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SERMON POUR LA FÊTE DE SAINT FRANÇOIS DE SALES.
ANALYSE.
Sujet. Dieu l’a fait saint par l'efficace de sa foi et de sa douceur. C'est l'éloge que l'Ecriture fait
de Moïse, et qui convient parfaitement à saint Division. Première partie. 1° Douceur patiente. Il a eu à
supporter les calomnies, les insultes, les révoltes, les attentats; mais sa
douceur à souffrir tout et à pardonner tout le faisait aimer de ceux mêmes qui
s'étaient élevés contre lui, et par là il les gagnait. 2° Douceur entreprenante et
agissante. Il a paru dans les cours des princes comme un Elie. De tous les
avantages qu'ils lui ont offerts, il n'en a accepté aucun ; et l'unique grâce
qu'il en voulut obtenir, ce fut l'extirpation de l'hérésie. Combien de courses
apostoliques et de voyages lui en a-t-il coûté? combien de veilles et de
travaux? Mais ce qui donnait à tout cela une merveilleuse efficace, c'était sa
douceur. Par la doctrine on convainc les esprits ; mais par la douceur on gagne
les cœurs. De là, double instruction. 1° Apprenons à estimer notre foi,
pour laquelle Deuxième partie. 1° Par la douceur de sa doctrine.
Ce n'est pas qu'elle ne fût très-sévère dans ses maximes : mais l'onction qu'il
y mettait, soit en prêchant, soit en conversant, soit en écrivant, lui donnait
une grâce particulière, et la faisait recevoir avec plus de fruit. 2° Par la douceur de sa conduite dans le gouvernement des
âmes : témoin cet ordre illustre de la Visitation qu'il a institué, et dont le
principal esprit est un esprit de charité. 3° Par la douceur de ses
exemples. La Providence l'a attaché à une vie, ce semble, assez commune, afin
qu'elle nous devint imitable. Il a borné toute sa sainteté aux devoirs de son
ministère, et c'est surtout dans les devoirs de notre condition que doit
consister notre piété. Mais, du reste, que cette parfaite observation des
devoirs de chaque état coûte dans la pratique! qu'il faut pour cela se faire de
violences et remporter de victoires ! In fide et lenitate ipsius sanctum fecit illum. Dieu l'a fait saint par l'efficace de sa foi
et de sa douceur. (Ecclésiastique, cap. XLV, 4.) C'est la conclusion de l'éloge
que l'Ecriture sainte a fait de Moïse : mais il semble qu'en faisant cet éloge,
elle ait eu au même temps en vue le glorieux saint 1 Eccles., XLV, 1. grands saints : Similem illum fecit in gloria sanctorum;
que par la vertu de ses paroles il a apaisé les monstres : Et in verbis suis
monstra placavit ; que le Seigneur l’a glorifié en présence des rois : Glorificavit
illum in conspectu regum ; qu'il lui a confié la conduite et le
gouvernement de son peuple : Et jussit illi coram populo suo; qu'il l'a
établi pour enseigner à Israël et à Jacob une loi dont la pratique doit être
une source de vie : Et dedit illi legem vitœ et disciplinœ; mais surtout
qu'il l'a fait saint en considération de sa foi et de sa douceur : In fide
et lenitate ipsius sanctum fecit illum. Je vous demande, Chrétiens, si vous
ne reconnaissez pas à tous ces traits le grand évêque de Genève, et si, dans le
dessein que j'ai de lui en faire l'application, vous ne m'avez pas déjà
prévenu? Un saint chéri de Dieu et des hommes, un saint dont la mémoire est
partout en bénédiction, un saint qui a dompté les monstres de l'hérésie et du 382 schisme, un saint respecté et honoré des monarques de la
terre, un saint qui n'est entré dans le gouvernement de l'Eglise que par
l'ordre exprès de Dieu, un saint qui a instruit tout le monde chrétien des
devoirs de la véritable piété, un saint instituteur et auteur de cette
admirable règle qui a sanctifié tant d'épouses de Jésus-Christ, mais
particulièrement un saint canonisé pour l'excellent mérite de sa douceur : In
lenitale ipsius sanctum fecit illum : encore une fois, mes chers auditeurs,
n'est-ce pas l'incomparable Quand je parle de la douceur, et
que je fonde toute la gloire du saint évêque de Genève sur le mérite de cette
vertu , ne croyez pas que je veuille parler d'une vertu commune qui se trouve
en de médiocres sujets, et qui n'ait rien de grand et de relevé. La douceur,
dit excellemment saint Ambroise, appelée dans l'homme humanité, est en Dieu
l'un des plus spécifiques et des plus beaux attributs de la divinité. Car,
ajoute ce saint docteur, de voir un Dieu aussi puissant et aussi indépendant
que le notre, souffrir néanmoins ce qu'il souffre des impies; et, malgré leur
impiété, conserver pour eux un cœur de père, faire luire sur eux son soleil,
les prévenir de ses bienfaits et les combler de ses grâces, n'est-ce pas ce
qu'il va dans ce souverain Maître de plus admirable? Tout le reste, si je l'ose
dire, ne m'étonne point : qu'étant Dieu, il soit éternel, c'est une conséquence
de son être , qui ne surprend point ma raison; mais qu'étant Dieu , il soit
patient jusqu'à l'excès, et comme insensible aux injures qu'il reçoit; que même
il en aime les auteurs et qu'il les recherche, c'est ce que j'ai peine à
comprendre. Demandez à saint Paul ce que c'est que l'incarnation du Verbe, cet
ineffable et auguste mystère ? rien autre chose que la bénignité d'un Dieu
Sauveur qui a paru avec éclat, et qui s'est révélé au monde : Cum autem
benignitas et humanitas apparuit Salvatoris nostri fidei (1). Aussi que n'a
pas fait le Fils de Dieu pour exalter cette vertu dans le christianisme,
puisqu'il l'a canonisée si hautement, Beati mites (2) ; puisqu'il l'a
proposée comme l'abrégé de toute sa doctrine : Discite a me, quia mitis sum
(3) ; puisqu'il en a fait L'apanage de sa royauté : Ecce Rex tuus venit tibi
mansuetus (4); puisque son précurseur s'en est servi comme d'une preuve
sensible que cet Agneau de Dieu était le Messie : Ecce Agnus Dei (5);
puisque l'Apôtre exhortant les fidèles et voulant les engager, par ce que
Jésus-Christ avait eu de plus cher, à pratiquer leurs devoirs, les en conjurait
par la douceur de cet Homme-Dieu : Obsecro vos per mansuetudinem Christi
(6) ; puisque, au rapport du sixième concile, on ne représentait Jésus-Christ,
dans les premiers siècles de l'Eglise, que sous la figure du pasteur ? si
toutefois on peut appeler figure ce qui était une solide et incontestable vérité.
En voilà trop, Chrétiens, pour ne pas connaître tout le prix et toute
l'excellence de la douceur; laquelle, après tout, n'est pas tant une vertu
particulière, qu'un tempérament général de toutes les vertus. Car la grâce a
son tempérament aussi bien que la nature; et la douceur chrétienne , au
sentiment même de l'illustre 1
Epist. ad Tit., III, 4.— 2 Matth., V, 4. — 3 Ibid., XI, 29,4 — 4 Ibid., XXI, 5
. — 5 Joan., I, 29. — 6 2 Cor., I, 29. 383 de la force, modérant l'extrême sévérité de la justice,
inspirant du courage à l'humilité, corrigeant les excès du zèle, dépouillant la
charité de toute affection propre, pour lui en donner d'universelles. Un homme,
avec de telles dispositions, est sans doute un homme débonnaire et doux. Vertu
sublime , mais surtout vertu la plus efficace et la plus puissante, comme je
vais vous le faire voir dans l'exemple de saint Je trouve que ce saint prélat a
été choisi de Dieu pour deux fins importantes, qui ont également partagé sa vie
et ses glorieux travaux : premièrement, pour combattre et détruire l'hérésie ;
secondement, pour rétablir la piété chrétienne , presque entièrement ruinée. Il
a fait pour l'un et pour l'autre tout ce qu'on pouvait attendre d'un homme apostolique;
et il a eu des succès que nous aurions peine à croire, si les témoignages
encore vivants, avec le consentement public , n'en étaient une double
conviction. Mais je prétends que c'est à sa douceur que ces bénédictions du
ciel doivent être singulièrement attribuées. Voici donc le partage de ce
discours : PREMIÈRE PARTIE.
De dire que la Providence ait
permis la propagation de l'hérésie dans le diocèse de Genève, pour donner à 1 Ezech., XXXIV, 24. joug des puissances de la terre et du ciel, pour se
soumettre à celle de l'enfer; la religion nouvelle de Calvin s'y était
retranchée comme dans son fort; et la France avait eu au moins le bonheur de
pousser ce poison hors de son sein, après l'y avoir malheureusement conçu ,
Dieu ne voulant pas que ce royaume très-chrétien fût le siège et le rempart de
Terreur. C'était un triste spectacle de voir tous les environs de Genève,
c'est-à-dire des provinces entières, embrasées du même feu que cette ville
infidèle : plus de loi, ni de prophète; les pierres du sanctuaire étaient
dispersées, les temples détruits ou profanés. Jérusalem ne fut jamais plus
digne de larmes, car elle n'avait été violée que par ses ennemis : Manum
suam misit hostis ad omnia desiderabilia ejus (1) ; au lieu que Genève,
selon l'expression d'Isaïe, était infectée de ses propres habitants : Terra
infecta est habitatoribus suis (2). Eux-mêmes avaient porté les mains sur
l'autel du Seigneur, pour le renverser ; eux-mêmes avaient aboli les
sacrifices, et rompu l'alliance que Dieu avait faite avec leurs pères : Quia
transgressi sunt leges, dissipaverunt fœdus sempiternum (3). Or, qui
réparera ces ruines? ne faut-il pas la force d'un conquérant, pour purger cette
terre de tant de monstres? Non, il ne faut que la douceur de Il me semble que j'entends les
anges tutélaires de Genève, qui en font à Dieu la demande et le vœu public, en
lui adressant ces belles paroles de l'Ecriture : Emitte Agnum, Domine,
dominatorem terrœ (4) ; Seigneur, vous vous voyez ici désormais comme dans
une terre étrangère, depuis qu'elle n'est plus de votre obéissance ; envoyez au
plus tôt l'Agneau que vous avez choisi, pour la soumettre et pour y rétablir
votre empire. Dieu les exauce, mes chers auditeurs : 1 Jerem.
Thren., I, 10. — 2 Isa., XXIV, 5. — 3 Ibid., III, 5. — 4 Ibid., XVI, 1. — 5 Luc,
X, 3. 384 Le Saint-Siège autorise ce choix; et afin qu'il soit encore
plus authentique, le nouvel apôtre est nommé successeur à l'évêché de Genève.
Dignité qu'il ne cherche point et qu'il ne refuse point : qu'il ne cherche
point, parce que c'est un titre d'honneur ; mais aussi qu'il ne refuse point,
parce qu'il l'envisage comme un moyen que la Providence lui fournit, pour
travailler plus efficacement à la destruction de l'hérésie. Ainsi, Chrétiens,
le voilà, cet agneau choisi de Dieu pour exercer sur ces peuples égarés une
domination aussi puissante que sainte. Oui, Genève lui obéira; il est son
prince, et elle relève de lui ; il est son pasteur, et elle est son troupeau ;
les droits qu'il a sur elle ne souffrent point de prescription; tant qu'elle
portera le caractère du baptême, elle n'effacera jamais les marques de sa
dépendance. Si les armes de la Savoie n'ont rien pu sur elle, il faut qu'elle
soit vaincue par la douceur de Il entre, mes chers auditeurs,
dans cette vigne désolée, qui refleurit à sa vue pour porter bientôt des fruits
de grâce ; il y marche , mais comme un géant ; autant de pas qu'il fait, autant
de conquêtes. Partout il arbore l'étendard de la vraie religion ; partout on ne
voit que des églises renaissantes; partout les saints, dégradés, pour ainsi
dire, et privés du culte qui leur est dû, sont rétablis dans leurs anciens
titres et dans tous leurs honneurs. Chaque jour ramène de nouveaux sujets à
Jésus-Christ, et chaque jour grossit la moisson que Dispensez-moi, Chrétiens, de vous
dire en détail tous les avantages qu'eut ce saint prélat, et qu'il remporta sur
l'hérésie : ce qui n'a pas épuisé sa charité, lasserait peut-être votre
patience. Tout le Chablais fut étonné de se voir catholique, mais d'un
élonnement bien plus heureux que celui dont le monde, selon les termes de saint
Jérôme, fut autrefois surpris en se voyant arien. Genève est forcée de payer le
juste tribut d'un grand nombre de ses citoyens, qui discernent enfin la voix de
leur pasteur. De tous les endroits de la France l'hérésie vient lui faire
hommage, et presque tous ceux de ce royaume qui pensent à leur conversion, vont
chercher l'évêque de Genève; il y dispose, par ses soins, l'un des plus grands
hommes de notre siècle, le connétable de Lesdiguières; et, pour vous faire voir
que je ne dis rien qui ne soit établi sur les preuves les plus certaines, je
vous prie de remarquer que ce n'est point ici un sujet dont la vérité puisse
être altérée ou par l'éloignement des lieux, ou par l'antiquité des faits : je
parle suivant la déposition publique et juridique des témoins les plus
irréprochables; témoins oculaires, témoins illustres, et pour leur doctrine et
pour leur piété, qui nous apprennent que Mais, dites-moi, Chrétiens,
comment s'accomplit ce miracle? comment 385 quelles armes il opposa à l'esprit de ténèbres, et de quel
charme il usa pour adoucir la fierté de l'hérésie, et pour la rendre traitable?
Ce fut un charme sans doute, mais un charme innocent que lui fournit la sagesse
incréée : Beati mites, quoniam ipsi. possidebunt terram (1). La douceur
de son esprit le mit en possession de tant de cœurs ; et si vous m'en demandez
la raison, je la donne en deux mots : c'est que, pour exécuter ce grand
ouvrage, il fallut souffrir beaucoup, et agir de même : or, ce fut la douceur
chrétienne qui lui rendit tout supportable et tout possible : tout supportable,
car ce fut une douceur patiente; tout possible, car ce fut une douceur
entreprenante et agissante. D'où je conclus que c'est par cette vertu qu'il a
si glorieusement triomphé de l’erreur. Douceur patiente et à l'épreuve
de tout. Par combien de calomnies l'enfer s'efforce-t-il de décrier son
ministère? Autant que sa réputation est entière et sainte en elle-même, autant
est-elle déchirée par les ennemis de Dieu. Mais ce sont les partisans du
mensonge, disait-il; permettons-leur cette vengeance ; il y a quelque espèce de
justice pour eux, et beaucoup de gloire pour nous : aimons-les, et gagnons-les
à Dieu; ils seront les premiers à nous justifier. De là ses propres
calomniateurs, en l'outrageant par intérêt, l'aimaient par inclination; cette
inclination, quoique forcée, préparait la voie à 1 Matth., V, 4. la consacrer ; et sa douceur opère ce qu'on n'eût pu espérer
de la violence. Seigneur, disait David, vous m'avez donné un bouclier de salut
: Clypeum salutis (1) (c'était après avoir échappé à mille périls); cet
esprit débonnaire et doux que vous m'avez inspiré ne m'a pas seulement préservé
de mes ennemis, il a même multiplié le nombre de mes sujets : Mansuetudo
multiplicavit me (2). N'est-ce pas Il l'a bien fallu, Chrétiens,
pour porter les affaires de la religion au point où il les a conduites. Un sage
profane s'étonnait autrefois que nos anciens prophètes se fussent trouvés si
souvent dans les cours des princes, traitant et conversant avec eux. Pour des
hommes du ciel, disait-il, c'était avoir beaucoup de commerce avec la terre.
Oui, répond saint Jérôme ; mais ils n'en avaient que pour les affaires de Dieu
; et s'ils les eussent abandonnées, qui en eût pris soin ? L'évêque de Genève a
paru dans les palais des grands ; mais
comment? comme un Elie, pour y soutenir les intérêts du Seigneur et de la vraie
foi. Je puis même ajouter qu'il y a plus fait par sa douceur, que ce prophète
avec son esprit de feu. On n'eût jamais pensé que ce qu'il proposa au conseil
de Savoie pour l'extirpation de l'hérésie, dût être agréé : la prudence humaine
s'y opposait, et le projet était trop conforme aux maximes de Dieu pour
s'accorder avec la politique des hommes. Mais laissez agit 1 2 Reg., XXII, 36. —2 Ibid. 386 douceur, lui fait prendre tous les mouvements de son zèle. Mais, ô Providence, que
faites-vous? pendant que la paix entre les couronnes de France et de Savoie
favorise la guerre que cet apôtre a faite à l'hérésie, vous laissez une autre
guerre s'allumer entre ces deux états, et cette guerre, portée jusque dans le
sein de son Eglise, va donner la paix aux rebelles. Avez-vous donc entrepris de
troubler vos propres desseins? Non, Chrétiens; mais elle veut faire part à la
France du bien que la Savoie possédait; et parce que ce bienheureux prélat est
attaché aussi fortement à Genève qu'une intelligence à l'astre qu'elle remue,
il faut que les intérêts de ce diocèse l'en séparent, afin qu'il puisse dire
avec le Sauveur du monde, en quittant son troupeau : Il est à propos pour vous
que je vous quitte : Expedit vobis ut ego vadam (1). Ce coup sans doute
fut un des plus favorables pour la France. Notre invincible héros, Henri le Grand,
lit bien des conquêtes sur la Savoie ; mais une des plus avantageuses fut
d'attirer à sa cour cet homme de Dieu. II y est conduit par le même esprit qui
conduisit Jésus-Christ au désert : l'opinion de sa sainteté, le bruit de ses
merveilles préviennent les cœurs en sa faveur ; les peuples le comblent
d'honneurs, et Henri, c'est-à-dire le plus grand roi qui portât alors la
couronne, n'épargne rien pour lui donner toutes les marques d'une singulière
estime. Cet auguste monarque, qui ne prisait que le mérite, et dont le
discernement était admirable pour le connaître , découvrit d'abord dans le
saint prélat d'éminentes qualités; et, s'en expliquant un jour : Non, dit-il,
je ne connais point d'homme, dans tout mon royaume, plus capable de soutenir
les intérêts de la religion et ceux de l'état. Comme la ressemblance forme les
liaisons, ce prince, également belliqueux et débonnaire, aima 1 Joan , XVI, 7. magnificence toute royale. Déjà, par son ambassadeur auprès
du souverain pontife, il demandait pour Ce fut, après tout, un langage
bien nouveau à la cour, que celui de 387 de là il se transporte à Dijon ; il y annonce la parole de
Dieu ; et, pour toute reconnaissance, il souhaite que
ses lettres soient enregistrées au parlement de Bourgogne : elles le sont. Il
retourne en Savoie, il les fait exécuter avec une vigueur tout apostolique :
l'hérésie est déconcertée de se voir enlever le patrimoine de l'Eglise, et il
triomphe de voir tout le pays de Gex reconquis à Jésus-Christ. Or, encore une fois, qui fit tout cela? La
douceur agissante de notre apôtre. Tel fut le moyen qu'il mit en œuvre pour se
rendre maître de tant d'esprits. Est-ce par sa doctrine qu'il persuadait? il
est vrai, c'était un des plus savants prélats de son siècle : sa profonde
capacité fut admirée par les premiers hommes du monde, j'entends les cardinaux
Baronius et Bellarmin ; le Saint-Siège le consulta sur les points les plus
difficiles de notre religion ; il a donné cent fois le défi aux ministres de l'hérésie, et leur
fuite n'était pas tant une marque de leur peu de capacité et d'érudition ,
puisqu'ils passaient pour les plus habiles qui fussent dans leur»secte, qu'une
preuve de la haute suffisance de 1 Num., XII, 3. entreprises, qu'il a dompté Pharaon, ou plutôt qu'il a
dompté l'hérésie, plus intraitable encore que Pharaon, et qu'il a délivré le
peuple de Dieu de la servitude, en le réduisant sous l'obéissance de son
légitime pasteur. De là, mes chers auditeurs,
double instruction pour nous : l'une par rapport à la vraie foi, que Mais, d'ailleurs, quelle autre
leçon, que cette douceur dont il assaisonnait toutes ses paroles, tous ses
discours, et dont il ne se départit jamais dans toutes les occasions où il eut
à traiter avec le prochain ! En cela imitant Dieu 368 même , qui , selon le beau mot du Sage, nous gouverne
d'autant plus efficacement qu'il nous conduit doucement : Attingit a fine usque
ad finem fortiter, et disponit omnia suaviter (1) Car, pour développer ce
tonds de morale si étendu et si nécessaire dans tous les états, prenez garde,
s'il vous plaît, ce n'est point par la souveraineté de son empire que notre
Dieu gagne nos cœurs. Il nous fait par là dépendre de lui, mais par là il ne
nous attire pas à lui. Ce n'est point par la sagesse de son entendement divin ;
il peut bien nous éclairer par là, mais non pas nous toucher. Si donc il
s'insinue dans nos âmes et s'il s'en rend le maître, c'est par la douceur de
son esprit et de sa grâce. Ainsi, Chrétiens, ce n'est point par la hauteur et
par la domination, beaucoup moins par la fierté et l'arrogance, que nous nous
concilierons les cœurs de ceux avec qui nous avons à vivre, ou dont la Providence
nous a chargés; ce n'est point par nos belles qualités, ni par tous les
avantages de notre esprit, mais par la douceur de notre charité. Nous avons des
monstres à combattre, aussi bien que 1 Sap., VIII,
1. — 2 Eccli., XLV, 2. — 3 Matth , V, 4. pacifiques, parce qu'ils posséderont la terre, c'est-à-dire
parce qu'ils se rendront maîtres des cœurs, et qu'ils les tourneront où il leur
plaira. Non, tout autre moyen ne nous réussira pas; autorité, rigueur du droit,
raison, adresse de l'esprit : car les autres ne déféreront pas à nos belles
pensées, et ils croiront juger des choses aussi sainement que nous. Nous dirons
bien des raisons ; mais on ne prendra pas toujours pour règle notre raison :
nous ferons valoir notre autorité ; mais ce ne sera souvent que pour causer de
plus grandes révoltes. D'y procéder par la rigueur du droit, c'est s'engager
dans des contestations éternelles, dans des examens infinis, et susciter des
guerres qui ne s'éteindront jamais. Il ne reste donc que la douceur, qui gagne
peu à peu, qui persuade sans dispute, et qui entraîne sans efforts. Apprenez de
moi, «.lisait le Sauveur du monde, que je suis doux et humble de cœur; soyez-le
comme moi, et vous entretiendrez le bon ordre et la paix : Discite a me quia
mitis sum et humilis corde, et invenietis requiem animabus vestris (1). Je
sais que pour cela il faudra prendre sur soi, compatir, excuser, dissimuler,
céder, condescendre, se soumettre et s'humilier; et de plus, je sais que tout
cela est difficile. Mais voilà pourquoi je vous disais, il y a quelque temps,
que la grande sévérité du christianisme consistait dans la pratique de la
charité, et que c'était une illusion de la vouloir chercher hors de là, ou de
prétendre la trouver sans cela. Saint DEUXIÈME PARTIE.
Les évêques, dit saint Denis,
sont les princes de la hiérarchie ecclésiastique ; il leur appartient donc de
perfectionner les fidèles, comme les anges dans la hiérarchie céleste,
perfectionnent ceux qui leur sont inférieurs. De là vient, ajoute saint Thomas,
l'obligation indispensable qu'ont les évêques d'être parfaits, puisqu'il n'est
pas possible, au moins dans l'ordre naturel 1 Matth., XI, 29. 389 des choses, qu'ils communiquent aux autres, parleur action,
ce qu'ils n'ont pas eux-mêmes. Cette vérité, dont les exemples particuliers ne
nous convainquent pas toujours, se trouve pleinement justifiée dans notre
illustre prélat. Il a été choisi de Dieu pour répandre l'esprit de piété dans
tout le corps de l'Eglise, et il l'a fait par trois excellents moyens : par la
douceur de sa doctrine, par la douceur de sa conduite, parla douceur de ses
exemples. C'est ce qui l'a élevé à un si haut rang, et placé, comme l'Agneau de
Dieu, sur la sainte montagne : Et vidi, et ecce Agnus stabat supra montem
Sion (1). La piété tire un merveilleux
secours de la doctrine , mais toute doctrine n'est pas propre à la piété. Sans
parler de la fausse doctrine qui séduit, de la mauvaise; doctrine qui corrompt,
de la doctrine profane qui enfle, il y en a d'autres qui, toutes bonnes et
toutes saintes qu'elles sont, ou surpassent l'esprit par leur élévation, ou
l'épuisent par leur subtilité, ou l'accablent par leur rigueur : les unes
l'éclairent sans l'émouvoir; d'autres le touchent sans l'instruire; celles-ci
sont trop mystérieuses, et l'embarrassent ; celles-là trop austères , et le
rebutent. Pourquoi, de tant d'éloquentes prédications et de tant de livres
remplis de piété , y en a-t-il si peu qui nous l'inspirent? C'est que la
doctrine des hommes parlant et d'un esprit défectueux et d'un sens particulier
, elle tient toujours des qualités de son principe , et par conséquent ne peut
être ni parfaite , ni universelle ; si elle entre dans un cœur, elle en trouve
un autre fermé ; pour un qui la reçoit, cent l'écoutent avec indifférence : au
lieu que celle qui vient de Dieu se fait comprendre à tous, et goûter de tous :
Et erunt omnes docibiles Dei (2). Or, telle est la merveille que je
découvre dans le grand et incomparable 1
Apoc, XIV, 1. — 2 Joan., VI, 45. pour former les mœurs des fidèles, et pour établir dans les
âmes une solide piété , nul n'a eu le même don que l'évêque de Genève. Son
introduction seule à la vie dévote, combien a-t-elle converti de pécheurs?
combien a-t-elle formé de religieux? combien d'hommes et de femmes a-t-elle
sanctifiés dans le mariage? combien, dans tous les états, a-t-elle fait de
changements admirables? Je vous le demande, Chrétiens; car pourquoi citer ici
les souverains pontifes, les cardinaux, les princes et les rois qui lui ont
donné tant d'éloges, et pourquoi rapporter un nombre presque infini de miracles
que la lecture de ce livre a produits? Vous l'avez entre les mains ; et une des
marques les plus évidentes de son excellence et de son prix, c'est que dans le
christianisme il soit devenu si commun. L'avez-vous jamais ouvert sans vous
sentir excités à la pratique de la vertu , sans concevoir de saints désirs
d'être à Dieu, sans que l'Esprit de grâce vous ait parlé intérieurement, sans
que la conscience vous ait fait quelque reproche? or, ce que vous avez éprouvé
, mes chers auditeurs, est une expérience générale et la meilleure preuve que la
proposition que j'ai avancée, savoir, que Mais qu'y a-t-il donc dans cette doctrine qui la rende si
universelle et si efficace? qui fait que ni les savants n'y trouvent rien
au-dessous d'eux, ni les faibles rien de trop relevé; qu'elle convient à toutes
sortes de conditions, qu'il n'y a point de tempérament qui n'en ressente
l'impression? C'est, mes Frères, cette douceur inestimable qui faisait
distiller de la plume de notre saint évêque , comme des lèvres de l'Epouse, le
lait et le miel : Favus distillans labia tua, mel et lac sub lingua tua
(1). Voilà ce qui a donné tant de goût pour ses ouvrages aux âmes les plus
mondaines et les moins sensibles à la piété. Prenez garde, au reste ; je ne dis
pas que la doctrine de 1
Cant., IV, 11. — 2 Matth., XI, 30. — 3 Ibid., V, 22. 390 du Seigneur est doux, ajoute ce Père, non point à raison de
sa matière, car c'est un joug ; mais par la grâce de l'Evangile , qui nous aide
à le porter. Ainsi la morale que Ce sujet est trop vaste, mes
chers auditeurs, pour le renfermer dans un seul discours. A cette douceur de la
doctrine , 1 Prov., XXXI, 10. 391 multiplié : Mansuetudo multiplicavit me. Il semble en
effet, que dans ces excellentes lettres par où il forma ce cher troupeau dont
il était le conducteur, il ne leur recommande rien autre chose que la douceur
de l'esprit : cette douceur d'esprit est le sujet ordinaire de ces admirables
entretiens que nous lisons, et qu'il avait avec ces âmes prédestinées : à cette
douceur d'esprit il rapporte toutes les constitutions de son ordre. Pourquoi,
de toutes les congrégations religieuses, celle-ci est-elle spécialement
favorisée du ciel ? pourquoi, par un avantage assez rare, lorsque le temps
altère tout, croît-elle sans cesse dans la perfection de son institut, au lieu
d'en dégénérer? pourquoi se remplit-elle tous les jours de tant de sujets
distingués, et par la splendeur de leur naissance et par le mérite de leurs
personnes ? C'est que l'esprit de Quand le grand évêque de Genève,
par la douceur de sa conduite et pour l'avancement de la piété, n'aurait rien
fait davantage que d'établir dans le christianisme un ordre où Dieu est si
parfaitement et si constamment servi, ne serait-ce pas assez, et ne
trouverais-je pas en cela même l'ample matière d'un des plus solides et des
plus magnifiques éloges? Mais non , Chrétiens, Dieu a prétendu de lui, cl
attend aujourd'hui de moi quelque chose de plus : Dieu, dis-je, a prétendu de
lui 'que, par la douceur de ses exemples, il fit renaître en vous l'esprit de
la piété chrétienne; et Dieu attend encore de moi qu'en vous les proposant, je
contribue à une fin si importante. Oubliez, s'il est possible, tout ce j'ai
dit, et regardez seulement la vie de 1 Apoc, XIV, 1. en est-elle maintenant réduite ? 392 Dieu étant le maître de toutes les conditions, c'est à lui de les partager, à lui de vous les marquer, à lui de vous choisir, sans qu'il vous soit permis de prévenir ou d'interpréter son choix à votre gré. Si ces règles étaient fidèlement observées, nous ne verrions pas dans les bénéfices et les dignités ecclésiastiques tant de sujets qui ne s'y sont ingérés que parla faveur, que par l'intrigue, que par les voies les plus sordides et les plus basses, et nous n'aurions pas encore la douleur de voir dans le monde tant d'hommes sans mérite, sans talent, sans nulle disposition occuper les places les plus honorables et se charger des fonctions les plus importantes. 393 pas un point de tout cela. Je dis, dans vos devoirs
assidûment pratiqués : ayez dans l'ordre de votre vie certaines règles qui
distribuent vos moments , qui partagent vos soins,, qui arrangent vos exercices
selon la nature et l'étendue de vos obligations ; tracez-les vous-mêmes, ces
règles, ou, pour agir plus sûrement et plus chrétiennement, engagez un sage
directeur à vous les prescrire, et faites-vous une loi inviolable de vous y
soumettre. Je dis, dans vos devoirs constamment remplis : avancez toujours dans
la même route sans vous détourner d'un pas; et malgré l'ennui que peut causer
une longue et fatigante continuité, n'ayez pour mobiles que la raison et la
foi, qui chaque jour sont les mêmes, et qui chaque jour, autant qu'il vous
convient, vous appliqueront aux mêmes œuvres. Je dis, dans vos devoirs gardés
avec une sainte ardeur; non pas toujours avec une ardeur sensible, mais avec
une ardeur de l'esprit, indépendante des sentiments et au-dessus de tous les
obstacles. Enfin, je dis, dans vos devoirs sanctifiés par la droiture de votre
intention : tellement que, dégagés de tout autre intérêt et de tout autre
désir, vous ne soyez en peine que de plaire à Dieu, et ne vous proposiez que de
faire la volonté de Dieu. Voilà, dis-je, mes chers auditeurs, ce que vous
enseignera le saint directeur dont vous venez d'entendre l'éloge, et dont je
voudrais que les leçons fussent gravées dans votre souvenir avec des caractères
ineffaçables ; voilà dans ses exemples le précis et l'abrégé de sa morale, de
cette morale également ennemie de tout excès, soit de relâchement, soit de
rigueur ; de cette morale qui ne ménage et ne flatte personne, mais aussi qui
ne décourage et ne rebute personne ; de cette morale qui joint si bien
ensemble, et toute la douceur, et toute la perfection de la loi évangélique. Vous me direz qu'on ne voit point
là ni de rigoureuses pénitences à pratiquer, ni de grands efforts à soutenir :
j'en conviens ; mais j'ajoute et je réponds, que c'est cela même qui en fait
l'excellence et qui nous en doit donner la plus haute estime. Car c'est là que,
sans qu'il paraisse beaucoup de mortifications, on a sans cesse à se mortifier
; que, sans croix en apparence, on trouve sans cesse à se crucifier ; que, sans
nulle violence au dehors, il faut sans cesse se vaincre et se renoncer. Et je
vous le demande en effet, Chrétiens, pour s'assujettir, comme Vous cependant sur qui Dieu
répandit sa lumière avec tant d'abondance, et qui nous l'avez communiquée avec
tant de charité, fidèle et zélé pasteur des âmes, grand saint, recevez les
honneurs solennels que vous rend aujourd'hui tout le peuple chrétien. Recevez les
hommages que toute la France vous offre, comme autant de gages de sa
reconnaissance (1). Elle sait ce qu'elle doit à vos soins, et elle tâche, dans
cette cérémonie , à s'acquitter en quelque sorte auprès de vous. C'est elle
qui, la première, vous avait déjà canonisé par la voix publique, et c'est elle
qui vient enfin de 1 Le P. Bourdaloue lit ce sermon pour la cérémonie de
la canonisation de saint 394 consommer l'ouvrage de votre canonisation par la voix de
l'Eglise. C'est à la requête de son roi, à l'instance de ses prélats, à la
sollicitation de tout son clergé, que vous avez été proclamé saint. Il était
juste qu'elle vous rendît, autant qu'elle le pouvait, devant les hommes, ce que
vous lui avez donné devant Dieu. Pendant votre vie, vous avez travaillé à la
sanctifier : il était juste qu'après votre mort elle travaillât à faire
déclarer authentiquement et hautement votre sainteté. Recevez en particulier
les hommages que je vous présente , comme membre d'une compagnie à qui l'éducation
de votre jeunesse fut confiée, dans les mains de qui vous remîtes le plus
précieux dépôt de votre conscience, et qui eut enfin la consolation de
recueillir vos derniers soupirs, et de conduire votre bienheureuse âme dans le
sein de Dieu. Du reste, mes chers auditeurs, entrons tous dans l'esprit de
cette solennité. Qu'est-ce que la canonisation d'un saint? Un engagement à
acquérir nous-mêmes, avec la grâce et le secours de Dieu, toute la sainteté qui
nous convient. Car célébrer la canonisation d'un saint, c'est professer que la
véritable gloire consiste dans la sainteté, qu'il n'y a rien de grand et de
solide dans le monde que la sainteté, que toute la félicité et tout le bonheur
de l'homme est attaché à la sainteté. Or, je ne puis professer tout cela sans
me sentir excité fortement, et sollicité à la poursuite de la sainteté; et je
me condamne moi-même par ma propre confession, si, reconnaissant tout cela, je
n'en ai pas plus de zèle pour ma sanctification. Il n'est pas nécessaire que
nous soyons canonisés dans l'Eglise, comme |