

 

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du mystère de votre immaculée, conception , jusqu'à ce que le Saint-Siège apostolique veuille le déterminer pour votre gloire et pour la consolation universelle de la sainte Église. Et pour de si hantes fins de votre honneur et du bon plaisir de votre très-saint Fils, nous nous offrons toutes dans ce monastère à travailler, à souffrir, et à faire tout ce que nous pourrons, avec la divine grâce, et à sacrifier même notre vie, si c'était nécessaire.

Et comme nous souhaitons que toutes les créatures nous connaissent pour vos servantes et pour vos inférieures, et que votre très-saint et très-doux nom s'éternise eu nous, et soit le signe de notre être et de nos oeuvres, nous décidons que toutes les religieuses de ce monastère présentes et à venir s'appelleront Marie, conservant ce grand nom si elles l'ont, et le prenant si elles ne l'ont pas, avant ou après celui de leur baptême. Et moi, la plus petite de vos servantes, j'abdique entre vos mains l'office que j'ai de supérieure de cette humble communauté, afin que nous n'ayons plus d'autre Mère et d'autre Supérieure due vous, dont nous voulons être les inférieures ; et que toutes celles qui rempliront cette charge sachent qu'elles doivent se regarder comme vos coadjutrices et vos vicaires. Prosternées il vos pieds, nous vous prions, notre très-douce Mère, d'accepter cette élection, et de nous gouverner désormais comme notre Protectrice spéciale et notre unique Supérieure; et, afin que ce décret soit irrévocable, nous vous donnons dès maintenant la possession et la propriété de

 

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ce monastère, sans qu’aucune de celles qui doivent nous succéder puisse intenter aucune action ou prétendre aucun droit ; et, en témoignage de cette vérité, nous plaçons votre sainte image sur le siège de la supérieure et sur l'autel du chœur, afin que vous jouissiez toujours de la prééminence de supérieure, et que nous jouissions aussi de votre vue, qui nous instruise, anime et conduise, afin qu'au jour du jugement vous nous présentiez devant le tribunal du juste Juge routine vos véritables filles et vos fidèles disciples, nourries de votre lait et dirigées par votre doctrine. Et d'autant que le patronage ne peut se conserver que par la fondation de sa patronne, et que vous êtes, ô grande Reine, si riche et si puissante, communiquant sans envie ce que vous avez reçu sans fiction , nous demandons à votre charité très libérale de doter cette pauvre famille par une vive foi, par une ferme espérance, par une ardente charité de Dieu cet du prochain, par nue véritable dévotion, par une humilité profonde, par une paix inaltérable et perpétuelle, par la pureté du coeur et des sens, par l'amour de la sainte pauvreté et de l'obéissance, par une crainte sainte et par l'oubli du monde; par l'éloignement des créatures, par la mémoire de notre vocation et des bienfaits que nous avons reçus, et par tous les dons et toutes les grâces dont nous avons besoin pour nous élever de la vie terrestre à la vie angélique et séraphique, et qui nous portent à faire sur la terre la très-sainte volonté du Seigneur, de même qu'elle se fait au ciel, et comme vous le

 

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voulez et le désirez de nous qui sommes vos humbles tilles. Et parce que vous ètes en tout une mère très prévoyante, dont nous souhaitons suivre les traces par une imitation parfaite, nous vous prions aussi de nous accorder les bénédictions que nous attendons de votre main libérale, et de vous souvenir des nécessités temporelles de votre monastère, lui procurant le nécessaire, afin que nous n'ayons point à communiquer avec le monde autrement que par de simples mesures de prudence, et en plaçant toujours surtout notre confiance en votre très-saint Fils. Nous avouons en la présence du Très-Haut et en la vôtre que nous sommes indignes du moindre de ces bienfaits, puisque nous ne méritons. point la vie naturelle ni le secours des éléments et des autres créatures qui nous souffrent ; aussi nos prières et nos espérances ne sont point fondées sur nos mérites, mais sur les vôtres et sur ceux de votre très-saint Fils, sur la bonté infinie, sur la miséricorde éternelle du Très-Haut, et sur l'intercession de ses saints et de ses amis.

Et comme ceux qui entre tous ont le plus favorisé et obligé ce monastère, sont le grand prince des armées célestes et le patron de la sainte Église, l’archange saint Michel, et notre père séraphique saint François, prince des pauvres évangéliques et réparateur de l'Église; que noue avons été élevées dans sa religion apostolique, qui par ses soins nous conduit à la perfection à laquelle l'état que nous professons nous engage; que vous, ô Reine des vertus,

 

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devez nous gouverner par l'entremise de vos ministres et de vos favoris, et que nous savons d'une manière certaine que nos deus avocats et bienfaiteurs sont de ce nombre, par toutes ces considérations, nous vous prions du fond de notre coeur de nous donner et de nous nommer pour protecteurs et co-patrons spéciaux de cette famille, vos deux favoris saint Michel et saint François, en la dévotion desquels nous souhaitons nous distinguer ; nous recommandant à leur protection, afin qu'ils nous défendent de nos ennemis dans les périls de cette vie, qu'ils nous éclairent dans l'obscurité de la nuit, qu'ils nous enseignent dans l'ignorance, qu'ils nous animent et nous portent à pratiquer tout ce qui est le plus saint et le plus parfait; que le saint archange nous présente au dernier jour de notre vie, libres du péché, devant vous et devant le souverain Juge; et que notre glorieux hère nous reconnaisse pour ses véritables filles, et qu'il nous admette, en qualité de porte-enseigne de la sainte Église, parmi ceux qui ont suivi Jésus-Christ sous l'étendard de la sainte croix.

Et vous, grand prince saint Michel, souvenez-vous de ces humbles religieuses, dévotes admiratrices de votre sainteté, et agréez notre zèle pour votre dévotion ; c'est pour le témoigner que nous célèbrerons perpétuellement vos trois feues avec un sentiment tout particulier de joie et de consolation nous jeûnerons la veille de ces fêtés, et celles qui le pourront jeûneront, à l'exemple de notre séraphique Père, le carême institué à votre honneur; nous

 

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continuerons de vous invoquer, comme nous le faisons chaque jour, et nous aurons toujours une ferme confiance en votre protection, il cause de votre sainteté et de ce que vous devez ait Très-haut, de vous avoir choisi pour défendre la gloire et la vérité de son nom ineffable. Et vous, séraphin humanisé, glorieux saint François, recevez aussi les désirs et les affections de vos servantes, qui souhaitent avec une intime dévotion être vos filles particulièrement reconnues, suivre vos traces, imiter vos vertus et participer n votre esprit; et pour obtenir cette faveur, nous protestons que nous voulons toujours vivre sous l'obéissance de votre institut apostolique. Accordez-nous, Père charitable, ce bienfait ; obtenez-le du Seigneur pour nous et pour celles qui nous succèderont, et attirez la bénédiction de sa puissante droite sur toutes celles qui persévéreront. Et quoique nous ne voulions point de nous-mêmes appeler votre malédiction sur celles qui entreprendraient de mettre la division dans ce monastère et de troubler la paix que le Très-Haut nous a donnée, et cette union qui nous porte à la parfaite charité, ou qui voudraient nous séparer de l'esprit, et de l'obéissance de votre religion, qui est la nôtre, nous assurons néanmoins que celle qui, trompée par l'ennemi , le ferait, mériterait d'être maudite. Et, comptant sur la divine miséricorde, sur votre protection et sur celle de notre prince saint Michel, nous espérons que vous ne permettrez jamais qu'un si grand malheur arrive à ce monastère. Nous prions, nous avertissons et nous pressons, en présence du

 

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Seigneur, celles qui nous succèderont d'observer toutes les choses qui se trouvent dans cette publique protestation, que nous toutes, religieuses de ce couvent, nous faisons d'un accord unanime. Et parce que c'est ce que nous voulons, établissons et déclarons d'un même consentement, nous le signons toutes ensemble, en ce monastère de l'Immaculée-Conception d'Agréda, ce 22 mars 1643. Nous renouvelons cet acte de patronage avec une nouvelle affection et un nouveau désir de plaire au Seigneur, ce 23 décembre 1657.

 

FIN DU TOME SIXIÈME ET DERNIER.

 

 

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