OUVERTURE DU JUBILÉ

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SERMON POUR L'OUVERTURE DU JUBILÉ.

ANALYSE.

 

Sujet. Nous vous exhortons à né pas recevoir en vain la grâce de Dieu; car Dieu nous dit lui-même dans l'Ecriture : Je vous ai exaucé au temps favorable, et je vous ai aidé au jour du salut. Or, voici maintenant ce temps favorable, voici ces jours de salut.

 

Ce temps favorable pour nous, c'est ce temps d'indulgence et de Jubilé.

 

Division. Ce que c'est que la grâce du Jubilé : première partie ; ce qui est nécessaire pour avoir part à la grâce du Jubilé : deuxième partie ; ce que doit opérer dans nous la grâce du Jubilé : troisième partie.

Première partie. Qu'est-ce que la grâce du Jubilé? C'est proprement la rémission de la peine temporelle qui reste à subir au pécheur après que son péché lui est pardonné. Il faut distinguer deux choses dans le péché, la coulpe et la peine. La coulpe ne peut être remise que par le sacrement de pénitence, ou par la contrition parfaite; mais, par une grâce spéciale, Dieu remet la peine en vertu de l'indulgence et du Jubilé.

En vain les hérétiques prétendent que Dieu ne remet jamais la coulpe ou l'offense, sans remettre la peine ; et que Jésus-Christ ayant satisfait pleinement pour nous, toute autre satisfaction serait inutile, et diminuerait même le mérite du sacrifice de la croix : car, 1° il ne faut que l'exemple de Moïse et de David pour nous convaincre que Dieu, en pardonnant même le péché, se réserve encore le droit de punir temporellement le pécheur; 2° il est évident, par le. témoignage de saint Paul, que nos satisfactions doivent être jointes à celles de Jésus-Christ : Adimpleo ea quœ desunt passionum Christi, in carne mea.

Tenons-nous-en donc toujours à la même proposition, que Dieu, pur l'indulgence et le Jubilé, nous remet la peine temporelle qui était due à nos péchés, et dont l'exacte mesure n'eût pu sans cela être remplie que par nos satisfactions. Ainsi L'Eglise catholique l'a-t-elle entendu, expliquant cette promesse faite à saint Pierre : Tout ce que vous délierez sur la terre sera délié dans le ciel. Pouvoir dont saint Paul et les évêques des premiers siècles ont usé; pouvoir par où les indulgences se sont établies et perpétuées dans le monde chrétien. Il est vrai qu'il a pu se glisser sur cela des abus dans le christianisme : mais outre que l'Eglise les a corrigés, l'abus même des indulgences est une preuve de leur vérité et de leur sainteté; car, selon Tertullien, on n'abuse que de ce qui est bon, et on ne profane que ce qui est saint.

Mais en quoi le Jubilé est-il différent de ces autres indulgences que nous appelons plénières? 1° C'est une indulgence beaucoup plus solennelle ; 2° c'est une indulgence beaucoup plus privilégiée; 3° c'est une indulgence beaucoup plus sûre. Recevons-la donc avec respect, avec reconnaissance et action de grâces, et avec toute l'obéissance de la foi.

Deuxième partie. Quelles dispositions sont nécessaires pour avoir part à l'indulgence du Jubilé? 1° Etre en état de grâce, voila la disposition habituelle; 2° accomplir les œuvres prescrites par la bulle, voilà la disposition actuelle.

1° Etre en état de grâce : car l'indulgence est une faveur qui ne s'accorde qu'aux justes et aux amis de Dieu : d'où suivent trois conséquences : la première, qu'il faut donc renoncer à tout péché ; la seconde, qu'il suffit donc d'avoir la conscience chargée d'un seul péché mortel pour être incapable de gagner l'indulgence du Jubilé, et qu'il suffit même d'être coupable d'un seul péché véniel qu'on ne déteste pas, pour ne la pouvoir gagner dans toute son étendue; la troisième, qu'il faut donc être vraiment contrit et pénitent. De là jugeons combien il y en aura peu qui participeront à cette grâce du Jubilé.

De là même concluons encore qu'il n'est donc pas vrai que l'indulgence, et par conséquent le Jubilé, anéantisse la pénitence, ainsi que les hérétiques nous l'ont reproché, ni que ce soit même un relâchement de la pénitence; puisque le Jubilé suppose la pénitence et ce qu'il y a de plus difficile dans la pénitence, qui est la conversion du cœur : et puisque c'est au même temps le motif le plus engageant pour exciter les pécheurs à faire de dignes fruits de pénitence. C'est au contraire dans la doctrine des hérétiques que l'on découvre le relâchement visible et l'anéantissement de la pénitence : car n'est-ce pas l'anéantir que de la réduire à un simple acte de foi, et de la dépouiller, comme ont fait les auteurs du schisme, de toutes les œuvres humiliantes, laborieuses et pénibles?

2° Accomplir les œuvres prescrites par la bulle, qui sont, 1° la confession, 2° l'aumône, 3° le jeûne, 4° la visite des églises, 5° les prières ordonnées, 6° la communion. Admirons la bonté de notre Dieu, qui veut bien, à de telles conditions, se relâcher de tous ses droits.

Troisième partie. Que doit opérer en nous la grâce du Jubilé? le renouvellement intérieur de nos personnes : renouvellement qui ne doit consister ni en de vains projets, ni en des idées vagues, mais dans une réformation entière de nos mœurs. Sans cela le Jubilé n'est qu'une pure cérémonie : et que sera-ce en effet autre chose pour tant de chrétiens? on les verra tels après le Jubilé qu'ils étaient auparavant.

Mais tous les temps ne sont-ils pas bons pour travailler à ce renouvellement de nous-mêmes? Oui; mais le temps du Jubilé y est spécialement propre; car, 1° le Jubilé est l'engagement le plus naturel de ce renouvellement de vie; 2° le Jubilé est le moyen le plus efficace de ce renouvellement de vie; 3° le Jubilé est l'occasion la plus avantageuse pour ce renouvellement de vie.

Travaillons donc sans différer au parfait renouvellement et au changement intérieur de nos âmes ; et qu'il ne nous arrive pas, comme à l'infortunée Jérusalem, d'ajouter à nos autres désordres celui de ne pas connaître le temps où Dieu nous visite, et par là de mettre le comble à notre réprobation.

 

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Exhortamur vos , ne in vacuum gratiam Dei recipiatis. Ait enim : Tempore accepto exaudivi te, et in die salutis adjuvi te. Ecce nunc tempus acceptabile, ecce nunc dies salutis.

Nous vous exhortons à ne pas recevoir en vain la grâce de Dieu ; car Dieu nous dit lui-même dans l'Ecriture : Je vous ai exaucé au temps favorable, et je vous ai aidé au jour du salut. Or, voici maintenant ce temps favorable ; voici ces jours de salut. (De la seconde Epître aux Corinthiens, chap. V, 2.)

 

C'est ainsi que l'apôtre saint Paul parlait aux premiers chrétiens de la grâce générale de leur conversion, et je me sers aujourd'hui de ces paroles pour vous exhorter vous-mêmes, mes Frères, à recevoir efficacement et utilement la grâce particulière que l'Eglise vous présente, en vous accordant la plus authentique de toutes les indulgences, qui est celle du Jubilé. Car je puis bien vous dire, comme le Docteur des nations le disait aux Corinthiens , que voici maintenant le temps favorable , que voici les jours de salut, où le Père des miséricordes se dispose   à répandre sur nous les bénédictions les plus abondantes; c'est pour cela qu'il ordonne à ses ministres de vous annoncer ce Jubilé, et de vous l'annoncer à tous, puisque tous , justes et pécheurs , y peuvent et y doivent participer. C'est pour cela que l'Eglise redouble ses prières, et qu'elle vient d'offrir solennellement le  sacrifice  de l'agneau : heureux si nous connaissons le don de Dieu, et plus heureux encore si, pour nos propres intérêts et pour la sanctification de nos âmes, nous en savons faire l'usage que Dieu prétend ! L'Apôtre,  après avoir représenté à ceux de Corinthe la sainteté du temps où ils vivaient, et où la lumière de l'Evangile commençait à les éclairer, concluait par cette importante leçon : Ayons donc soin de nous comporter comme de dignes disciples de Jésus-Christ , et de nous rendre recommandables en toutes choses par les jeûnes, par les veilles, par les travaux : Exibeamus nosmetipsos, sicut Dei ministros , in laboribus ,  in jejuniis, in vigiliis (2). Voilà, nies chers auditeurs, ce que je vous dis moi-même : Prenons bien garde à consacrer ce saint temps où nous entrons, ce temps d'indulgence et de grâce, par les exercices de notre pénitence, par la ferveur de nos oraisons, par toutes les pratiques de la religion et d'une piété vraiment chrétienne; c'est à quoi je veux vous porter dans ce discours, qui sera moins une prédication qu'une instruction simple, mais solide. Or, pour vous proposer d'abord tout mon dessein, il y a dans le Jubilé surtout trois choses dignes d'être considérées et que j'entreprends de vous expliquer: premièrement,

 

1 2 Cor., VI, 4.

 

ce que c'est que la grâce du Jubilé; secondement, ce qui est nécessaire pour avoir part à la grâce du Jubilé ; et en troisième lieu, ce que doit opérer dans nous la grâce du Jubilé. C'est une indulgence, et je vais vous montrer en quoi consiste cette indulgence et quel en est l'esprit, ce sera la première partie ; ce qu'il faut faire pour gagner cette indulgence, et quelles dispositions nous y devons apporter, ce sera la seconde partie; enfin, quels effets salutaires doit produire en nous cette indulgence, et quels fruits nous en devons retirer, ce sera la conclusion. Daigne le ciel seconder le zèle qui m'anime, et puissiez-vous bien apprendre à ne pas perdre un avantage si précieux ! Adressons-nous pour cela à Marie, et disons-lui : Ave, Maria.

 

PREMIÈRE  PARTIE.

 

Qu'est-ce, Chrétiens, que l'indulgence du Jubilé? Le Jubilé, dans l'ancienne loi, était une année de rémission et de grâce pour le peuple de Dieu ; nous en voyons l'origine et l'institution dans le vingt-cinquième chapitre du Lévi-tique, où Dieu ordonna à Moïse qu'en même temps que les prêtres qui devaient lui succéder dans le ministère auraient fait l'ouverture île cette année sainte, on publierait une rémission générale pour tous les enfants d'Israël, c'est-à-dire que tous les esclaves seraient mis en liberté, que tous les propriétaires rentreraient dans la   possession des biens qu'ils avaient aliénés, que tous ceux qui avaient contracté des dettes en seraient déchargés ; et cela, dit l'Ecriture, parce que c'était l'année du Jubilé : Ipse est enim Jubilœus (1). Mais ce n'était là, après tout, pour me servir du terme de saint Paul, que l'ombre des biens à venir. Ce Jubilé, si mémorable parmi les Hébreux, n'était que pour servir de figure, et que pour nous préparer au Jubilé de la loi nouvelle; car ce Jubilé de la loi nouvelle est proprement celui où les véritables esclaves, je veux dire ceux que le démon tenait dans la servitude du péché, sont remis dans la pleine et entière liberté des enfants de Dieu; celui où les pécheurs réconciliés rentrent dans la parfaite jouissance des véritables biens, en recouvrant les mérites qu'ils  avaient acquis devant Dieu, et que le péché leur avait fait perdre; celui où les véritables dettes, j'entends les peines ducs au péché, demeurent éteintes, et sont universellement abolies.

Or, c'est ce Jubilé, mes Frères, que je vous annonce, et dont nous commençons aujourd'hui

 

1 Levit, XXV, 10.

 

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à célébrer la solennité : heureux si nous la célébrons dans un esprit chrétien ! heureux, si tout ce qui était figuré dans le Jubilé autrefois publié par Moïse s'accomplit en nous ! Il s'agit de vous expliquer en quoi consiste précisément ce Jubilé de la loi de grâce, et ce qu'il a de plus essentiel ; le voici : le Jubilé de la loi de grâce est proprement la rémission de la peine temporelle qui reste à subir au pécheur, après que son péché lui est pardonné. L'Eglise, a qui Jésus-Christ a donné le pouvoir de lier et de délier, avec assurance que ce qu'elle déliera sur la terre sera délié dans le ciel, l'Eglise, qui est la dispensatrice du trésor infini des satisfactions de Jésus-Christ, en vertu du Jubilé , remet par grâce au pécheur, ce que le pécheur, quoique déjà réconcilié avec Dieu, aurait encore dû souffrir, dans la rigueur de la justice, pour expier parfaitement son péché. Voilà, en deux mots, ce qu'il y a de plus important et de capital dans le Jubilé, ou dans la grâce qui nous est offerte quand l'Eglise nous accorde le Jubilé; grâce complète, puisqu'elle met le comble à la justification de l'homme criminel et pénitent.

Pour vous rendre ceci plus intelligible, il faut distinguer deux choses dans le péché, ce que nous appelons la coulpe, et ce que nous appelons la peine : ce que nous appelons la coulpe ou l'offense , c'est l'injure faite à Dieu ; et ce que nous appelons la peine, c'est le droit que Dieu se réserve, en pardonnant même le péché, de punir le pécheur; je dis de le punir temporellement, au lieu que, par son péché, s'il est mortel , il aurait mérité d'être puni éternellement. Cette coulpe ou cette offense ne peut jamais être remise que par le sacrement de la pénitence, ou par la contrition parfaite : cette peine temporelle, que Dieu se réserve, devrait, dans l'ordre de la justice rigoureuse, être acquittée, ou par les œuvres satisfactoires dans cette vie, ou par le purgatoire dans l'autre ; mais, par une grâce spéciale, Dieu la remet en vertu de l'indulgence et du Jubilé ; et le Jubilé, encore une fois, n'est autre chose que cette rémission.

En vain les ennemis de l'Eglise et des indulgences combattent-ils ce principe par deux difficultés qu'ils nous opposent : l'une, que Dieu, dont les œuvres sont parfaites, ne remet jamais le péché à demi, et que la rémission de la peine même temporelle est toujours inséparable de la rémission de l'offense : l'autre, que Jésus-Christ, par sa mort, ayant pleinement et abondamment satisfait pour nous, toute autre peine que Dieu exigerait encore du pécheur, son péché lui étant remis, diminuerait le mérite du sacrifice de la croix qui a été une satisfaction plus que  suffisante pour tous les péchés du monde. Deux objections, quoique spécieuses, qui   n'ont  dans   le   fond   nulle solidité, et qui sont même , dans les maximes de notre religion, deux erreurs grossières et absolument insoutenables. Car, pour répondre à la première, il est non-seulement indubitable, mais de la foi, que Dieu, selon les lois communes de sa justice, en pardonnant même le péché, se réserve encore le droit de punir temporellement le pécheur. Rien de plus évident dans l'Ecriture. Moïse obtient le pardon de son incrédulité ; cependant, pour punition de cette incrédulité même, quoique pardonnée, il n'entrera point dans la terre promise. Nathan déclare à David que Dieu lui a remis son crime, mais il ajoute que, pour l'en  punir, Dieu lui prépare des afflictions et des calamités ; conduite adorable, où Dieu fait éclater sa sagesse, au même temps qu'il exerce sa miséricorde. Et pour réponse à la seconde difficulté, il est vrai que Jésus-Christ par sa mort a pleinement et abondamment satisfait pour nous : mais il est pareillement vrai et de la foi que l'intention   de   Jésus-Christ,   en  satisfaisant pour nous, n'a point  été de nous dispenser par là de satisfaire nous-mêmes , et de faire pénitence pour nous-mêmes; qu'au contraire, il a prétendu nous en imposer par là même l'obligation insensible, c'est-à-dire la nécessité de joindre notre pénitence à sa pénitence, et nos satisfactions à ses satisfactions ; car en qualité de Sauveur il n'a offert à Dieu sa mort pour nous qu'à cette condition. Mystère que le grand Apôtre concevait admirablement, quand il disait : Adimpleo ea quœ desunt passionum, Christi in carne mea (1). Il est vrai que dans l'ordre du salut nos satisfactions doivent être jointes à celles de Jésus-Christ : mais par l’étroite liaison qui est entre Jésus-Christ et nous, nos satisfactions, comparées aux siennes, sont tellement différentes des siennes, qu'elles en sont néanmoins essentiellement dépendantes : qu'elles sont, dis-je, fondées sur les siennes, de nulle valeur sans les siennes ; qu'elles tirent toute leur efficace et toute leur vertu des siennes, et par conséquent qu'elles ne peuvent préjudicier au mérite des siennes. Tenons-nous-en donc toujours à la même proposition, que Dieu, par l'indulgence et le Jubilé, nous remet la peine temporelle qui était due à nos péchés,

 

1 Coloss., I, 24.

 

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et dont l'exacte mesure n'eût pu sans cela être remplie que par nos satisfactions.

Ainsi l'Eglise catholique, seule et infaillible dépositaire du vrai sens de l'Ecriture, l'a-t-elle entendu en expliquant cette promesse faite à saint Pierre, comme au chef du troupeau de Jésus-Christ : Quodcumque solveris super terrant, erit solutum et in cœlis (1). Et ainsi la même Eglise, gouvernée et conduite par le Saint-Esprit, l'a-t-elle toujours pratiqué, puisque l'usage des indulgences, et le pouvoir de les accorder dont elle est en possession, est d'une tradition immémoriale dans le christianisme. C'est en vertu de ce pouvoir que saint Paul, au nom de Jésus-Christ, accorda par indulgence à l'incestueux pénitent de Corinthe la grâce la plus complète : je dis l'incestueux pénitent, et déjà sûrement converti à Dieu par la fervente contrition dont il avait donné des marques si édifiantes, que l'Apôtre voulait même qu'on le consolât en lui remettant le reste de la peine que méritait son péché, et en le rétablissant dans la société des fidèles. C'est en vertu de ce pouvoir que les évoques des premiers siècles usaient d'indulgence envers ceux qui, dans les persécutions, vaincus par la rigueur des supplices, avaient abjuré ou paru abjurer la foi, en les tenant quittes, à la prière des martyrs, des peines qu'ils avaient encourues par leur apostasie, lorsque, touchés d'un repentir sincère et vif, ils demandaient avec gémissements et avec larmes cette rémission.

Vous me direz qu'il ne s'agissait alors que des peines canoniques, de ces peines qu'il fallait subir dans le gouvernement extérieur de l'Eglise, mais il suffit de lire saint Cyprien, pour être convaincu qu'il s'agissait même des peines dues à la justice divine. Car, selon la doctrine de ce Père, les peines canoniques n'étaient pas seulement imposées pour satisfaire à l'Eglise, mais pour satisfaire à Dieu; et quiconque en esprit de pénitence accomplissait les peines canoniques, autant et selon qu'il les accomplissait, était autant et à proportion déchargé de celles dont il se trouvait redevable au tribunal de Dieu. Il s'ensuit donc que l'indulgence qui tenait lieu de la peine canonique devait produire le même effet que la peine canonique, et procurer aux pénitents le même avantage que la peine canonique ; autrement, bien loin de leur être favorable, elle leur eût été nuisible, puisqu'en les déchargeant devant les hommes sans les décharger devant Dieu, elle les eût encore privés d'un des plus efficaces moyens de

 

1 Matth., XVI, 19.

 

satisfaire à Dieu, qui était la peine canonique même. C'est conformément à cette doctrine, et sur le fondement de ce pouvoir donné à saint Pierre, que les indulgences se sont établies dans le monde chrétien ; que de siècle en siècle l'usage s'en est répandu, affermi, perfectionné; que les plus distingués d'entre les Pères les ont reconnues, que les conciles œcuméniques les ont autorisées, que les plus graves théologiens les ont éclaircies, que saint Grégoire, pape, les a accordées, que saint Bernard les a prêchées, que les peuples les ont reçues avec joie; que les Jubilés parmi les fidèles ont été dans une si grande vénération, qu'ils ont produit dans l'Eglise de Dieu des fruits de grâce si abondants, des conversions si éclatantes, des renouvellements de ferveur si exemplaires, marque visible que ce n'était pas l'ouvrage des hommes, mais que Dieu en était l'auteur.

J'avoue néanmoins qu'il a pu se glisser sur cela des abus dans le Christianisme; car de quoi n'abuse-t-on pas, et qu'y a-t-il de saint et de sacré que l'on ne profane pas? Mais outre que l'Eglise par sa sagesse a bien su corriger tous ces abus; outre qu'elle les a retranchés avec un zèle digne de sa piété; outre qu'elle s'est particulièrement appliquée à bannir ce qui servait de prétexte à l'hérésie pour décrier les indulgences, savoir, l'esprit d'intérêt; outre que les règles qu'elle s'est prescrites à ce dessein ont été inviolablement et saintement observées, outre qu'elle a réduit par là les indulgences à un usage tout spirituel, et à un désintéressement dont ses plus critiques censeurs sont forcés de convenir, l'abus même des indulgences nous doit être une preuve de leur vérité et de leur sainteté ; car, selon la maxime de Tertullien, on n'abuse que de ce qui est bon, et on ne profane que ce qui est saint. De là jugeons avec quelle raison les Pères du concile de Trente ont défini que les indulgences étaient salutaires au peuple chrétien, et ont prononcé anathème contre tous ceux qui oseraient dire ou qu'elles sont vaines et inutiles, ou que l'Eglise n'a pas le pouvoir de les accorder. Tellement que la vérité des indulgences, aussi bien que leur sainteté, est désormais un dogme de foi dont il n'y a point de catholique qui ne doive se faire un point de créance et de religion.

Cependant on demande par où le Jubilé est différent des autres indulgences, et surtout de ces indulgences qu'on appelle plénières ; puisqu'on ne peut, ce semble , rien ajouter à leur

 

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plénitude. Il est vrai qu'on n'y peut rien ajouter quant à la rémission de la peine due au péché, en quoi j'ai dit que consistait l'essentiel de l'indulgence; mais il y a, du reste, dans le Jubilé, trois circonstances qui lui sont propres et qui le distinguent des indulgences communes. Car je dis que c'est une indulgence beaucoup plus solennelle, une indulgence beaucoup plus privilégiée, enfin une indulgence beaucoup plus sûre. Ecoutez-moi, et instruisez-vous. C'est une indulgence plus solennelle; pourquoi? parce qu'elle est plus universelle, et qu'elle s'étend à tout le monde chrétien; parce qu'on y observe des cérémonies et plus augustes et plus saintes ; parce que la publication, la célébration, la clôture de cette indulgence, se font avec un appareil plus capable d'exciter les cœurs, et de leur inspirer des sentiments de piété ; parce qu'en effet la dévotion alors est plus fervente et plus unanime : tout y concourt, et tous les fidèles réunis s'assemblent devant les autels, et de concert viennent solliciter le ciel et présenter à Dieu leurs prières. C'est une indulgence plus privilégiée : pourquoi ? parce qu'elle est accompagnée de plusieurs grâces que l'Eglise, comme une charitable Mère, veut bien accorder à ses enfants; mais qu'elle ne leur accorde que pour ce saint temps, et qu'en faveur du Jubilé. Tel est, par exemple, le pouvoir qu'elle donne à chaque fidèle de se faire absoudre de toute sorte de crimes sans restriction et sans réserve, de se faire relever de toute sorte de censures ; de se faire dispenser, au moins par échange, de certains vœux, à l'accomplissement desquels il est survenu des obstacles : grâces encore une fois dépendantes du Jubilé, et spécialement attachées à ces jours de bénédiction et de salut. C'est une indulgence plus sûre, et comment? parce qu'elle est donnée pour des raisons et des fins plus importantes, d'où il s'ensuit qu'on peut moins douter de sa validité. Or, par cette règle, dont tous les théologiens conviennent, ne puis-je pas dire qu'il n'y eut jamais d'indulgence plus assurée que celle qui nous est maintenant offerte? car, outre la raison générale de l'année sainte et du siècle révolu, il s'agit dans ce Jubilé des plus pressants intérêts de la religion, d'obtenir de Dieu une paix si nécessaire à toute l'Eglise, de détourner le fléau de la plus funeste guerre dont le monde chrétien ait jamais été menacé. Ah ! mes Frères, nous sommes si sensibles aux maux qui nous affligent; nous nous épanchons si volontiers en des plaintes et en des murmures qui outragent la Providence, et qui, bien loin de nous soulager, ne font qu'augmenter et que perpétuer nos peines, puisque la Providence outragée , au lieu de retirer son bras, s'appesantit encore sur nous plus rudement ! Mais voici le remède, et le remède le plus prompt et le plus certain : Dieu veut être fléchi , et il nous en fournit lui-même le moyen le plus efficace ; il veut être désarmé, et il ne tient qu'à nous d'arrêter le coup qu'il est prêt de lancer sur nos têtes. Si nous ne profitons pas de cette heureuse conjoncture pour attirer sur nous ses miséricordes, ne nous étonnons plus qu'il nous frappe, et qu'il nous fasse éprouver toute la rigueur de sa justice. Quoi qu'il en soit, pour quelles causes plus essentielles le vicaire de Jésus-Christ peut-il user du pouvoir qu'il a d'ouvrir le trésor des indulgences, et quand en use-t-il plus sagement et plus sûrement qu'en de pareilles occasions ?

Recevons-la donc cette indulgence avec respect, avec reconnaissance et actions de grâces, avec toute l'obéissance de la foi. Prenez garde : avec respect, comme chrétiens, avec reconnaissance et actions de grâces, comme pécheurs ; avec toute l'obéissance de la foi, comme catholiques. Recevons-la, dis-je, comme chrétiens avec un profond respect : c'est l'application qui nous est faite des satisfactions surabondantes de Jésus-Christ; c'est un précieux écoulement de ces divines sources du Sauveur, dont parle le Prophète, et que nous n'épuiserons jamais ; c'est un surcroît de l'efficace et de la vertu de son sang, dont la moindre goutte aurait suffi pour racheter mille mondes : avec quel sentiment de vénération n'aurais-je pas recueilli les gouttes de ce sang adorable, lorsqu'il le répandait pour moi sur la croix? serais-je assez insensible et assez endurci pour négliger les moyens dont il se sert pour me l'appliquer? Recevons-la, comme pécheurs, avec actions de grâces : c'est ce qui doit mettre le comble aux miséricordes divines ; c'est ce qui doit rendre notre justification complète ; c'est le supplément de notre pénitence ; c'est un secours dont Dieu nous a pourvus, pour nous acquitter auprès de lui. Si, de sa part, un ange allait annoncer à un réprouvé dans l'enfer qu'une telle rémission lui est accordée, quels seraient les transports de sa reconnaissance et de sa joie? Nous sommes pécheurs, et peut être plus pécheurs que bien des réprouvés que Dieu n'a pas prévenus comme nous, qu'il n'a pas attendus comme nous, pour

 

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qui il n'a pas eu la même prédilection que pour nous. Quel avantage de pouvoir payer si aisément tant de dettes! par où l'avons-nous mérité? et moins nous l'avons mérité, plus nous doit-il être un motif puissant pour redoubler notre gratitude et notre amour. Recevons-la, comme catholiques, avec toute l'obéissance de la foi : c'est par le mépris des indulgences qu'a commencé le schisme de l'hérésie ; c'est par l'estime que nous en ferons que doit paraître notre attachement inviolable à l'Eglise, et notre zèle pour son unité. La censure maligne et présomptueuse des indulgences fut le principe de tous les malheurs de Luther : son exemple est une leçon pour nous; et afin de nous la rendre salutaire, autant sur l'article des indulgences que sur les autres, croyons ce que croit l'Eglise, pratiquons ce qu'elle pratique, honorons ce qu'elle autorise. Quel risque courons-nous en nous attachant à elle; et quel risque ne courons-nous pas, pour peu que nous nous écartions de la soumission qu'elle exige de nous? Mais vous voulez maintenant savoir ce que nous avons à faire pour participer à la grâce du Jubilé, et quelles dispositions y sont nécessaires; c'est de quoi je vais vous instruire dans la seconde partie.

 

DEUXIÈME   PARTIE.

 

Deux choses, Chrétiens, sont indispensablement nécessaires pour avoir part à l'indulgence du Jubilé : être en état de grâce avec Dieu, voilà la disposition habituelle ; et accomplir les œuvres prescrites par le vicaire de Jésus-Christ, voilà la disposition actuelle. Mettons l'une et l'autre dans tout son jour, et donnez à ceci, s'il vous plaît, une attention particulière.

Je dis d'abord qu'il faut être en état de grâce avec Dieu ; car l'indulgence, et surtout la plus signalée de toutes les indulgences, est une faveur qui ne s'accorde qu'aux justes et aux amis de Dieu. L'Eglise invite les pécheurs à y participer ; mais elle n'y admet que les pécheurs convertis et réconciliés ; elle en exclut les endurcis et les impénitents. Si vous êtes de ce nombre, ce n'est point pour vous qu'elle ouvre ses trésors. Tandis que vous vivez dans ce triste état, tandis que vous êtes ennemi de Dieu et enfant de colère, il n'y a point de Jubilé pour vous, Dieu est le maître de ses dons, pour les répandre sur qui il veut et aux conditions qu'il veut ; or la première condition , pour profiter de celui-ci, est que vous soyez revêtu de la grâce sanctifiante, et du caractère de ses enfants bien-aimés. De là je tire trois conséquences que vous devez bien remarquer, parce qu'elles sont essentielles. Première conséquence : puisqu'il faut être en état de grâce, il faut donc renoncer à tout péché; car la grâce et le péché ne peuvent convenir. Renoncement absolu, sincère, efficace, et tel qu'il doit être pour mettre le pécheur en disposition de trouver grâce devant Dieu, sans cela, rien de plus inutile que l'indulgence, ou plutôt, sans cela nulle indulgence. Dieu peut bien remettre le péché, sans en remettre toute la peine ; mais il ne remet jamais la peine du péché, tandis que le péché subsiste ; or, il subsiste tandis que le pécheur n'y renonce pas, ou n'y a pas renoncé. Seconde conséquence : puisqu'il faut renoncer à tout péché, il suffit donc d'avoir la conscience chargée d'un seul péché mortel pour être incapable de gagner l'indulgence du Jubilé ; je dis plus, et j'ajoute qu'il suffit d'être devant Dieu coupable d'un seul péché véniel, à quoi l'on est encore secrètement attaché, pour ne la pouvoir gagner dans toute son étendue; car au moins ne la peut-on gagner par rapport à ce péché véniel dont la tache n'est pas effacée. Tel est l'ordre de Dieu, plein d'équité ; il ne se relâche de ses droits, quant à la peine du péché, qu'à mesure et à proportion que nous en détestons l'offense. Troisième conséquence : il faut donc être vraiment contrit et pénitent ; car, c'est en termes exprès ce que porte la bulle : Vere contritis et pœnitentibus ; mais indépendamment de la bulle, la chose est évidente par toutes les règles du bon sens et de la raison, beaucoup plus de la religion et du droit divin. Or, sur cela chacun doit s'éprouver soi-même, pour reconnaître s'il est en état de prétendre à la grâce du Jubilé ; et par-là l'on doit faire le discernement de ceux qui le gagnent, d'avec ceux qui ne le gagnent pas.

En effet, on verra pendant ce saint temps un nombre infini de chrétiens qui, pour avoir part à l'indulgence du Jubilé, paraîtront touchés de contrition, en donneront des marques publiques, pratiqueront les œuvres de la pénitence jusqu'à certain point, assiégeront en foule les tribunaux, confesseront leurs péchés, se frapperont la poitrine, verseront même des larmes : mais dans cette foule et sous ces dehors spécieux, y aura-t-il beaucoup de vrais pénitents? Vous le savez, mon Dieu, vous à qui rien n'est caché, et qui pénétrez jusque dans le fond des cœurs ; vous savez si le nombre des vrais pénitents répondra à l'abondance de vos miséricordes. Ce que je sais, c'est que vos miséricordes, quoique abondantes, sont, même

 

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dans ce temps de salut, limitées et uniquement réservées à ceux dont la contrition est sincère cl Bolide ; ce que je sais, c'est que la fausse pénitence ne doit espérer de vous, dans aucun temps, ni grâce, ni rémission ; les vrais pénitents, ce sont ceux qui ne se contentent pas de pleurer le péché, mais qui en retranchent la cause, mais qui en quittent l'occasion, mais qui en réparent les pernicieux effets, mais qui en font cesser le scandale, mais qui en cherchent les remèdes, mais qui s'y assujettissent <le bonne foi : voilà les preuves d'une contrition non suspecte, et voilà, sans en rien excepter, les dispositions absolument requises pour l'indulgence dont je parle. Or, combien peu s'acquitteront fidèlement, pleinement, exactement de tous ces devoirs ; et, par une suite nécessaire, combien seront trompés et se tromperont eux-mêmes, dans la vaine confiance dont ils se laisseront flatter, d'avoir reçu le bienfait du Seigneur, et d'avoir pris pour cela toutes les mesures convenables?

De là même concluons encore, mes chers auditeurs, qu'il n'est donc pas vrai que l'indulgence, ni par conséquent le Jubilé, anéantisse la pénitence, ainsi que les hérétiques nous l'ont reproché : car, bien loin d'anéantir la pénitence, le Jubilé la suppose comme la première et la plus essentielle de toutes les conditions; et Ton ne peut dire non plus que le Jubilé soit un relâchement de la pénitence , puisque c'est au contraire le plus engageant et le plus pressant de tous les motifs dont se sert l'Eglise pour exciter les pécheurs à faire de dignes fruits de pénitence ; et certes, à quiconque raisonnera juste dans les principes de la doctrine catholique, le Jubilé bien entendu et l'indulgence bien conçue ne peuvent inspirer que l'esprit de pénitence : car qu'y a-t-il de plus propre à me faire prendre les voies de la pénitence et de la parfaite pénitence, que d'envisager ce que l'Eglise me propose , et ce que Dieu me promet, si je suis assez heureux pour y entrer; savoir, l'entière rémission des peines dues à mes péchés, si je les déteste , si j'en détache mon cœur, en un mot, si ma pénitence a toutes les qualités qu'elle doit avoir pour me remettre en grâce avec mon Dieu ? Persuadé qu'une telle pénitence est le seul moyen pour obtenir cette rémission, quels efforts ne fais-je pas et quelles victoires ne suis-je pas déterminé à remporter sur moi-même, pour surmonter toutes les difficultés qui pourraient s'opposer à ma conversion? On dit : J'en serai quille pour peu de chose, et il ne m'en coûtera que de faire ce qui est prescrit par la bulle : ainsi parle une âme peu éclairée, qui ne connaît pas la grâce de Dieu ; ainsi pense une âme mondaine, qui cherche à se consoler dans le désordre de sa vie tiède et lâche, qu'elle veut toujours soutenir. L'une et l'autre se fait de l'indulgence un prétexte à son impénitence : mais d'où vient l'impénitence de l'une et de l'autre ? est-ce du Jubilé même? non, sans doute; mais des fausses conséquences qu'elles tirent l'une et l'autre de l'indulgence et du Jubilé.

En suivant les maximes catholiques, je n'ai garde de tomber en de pareilles erreurs : car, m'attachant à ces paroles qui en sont le solide préservatif, Vere paenientibus et contritis, je veux dire à la nécessité d'être vraiment contrit et pénitent, bien loin de croire que j'en serai quitte pour peu de chose en faisant ce qui est ordonné, je comprends que le Jubilé m'engage à ce qu'il y a dans la religion de plus difficile, de plus héroïque et de plus grand , qui est une vraie conversion : je comprends que, pour me disposer à la grâce du Jubilé, il n'y a point de violence que je ne doive me faire, point de passion que je ne doive sacrifier , point d'attache que je ne doive rompre , point de commerce dangereux que je ne doive m'interdire : pourquoi ? parce que tout cela est de l'essence d'une conversion véritable et chrétienne. En suivant les maximes catholiques, comme je dois compter pour rien tout ce qui est d'ailleurs ordonné; si l'on en sépare cette vraie conversion , aussi puis-je , sans présomption, me promettre de la bonté de Dieu que tout le reste, quoique peu de chose, ne laissera pas de lui être agréable, et de m'aider à apaiser sa justice , si cette vraie conversion en est le fondement. A quoi sert le Jubilé , dit un chrétien lâche, si l'on n'en est pas moins obligé à faire pénitence? et moi je réponds : Il me sert à m'acquitter pleinement envers Dieu des dettes dont, malgré toute ma pénitence , je pourrais encore lui être redevable : car, par la même raison qu'après avoir fait tout ce qui m'est commandé , je dois toujours me regarder comme un serviteur inutile ; aussi, quelque exacte et quelque fervente que puisse être ma pénitence, je dois encore me considérer comme un pécheur qui est en reste avec Dieu ; et c'est alors que l'indulgence m'est profitable, c'est alors que le Jubilé supplée à mon impuissance, et met le comble à ma justification. En suivant les maximes catholiques, je ne me sens point porté au relâchement de la pénitence ;

 

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car, ne pouvant jamais être assuré si ma pénitence a été véritable, et si j'ai participé à l'indulgence du Jubilé, parce que je ne puis jamais savoir si je suis digne d'amour ou de haine , ma seule ressource, dans cette affligeante incertitude, est de continuer toujours à faire pénitence, comme s'il n'y avait point eu pour moi d'indulgence.

C'est bien plutôt dans les principes des hérésiarques et dans leurs dogmes scandaleux, que l'on découvre le relâchement visible, et même l'anéantissement total de la pénitence : car n'est-ce pas la détruire et l'anéantir, que de la faire consister, comme ils ont prétendu, dans un simple acte de foi par où le pécheur se croit justifié, et s'assure en effet de l'être , sans en avoir d'autre témoignage que celui qu'il s'en rend au fond de son cœur? N'est-ce pas anéantir la pénitence, que de la réduire par là à l'exercice le plus aisé et le plus commode, à un exercice qui ne mortifie en rien , qui n'assujettit à rien , et qui ne coûte rien davantage que de se consoler dans la créance bien ou mal fondée que nos péchés nous sont remis? n'est-ce pas anéantir la pénitence que de la dépouiller, comme ont fait les auteurs du schisme, de toutes les œuvres humiliantes, laborieuses et pénibles , en abolissant la confession, en supprimant toute l'austérité de la satisfaction, en décriant les macérations du corps, en faisant cesser l'obligation du jeune, en déchargeant le pécheur de tout cela, en lui rendant tout cela odieux, en n'exigeant autre chose de lui sinon qu'il croie, sans hésiter, que malgré ses péchés il est revêtu de la justice de Jésus-Christ , et par là lui accordant plus qu'il ne pourrait, selon nous, espérer de l'indulgence et de la pénitence jointes ensemble, puisque indépendamment de l'une et de l'autre, on l'assure qu'il ne doit plus rien à la justice de Dieu? Mais surtout n'est-ce pas anéantir la pénitence , et renverser toutes les idées que l'Ecriture nous en donne, de dire, comme les hérésiarques, que quand le pécheur est une fois justifié, il ne peut plus perdre la grâce ; que, quelque crime ensuite qu'il commette, ses crimes ne lui sont plus imputés? La rémission des peines que Dieu accorde par l'indulgence à un pécheur contrit et humilié, a-t-elle rien qui approche de ce relâchement, et fut-il jamais une indulgence, si je puis ainsi parler, plus monstrueuse que celle-là et plus chimérique ?

Cependant, pour recevoir l’indulgence du Jubilé, suffit-il d'être en état de grâce ? Non, Chrétiens ; mais je dis qu'il faut encore accomplir les œuvres ordonnées par la bulle, les accomplir réellement : l'intention et la volonté, quoique sincères, ne suffiraient pas ; les accomplir toutes, une seule omise, c'est assez pour nous priver de tout droit à l'indulgence; les accomplir au temps marqué, afin que, jointes ensemble, elles en aient plus de force et plus de vertu ; les accomplir en esprit de pénitence, puisque, par une espèce de compensation, elles nous doivent tenir lieu d'une plus ample et plus sévère pénitence.

Mais quelles sont ces œuvres ? Souffrez, mes Frères, que, pour votre instruction, j'en fasse ici un détail abrégé : elles  se réduisent à six.

En premier lieu, commencer les œuvres prescrites par la confession, afin que tout le reste, étant fait en état de grâce, en soit plus méritoire, plus satisfactoire, plus saint, plus digne de Dieu ; et faire cette confession avec le même soin, la même ferveur, que si c'était la dernière de la vie, puisque l'effet du Jubilé doit être de nous mettre en état d'aller jouir sans délai de la possession de Dieu, si la mort tout-à-coup nous enlevait.

En second lieu, faire des aumônes, pour répandre sur les membres vivants de Jésus-Christ les tributs que la pénitence impose à la charité. La bulle ne détermine point la quantité de ces aumônes, parce qu'elle suppose que vous les ferez chacun à proportion de votre pouvoir, mais encore plus chacun à proportion du nombre de vos péchés, dont vous attendez la rémission. Car, selon la parole du Sauveur. celui à qui on remet plus doit plus aimer, et par conséquent plus donner.

En troisième lieu, jeûner, si la bulle l'ordonne, et quand elle ne l'ordonnerait pas, jeûner pour être plus en disposition de fléchir Dieu.

Qui sait, disait le prophète, exhortant le peuple de Dieu à l'abstinence et au jeûne, qui sait si le Seigneur ne se tournera pas vers vous, et si, touché de vos jeûnes, il ne vous pardonnera pas?

En quatrième lieu, visiter les églises assignées, pour honorer les martyrs dont les reliques y sont en dépôt. Ces glorieux martyrs ont satisfait à Dieu, et le surplus de leurs satisfactions, qui ne leur a pas été nécessaire pour eux-mêmes, fait encore une partie du trésor qui nous est appliqué par le Jubilé.

En cinquième lieu, prier avec toute l'Eglise, et conformément aux intentions du vicaire de Jésus-Christ. L'union des fidèles avec leur chef est un des plus efficaces et des plus excellents

 

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moyens pour obtenir   de Dieu miséricorde.

Enfin, conclure par la communion, en vertu de laquelle Jésus-Christ lui-même vient dans nous, demeure en nous, demande grâce pour nous. Quel sujet n'avons-nous pas de l'espérer, aidé d'un si puissant intercesseur?

Ah! Chrétiens, admirons la bonté de notre Dieu, qui veut bien, à de telles conditions, se relâcher de tous ses droits; et reconnaissant qu'il n'appartient qu'au Père des miséricordes d'en user de la sorte envers des criminels qu'il pourrait abandonner à toute la rigueur de sa justice. Non, il n'appartient qu'à lui : les hommes, pour de légères offenses, exigent les plus rigoureuses et les plus longues satisfactions ; et le monde même y est tellement accoutumé, qu'on ne s'en étonne point, qu'on se soumet sans hésiter à toutes les réparations que peut demander un maître dont on a encouru la disgrâce, qu'on s'estime encore heureux, de s'insinuer tout de nouveau, de se rapprocher, et de rentrer en faveur auprès de lui. Combien y a-t-il pour cela de temps à attendre ? combien y a-t-il d'intrigues à former, et d'intercesseurs à employer? et toutefois, de quoi souvent s'agit-il, et quelle est cette faute qui coûte tant de repentirs et de peines? peut-être une parole indiscrète et peu respectueuse; peut-être un service mal rendu, et une négligence. Voilà, pécheurs, par une utile comparaison, ce qui vous doit faire goûter votre bonheur, d'avoir à Imiter maintenant avec un Dieu qui vous remet tout, et qui demande si peu pour une abolition si parfaite. Tel m'écoute, qui, depuis des dix et des vingt années, a vécu dans le crime; c'est un libertin qui, par état et par profession, s'est porté à toutes les impiétés ; c'est un voluptueux qui, dominé par la plus honteuse passion, a vieilli dans la débauche : quel comble de dettes, et que fera-t-il pour les acquitter? A tout autre tribunal que celui de Dieu, il n'y aurait plus d'espérance, plus de retour, plus de rémission ; mais au tribunal de la divine miséricorde, il peut, s'il le veut, se décharger de tout le fardeau qui l'accable. Oui, mon cher auditeur, eussiez-vous été jusqu'à présent l'homme le plus abandonné à vos passions, et le nombre de vos péchés, pour me servir de cette figure du Prophète, passât-il le nombre des cheveux de votre tête, ou celui des grains de sable qu'étale la mer sur ses rivages, il ne s'agit maintenant, pour en être quitte devant Dieu, et vraiment quitte, et pleinement quitte, et irrévocablement quitte, il n'est, dis-je, question, supposé le repentir sincère de votre cœur, que de quelques jours consacrés au jeûne, que de quelques heures employées à la prière, que de quelques œuvres de la charité et de la piété chrétienne. Etes-vous assez ennemi de vous-même pour perdre volontairement la plus grande de toutes les grâces, lorsqu'elle vous est si libéralement accordée, lorsqu'elle vous est plutôt donnée que vendue, lorsque vous avez tant à craindre qu'elle ne vous soit enlevée pour jamais, et que, n'ayant pas été pour vous, par votre endurcissement, une grâce de rémission, elle ne devienne contre vous un titre de condamnation? Etes-vous, ou assez peu instruit, ou assez peu touché du malheur d'un homme livré à la justice divine et à ses redoutables châtiments, pour ne travailler pas à les prévenir et à vous en préserver? Mais saint Paul, saisi lui-même de frayeur, tout apôtre qu'il était, ne vous dit-il pas que c'est une chose terrible que de tomber dans les mains du Dieu vivant? Horrendum est incidere in manus Dei viventis (1). Achevons, et pour dernière instruction voyons ce que doit opérer dans nous l'indulgence du Jubilé, et quels fruits nous en devons retirer : c'est la troisième partie.

 

TROISIÈME PARTIE

 

Vous me demandez, Chrétiens, ce que doit produire en nous la grâce du Jubilé : il est aisé de vous répondre. Car je dis que, dans le dessein de Dieu et de l'Eglise, la fin du Jubilé est le renouvellement intérieur de nos personnes ; celui que saint Paul recommandait si souvent aux fidèles, quand il leur disait: Renovamini spiritu mentis vestrœ (2); Renouvelez-vous en esprit et dans l'intérieur de vos âmes ; celui que chacun de nous doit éprouver et sentir dans soi-même : en sorte que par le Jubilé nous devenions en Jésus-Christ de nouvelles créatures, des hommes intérieurement sanctifiés, et que nous puissions nous écrier, comme David : Dixi : Nunc cœpi (3). C'est maintenant que je commence à connaître et à servir Dieu. Tout le reste de ma vie s'est passé dans l'oisiveté, dans la dissipation, dans le désordre, dans l'oubli de mes devoirs, dans le dérèglement de mes passions : c'est maintenant que je veux commencer à vivre en chrétien : Dixi : Nunc cœpi.

Renouvellement qui ne doit consister, ni en de vains projets, ni en des idées vagues et générales ; mais qui doit paraître dans la réforme de nos actions, de nos conversations, de nos occupations, de nos dévotions ; dans un plus

 

1 Hebr., X, 31. —  2 Ephes., IV, 23. — 3 Psal., LXXVI, 11.

 

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grand attachement à nos obligations, dans une plus fervente application à tout ce qui regarde le service et le culte de Dieu , dans une plus exacte préparation aux sacrements , dans une plus vive et plus respectueuse attention à la prière , dans une conduite plus charitable envers le prochain, dans une plus exacte vigilance sur nous-mêmes ; tellement qu'en tout cela l'on aperçoive le changement exemplaire et visible qui s'est fait en nous , et qu'à notre égard la parole de l'Apôtre se vérifie : Vetera transierunt, ecce facta sunt omnia nova (1); Ce qui restait de vieux et de corrompu est passé, tout est devenu nouveau. Voilà, dis-je, quel doit être le fruit du Jubilé . voilà pourquoi il est institué. Car de prétendre avoir eu part à cette grâce, de se flatter d'avoir gagné cette indulgence et se trouver toujours le même homme, c'est-à-dire toujours rempli des mêmes imperfections, sujet aux mêmes faiblesses, engagé dans les mêmes vices, aussi esclave de ses sens, aussi dominé par son humeur, aussi déréglé , aussi dissipé, aussi lâche et aussi mondain, abus, mes chers auditeurs , et illusion. Si cela était, que serait-ce que le Jubilé, si vénérable néanmoins et si saint ? une pure cérémonie, et rien davantage. Et qu'est-ce, en effet, autre chose pour tant de chrétiens? l'exemple qu'ils doivent à une famille qui les observe, à toute une maison qui a les yeux sur eux, au public dont ils craignent la censure ; certaines considérations tout humaines, et si vous voulez même, je ne sais quel reste de religion ; tout cela les engage à suivre la multitude, et à faire ce que font les autres. Ils pratiquent le jeûne, ils visitent les autels, ils récitent des prières, ils donnent l'aumône , ils approchent du tribunal de la pénitence, ils paraissent à la table de Jésus-Christ, ils ne manquent à rien de tout ce que nous pouvons appeler l'extérieur et comme l'appareil du Jubilé. Mais dehors spécieux et belles apparences, dont la suite fera bientôt connaître le déguisement et l'erreur ; car après ces saints jours on les verra tels qu'ils étaient : on verra cette femme ne rien retrancher de ses parures et de ses ajustements, de son luxe et de ses dépenses ; on verra cet homme toujours dans les mêmes jeux, les mêmes compagnies, les mêmes spectacles ; ce père n'en sera pas plus attentif à l'éducation de ses enfants ; cette mère n'en sera pas plus appliquée à établir Tordre dans son domestique ; ce magistrat n'en sera pas plus assidu aux fonctions de sa charge ; ce médisant n'en parlera pas avec moins de

 

1 2 Cor., V, 17.

 

liberté ; cet ambitieux n'en formera pas moins de projets pour l'avancement de sa fortune; ce riche n'en aura pas moins d'ardeur pour entasser biens sur biens; enfin ,nul changement. nulle réformation de mœurs ; et alors le mystère se découvrira : je veux dire qu'alors il ne sera pas difficile de connaître s'ils ont reçu la grâce du Jubilé ; ou plutôt qu'il sera aisé de conclure absolument que ça été une grâce perdue pour eux. Et en effet, j'examine la chose dans son fond , et je remonte au principe : avoir gagné l'indulgence du Jubilé, c'est de bonne foi s'être réconcilié avec Dieu ; pour s'être de bonne foi réconcilié avec Dieu, il faut de bonne foi être retourné à Dieu ; et pour y être retourné de la sorte, avoir de bonne foi détesté le péché , de bonne foi renoncé au péché, de bonne foi résolu et promis de se préserver du péché , et de prendre une conduite tout opposée à ses premiers égarements. Or, peut-on croire avec quelque vraisemblance qu'une telle conversion, que de telles résolutions et de telles promesses se fussent si tôt démenties , si elles avaient été sincères? je vous le donne à juger, Chrétiens ; et quoi que vous en puissiez penser, je m'en tiens toujours à ma proposition , qu'un des principaux effets de cette indulgence que je vous prêche doit être le renouvellement de votre vie : Ecce facta sunt omnia nova.

Mais, dites-vous, sans attendre le Jubilé, si nous sommes fidèles à la grâce, tous les temps ne sont-ils pas bons pour travailler à ce renouvellement de nous-mêmes, et ne doivent-ils pas être pour nous des temps de conversion? Je l'avoue, mes chers auditeurs, ils le doivent être ; et par cette raison ils le sont tous quant à l'obligation, puisqu'il n'y en a aucun où Dieu, si nous sommes dans le désordre, ne nous commande d'en sortir et de nous convertir : mais ils ne le sont pas tous, ou du moins ils ne le sont pas également quant à la disposition de nos cœurs, ni même du côté de Dieu, quant à la préparation des grâces auxquelles notre conversion est attachée. Car il est de la loi. qu'il y a des temps dans la vie plus propres que les autres et plus favorables pour le salut; des temps où il est plus possible et plus facile de trouver Dieu : Quœrite Dominum dum inveniri potest (1) ; des temps où il est plus utile et plus nécessaire de l'invoquer, parce qu'il est plus proche de nous : Invocate eum dum prope est (2); des temps choisis par la Providence, pour opérer dans nous ce changement de la main

 

1 Isa., LV, 6. — 2 Ibid.

 

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du Très-Haut, dont David se rendait à lui-même le témoignage, quand il disait avec une humble confiance et avec action de grâces : Dixi : Nunc cœpi; hœc mutatio dexterœ Excelsi (1).

Or, un de ces temps choisis spécialement de Dieu, un de ces temps favorables, un de ces temps de salut et de conversion, c'est le Jubilé, et je puis bien lui appliquer ce que saint Paul disait aux Corinthiens : Ecce nunc tempus acceptabile; ecce nunc dies salutis (2). Temps de crise, si j'ose ainsi m'exprimer, temps de crise et pour les pécheurs, et pour les justes : pour les pécheurs, parce que la grâce dont Dieu les prévient t'ait en eux les derniers efforts pour les tirer du dangereux état où le péché les a réduits ; pour les justes, puisqu'ils ont besoin de ce secours extraordinaire pour sortir de l'état de tiédeur dont ils auraient à craindre sans cela les suites funestes : Ecce nunc tempus acceptabile, ecce nunc dies salutis.

Aussi, Chrétiens, le Jubilé est-il rengagement le plus naturel à ce renouvellement de vie, le moyen le plus efficace de ce renouvellement de vie, l'occasion la plus avantageuse pour ce renouvellement de vie : prenez garde à ces trois pensées. L'engagement le plus naturel à ce renouvellement de vie : car comment puis-je, sans cela, reconnaître le don de Dieu, et comment puis-je l'honorer dans ma personne, si je ne suis intérieurement et parfaitement renouvelé selon Dieu ? Dieu , en m'accordant la grâce du Jubilé, me remet en quelque façon tous les intérêts de sa justice, et répand sur moi, sans réserve, tous les trésors de sa miséricorde : n'est-il pas juste que je réponde à ce bienfait inestimable par un redoublement de zèle, et qu'en reconnaissance de ce que Dieu a fait pour moi, après m'être reproché d'avoir fait jusqu'à maintenant si peu pour lui, je commence à le servir avec un cœur nouveau, et comme un homme nouveau? Le moyen le plus efficace de ce renouvellement de vie : pourquoi , c'est que le Jubilé, par la plénitude des grâces qu'il renferme, en ôte le principal et l'unique obstacle. Ce qui nous empêche de nous élever a Dieu, et de marcher dans la pratique de cette vie nouvelle dont parle saint Paul, c'est le poids du péché qui nous accable : or, nous en sommes pleinement déchargés par le Jubilé; c'est donc alors que nous avons droit de dire : Deponentes omne pondus et circumstans nos peccatum,

 

1 Psal., LXXVI, 11. — 2 1 Cor., VI, 2.

 

curramus ad propositum nobis certamen (1) ; Dégagés de tout ce qui nous appesantissait, et absolument délivrés des liens du péché, qui nous serraient si étroitement, courons avec joie dans la carrière du salut qui nous est ouverte. L'occasion la plus avantageuse pour ce renouvellement de vie : et en effet, si dans le dessein que nous avons de retourner à Dieu, nous étions encore retenus par les considérations du monde ; si, par un respect humain, nous avions encore de la peine à nous déclarer, non-seulement le Jubilé nous y invite, mais il nous en facilite l'exécution. A combien de pécheurs et de pécheresses, à combien de mondains et de mondaines ce saint temps n'a-t-il pas été, pour user de ce terme, l'époque de leur conversion, jusqu'à leur avoir attiré l'estime et les éloges du monde même ?

Ne différons donc pas davantage une affaire aussi importante que celle du parfait renouvellement et du changement intérieur de nos âmes, à quoi nous devons rapporter la grâce du Jubilé. Pour ne pas recevoir cette grâce en vain, faisons voir par nos œuvres quelle est sa vertu, et justifions-la par les salutaires effets dont elle va être suivie. Voici peut-être le dernier temps dont nous serons en état et en pouvoir de profiter : écoutons Dieu, et n'endurcissons pas nos cœurs : peut-être sa patience, qui a des bornes, se lassera-t-elle enfin de nous supporter; peut-être sommes-nous à la veille de tomber entre les mains de sa justice ; peut-être la cognée est-elle déjà à la racine de l'arbre : hâtons-nous d'accomplir le dessein de Dieu, qui ne peut être que notre sanctification. Ah! qu'il ne nous arrive pas, comme à l'infortunée Jérusalem, d'ajouter à nos autres désordres celui de ne pas connaître le temps où Dieu nous visite, et par là de mettre le comble à notre réprobation ! Dieu nous visite par ses châtiments dans les temps de calamité et de misère, et il nous visite par ses consolations dans le temps du Jubilé. Malheur à nous, si nous ne connaissons pas un si saint temps ; et encore plus malheureux si, le connaissant, nous ne nous en servons pas ! Car voilà ce qui acheva la ruine de cette ville criminelle, lorsque Jésus-Christ lui dit, en pleurant : Eo quod non cognoveris tempus visitationis tuœ (2). Il n'attribua pas sa destruction future à tous les autres crimes qu'elle avait commis, ni même à celui qu'elle allait commettre en le crucifiant, mais à celui dont elle s'était rendue

 

1 Hebr., XII, 1. — 2 Luc, XIX, 44.

 

304

 

coupable, en ne discernant pas le temps où Dieu l'avait recherchée et appelée. Détournez de nous, Seigneur, une malédiction si terrible; éclairez-nous, touchez-nous, aidez-nous vous-même à faire un saint usage d'un temps si précieux; préparez-y nos cœurs par votre grâce, et que ce Jubilé soit vraiment pour nous le temps du salut , où nous conduise , etc.

 

FIN   DES  MYSTÈRES.

 

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