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LETTRE 6
CYPRIEN A SERGIUS, ROGATIANUS, ET AUX AUTRES CONFESSEURS, SALUT ÉTERNEL EN DIEU.
Je vous envois mon salut, frères très chers, souhaitant d'ailleurs de jouir
personnellement de votre présence, si les circonstances me permettaient d'aller vous
rejoindre. Que pourrait-il, en effet, m'arriver de plus souhaitable et le plus agréable
que d'être parmi vous et entre vos bras, entouré de ces mains pures et innocentes, qui
ont gardé leur fidélité au Seigneur, en repoussant avec mépris un culte sacrilège ?
Quelle joie plus haute que de baiser ces lèvres qui ont glorieusement confessé le
Seigneur, que d'être regardé de ces yeux qui, en se détournant avec mépris du siècle,
ont mérité de voir Dieu ? Mais puisque ce bonheur n'est point possible, je vous envoie
cette lettre que vous verrez, que vous entendrez à ma place, pour vous féliciter tous
ensemble et vous presser d'être vaillants et fermes à persévérer dans votre confession
glorieuse et de marcher avec un religieux courage par la voie des divines faveurs où vous
avez mis le pied, vers la couronne à recevoir. Le Seigneur sera votre guide et votre
protecteur. Il a dit : "Voici que Je suis avec vous jusqu'à la fin du monde."
(Mt 28,20). O bienheureuse prison, qu'a illuminée votre présence. O bienheureuse prison,
qui envoie au ciel des hommes de Dieu. O ténèbres plus brillantes que le soleil, plus
éclatantes que le flambeau du monde, qui renferment des temples de Dieu, des membres
sanctifiés par la confession de son nom.
Qu'il n'y ait rien maintenant dans vos coeurs et dans vos âmes que la pensée des
préceptes divins, et des célestes recommandations par lesquelles le saint Esprit n'a
cessé de nous exhorter à supporter les souffrances du martyre. Que personne ne pense à
la mort, mais à l'immortalité, ni à la souffrance temporelle, mais à l'éternelle
gloire. Il est écrit : "la mort des justes est précieuse aux Yeux de
Dieu." (Ps 115,15). Et encore : "C'est un sacrifice offert à Dieu qu'une âme
affligée; un coeur broyé et humilié n'est point méprisé de Dieu." (Ps 50,19). Et
encore (à l'endroit où la divine Écriture parle des tourments qui consacrent les
martyrs de Dieu et les sanctifient par l'épreuve même de leurs souffrances) :
"S'ils ont souffert devant les hommes, leur Espérance est pleine de l'immortalité.
Petite fut leur affliction, grand sera leur bonheur. Car Dieu les a éprouvés et les a
trouvés dignes de Lui. Comme l'or, dans la fournaise, Il les a éprouvés, et Il les a
accueillis comme une victime holocauste. Et, le moment venu, Il les regardera
favorablement. Ils jugeront les nations, et seront les maîtres des peuples, et leur Dieu
régnera éternellement." (Sag 3,4-8). Quand donc vous songez que vous jugerez et
régnerez avec le Christ notre Seigneur, vous devez nécessairement tressaillir
d'allégresse, et mépriser les supplices présents par la pensée des biens à venir. Car
vous savez que c'est l'ordre, établi dès l'origine du monde, que la justice souffre
ici-bas, en lutte avec le siècle, puisque, au commencement, le juste Abel est mis à
mort, et ouvre la voie à tous les justes et aux prophètes et aux apôtres. Le Seigneur
aussi leur a laissé à tous un exemple en sa Personne en enseignant qu'on n'arrive point
à son royaume, si on ne Le suit par la route qu'Il a suivie Lui-même : "Celui qui
aime son âme dans ce monde la perdra et celui qui haït son âme dans ce monde la sauvera
pour la vie éternelle." (Jn 12,25). Et encore : "Ne craignez pas ceux qui
peuvent tuer le corps, mais ne peuvent tuer n'âme. Redoutez plutôt celui qui peut tuer
le corps et l'âme, en les jetant dans la géhenne." (Mt 10,28). Paul aussi nous
exhorte, puisque nous souhaitons de parvenir à ce que le Seigneur nous a promis, à
imiter le Seigneur en toutes choses : "Nous sommes, dit-il, les fils de Dieu; si nous
sommes ses fils, nous sommes aussi ses héritiers, et les cohéritiers du Christ, à la
condition de souffrir avec Lui pour être glorifiés avec Lui." (Rom 8,16-17). Il
établit une comparaison entre le temps présent et la gloire a venir : "Les
souffrances de ce temps ne sont pas comparables à la gloire à venir, qui sera
manifestée en nous" (Rom 8,18). La pensée de cette gloire nous doit faire supporter
toutes les épreuves et persécutions, parce que, si nombreuses que soient les épreuves
des justes, il n'en est point dont ne soient délivrés ceux qui ont confiance en Dieu.
De bienheureuses femmes, qui partagent la gloire de votre confession, fidèles au Seigneur
et plus fortes que leur sexe, ne sont pas seulement près de recevoir elles-mêmes la
couronne, mais ont, de plus, donné aux autres femmes un exemple de courage. Et enfin,
pour que rien ne manquât à la gloire de votre groupe, que tout âge, et tout sexe fût
à l'honneur, des enfants mêmes ont été associés, de par la divine Bonté, à votre
confession glorieuse : c'est à peu près la répétition de ce qui est arrivé aux
glorieux enfants Ananias, Azarias et Misaël. Enfermés dans la fournaise, ils virent le
feu reculer devant eux et les flammes leur faire une place pleine de fraîcheur : le
Seigneur leur était présent, et montrait que l'ardeur du feu ne peut rien contre les
confesseurs et les martyrs, mais qu'au contraire ceux qui croient en Dieu, demeurent sains
et saufs en toute circonstance.
Mais considérez avec un peu d'attention, je le demande à votre piété, quelle a été
la foi de ces enfants, qui ont ainsi mérité la grâce du Seigneur. Prêts à tout, comme
nous devons tous l'être, ils disent au roi : "O roi Nabuchodonosor, il n'est pas
besoin que nous vous répondions à ce sujet. Le Dieu que nous servons est assez puissant
pour nous tirer de la fournaise ardente, et Il nous délivrera, ô roi, de vos mains. Et
quand même cela ne serait pas, sachez que nous ne servons pas vos dieux, et que nous
n'adorons pas la statue que vous avez fait élever." (Dan 3,16-18). Ils croyaient et
savaient par leur foi qu'ils pouvaient être délivrés du supplice présent; ils ne
voulurent pourtant pas le proclamer et s'en prévaloir, mais ils dirent : "et quand
même cela ne serait pas", pour que leur confession ne perdît rien de son mérite
par l'absence du témoignage des souffrances. Ils ajoutèrent que tout était possible à
Dieu, mais que néanmoins leur assurance ne se fondait pas sur l'espoir d'une délivrance
actuelle, mais sur la pensée de la délivrance et de la sécurité de l'éternelle
gloire.
Demeurant fidèles, nous aussi, à ces sentiments et les ranimant en nous le jour et la
nuit, allons vers Dieu de tout l'élan de notre coeur; et en méprisant le présent, ne
songeons qu'à l'avenir, à la jouissance du royaume éternel, aux embrassements et aux
baisers du Seigneur, a la vue de Dieu ! Ainsi vous suivrez en tout le prêtre Rogatianus,
glorieux vieillard, qui grâce à la divine Bonté et à sa foi vaillante, vous montre la
route à honorer notre temps. Avec notre frère Felicissimus, toujours calme et sage,
soutenant l'assaut d'un peuple furieux, il vous a d'abord préparé une place en prison,
et maintenant encore, votre fourrier en quelque sorte, il vous précède. Nous demandons
à Dieu, dans de continuelles prières, cet aboutissement pour vous, afin que ce qui a
été commencé venant à sa perfection, de ceux dont il a fait des confesseurs il fasse
des couronnés. Je souhaite frères très chers et bienheureux, que vous vous portiez
toujours bien dans le Seigneur, et que vous parveniez à la gloire de la couronne
céleste.
LETTRE 7
CYPRIEN AUX PRETRES ET AUX DIACRES SES FRÈRES TRÈS CHERS, SALUT.
Je vous salue, frères très chers; je vais bien par la grâce de Dieu, souhaitant de
retourner bientôt vers vous, et de donner ainsi satisfaction à un désir qui est aussi
bien le mien que le vôtre et que celui de tous nos frères. Nous devons cependant veiller
à ce que la paix ne soit pas troublée, et provisoirement, quoi qu'il nous en coûte,
rester éloigné de vous, de peur que notre présence n'excite le mécontentement et les
violences des gentils, et que nous ne soyons responsables de la perte de la paix, nous qui
devons plutôt procurer la tranquillité de tous. Ainsi c'est seulement quand vous m'aurez
écrit que tout est calme et que je dois aller vous rejoindre, ou si Dieu daigne m'avertir
avant un mot de votre part, que j'irai vers vous. Ou pourrais-je être mieux ou plus
agréablement qu'aux lieux mêmes ou Dieu a voulu qu'il me fût donné de croire, comme de
croître ? Que les veuves, les infirmes et tous les pauvres soient, je vous en prie,
l'objet de vos soins affectifs. Même aux voyageurs, s'il en est qui soient dans le
besoin, fournissez de l'argent sur les fonds qui m'appartiennent et que j'ai déposés
chez Rogatianus, notre collègue dans le sacerdoce. Dans la pensée que ces fonds ont peut
être été déjà distribués tout entiers, j'envoie au même Rogatianus, par le diacre
Naricus, une autre somme, afin que l'on puisse plus abondamment et plus promptement faire
la charité à ceux qui sont dans le besoin. Je souhaite, mes très chers frères, que
vous vous portiez toujours bien.
LETTRE 8 *
Le sous-diacre Crementius, venu vers nous de votre part pour des raisons
particulières, nous a dit que le bienheureux pape Cyprien s'était éloigné dans une
retraite et qu'il avait eu raison de le faire, attendu qu'il est un personnage de marque.
Or la lutte vient, que Dieu a permise pour que l'on combatte en ce monde l'adversaire avec
son serviteur et pour rendre les anges et les hommes témoins de ce combat, où celui qui
aura remporté la victoire sera couronné, tandis que le vaincu subira la sentence que
nous savons. D'ailleurs le soin du troupeau nous incombe à nous qui sommes à sa tête
apparemment pour le conduire et remplir la fonction des pasteurs. On nous dira donc, si
nous sommes trouvés négligents, ce qu'on a dit à nos prédécesseurs, qui étaient des
chefs très négligents, que nous n'avons pas cherché après les brebis perdues, ni remis
dans le droit chemin celles qui s'étaient égarées, ni bandé leurs pattes cassées, et
que cependant nous buvions leur lait et nous couvrions de leur laine. (cf Ez 34,3). Enfin,
le Seigneur Lui-même, réalisant ce qui est écrit dans la Loi et les prophètes, nous
instruit quand Il dit : "Je suis le bon pasteur, et je donne ma vie pour mes brebis.
Mais celui qui est un mercenaire, et à qui n'appartiennent pas les brebis, voyant le loup
venir, les abandonne et prend la fuite et le loup les disperse." (Jn 10,10-11). Il
dit aussi à Simon : "M'aimes-tu ?" A quoi celui-ci répond : "Je T'aime.
" Et il lui dit : "Pais mes brebis." Que cette parole ait été exécutée
nous le savons par le fait même de sa mort; et les autres disciples firent de même.
Aussi voulons-nous, frères très chers, que l'on trouve en vous non des mercenaires, mais
de bons pasteurs. Vous savez bien, en effet, que ce ne serait pas le moindre danger que de
n'exhorter pas nos frères à demeurer inébranlables dans la foi, car alors, donnant
tête baissée dans l'idolâtrie, ils risqueraient de ruiner radicalement la fraternité.
Ce n'est point seulement en paroles, que nous vous exhortons ainsi, mais vous pourrez
apprendre de plusieurs personnes arrivant de chez nous, qu'avec la grâce de Dieu, nous
avons fait et faisons toutes ces choses avec tout le zèle possible, et au risque de
souffrir en ce monde. Nous nous mettons plus devant les yeux la crainte de Dieu et les
peines éternelles que la crainte des hommes, et un mal passager; nous n'abandonnons pas
la fraternité, mais exhortons ses membres à rester debout dans leur foi et à se faire
un devoir d'être prêts à aller avec le Seigneur. Même il en est qui montaient pour
accomplir ce pourquoi on les convoquait et que nous avons fait revenir sur leurs pas.
L'Église est debout, ferme dans la foi, bien que certains, pris de peur, soit parce
qu'ils étaient des personnages de marque, soient parce qu'ils avaient été arrêtés,
aient cédé à une crainte humaine et soient tombés. Ils se sont séparés de nous, mais
nous ne les avons pas abandonnés; nous les avons exhortés et nous les exhortons à faire
pénitence, pour essayer d'obtenir leur pardon de celui qui peut l'accorder, de peur
qu'abandonnés par nous ils ne deviennent pires encore.
Vous voyez donc, frères, que vous aussi vous avez le devoir, d'abord, d'agir de même,
afin que, grâce à vos exhortations, ceux qui sont tombés changent de sentiments, et
s'ils sont arrêtés de nouveau, confessent leur foi et réparent la faute antérieurement
commise. Il y a, de plus, d'autres devoirs qui vous incombent et que nous avons voulu
indiquer aussi : par exemple, si ceux qui ont succombé à l'épreuve sont attaqués par
la maladie et que se repentant de leur acte, ils demandent la communion, on doit
naturellement venir à leur secours. Les veuves, les indigents qui ne peuvent subvenir à
leur entretien, ceux qui ont été incarcérés ou chassés de chez eux doivent avoir
quelqu'un de délégué à leur service. Même les catéchumènes, tombant malades, ne
devront pas être déçus dans leur espérance, mais on doit venir à leur secours. Mais
surtout, si l'on n'enterre pas les martyrs ou d'autres morts, ceux à qui incombe cet
office encourent une grande responsabilité. Celui donc de vous qui, à chaque occasion,
aura fait ce que nous disons, nous sommes sûrs qu'il sera jugé bon serviteur, et pour
avoir été "fidèle en de petites choses mis à la tête de dix cités." (cf Lc
19,17). Fasse Dieu, qui donne à ceux qui espèrent en Lui, tout ce qu'ils Lui demandent,
que tous nous accomplissions ces oeuvres. Les frères qui sont aux fers vous saluent,
ainsi que les prêtres et toute l'Église qui veille elle-même, avec le plus grand soin,
sur tous ceux qui invoquent le Nom du Seigneur. Mais, de notre côté, nous aussi, nous
vous demandons de vous souvenir de nous à votre tour. Sachez que Bassianus est arrivé.
Nous vous demandons, à vous qui avez le zèle du service de Dieu, de transmettre copie de
cette lettre à tous ceux que vous pourrez, en profitant des occasions qui se présentent
(ou bien d'écrire une lettre vous-même), ou en envoyant un exprès, afin qu'ils restent
debout, vaillants et fermes dans la foi. Nous souhaitons, frères très chers, que vous
vous portiez toujours bien.
* Cette lettre est adressée par le clergé de Rome, pendant la vacance du siège, au
clergé de Carthage.
LETTRE 9
CYPRIEN AUX PRETRES ET AUX DlACRES DE ROME SES FRERES, SALUT.
Le bruit courait ici, mes très chers frères, que l'homme excellent qui était mon
collègue dans l'épiscopat, avait quitte ce monde.** C'était un bruit vague et l'on ne
savait à quoi s'en tenir, lorsque j'ai reçu la lettre que vous m'avez envoyée par le
sous-diacre Crementius pour m'informer en détail de sa fin glorieuse. Je me suis
grandement réjoui de ce qu'une administration aussi irréprochable que la sienne avait eu
également un couronnement honorable. Je vous félicite aussi, vivement, de rendre à sa
mémoire un si unanime et si glorieux témoignage. Nous avons su par vous des détails
qui, tout à la fois et vous honorent dans votre chef, et nous offrent, à nous, un
exemple de foi et de vertu. Autant la défaillance d'un chef peut entraîner par sa
funeste influence la chute de ceux qui le suivent, autant est utile et salutaire la
fermeté de la foi par laquelle il se montre digne d'être imité par les frères.
J'ai lu aussi une autre lettre, dont rien ne fait connaître ni le rédacteur ni les
destinataires. Et, comme la forme, le fond et la tenue matérielle de cette même lettre
me faisaient craindre qu'on y eût supprimé ou change quelque chose, je vous en renvoie
l'original, afin que vous reconnaissiez si c'est la même que vous avez remise au
sous-diacre Crementius. Ce serait chose très grave, en effet, qu'une lettre du clergé
eût été falsifiée et altérée par fraude. Afin que nous puissions savoir la vérité,
voyez si l'écriture et la suscription sont bien vôtres, et écrivez-nous ce qu'il en est
au juste. Je souhaite, frères très chers, que vous vous portiez toujours bien.
** Le pape saint Fabien, martyrisé, le 20 janvier 250
LETTRE 10
CYPRIEN AUX MARTYRS ET CONFESSEURS DE NOTRE SEIGNEUR JÉSUS CHRIST, SALUT ÉTERNEL EN
DIEU LE PERE.
Je tressaille de joie, très vaillants et très heureux frères, en vous félicitant de
votre fidélité et de votre courage. L'Église, votre mère, en est fière, elle qui
avait été fière déjà, lorsque, dernièrement, vous aviez, sans faiblir, confessé
votre foi, et subi la sanction qui jetait hors du pays les confesseurs du Christ. La
manière pourtant dont vous l'avez confessée tout dernièrement est plus glorieuse et
plus éclatante, dans la proportion même où l'épreuve demandait plus de courage. Vous
n'avez point molli dans la lutte par la peur des tourments, mais, excités par les
tourments eux-mêmes à la lutte, vous vous êtes portés avec un coeur généreux à
l'effort du plus grand combat. Parmi vous, j'ai appris que certains sont déjà
couronnés, que d'autres touchent à la couronne due aux vainqueurs; tout le bataillon
glorieux de ceux sur qui se sont refermées les portes de la prison est animé de la même
ardeur courageuse pour le combat. Tels doivent être, dans le camp de Dieu, les soldats du
Christ, dont l'incorruptible fermeté dans la foi ne se laisse ni séduire par les
avances, ni effrayer par les menaces, ni vaincre par les supplices et les tourments.
Celui-là qui est parmi nous est plus grand que celui qui est dans ce monde, et les peines
de la terre sont moins puissantes pour faire tomber que ne l'est pour tenir debout la
protection divine. La preuve en a été faite dans le combat glorieux soutenu par nos
frères; ils ont appris aux autres à vaincre les tourments par l'exemple de courage et de
fidélité qu'ils ont donné en luttant contre l'ennemi jusqu'à ce qu'il fût vaincu.
Comment chanter vos louanges, frères pleins de vaillance ? La force de votre coeur, la
constance de votre fidélité, de quels éloges les couvrir ? Vous avez enduré, jusqu'à
la consommation de la gloire, la plus rude des tortures, et ce n'est pas vous qui avez
cédé aux tourments, mais plutôt les tourments qui vous ont cédé. La fin de vos
souffrances, que vous ne pouviez trouver dans des supplices qui ne finissaient pas, vous a
été donnée avec la couronne. Les mauvais traitements du bourreau ont tant duré, non
pour faire tomber une fidélité inébranlable, mais pour permettre à des hommes de Dieu
d'aller plus vite à Dieu. La foule de ceux qui étaient là a vu avec admiration la lutte
spirituelle, le combat du Christ; elle a vu ses serviteurs luttant sans se laisser
abattre, confessant leur foi à voix haute, incorruptibles, animés d'un courage
surhumain, dépourvus des armes du siècle, mais couverts des armes de la foi. Les
torturés sont restés debout plus forts que ceux qui les torturaient, et les ongles de
fer ont eu beau frapper et déchirer : les membres frappés et déchirés les ont vaincus.
Une foi inexpugnable a eu raison de coups longtemps répétés, alors que, dans le corps
disloqué des serviteurs de Dieu, ce n'étaient plus des membres que la torture blessait,
mais des blessures qu'on rouvrait. Le sang coulait qui devait éteindre l'incendie de la
persécution, assoupir sous son ondée glorieuse les feux et les flammes. O la belle fête
que donnait notre Seigneur, combien élevée, combien magnifique, combien agréable aux
Yeux de Dieu par la fidélité au serment et le dévouement de ses soldats ! Il est écrit
dans le livre des psaumes, où l'Esprit saint nous parle à la fois et nous exhorte :
"Elle est précieuse aux Yeux de Dieu la mort de ses justes". (Ps 115,15). Elle
est vraiment précieuse, cette mort qui achète l'immortalité au prix du sang, qui
reçoit la couronne en déployant le suprême courage.
Combien le Christ fut heureux alors, combien il prit plaisir à combattre et à vaincre
dans la personne de tels serviteurs, Lui qui protège ceux qui Lui sont fidèles, et qui
donne à ceux qui croient dans la mesure même où ils pensent recevoir ! Il a été
présent au combat donné en son Nom, Il a soutenu, fortifié, animé ses soldats et ses
champions; et Lui, qui a vaincu une fois la mort pour nous, triomphe toujours en nous :
"Quand on vous livre, dit-Il, ne cherchez pas ce que vous direz; ce que vous devez
dire vous sera inspiré à l'heure même : car ce n'est pas vous qui parlez, mais l'Esprit
de votre Père qui parle en vous". (Mt 10,19-20).
La présente lutte en a fourni une preuve. Une parole pleine de l'Esprit saint est tombée
des lèvres d'un martyr, lorsque le bienheureux Mappalicus ***, au milieu des tourments,
dit au proconsul : "Demain, vous aurez le spectacle d'un combat dans l'arène".
Cette promesse, qui témoignait du courage de sa foi, Dieu l'a accomplie. Une lutte
céleste, un combat de martyre, a été donné, et le serviteur de Dieu dans la lutte
annoncée a remporté la couronne. Voilà le combat que le prophète Isaïe a prédit, en
disant : "Il ne s'agit pas d'un chétif combat humain, c'est Dieu Lui-même qui le
donne". (Is 7,13-14). Et, pour bien montrer de quelle nature devait être ce combat,
il ajoute : "Voici qu'une vierge concevra et enfantera et vous donnerez à son fils
le nom d'Emmanuel". (Ibis 14). Voilà le combat de notre foi, pour laquelle nous
luttons, nous vainquons, nous remportons la couronne. C'est l'épreuve agonistique
annoncée aussi par le bienheureux apôtre Paul, où nous devons courir dans la carrière,
et parvenir à la couronne de gloire. "Ne savez-vous pas, dit-il, qu'à la course du
stade tous courent, et qu'un seul reçoit la palme. Courez de manière à l'obtenir. Eux,
ils courent pour une couronne périssable, au lieu que nous en disputons une qui est
impérissable." (1 Cor 9,24-25). De même, il dit encore, indiquant le combat qu'il
doit livrer, et annonçant qu'il sera bientôt une victime immolée au Seigneur :
"Pour moi, voici qu'on répand sur moi la libation et que le moment de mon entrée au
ciel approche. J'ai combattu le bon combat, j'ai achevé ma course, et conservé ma foi.
Il me reste à recevoir la couronne de justice que Dieu me réserve pour le grand jour,
Lui le juste juge, à moi, et non seulement à moi, mais à tous ceux qui ont aimé son
avènement". (2 Tim 4,7-8). C'est cet lutte prédit par les prophètes, donné par
Dieu, soutenu par ses apôtres, que Mappalicus, en son nom et au nom de ses collègues,
promettait au proconsul. Et la promesse a été tenue qu'avait donnée sa parole fidèle.
Le combat qu'il avait promis, il l'a donnée et il a reçu la palme conquise. Le
bienheureux martyr, et ses compagnons de lutte, fermes dans la foi, patients dans la
souffrance, victorieux dans la torture, je vous souhaite et je vous recommande ardemment,
de les imiter tous à votre tour. Ainsi ceux que le lien de la foi confessée en commun et
la communauté de prison a réunis se trouveront réunis encore pour l'épreuve suprême
et pour la couronne. Ainsi, les larmes de l'Église notre mère, qui pleure la chute et la
mort d'un grand nombre, seront essuyées par la joie que vous lui donnerez, tandis que la
fermeté de ceux qui sont aussi toujours debout, encouragée par votre exemple, sera plus
solide encore. Si la lutte vous appelle, si le jour vient de votre combat, soyez des
soldats vaillants, de fermes lutteurs, sachant que vous combattez sous le Regard de Dieu,
que la confession de son Nom vous conduit au partage de sa gloire. Il n'est pas disposé
à se contenter de regarder ses serviteurs : Il lutte Lui-même en nous, Lui-même il
livre le combat, Lui-même, au terme de notre lutte donne tout à la fois et reçoit la
couronne.
Que si, avant le jour où vous devriez combattre, la divine Bonté ramène la paix, votre
bonne volonté vous demeure tout entière, avec la conscience de vos résolutions
généreuses. Que personne de vous ne s'attriste comme s'il était inférieur à ceux qui,
endurant des tourments avant nous, ont vaincu et foulé aux pieds le siècle, et sont
allés à Dieu par des voies glorieuses : le Seigneur scrute les coeurs et les reins, Il
pénètre les replis mystérieux, et voit ce qui est caché. Pour mériter la couronne
qu'Il donne, il suffit de l'avoir Lui-même pour témoin : c'est Lui qui doit nous juger.
Ainsi donc, mes très chers frères, de ces deux choses, l'une et l'autre est également
élevée et glorieuse : l'une est plus sûre, d'aller vite au Seigneur, en couronnant
aussitôt sa victoire; l'autre est plus riante, de recevoir son congé après un un
service glorieux et de vivre honoré dans l'Église. Heureuse notre Église qu'illumine
ainsi l'éclat de la divine Bonté, que décore le sang glorieux des martyrs immolés de
nos jours. Auparavant, la conduite des frères la parait de la blancheur de l'innocence;
aujourd'hui, le sang des martyrs la revêt de pourpre. Ni les lis, ni les roses ne lui
manquent. Qu'à l'envi maintenant chacun s'efforce d'atteindre à la plus éminente
dignité de ces deux états honorables; que chacun reçoive des couronnes, ou blanches
pour ses bonnes oeuvres, ou rouges pour ses souffrances. Dans le camp de Dieu, la paix et
la lutte ont chacune leurs fleurs, et le soldat du Christ peut s'en faire des couronnes de
gloire. Je souhaite, frères très vaillants et très heureux, que vous vous portiez
toujours bien en notre Seigneur, et quo vous vous souveniez de nous. Adieu.
*** Mappamicus est inscrit dans le martyrologe Carthaginois au 13 ou 15 des Calendes de
mai.
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