|
Instruction que la grande Reine des anges m'a donnée.
Instruction que j'ai reçue de la grande Reine du ciel:
CHAPITRE XX. De la sépulture du corps sacré de la bienheureuse Marie, et de ce
qui y arriva.
Instruction que j'ai reçue de la grande Reine du ciel.
Instruction que la grande Reine des anges m'a donnée.
Instruction que m'a donnée la grande Reine du ciel la bienheureuse Marie.
560
CHAPITRE XVIII. Les désirs de voir Dieu redoublent chez la bienheureuse Marie
dans les derniers temps de sa vie. — Elle prend congé des lieux saints et de
l'Église catholique, et fait son testament, assistée de la
très-sainte Trinité.
711. Je me trouve plus
pauvre de paroles et d'expressions lorsque j'en aurais un plus grand besoin
pour dire quelque chose de l'état auquel parvint l'amour de.
l'auguste Marie dans les derniers jours de sa vie,
des élans et des entraînements de son très-pur
esprit, de ses aspirations et de la véhémence incroyable de ses désirs pour
arriver à l'étroit embrassement de la Divinité. Dans toute la nature je ne
trouve point de terme de comparaison convenable, et si quelque chose peut en
servir, c'est le feu, à cause des rapports qu'il présente avec l'amour. Cet
élément est admirable par son activité et par sa force ; il n'y en a aucun qui
souffre avec plus d'impatience d'être enfermé; car, ou il meurt dans sa
prison, ou il la rompt pour s'élancer avec une légèreté extrême vers sa propre
sphère. S'il se trouve enfermé dans les entrailles de la terre, il la déchire,
entr'ouvre les montagnes, et arrache les rochers
avec une violence irrésistible. Sa prison fût-elle de bronze, s'il ne la brise
561
point,
du moins il en ouvre les portes avec une force terrible qui porte l'effroi
dans les environs, et lance dans l'espace le globe de métal qui empêche sa
sortie, avec cette violence que l'expérience nous fait voir. Telle est la
nature de cette créature insensible.
712. Mais si le feu de
l'amour divin avait atteint son plus haut degré d'intensité dans le coeur de
la bienheureuse Vierge (je suis réduite à employer ces termes), il est clair
que les effets correspondaient à la cause, et que ces effets devaient être
beaucoup plus merveilleux dans l'ordre de la grâce, et surtout d'une grâce si
immense, que les premiers ne le sont en celui de la nature. Revêtue de son
corps mortel, notre auguste Reine fut toujours pèlerine dans le monde, et un
Phénix unique sur la terre ; mais lorsqu'elle fut près de partir pour le
ciel , et assurée de l'heureux terme de son
pèlerinage, quoique son corps virginal se trouvât encore sur la terre, la
flamme de son très-pur esprit s'élevait avec une
vitesse inconcevable jusqu'à sa sphère, qui était la Divinité même. Elle ne
pouvait arrêter ni empêcher les élans de son coeur, et il semblait qu'elle ne
fût point Maîtresse de ses mouvements intérieurs; car elle avait livré toute
sa liberté à l'empire de l'amour et aux désirs de la possession du souverain
Bien qui l'attendait, en qui elle était transformée et comme détachée de la
mortalité terrestre. Elle ne rompait point ces chaînes ,
parce qu'elles lui étaient conservées plutôt par miracle que naturellement ;
elle n'entraînait pas non plus avec
562
elle le
corps mortel et pesant, parce que le terme n'était pas encore arrivé ; et
cependant la force de l'esprit et de l'amour eût pu l'enlever. Mais, dans ce
doux et continuel combat, cette force suspendait eu elle toutes les opérations
vitales de la nature, de sorte qu'il semble que le corps ne recevait plus de
cette âme si divinisée que la vie du divin amour; et afin que la vie naturelle
ne fùt-point consumée, il fallait la conserver par
miracle, et qu'une autre cause supérieure intervînt pour la soutenir, et pour
empêcher qu'elle ne défaillit à chaque instant.
713. Il lui arriva souvent
dans ces derniers jours, pour donner une issue à ces effluves intérieurs si
violents , de rompre le silence dans sa solitude,
et d'exhaler les sentiments de son coeur, prêt à éclater; et alors,
s'adressant au Seigneur, elle disait : « Mon très-doux
Amour, mon souverain Bien, mon unique Trésor, attirez-moi après
l'odeur de vos parfums (1), que vous avez fait goûter à votre servante
et votre Mère pèlerine dans le monde. Ma volonté vous a toujours été
consacrée, à vous qui êtes la Vérité suprême et mon véritable bien :
elle n'a jamais su rien aimer hors de vous. O mon unique espérance
et ma seule gloire ! n'allongez point ma carrière,
ne reculez pas le terme où je dois trouver ma liberté si désirée. Déliez
les chaînes de la mortalité qui me retiennent; faites que j'arrive à la
fin vers laquelle je marche dès le premier instant auquel je
(1) Cant., I, 4.
reçus de
vous l'être que j'ai (1). Ma demeure a été prolongée parmi les
enfants de Cédar (2) : mais je regarde de
toute la force de mon filme et de ses puissances le Soleil qui lui donne la
vie; je me a dirige vers l'étoile polaire dont la lumière me guide, et
je tombe en défaillance sans la possession du Bien que j'attends. O
esprits célestes, je vous en conjure, par la noblesse et l'excellence de votre
a nature angélique et par le bonheur que vous avez a de jouir de la vue et de
la beauté de mon bien aimé, dont vous n'êtes jamais privés, ô mes amis,
ayez compassion de mail. Plaignez, mes amis, cette pèlerine entre
les enfants d'Adam, captive dans les chaînes de la chair. Dites à votre
Maître et au mien la cause de ma douleur, qui ne lui est pas
cachée (3); dites-lui que pour lui plaire j'embrasse ses souffrances dans mon
bannissement, et très volontiers ; mais je ne puis vouloir vivre en moi;
et si je vis en lui pour vivre, comment pourrai-je vivre en l'absence de
ma vie ? L'amour me la donne, et ce même amour me l'ôte. Je ne saurais
vivre sans aimer la vie; or comment vivrai-je sans la vie que j'aime
uniquement ? Je languis dans cette douce violence ; entretenez-moi
du moins des qualités de mon bien-aimé, car par ces
fleurs aromatiques je serai fortifiée dans les défaillances que mon
amour impatient me cause (4). »
(1) Ps. CXLII, 8. — (2) Ps. CXIX, 5. — (3) Cant., V, 8. — (4) Cant., II, 5.
564
714. La bienheureuse Mère
exhalait par ces paroles et par plusieurs autres encore plus tendres les feux
de son esprit enflammé, au milieu de l'admiration et de la joie des saints
anges qui l'entouraient et la servaient. Et comme ils sont si remplis de la
divine science , ils répondirent dans une de ces
occasions à ses désirs par les paroles suivantes : « Notre auguste
Reine, si vous voulez entendre de nouveau les qua lités que nous connaissons
de votre bien-aimé, sachez qu'il est la beauté même, et qu'il renferme
en lui toutes les perfections qui surpassent le désir. Il est aimable sans
défaut, agréable sans défiance, et plus délicieux que tout ce qu'il y a de
plus exquis. Sa sagesse est inestimable, sa bonté sans mesure; sa puissance
sans bornes, son être immense, sa grandeur incomparable, sa majesté
inaccessible, et toutes les perfections qu'il renferme en lui sont
infinies. Il est terrible dans ses jugements (1), impénétrable dans ses
conseils (2) , très-équitable
dans sa justice (3), très-secret dans ses
pensées, véridique, dans ses paroles, saint dans ses oeuvres (4), et riche en
miséricordes (5). Ce qui est vaste ne lui donne aucune étendue ; ce qui est
étroit ne le limite point ; les choses tristes ne sauraient pas
plus le troubler que ce qui est joyeux ne saurait l'émouvoir; sa volonté
ne change point (6); il n'y a point d'abondance qui puisse rien ajouter,
comme
(1) Ps. LXV; 5. — (2) Rom., XI, 33 . — (3) Ps. CXXVIII,
137. — (4) Ps.
CXLIV, 14.
— (5) Ephes., II, 4. — (6) Jacob., I,17.
565
il n'y a
point de nécessité qui puisse rien retrancher à ce qu'il a; le souvenir ne lui
apporte, et a l'oubli ne lui ôte rien ; ce qui a été n'est point a passé pour
lui; les choses à venir ne sont pas pour a lui des faits nouveaux. Il n'y a
point de principe qui ait marqué le commencement de son être; et le
temps ne lui donnera non plus aucune fin : sans qui aucune cause lui ait donné
un principe, il l'a donné à toute chose (1) ; non qu'il eût besoin d'aucune (2)
, mais toutes ont besoin de sa participation: il les conserve sans
travail, et il les gouverne sans confusion. Celui qui le suit ne marche point
dans les ténèbres (3) ; celui qui le tonnait, qui l'aime et qui jouit de sa
présence est bien heureux; car il enrichit ses amis, et à la fin il les
glorifie par sa vue et par sa compagnie éternelles (4). Telle est, auguste
Reine, le Bien que vous aimez, et des embrassements duquel vous jouirez
bientôt, pour, ne plus le quitter durant toute son éternité. ». Ainsi
parlèrent les anges.
715. Ces entretiens se
renouvelaient souvent entre notre grande Reine et ses ministres. Mais de même
que quelques gouttes d'eau n'étanchent point la soif de celui qui est altéré
par une fièvre ardente, et qu'au contraire elles l'augmentent ; de même ces
sortes de soulagements ne modéraient point la flamme du divin amour en la très
douce Mère, parce qu'ils renouvelaient
(1) Eccles., XVIII, 1. — (2) II Mach., XIV, 35. — (3) Joan., VIII, 12. — (4) Joan., XVII, 3.
566
en son
coeur la cause de ses amoureuses peines. Et quoique dans ces derniers jours de
sa vie les faveurs que j'ai rapportées en parlant des fêtes qu'elle célébrait,
lui fussent continuées avec celles qu'elle recevait tous les dimanches, outre
tant d'autres qu'il n'est pas possible d'énumérer, il fallait néanmoins, pour
la soulager et la fortifier dans les angoissés de son amour, que son
très-saint Fils la visitât en: personne plus
fréquemment que par le passé. Dans ces visites il la consolait par des
caresses ineffables, et l'assurait de nouveau que son exil serait fort court;
qu'il l'élèverait à sa droite, où elle serait placée, par Je Père et par le
Saint-Esprit, sur son trône royal, et absorbée dans l'abîme de sa divinité; et
que son élévation remplirait d'une nouvelle joie tous les saints, qui
l'attendaient et qui la souhaitaient. Dans ces occasions la
très-charitable Mère redoublait ses prières pour
la sainte Église, pour les apôtres, pour les disciples et pour tous les
ministres qui, dans les siècles à venir, serviraient l'Église en prêchant
l'Évangile et en travaillant à la conversion du monde, afin que tous les
mortels reçussent la foi., et arrivassent à la
connaissance de la vérité divine.
716. Entre les merveilles
que le Seigneur fit à l'égard de sa bienheureuse Mère dans ces dernières
années, il y en eut une dont furent témoins non-seulement
l'évangéliste saint Jean, mais encore plusieurs fidèles : c'est que, quand
notre auguste Reine communiait, elle restait pendant quelques heures toute
resplendissante et environnée de clartés si
807
admirables,
quelle semblait être transfigurée par les dons de la gloire. Cet effet fui
était communiqué par le sacré corps de son très-saint
Fils, qui, comme on l'a vu, se manifestait à elle transfiguré et plus glorieux
que sur le mont Thabor. Et tous ceux qui la regardaient dans cet heureux état
se trouvaient pénétrés de joie, et sentaient des effets si divins, qu'ils
pouvaient mieux en éprouver les douceurs que les déclarer.
717. La
très-pieuse Reine résolut de faire ses adieux aux
lieux saints avant de partir pour le ciel, et en ayant demandé la permission à
saint Jean, elle sortit. de la maison en sa
compagnie et en celle des mille anges qui l'assistaient. Et quoique ces
princes célestes l'eussent toujours suivie dans toutes ses démarches, dans
toutes ses occupations, dans tous ses voyages, sans l'avoir quittée un seul
moment dès l'instant de sa naissante, dans cette circonstance ils se
manifestèrent à elle avec une plus grande lumière, comme se félicitant de leur
prochain départ. La bienheureuse Vierge, se débarrassant des occupations
humaines pour marcher vers sa propre et véritable patrie, visita tous les
lieux de notre rédemption, adressant à chacun d'eux un dernier adieu en
versant des torrents de larmes au douloureux souvenir de ce que son Fils avait
souffert; elle faisait les actes les plus fervente et les plus admirables,
poussait de profonds gémissements, et priait pour toua les fidèles qui
visiteraient ces saints lieux avec une pieuse vénération dans.
tous les siècles à venir de l'Église. Elle s’arrêta
plus longtemps
568
sur la
montagne du Calvaire, demandant à son adorable Fils l'efficace de la mort et
de la rédemption qu'il avait opérées en ce lieu pour toutes les âmes
rachetées. Elle s'embrasa tellement des ardeurs de sa charité ineffable dans
cette prière , qu'elle aurait perdu la vie
naturelle avant de quitter la montagne, si elle ne lui eût été conservée par
la vertu divine.
718. Son
très-saint Fils descendit alors du ciel, et se
manifesta à elle en ce lieu où il était mort. Et répondant à ses prières, il
lui dit: « Ma Mère, ma très-chère Colombe et ma
Coadjutrice en l'oeuvre de la rédemption du genre humain, vos désirs et vos
demandes sont arrivés à mes oreilles et à mon coeur; je vous promets que je
serai très-libéral envers les hommes, et que je
leur donnerai de continuels secours de ma grâce, afin qu'en vertu de mon sang
ils méritent, par leur libre arbitre, la gloire que je leur ai préparée, si
eux-mêmes ne la méprisent. Vous serez dans le ciel leur Médiatrice et leur
Avocate; et je comblerai de mes trésors et de mes miséricordes infinies tous
ceux qui s'acquerront votre intercession. » Notre Sauveur Jésus-Christ
renouvela cette promesse au lieu même où il nous racheta. Sa bienheureuse
Mère, prosternée à ses pieds, lui en rendit des actions de grâces, et le pria
de lui donner sa dernière bénédiction en ce même lieu consacré par son
précieux sang et par sa mort. Le Seigneur la lui donna, et lui confirma toutes
les promesses qu'il lui avait faites ; ensuite il s'en
569
retourna
à la droite de son Père éternel. La très-pure
Marie fut réconfortée dans ses amoureuses peines, et, continuant ses pieux
exercices, elle baisa avec respect la terre du Calvaire, disant : « Terre
sainte, lieu sacré, je vous regarderai du ciel avec la vénération
que je vous dois, et je vous révèrerai dans cette lumière qui manifeste
toutes choses en leur propre origine, d'où sortit le Verbe divin, qui
vous a enrichie en prenant la chair mortelle. » Puis elle recommanda de
nouveau aux saints anges de garder ces lieux sacrés, et d'assister par de
saintes inspirations les fidèles qui les visiteraient avec dévotion, afin
qu'ils connussent et appréciassent le bienfait inestimable de la rédemption,
qui y avait été opéré. Elle leur recommanda aussi de défendre ces sanctuaires
; et si la témérité et les péchés des hommes n'eussent empêché cette faveur,
il est certain que les saints anges les auraient mis à l'abri des profanations
des infidèles; et encore les en ont-ils bien souvent garantis
jusqu'aujourd'hui.
719. Notre grande Reine
pria aussi les mêmes anges qui gardaient ces saints lieux, et l'évangéliste,
de lui donner leur bénédiction dans cette dernière visite; après cela elle
s'en retourna à son oratoire avec beaucoup de larmes, comme quittant avec une
sorte de regret ce qu'elle aimait si tendrement sur la terre. Ensuite elle se
prosterna la face contre terre, et fit une longue et
très-fervente prière pour l'Église; elle y persévéra jusqu'à ce que,
par la vision abstractive de la Divinité, le Seigneur lui répondit que ses
570
prières
étaient, exaucées au tribunal de sa clémence. Et pour donner en tout la
plénitude de sainteté à ses Qeuvres, elle demanda
au Seigneur la permission de prendre congé de la sainte Église , et lui dit :
« Souverain Seigneur, mon unique bien, Rédempteur du monde, chef des saints et
des prédestinés; justificateur et glorificateur des âmes, je suis fille de la
sainte Église que vous avez acquise et fondée par votre sang:
permettez-moi, Seigneur, de faire mes adieux à une si bonne mère
et à tous mes frères vos enfants. » Ayant connu à cet égard l'agrément
de son très-doux Fils, elle s'adressa au corps de
la sainte Église, et lui dit avec beaucoup de larmes et de tendresse ce qui
suit :
720. « Église sainte et
catholique (qui dans les siècles à venir serez appelée romaine), ma mère et ma
maîtresse, véritable trésor de mon âme, vous a avez été l'unique consolation
de mon exil; le refuge de mes peines et le soulagement de mes travaux, ma joie
et mon espérance; c'est vous qui,m'avez a conservée en ma carrière, c'est en
vous que pauvre pèlerine j'ai vécu loin de ma patrie, et c'est vous qui m'avez
entretenue depuis que j'ai reçu en vous d’être de la grâce par votre
chef et le mien, Jésus Christ mon Fils et mon Seigneur. En vous sont les
trésors de ses mérites infinis, vous êtes, pour ses fidèles enfanta le
passage assuré qui mène à la terre promise, et vous les protégez dans leur
dangereux et a difficile pèlerinage. Vous êtes la maîtresse des nations que
tous doivent révérer; en vous les afflictions,
571
les
opprobres, les sueurs, les tourments, la croix et la mort sont des
joyaux d'un prix inestimable, car tout a été consacré par la mort de mon u
Seigneur votre Père, votre maître et votre chef, et réservé pour ses
plus grands serviteurs et pour ses plus chers amis. Vous m'avez ornée de
vos pierreries pour entrer aux noces de l'Époux, vous m'avez
enrichie, comblée de dons et de présents, et vous avez en vous-même
votre auteur dans l'adorable Sacrement. Heureuse mère, ma chère Église
militante, vous êtes opulente et riche de trésors. Vous avez toujours eu
tout mon cœur et tous mes soins; mais il faut que je vous quitte main
tenant et que je m'arrache à votre douce compagnie pour arriver à la fin de ma
carrière. Appli quez-moi l'efficace de tant de biens, arroses-moi
abondamment des flots sacrés du sang de l'Agneau que vous avez en dépôt,
et qui pourrait sanctifier des milliers de mondes. Je voudrais su prix
de mille vies vous acquérir toutes les nations et toutes les
générations des mortels, afin qu'elles profitassent de vos trésors. Ma
bien-aimée Église, mon bon lieur et ma gloire, je vous laisse en la vie
mortelle, mais je vous trouverai triomphante en la vie éternelle, dans cet
être où toutes choses sont renfermées. Je vous regarderai de là avec
tendresse, et je prierai toujours pour votre prospérité et
pour tous vos progrès. »
721. Ce fut là l'adieu
qu'adressa la très-pure Marie au corps mystique de
la sainte Église catholique
572
romaine
mère des fidèles, pour leur enseigner (quand ils en auront la connaissance) la
vénération, l'amour et l'estime qu'elle avait pour elle , et qu'elle
témoignait par de si douces larmes et par de si tendres affections. Après cet
adieu, notre grande Dame détermina, comme Mère de la Sagesse, de faire son
testament. Et lorsqu'elle eut manifesté au Seigneur ce
très-prudent désir, sa divine Majesté voulut l'autoriser par sa
présence. La très-sainte Trinité descendit donc
dans l'oratoire de sa Fille et de son Épouse, avec une infinité d'anges qui
entouraient le trône de la Divinité, et après que la
très-pieuse Reine eut adoré l'être de Dieu infini, il sortit une voix
du trône qui lui disait : « Notre Épouse et notre élue, exprimez votre
dernière volonté comme vous souhaitez, nous l'accomplirons et la confirmerons
en tous points par noire pouvoir infini. » La
très-prudente Mère se retint quelque temps dans sa profonde humilité,
parce qu'elle désirait savoir la volonté du Très-Haut avant de manifester la
sienne propre. Mais le Seigneur répondit à cet humble désir, et la personne du
Père lui dit : « Ma Fille, votre; volonté me sera
agréable , vous ne vous priverez point du mérite de vos oeuvres
en ordonnant ce que vous avez déterminé pour partir de la vie mortelle, car je
satisferai vos désirs. » Le Fils et le Saint-Esprit confirmèrent cette parole.
Et la bienheureuse Vierge ayant reçu ces promesses, fit sou testament en cette
forme.
722.«
Dieu éternel, moi vermisseau de terre, je
573
vous
glorifie et vous adore du fond de mon Ame, Père, Fils, et Saint-Esprit,
trois personnes distinctes en un même être indivisible et éternel, en
une seule substance et en une majesté infinie, en attributs et en
perfections. Je vous exalte et vous confesse pour l'unique, le véritable
et le seul Créateur et conservateur de tout ce qui a l'être. Je déclare en
votre divine présence que ma dernière volonté est celle-ci : Je n'ai rien à
laisser des biens de la vie mortelle et du monde dans lequel je
vis , car je n'ai jamais possédé ni aimé autre
chose que vous, qui êtes mon unique bien et toutes mes richesses. Je rends des
actions de grâces aux cieux, aux astres, aux étoiles, aux
planètes , aux éléments et à toutes les autres créatures, de ce
qu'obéissant à votre volonté, elles ont pourvu à ma subsistance, sans que je
l'eusse mérité. Je souhaite de tout mon coeur qu'elles vous servent et
vous louent dans les offices et dans les ministères dont cous les avez
char gés, et qu'elles pourvoient à la subsistance de mes frères les
hommes. Et afin qu'elles le fassent mieux, je cède et transporte aux mêmes
hommes la possession et, autant qu'il est possible, le domaine que votre
divine Majesté m'avait. donné de toutes ces
créatures irraisonnables. Je laisserai à Jean deux tuniques et un voile dont
je me suis servi pour me couvrir, afin qu'il en dispose, puisque je le
regarde a comme mon fila. Je demande à la terre de recevoir
a mon corps, puisqu'elle est la mère commune, et
quelle vous sert comme votre ouvrage. Je remets,
574
mon
Dieu, entre vos mains mon âme dépouillée du corps et de tout ce qui est
visible , afin qu'elle vous a aime et vous glorifie pendant toute votre
éternité. Je laisse la sainte Eglise ma mère pour l'héritière universelle de
tous mes mérites, de toutes a mes oeuvres, de tous mes travaux et de tous les
trésors que j'ai acquis avec votre divine grâce, avec votre permission; je les
lui donne en dépôt, a et je voudrais qu'il y en exit beaucoup plus.
Je désire en premier lieu qui ils servent à l'exaltation de
votre saint nom, et à obtenir que votre sainte volonté se fasse
toujours sur la terre comme su a ciel, et que toutes les nations vous
connaissent, vous aiment et vous rendent le culte suprême qui vous est
dû, comme étant le seul et le véritable
Dieu.
723. « En second lieu je
les offre pour les apôtres, mes vénérables maîtres, et pour les apôtres
présents et à venir, afin que votre clémence ineffable les rende des
ministres aptes à leur office et, dignes de leur état, et que, par leur
sagesse, leur vertu et leur sainteté , ils édifient
et sanctifient les âmes rachetées par votre sang. En troisième lieu je les
applique pour le bien spirituel des personnes qui me seront dévotes, qui
me serviront et qui m'invoqueront, afin qu'elles obtiennent votre grâce et
votre protection , et ensuite la vie éternelle. En
quatrième lieu je désire que mes travaux et mes services vous portent à
être favorable envers tous les pécheurs enfants d'Adam, afin qu'ils sortent du
575
malheureux
état du péché. Et dès maintenant je me propose de toujours prier, et je
prierai toujours pour eux en votre divine présence tant que le
monde durera. C'est là, mon Dieu, ma dernière volonté, toujours soumise à la
vôtre. Notre auguste Reine conclut ce testament, et la
très-sainte Trinité le confirma et l'approuva, et notre Rédempteur
Jésus-Christ, comme en autorisant toutes les dispositions, écrivit dans le
coeur de sa Mère ces paroles en guise de signature : Que ce que cous vouiez
et ordonnez se fasse.
726. Quand les enfants
d'Adam, et en particulier ceux qui naissent dans la loi de grâce, n'auraient
point d'autre obligation à la bienheureuse Marie que de les avoir fait
héritiers de ses mérites immenses et de tout ce que son court et mystérieux
testament enferme, ils ne sauraient s'acquitter de leur dette, pussent-ils en
retour sacrifier leur vie au milieu de. tous les
supplices que les plus grands martyrs ont soufferts Je ne fais point ici de
comparaison, parce qu'il n'y eu a aucune, avec les mérites et les trésors
infinis que notre Sauveur Jésus-Christ nous a laissés dans l'Église. Mais
quelle excuse auront les réprouvés qui n'ont, fait leur profit ni des uns ni
des autres, et qui les ont tous méprisés, oubliés et perdus?
Quel sera leur tourment et leur désespoir
lorsqu'ils reconnaîtront trop tard qu'ils ont perdu pour toujours tant de
bienfaits et tant de trésors pour un plaisir passager? Ils avoueront l'équité
du jugement par lequel ils sont très-justement
punis et privés de la
576
présence
du Seigneur et de celle de sa miséricordieuse Mère, qu'ils ont méprisé avec
une folle témérité.
725. Après que notre grande
Reine eut fait son testament, elle rendit des actions de grâces au
Tout-Puissant, et lui demanda la permission de lui
faire une autre prière; et l'ayant obtenue, elle dit : « Mon Seigneur
très-clément, Père des miséricordes, si c'est
votre gloire et. votre bon plaisir, je souhaite que mes vénérables
maîtres les apôtres et les autres disciples assistent à ma mort, afin
qu'ils prient pour moi, et que je parte avec leur bénédiction, de cette vie,
pour aller jouir de la vie éternelle. » Son très-saint
fils répondit à cette demande : « Ma très-chère
Mère, mes apôtres sont déjà en route pour se rendre auprès de vous, et
ceux qui sont dans les provinces les plus voisines arriveront bientôt;
quant aux autres qui parcourent des régions éloignées, je leur enverrai mes
anses qui les porteront, car ma volonté est qu'ils assistent tous
à votre glorieuse mort pour votre consolation et la leur, et dans l'intérêt de
ma plus grande gloire et de la vôtre. » L'auguste Vierge s'étant prosternée
rendit des actions de grâces pour cette nouvelle faveur et pour toutes les
autres, puis les divines personnes s'en retournèrent dans l'empyrée.
Instruction que la grande Reine des anges m'a donnée.
726. Ma fille, vous admirez
l'estime et le grand amour que j'eus pour la sainte Église, c'est pour cela
que je veux vous aider à augmenter vos affections, afin que vous ayez aussi
pour elle une nouvelle vénération, et que vous en conceviez nue plus haute
idée. Vous ne, sauriez comprendre, tant que vous vivrez dans votre chair
mortelle , ce qui se passait dans mon intérieur à
l'égard de la sainte Eglise. Cependant, outre ce que vous avez appris, vous en
découvrirez encore davantage si vous considérez les causes qui provoquaient
les sentiments de mon cœur. Ces causes furent l'amour et les ouvres de mon
très-saint saint Fils envers cette mime
Église , et c'est sur quoi vous devez méditer jour
et nuit, car par ce qu'il a fait pour l'Église vous connaîtrez l'amour que
j'eus pour elle. Pour être son chef en ce monde (1), et. à
jamais celui des prédestinée (2), il descendit du sein du l'ire éternel, et
prit la chair humaine dans mes entrailles. Pour recouvrer ses enfants, qui
étaient perdus par le premier péché d'Adam (3), il se revêtit de la chair
mortelle et passible. Pour laisser aux hommes les exemples de son innocente
vie (4) et la doctrine de la vérité et du salut, il vécut et conversa avec eux
(1)
Colos., I, 18. — (2) Rom., VIII, 29. — (3) Luc., XIX, 10. — (4) Baruch., III,
38.
578
durant
trente-trois années (1). Pour les racheter en effet, et pour leur mériter des
biens infinis de grâce et de gloire que les fidèles ne pouvaient mériter, il
souffrit la plus cruelle Passion, il versa son sang a subit la mort
douloureuse et ignominieuse de la croix (2). Enfin ,
pour que l'Église sortit mystérieusement de son corps sacré déjà inanimé; il
se laissa ouvrir le côté d'un coup de lance (3).
727. Et c'est parce que le
Père éternel se complut infiniment dans sa vie, dans sa Passion et dans sa
mort, que le même Rédempteur institua dans l'Église le sacrifice de son corps
et de son sang , afin que les fidèles en renouvelassent la mémoire (4), et
l'offrissent pour apaiser et satisfaire la divine justice ; et aussi afin
qu'il demeurât toujours sous les espèces sacramentales dans l'Église, pour
être la nourriture spirituelle de ses enfants, et qu'ils eussent près d'eux la
source même de la grâce, le viatique et le gage certain de la vie éternelle.
Il envoya de plus le Saint-Esprit sur l'Église (5), afin qu'il la
remplit de ses dons et de sa sagesse, lui
promettant son assistance, et l'assurant qu'il la gouvernerait et la
dirigerait à l'abri de l'erreur et de tous les dangers. Il l'enrichit de tous
les mérites de sa Passion , de sa vie et de mort , les lui appliquant par le
moyen des sacrements qu'il établit suivant les besoins des hommes , dès leur
naissance jusqu'à leur mort, pour qu'ils pussent se purifier de leurs péchés ,
persévérer dans sa grâce , se
(1) I Petr., II, 21. (2) Philip., II, 8. — (3) Joan., XII, 34. — (4) Luc., XXII, 19. — (5)
Act., II, 2; Joan., XV, 26.
579
défendre
contre les démons , les vaincre avec les armes de l'Église , et maîtriser
leurs propres passions naturelles, et laissant à cet effet des ministres
capables de les administrer. Il se communique dans l'Église militante
familièrement aux limes saintes , il leur fait part
de ses secrètes faveurs, il opère pour elles des miracles et des merveilles
quand sa gloire l'exige, il agrée leurs oeuvres et il exauce les prières
qu'elles lui adressent, soit pour elles, soit pour les autres, afin de
conserver dans l'Église la communion des saints.
728. Il y laissa une autre
source de lumière et de vérité, qui sont les saints
Évangiles et les divines Écritures, dictées par le Saint-Esprit, les décisions
des conciles, et les traditions anciennes et authentiques. Il lui a suscité
aux temps opportuns de saints docteurs pleins de sagesse; lui a donné une
multitude de maîtres habiles, de prédicateurs et de ministres; l'a illustrée
par des saints admirables; l'a embellie par la variété des ordres religieux,
où l'ou conserve et professe la vie parfaite et apostolique ; et continue à la
gouverner par un grand nombre de prélats. Et afin que cette constitution de
l'Église fût plus parfaite, il y a établi un chef supérieur, qui est le
Pontife romain, son vicaire, avec une juridiction suprême et un divin pouvoir,
comme chef de ce beau corps mystique, qu'il protége et défendra jusqu'à la lin
du monde contre les puissances de la terre et de l'enfer (1). Et entre toutes
ces faveurs qu'il a faites
(1)
Matth.,
XVI, 18.
580
et qu'il
fait soit Église bien-aimée, la moindre ne fut pas de m'y laisser après son
admirable ascension, afin que je la guidasse et que je l'affermisse par mes
mérites et par ma présence. Je regardai dès lors, et je regarderai toujours
cette Église comme mienne; le Très-Haut me fit cette donation, et m'ordonna
d'en prendre soin comme en étant la Mère et la Maîtresse.
729. Ce sont là, ma
très-chère fille, les grands titres et les
pressants motifs que j'eus et que j'ai maintenant pour aimer la sainte Église
comme vous avez vu que je l'aimais : et je veux que ce soient les mêmes qui
vous excitent à m'imiter en tout ce qui vous regarde, comme étant ma disciple,
ma tille, et celle de la même Église. Aimez-la, honorez-la et estimez-la du
fond de votre coeur ; jouissez de ses trésors, et profitez des richesses du
ciel, qui sont toises en dépôt dans l'Église avec son Auteur. Tâchez de l'unir
à vous et de vous unir à elle, puisque vous trouvez en elle votre refuge,
votre remède, la consolation dans vos épreuves, l'espérance en votre exil, et
la vérité qui vous conduit parmi les ténèbres du monde. Je veux que vous
travailliez pour cette sainte Église tout le reste de votre vie, puisqu'elle
vous a été accordée à cette titi, et pour que vous m'imitiez dans la
sollicitude infatigable que j'eus durant ma vie mortelle; c'est là votre plus
grand bonheur, que vous devez reconnaître éternellement. Je veux aussi que
vous sachiez que dans cette intention et ce désir je vous ai appliqué une
grande partie ries trésors de
581
l'Église,
afin que vous écrivissiez ma vie; et le Seigneur vous a choisie pour être la
secrétaire des mystères cachés qui regardent sa plus grande gloire. Ne vous
imaginez point que, pour avoir travaillé un peu par suite de ce choix, vous
lui ayez donné une partie du retour que vous lui devez pour vous acquitter de
cette dette ; au contraire, vous êtes maintenant plus obligée à mettre en
pratique toute la doctrine que vous avez écrite; et tant que vous ne le ferez
point, vous serez toujours pauvre, vous ne satisferez pas à votre dette, et il
vous sera demandé un compte rigoureux de ce que vous avez reçu. Voici le
moment de travailler, afin que vous vous trouviez préparée et libre à l'heure
de votre mort, et qu'il n'y ait rien en vous qui vous empêche de recevoir
l'Époux. Considérez à quel détachement j'étais arrivée, et combien j'étais
débarrassée et affranchie de tout ce qui est. terrestre
; je veux que vous vous conduisiez par cette règle, et que vous veilliez à ce
que l'huile de la lumière et de l'amour ne votas manque point, afin que vous
entriez aux noces de l'Époux (1), et qu'il vous ouvre les portes de sa
miséricorde et de sa clémence infinies.
(1) Matth., XXV, 3.
582
CHAPITRE XIX. La bienheureuse et glorieuse
mort
de l'auguste Marie, et comment les apôtres et les disciples arrivèrent
auparavant à Jérusalem, et s'y trouvèrent présents.
730. Le jour que la divine
volonté avait déterminé approchait, le jour où l'Arche vivante et véritable du
Testament devait être transférée dans le temple de la Jérusalem céleste avec
beaucoup plus lie gloire et de joie que Salomon ne plaça dans le sanctuaire
sous les ailes des chérubins celle qui eu était la figure (1). Trois jours
avant la glorieuse mort de notre grande Dame, les
apôtres et les disciples se trouvèrent réunis à Jérusalem dans la maison du
Cénacle. Le premier qui y arriva fut saint Pierre, parce qu'un ange l'y
transporta de Rome, où il était en ce moment. Le messager céleste lui avait
apparu, et lui avait dit que la mort de la très-pure
Marie approchait, et que le Seigneur ordonnait qu'il vint
à Jérusalem pour y assister. Et lui ayant donné cet avis, il le porta d'Italie
au Cénacle, où la Reine de l'univers était dans son oratoire. Déjà, chez elle
les forces du corps cédaient à la force de l'amour divin, qui, à, mesure que
sa
(1) III Reg., VI, 8.
583
fin
approchait, lui faisait sentir ses effets avec plus d'effcace.
731. Notre auguste Reine se
présenta à la porte de l'oratoire pour recevoir le vicaire de notre Sauveur
Jésus-Christ; et, s'étant mise à genoux , elle lui
demanda sa bénédiction, et lui dit: « Je remercie et bénis le
Tout-Puissant de ce qu'il m'a amené mon
saint père, afin qu'il m'assiste à l'heure de ma mort. » Bientôt arriva saint
Paul, auquel la bienheureuse Vierge rendit à proportion le même respect, lui
témoignant par d'égales démonstrations la joie qu'elle avait de le revoir. Les
apôtres la saluèrent comme Mère de Dieu, comme, leur propre Reine et comme
Maîtresse de tout ce qui est créé, mais avec non moins de douleur que de
vénération, parce qu'ils savaient qu'ils étaient venus pour assister à sa
très-heureuse mort. Les autres apôtres et les
disciples qui vivaient encore arrivèrent ensuite; et tous se trouvèrent réunis
dans le Cénacle trois jours avant le triste événement: la divine Mère les
reçut tous avec une profonde humilité et avec une tendresse maternelle,
demandant à chacun sa bénédiction. Ils la lui donnèrent tous, et la saluèrent
avec un respect inexprimable; et par l'ordre que notre Reine donna elle-même à
saint Jean, ils furent tous logés et pourvus du nécessaire, l'apôtre saint
Jacques le Mineur partageant tous ces soins avec saint Jean.
732. Quelques-uns des
apôtres qui furent transportés par les mains des anges, apprirent d'eux le
sujet de leur venue; et cette nouvelle les affligea
584
extrêmement,
et leur fit répandre des torrents de larmes, parce qu'ils considéraient qu'ils
allaient perdre leur Protectrice et leur unique consolation. Les autres
l'ignoraient, et en particulier les disciples; car ils ne reçurent aucun avis
extérieur des anges ils sentirent seulement, par quelques inspirations douces
et efficaces, que c'était la volonté de Dieu qu'ils se rendissent
immédiatement à Jérusalem, comme ils le firent. En y arrivant ils
communiquèrent aussitôt à saint Pierre la cause de leur venue, afin qu'il les
informât des circonstances particulières qui se présentaient; car ils
comprirent tous que, s'il n'y en avait pas eu, le Seigneur ne les aurait pas
appelés avec la force qu'ils avaient sentie. L'apôtre saint Pierre, en qualité
de chef de l'Église, les assembla tous pour leur apprendre le sujet de leur
venue, et leur dit: « Mes très-chers enfant et mes
bien-aimés frères, le Seigneur ne nous a point appelés et fait venir à
Jérusalem de divers endroits si éloignés sans une cause bien grande et bien
affligeante pour nous. il vent élever à la gloire
éternelle sa bienheureuse, Mère, notre Maîtresse, notre Protectrice, et toute
notre consolation ; et il vont aussi que nous nous trouvions tous présents à
sa glorieuse mort. Lorsque notre Maître et notre Rédempteur monta à la droite
de son Père éternel, quoiqu'il nous laissât orphelins de sa vue si désirable,
nous avions au moins sa très-sainte Mère pour
notre refuge et pour notre véritable consolation dans la vie mortelle; mais
maintenant que notre Mère et notre
585
Lumière nous quitte, que ferons-nous? Quelle protection et quelle
espérance aurons-nous qui a nous anime dans notre pèlerinage? Je n'en trouve
aucune, si ce n'est que nous la suivrons tous avec le temps. »
733. Saint Pierre ne put
continuer son discours, suffoqué par les larmes et les sanglots qu'il ne put
retenir. Les autres apôtres ne purent non plus lui répondre pendant longtemps
que par des gémissements qu'ils poussaient du fond de leur coeur, et par des
larmes abondantes ; mais lorsque le vicaire de Jésus-Christ fut assez maître
de son émotion pour pouvoir parler, il reprit en ces termes : a Mes en farts,
allons trouver notre Mère, restons auprès d'elle durant le peu de temps
qu'il lui reste à vivre, et demandons-lui sa sainte bénédiction.
v Ils se rendirent tous avec saint Pierre à
l'oratoire de notre grande Reine, où ils la trouvèrent agenouillée sur une
petite estrade sur laquelle elle s'appuyait lorsqu'elle prenait un peu de
repos. Ils la virent tous resplendissante de beauté, revêtue d'une lumière
céleste, et entourée des mille anges qui l'assistaient.
734. La disposition
naturelle de sou corps virginal et de son visage était celle qu'elle avait
cite à l'âge de trente-trois ans; car, à partir de cette époque, (comme je
l'ai dit dans la seconde partie), elle ne subit aucun changement dans son état
naturel ; elle ne sentit point l'action du temps, ni les effets de la
vieillesse; elle n'eut aucune ride ni sur son visage,
586
ni sur
ses membres ; elle n'éprouva aucun affaissement, aucun affaiblissement, et son
corps ne maigrit point comme celui des autres enfants d'Adam , que la
vieillesse abat et défigure, au point qu'ils ne conservent presque rien de
leur jeunesse ou de leur maturité. Cette immutabilité fut un privilège unique
pour la bienheureuse Marie, tant parce qu'elle correspondait à la stabilité de
son âme très-sainte, que parce que ce .fut eu elle
une suite de l'immunité qui la préserve du premier péché d'Adam, dont les
effets à cet égard n'atteignirent ni son sacré corps, ni son âme
très-pure. Les apôtres, les disciples et quelques
autres fidèles étaient rangés dans l'oratoire de l'auguste Marie ; saint
Pierre et saint Jean se trouvaient au chevet du lit. Notre grande Dame les
regarda tous avec la modestie et l'humble douceur qui lui étaient ordinaires,
et leur dit : « Mes très-chers enfants, permettez
à votre servante de parler en votre présence, et de vous découvrir ses humbles
désirs. » Saint Pierre lui répondit qu'ils l'écoutaient tous avec attention,
et qu'ils lui obéiraient en ce qu'elle leur commanderait, et la supplia de
s'asseoir sur le lit pour leur parler : car il parut à saint Pierre qu'elle
devait être fatiguée d'avoir demeuré si longtemps à genoux, et que si elle
priait en cette posture le Seigneur, il était juste que pour leur parler elle
s'assit comme étant leur Reine.
735. Mais Celle qui était
la Maîtresse de l'humilité et de l'obéissance jusqu'à la mort, pratiqua ces
vertus à cette heure ; elle répondit qu'elle obéirait après
587
leur
avoir demandé leur bénédiction, et les pria de lui permettre de se mettre en
état de recevoir cette consolation. Avec le consentement de saint Pierre, elle
descendit de l'estrade, et, se mettant à genoux devant le même apôtre, elle
lui dit : « Seigneur, je vous supplie, comme pasteur universel et chef de la
sainte Église, de me donner en votre nom et au sien votre sainte bénédiction,
et de pardonner à votre servante le peu qu'elle a fait durant sa vie pour vous
servir, afin qu'elle s'en aille à la vie éternelle. Et si c'est votre volonté,
permettez que Jean dispose de mes habits, qui consistent en deux tuniques, et
qu'il les donne à certaines filles pauvres qui m'ont toujours obligée par leur
charité. » Ensuite elle se prosterna, et baisa avec
beaucoup
de larmes les pieds de saint Pierre, comme vicaire de Jésus-Christ, à la
grande admiration du même apôtre et de tous les assistants, qui étaient
profondément attendris. Elle s'adressa ensuite à saint Jean, et, s'étant aussi
prosternée à ses pieds, elle lui dit : « Pardonnez-moi, mon fils, de ce que je
ne me suis pas assez bien acquittée envers vous de l'office de Mère que le
Seigneur m'a confié, lorsque étant sur la croix il vous destina pour être mon
fils, et me nomma pour être votre Mère (1). Je vous rends d'humbles actions de
grâces pour la bonté avec laquelle vous m'avez assistée comme fils. Donnez-moi
votre bénédiction avant que j'aille jouir de la
(1) Joan., XIX, 27.
588
compagnie
et de la vue éternelle de Celui qui m'a créée. »
736. La
très-douce Mère continua cet adieu, s'adressant
séparément à tous les apôtres et à quelques disciples, et ensuite en général à
tous les autres assistants, qui étaient nombreux. Puis elle se releva, et
parlant à toute cette sainte assemblée, elle dit: « Mes
très-chers enfants et seigneurs, vous avez
toujours été écrits dans mon coeur, où je vous ai tendrement
aimés avec la charité qui m'a été communiquée par mon
très-saint Fils, que j'ai toujours regardé en
vous comme en ses élus et en ses amis. Je m'en vais par sa sainte
et éternelle volonté aux demeures célestes, où je vous promets comme
Mère 'q ne vous me serez présents dans la
très-claire lumière de la Divinité, dont mon âme désire et
attend la vision avec confiance. Je vous recommande l'Église, ma
mère, l'exaltation du nom du Très-Haut, la propagation de sa loi
évangélique , l'estime des paroles de mon
très-saint Fils, la mémoire de sa vie et de sa mort, et la
pratique de toute sa doctrine. Aimez, mes enfants, la sainte Église, et
aimez-vous les uns les autres de tout votre coeur, dans les liens de la
charité et de la paix, que votre adorable Maître a toujours enseignées
(1). Et vous; Pierre, pontife saint, je vous recommande mon fils
Jean, et les autres aussi. »
737. La bienheureuse Marie
acheva de parler, et
(1) Joan., XIII, 34.
589
ses
paroles, comme autant de dards enflammés du feu divin, percèrent et
embrasèrent le coeur de tous les apôtres et de tous ceux qui étaient avec eux,
et fondant en larmes, pénétrés d'une douleur inconsolable, ils se
prosternèrent tous devant la très-douce Marie,
qu'ils émurent si vivement par leurs sanglots et par leurs gémissements, que,
ne voulant pas résister à leur juste douleur, elle se mit à pleurer elle- même
avec ses enfants. Quelques instants après elle leur parla de nouveau, et les
exhorta à prier avec elle et pour elle. en silence,
ce qu'ils firent. Au milieu de ce doux calme, le Verbe incarné descendit du
ciel sur un trône d'un éclat ineffable, accompagné de tous les saints de la
nature humaine et d'une multitude innombrable d'anges de tous les chœurs, de
sorte que la maison du Cénacle fut toute remplie de gloire. L'auguste Marie
adora le Seigneur et lui baisa les pieds, et se prosternant devant sa divine
Majesté, elle fit, pour la dernière fois dans la vie mortelle, le plus profond
acte de reconnaissance et d'humiliation; en ce moment la grande Reine de
l'univers s'humilia plus que tous les hommes ensemble ne se sont jamais
humiliés s après leurs péchés, et ne s'humilieront jusqu'à la fin du monde.
Son très-saint Fils lui donna sa bénédiction, et
en présence des courtisans du ciel, il lui dit ces paroles : Ma
très-chère Mère, que j'ai choisie pour ma
demeure, voici l'heure à laquelle vous devez passer de la vie
mortelle et du monde à la gloire de mon Père et à la mienne, où se
trouve préparée à ma droite la place dont vous jouirez
590
pendant
toute l'éternité. Et de même que j'ai voulu qu'en qualité de ma Mère, vous
entrassiez dans le monde libre et exempte du péché ,
de même je veux que, pour vous en faire sortir, la mort n'ait aucun droit de
vous toucher. Si vous ne voulez point passer par elle, venez avec moi, afin
que vous participiez à ma gloire que vous avez méritée. »
738. La
très-prudente Mère se prosterna devant son Fils,
et lui répondit avec un air joyeux : « Mon Fils et mon Seigneur, je vous
supplie de permettre que votre Mère et votre servante entre dans la vie
éternelle par la porte commune de la mort naturelle, comme les autres enfants
d'Adam. Vous qui êtes mon véritable Dieu, vous l'avez subie sans
être aucunement obligé à mourir; il est juste que, comme j'ai
tâché de vous suivre en la vie, je vous suive aussi en la mort. »
Notre Sauveur Jésus-Christ approuva le sacrifice et la volonté de sa
très-sainte Mère, et lui dit que ce qu'elle
souhaitait pouvait s'accomplir. Aussitôt tous les anges commencèrent à chanter
avec une harmonie céleste divers versets des cantiques de Salomon et d'autres
nouvelles hymnes. Et quoique la présence de Jésus-Christ notre Sauveur ne fût
manifestée par une illustration particulière qu'à saint Jean et à quelques
apôtres, tandis que les autres éprouvaient seulement dans leur âme de divins
et puissants effets, la musique des anges fut entendue, tant par les disciples
et beaucoup de fidèles qui étaient avec eux, que par les apôtres.
591
L'air
se remplit aussi d'une divine odeur, qui se faisait sentir comme la musique st
faisait entendre jusque dans la rue. Toute la maison du Cénacle fut illuminée
d'une splendeur admirable qui frappait tous les yeux, et le Seigneur, voulant
augmenter le nombre des témoins de cette nouvelle merveille, y fit accourir
beaucoup d'habitants de Jérusalem qui se trouvaient dans la rue.
739. Au moment où les anges
commencèrent leurs chants, la bienheureuse Marie s'inclina sur son lit, sa
tunique comme collée à son sacré corps , les mains
jointes, les yeux fixés sur son très-saint Fils,
tout embrasée de son divin amour. Et lorsque les anges vinrent à chanter ces
versets du second chapitre du Cantique des cantiques : Hâtez-vous de vous
lever, ma bien-aimée, ma colombe, ma toute belle, et venez; car l'hiver est
passé; etc. (1), alors, à ces douces paroles, elle prononça
celles que dit son très-saint Fils sur la
croix: Seigneur, je remets mon âme entre vos mains (2). Puis elle ferma les
yeux et elle expira. La maladie qui lui ôta la vie ce fut l'amour, sans aucun
autre accident ou infirmité, et voilà comment le pouvoir divin suspendit
l'intervention miraculeuse par laquelle il lui conservait les forces
naturelles afin qu'elles ne fussent point consumées par l'ardeur sensible que
lui causait l'amour divin, et, ce miracle cessant, ce feu sacré produisit son
effet, et dessécha en elle l'humide radical du coeur, de sorte que la vie
naturelle dut finir.
(1) Cant., II, 10. — (2) Luc, XXIII, 46.
592
740. L'àme
très-pure de Marie passa de son corps virginal à
la droite et sur le trône de son très-saint Fils,
où à l'instant elle fut placée avec une gloire immense. Bientôt on commença à
s'apercevoir que la musique des anges s'éloignait dans la région de l'air, car
tout ce cortége d'anges et de saints, accompagnant leur Roi et leur Reine,
monta dans l'empyrée. Le corps sacré de l'auguste Marie, qui avait été le
temple et le sanctuaire du Dieu vivant, resta revêtu de lumière et de
splendeur, et il exhalait une odeur si délicieuse et si extraordinaire, que
tous ceux qui se trouvaient présents se sentaient pénétrés dans leurs sens et
dans leurs puissances d'une suavité céleste. Les mille anges composant la
garde de la bienheureuse Vierge demeurèrent pour garder le trésor inestimable
de son très-saint corps. Les apôtres et les
disciples, partagés entre la douleur qui leur arrachait encore des larmes et
la joie que leur causaient toutes ces merveilles, restèrent quelque, temps
dans une sorte de ravissement, puis ils se mirent à chanter plusieurs hymnes
et plusieurs psaumes à l'honneur de la très-pure
Marie déjà morte. Cette glorieuse fin de la grande Reine de l'univers arriva
un vendredi à trois heures du soir, à la même heure que son adorable Fils
mourut, le 13 août, et à la soixante-dixième année de son âge, moins les
vingt-six jours qu'il y a du 13 août, jour où elle mourut, jusqu'au 8
septembre, anniversaire de sa naissance , auquel
elle aurait accompli les soixante-dix ans. Après. la
mort de notre Sauveur Jésus-Christ, la divine Mère survécut dans le
593
monde
vingt-un ans quatre mois et dix-neuf jours, et
c'était la cinquante-cinquième année de son enfantement virginal. Il est
facile de faire cette supputation. Lorsque notre Rédempteur Jésus-Christ
naquit, sa Mère Vierge avait quinze ans trois mois et dix-sept jours. Le
Seigneur vécut trente-trois ans et trois mois, de sorte qu'à l'époque de sa
Passion, la bienheureuse Marie avait quarante-huit ans six mois et dix-sept
jours; en y ajoutant vingt-un ans quatre mois et
dix-neuf jours, on a soixante-dix ans moins vingt-cinq ou vingt-six jours.
741. De grandes merveilles
et plusieurs prodiges marquèrent cette précieuse mort
de notre auguste Reine; car le soleil s'éclipsa (comme je l'ai dit ailleurs)
et en signe de deuil il déroba sa lumière pendant quelques heures. Beaucoup
d'oiseaux de diverses espèces se réunirent autour de la maison du Cénacle, et
par les cris plaintifs et les gémissements qu'ils ne cessaient de pousser, ils
touchaient le coeur de tous ceux qui les entendaient. Toute la ville.
de Jérusalem s'émut, et ses habitants frappés
d'admiration accouraient au Cénacle , publiant à haute voix la puissance de
Dieu et la grandeur de ses oeuvres. Il y en avait qui étaient tout éperdus et
comme hors d'eux-mêmes. Quant aux apôtres, aux disciples et aux autres
fidèles, ils ne faisaient que soupirer et pleurer. Beaucoup de malades
accoururent, et tous furent guéris. Les âmes qui étaient dans le purgatoire en
sortirent. Et la plus grande merveille fut, qu'au moment même où la
bienheureuse Marie expira, trois personnes expirèrent
594
aussi,
un homme à Jérusalem, et deux femmes qui habitaient près du Cénacle; elles
moururent en état de péché et dans l'impénitence, de sorte qu'elles allaient
être damnées; mais leur cause arrivant su tribunal de Jésus-Christ, sa
très-douce Mère demanda miséricorde pour elles, et
elles revinrent à la vie. Elles l'améliorèrent ensuite de telle sorte,
qu'elles moururent en état de grâce et se sauvèrent. Ce privilège ne fut pas
général pour les autres qui moururent ce jour-là dans le monde, mais seulement
pour ces trois personnes de Jérusalem qui expirèrent à la même heure. Je dirai
dans un autre chapitre ce qui arriva dans le ciel après la mort de l'auguste
Vierge, et combien ce jour fut solennel dans la Jérusalem triomphante, pour ne
point mêler cette joie avec le deuil des mortels.
Instruction que j'ai reçue de la grande Reine du ciel:
742. Ma fille, outre ce que
vous avez appris et rapporté de ma glorieuse mort, 1je veux vous faire
connaître un autre privilège que mon très-saint
Fils m'accorda à cette heure. Vous avez écrit que sa divine Majesté laissa à
mon choix de mourir ou de passer à la vision béatifique et éternelle, sans me
soumettre à cette peine de la mort. Et si je n'eusse pas voulu la subir, il
est certain que le Très-Haut m'en eût exemptée ;
595
car,
comme le péché n'eut aucune entrée en. moi, la
peine du péché, qui fut la mort, n'en aurait point eu non plus. Il en eût été
de même, et à plus forte raison, pour mon très-saint
Fils, s'il ne se fût chargé de satisfaire à la justice divine pour les hommes,
au moyen de sa Passion et de sa mort (1). Je choisis moi-même la mort pour
l'imiter, comme je l'avais fait dans les douleurs de sa Passion, et parce que
si, après avoir vu mourir mon Fils et mon Dieu véritable, j'eusse refusé la
mort, je n'aurais point satisfait à l'amour que je lui devais, et j'aurais
laissé une grande disparate en la ressemblance que je désirais avoir avec le
même Seigneur incarné, et que sa divine Majesté voulait que j'eusse en toutes
choses avec sa très-sainte humanité; et comme en
refusant la mort je n'aurais pu désormais faire cesser cette disparate, mon
âme n'aurait point joui de la plénitude de joie que j'éprouve d'avoir accepté
la mort à l'exemple de mon adorable Fils.
743. C'est pourquoi il lui
fut si agréable que je choisisse de mourir, ma prudence et mon amour lui
causèrent une si grande satisfaction , qu'il me fit
en récompense à l'instant même une faveur singulière pour les enfants de
l'Église, selon mes désirs. Ce fut que tous mes dévots qui l'invoqueraient à
leur mort, en me prenant pour leur avocate et en me demandant mon secours, en
mémoire de mon heureuse mort et du choix que je fis de mourir pour l’imiter,
ceux-là
(1) Isa., LIII, 11.
596
soient
sous ma protection spéciale en cette dernière heure, afin que je les défende
contre le démon, que je les assiste, que je les protège, et qu'à la fin je les
présente au tribunal de sa miséricorde, et que j'y intercède.
pour eux. Le même Seigneur m'accorda pour tout cela
une nouvelle délégation et une nouvelle puissance ,
et me promit de leur donner de grands secours de sa grâce pour bien mourir et
pour vivre avec une plus grande pureté, s'ils m’ invoquaient avant cette
heure, et s'ils honoraient ce mystère de ma précieuse mort. C'est pourquoi je
veux, ma fille, que dès aujourd'hui vous en fassiez une continuelle mémoire
avec une intime dévotion, et que vous bénissiez et magnifiiez le
Tout-Puissant de ce qu'il a daigné opérer à mon
égard tant de saintes merveilles en ma faveur et en celle des mortels. Par là
vous porterez le Seigneur et moi aussi à vous protéger en cette dernière
heure.
744. Et comme la mort suit
la vie, et qu'ordinairement elles se ressemblent, soyez persuadée que le gage
le plus sûr de la bonne mort est la bonne vie, et qu'il n'y a rien de plus
important que de détacher son coeur de l'amour des choses de la terre, qui en
cette dernière heure afflige et opprime l'âme, et lui sert de fortes chaînes,
de sorte qu'elle ne' jouit pas d'une pleine liberté et qu'elle a peine à
s'élever au-dessus de fie qu'elle a aimé durant la vie: Oh 1 ma fille, combien
peu les mortels entendent cette vérité, faisant en tout le contraire de ce
qu'ils devraient faire pour s'assurer une bonne mort ! Le Seigneur leur
597
donne la
vie afin qu'ils y travaillent à se débarrasser des effets du péché originel
pour ne les point sentir à l'heure de la mort; et ces ignorants et infortunés
enfants d'Adam emploient toute cette vie à se charger de nouveaux embarras et
de nouvelles chaînes pour mourir captifs dans leurs passions, et sous le
pouvoir tyrannique de leur ennemi. Je n'eus aucune part au péché originel, et
ses mauvais effets ne pouvaient aucunement influer sur mes puissances;
cependant je vécus en usant sans cesse dans ma conduite des plus grandes
précautions, toujours pauvre, sainte et par. faite,
et toujours détachée de tous les objets terrestres; aussi, comme
j'expérimentai cette sainte liberté à l'heure de ma mort! Soyez donc
attentive, ma fille, à ce vivant exemple, et débarrassez chaque jour de plus
en plus votre coeur, de sorte qu'en avançant en âge vous vous trouviez plus
libre, mieux préparée et sans aucune attache aux choses visibles, afin que,
lorsque l'époux vous appellera au noces, vous ne soyez point alors obligée de.
chercher une liberté et une prudence que vous ne
trouveriez plus.
598
CHAPITRE XX. De la sépulture du corps sacré de la bienheureuse Marie, et de ce
qui y arriva.
745. Il fallut que la vertu
divine consolât et fortifiât d'une manière spéciale les apôtres, les disciples
et tant d'autres fidèles dans leur affliction extrême, afin qu'ils ne se
laissassent point entièrement abattre, et que quelques-uns même ne mourussent
de la douleur que leur causa la mort de la bienheureuse Marie; car la
certitude qu'ils avaient de ne pouvoir réparer cette perte en la vie présente,
ne leur permettait aucun soulagement; la privation de ce trésor était sans
compensation possible; comme la très-douce et
très-charitable conversation de cette grande Reine
leur avait ravi le cœur, se voyant privés d'une telle protectrice et d'une
telle compagnie, ils se trouvèrent comme sans âme et sans vie. Mais le
Seigneur, qui connaissait la cause d'une si juste douleur, les assista et les
encouragea secrètement par sa vertu divine, afin qu'ils ne succombassent point
à l'excès de leur douleur, et qu'ils s'occupassent de ce qu'il était
convenable de faire pour le sacré corps, et de tout ce que réclamaient les
circonstances.
599
746. Après ce divin
secours, les saints apôtres, que regardaient particulièrement les mesures à
prendre, décidèrent entre eux qu'il fallait donner la sépulture au
très-saint corps de leur Reine. Ils lui
destinèrent dans la vallée de Josaphat un sépulcre nouveau, qui y avait été
préparé par une disposition mystérieuse de la providence de son
très-saint Fils.. Et
les apôtres se souvenant que le corps déifié du Seigneur lui-même avait été
enveloppé dans un linceul avec des aromates, selon la coutume des Juifs (1),
il leur sembla qu'il en fallait faire de même à l'égard du corps sacré de sa
bienheureuse Mère, sans penser alors à autre chose. Or, voulant exécuter ce
dessein, ils, firent venir les deux filles qui avaient assisté notre auguste
Reine durant sa vie, et qui étaient héritières du trésor de ses deux tuniques;
et ils leur ordonnèrent d'envelopper avec la plus respectueuse circonspection,
dans un linceul enduit de parfums précieux, le corps de la Mère de Dieu, afin
de le mettre ensuite dans le cercueil. Ces filles entrèrent, pénétrées d'une
sainte et profonde vénération, dans l'oratoire où la vénérable défunte était
sur son lit; mais la splendeur dont elle était revêtue les arrêta et les
éblouit de telle sorte, qu'elles ne purent toucher ni voir le corps sacré, ni
savoir en quel lieu déterminé il se trouvait.
747. Elles sortirent de
l’oratoire avec plus de crainte et plus de vénération qu'elles n'y étaient
entrées, et rapportèrent, toutes saisies d'étonnement, aux apôtres
(1) Joan., XIX, 40.
600
ce qui
leur était arrivé. Ils convinrent (non sans inspiration du ciel) qu'on ne
devait point traiter cette Arche sacrée du Testament suivant les règles
communes. Ensuite saint Pierre et saint Jean entrèrent dans le même oratoire,
remarquèrent la splendeur, et entendirent en même temps la musique céleste des
anges qui chantaient : Ave, Maria, gratia
plena : Dominus
tecum. Il y en avait d'autres qui disaient:
Vierge avant l'enfantement, dans l'enfantement et après l'enfantement. Et dès
lors beaucoup de fidèles de la primitive Église répétèrent avec dévotion ce
divin éloge de la très-pure Marie; dès ce temps-là
la tradition l'a transmis jusqu'à nous quile
proclamons aujourd'hui, et la sainte Église l'a confirmé. Les deux apôtres
saint Pierre et saint Jean restèrent quelque temps comme ravis en admiration
de ce qu'ils entendaient et voyaient autour du corps sacré de la Reine de
l'univers; et pour délibérer sur ce qu'ils devaient faire
, ils se mirent à genoux et prièrent la Seigneur de le leur manifester.
Ils entendirent aussitôt une voix qui leur dit : Qu'on ne découvre et qu'on
ne touche point le sacré corps.
748. Ils connurent par
cette voix la volonté divine; ensuite ils apportèrent un cercueil, et la
splendeur s'étant tempérée, ils s'approchèrent du lit où était le corps
virginal, et les deux mêmes apôtres joignirent avec une, vénération
inexprimable les extrémités de la tunique qui l'enveloppait, le soulevèrent
sans en changer la position, puis déposèrent dans le cercueil cet inestimable
trésor. Ils le firent sans aucune
601
difficulté,
car ils ne sentirent aucun poids, il leur semblait qu'ils touchaient seulement
la tunique d'une manière presque imperceptible. Quand le corps eut été mis
dans le cercueil, sa splendeur se tempéra encore davantage
, de sorte que tous les assistants purent voir et observer de leurs
propres yeux la beauté du visage et des mains de la bienheureuse Vierge, le
Seigneur le disposant ainsi pour leur commune consolation. À lais sa
toute-puissance se réserva si exclusivement cet auguste Tabernacle de sa
demeure, soit en la vie, soit en la mort, que personne n'en vit que ce qui
était nécessaire pour la conversation humaine, à savoir son
très-modeste visage afin qu'on la reconnût, et ses
mains avec lesquelles elle travaillait.
749. Tel fut le soin jaloux
qu'il prit de sa pudique et bienheureuse Mère, qu'à cet égard il ne montra pas
autant de zèle pour son corps déifié que pour celui de la
très-pure Vierge. En sa conception immaculée et sans péché, il la fit
semblable à lui-même, ainsi que dans sa naissance, en tant qu'elle ne fut
point soumise aux règles communes et naturelles suivant lesquelles naissent
les autres enfants. il la préserva aussi de toutes
sortes de tentations contre la pureté. biais en
cachant son corps virginal, il fit pour elle; en sa qualité de femme, ce qu'il
ne fit point pour lui-même, parce qu'il était homme et Rédempteur du monde par
le moyen du sacrifice de sa Passion. Déjà pendant sa vie notre
très-pure Reine l'avait prié de lui faire la grâce
que personne ne vit son corps après
602
sa mort,
et son désir fut accompli. Ensuite les apôtres songèrent à la sépulture, et
par leurs soins, aidés de la dévotion des fidèles, alors réunis en grand
nombre à Jérusalem, ils se procurèrent beaucoup de flambeaux, à l'égard
desquels il arriva une merveille c'est qu'étant tous allumés ce jour-là et les
deux jours suivants, il n'y en eut aucun qui. s'éteignit
ni qui se consumât même en partie.
750. Or, afin que cette
merveille et plusieurs autres que le Tout-Puissant
opéra en cette occasion , fussent plus notoires
pour tout le monde, la divine Majesté poussa tous les habitants de la ville à
se rendre aux funérailles de sa très-sainte Mère,
et 'à peine resta-t-il dans Jérusalem un seul Juif ou un Seul Gentil qui
n'accourût à la nouvelle de ce,spectacle. Les apôtres levèrent le sacré corps
qui était le Tabernacle de Dieu ; nouveaux prêtres de la loi évangélique, ils
portaient sur leurs épaules le Propitiatoire des divins oracles et des faveurs
célestes; puis ils partirent du Cénacle dans le plus bel ordre, traversant la
ville pour aller à la vallée de Josaphat, et c'était là le convoi visible pour
les habitants de Jérusalem. Mais il y en avait un autre invisible, c'était
celui des courtisans du ciel. En premier lieu s'y trouvaient les mille anges
de notre auguste Reine, continuant leur musique céleste, que les apôtres, les
disciples et beaucoup d'autres personnes entendaient, et qui dura pendant
trois jours avec la plus douce et la plus admirable harmonie. Il descendit
aussi des hauteurs du ciel une multitude innombrable d'autres anges avec les
603
anciens patriarches et les prophètes, notamment saint Joachim, sainte Anne,
saint Joseph , sainte Élisabeth, saint Jean- Baptiste et un grand nombre
d'autres saints que notre Sauveur Jésus envoya de l'empyrée afin qu'ils
assistassent aux funérailles de sa bienheureuse Mère.
751. Tout ce convoi du ciel
et de la terre, invisible et visible, marcha accompagnant le corps sacré; et
il arriva tant de miracles durant le trajet, que le récit m'en arrêterait trop
longtemps. Je dirai seulement que tons les malades qui se présentèrent, et en
très-grand nombre, furent parfaitement guéris,
quelles que fussent leurs maladies. Beaucoup de possédés furent délivrés sans
que les démons osassent attendre que les personnes dont ils s'étaient emparés
s'approchassent du très-saint corps. Il y eut
quelque chose de plus merveilleux encore dans la conversion d'un grand nombre
de Juifs et de Gentils; car les trésors de la divine miséricorde s'ouvrirent
pour les obsèques de la bienheureuse Marie, et par là bien des personnes
obtinrent la connaissance de notre Seigneur Jésus-Christ, se mirent à le
confesser à haute voix pour le vrai Dieu et pour le Rédempteur du monde, et
demandèrent en même temps le baptême. De sorte qu'après les funérailles les
apôtres et les disciples employèrent plusieurs jours à catéchiser et à
baptiser ceux qui se convertirent ce jour-là à la sainte foi. Les
apôtres , en portant le vénérable corps,
éprouvèrent des effets admirables de la divine lumière et reçurent des
consolations célestes, et les disciples y participèrent
604
avec
proportion. Tous ceux qui assistaient au convoi, sentant l'odeur délicieuse
que le corps répandait, entendant la musique mystérieuse des anges, et
remarquant plusieurs autres faits prodigieux, étaient saisis d'étonnement, et
avouaient hautement que Dieu faisait éclater sa grandeur et sa puissance en
cette créature ; et en témoignage de leurs sentiments ils se frappaient la
poitrine avec la plus vive componction.
752. Ils arrivèrent au lieu
où était l'heureux sépulcre , dans la vallée de
Josaphat. Et les mêmes apôtres saint Pierre et saint Jean
, qui avaient enlevé le trésor céleste du lit pour le mettre dans le
cercueil, l'en ôtèrent avec le même respect et avec la même facilité, le
placèrent dans le sépulcre et le couvrirent d'an suaire, tout cela par les
mains des anges plutôt que par les leurs. Ils fermèrent le sépulcre avec nue
grande pierre, selon la coutume, et les courtisans du ciel s'en retournèrent
dans l'empyrée, tandis que les mille anges de la garde de notre
aùguste Reine demeurèrent auprès de son sacré
corps, en continuant la même musique. Le peuple se retira, et les saints
apôtres et les disciples s'en retournèrent au Cénacle en arrosant la route de
leurs larmes. La très-douce odeur que le corps de
notre grande Reine avait répandue dans toute cette maison
, s'y fit sentir un an entier, et elle se conserva plusieurs années
dans l'oratoire. Ce sanctuaire continua à être dans Jérusalem un lieu de
refuge pour ceux qui allaient y chercher un remède à toutes leurs peines, à
toutes leurs nécessités,
605
car ils
l'y trouvaient tous d'une manière miraculeuse, tant dans leurs maladies que
dans leurs tribulations, et dans les autres maux qui affligent l'humanité.
Quelques années après, les péchés des habitants de
Jérusalem , entre plusieurs autres châtiments qu'ils leur attirèrent,
les privèrent aussi de ce bienfait inestimable.
753. Les apôtres décidèrent
dans le Cénacle que quelques-uns d'entre eux et des disciples resteraient
auprès du saint sépulcre de leur Reine tant que l'on y entendrait la musique
céleste , car ils attendaient tous la fin de cette
merveille. Cette décision prise, les uns s'employèrent aux affaires qui
regardaient l'Église, à catéchiser et à baptiser les néophytes; les autres se
rendirent aussitôt au sépulcre, et tous le visitèrent durant ces trois jours.
Mais saint Pierre et saint Jean répétaient et prolongeaient leurs visites plus
que les autres, et quoiqu'ils allassent quelquefois au Cénacle, ils se
hâtaient de regagner aussitôt le lieu où était leur
trésor et leur coeur. Les animaux irraisonnables ne manquèrent pas non plus
aux funérailles de la Reine de l'univers; car au moment où sou sacré corps
approchait du sépulcre, on vit venir de l'air une infinité de petits oiseaux
et d'autres plus grands, et des montagnes voisines plusieurs ])êtes féroces
qui accouraient précipitamment au sépulcre : les uns par des chants lugubres,
les autres par de tristes hurlements, tous par des mouvements de douleur,
manifestaient b leur manière leurs regrets, comme s'ils eussent senti la perte
commune. Il n'y eut que quelques Juifs
605
incrédules,
plus durs que les rochers et plus cruels que les bêtes féroces, quine se
montrèrent pas plus touchés de la mort de leur Réparatrice qu'ils ne l'avaient
été de celle de leur divin Rédempteur.
Instruction que j'ai reçue de la grande Reine du ciel.
754. Ma fille, je veux que
le souvenir de ma mort naturelle et de la sépulture de mon sacré corps, amène
pour vous une espèce de mort. civile et de
sépulture morale, qui doit être le premier fruit et l'effet particulier du
privilège que vous avez eu de connaître et de rapporter les mystères de ma
vie. Je vous ai maintes fois manifesté ce désir et découvert ma volonté
pendant tout le temps que vous avez employé à les écrire, afin que vous
fissiez votre profit de ce grand bienfait que vous avez reçu de la bonté du
Seigneur et de la mienne. C'est une chose honteuse qu'un chrétien, après qu'il
est mort au péché, qu'il a été régénéré en Jésus-Christ.
par le baptême, et qu'il a appris que le divin Seigneur a sacrifié pour
lui sa vie, retombe encore dans le péché; mais elle l'est surtout pour ceux
qui, par une grâce particulière, sont choisis et appelés pour être les plus
chers amis du même Seigneur, comme le sont ceux qui, avec cet espoir, se
consacrent à son plus grand service dans les ordres religieux , chacun selon
son état.
607
755. En ces âmes les vices
du monde font véritablement horreur au ciel; car l'orgueil, la présomption, la
fierté, l'immortification, la colère, l'avarice, les souillures de la
conscience et la difformité des autres péchés, forcent le Seigneur et les
saints à détourner leurs regards d'une pareille monstruosité, et à en être
plus irrités et plus offensés que lorsqu'ils les aperçoivent en d'autres
personnes. C'est pourquoi le Seigneur en répudie plusieurs qui portent
injustement le nom de ses épouses, et qu'il les laisse entre les mains de leur
mauvais conseil , parce qu'elles ont indignement
manqué à la fidélité qu'elles ont promise à Dieu et à moi en leur vocation et
en leur profession. Aussi toutes les Mmes doivent-elles craindre ce malheur,
afin de ne point commettre une infidélité si horrible. À votre tour, ma fille,
il faut considérer combien vous seriez odieuse aux yeux de Dieu si vous vous
rendiez coupable d'un pareil crime. Il est temps que vous mouriez à tout ce
qui est visible, que votre corps soit enseveli dans la connaissance de
vous-même et dans vos humiliations, et votre âme en l'être de Dieu. Vos jours
et votre vie sont achevés pour le monde, et je suis le juge de cette cause
pour exécuter en vous la division de votre vie et du siècle. Vous n'avez plus
rien à faire avec ceux qui y vivent, ni eux avec vous. Écrire ma vie et
mourir, ce doit être en vous une même chose, comme je vous
l'ai dit si souvent, et comme vous me l'avez promis, en réitérant ces
promesses entre mes mains avec des larmes qui partaient de votre coeur.
608
756. Je veux que ce soit là
la preuve de ma doctrine et le témoignage de son efficace, je ne permettrai
point que vous la décréditiez à mon déshonneur; mais il faut que le ciel et la
terre connaissent la force de ms vérité et de mon exemple en la vérifiant dans
toutes vos oeuvres. Pour cela vous n'avez point à user de votre raisonnement
ni de votre volonté, encore moins de vos inclinations et de vos
passions , car tout cela est fini pour vous. Votre
loi doit être la volonté du Seigneur, la mienne et celle de vos supérieurs. Et
afin que vous n'ignoriez jamais par ces moyens ce qui est le plus saint, le
plus parfait et le plus agréable , le Seigneur a tout prévu, tout ordonné par
lui-même; par moi , par ses anges et par ceux qui vous dirigent. N'alléguez
point votre ignorance, vos craintes, votre faiblesse, encore moins votre
lâcheté. Pesez vos obligations, calculez votre dette, tenez constamment les
yeux ouverts à la lumière qui vous éclaire, agissez avec la grâce que vous
recevez; car, avec tous ces bienfaits et tant d'autres dont vous êtes
favorisée, il n'y a point de croix pesante pour vous, il n'y a point de .mort
si amère qui ne vous doive être fort supportable et fort douce. Tout votre
bien se trouve en la croix et en la mort, et vous y devez trouver toutes vos
délices, puisque, si vous ne parvenez pas à mourir à tout, outre que je
sèmerai d'épines toutes vos voies, vous n'acquerrez point la perfection que
vous désirez, et vous n'arriverez point à l'état auquel le Seigneur.
vous appelle.
757. Si le monde ne vous
oublie point, oubliez-le
609
vous-même;
s'il ne vous abandonne point, rappelez-vous que vous l'avez abandonné, et que
je vous en ai éloignée. S'il vous poursuit, fuyez; s'il vous flatte,
méprisez-le; sil vous méprise, souffrez-le; s'il vous cherche, faites qu'il ne
vous trouve que pour glorifier .en vous le Tout-Puissant.
)riais en tout le reste vous ne devez non plus vous rappeler à son
souvenir que les vivants ne se rappellent à celui des morts, et de votre côté
vous devez l'oublier comme les morts oublient les vivants: ainsi je veux que
vous n'ayez pas plus de commerce avec les habitants de ce siècle que les
vivants et. les morts n'en ont entre eux. Vous ne
serez pas surprise qu'au commencement, au milieu et à la fin de cette histoire
je vous répète si souvent cette leçon, si vous considérez combien il vous
importe de la pratiquer. Réfléchissez, ma très-chère
fille, aux persécutions secrètes que le démon vous a suscitées par le moyen du
monde et de ses habitants sous divers prétextes. Et si Dieu l'a permis pour
votre épreuve et pour l'exercice de sa grâce, ce n'en est pas moins pour, vous
une raison d'être persuadée que votre trésor est précieux, que vous le portez
dans un vaisseau fragile (1), et que tout l'enfer conspire contre vous. Vous
vivez dans la chair mortelle environnée et combattue par des ennemis vigilants
et rusés. Vous êtes l'épouse de Jésus-Christ, mon
très-saint Fils, et je suis votre Mère et votre Maîtresse. Reconnaissez
donc votre misère et votre
(1) II Cor., IV, 7.
610
faiblesse,
et, répondez à mes soins comme ma fille bien-aimée, et comme ma parfaite et
toujours obéissante disciple.
CHAPITRE XXI. L'âme de la bienheureuse Marie entra dans l'empyrée. — Comme
celui de notre Rédempteur Jésus-Christ, son sacré corps ressuscita le
troisième jour, et en ce même corps elle monta à la droite du Seigneur.
758. Saint Paul, parlant de
la gloire et de la félicité des saints qui participent à la vision béatifique
et à la jouissance bienheureuse, dit avec Isaïe que les yeux des mortels n'ont
point vu, que leurs oreilles n'ont point entendu, et que leur esprit n'a point
conçu les choses que Dieu a préparées pour ceux qui l'aiment et qui espèrent
en lui (1). D'après cette vérité catholique, on ne doit pas être surpris de ce
qu'on rapporte être arrivé à saint Augustin, bien qu'il fût une si grande
lumière de l'Église. Il se disposait à écrire un traité sur la gloire des
bienheureux, quand son grand ami saint Jérôme, qui venait de mourir et
d'entrer dans la joie du Seigneur, lui apparut et lui
(1) I Cor., II, 9
; Isa., LXIV, 4
611
fit
comprendre qu'il ne pouvait pas exécuter le dessein qu'il avait formé , parce
que jamais langue ni plume humaine ne serait capable de manifester la moindre
partie des biens dont les saints jouissent dans la vision béatifique. Voilà ce
que lui dit saint Jérôme. Et quand, par les témoignages de la divine Écriture,
nous saurions seulement que cette gloire sera éternelle, par ce seul endroit
elle surpasse toute la portée de notre intelligence, qui ne peut atteindre à
l'éternité, quelque effort qu'elle fasse : car l'objet étant infini,
incommensurable, il est par là même inépuisable et incompréhensible, quels que
soient l'ardeur et l'amour avec lesquels on cherche à le connaître. Et de même
que Dieu est resté infini et tout-puissant en créant toutes choses, sans
qu'elles aient épuisé sa puissance, pas plus que ne l'épuiseraient des
milliers d'autres mondes, s'il lui plaisait de les créer, parce qu'il serait
toujours infini et immuable ; de mime, quel que fût le nombre des saints qui
le vissent, qui en jouissent, il leur resterait toujours infiniment à
connaître et à aimer, parce qu'eu la création et en la gloire tous ne
reçoivent sa participation que dans une certaine mesure, selon la capacité de
chacun: tandis qu'en lui-même il n'a ni terme ni fin.
759. C'est pour cette
raison que la gloire du moindre des saints est ineffable: que dirons-nous donc
de la gloire de l'auguste Marie, puisque entre les saints elle est la
très-sainte, quelle seule est plus semblable à son
adorable Fils que tous les saints
612
ensemble,
et que par sa grâce et sa gloire elle les surpasse tous comme la Reine
surpasse ses sujets? C'est là une vérité que l'on peut et que l'on doit
croire; mais en la vie mortelle il n'est pas possible de la comprendre ni d'en
expliquer la moindre chose , parce„ que la
faiblesse et la disproportion de nos termes sont plus propres à l'obscurcir
qu'à l'élucider. Travaillons maintenant, non à la comprendre, mais à mériter
qu'elle nous soit un jour manifestée dans la même gloire ,
où selon nos oeuvres nous participerons plus ou moins à cette joie que nous
espérons.
760. Notre Rédempteur
Jésus-Christ entra dans l'empyrée avec l'âme très-pure
de sa Mère à sa droite. Elle seule entre tous les mortels n'eut point de cause
à soumettre au jugement particulier, et n'eut aucun compte à rendre de ce
qu'elle avait reçu ; aussi ne lui en fut-il pas demandé; et c'est ce qui lui;
avait été promis lorsqu'elle fut exemptée du commun péché, comme étant choisie
pour Reine, et affranchie par un privilège exclusif des lois des enfants
d'Adam. Par la mène raison, sans être jugée comme les autres, lors du jugement
universel, elle viendra encore à la droite de sou
très-saint Fils, pour juger avec lui toutes les créatures. Et si dans
le premier instant de sa conception. elle fut une aurore brillante, rehaussée
parles rayons du Soleil de la Divinité au-dessus des splendeurs des plus
ardents séraphins, si elle fut depuis élevée jusqu'à toucher à la Divinité
elle-même par l'union du Verbe avec sa très-pure
substance et par
613
l'humanité de Jésus-Christ, il fallait bien, par conséquent, qu'elle fût
pendant toute l’éternité sa compagne avec la ressemblance possible entre le
Fils et la Mère, lui étant Dieu et homme, et elle une simple.
créature. A ce titre, le Rédempteur la présenta
lui-même devant le trône de la Divinité ; et, s'adressant au Père éternel en
présence de tous les bienheureux qui étaient attentifs à cette merveille, la
très-sainte Humanité dit ces paroles: « Mon Père
éternel, ma très-chère Mère, voire bien-aimée
Fille et l'Épouse a chérie du Saint-Esprit, vient recevoir la possession a
éternelle de la couronne et de la gloire que nous a lui avons préparée en
récompense de ses mérites. C'est elle qui est née entre les enfants d'Adam
comme une rose entre les épines, toute pure et toute belle; elle mérite que
nous la recevions en nos mains, et que nous lui donnions la place à laquelle
aucune de nos créatures n'est arrivée, et à laquelle ne sauraient parvenir
ceux qui ont été a conçus dans le péché. C'est elle qui est notre élue
et notre
unique favorite, à qui nous avons donné la grâce et la participation de nos
perfections au dessus de la loi commune des autres créatures, et
en qui nous avons déposé le trésor de notre Divinité incompréhensible et de
ses dons; elle l'a très fidèlement gardé ; elle a fait profiter les talents a
qu'elle a reçus de nous (1) ; elle ne s'est jamais i écartée de notre volonté,
et elle a trouvé grâce
(1) Matth., XXV, 20.
614
devant
nos yeux. Mon Père, le tribunal de notre miséricorde et de notre justice
est très-équitable; nous y récompensons les
services de nos amis avec surabondance. Il est juste que ma Mère soit ré
compensée comme mère: et si en toute sa vie et en toutes ses oeuvres
elle a été semblable à moi autant que pouvait l'être une simple créature, elle
doit l'être aussi en la gloire et s'asseoir comme moi sur le trône dé
notre Majesté, afin que là où est la sainteté par essence, là, soit aussi la
somme de la sainteté par participation. »
161. Le Père et le
Saint-Esprit approuvèrent ce décret du Verbe incarné. Aussitôt cette âme
très-sainte de Marie fut élevée à la droite de son
adorable Fils, et placée sur le trône même de la
très-sainte Trinité, où jamais hommes, ni anges, ni séraphins n'ont pu
et ne pourront monter pendant toute l'éternité. C'est la plus haute et la plus
excellente prééminence de notre Reine, que d'être sur le trône même des
divines Personnes, et d'y être placée comme Impératrice, pendant que les
autres n'ont qu'une place de serviteurs et de ministres du souverain Roi. Et
les dons de gloire, de compréhension, de vision et de jouissance
correspondent, chez l'auguste Marie, à l'éminence ou supériorité de ce lieu,
inaccessible à toutes les autres créatures ; de sorte qu'elle jouit au-dessus
de tous et plus que tous les bienheureux ensemble de cet objet
infini , dont ils jouissent à des degrés et avec
des différences sans nombre. Elle tonnait litre divin et ses attributs ; elle
l'aime, elle
615
jouit de
ses mystères, et pénètre ses profonds secrets plus que tout le reste des
bienheureux. Et quoiqu'il y ait une distance infinie entre la gloire des
divines Personnes et celle de la très-pure Marie,
parce que, comme dit l'Apôtre, la lumière de la Divinité est inaccessible, et
qu'en elle seule habite l'immortalité et la gloire par, essence (1) ; quoique
l'âme très-sainte de Jésus;Christ surpasse aussi
sans mesure les dons de sa Mère, il n'en est pas moins certain que la gloire
de cette grande Reine, comparée avec celle de tous les saints, s'élève
au-dessus de tous comme inaccessible, et a une ressemblance avec celle de
Jésus-Christ qu'on ne saurait comprendre ni exprimer en cette vie.
762. Il n'est pas possible
non plus de dépeindre la nouvelle joie que sentirent ce jour-là les
bienheureux, chantant de nouveaux cantiques de louanges au
Tout-Puissant, et à la gloire de sa Fille, de sa
Mère et de son Épouse, en qui il glorifiait les oeuvres de sa droite. Et
quoique le Seigneur lui-même ne puisse, avoir une nouvelle gloire intérieure,
parce qu'il a eu et qu'il a de toute éternité toute la gloire d'une manière
immuable et infinie, les démonstrations extérieures de sa complaisance en
l'accomplissement de ses décrets éternels furent néanmoins plus grandes en ce
jour: car il sortit une voix du trône comme de la personne du Père, qui
disait: « En la gloire de notre bien-aimée Fille, notre sainte volonté
(1) 1 Tim., VI, 16.
616
et nos
désirs se sont accomplis avec la plénitude de notre complaisance. Nous avons
donné . à toutes les
créatures l'être qu'elles ont, les tirant du néant afin qu'elles
participassent à nos biens et o à nos immenses trésors, selon l'inclination de
notre bonté infinie. Ceux mêmes que nous avons rendus capables de notre
grâce et de notre gloire n'ont pas profité de ce bienfait. Notre seule
bien-aimée a et notre Fille n'a point pris part à la désobéissance a et à la
prévarication des autres : elle a mérité ce que les enfants de perdition ont
méprisé comme . indignes;
notre coeur n'a été frustré en elle en aucun temps, en aucun moment. A
elle reviennent les récompenses qua, par notre volonté commune et
conditionnelle, nous avions préparées pour les anges rebelles et
pour les hommes qui les ont imités, s'ils eussent tous coopéré à notre
grâce et à notre vocation. Elle a réparé cette rébellion par n sa
soumission et par son obéissance; elle nous a été pleinement agréable en
toutes ses œuvres; elle a donc mérité de s'asseoir sur le trône de notre
Majesté. »
763. Il y avait trois jours
que l'âme très-sainte de Marie jouissait de cette
gloire pour ne la quitter jamais, lorsque le Seigneur manifesta aux saints
qu'il voulait qu'elle revint sur la terre, et qu'elle ressuscitât son corps
sacré en s'y unissant, afin d'être de nouveau élevée en corps et en âme à la
droite de son très-saint Fils, sans attendre la
résurrection générale des morts. Les saints ne pouvaient ignorer la convenance
617
de cette
faveur, ni le rapport qu'elle avait avec les autres qu'a reçues la Reine du
ciel, et avec sa sublime dignité, puisqu'elle parait si croyable même aux
mortels, que quand même la sainte Église n'en aurait pas approuvé la croyance,
nous regarderions comme impies et insensés ceux qui prétendraient nier le
fait. Mais les bienheureux le connurent de la manière la plus nette, aussi
bien que le jour et l'heure où il devait s'accomplir, lorsque sa divine
Majesté leur manifesta en lui son décret éternel. Et quand le moment arriva de
faire cette merveille, notre Sauveur Jésus-Christ descendit du ciel, emmenant
à sa droite l'Aine de sa bienheureuse Mère, au milieu d'innombrables légions
d'anges, et des anciens patriarches et prophètes. Ils arrivèrent au sépulcre
eu la vallée de Josaphat, et s'arrêtèrent tous devant le temple virginal ;
puis le Seigneur, s'adressant aux saints, dit ces paroles :
764. « Ma Mère a été conçue
sans péché, afin que de sa substance toute pure et immaculée je prisse
l'humanité en laquelle je vins au monde et le rachetai du péché. Ma chair est
sa chair, elle a coopéré avec moi aux oeuvres de la rédemption; c'est
pourquoi je dois la ressusciter, comme moi même je ressuscitai d'entre les
morts; et ce doit être au même moment et à la même heure; car je
veux qu'elle me ressemble en tout. Les saints de la nature humaine rendirent
tous des actions de grâces, et firent de nouveaux cantiques de louange au
Seigneur pour ce bienfait. Et ceux qui se distinguèrent
618
le
plus, ce furent nos premiers parents Adam et Ève, et après eux sainte Anne,
saint Joachim et saint Joseph , comme ayant des titres particuliers pour
glorifier le Seigneur en cette merveille de sa toute-puissance. Aussitôt l'âme
très-pure de notre auguste Reine, sur l'ordre de
son très-saint Fils, entra dans son corps virginal
et le ressuscita, lui donnant une nouvelle vie immortelle et glorieuse, et lui
communiquant' les quatre dons de clarté, d'impassibilité ,
d'agilité et de subtilité , qui correspondaient à la gloire de l'âme, d'où ils
rejaillissent sur les corps.
765. La bienheureuse Marie,
enrichie de ces dons, sortit en corps et en âme du sépulcre, sans mouvoir la
pierre qui le fermait, la tunique et le suaire conservant les plis qu'ils
avaient quand ils couvraient son. vénérable corps.
Et comme il est impossible de manifester la beauté et la splendeur qu'elle
recevait d'une si grande gloire, je ne m'y arrête point. Il me suffit de dire
que, de même que la divine Mère donna à son très-saint
Fils la forme humaine dans son sein virginal, la lui donnant toute pure, sans
tache et. impeccable pour racheter le monde : de
même, en récompense de ce don, le même Seigneur lui donna in cette
résurrection et en cette nouvelle génération une autre gloire et une autre
beauté semblable à la sienne. En ce commerce si mystérieux et si divin, chacun
fit ce qu'il put; en effet, l'auguste Marie engendra. Jésus-Christ semblable à
elle-même en tant qu'il fut passible; et Jésus-Christ la ressuscita, lui
619
communiquant de sa gloire tout ce qu'elle put en recevoir dans sa capacité de simple
créature.
766. Alors se déroula en
partant du sépulcre une procession très-solennelle
aux sons d'une musique céleste à travers les régions de l'air, qu'elle
franchit pour s'élever à l'empyrée. Cette merveille arriva à la même heure que
notre Sauveur Jésus-Christ ressuscita, un dimanche, immédiatement après
minuit; c'est pourquoi tous les apôtres ne purent point la remarquer alors, à
l'exception de quelques-uns qui en furent témoins, parce qu'ils veillaient
autour du vénérable sépulcre. Les saints et les anges entrèrent dans le ciel
chacun selon son rang; après eux venait notre Rédempteur Jésus-Christ, ayant à
sa droite la Reine, revêtue, comme dit David, de l'or d'Ophir (1), parée des
plus riches ornements, et st belle, que les courtisans du ciel étaient ravis
d'admiration. Ils se tournèrent tous vers elle pour la regarder et la bénir
avec une nouvelle jubilation et avec de nouveaux cantiques de louange. C'est
là où l'on entendit ces éloges mystérieux que Salomon avait écrits pour elle
Sortez, filles de Sion, pour voir votre Reine (2), que louent les étoiles du
matin, et que fêtent les enfants du Très-Haut. Quelle est celle-ci, qui
s'élève du désert comme une colonne de vapeur, exhalant toute sorte de parfums
(3)? Quelle est celle-ci, qui s'avance comme l'aube du jour, plus belle que la
lune, brillante comme le soleil, terrible comme une armée
(1) Ps. XLIV, 9. — (2) Cant., III, 11.
(3) Ibid., 6.
620
rangée
en bataille (1)? Quelle est celle-ci, qui monte du désert s'appuyant sur son
bien-aimé (2), et répandant des délices avec abondance? Quelle est celle-ci;
en qui la Divinité môme s'est tellement plu et complu plus qu'en toutes les
créatures, et qu'il élève au-dessus de toutes jusqu'au trône de son
inaccessible lumière et de sa majesté? O merveilles dont les cieux
n'ont jamais été témoins! O prodige digne de la
sagesse infinie! O miracle de la toute-puissance, qui la glorifie et l'exalte
de la sorte!
767. La bienheureuse Marie
arriva avec toutes ces gloires en corps et en âme au pied du trône de la
très-sainte Trinité. Les trois personnes divines
la reçurent avec un embrassement éternel et indissoluble, et le Père éternel
lui dit : « Montez plus haut que toutes les créatures, ma
Bien-Année, ma Fille et ma Colombe. » Le Verbe
incarné lui dit : « Ma Mère , de qui j'ai
reçu l'être humain, et le retour de mes oeuvres par votre parfaite
imitation, recevez de ma main la récompense que vous avez méritée. » Le
Saint-Esprit lui dit : « Ma très-chère Épouse,
entrez dans la joie éternelle qui correspond à votre
très-fidèle amour; aimez et jouissez sans
inquiétude, car l'hiver des souffrances est passé (3), et vous êtes arrivée à
la possession éternelle de nos embrassements. » Dans cet heureux état
l'auguste Marie fut absorbée entre les personnes divines; et comme submergée
dans cet océan infini et dans l'abîme
(1) Cant., VI, 9. — (2) Cant., VIII, 5. — (3) Cant., II, 11.
621
de la
Divinité, tandis que les saints étaient pénétrés d'une admiration ineffable et
d'une nouvelle joie accidentelle. Et comme cette oeuvre de la
Toute-Puissance renferme d'autres merveilles, je
tâcherai d'en dire quelque chose dans le chapitre suivant.
Instruction que la grande Reine des anges m'a donnée.
768. Ma fille, l'ignorance
des hommes est lamentable et sans excuse, puisqu'ils oublient si
volontairement la gloire éternelle que Dieu a préparée pour ceux qui se
disposent à la mériter. Je veux que vous gémissiez sans
cessé sur cet oubli si pernicieux, et que vous le pleuriez amèrement;
car il est hors de doute que ceux qui oublient de la sorte la gloire et la
félicité éternelles, sont fort exposés à les perdre. Personne n'a aucune
excuse légitime pour se justifier de cette faute,
non-seulement parce qu'il ne coûte pas beaucoup aux mortels d'en avoir
et d'en conserver le souvenir, mais surtout parce que la plupart travaillent,
au contraire, de tontes leurs forces à oublier la fin pour laquelle ils ont
été créés. Il est certain que cet oubli vient de ce que les hommes
s'abandonnent à l'orgueil de la vie, à la concupiscence des yeux et à la
concupiscence de la chair (1), c'est parce qu'ils y consacrent toutes leurs
forces et toutes les puissances
(1) 1 Joan., II, 16.
622
de leur
âme, et tout le temps de leur vie, qu'il ne leur reste aucun moyen , où qu'ils
soient, de réfléchir d'une manière sérieuse, ou même autrement, au bonheur de
l'éternelle béatitude. Que les hommes disent donc, qu'ils avouent s'il leur
coûterait plus de s'en souvenir, qu'il ne leur coûte de suivre leurs passions
aveugles, et de travailler à se procurer les honneurs, la fortune et des
plaisirs passagers, qui finissent. avant la vie; et
encore combien de fois ne parviennent-ils pas à se les procurer, après mille
efforts et mille fatigues!
769. Combien il est plus
facile aux mortels d'éviter ce désordre, et particulièrement aux enfants de
l'Église, puisqu'ils ont la précieuse ressource de la foi et de l'espérance,
qui leur enseignent cette vérité sans qu'ils doivent se donner la moindre
peine! Et quand il leur en coûterait autant pour mériter les biens éternels
que pour acquérir les honneurs, les richesses et les autres plaisirs
apparents, ce serait toujours une insigne folie de se donner autant de mal
pour les choses fausses que pour les choses réelles, pour les peines
éternelles que pour la gloire qui n'a point de fin. Vous
comprendrez , ma fille, combien il y a là de criminelle stupidité, pour
la déplorer, si, vivant dans un siècle tourmenté par tant de guerres et de
désordres, vous considérez le nombre des infortunés qui courent à la mort pour
un vain et fugitif honneur, pour satisfaire leur vengeance ou pour les plus
vils intérêts, ne se souvenant et ne se souciant non plus de ta vie éternelle
que s'ils étaient privés de
623
raison.
Assurément ils pourraient s'estimer heureux de terminer leurs destinées, comme
les animaux, par la mort temporelle; mais comme la plupart ne commettent que
l'iniquité, et que les autres vivent également dans l'oubli de leur fin,
ceux-ci aussi bien que ceux-là encourent la mort éternelle.
770. C'est là une calamité
au-dessus de toutes les calamités, c'est là, un malheur sans égal et sans
remède. Affligez-vous donc, et gémissez avec une douleur inconsolable, de la
perte de tant d'âmes rachetées par le sang de mon
très-saint Fils. Je vous assure, ma très-chère
fille, que du ciel où je suis, dans la gloire que vous avez connue, je serais
pressée par ma charité, si les hommes ne s'en rendaient pas indignes, de leur
faire entendre une voix qui retentirait dans tout l'univers, et je leur
crierais : Hommes mortels et abusés, que faites-vous? A quoi pensez-vous?
Savez-vous bien ce que c'est que de voir Dieu face à face, et de participer à
sa gloire et à sa compagnie éternelle? Que prétendez-vous? Qui vous a troublé
et, fasciné l'esprit de la sorte? Que cherchez-vous, si vous perdez ce
véritable bien et ce bonheur éternel sans en pouvoir trouver un autre? Le
travail est court, la gloire infinie, la peine éternelle.,
771. Pénétrée de cette
douleur que je veux exciter en vous, tâchez de travailler avec zèle pour ne
point tomber dans ce péril. Ma vie, qui fut une souffrance continuelle, vous
fournit un vivant exemple que vous avez connu; mais quand j'arrivai aux
récompenses que je reçus, tout ce que j'avais souffert
624
me parut
comme rien, et je l'oubliai comme si je ne l'avais jamais souffert.
Résolvez-vous donc, ma chère fille, à me suivre dans le travail, et dussent
vos épreuves surpasser toutes celles des autres mortels, regardez-les comme
légères, de sorte que rien ne vous paraisse' difficile, ou pesant, ou trop
amer, quand même il vous faudrait passer par le fer et le feu. Portez vos
mains à des choses fortes (1), et donnez à vos sens comme à vos domestiques un
double vêtement, en souffrant et en agissant avec toutes vos puissances. Je
veux de plus que vous vous gardiez d'une autre erreur commune des hommes qui
disent : Tâchons seulement de nous assurer le salut, un peu plus, un peu moins
de gloire ne nous importe guère, puisqu'en .
nous sauvant nous jouirons tous de la béatitude
éternelle. Avec une semblable ignorance, ma fille, on n'assure point le salut,
mais au contraire on le hasarde; car un pareil langage ne s'explique que par
une grande folie et par un grand manque d'amour de Dieu, et ceux qui
prétendent faire ces arrangements avec sa divine Majesté, l'offensent et la
portent à les laisser en danger de tout perdre. La faiblesse humaine va
toujours dans le bien moins loin que ses désirs, et si ces désirs ne sont pas
grands, elle fait fort peu de chose; que s'ils sont tout à fait tièdes, elle
court risque de ne rien avoir et de tout perdre.
772. Celui qui se contente
d'un certain milieu ou
(1) Prov., XXXI, 19, 21.
625
du
dernier rang dans la vertu, laisse toujours quelque liberté à sa volonté et à
ses inclinations, pour admettre à dessein d'autres affections terrestres, et
pour aimer les choses passagères; et cette disposition ne saurait durer sans
s'opposer bientôt à l'amour divin : c'est pourquoi il est impossible
d'empêcher qu'entre ces deux sentiments l'un ne se perde , et l'autre ne
subsiste. Sans doute, lorsque la créature se détermine à aimer Dieu de tout
son coeur et de toutes ses forces comme il le commande (1)
, le Seigneur tient compte de cette résolution, quand même l'âme
n'arriverait point, à cause d'autres manquements, aux plus hautes récompenses.
Mais si on les méprise délibérément, ou si on en fait peu de cas, alors, loin
de témoigner l'amour d'un enfant ou d'un véritable ami, on ne montre que les
sentiments d'un esclave qui se contente de manger et de passer son chemin.
Tandis que si les saints pouvaient revenir sur la terre pour mériter encore
quelque nouveau degré de gloire, en souffrant tous les.
tourments imaginables jusqu'au jour du jugement, ils le feraient avec
plaisir, parce qu'ils connaissent parfaitement la valeur de,la récompense, et
qu'ils aiment Dieu d'un véritable amour. Il n'est pas convenable que cette
grâce soit accordée aux saints, mais elle m'a été accordée, à moi, comme vous
l'avez écrit dans cette histoire, et mon. exemple
confirme cette vérité, et condamne la folie de ceux qui, pour ne point
souffrir ni embrasser la croix de Jésus-
(1) Deut., VI, 5.
626
Christ, demandent une récompense bornée,, contre l'inclination de la bonté
infinie du Très-Haut, qui désire que les âmes aient des mérites qu'il puisse
amplement récompenser dans le bonheur de la gloire éternelle.
CHAPITRE XXII. La bienheureuse Marie est couronnée Reine des cieux, et de
toutes les créatures. — Plusieurs grands privilèges lui sont confirmés en
faveur des hommes
773. Lorsque notre Sauveur
Jésus-Christ, prit congé de ses disciples pour aller souffrir,.
il leur dit que leur coeur ne devait point.
se troubler. pour les
choses qu'il leur avait dites, parce qu'il y avait plusieurs demeures dans.
la maison de, son, Père, qui est la béatitude (1),
il les assurait par là qu'il y avait des places et des récompenses pour tous,
malgré la différence de leurs. mérites et de leurs bonnes oeuvres; et leur
enseignait que personne ne devait se troubler, ni s'affliger, ni perdre la
paix et l'espérance en voyant son prochain favorisé de plus de grâces, ou ,
plus avancé dans la vertu, parce qu'il y a beaucoup de
(1) Joan., XIV, 1 et 2.
627
degrés
dans la maison de Dieu, où chacun sera content de la place qu'il occupera,
sans porter envie au autres. Et c'est là un des grands bonheurs de cette
félicité éternelle. J'ai dit que l'auguste Marie fut élevée su degré suprême
sur le trône de la très-sainte Trinité, et je me
sois souvent servie, pour rapporter des mystères si grands, d'une expression
qu'ont aussi employée les saints et même les divines Écritures (1). Cette
remarque pourrait suffire, toutefois j'ajoute, pour ceux qui sont moins
savants, que Dieu étant un très-pur esprit sans
corps, et en même: temps infini. immense et
incompréhensible, n'a pas besoin d'un trône matériel; car il remplit toutes
choses, il est présent chez toutes les créatures, aucune ne le comprend ou ne
l'environne, mais au contraire il les comprend et les renferme tontes en
lui-même. Les saints dans le ciel ne voient pas non plus la Divinité avec les
yeux corporels, mais avec les yeux de l'âme; néanmoins, comme ils la regardent
en un endroit déterminé (je recours à cette figure matérielle pour me faire
mieux entendre), nous disons qu'elle est sur le trône où la
très-sainte Trinité tient son siégea quoiqu'elle
possède en elle-même la gloire, et qu'elle la communique en elle-même aux
saints. Quant à l'humanité de notre Sauveur Jésus-Christ et à sa
très-sainte Mère, je ne nie point qu'ils
n'occupent dans le ciel un lieu plus éminent que les antres saints, et entre
les bienheureux qui y seront en corps et en âme .
(1) Apoc., I, 4 ; III, 21
628
il y
aura un certain ordre d'après lequel ils seront plus ou moins près de notre
Seigneur Jésus-Christ et de notre auguste Reine; mais ce n'est pas ici que je
dois déclarer comment cela arrive dans le ciel.
776. Or, nous appelons
trône de la Divinité cet endroit où Dieu se manifeste aux saints, comme cause
principale de la gloire, et comme Dieu éternel ,
infini, qui ne dépend de personne, et de la volonté duquel toutes les
créatures dépendent; il se manifeste comme Seigneur, comme Roi, comme Juge et
comme Maître de tout ce qui a l'être. Notre Rédempteur Jésus-Christ a cette
dignité en tant que Dieu par essence, et en tant qu'homme par l'union
hypostatique par laquelle la divinité s'est communiquée à l'humanité sainte;
c'est pourquoi il est dans le ciel comme Roi, comme Seigneur et comme Juge
suprême, et quoique la gloire et l'excellence des saints surpassent infiniment
tout ce que l'esprit de l'homme peut concevoir, ils n'y sont que comme des
serviteurs infiniment inférieurs à cette Majesté inaccessible. Après notre
Sauveur Jésus Christ la bienheureuse Marie participe à cette excellence à un,
degré inférieur à son très-saint Fils, d'une
manière spéciale, ineffable, et proportionnée à sa condition de simple
créature immédiate au Dieu-Homme; elle est debout,
toujours à la droite de son Fils (1) comme Reine et Maîtresse de tout ce qui
est créé, étendant son empire jusqu'où s'étend celui de son Fils lui-même,
quoique ce soit d'une autre manière.
(1) Ps., XLIV, 9.
629
775. L'auguste Marie ayant
été placée sur ce trône très-éminent, le Seigneur
déclara aux courtisans du ciel les privilèges dont elle jouissait par cette
participation à la Majesté. Et la personne du Père éternel, comme premier
principe de tout, dit, en s'adressant aux anges et aux saints: Notre Fille
Marie est l'objet que notre volonté éternelle a choisi et possédé entre toutes
les créatures ; elle fait nos premières délices ; elle n'a jamais déchu du
titre ni dégénéré de l’être de Fille que nous lui avons donné dans notre
entendement divin, et elle a droit sur notre royaume, dont elle doit dire
reconnue et couronnée pour légitime Maîtresse et pour Reine unique. Le
Verbe incarné dit : Toutes les créatures qui ont été par moi créées et
rachetées appartiennent d ma Mère véritable et naturelle; elle doit dire la
Souveraine légitime de tout et dont je suis Roi. Le Saint-Esprit dit:
Par le titre de mon Épouse, de mon unique et de mon élue, auquel elle a
correspondu avec fidélité, la couronne de Reine pour toute l'éternité lui est
également due.
776. Ensuite les trois
personnes divines mirent sur là tète de l'auguste Marie une couronne de gloire
si magnifique et d'une splendeur si nouvelle, qu'on n'en a vu et qu ou n'en
verra jamais une semblable sur la tête d'aucune autre simple créature. Au même
moment sortit une voix du trône qui disait : « Notre
Bien-Aimée et notre Élue entre les créatures, notre royaume est le
vôtre; vous êtes la Reine et la Maîtresse des séraphins, de tous nos ministres
les anges, et de toute l'universalité de nos créatures.
630
Commandez et régnez sur elles (1); car, dans notre consistoire suprême, nous
vous donnons la domination, l'empire et la majesté. Étant pleine de grâce
au-dessus de tous, vous vous êtes humiliée en votre propre estime jusqu'au
rang le plus bas ; occupez maintenant le rang suprême qui vous est dû, et
recevez, par une délégation de notre autorité divine, le domaine sur tout ce
que nos mains ont formé par notre toute-puissance. Du haut de votre trône,
vous commanderez jusqu'au centre de la terre; et par le pouvoir que nous vous
donc nous, vous assujettirez l'enfer, tous ses démons et tous ses habitants;
ils vous craindront tous, comme la souveraine Impératrice des abîmes, sombres
demeures de nos ennemis. Vous régnerez sur toute la terre, sur tous les
éléments, et sur toutes les autres créatures. Nous mettons entre vos mains et
nous soumettons à votre volonté les vertus et les effets de toutes les causes,
leurs opérations, leur perpétuité, afin que vous disposiez des influences des
cieux, de la pluie, des nuées, des fruits de la terre, et que vous distribuiez
tout cela à votre gré, par une dispensation à laquelle notre volonté sera
attentive pour exécuter la vôtre. Vous serez la Reine de tous les mortels,
auxquels vous pourrez soit envoyer la mort, soit conserver et prolonger la
vie. Vous serez l'Impératrice de l'Église militante, sa Protectrice, son
Avocate, sa Mère et sa
(1.) Ps. XLIV, 5.
631
Maîtresse. Vous serez la Patronne spéciale des royaumes catholiques, et si les
fidèles et tous les enfants d'Adam vous invoquent du fond de leur coeur et
vous servent fidèlement, vous guérirez leurs maux, et vous les secourrez dans
leurs épreuves et dans leurs besoins. Vous serez la Protectrice, le Soutien,
l'Amie de tous les justes nos amis; vous les consolerez, vous les fortifierez
et les comblerez tous de faveurs, suivant qu'ils les mériteront par leur
dévotion. Pont tout cela nous vous faisons la Dépositaire de nos
richesses , et la Trésorière de nos biens; nous
mettons en vos mains les secours de notre grâce, afin que vous les dispensiez
; nous ne voulons rien accorder au monde que ce ne soit par votre entremise,
et nous ne voulons rien refuser de ce que vous accorderez aux hommes. La grâce
sera répandue sur vos lèvres (1) pour tout ce que vous voudrez ordonner dans
le ciel et dans la terre; les anges et les hommes vous obéiront partout, parce
que tout ce qui est à nous est vôtre, comme vous avez toujours été nôtre; et
vous régnerez avec nous vendant toute l'éternité. »
777. En exécution de ce
décret et de ce privilège accordé à la Reine de l'univers, le
Tout-Puissant commanda à tous les courtisans du
ciel, anges et hommes, de rendre obéissance à l'auguste Marie, et de la
reconnaître pour leur Reine. Cette merveille
(1) Ps. XLIV, 3.
632
renfermait
un autre mystère, et c'est que la divine Mère était ainsi récompensée de la
profonde humilité et du culte de vénération avec lesquels elle avait honoré
les saints lorsqu'elle était au nombre des voyageurs et qu'ils lui
apparaissaient (comme on a pu le remarquer dans tout le cours de cette
histoire), quoiqu'elle fût Mère de Dieu lui-même, et pleine de grâces
au-dessus de tous les anges et de tous les saints. En effet, quand notre
grande Dame vivait sur la terre, il était convenable pour son plus grand
mérite qu'elle s'humiliât devant eux tous, parce qu'ils étaient
compréhenseurs, et parce que le Seigneur
l'ordonnait de la sorte; mais à présent qu'elle se trouvait en possession du
royaume qui lui appartenait, il était juste que tous lui rendissent leur
culte, et reconnussent leur infériorité et leur sujétion. C'est ce qu'ils
firent dans ce très-heureux état, dans toutes les
parties duquel règnent l'ordre, la proportion et l'harmonie. Les esprits
angéliques et les âmes des saints rendirent cet hommage dans la même forme
qu'ils avaient reconnu et adoré notre Seigneur Jésus-Christ, avec une crainte
et un respect religieux, honorant sa divine Mère proportionnellement d'un
culte semblable; et les saints qui étaient en corps et en Ame dans le ciel se
prosternèrent, et révérèrent leur Reine par des actes corporels. Toutes ces
démonstrations et le couronnement de l'Impératrice des cieux lui procurèrent
une gloire ineffable, transportèrent les saints d'une nouvelle allégresse, et
furent très agréables à la très-sainte Trinité; de
sorte que ce
633
jour fut
en tout solennel, et répandit dans le ciel une nouvelle gloire accidentelle.
Ceux qui en reçurent le plus, ce furent son très-chaste
époux saint Joseph, saint Joachim, sainte Anne et tous les autres parents de
notre auguste Reine, et encore les mille anges de sa garde.
778. En contemplant le
corps glorieux de la grande Reine, les saints découvrirent sur sa poitrine la
formé d'un petit globe lumineux d'une beauté et d'une splendeur singulières,
qui leur causa et leur cause encore une admiration et une joie incomparables.
Et c'est comme une récompense et un témoignage de ce qu'elle a conservé dans
son coeur, comme dans un digne sanctuaire, le Verbe incarné sous les espèces
sacramentales, et de ce qu'elle l'avait reçu si dignement, avec des
dispositions si pures et si saintes, sans la moindre imperfection, mais avec
une souveraine dévotion, avec un respect et un amour tels, que jamais aucun
saint n'y a pu parvenir. Quant aux autres récompenses qui correspondaient à
ses vertus et à ses oeuvres sans égales, je ne saurais trouver de termes assez
propres pour les exprimer; c'est pour quoi j'en remets la connaissance jusqu'à
la vision béatifique, où chacun les découvrira selon qu'il l'aura mérité par
ses oeuvres et par sa dévotion. J'ai dit au chapitre dix-neuvième de ce livre
que la mort de notre Reine arriva le 13 août. Sa Résurrection, son Assomption
et son Couronnement eurent lieu un dimanche, le 15 du même mois, jour auquel
la sainte Église en célèbre la fête. Son sacré corps demeura
633
dans le
sépulcre trente-six heures, comme celui de son très-saint
Fils : car sa mort et sa résurrection arrivèrent aux mêmes heures auxquelles
notre adorable Rédempteur mourut et ressuscita. J'ai fait plus haut la
supputation des années, à l'endroit où j'ai dit que cette merveille
s'accomplit dans l'année 55 du Seigneur, de laquelle s'étaient écoulés les
mois qu'il y a depuis la naissance du même Seigneur jusqu'au 15 août.
779. Laissons notre grande
Dame à la droite de son très-saint Fils, où elle
règnera pendant les siècles des siècles, et revenons aux apôtres et aux
disciples, qui, sans pouvoir essuyer leurs larmes, entouraient le sépulcre de
la bienheureuse Marie dans la vallée de Josaphat. Saint Pierre et saint Jean,
qui y demeurèrent avec plus d'assiduité, remarquèrent le troisième jour que la
musique céleste avait cessé, puisqu'ils ne l'entendaient plus; et, éclairés de
l'Esprit divin, ils en conclurent que la très-pure
Mère était ressuscitée et élevée au ciel en corps et en âme comme son adorable
Fils. Ils se communiquèrent leur pensée, et s'y confirmèrent mutuellement;
saint Pierre, comme chef de l'Église , décida qu'il
fallait s'assurer du prodige; afin que la réalité en fût manifestée à tous
ceux qui avaient été témoins de la mort et de la sépulture de l'auguste
Vierge. Pour cela il assembla le même jour tous les apôtres, tous les
disciples et les autres fidèles auprès du sépulcre. Il leur exposa les raisons
qu'il avait d'attester à l'Église la vérité de ce prodige, qui obtiendrait la
vénération de, tous les siècles; et. procurerait
635
une
grande gloire au Seigneur et à sa très-sainte
Mère, lls approuvèrent tous le sentiment du
vicaire de Jésus-Christ, et par son ordre ils enlevèrent aussitôt la pierre
qui fermait le sépulcre, et y ayant bien regardé partout, ils n'y trouvèrent
point le corps sacré de la Reine du ciel; sa tunique y était tendue comme
lorsqu'elle le couvrait, de sorte qu'on voyait qu'il avait pénétré la tunique
et la pierre sans les remuer ni les déranger; saint Pierre prit la tunique et
le suaire, et les honora avec une juste vénération. Tous les autres en firent
de même, convaincus de la résurrection et de l'assomption de la bienheureuse
Marie; et, partagés entre la joie et la douleur, ils célébrèrent avec de
douces larmes cette mystérieuse merveille, et chantèrent des psaumes et des
hymnes à le louange et à la gloire du Seigneur et de sa
très-sainte Mère.
780. Mais ils restaient
tous à regarder le sépulcre, absorbés dans leurs tendres regrets, sans pouvoir
s'en éloigner, jusqu'à ce que l'ange du Seigneur descendît, et se manifestant
à eux, leur dit : « Hommes de Galilée, de quoi vous étonnez-vous, et
pourquoi vous arrêtez-vous ici ? Votre Reine et la
nôtre est maintenant en corps et en âme dans le ciel, ou elle règne pour
toujours avec Jésus-Christ. Elle m'envoie afin que je vous confirme
cette vérité, et pour vous dire de sa part qu'elle vous recommande de
nouveau l'Église, la conversion des âmes et la prédication de
l'Évangile; elle veut que vous repreniez au plustôt
le ministère dont vous êtes chargés, et
636
quoiqu'elle
soit dans la gloire, elle ne laissera pas de vous assister. » Ces
paroles encouragèrent les apôtres, et dans leurs voyages ils expérimentèrent
la protection de notre charitable Reine , surtout à
l'heure de leur martyre , car alors elle leur apparut à tous, et présenta
leurs âmes au Seigneur. On rapporte diverses autres choses de la mort et de la
résurrection de la bienheureuse Vierge, mais comme elles ne m'ont pas été
manifestées, je ne les écris point; du reste, dans toute cette divine
histoire , je n'ai pas eu à choisir mes matières,
et je n'ai pu dire que ce qui m'a été enseigné, et ce qu'il m'a été prescrit
d'écrire.
Instruction que m'a donnée la grande Reine du ciel la bienheureuse Marie.
817. Ma fille, si quelque
chose était capable de diminuer la joie de la gloire ineffable que je possède,
et si dans cet heureux état je pouvais recevoir quelque
peine , assurément je serais fort affligée de voir la sainte Église et
le reste du monde dans la triste situation où ils se trouvent maintenant,
tandis que les hommes savent due je suis dans le ciel leur Mère, leur Avocate
et leur Protectrice pour les secourir et pour les conduire à la vie éternelle.
Cela étant, et le Très-Haut m'ayant accordé , comme
à sa Mère et à raison
637
des
autres titres que vous avez fait connaître, tant de privilèges que je fais
servir et que j'applique en faveur des mortels avec une bonté et une clémence
toutes maternelles, je serais, dis-je, fort affligée, si je pouvais l’être, de
voir qu'ils ne s'en servent point pour leur propre avantage, et que tant
d'âmes se perdent parce qu'elles ne m'invoquent pas du fond de leur coeur;
cette vue seule suffirait pour déchirer mes entrailles de miséricorde. Mais si
je suis à l'abri de la douleur, je n'en ai pas moins un juste sujet de me
plaindre des hommes qui se procurent à eux-mêmes la peine éternelle, et qui ne
veulent point me donner cette gloire de procurer leur salut.
782. On n'a jamais ignoré
dans l'Église ce que vaut mon intercession et le pouvoir que j'ai dans le ciel
pour secourir tous les mortels, puisque j'ai établi la certitude de cette
vérité par une infinité de miracles et de merveilles que.
j'ai opérés via faveur de mes dévots; j'ai toujours été libérale envers
ceux qui m'ont invoquée dans leurs besoins, le Seigneur les a aussi favorisés
à ma considération; et cependant , quoique le nombre dm âmes que j'ai
assistées soit fort grand, il est bien petit par rapport à celles que je puis
et que je désire assister. Pendant que le monde passe et que les siècles
continuent leur marche rapide, les mortels tardent à se convertir à Dieu et à
le connaître ; les enfants de l'Église s'embarrassent dans les pièges du
démon , le nombre des pécheurs augmente aussi bien
que celui des péchés, parce que la charité se refroidit, quoique Dieu se soit
fait homme, qu'il
638
ait
enseigné le monde par sa vie et par sa doctrine, qu'il l'ait racheté par sa
Passion et par sa mort, qu'il ait établi la loi évangélique, toujours efficace
si la créature veut concourir de son côté, qu'il ait éclairé l'Église au moyen
de tant de miracles, de lumières et de bienfaits, par lui-même et par ses
saints, et qu'il ait en outre ouvert les portes de ses miséricordes par sa
bouté et par mon intercession, en me signalant comme la Mère, la Protectrice
et l'Avocate de tous les mortels , au profit desquels je m'acquitte de ces
offices avec tant de ponctualité, de charité et de zèle. Après cela doit-on
être surpris si la justice divine est irritée, puisque les hommes s'attirent
eux-mêmes par leurs péchés le châtiment qui les menace et qu'ils commencent à
sentir? N'est-il pas évident que par toutes ces circonstances leur malice
arrive à son plus haut degré ?
783. Tout cela, ma fille,
est incontestable; mais ma bouté maternelle surpasse toute cette malice,
incline la miséricorde infinie, arrête la divine justice, et le Très-Haut est
disposé à distribuer libéralement ses trésors infinis, et à favoriser les
mortels s'ils veulent profiter de mon intercession, et s'ils me portent à
l'interposer avec efficace, en sa divine présence. C'est là la voie sûre à
suivre ; c'est le puissant moyen à employer pour améliorer la situation de
l'Église, pour remédier aux maux des royaumes catholiques, pour propager la
foi, pour rendre la paix aux familles et aux États, et pour ramener les âmes à
la grâce et à l’amitié de Dieu. J'ai, voulu, ma fille,
639
que vous
travaillassiez et que vous m'aidassiez:en cette cause autant que vos forces
vous le permettraient, avec l'assistance de la vertu divine. Vous ne devez pas
voua imaginer que vous aurez. satisfait à cette
obligation en écrivant ma vie, mais il faut encore que vous l'imitiez en
profitant de mes conseils et des instructions salutaires que vous avez reçues
avec tant d'Abondance, tant en ce que vous avez écrit, qu'au milieu d'autres
faveurs innombrables qui ont suivi celle que le Très-Haut vous a faite de vous
avoir choisie pour écrire ma vie. Considérez bien, ma
très-chère fille, l'étroite obligation que vous avez de m'obéir comme à
votre unique Mère, à votre véritable Maîtresse, à votre légitime Supérieure,
puisque j'exerce envers vous tous ces offices, en vous comblant de tant
d'autres bienfaits insignes; et que vous avez renouvelé maintes fois les voeux
de votre profession entre mes mains , en me
promettant alors une obéissance particulière. Souvenez-vous des promesses que
vous avez faites si souvent au Seigneur et à ses anges; nous vous avons
manifesté notre volonté, qui est que vous soyez, viviez et agissiez comme eux
, que vous participiez dans la chair mortelle aux qualités et aux opérations
angéliques, et que vous n'ayez, de conversation et de rapports,qu'avec ces
esprits très-purs; et de même qu'ils se
communiquent les uns aux autres leurs lumières, et que les supérieurs
éclairent les inférieurs, de même ils vous instruiront des perfections de
votre Bien-Aimé, et vous feront part de la lumière
dont vous avez besoin pour pratiquer toutes les vertus, et
640
surtout
la charité, qui en est la reine, et qui vous enflammera de l'amour de votre
divin Maître et de votre prochain. Vous devez aspirer à cet état de toutes vos
forces, afin de mériter que le Très-Haut accomplisse en vous sa
très-sainte volonté, et se serve de vous pour tout
ce qu'il désire. Que sa puissante droite vous accorde sa bénédiction
éternelle, quelle vous manifeste la joie de sa face et vous donne sa pais :
tâchez, de votre côté, de ne pas vous en rendre indigne.
CHAPITRE XXIII. Acte de louanges et d'actions de grâces que moi la moindre des
mortels, soeur Marie de Jésus, a fait au seigneur et à sa
très-sainte
Mère, pour avoir écrit cette divine histoire avec l'assistance de la Reine du
ciel elle-même. — Suit une lettre qu'elle adresse aux religieuses de son
Monastère.
784. Je vous bénin, Dieu
éternel, Seigneur du ciel et de la terre, Père, Fils, et Saint-Esprit, un seul
et véritable Dieu, substance et majesté unique en une trinité de personnes, je
vous bénis de ce que, sans qu'il y ait aucune créature qui vous ait donné
quelque chose la première, pour en attendre la récompense (1)
(1) Rom., XI, 35.
641
vous
découvrez par votre seule clémence ineffable, vos mystères aux petits (f) , et
de ce que vous le faites avec une bonté immense et avec une sagesse infinie;
vous accomplissez en cela votre bon plaisir : qui sera assez osé que d'y
trouver à redire? Par vos oeuvres vous glorifiez votre saint nom, vous exaltez
votre toute- puissance, vous manifestez votre grandeur, vous déployez vos
miséricordes, et vous établissez la gloire qui vous est due connue saint,
sage , puissant, bon , libéral , le seul principe
et le seul auteur de tout bien. Personne n'est saint comme vous, personne
n'est fort connue vous (2); vous ètes le seul
Très-Haut qui tirez l'indigent de la poussière, et qui
életez le pauvre du fumier (3). 0 Dieu suprême ! la
terre Nous appartient, et les cieux sont à vous (4). Vous
ètes le Seigneur et le Dieu véritable de toute science (5), vous ôtez
et vous donnez la vie (6), vous humiliez et vous abattez les superbes jusque
dans l'abime, vous élevez les humbles selon votre
volonté , vous faites le pauvre et vous faites le riche (7) , afin que nul
homme ne se glorifie devant vous (8), que le plus fort ne présume point de sa
force, et que le plus faible ne perde point courage à cause de sa fragilité et
de sa bassesse. 785.
Je vous glorifie, Seigneur véritable, Jésus-Christ, Roi et Sauveur du monde.
Je loue votre saint
(1) Matth, XI, 45. —
(2) I Reg., II, 2. — (3) Ps.
CXII, 7.
— (4) Ps. LXXXVIII, 12. — (5) I Reg., II, 3. — (6)
Ibid., 6. — (7) Ibid., 7. — (8) I Cor.,
I, 29.
642
nom, et
je donne la gloire à Celui qui donne la sagesse. Je vous
exalte , auguste Souveraine des cieux, bienheureuse Marie, digne Mère
de mon Seigneur Jésus-Christ, Temple vivant de la Divinité, dépositaire des
trésors de sa grâce , principe de notre salut, Réparatrice de la ruine
générale du genre humain, nouvelle joie des saints, gloire des oeuvres du
Très-Haut, et unique instrument de sa toute-puissance. Je vous bénis,
très-douce Mère de miséricorde, refuge des
misérables, protectrice des pauvres, consolation des affligés; je vous
glorifie sous ces titres, et tout ce que les anges et les saints reconnaissent
en vous, par vous et de vous, je le reconnais; de tout ce dont en vous et par
vous ils louent et glorifient la Divinité, je la loue et la glorifie à mon
tour, et pour toutes choses et en toutes choses je vous bénis, je vous
magnifie, je vous confesse et je vous crois, ô Reine et Maîtresse de tout ce
qui est créé , qui, par votre seule et puissante intercession, et parce que
les yeux de votre clémence m'ont regardée, avez porté votre
très-saint Fils à jeter sur moi ceux de sa
miséricorde paternelle, et à ne pas dédaigner, à votre considération, de
choisir ce vermisseau de terre et la moindre de ses créatures pour manifester
ses vénérables et mystérieux secrets. Le torrent de mes péchés, de mes
ingratitudes et de mes misères n'a pu éteindre sa charité immense (1)
, et mes honteuses et grossières infidélités n’ont pas été capables
d'arrêter les écoulements de la
(1) Cant., VIII, 7.
643
lumière
et les communications de la sagesse divine dont il m'a favorisée.
756. Je déclare, ô Mère
très-bénigne, en présence du ciel et.
de la terre , que j'ai lutté contre moi-même et
contre mes ennemis, et que mon âme s'est troublée, placée entre le sentiment
de mon indignité et le désir de la sagesse. J'ai élevé mes mains en haut et
j'ai déploré l'égarement de mon esprit (1); j'ai dirigé mon coeur vers la
sagesse, et je l'ai trouvée dans la connaissance de moi-même (2); avec cette
connaissance j'ai, possédé la paix, et quand je l'ai aimée et cherchée, j'ai
trouvé une bonne possession et je n'ai pas été confondue (3). La douce force
de la sagesse a opéré en moi (4), elle m'a découvert les choses les plus
secrètes et les plus incertaines pour la science humaine (5). Elle vous a mise
devant mes yeux, auguste Marie, magnifique image de la Divinité et Cité
mystique de sa demeure, afin que, dans la nuit de cette vie mortelle, vous me
guidiez comme une étoile, et que vous m'éclairiez comme la lune du divin
Soleil, afin que je vous suive comme ma Reine, que je vous aime comme ma Mère,
que je vous obéisse comme à ma Directrice, due je vous écoute comme ma
Maîtresse, et qu'en me regardant en vous comme dans un miroir sans tache et
très-pur, je réalise en moi le modèle de la haute
perfection et de la sainteté que vous m'avez présenté par la connaissance et
le nouvel
(1) Eccles., LI, 26. — (2) Ibid., 27. — (3)
Ibid., 28. — (4) Sap., VIII,1,
etc. — (5) Ps. L., 7.
644
exemple
de vos vertus ineffables et de vos actions héroïques.
787. Mais qui a pu porter
la Majesté souveraine à s'abaisser ainsi jusqu'à cette vile esclave, sinon
vous, ô rua puissante Reine, qui êtes la grandeur de l'amour, l'étendue de la
charité , le prodige de la grâce , Celle qui nous
attire la miséricorde et qui a comblé les abîmes que les péchés de tous les
enfants d'Adam out creusés! La gloire, ô Vierge sainte ! vous appartient, et
cet ouvrage que j'ai écrit vous appartient aussi ,
non-seulement parce qu'il contient votre
très-sainte et très-admirable vie, mais
parce que vous lui avez donné le commencement, le milieu et la fin; et si vous
ne l'eussiez dicté vous-même comme Maitresse,
jamais l'esprit humain n'aurait pu le concevoir. Chargez-vous donc de la
reconnaissance , car vous seule la pouvez rendre
dignement à votre très-saint Fils, notre
Rédempteur, pour tut si rare bienfait. Pour moi je ne puis que vous en
supplier au nom de la sainte Église et au mien. C'est ce que je désire faire,
ô Mère et Reine des vertus! et, humiliée
profondément en vitre présence, je confesse que j'ai reçu cette faveur et tant
d'autres que je n'ai jamais pu mériter. Je n'ai écrit que ce que vous m’avez
enseigné et prescrit, je ne suis qu'un muet instrument de votre langue, mit et
dirigé par vote sagesse. Perfectionnez cet ouvrage de vos
mains , non-seulement en le faisant
dignement servir à la gloire du Très-Haut, mais en achevant encore ce qui y
manque, afin que j'exerce votre doctrine, que je suive vos traces, que
j'obéisse à vos
645
commandements, et que je coure à l'odeur de vos parfums (1), qui est le doux baume de
vos vertus que voua avez répandu dans cette histoire avec une bonté ineffable.
788. Je me reconnais, ô
Impératrice du ciel! comme la plus indigne et en
même temps la plus redevable des enfants de la sainte l'Église. Et afin
qu'elle ne soit pas témoin devant le Très-Haut et-devant
vous d'une monstrueuse ingratitude de ma part, je déclare, je promets et je
veux que l'on sache que je re-nonce à tout ce qui est visible et terrestre, et
que j'assujettis de nouveau nia liberté sous l'empire de la volonté divine et
de la vôtre, pour n'user de mon libre arbitre qu'en vue de son bon plaisir et
pour sa plus grande gloire. Je vous prie, ô vous qui êtes bénie entre tontes
les créatures, de ne point permettre, puisque par la clémence du Seigneur et
par la vôtre j'ai, saris l'avoir mérité, le titre de soli épouse, que vous
m'avez donné celui de fille et de disciple, et que le Seigneur Cotre Fils a
daigné lui-même me le confirmer si souvent, de ne point permettre, ô
très-pure Princesse, que je déchoie de ces titres
honorables. Vous m'avez assistée de votre protection pour écrire votre vie
miraculeuse, aidez-moi maintenant à pratiquer votre doctrine, en laquelle
consiste la vie éternelle. Vous m'ordonnez de vous imiter, gravez en moi votre
vive image. Vous avez sensé le bon gratin en mon cœur terrestre, conservez-le,
arrosez-le, vous qui
(1) Cant., I, 3.
646
êtes ma
Mère, ma Gouvernante et ma Maîtresse, et faites qu'il rapporte du fruit au
centuple (1); empêchez qu'il ne me soit enlevé par les oiseaux de proie, le
dragon et ses démons, dont j'ai vu la colère dans tous les événements de votre
vie que j'ai rapportés. Conduisez-moi jusqu'à la fin, commandez-moi comme
Reine, enseignez-moi comme Maîtresse, et corrigez-moi comme Mère. Recevez en
reconnaissance votre vie même, et la souveraine satisfaction que par elle vous
avez donnée à la très-sainte Trinité, comme étant
l'abrégé de ses merveilles. Que les anges et les saints vous louent, que
toutes les nations vous connaissent, que toutes les créatures bénissent
éternellement leur Créateur en vous et par vous, et que toutes les puissances
de mon âme vous exaltent.
789. J'ai écrit cette
divine histoire (comme j'ai dû le répéter si souvent) par ordre de mes
supérieurs et de mes confesseurs qui dirigent mon âme, m'assurant par ce moyen
que c'était la volonté de Dieu que je l'écrivisse et que j'obéisse à sa
bienheureuse Mère, qui me l'a prescrit pendant plusieurs années, et quoique je
l'aie soumise tout entière au jugement de mes confesseurs, sans qu'il y ait
une phrase qu'ils n'aient vue et examinée avec moi , je la soumets néanmoins
de nouveau à leur censure plus approfondie, et surtout à la correction de la
sainte Église catholique romaine, à. l'enseignement de laquelle je proteste
que je me soumets, comme étant sa fille, pour ne croire
(1) Luc., VIII, 8.
647
que ce
que la même sainte Église notre mère approuvera, et pour condamner ce qu'elle
condamnera, parce que je veux vivre et mourir sous son obéissance: Ainsi
soit-il.
Aux
religieuses de la Conception-Immaculée de la ville
d'Agréda, de la province de Burgos, filles de
notre père saint
1. Mes bien-aimées filles
et très-chères soeurs présentes et à venir dans ce
monastère de l'Immaculée-Conception de notre
grande Reine, dès l'heure ou la providence du Seigneur m'eut attribué les
fonctions de supérieure, que je remplis indignement en vertu de la sainte
obéissance, mon coeur fut percé de deux traits de douleur qui le pénètrent et
le déchirent encore à présent. D'abord je sentis une vive crainte en voyant
remis entre fines mains et sous ma garde le vase du plus précieux du sang de
notre Sauveur Jésus-Christ ; c'est-à-dire l'état et les âmes de Vos
Révérences, appelées et choisies en vertu de sa Passion et de sa mort pour la
plus grande pureté de vie et pour la plus haute sainteté. Ce grand trésor
déposé dans des vases fragiles (1), et confié à
(1) II Cor., IV, 7.
648
un
autre vase plus terrestre et plus exposé à se briser, c'est-à-dire à la
moindre religieuse, à la plus tiède et à la plus négligente, me causa une
grande surprise et une peine plus grande encore. Je sentis ensuite une vive
inquiétude qui était la conséquence de cette crainte : car comment celle qui
ne sait pas garder sa vigne, gardera-t-elle les vignes des autres (1)? Avec
quelle tristesse celle qui trouvait dans l'obéissance sa consolation et le
remède à ses misères, ne devait-elle pas perdre un bien qu'elle connaissait,
et commencer à exercer une autorité qu'elle ignorait? Vos Révérences ont ouï
dire plusieurs fois que la pureté virginale et la chasteté religieuse est le
premier fruit, le plus odoriférant et le plus doux de la vie et de la mort de
notre Rédempteur Jésus-Christ, que c'étaient les titres honorables que notre
séraphique Père saint
(1) Cant., I, 6. — (2) II Cor., V, 15. — (3)
Cant., IV, 9.
649
une
tendre familiarité, et qu'il leur fait des caresses et des faveurs toutes
particulières, comme trouvant en elles ses délices et le fruit de son sang ,
de sa vie , de sa doctrine, de sa Passion et de sa mort douloureuse : cette
vérité est établie dans toute l'Écriture, et spécialement dans les mystères du
Cantique des cantiques que Vos Révérences méditent chaque jour.
2. Vous ne vous étonnerez
donc pas de ma douleur et de mon inquiétude, et si vous ne voulez pas tant
examiner ma faiblesse, que chacune de vous examine du moins la sienne propre.
Considérez que nous sommes toutes formées du même limon et d'une pâte aisée à
se rompre, des femmes imparfaites et ignorantes ,
et qu'aucune ne l'est plus que celle qui devrait l'étre
moins ; c'est ce que vous devez toutes reconnaître et avouer, afin que nous
craignions toutes le péril. Vos Révérences pourraient comprendre combien celui
de la supérieure est plus grand que celui des inférieures, si elles mettaient
dans un bassin de la balance leur tranquillité et leurs consolations, et dans
l'autre mes soucis et mes afflictions. Il y a trente ans accomplis que je
remplis indignement et malgré moi cet office. Or de quelle consolation ou de
quel repos peut jouir une supérieure, sachant que si elle dort, si seulement
elle sommeille, elle hasarde le trésor qui lui a été confié, puisque le
Seigneur, pour nous assurer qu'il garde Israël , nous dit qu'il ne dort ni ne
sommeille (1) ?
(1) Ps. CXX, 4.
650
3. C'est beaucoup que Dieu
ordonne à une créature terrestre et faible de ne point dormir; mais si on lui
demande de ne pas sommeiller, qui pourrait se promettre de le faire, si le
Seigneur même n'était la sentinelle qui nous garde avec vigilance, la vertu
qui nous donne des forces, la lumière qui nous conduit, le bouclier qui nous
défend, et l'auteur de toutes nos bonnes oeuvres? Vos Révérences m'ont vue
plusieurs fois affligée, d'autres fois impatiente et toujours craintive dans
cet office; et je vous avoue que par l'expérience de mes négligences j'y
aurais perdu courage, si Dieu ne m'eût fortifiée comme Père de la consolation
et des miséricordes. Je ne puis pas oublier les ordres qu'il m'a donnés et les
promesses qu'il m'a faites, et j'avoue que, le cas échéant, il m'a toujours
prescrit d'accepter cet office et d'obéir à mes supérieurs, me promettant
l'assistance de sa puissante grâce; et pour me tranquilliser et me satisfaire
davantage, le Seigneur a toujours porté nos supérieurs, sans que j'eusse
manifesté ses ordres, à m'obliger par leur autorité de l'accepter; et
l'obéissance étant toujours le parti le plus sûr, je me suis soumise su joug
qui m'a été imposé de gouverner Vos Révérences.
4. Le Seigneur daigna
joindre par l'entremise de sa divine Mère une autre assurance à celle-là; car
cette charitable Reine m'informa qu'il était convenable que j'obéisse au
Très-Haut et à ses ministres, en me chargeant du soin de sa maison; et afin de
satisfaire le désir que j'avais d'obéir et d'être inférieure,
651
elle me
promit avec une bonté maternelle qu'elle exercerait à mon égard l'office de
supérieure, qu'elle me dirigerait en tout, que je lui obéirais, et que Vos
Révérences m'obéiraient. C'est dans cette occasion, à l'époque où je pris le
gouvernement, que la bienheureuse Mère m'ordonna d'écrire l'histoire de sa
vie; elle me fit connaître que c'était sa volonté et celle de son
très-saint Fils , comme
je l'ai déclaré dans ma première Introduction, où j'ai aussi dit que ces
ordres furent réitérés, à cause du retard que j'apportais à commencer
l'ouvrage. Je connus dès le premier jour la grandeur de cette entreprise, et
ce ne fut pas ce qui me décourageait le moins, quoique le
légitime empêchement pour m'excuser d'écrire sur une matière si sainte et si
sublime, fussent mes péchés et mes tiédeurs. Je ne fus pas fort instruite dans
les commencements des fins que le Seigneur a eues en cet ouvrage, car il me
suffisait d'obéir su Très-Haut et à mes supérieurs, sans éplucher sa sainte
volonté. Ensuite, dans le cours de cette histoire, j'ai dit ce que la grande
Reine du ciel m'a ordonné et manifesté pour ce: qui regardait mon propre
avancement aussi bien que celui de Vos Révérences, comme vous le verrez
lorsque vous lirez cette très-sainte vie, où vous
trouverez beaucoup d'avis et d'instructions que la même Reine m'a prescrit de
vous transmettre.
5. Mais à la fin de cette
histoire, je veux m'expliquer d'une manière plus complète, en faisant
connaître à Vos Révérences l'obligation en laquelle notre grande Reine les a
mises; car j'ai souvent découvert
652
dans son
cœur maternel l'amour particulier avec lequel elle regarde ce pauvre
monastère; et j'ai su que c'est pour cela, et parce qu'elle agrée vos bons
désirs et vos prières, qu'elle a daigné nous faire cette faveur singulière, à
nous et à celles qui viendront après nous, de nous donner sa
très-sainte vie comme un modèle et un miroir
brillant et sans tache, afin que nous perfectionnions la nôtre. Et quand je
n'aurais point d'autres raisons pour connaître. cette
volonté de notre charitable Maîtresse, elle résulterait bien clairement pour
tout le monde de l'ordre même qu'elle m'a donné d'écrire sa
très-sainte vie. Cette bonté si maternelle modéra
mes peines, dissipa ma tristesse, et ranima mon coeur affligé , car il est
certain, mes sœurs, qu'encore que je fusse si tiède, je sentis que je devais
travailler autant qu'il dépendait de moi , à vous porter à être des anges par
la pureté, zélées pour la perfection , enflammées de l'amour qu'exigent le nom
que nous avons et l'état que nous professons de filles de la
très-pure Marie, et d'épouses de son
très-saint Fils notre Rédempteur.
6. Je pouvais bien
souhaiter tout cela et plusieurs autres biens à Vos Révérences, mais je ne
pouvais point les mériter, et je ne me trouvais point non plus capable de vous
nourrir de la doctrine et de vous former par les exemples dont vous aviez
besoin et que je devais vous donner. Notre très-douce
Reine y suppléa en se donnant elle-même à nous comme Maîtresse et comme
exemplaire; et ce fut le plus grand bienfait qu'elle prit nous accorder en la
vie mortelle
653
en
laquelle nous nous trouvons. Nous avons reçu encore une autre faveur bien
particulière que vous connaissez , mais dont vous
n'appréciez pas assez toute la valeur; et vous ne devez pas croire, ni celles
qui viendront après vous , que ce soit une simple cérémonie et une dévotion
ordinaire : c'est d'avoir été toutes inspirées par un sentiment mystérieux
d'élire et de nommer l'auguste Marie conçue sans péché originel, patronne et
supérieure de cette communauté. Je proposai ce dessein à Vos Révérences pour
les raisons que j'ai dites, et pour plusieurs autres qu'il n'est pas
nécessaire de rappeler; ensuite nous finies ensemble un écrit, où nous
déclarâmes prendre la grande Reine du ciel pour notre patronne; et que nous
conservons, afin qu'aucune de celles qui viendront après nous, ne l'ignore et
n'y déroge, et que toutes les supérieures de ce monastère se regardent comme
les coadjutrices. et les vicaires de la
bienheureuse Marie,, notre unique et perpétuelle supérieure, et afin que nous
lui obéissions toutes, puisque tout notre bonheur consiste en cela.
7. La divine Mère m'accorda
cette faveur à cette condition, parce que je suis la première supérieure de ce
monastère, et celle qui en avait un plus grand besoin, comme la plus
inférieure et la plus indigne des créatures. Et comme ce bienfait fut une
confirmation du premier, je veux que Vos Révérences
sachent que notre grande Reine a accepté l'élection que nous en avons
faite pour être notre patronne et notre supérieure, et que son
très-saint Fils l'a confirmée :
654
telle
est la force que cette élection a dans le ciel. Après toutes ces précautions,
j’ai remis entre les mains de la très-pure Marie
le vase du précieux sang que le Seigneur m'a confié en me chargeant du soin
des âmes de Vos Révérences, pour qu'il soit aussi en sûreté que je le désire.
Et comme je n'ai pas été dégagée par là des obligations de la responsabilité
qui m'incombent, je me jette sus pieds de Vos Révérences et de toutes celles
qui viendront dans ce monastère, et. je vous prie
au nom du Seigneur lui-même et de son auguste Mère, de vous reconnaître plus
étroitement et plus fortement liées par les douces chaînes de l'amour divin
que toutes les autres filles de l'Église et de notre saint institut.
Abandonnez donc, mes très-chères soeurs, le monde;
oubliez-le de tout votre coeur, sans vous souvenir des créatures ni de la
maison de vos parents (1); débarrassez vos puissances et vos sens des images
et des soins des choses passagères, car vous avez beaucoup à faire pour vous
acquitter de cette dette, et vous ne sauriez contenter notre Seigneur
Jésus-Christ et sa très-douce Mère par une vertu
ordinaire et commune, mais seulement par une vie et par une pureté angéliques.
On doit mesurer le retour par le bienfait que l'on a reçu. Or comment
satisferez-vous avec ce que les autres âmes font pour satisfaire à leur
obligation, si vous devez plus qu'elles toutes? Notre Sauveur. Jésus-Christ
aurait pu se borner, à faire à l'égard de ce monastère
(1) Ps., XLIV, 11.
655
ce qu'il
fait communément à l'égard des autres, aussi bien que sa
très-sainte Mère; mais sa divine clémence s’est montrée prodigue envers
nous. Cela étant, serait-il juste, serait-il raisonnable que nous ne noue
signalions point par notre amour, par notre humilité, par notre pauvreté, par
notre oubli du monde et par. la perfection de notre
vie?
8. Notre grande Reine et
notre auguste Maîtresse s'acquitte de cet office comme une
très-fidèle et une véritable Supérieure: En voici
une preuve : Quand , sur le point d'achever d'écrire cette troisième partie,
je me demandais comment je lui dédierais l'histoire de sa
très-sainte Vie, elle répondit à mon désir en me témoignant qu'elle
l'approuvait et qu'elle l'agréait, parce que tout ce que cette histoire
contenait venait d'elle; mais ensuite elle me prescrivit de la dédier à Vos
Révérences, afin de vous enseigner en elle et par elle le chemin de la vie et
de la perfection très-sublimes auxquelles nous
sommes appelées, et pour lesquelles nous avons été tirées du monde. Et comme
c'est là surtout ce que j'ai voulu vous faire connaître par ce que j'écris
ici, j'ai cru devoir vous rapporter les paroles mêmes par lesquelles l'auguste
Vierge m'a prescrit de vous l'annoncer de sa part; et pendant que notre
charitable Supérieure parlera, je me tairai. Voici quelles furent ses paroles
9. « Ma fille, dédiez cette
histoire de ma vie à vos religieuses, nos inférieures; et dites-leur de ma
part que je la leur donne comme le miroir devant lequel elles doivent orner
leurs âmes, et comme
656
les
tables de la divine loi, qui y est exposée dans les termes les plus
clairs. Je veux qu'elles se gouvernent et qu'elles règlent leur vie par elle;
exhortez-les donc vivement à l'apprécier, à l'estimer et à la graver
dans leur coeur, fin qu'elles ne l'oublient jamais. J'ai manifesté au monde
son remède, et à elles en premier lieu, afin qu'elles marchent sur mes pas,
dont je leur montre si clairement la trace, et tout a été fait par la
providence du Très-Haut. Sa divine Majesté veut que les religieuses de
ce monastère observent inviolablement trois choses. La première est
d'oublier le monde, de s'abstenir de toute espèce de relation et d'amitié
intime avec les créatures, de quelque état, de quelque sexe ou de
quelque condition qu'elles soient; et de ne parler que rarement à
des personnes du siècle, et jamais en tête-à-tête, fût-ce pour de bonnes
fins, si ce n'est au confesseur pour se confesser. La seconde, de
conserver entre elles une paix et une charité inaltérables, s'aimant de
tout leur cœur les unes les autres en Dieu, sans partialité, sans divisions ni
disputes, et chacune souhaitant pour toutes ses consoeurs ce qu'elle
désire pour elle-même. La troisième, de se conformer scrupuleusement à
leur règle et à leurs constitutions dans les grandes choses et dans les
petites, ô comme de très-fidèles épouses de
Jésus-Christ. Pour s'acquitter exactement de tout cela, elles doivent avoir
une dévotion cordiale pour moi, et aussi pour l'archange Michel, et pour mon
serviteur
657
10. Ce sont là les paroles
de la grande Reine du ciel, après lesquelles je devrais me dispenser de vous
en dire davantage, si je ne me sentais forcée de continuer par la tendre
affection que je dois avoir pour Vos Révérences, après qu'elles m'ont
supportée tant d'années non-seulement comme sœur,
mais même comme leur supérieure, malgré toute mon indignité.
658
Je ne
puis refuser cette marque de reconnaissance à une pareille charité, et je n'y
saurais mieux satisfaire qu'en vous priant avec les plus vives instances de
n'oublier jamais les promesses et les menaces que vous avez entendues,
considérant qu'elles ont été faites par une Maîtresse souverainement
puissante, aussi libérale pour accomplir ce qu'elle promet, que sévère pour
châtier ceux qui l'offensent. Je désire profondément inculquer dans votre
esprit cet avis important, et suppléer par mes pressantes exhortations à la
brièveté de la vie; car si je ne sais pas jusqu'où le Seigneur me la
prolongera, je sais que la vie la plus longue est
très-courte pour satisfaire à tant d'obligations; c'est pourquoi je
voudrais que toutes les conversations de Vos Révérences ne servissent qu'à
leur rappeler avec cet avis les bienfaits du Seigneur et ceux de sa
bienheureuse Mère, à l'exclusion de tout autre souvenir.
11. Souvenez-vous aussi,
mes bien-aimées soeurs, non-seulement des
bienfaits cachés et secrets, mais encore des bienfaits publics que Dieu a
répandus sur ce monastère dès le premier jour de sa fondation, les augmentant
chaque jour avec une clémence libérale. Tout le monde a trouvé miraculeux
qu'il se soit établi nonobstant la pauvreté de mes parents, et que les
volontés des personnes qui composaient leur famille se soient accordées pour
cela; car il eût semblé impossible d'unir six personnes pour le même dessein,
si la droite du Très-Haut n'eût agi. En très-peu
de temps notre maison fut établie sans avoir les
659
sources
nécessaires pour faire face à nos premiers besoins, et pour distribuer d'une
manière convenable notre couvent si exigu; et ce qu'a opéré alors la divine
grâce a excité l'admiration de tous les fidèles. Nous avons encore reçu
plusieurs autres bienfaits qu'il n'est pas nécessaire de rapporter, puisque
Vos Révérences les ignorent, mais qui ne laissent pas d'obliger les coeurs
humbles et reconnaissants à rendre à Dieu de justes actions de grâces pour
tant de bonté, et à donner au monde la satisfaction que nous lai devons, en
faisant tout notre possible pour devenir telles et aussi bonnes qu'il nous
croit, et plus parfaites que nous ne l'avons été jusqu'à présent. Vos
Révérences ont vu en un court laps de temps tout ce que je viens de dire.
12. Et afin de conclure
avec une plus grande efficace la prière et l'exhortation que je vous fais, je
rapporterai, quelque chose de ce qui m'est arrivé lorsque j'avais déjà
entrepris cette histoire, puisque nos Supérieurs m'ordonnent d'en écrire ici
nue partie, afin que Vos Révérences sachent combien elles doivent estimer la
doctrine de la Reine du ciel. Il m'arriva un jour de l'Immaculée Conception
qu'étant au choeur pour dire Matines, je reconnus une voix qui m'appelait et
qui demandait de moi une nouvelle attention pour les choses d-en
bâut. A l'instant je fus élevée de cet état à un
autre plus sublime, où je vis le trône de la Divinité tout resplendissant de
gloire et de majesté. Il sortit du trône une voix qui me semblait pouvoir se
faire entendre de tout l'univers, laquelle
660
disait:
« Pauvres abandonnés, ignorants, pécheurs, grands, petits, malades,
faibles, vous tous enfants d'Adam , de quelque état, condition et sexe
que vous soyez, prélats, princes et sujets; écoutez à tous d'un pôle à
l'autre, recourez pour votre remède à ma libérale et infinie Providence, par
l'intercession de Celle qui a donné la chair humaine au Verbe. Venez, car il
est temps; et bientôt les a portes se fermeront, parce que vos péchés mettent
des verrous à la miséricorde. Venez au plus tôt, hâtez-vous, puisque cette
seule intercession empêche que ces verrous ne la ferment ; elle est seule
assez puissante pour solliciter votre remède et pour l'obtenir.
13. Après avoir ouï cette
voix du trône, je vis sortir de l’Être divin quatre globes d'une lumière
admirable, qui se répandaient comme des astres
très-éclatants dans les quatre parties du monde. Il me fut ensuite
découvert que dans ces derniers siècles le Seigneur voulait exalter et étendre
la gloire de sa bienheureuse Mère, et manifester au monde ses miracles et ses
mystères cachés, réservés par sa Providence jusqu'au temps où la connaissance
lui en serait le plus nécessaire, afin que tous ceux qui vivent à cette époque
se prévalent du secours, de la protection et de la puissante intercession de
notre auguste Reine. Je vis ensuite un dragon hideux à sept têtes sortir de
l'abîme, accompagné de milliers d'autres, qui parcoururent tous ensemble le
monde, cherchant et se désignant les hommes dont ils se serviraient
661
pour
s'opposer aux desseins du Seigneur, et pour tâcher d'empêcher la gloire de sa
très-sainte Mère, et les bienfaits qui allaient
être déposés dans sa main pour l'univers entier. Le grand dragon et ses
satellites tâchaient de répandre des flots de fumée et de venin pour
envelopper les hommes de ténèbres et les infecter, afin de les détourner de
chercher le remède de leurs propres calamités par l'intercession de la
très-douce Mère de miséricorde, et de lui décerner
assez de gloire pour se la rendre favorable.
14. Cette vision des
dragons infernaux me causa une juste douleur. Mais je vis aussitôt après que
deux armées bien rangées se disposaient dans le ciel à combattre contre eux.
L'une de ces armées était de notre grande Reine et des saints, et l'autre
était de saint Michel et de ses anges. Je connus que le combat serait acharné
de part et d'autre. Mais comme la justice, la raison et la puissance sont du
côté de la Reine de l'univers, l'issue de la lutte n'était pas douteuse.
Néanmoins la malice des hommes abusés par le dragon infernal peut beaucoup
empêcher les très-hautes fins du Seigneur. En
effet, il ne tend dans ses desseins qu'à nous procurer le salut et la vie
éternelle; mais comme il faut que notre libre arbitre y coopère de notre
côté , la perversité humaine peut aussi s'en servir
pour résister à la bonté divine. Et cette cause étant celle de notre
très-douce et très-charitable
Reine, il faudrait que tous les enfants de l'Église la regardassent comme la
leur propre ; mais cette obligation regarde de plus près les religieuses de ce
662
monastère,
parce que nous sommes les filles aînées de cette auguste Mère, que nous
combattons sous son nom et sous le vocable du premier de ses privilèges et des
dons qu'elle reçut en sa Conception immaculée et surtout parce que nous nous
trouvons si favorisées de sa bonté maternelle.
15. Il arriva dans une
autre circonstance que je me sentis fort inquiète, en me demandant si j'avais
bien écrit cette divine histoire; et cette inquiétude était bien naturelle,
puisque la grandeur de l'œuvre surpassait toute intelligence angélique et
humaine; je comprenais que si je tombais dans quelque erreur, elle ne pouvait
être légère; et je faisais d'autres réflexions qui ,
avec mon naturel timide et lâche, m'affligeaient beaucoup. Or, livrée à ces
pensées, je fus appelée et élevée à un autre état supérieur, dans lequel je
vis le trône de la très-sainte Trinité et les
trois personnes divines, et la bienheureuse Vierge à la droite de son Fils,
tous su milieu d'une gloire immense. Il se fit comme un silence dans le ciel,
tous les anges et tous les saints étant attentifs à ce qui se passait sur le
trône de la Majesté suprême. Je vis que la personne du Père tirait, comme du
sein de son être infini et immuable, un très-beau
livre, d'un plus grand prix et enrichi de plus d'ornements qu'on ne pourrait
se l'imaginer; mais il était fermé: et l'ayant remis au Verbe incarné, il lui
dit : « Ce livre et tout ce qui y est contenu est mien ; il m'est
très-agréable. m Notre
Sauveur Jésus-Christ le reçut avec une estime infinie; et, l'ayant comme
663
approché
de sa poitrine, il répéta les paroles du Père éternel, que confirma à son tour
le Saint-Esprit. Puis ils le mirent entre les mains de la bienheureuse Marie,
qui le reçut avec une complaisance incomparable. Je considérais la beauté et
la richesse du livre, et je remarquais l'approbation qui lui était donnée sur
le trône de la Divinité ; et cela excita en moi un désir
très-ardent de savoir ce qu'il contenait mais une crainte respectueuse
m'empêchait de le demander.
16. Bientôt la grande Reine
du ciel m'appela et me dit: « Voulez-vous savoir quel livre est celui que a
vous avez vu? Soyez donc attentive et regardez-le. » La divine Mère l'ouvrit,
et me le présenta, afin que je pusse le lire. Je le lus, et je trouvai que
c'était la même histoire de sa très-sainte vie,
dans le même ordre et avec les mêmes chapitra s que je l'avais écrite. Après
cela notre auguste Reine ajouta: Vous pouvez bien être maintenant
tranquille. Elle me dit cela pour modérer et calmer mes craintes, comme
elle le fit; car ces vérités et ces faveurs du Seigneur sont d'une telle
nature, qu'elles font. à l'instant cesser tout
trouble, tout doute dans l'âme, qu'elles animent d'une
très-douce force, qu'elles illuminent, qu'elles satisfont et reposent.
Il est vrai aussi que le superbe dragon ne se croit pas vaincu pour cela; et
le Seigneur le lui permettant pour nous éprouver, il revient inquiéter l'âme
comme une mouche importune. Et c'est ce qu'il a fait à mon égard, sans me
laisser écrire un mot dans cette histoire' qu'il n'ait contredit
664
avec une
obstination incroyable, et par des tentations qu'il n'est pas nécessaire de
rapporter. La plus ordinaire de ces tentations, c'était de me dire que tout ce
que j'écrivais ne verrait que de mon imagination ou du raisonnement naturel,
ou bien que tout était faux et uniquement propre à tromper le monde. Et la
colère que cet ouvrage a inspirée à ce dragon est si grande, que, pour le
décréditer, il s'humiliait à dire que ce n'était tout au plus qu'une
méditation, et le fruit d'une oraison ordinaire.
17. Le Seigneur m'a
défendue de toutes ces persécutions par le bouclier de l'obéissance et par la
direction, les conseils et les instructions de mes directeurs, et pour me
confirmer dans le bienfait que j'ai rapporté, il en ajouta un autre semblable
à celui-là. Lorsque j'étais sur le point de finir cette histoire, un jour que
je faisais oraison avec la communauté, je me trouvai placée, par les mêmes
moyens que les autres fois, devant le trône de la Divinité; et après les actes
et les opérations que l'âme y fait, je vis que du même être de Dieu et comme
de la personne du Père, s'élevait un arbre d'une grandeur immense et d'une
beauté merveilleuse. Notre Sauveur Jésus-Christ d'un côté, sa bienheureuse
Mère de l'autre, et l'arbre entre les deux. Tous les mystères de
l'incarnation , de la vie, de la mort et des
oeuvres de notre Seigneur Jésus-Christ, et tous ceux de la vie et des
privilèges de sa très-sainte Mère, étaient écrits
sur les feuilles de cet arbre, qui me les présentèrent tous en général, et
chacun cri particulier, tels que je les ai écrits. Le fruit de cet arbre
665
était
comme un fruit do vie, et je connus que l'arbre était véritablement celui que
signifiait cet autre que Dieu avait planté au milieu du paradis terrestre (1).
Les saints regardaient cet arbre avec attention et avec plaisir. Et les anges
disaient avec admiration : « Quel est donc cet arbre d'une beauté si
merveilleuse, qui nous fait porter envie à ceux qui jouissent de ses
fruits? Heureux , trois fois heureux ceux qui
cueilleront et goûteront de ce fruit pour recevoir une- si grande grâce et la
vie éternelle qu'il renferme en lui-même! Est-il possible que les mortels,
pouvant se nourrir de ce fruit, ne se hâtent point de le cueillir?
Venez, venez tous à cet arbre, car son fruit est déjà mûr, vous en
pouvez goûter. » La fleur qui nourrissait les anciens patriarches et les
prophètes, est devenue maintenant un fruit exquis. Les branches qui
étaient si élevées, se sont maintenant abaissées à la portée de tous. » Les
anges s'adressèrent à moi, et me dirent : « Épouse du Très-Haut,
soyez la première à en cueillir avec abondance, puisque vous êtes si
près de cet arbre de vie. Que ce soit là le fruit des peines que vous
avez prises pour l'écrire; témoignez ainsi votre reconnaissance pour la
manifestation des mystères qui vous ont été découverts; faites des
prières au Tout-Puissant, afin que tous les
enfants d'Adam les connaissent et profitent de l'occasion dans le temps
qui leur est favorable, et qu'ils louent le Très-Haut en ses merveilles.
(1) Gen., II, 9.
666
18, Il n'est pas nécessaire
d'en dire davantage à Vos Révérences pour vous faire aimer cet arbre et ses
fruits. Je vous le mets devant les yeux afin que vous étendiez vos mains pour
en cueillir et en goûter. Et je vous assure , mes
très-chères sceurs, qu'il ne vous arrivera
point ce qui arriva à notre mère Ève; car le premier arbre et son fruit
étaient défendus (1) , tandis que le Seigneur vous invite à toucher à
celui-ci, car il l’a planté pour cela. Le premier arbre et son fruit
renfermaient la mort, cet arbre-ci renferme la vie. Goûtons de ce fruit que
notre Patronne et notre Supérieure nous présente, et éloignons-nous de celui
qu'elle nous a défendu; car pour ne point le toucher, il faut ne pas le
regarder, et pour ne pas le goûter, il faut ne point le toucher. Et afin que
vous vous disposiez mieux à ce festin par les exercices spirituels que l'on a
coutume de faire de temps en temps en religion, je vous donnerai pour les
faire une méthode que je tirerai de cette histoire ,
suivant l'ordre de notre auguste Reine, ainsi que je l'ai dit plus haut. En
attendant, vous vous servirez de celle qui a été tirée de la Passion de notre
Seigneur Jésus-Christ, telle qu'elle est écrite. Demandez-lui sa divine grâce
pour moi comme pour vous-mêmes, et que sa bénédiction éternelle descende sur
toutes Vos Révérences. Ainsi, soit-il.
J'ai achevé d'écrire pour
la seconde fois cette divine Histoire et la Vie de la bienheureuse Marie le
(1) Gen., III, 6.
667
6 mai
de l'année 1660, le jour de l'Ascension de notre Seigneur Jésus-Christ. Je
supplie les religieuses de cette communauté de ne point permettre que cet
original sorte du monastère; que si, par quelque ordre des supérieurs, on veut
l'examiner, elles n'en donneront qu'une copie; et si l'on demande l'original
pour ta lui confronter, elles donneront seulement un livre après l'autre, et
se feront rendre le premier avant de donner le second, et ainsi des autres,
pour éviter de nombreux inconvénients, et parce que c'est la volonté de Dieu
et celle de la Reine du ciel.
Soeur Marie de Jésus.
668
PROTESTATION PUBLIQUE, DEMANDE ET CONSENTEMENT DE CE MONASTÈRE ET DES
RELIGIEUSES DÉCHAUSSÉES DE L’IMMACULÉE-CONCEPTION DE CETTE VILLE D'AGRÉDA,
POUR RECEVOIR POUR LEURS PATRONS ET POUR LEURS PROTECTEURS, EN PREMIER LIEU LA
SUPRÊME REINE DU CIEL ET DE LA TERRE L'AUGUSTE MARIE, ET AVEC SON BON PLAISIR
LE GLORIEUX PRINCE SAINT MICHEL ET NOTRE PÈRE SAINT FRANÇOIS
La
vénérable mère soeur Marie de Jésus l'écrivit elle-même étant abbesse dudit
monastère.
SOUVERAIN SEIGNEUR DIEU
ÉTERNEL,
Que tous les habitants du
ciel en l'Église de la Jérusalem triomphante, et que tous les fidèles de
l'Église militante sachent que nous toutes, religieuses de ce monastère de l'Immaculée-Conception
de la bienheureuse Marie de cette ville d'Agréda,
en notre nom et en celui de toutes celles qui doivent nous succéder dans le
temps à venir, nous nous présentons en votre divine présence , et, prosternées
contre terre , nous adorons votre saint nom et votre être immuable; une
substance indivisible, une puissance et une majesté; un Dieu unique et
véritable en trois personnes distinctes, Père, et Fils, et Saint-Esprit, et
une seule Divinité, que nous adorons comme le Créateur universel
669
et
comme la cause première de tout ce qui a l'être, et comme digne de toute
gloire, de tout honneur et de toute louange; nous confessons qu'il est juste
que les anges et les hommes vous bénissent, vous louent, vous servent et vous
aiment de toutes leurs forces. En foi de ces vérités infaillibles, nous autres
chétifs vermisseaux de terre, et pauvres femmes unies par la charité aux
justes et aux saints du ciel et de la terre, et confiantes en votre divine
miséricorde, nous faisons cette protestation du fond de notre coeur. Nous
disons, nous déclarons et nous affirmons que tout notre désir et tout notre
soin est de nous consacrer éternellement de toutes nos forces, de toute notre
âme et de tout notre coeur à votre divin amour, à votre service et à tout ce
qui vous sera le plus agréable. Nous reconnaissons que nous sommes nées dans
le péché, pleines de misères et de répugnances pour le bien. Nous vivons
environnées d'ennemis, assaillies de leurs tentations, affligées de notre
propre fragilité, et toujours exposées à perdre le bonheur éternel de la
vision béatifique; nous savons et avouons que nous ne pouvons rien sans voire
divine assistance, et que tout ce qui est parfait et tout ce qui est saint
procède de votre volonté et vient de votre plain ; vous êtes l'origine et le
principe de toute vertu, de toute perfection, de toute sainteté, de toute
bonté et de toute bénignité; les hommes les plus savants ont puisé leur
science dans votre entendement, les plus sages sont devenus sages dans et par
votre sagesse infinie; tous les saints et tous les justes ont été dans votre
être immuable avant d'avoir l'existence
670
et la
forme; c'est par votre grâce qu'ils ont pratiqué le bien, et si vous le voulez
nous nous sauverons du milieu des flots de cette mer dangereuse et de cette
vallée de larmes. Nous savons aussi qu'à raison de la fragilité de notre sexe,
nous avons besoin d'une protectrice pour acquérir la récompense de notre
.vocation, d'une colonne de feu, qui nous guide comme votre peuple, d'une
maîtresse qui nous enseigne. votre divine loi, écrite avec le sang du Verbe
incarné et émaillée des plaies de l'Agneau, d'une verge qui puisse frapper le
rocher de notre coeur, afin d'en faire sortir l'eau qui rejaillisse jusqu'à la
vie éternelle, d'une nuée qui nous couvre de son ombre dans ce long
pèlerinage, d'un ange qui nous éloigne de Sodome, d'un messager qui nous
recommande de craindre les périls de Babylone, d'une mère qui nous
nourrisse,d'une amie qui nous console; d'une gouvernante qui nous commande et
nous dirige ; et d'une reine dont nous soyons les servantes, d'un miroir de
sainteté, d'un modèle de chasteté, d'un exemple de virginité qui soit la
beauté de toutes les vertus et la règle de la véritable prudence, et de tout
ce qui peut et gui doit être appelé saint et parfait. Nous confessons qui
après votre, Fils unique incarné, toutes ces excellences et tous ces dons se
trouvent au suprême degré en sa divine Mère, notre auguste Princesse la
très-pure Marie, avec beaucoup d'autres grâces qui
surpassent la conception de l'intelligence des hommes ;et
des anges; et nous espérons de sa très-douce
clémence qu'elle jettera sur, nous des yeux pleins de miséricorde. Dans cette
confiance,
671
souverain Seigneur de tout ce qui est créé, prosternées en votre présence et
assemblées en votre nom , afin que selon votre divine promesse vous soyez avec
nous, nous vous: supplions Humblement durions accorder notre grande Reine, la
Fille du Père, la Mère du Fils, et l'Épouse du Saint-Esprit, pour la Patronne,
la Protectrice et la luire spéciale de ce petit troupeau; car dès maintenant
pour toujours nous la nommons, la souhaitons, la constituons et la demandons
pour notre unique espérance, pour l'organe de tout notre bonheur, pour notre
avocate et pour notre médiatrice dans nos nécessités. Et voulant perfectionner
ce désir, nous disons et offrons tout ce que les saints du ciel et de la terre
peuvent dire, et tout ce qui peut, ô souverain Roi, vous être le plus
agréable.
Et pour vous attirer de
notre côté autant que nous le pouvons avec votre divine grâce, nous vous
offrons votre propre bouté et votre gloire infinie, votre Fils unique incarné,
tous ses mérites infinis, l'amour avec lequel il a racheté le monde et nous a
rendues ses épouses; sa propre Mère, notre charitable Maîtresse l'auguste
Marie, comme la plus immédiate su même Fils, plus pure et plus sainte que
toutes les créatures, écrite en votre mémoire éternelle avant aucune autre,
préservée entre les enfants d'Adam de la commune contagion, choisie et
sanctifiée dans le premier instant pour être la digne Mère de votre Fils
unique, et élevée en dignité, en grâce, en mérites et en gloire au-dessus de
tous les ordres des esprits angéliques et
672
des plus
hauts séraphins. Et quoique nous combattions sous la bannière de notre Dame et
sous le vocable du mystère de son immaculée conception, quoiqu'à ce titre nous
soyons ses filles et que nous nous déclarions pour telles, puisque nous avons
été réengendrées en religion sous ce nom , et que nous en faisons profession
en notre habit et en notre institution , usant néanmoins maintenant de notre
libre arbitre, et par une détermination spéciale, nous nous remettons de
nouveau sous l'empire de cette grande Reine conçue sans le péché originel , et
en la créance de ce privilège, unique et sans égal, nous la demandons, la
proclamons et la nommons pour notre Patronne, encore qu'elle ne le fût point
en vertu de notre profession.
Et vous
, auguste Impératrice du ciel et de la terre, ne dédaignez point
d'agréer avec votre bonté ineffable l'humble affection de vos pauvres
servantes, qui prosternées à vos pieds vous invoquent et répandent leur coeur
en votre très-douce présence. Écoutez, ô Reine des
vertus , les gémissements que nous poussons pour
marquer que nous cherchons votre protection maternelle. Ne rejetez point
celles qui vous appellent avec de si tendres désirs et avec tant de sincérité.
Accueillez celles qui sollicitent votre assistance miséricordieuse que vous
promettez à ceux qui vous implorent. Souvenez-vous, il Mère de la grâce, que
par la divine bonté vous déclarez vous-même que le conseil et la justice, la
prudence et la force sont avec vous; en vous se trouve toute l'espérance de la
vie et
673
de la
vertu, la vérité et le chemin de la grâce; en vous sont les richesses des
trésors du ciel; votre esprit est plus doux que le miel, et votre héritage
vaut mieux que les rayons du miel le plus exquis. Vous êtes Celle en qui le
Créateur a reposé, et Celle qui habite en son héritage et qui prend racine
dans ses élus et dans le peuple qu'il a honoré; vous avez établi votre demeure
dans l'assemblée de tous les saints, votre mémoire vivra dans la cuite de tous
les siècles; cent qui goûtent de vos douceurs en seront encore affamés, et
ceux qui en boivent auront encore soif; celui qui toits écoute ne sera point
confondus et ceux qui agissent par nous et en vous ne pècheront point.
Considérez donc, ô notre douce vie, qu'ayant goûté et reconnu combien il est
bon de s'asseoir à votre table , nous avons encore
faim, et qu'ayant été nourries à Notre sein, nous sommes toujours plus
altérées et plus avides de votre lait; nous brûlons d'éterniser votre mémoire
clans les siècles à venir, et de paraître sans confusion à la fin des temps,
pour avoir agi en vous par votre imitation. En votre lumière nous cherchons la
prudence et le conseil; en votre sainteté, la justice parfaite et Véritable;
en votre faveur, la force; en Notre intercession, notre espérance; en votre
vérité, notre assurance; en votre direction, notre Noie; eu votre douceur,
l'oubli de tout ce qui est terrestre; eu votre suavité, la facilité de la
vertu; en votre abondance, le remède à toute notre pauvreté; et nous désirons
uniquement être votre partage, votre héritage et votre peuple, que vous
674
viviez
en nous et jettiez vos racines dans notre cœur,
que vous soyez toujours pour nous, et que nous soyons toujours pour vous; nous
désirons trouver en vous une Mère, une Maîtresse, une Reine, un exemple, un
miroir, un modèle, une correction, un amour et tous les biens réunis, avec
lesquels nous puissions nous préparer et nous orner dans notre pauvreté, pour
entrer dans le lit nuptial de votre très-saint
Fils notre Époux , afin que tous les anges et tous, les saints du ciel , et
tous les justes de la terre vous connaissent pour notre Patronne, vous
proclament telle par des hymnes de louanges , et qu'ils sachent que nous
sommes vos servantes titrées, pour que le monde et tous ceux qui s'y trouvent
nous oublient entièrement. Et
pour donner encore plus de force et de valeur à ce contrat, nous promettons,
en notre nom et en celui de toutes celles qui viendront après nous dans ce
monastère, de renoncer de tout notre cœur au monde et à toutes ses vanités ; à
tout l'amour, à toute l'amitié, au commerce, aux consolations et aux plaisirs
de Babylone, et de ne point nous montrer indignes de notre profession, de
notre habit, de notre nom, et du titre honorable de vos filles. Ainsi
dépouillées de tout ce qui est terrestre et visible, nous promettons d'être
vos servantes, vos véritables filles, et les épouses de votre Fils notre
Rédempteur; et en foi de cette douce servitude, nous offrons en donation le
droit que nous avons d'user de notre libre arbitre, afin que par votre
intercession dès aujourd'hui notre
675
volonté
soit soumise à vos pieds, et se trouve heureuse captive à la merci du saint et
chaste amour de notre Seigneur Jésus-Christ. Nous célèbrerons vos neuf fêtes
avec toute la solennité spirituelle qui nous sera possible. Nous ferons ces
jours-là une procession avec votre sainte image, chantant votre divin cantique
et les hymnes; et la veille nous jeûnerons. Nous continuerons à dire tous les
jours vos litanies, sans en laisser passer aucun que nous ne vous invoquions
et exaltions comme Reine de l'univers. Et dès maintenant, pour tout le temps à
venir, nous vous offrons et dédions toutes nos bonnes œuvres, communes et
particulières, afin que vous soyez connue, révérée et aimée de toutes les
nations pour la très-digne Mère de Dieu, pour la
Maîtresse de tout ce qui est créé, et pour l'Avocate et le refuge de fous les
mortels. Et afin qu'en premier lieu le petit, troupeau de ce monastère, ses
supérieurs et ces royaumes d'Espagne obtiennent cette grâce, nous vous offrons
encore spécialement nos désirs et nos prières, afin que votre clémence
maternelle porte le cœur de nos rois catholiques, Philippe et Mariamne, à vous
prendre pour Patronne et Protectrice de tous leurs Étals, qu'en récompense de
celte dévotion vous les pacifiiez, et que par votre protection vous les
défendiez et réformiez, en y faisant régner la justice et la paix, et en
éclairant ses habitants, pour qu'ils n'aient sur la terre d'autre crainte que
la crainte de Dieu, qu'ils propagent son Évangile, son culte et la foi
catholique dans le monde, et qu'ils sollicitent la définition
676
du
mystère de votre immaculée, conception , jusqu'à ce que le Saint-Siège
apostolique veuille le déterminer pour votre gloire et pour la consolation
universelle de la sainte Église. Et pour de si hantes fins de votre honneur et
du bon plaisir de votre très-saint Fils, nous nous
offrons toutes dans ce monastère à travailler, à souffrir, et à faire tout ce
que nous pourrons, avec la divine grâce, et à sacrifier même notre vie, si
c'était nécessaire.
Et comme nous souhaitons
que toutes les créatures nous connaissent pour vos servantes et pour vos
inférieures, et que votre très-saint et
très-doux nom s'éternise eu nous, et soit le signe
de notre être et de nos oeuvres, nous décidons que toutes les religieuses de
ce monastère présentes et à venir s'appelleront Marie, conservant ce grand nom
si elles l'ont, et le prenant si elles ne l'ont pas, avant ou après celui de
leur baptême. Et moi, la plus petite de vos servantes, j'abdique entre vos
mains l'office que j'ai de supérieure de cette humble communauté, afin que
nous n'ayons plus d'autre Mère et d'autre Supérieure due vous, dont nous
voulons être les inférieures ; et que toutes celles qui rempliront cette
charge sachent qu'elles doivent se regarder comme vos coadjutrices et vos
vicaires. Prosternées il vos pieds, nous vous prions, notre
très-douce Mère, d'accepter cette élection, et de
nous gouverner désormais comme notre Protectrice spéciale et notre unique
Supérieure; et, afin que ce décret soit irrévocable, nous vous donnons dès
maintenant la possession et la propriété de
677
ce
monastère, sans qu’aucune de celles qui doivent nous succéder puisse intenter
aucune action ou prétendre aucun droit ; et, en témoignage de cette vérité,
nous plaçons votre sainte image sur le siège de la supérieure et sur l'autel
du chœur, afin que vous jouissiez toujours de la prééminence de supérieure, et
que nous jouissions aussi de votre vue, qui nous instruise, anime et conduise,
afin qu'au jour du jugement vous nous présentiez devant le tribunal du juste
Juge routine vos véritables filles et vos fidèles disciples, nourries de votre
lait et dirigées par votre doctrine. Et d'autant que le patronage ne peut se
conserver que par la fondation de sa patronne, et que vous êtes, ô grande
Reine, si riche et si puissante, communiquant sans envie ce que vous avez reçu
sans fiction , nous demandons à votre charité très libérale de doter cette
pauvre famille par une vive foi, par une ferme espérance, par une ardente
charité de Dieu cet du prochain, par nue véritable dévotion, par une humilité
profonde, par une paix inaltérable et perpétuelle, par la pureté du coeur et
des sens, par l'amour de la sainte pauvreté et de l'obéissance, par une
crainte sainte et par l'oubli du monde; par l'éloignement des créatures, par
la mémoire de notre vocation et des bienfaits que nous avons reçus, et par
tous les dons et toutes les grâces dont nous avons besoin pour nous élever de
la vie terrestre à la vie angélique et séraphique, et qui nous portent à faire
sur la terre la très-sainte volonté du Seigneur,
de même qu'elle se fait au ciel, et comme vous le
678
voulez
et le désirez de nous qui sommes vos humbles tilles. Et parce que vous
ètes en tout une mère très prévoyante, dont nous
souhaitons suivre les traces par une imitation parfaite, nous vous prions
aussi de nous accorder les bénédictions que nous attendons de votre main
libérale, et de vous souvenir des nécessités temporelles de votre monastère,
lui procurant le nécessaire, afin que nous n'ayons point à communiquer avec le
monde autrement que par de simples mesures de prudence, et en plaçant toujours
surtout notre confiance en votre très-saint Fils.
Nous avouons en la présence du Très-Haut et en la vôtre que nous sommes
indignes du moindre de ces bienfaits, puisque nous ne méritons.
point la vie naturelle ni le secours des éléments
et des autres créatures qui nous souffrent ; aussi nos prières et nos
espérances ne sont point fondées sur nos mérites, mais sur les vôtres et sur
ceux de votre très-saint Fils, sur la bonté
infinie, sur la miséricorde éternelle du Très-Haut, et sur l'intercession de
ses saints et de ses amis.
Et comme ceux qui entre
tous ont le plus favorisé et obligé ce monastère, sont le grand prince des
armées célestes et le patron de la sainte Église, l’archange saint Michel, et
notre père séraphique saint
679
devez
nous gouverner par l'entremise de vos ministres et de vos favoris, et que nous
savons d'une manière certaine que nos deus avocats et bienfaiteurs sont de ce
nombre, par toutes ces considérations, nous vous prions du fond de notre coeur
de nous donner et de nous nommer pour protecteurs et co-patrons spéciaux de
cette famille, vos deux favoris saint Michel et saint
Et vous, grand prince saint
Michel, souvenez-vous de ces humbles religieuses, dévotes admiratrices de
votre sainteté, et agréez notre zèle pour votre dévotion ; c'est pour le
témoigner que nous célèbrerons perpétuellement vos trois feues avec un
sentiment tout particulier de joie et de consolation nous jeûnerons la veille
de ces fêtés, et celles qui le pourront jeûneront, à l'exemple de notre
séraphique Père, le carême institué à votre honneur; nous
680
continuerons de vous invoquer, comme nous le faisons chaque jour, et nous
aurons toujours une ferme confiance en votre protection, il cause de votre
sainteté et de ce que vous devez ait Très-haut, de vous avoir choisi pour
défendre la gloire et la vérité de son nom ineffable. Et vous, séraphin
humanisé, glorieux saint
681
Seigneur, celles qui nous succèderont d'observer toutes les choses qui se
trouvent dans cette publique protestation, que nous toutes, religieuses de ce
couvent, nous faisons d'un accord unanime. Et parce que c'est ce que nous
voulons, établissons et déclarons d'un même consentement, nous le signons
toutes ensemble, en ce monastère de l'Immaculée-Conception
d'Agréda, ce 22 mars 1643. Nous renouvelons cet
acte de patronage avec une nouvelle affection et un nouveau désir de plaire au
Seigneur, ce 23 décembre 1657.
FIN DU TOME SIXIÈME ET
DERNIER.
|