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LETTRE 61

CYPRIEN ET SES COLLEGUES A LUCIUS (1), LEUR FRERE, SALUT

Jadis nous vous avons félicité, frère très cher, quand, vous conférant un double honneur dans son Église, la divine Bonté vous a établi confesseur à la fois et évêque. Et maintenant, nous ne vous félicitons pas moins, vous, vos compagnons et tous les frères, de ce que la même gloire et les mêmes louanges vous accompagnent au moment où la Puissance divine, qui vous protège avec tant de bienveillance, vous ramène de nouveau auprès des siens. Ainsi est rendu au troupeau un pasteur, au navire un pilote, au peuple un chef; et il devient manifeste que votre relégation a répondu à une disposition de la divine Providence, voulant, non pas que l'évêque relégué et banni manquât à l'Église, mais qu'il revînt à l'Église plus grand qu'il n'en était parti.
Le martyre des trois enfants ne fut pas moins beau, parce que trompant la mort ils sortirent sains et saufs de la fournaise ardente, et Daniel épargné n'eut pas moins d'honneur pour avoir, par la protection de Dieu, survécu pour la gloire, lui qui avait été livré aux lions pour être leur proie. Chez les confesseurs du Christ, les retardements du martyre ne diminuent pas le mérite de la confession, mais font éclater les merveilles de la Protection divine. Nous voyons reproduit en votre cas ce que les vaillants et nobles enfants proclamèrent devant le roi : qu'ils étaient prêts, quant à eux, à brûler dans les flammes, pour ne point servir ses dieux, ou adorer l'image qu'il avait fait faire; mais que pourtant le Dieu qu'ils honoraient, et que nous honorons, était assez puissant pour les tirer des mains du roi comme de la fournaise ardente, et pour les délivrer des souffrances qui les menaçaient. C'est ce que nous voyons reproduit maintenant dans votre confession fidèle et dans la Protection du Seigneur sur vous. Quand vous étiez prêts et résolus à supporter n'importe quel supplice, le Seigneur vous a soustraits à la peine, et conservés à son Église. Votre retour n'a pas réduit pour l'évêque le mérite de la confession, mais plutôt fait croître l'autorité épiscopale; il a permis qu'à l'autel de Dieu il y ait un pontife qui exhorte le peuple à prendre les armes de la confession, et à rendre témoignage, non par des paroles, mais par des actes, et qui, aux approches de l'antichrist prépare les soldats au combat, non par le seul encouragement du discours et de la voix, mais par l'exemple de la foi et du courage.
Nous comprenons, frère très cher, et notre coeur voit dans le plein éclat d'une lumière intérieure, les conseils salutaires et saints de la divine Majesté; nous comprenons pourquoi soudain, chez vous, s'est élevée la persécution, pourquoi la puissance séculière s'est tout à coup déchaînée contre l'Église du Christ, contre l'évêque Corneille, bienheureux martyr, et contre vous tous. C'était afin que le Seigneur, pour confondre les hérétiques et les rabattre, fît voir quelle était son Église, quel était son évêque, unique et choisi par une Disposition divine, quels étaient les prêtres revêtus de la dignité sacerdotale, unis à l'évêque, quel était le vrai corps du peuple fidèle du Christ, uni par le lien de l'Amour divine, quels étaient ceux que l'ennemi tourmentait, et au contraire ceux qu'il épargnait comme lui appartenant. L'adversaire du Christ ne poursuit et n'attaque que le camp du Christ et ses soldats. Les hérétiques sont à terre et à lui : il passe et les dédaigne. Il cherche à faire tomber ceux qu'il voit debout.
Plût à Dieu, qu'il nous fût donné, frère très cher, de pouvoir être à Rome présents à votre arrivée, à nous, qui vous sommes attachés par les liens d'une mutuelle charité, afin de goûter avec les autres la très grande joie de votre retour. Quelle serait l'allégresse de tous les frères, comme on courrait se jeter dans les bras les uns des autres ! C'est à peine si les bouches qui donnent des baisers peuvent se satisfaire, à peine si les visages et les yeux du peuple chrétien se rassasient de regarder, tant votre retour cause de joie. Les frères ont pu se faire une idée de ce que sera la joie de la venue du Christ. Comme celle-ci approche, une image en fut montrée d'abord dans ce qui s'est passé pour vous. De même que Jean, son précurseur, en paraissant avant Lui, a annoncé que le Christ était venu, ainsi maintenant le retour d'un évêque confesseur fait voir que le Seigneur revient. Mes collègues et moi et tous les frères, nous vous envoyons cette lettre à notre place, et faisant représenter notre joie par ce message, nous venons vous offrir nos sincères devoirs d'amitié. Nous ne cessons pas, d'ailleurs, ici même dans nos sacrifices et prières de rendre grâce à Dieu le Père et au Christ, son Fils et notre Seigneur, et de prier, de demander que Lui qui possède et qui donne la perfection, daigne garder et parfaire en vous la glorieuse couronne de votre confession. Peut-être, d'ailleurs ne vous a-t-il rappelés qu'afin que votre gloire ne demeurât pas cachée, comme il serait arrivé si votre martyre avait été consommé au dehors. La victime qui donne aux frères un exemple de courage et de foi ne doit être immolée qu'en présence des frères. Nous souhaitons, frère très cher, que vous vous portiez toujours bien.
(1) Saint Corneille étant mort en exil, Lucins avait été élu pour le remplacer, puis envoyé en exil lui aussi, enfin il rentrait à Rome. C'est a cet événement que se réfère la présente lettre synodale. Elle émane du concile de l'automne (253).

 


 

LETTRE 62

CYPRIEN A JANUARIUS, MAXIMUS, PROCULUS, VICTOR, MODIANUS, NEMESIANUS, NAMPULUS ET HONORATUS SES FRERES, SALUT.

C'est avec une profonde douleur, et même avec des larmes, que nous avons lu, frère très cher, la lettre que votre amitié a pris la peine de nous envoyer au sujet de nos frères et de nos soeurs pris par des barbares (2). Qui ne serait peiné en de pareils malheurs, et qui ne ferait, de la douleur de son frère, sa propre douleur, quand l'apôtre Paul dit : "Si un membre pâtit, les autres membres compatissent, et si un membre jouit, les autres membres jouissent avec lui"; (1 Cor 12,26) et en un autre endroit : "Qui est souffrant, sans que je souffre ?". (2 Cor 11,29). Aussi en ce moment la captivité de nos frères doit être considérée comme notre captivité et la peine de ceux qui sont en danger comme notre peine, puisque par notre union, nous ne formons qu'un corps, et que, non seulement l'affection, mais aussi la religion doit exciter nos coeurs, et nous encourager à racheter les membres de nos frères.
L'apôtre dit encore : "Ne savez-vous pas que vous êtes les temples de Dieu, et que c'est l'esprit de Dieu qui habite en vous ?" (1 Cor 3,16). Dès lors, quand même la charité nous pousserait moins à porter secours à nos frères, il y aurait lieu de considérer en cette circonstance que ce sont des temples de Dieu qui sont captifs, et de ne pas souffrir par notre négligence et notre indifférence que des membres du Christ soient longtemps captifs, mais de travailler de toutes nos forces et en toute hâte à bien mériter du Christ, notre Juge, et du Seigneur, notre Dieu. "Vous tous, qui avez été baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ" (Gal 3,27) dit l'apôtre Paul. Dès lors, il faut voir le Christ en nos frères captifs, et racheter de la captivité celui qui nous a rachetés de la mort, de manière que celui qui nous a tirés de la gueule du diable et, qui maintenant même demeure avec nous et habite en nous, soit tiré des mains de barbares, et qu'une somme d'argent rachète celui dont le sang a été le prix de notre rachat. Il ne permet ces malheurs passagers que pour mettre notre foi à l'épreuve, et voir si chacun est disposé à faire pour autrui ce qu'il voudrait qu'on fît pour lui-même, s'il était à son tour captif chez les barbares. Quel est celui, qui gardant le sentiment de l'humanité, ayant encore un peu d'affection, ne pense, s'il est père, que ce sont ses fils qui sont là-bas, ne se figure, s'il est époux, que c'est son épouse qui y est retenue captive et n'en ressente à la fois de la douleur et un redoublement d'affection conjugale ? Mais en même temps, quel sujet de tristesse et de douleur pour nous tous, que le péril couru par les vierges qui sont là-bas prisonnières ! Pour elles, ce n'est pas tant la perte de la liberté qui doit nous désoler, mais celle de leur honneur, et nous n'avons pas tant à déplorer pour elles les chaînes des barbares que les brutalités des lupanars et de leurs tenanciers; nous pouvons craindre que des membres consacrés au Christ, et voués à l'honneur d'une chasteté perpétuelle ne soient souillés par les outrages de barbares.
C'est en pensant à tout cela, d'après votre lettre, et en faisant l'objet de douloureuses réflexions, que nos frères, tous, sans exception, ont promptement, allégrement, généreusement, fourni une contribution pécuniaire pour l'envoyer aux frères qui en ont besoin. La fermeté de leur foi les dispose toujours à faire ce qui est à la Gloire de Dieu, mais en ce moment un si grave sujet de tristesse les animait davantage aux oeuvres de salut. Le Seigneur dit dans son évangile : "J'ai été malade et vous m'avez visité" : combien plus dira-t-il, en promettant récompense à notre oeuvre de miséricorde : "J'ai été prisonnier, et vous m'avez racheté" Il dit encore : "J'ai été en prison, et vous m'avez visité" : que sera ce quand Il dira : "J'ai été captif et prisonnier; et je gisais sur le sol, enfermé, enchaîné, chez les barbares, et vous m'avez délivré de cette prison et de cet esclavage"; (Mt 25,36) et quand viendra le jour du jugement le Seigneur vous récompensera. Enfin nous vous adressons les plus grandes actions de grâces de ce que vous avez voulu nous intéresser à votre sort, et nous faire participer à une oeuvre si bonne et si nécessaire; vous avez offert un champ très riche où jeter la semence de notre espérance, en attendant la moisson que l'abondante végétation de cette oeuvre céleste et salutaire est appelée à produire. Nous vous envoyons cent mille sesterces, recueillis ici dans l'Église à la tête de laquelle la divine Bonté m'a placé au moyen d'une cotisation du clergé et du peuple qui est auprès de nous; vous en userez comme vous le jugerez a propos.
Nous souhaitons que rien de tel n'arrive à l'avenir et que la puissance divine protège nos frères de périls de ce genre. Si pourtant, pour mettre à l'épreuve notre charité, et sonder la fidélité de notre coeur, quelque chose de tel se produisait, veuillez ne pas hésiter à nous l'annoncer par une lettre, tenant pour certain et sachant de science sûre, que notre Église et tous nos frères prient d'ici pour que ces choses n'arrivent plus à l'avenir, mais que si elles arrivent, c'est de bon coeur et généreusement qu'ils fourniront des secours. Pour que vous ayez présents à l'esprit dans vos prières nos frères et nos soeurs qui ont fait promptement et allegrement une oeuvre si nécessaire, afin qu'ils fassent toujours de même, et que vous leur rendiez bon service a votre tour dans vos prières et sacrifices, je joins leurs noms à ma lettre. J'ai mis aussi les noms de nos collègues et des évêques qui étaient présents et ont contribué de leurs deniers au nom de leur peuple, selon leurs moyens; a coté de notre part propre, je spécifie en les envoyant leurs petites contributions. De tous, ainsi que le demande votre foi et votre charité, vous vous souviendrez dans vos oraisons et prières. Nous souhaitons frères très chers que vous vous portiez toujours bien dans le Seigneur, et que vous vous souveniez de nous.
(2) Cette razzia eut lieu probablement à la suite du licenciement de la IIIe Legio Augusta, qui était à Lambèse.

 


 

LETTRE 63

CYPRIEN A CECILIUS, SON FRERE, SALUT.

Je sais bien, frère très cher, que la plupart des évêques que Dieu a daigné préposer dans le monde entier aux Églises chrétiennes observent la vérité de l'évangile, et l'enseignement du Seigneur, et ne s'écartent pas de ce que le Christ notre Maître a prescrit et fait Lui-même, pour adopter des nouveautés. Certains, pourtant, soit ignorance, soit simplicité d'âme, n'observent pas dans la consécration du calice du Seigneur ou dans sa distribution au peuple chrétien, ce que Jésus Christ notre Seigneur, et notre Dieu, l'Auteur et le Docteur de ce sacrifice, y a observé et enseigné. J'ai donc pensé faire chose pieuse et nécessaire à la foi en vous écrivant à ce sujet, afin que, si quelqu'un était encore dans cette erreur, voyant la lumière de la vérité, il revienne au point de départ et à l'origine de l'enseignement dominical. N'allez pas croire, frère très cher, que ce que nous vous écrivons vienne de nous et soit chose humaine que nous prenions sur nous, en suivant un mouvement de notre propre volonté; non, nous avons trop le sentiment du peu que nous sommes pour ne pas nous tenir toujours dans une réserve humble et modeste. Mais quand c'est Dieu qui inspire et qui commande, il faut bien qu'un serviteur obéisse à son maître, et tous l'excuseront, parce qu'il ne s'arroge rien qui ne lui revienne, obligé qu'il est de craindre d'offenser son maître en ne faisant pas ce qui lui est prescrit.
Sachez donc qu'il nous a été commandé d'avoir, dans l'oblation du calice, à garder la tradition, et à ne point faire autre chose que ce que le Seigneur a fait le premier, en offrant avec un mélange de vin et d'eau le calice qui est offert en sa mémoire. Quand le Christ dit : "Je suis la vraie vigne", (Jn 15,1) le Sang du Christ n'est pas de l'eau, à coup sûr, mais du vin. Il ne peut paraître, que le Sang du Christ, par lequel nous avons été rachetés et vivifiés, soit dans le calice lorsqu'il n'y a pas de vin, attendu que le vin représente le Sang du Christ, annoncé par des figures et des témoignages de toutes les Écritures.
La Genèse en effet nous offre aussi un signe précurseur de ce mystère et une figure typique de la Passion du Seigneur dans l'histoire de Noé. Il but du vin, il s'en enivra, il se dépouilla de ses vêtements dans sa maison; il resta couché sur le dos, les cuisses nues, a découvert; cette nudité fut remarquée par le second de ses fils, qui la fît connaître au dehors, mais elle fut voilée par l'aîné et le plus jeune, et le reste qu'il n'est pas nécessaire de rappeler. Il suffit de retenir que Noé, présentant une figure de la réalité à venir, n'a pas bu de l'eau, mais du vin et a ainsi préfiguré la passion du Seigneur.
De même nous trouvons dans l'histoire du prêtre Melchisédech une figure prophétique du mystère du sacrifice du Seigneur. L'Écriture dit : "Et Melchisédech, roi de Salem, offrit le pain et le vin. Or il était prêtre du Très-Haut, et il bénit Abraham." (Gen 14,18). Que Melchisédech, fût une figure du Christ, c'est ce que révèle dans les psaumes l'Esprit saint parlant au nom du Père et disant au Fils : "Je t'ai engendré avant l'étoile du matin. Tu es prêtre pour l'éternité selon l'ordre de Melchisédech". (Ps 109,3). Cet ordre se réfère à ce sacrifice, et a son point de départ dans ce fait que Melchisédech fut prêtre du Très-Haut, qu'il offrit le pain et le vin, qu'il bénit Abraham. Qui en effet fut plus prêtre du Très-Haut que notre Seigneur Jésus Christ, qui offrit un sacrifice à Dieu son Père, le même que Melchisédech avait offert, à savoir le pain et le vin, c'est-à-dire son corps et son sang ? 2 Et dans la personne d'Abraham cette bénédiction regardait notre peuple. Car si Abraham a crut à Dieu, ce qui fui fut imputé à justice, quiconque croit à Dieu, et vit de la foi, est trouvé juste; longtemps d'avance, il est béni et justifié dans le fidèle Abraham, comme le montre la parole de l'apôtre Paul : "Abraham crut à Dieu et cela lui fut imputé à justice." Vous voyez donc que ceux qui sont de la foi sont les fis d'Abraham. L'Écriture prévoyant que Dieu justifierait les nations par la foi, annonça à Abraham que toutes les nations seraient bénies en lui. Donc ceux qui sont de la foi ont été bénis avec le fidèle Abraham". (Gal 3,6-9). Aussi trouvons nous dans l'évangile que des enfants d'Abraham naissent des pierres, c'est-à-dire sont tirés des nations. De même, en louant Zachée, le Seigneur dit : "Le salut est venu aujourd'hui à cette maison, parce que celui-ci est lui aussi un fils d'Abraham". (Lc 19,9). Ainsi donc, pour que le grand prêtre Melchisédech, dans la Genèse, pût régulièrement bénir Abraham, il y eut d'abord l'image du sacrifice consistant dans l'oblation du pain et du vin. Et le Seigneur achevant et consommant le sacrifice symbolique, offrit le pain et le calice avec du vin, et Celui qui est la plénitude de toutes choses a réalisé ce que cette figure annonçait.
Par Salomon aussi, l'Esprit saint montre le type du sacrifice du Seigneur, en faisant mention de la victime immolée, du pain, du vin et aussi de l'autel : "La sagesse dit-il, a construit une maison, et l'a soutenue de sept colonnes. Elle a immolé ses victimes, elle a mêlé dans le cratère le vin à l'eau et dressé sa table. Puis elle a envoyé ses serviteurs, invitant à haute voix à venir puiser à son cratère : Celui qui est sans instruction, qu'il vienne vers moi, disait-elle. Et à ceux qui manquent de sens elle disait : Venez manger de mes pains et buvez le vin que j'ai mêlé pour vous". (Pro 9,1-5). Il parle de vin mêlé, c'est-à-dire il annonce prophétiquement le calice du Seigneur mêlé d'eau et de vin; et ainsi il apparaît que la passion du Seigneur a réalisé ce qui avait été prédit.
La bénédiction de Juda eut aussi la même signification, et une figure du Christ y fut tracée : il devait être loué et adoré de ses frères; frapper le dos de ses ennemis en fuite des mains dont il porta la croix et vainquit la mort; il est lui-même le lion de la tribu de Juda, il se couche et dort dans sa passion, puis se lève, et est l'espoir des nations. A quoi l'Écriture divine ajoute ceci : "Il lavera son manteau dans le vin, et son vêtement dans le sang de la grappe". (Gen 49,11). Quand on parle du sang de la grappe, que fait-on, sinon de montrer que le vin représente le sang du calice du Seigneur ?
De même encore, en Isaïe, l'Esprit saint fait la même attestation au sujet de la Passion du Seigneur : "Pourquoi tes habits et tes vêtements sont-ils rouges, comme après la foulée d'un pressoir trop plein d'un raisin que l'on a pressé" ? (Is 63,2). Est-ce que l'eau peut rougir les vêtements, ou bien, dans le pressoir, est-ce de l'eau que l'on foule aux pieds ou que l'on exprime en pressant ? Évidemment il est fait mention du vin, afin que par le vin on entende le Sang du Christ, et que soit annoncé par les prophètes ce que le calice du Seigneur a réalisé. On parle aussi de pressoir, ou l'on foule et où l'on presse, parce que, de même qu'on ne peut boire du vin, sans qu'auparavant on ait foulé et pressé des grappes, ainsi nous ne pourrions boire le Sang du Christ, si le Christ n'avait été foulé et pressé d'abord, et n'avait bu le premier au calice, pour provoquer à y boire ceux qui croient en Lui.
D'autre part, toutes les fois que l'eau est nommée seule dans les saintes Écritures, c'est le baptême qui est annoncé, comme nous le voyons en Isaïe : "Ne vous souvenez plus, dit-il, de ce qui a précédé, et ne pensez plus aux événements passés. Voici que je fais des choses nouvelles qui paraîtront bientôt, et vous les verrez. Je ferai un chemin dans le désert; de l'eau, dans un endroit qui n'en a pas, abreuvera ma race choisie, le peuple que j'ai formé pour moi afin qu'il publie mes louanges." (Is 43,18-21). Dieu a prédit en cet endroit par son prophète que chez les Gentils, dans les lieux qui manquaient d'eau auparavant, il en coulerait en abondance, qui abreuverait la race choisie de Dieu, c'est-à-dire ceux que la génération par le baptême aurait faits enfants de Dieu. De même, il est encore prophétisé et prédit que les Juifs, s'ils ont soif et cherchent le Christ, boiront chez nous, c'est-à-dire obtiendront la grâce du baptême. "S'ils ont soif, dit-il, dans le désert, il leur amènera de l'eau, il en fera jaillir du rocher, le rocher s'ouvrira, l'eau coulera, et mon peuple boira". (Is 48,21). C'est ce qui s'accomplit dans l'évangile; quand le Christ, qui est le rocher, est ouvert par le coup de la lance durant sa Passion. C'est Lui d'ailleurs qui faisant comprendre ce qu'a prédit le prophète, s'écrie : "Si quelqu'un a soif,qu'il vienne et qu'il boive. Celui qui croit en Moi, de son sein comme dit l'Écriture, couleront des fleuves d'eau vive". (Jn 7,37-39). Et pour qu'il fût encore plus manifeste que ce n'est pas du calice, mais du baptême, que parle en cet endroit le Seigneur, l'Écriture ajoute : "Il dit cela de l'Esprit que devaient recevoir ceux qui croyaient en Lui". Or, c'est par le baptême que l'on reçoit le saint Esprit, et quand on est ainsi baptisé et qu'on a reçu le saint Esprit, on boit alors seulement le calice du Seigneur. Que personne ne s'inquiète de ce que, en parlant du baptême, l'Écriture divine dit que nous avons soif et que nous buvons, puisque le Seigneur dit aussi dans l'évangile : "Heureux ceux qui ont soif et faim de la justice" (Mt 5,6) parce que ce que l'on prend avec une soif avide, on le prend en plus grande plénitude et abondance. De même en un autre endroit le Seigneur dit : "Quiconque boira de cette eau-ci, aura soif de nouveau. Mais celui qui boira de l'eau que je donnerai n'aura plus jamais soif". (Jn 4,13-14). Ces seules paroles montrent que ce qui est annoncé c'est le baptême de l'eau du salut, qu'on ne prend qu'une fois et qu'on ne réitère pas. Le calice du Seigneur, lui est toujours dressé et bu dans l'Église.
Il n'est d'ailleurs pas besoin de longuement argumenter, frère très cher, pour prouver que sous le nom d'eau, c'est le baptême qui a toujours été signifié, et que nous devons ainsi le comprendre, puisque le Seigneur venant en ce monde a fait voir la réalité du baptême et du calice en commandant que cette eau de la foi, l'eau de la vie éternelle fût donnée aux croyants dans le baptême, et en nous apprenant d'autre part, avec l'autorité de son exemple, à mêler dans le calice le vin et l'eau. En effet, à la veille du jour de sa Passion, prenant le calice Il le bénit et le donna à ses disciples en leur disant : "Buvez-en tous. Ceci est le sang du testament, qui sera offert pour un grand nombre en rémission des péchés. Je vous le dis : Je ne boirai plus de ce produit de la vigne, jusqu'au jour où Je boirai du vin nouveau dans le royaume de mon Père". (Mt 26,28-29). Où nous trouvons que le calice que le Seigneur offrit était mêlé, et que ce qu'il appela sang était du vin. Par là on voit que le Sang du Christ n'est pas offert, si le vin manque dans le calice, et que le sacrifice du Seigneur n'est pas régulièrement célébré si notre oblation et notre sacrifice ne répondent pas à la passion. D'autre part, comment boirons-nous du vin nouveau, produit de la vigne, avec le Christ dans le royaume de son Père, si dans le sacrifice de Dieu le Père et du Christ nous n'offrons pas du vin, et ne mêlons pas le calice selon la tradition du Seigneur ?
Le bienheureux apôtre Paul, choisi de Dieu, envoyé par lui et établi prédicateur de la vérité évangélique, dit la même chose dans son évangile : "Le Seigneur Jésus, dans la nuit où on Le livrait, prit le pain, rendit grâces, le rompit et dit : Ceci est mon Corps, qui est pour vous. Faites ceci en mémoire de Moi. Semblablement, après le repas, Il prit le calice en disant : Ce calice est la nouvelle alliance en mon Sang. Faites ceci toutes les fois que vous le boirez en mémoire de Moi. Toutes les fois en effet que vous mangerez ce pain, et boirez ce calice, vous proclamez la Mort du Seigneur, jusqu'à ce qu'Il vienne". (1 Cor 11,23-26). Que s'il est prescrit par le Seigneur, confirmé et redit par son apôtre, de faire, toutes les fois que nous boirons le calice en mémoire du Seigneur, ce qu'a fait le Seigneur Lui-même, nous constatons que nous n'observons pas ce qui nous a été recommandé, si nous ne faisons pas nous aussi ce que le Seigneur a fait, si nous ne nous en tenons pas à l'enseignement divin, en mêlant le calice. Or, qu'il ne faille pas s'écarter des préceptes évangéliques, et que les disciples doivent pratiquer à leur tour ce que le maître a fait et enseigné, c'est ce qu'en un autre endroit le bienheureux apôtre enseigne avec plus de vigueur et de force : "Je m'étonne, dit-il, que vous quittiez si tôt celui qui vous a appelés à la grâce, pour aller à un autre évangile, bien qu'il n'y en ait pas d'autre; mais c'est qu'il y a des gens qui vous troublent, et qui veulent changer l'évangile du Christ. Mais si quelqu'un, fût-ce nous-même ou un ange du ciel, vous annonçait autre chose que ce que nous vous avons annoncé, qu'il soit anathème. Je vous l'ai dit déjà et je vous le redis : Si quelqu'un vient vous annoncer autre chose que ce que vous avez appris, qu'il soit anathème". (Gal 1,6-9).
Ainsi donc ni l'apôtre lui-même, ni un ange du ciel ne peut annoncer ni enseigner autre chose que ce que le Christ a enseigné et que ses apôtres ont annonce : je me demande alors d'où a bien pu venir l'usage, contraire à l'enseignement évangélique et apostolique, d'offrir comme on le fait en certains endroits, de l'eau dans le calice du Seigneur, puisque à elle seule l'eau ne peut représenter le Sang du Christ. La même figure est aussi exprimée par le saint Esprit dans les psaumes quand il fait mention du calice du Seigneur et dit : " Votre calice qui enivre est tout à fait excellent". (Ps 22,6). Un calice qui enivre est à coup sûr mêlé de vin : l'eau n'enivre personne. Le calice du Seigneur enivre comme, dans la Genèse, Noé s'enivra en buvant du vin. Mais l'ivresse qui vient du calice et du Sang du Seigneur n'est pas semblable à l'ivresse que donne le vin profane. Aussi quand l'Esprit saint eut dit dans le psaume : "Ton calice enivrant", il ajouta "il est vraiment excellent". Le calice du Seigneur en effet enivre de telle façon qu'il laisse la raison; il amène les âmes à la sagesse spirituelle; par lui chacun revient du goût des choses profanes à l'inteIligence des choses de Dieu; enfin, de même que le vin vulgaire délie l'esprit, met l'âme au large et bannit toute tristesse, de même l'usage du Sang du Seigneur, et de son calice salutaire ôte le souvenir du vieil homme, donne l'oubli de la vie profane de naguère, et met à l'aise, en y versant la joie de la divine Bonté, le coeur triste et sombre qu'accablait auparavant le poids des péchés. Mais il ne peut produire cet heureux effet sur celui qui le boit dans l'Église du Seigneur, que si on le boit tel que l'a institué le Seigneur Lui-même.
Comme nous bouleversons tout et allons droit contre la pratique du Maître ! Lui, aux noces, a changé l'eau en vin, et nous, nous changeons le vin en eau, alors que ce miracle symbolique doit nous instruire et nous avertir d'offrir plutôt du vin dans le sacrifice du Seigneur ! Car, parce que la grâce spirituelle avait manqué chez les Juifs, le vin manqua aussi : la maison d'Israël est la vigne du Dieu des Armées. Le Christ enseignant et montrant que le peuple des nations succédait aux Juifs, et que nous prenions par le mérite de la foi la place qu'ils avaient perdue, changea l'eau en vin, c'est-à-dire signifia qu'aux noces du Christ et de l'Église, les Juifs ne bougeant pas, c'était plutôt le peuple des nations qui allait venir en foule ! Les eaux en effet signifient les peuples, comme le déclare l'Écriture divine dans l'Apocalypse : "Les eaux que vous avez vues, et où s'assied cette courtisane, sont les peuples et la foule et les groupes des nations de langues diverses". (Ap 17,15). C'est ce que nous voyons représenté aussi dans le mystère du calice.
En effet, comme le Christ nous portait tous, qu'il portait nos péchés, nous voyons que l'eau figure le peuple, le vin le Sang du Christ. Quand donc dans le calice l'eau se mêle au vin, c'est le peuple qui se mêle avec le Christ, et la foule des croyants qui se joint et s'unit à celui en qui elle croit. Ce mélange, cette union du vin et de l'eau dans le calice du Seigneur est indissoluble. De même l'Église, c'est-à-dire le peuple qui est dans l'Église et qui fidèlement, fermement, persévère dans la foi, ne pourra jamais être séparée du Christ, mais Lui restera attachée par un amour qui des deux ne fera plus qu'un. Mais quand on consacre le calice du Seigneur on ne peut offrir l'eau seule, pas plus qu'on ne peut offrir le vin seul. Car si l'on offre le vin seul, le Sang du Christ est présent sans nous; si l'eau est seule, voilà le peuple sans le Christ. Au contraire quand l'un est mêlé à l'autre et que, se confondant, ils ne font plus qu'un, alors le mystère spirituel et céleste est accompli. Le calice du Seigneur n'est donc pas plus la seule eau ou le vin seul, sans mélange des deux, que le Corps du Seigneur ne peut être la farine seule ou l'eau seule sans le mélange des deux et sans leur union pour composer du pain. Par là encore se trouve figurée l'unité du peuple chrétien : de même que des grains multiples réunis, moulus et mêlés ensemble, font un seul pain, ainsi dans le Christ qui est le pain du ciel, il n'y a, sachons-le bien, qu'un seul corps, avec lequel notre pluralité est unie et confondue.
Il n'y a donc pas lieu de penser, frère très cher, que l'on doive suivre l'usage de certains, qui ont pensé jadis que l'on devrait offrir de l'eau seulement dans le calice du Seigneur : il n'y a qu'à se demander qui ils ont eux-mêmes suivi. Car, si dans le sacrifice que le Christ a offert, on ne doit suivre que le Christ, nous devons immédiatement obéir, et faire ce que le Christ a fait et prescrit de faire, puisqu'Il dit Lui-même dans son évangile : "Si vous faites ce que Je vous prescris, Je ne vous appellerai plus mes serviteurs, mais mes amis". (Jn 15,14-15). Et que le Christ doive être seul écouté, c'est ce que le Père proclame du haut des cieux : "Celui-ci est mon fils bien-aimé, en qui J'ai mis mes complaisances; écoutez-Le". (Mt 17,5). Par conséquent, si c'est le Christ seul qui doit être écouté, nous ne devons pas faire attention à ce qu'un autre avant nous peut avoir pensé qu'il fallait faire, mais à ce que le Christ, qui est avant tous, a fait le premier. Ce n'est pas, en effet, une coutume humaine, mais la Vérité divine qu'il faut suivre, car le Seigneur parlant par la bouche du prophète Isaïe dit : "C'est en vain qu'ils Me rendent un culte, enseignant des doctrines et des préceptes humains". (Is 29,13). Et le Seigneur de nouveau, dans l'évangile, répète le même reproche : "Vous rejetez le commandement de Dieu pour établir votre tradition". (Mc 7,9). Dans un autre endroit, Il dit encore ceci : "Celui qui aura enfreint le plus petit de ces commandements, et aura enseigné de même manière, sera le plus petit dans le royaume des cieux". (Mt 5,19). Il n'est donc pas permis d'enfreindre les moindres des commandements du Seigneur. A combien plus forte raison, quand il s'agit de commandements si importants, si graves, si directement liés au mystère de la Passion du Seigneur et de notre rédemption, n'est-il pas permis de les fouler aux pieds, ou d'en faire autre chose que ce que le Seigneur a établi, en les changeant pour une tradition humaine. Car si le Christ Jésus notre Seigneur et notre Dieu est Lui-même le grand prêtre de son divin Père, et S'est offert lui-même le premier à ce Père en sacrifice, à coup sûr, le prêtre remplit le rôle du Christ qui fait ce que le Christ a fait, et il n'offre à Dieu le Père, dans l'Église, la vérité et la plénitude du sacrifice, qu'autant qu'il l'offre comme il voit que le Christ Lui-même l'a offert.
C'est d'ailleurs renverser toute véritable discipline religieuse que ne pas observer fidèlement ce qui est divinement prescrit : à moins que l'on ne craigne, au sacrifice du matin, d'exhaler l'odeur du Sang du Christ en sentant le vin. C'est ainsi que les frères, dans la persécution ont moins d'ardeur à souffrir comme le Christ, en apprenant à rougir de son Sang dans les sacrifices. Pourtant le Seigneur dit dans son évangile : "Qui aura rougi de Moi, le Fils de l'homme rougira de lui". (Mc 8,38). Et l'Apôtre dit de son côté : "Si je plaisais aux hommes, je ne serais pas le serviteur du Christ". (Gal 1,10). Et comment pourrions-nous répandre notre sang pour le Christ, si nous rougissons de boire le Sang du Christ ?
Serait-ce que quelqu'un s'en laisserait imposer par cette considération que, tout en paraissant n'offrir que de l'eau le matin, cependant quand nous nous réunissons pour le repas du soir, nous offrons un calice où il y a de l'eau et du vin ? Mais, quand nous dînons, nous ne pouvons convoquer le peuple à notre table pour célébrer en présence de tout le peuple le mystère de vérité. Mais, dira-t-on, ce n'est pas le matin, c'est après le repas du soir, que notre Seigneur a offert le calice. Est-ce donc après le repas du soir que nous devons nous réunir, au sacrifice du Seigneur, afin de pouvoir ainsi offrir le calice mêlé ? Le Christ devait offrir, vers la fin du jour, afin de signifier par l'heure même du sacrifice le déclin et le soir du monde, suivant ce qui est écrit dans l'Exode : "Toute l'assemblée des enfants d'Israël l'immolera vers le soir". (Ex 12,6). Et aussi dans les psaumes : "L'élévation de mes mains est le sacrifice du soir". (Ps 140,2). Mais nous, nous célébrons la résurrection du Seigneur le matin.
Et parce que nous faisons mention de sa Passion dans tous nos sacrifices (la Passion du Seigneur est en effet le sacrifice que nous offrons), nous ne devons rien faire d'autre que ce qu'il a fait. L'Écriture nous recommande, toutes les fois que nous offrons le calice en mémoire du Seigneur et de sa Passion, de faire ce qu'il est constant que le Seigneur a fait. Si l'un ou l'autre de nos prédécesseurs, frère très cher, a pu, par ignorance ou simplicité d'âme, ne pas faire et observer ce que le Seigneur par son exemple et son enseignement nous a commandé, c'est son affaire; la divine Bonté peut pardonner à sa simplicité. Mais nous, nous serons sans excuse, nous qui, maintenant, sommes avertis de par le Seigneur. Il nous faut donc offrir son calice de la manière qu'Il l'a offert, et envoyer à ce sujet des lettres à nos collègues, afin que partout la loi évangélique, la tradition dominicale soit observée, qu'on ne s'écarte pas de ce que le Seigneur a recommandé et fait Lui-même.
Dédaigner plus longtemps ces recommandations et persévérer dans une erreur, qu'est-ce autre chose qu'encourir le blâme du Seigneur : "Pourquoi enseignes-tu mes préceptes et as-tu mon alliance à la bouche, toi qui détestes mon enseignement, et jettes mes paroles derrière toi ? Si tu voyais un voleur, tu courais avec lui, et tu faisais cause commune avec les adultères". (P 49,16-18). Exposer en effet les préceptes du Seigneur, et son alliance, et ne point faire ce qu'a fait le Seigneur, qu'est-ce autre chose que rejeter sa parole, mépriser son enseignement et commettre des vols et des adultères, non matériels, mais spirituels, en dépouillant de leur vérité évangélique les paroles et les actes de notre Seigneur, en corrompant et adultérant les préceptes divins ? C 'est ce qu'écrit Jérémie : "Qu'y a-t-il, de commun, dit-il, entre la paille et le froment ? Voilà pourquoi je m'élèverai, dit le Seigneur, contre les prophètes, qui dérobent mes paroles à leur prochain, et séduisent mon peuple par leurs mensonges et leurs erreurs". (Jer 23,28; 30,32).Dans un autre endroit, on lit encore chez le même Jérémie : "Elle a commis l'adultère, dit-il, avec le bois et la pierre, et, en toutes ces choses, elle n'est point revenue à moi". (Jer 3,9-10). Nous devons veiller avec un soin et une inquiétude religieuse à ce que ce reproche de vol et d'adultère ne tombe pas sur nous. Car, si nous sommes les évêques de Dieu et du Christ, je ne vois pas quel autre guide nous devons suivre que Dieu et le Christ. Ne dit il pas dans l'évangile : "Je suis la lumière du monde. Celui qui Me suivra ne marchera pas dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie". (Jn 9,17). Donc, pour ne point marche. dans les ténèbres, nous devons suivre le Christ et observer ses préceptes, puisqu'en un autre endroit, envoyant ses apôtres, Il dit : "Tout pouvoir m'a été donné dans le ciel et sur la terre. Allez-donc, et enseignez tous les hommes, les baptisant au nom du Père, du Fils et du saint Esprit, leur apprenant à observer tout ce que Je vous ai commandé." (Mt 28,18-20). Donc, si nous voulons marcher dans la lumière du Christ, ne nous écartons pas de ses préceptes et de ses recommandations. Rendons-Lui grâce de ce qu'Il veut bien, tout en nous instruisant sur ce que nous devons faire à l'avenir, nous pardonner nos erreurs involontaires dans le passé, et de ce que, son second avènement étant proche, il daigne bénignement et généreusement illuminer nos coeurs de la lumière de la vérité.
II appartient donc à notre piété, et à la crainte de Dieu que nous avons au coeur, frère très cher, en même temps qu'à notre rang et au devoir de notre dignité épiscopale, de garder la tradition dominicale en mêlant le vin et l'eau dans l'oblation du calice, et de corriger suivant l'avertissement qu'il nous donne l'erreur qui semble avoir été commise par quelques-uns, afin que quand il viendra dans l'éclat de sa Gloire et de sa Majesté divine, Il nous trouve gardant ce qu'Il a recommandé observant ce qu'Il a enseigné, faisant ce qu'Il a fait. Je souhaite, frère très cher, que vous vous portiez toujours bien.

 


 

LETTRE 64

CYPRIEN ET SES COLLEGUES PRÉSENTS AU CONCILE (3), AU NOMBRE DE SOIXANTE-SIX, A FIDUS , LEUR FRERE, SALUT.

Nous avons lu, frère très cher, la lettre que vous nous avez écrite au sujet de Victor, autrefois prêtre. Vous nous indiquiez que, sans qu'il eût fait pénitence complète ni donné satisfaction au Seigneur, contre qui il avait péché, notre collègue Therapius, agissant à la légère, avec une hâte irraisonnable, lui a donné la paix avant l'heure. Il nous a été pénible que l'on se soit écarté de ce que nous avions décidé, pour lui accorder la paix sans attendre le délai régulier, sans que le peuple le sût et le demandât, sans d'ailleurs qu'aucune maladie, aucune nécessité l'imposât. Mais après avoir pesé le pour et le contre, il nous a semblé suffisant de représenter à notre collègue Therapius qu'il avait agi à la légère et de l'avertir d'avoir à se garder de rien faire de tel dans l'avenir. Quant à la paix, de quelque manière qu'elle ait été donnée ainsi par un évêque du Seigneur, nous avons cru ne pas devoir l'enlever, et nous avons permis à Victor de jouir des droits attachés à la communion qui lui avait été rendue.
Pour ce qui regarde les enfants, vous disiez qu'on ne devait pas les baptiser le deuxième ou le troisième jour, mais qu'il fallait prendre modèle sur la loi antique de la circoncision, par conséquent ne pas baptiser et sanctifier le nouveau-né avant le huitième jour. Notre assemblée en a pensé tout autrement. La façon d'agir que vous préconisiez n'a rallié aucun suffrage, et nous avons tous été d'avis qu'il ne fallait refuser à aucun homme arrivant à l'existence la Miséricorde et la Grâce de Dieu. Le Seigneur dit dans l'évangile : "Le fils de l'homme n'est pas venu pour perdre les âmes des hommes, mais pour les sauver". (Lc 9,56). Autant donc qu'il est en nous, nous ne devons, si c'est possible, perdre aucune âme. Que manque-t-il, en effet, à celui que les Mains de Dieu ont formé dès le sein de sa mère ? A nos yeux, il semble que ceux qui arrivent à l'existence croissent avec les jours d'ici bas. En réalité, ce qui est fait par Dieu est parfait, en raison de la majesté et de l'opération divine de l'auteur.
Bref, que tous, tout petits enfants ou personnes plus âgées, reçoivent également le don divin, c'est ce que la divine Écriture nous montre, quand elle nous représente Elisée s'étendant, en priant Dieu, sur l'enfant de la veuve qui était mort, tête contre tête, face contre face, en sorte que les membres du prophète allongé sur l'enfant correspondaient exactement à ses membres et les pieds de l'un aux pieds de l'autre. Si on examine la chose d'après la nature et le corps humain, un enfant ne peut avoir les mêmes dimensions qu'un adulte; de petits membres ne peuvent s'adapter exactement à de plus grands. Mais ce qui est exprimé la, c'est l'Égalité divine et spirituelle, suivant laquelle tous les hommes sont de même taille et de même âge; et il n'est possible d'établir des différences d'âge et de développement corporel qu'au regard de l'homme et non de Dieu : à moins qu'il ne faille dire que la grâce même, qui est accordée aux baptisés, est moindre ou plus grande suivant l'âge de ceux qui la reçoivent. Mais non. L'Esprit saint est donné également à tous, non d'après une mesure proportionnelle, mais d'après une bonté et une bienveillance paternelle. Car Dieu ne fait pas plus acception d'âge que de personne, mais il est pour tous, dans la distribution de la grâce céleste, un Père qui partage également.
Mais vous ajoutez que le pied d'un enfant aux premiers jours après sa naissance n'est point pur, et que chacun redoute de le baiser : cela non plus ne doit point être un obstacle à ce qu'on lui confère la grâce divine. Il est écrit en effet : "Tout est pur à qui est pur". (Tit 1,15). Et personne ne doit avoir horreur de ce que Dieu a daigné faire. L'enfant sans doute est de naissance récente; il n'est point tel cependant que l'on doive, quand on lui donne la grâce et la paix, avoir horreur de le baiser, puisque chacun de nous, en baisant cet enfant, doit penser, conformément à nos croyances, aux Mains de Dieu dont il vient de sortir, et que nous baisons en quelque manière en cet être humain récemment formé et venu à la lumière, puisque nous embrassons l'oeuvre de Dieu. Quant à ce fait que la circoncision juive se faisait le huitième jour, c'était là un symbole et comme une esquisse, une figure, qui devait être accomplie à la Venue du Christ. Car, comme le huitième jour, c'est-à-dire le premier après le jour du sabbat, devait être celui où le Seigneur ressuscitait, nous rendrait la vie, et nous donnerait la circoncision spirituelle, ce huitième jour, c'est à-dire le premier après celui du sabbat, le jour du Seigneur, a précédé comme une image préfigurant l'avenir. Cette figure a cessé quand la vérité est venue, et nous a été donnée avec la circoncision spirituelle.
C'est pourquoi, nous ne croyons pas qu'il faille empêcher personne de recevoir la grâce d'après la loi qui a été établie; nous pensons que la circoncision spirituelle ne doit pas être empêchée par la circoncision charnelle, mais qu'il faut admettre tout homme à la grâce du Christ, puisque aussi bien Pierre dit dans les Actes des Apôtres : "Le Seigneur m'a dit qu'aucun homme ne devait être appelé souillé et impur". (Ac 10,28). Au surplus, si l'homme, quand il s'agit d'obtenir la grâce, pouvait en être empêché par quelque chose, ce seraient surtout les adultes et les personnes âgées qui pourraient en être empêchés par des fautes graves. Eh bien, les plus grands coupables, après avoir péché gravement contre Dieu, lorsqu'ils arrivent à la foi, obtiennent la rémission de leurs fautes : personne n'est privé du baptême et de la grâce. A combien plus forte raison un enfant n'en doit-il pas être privé, qui, étant né depuis peu de temps, n'a commis aucune faute; il a contracté seulement à sa première naissance, comme descendant d'Adam, le virus mortel de l'antique contagion; il arrive d'autant plus facilement à obtenir la rémission des péchés, que les péchés qu'on lui remet ne sont pas les siens, mais ceux d'autrui.
Et voilà pourquoi, frère très cher, notre concile a été d'avis que personne ne devait être écarté par nous du baptême et de la grâce de Dieu, qui est à tous miséricordieux, bienveillant et doux. C'est ce que l'on doit observer et mettre en pratique à l'égard de tous, mais surtout nous croyons qu'on doit l'observer à l'égard des enfants, qui ont par cela même plus de titres à notre Assistance et à la Miséricorde divine, que, dès l'instant de leur naissance, ils ne font autre chose que prier par leurs cris et leurs larmes. Nous souhaitons, frère très cher, que vous vous portiez toujours bien.
(3) Si l'on compare le motif du blâme infligé ici à Thérapius aux termes des prescriptions synodales de 251 et 252 concernant les lapsi (57) il semble que ce concile soit celui de l'automne de 251. Cette lettre devrait donc venir dans la série chronologique près de la 54e ou de la 55e.

 


 

LETTRE 65

CYPRIEN A EPICTETE, SON FRERE, ET AU PEUPLE D'ASSURAS.

J'ai éprouvé une vive et profonde peine, frères très chers, en apprenant que Fortunatianus, jadis évêque chez vous, après être tombé lamentablement, voulait agir comme si rien ne s'était passé, et reprendre l'exercice des fonctions épiscopales. J'en ai été attristé, d'abord pour le malheureux, qui, aveuglé complètement par le diable, ou trompé par des conseils sacrilèges, ose, alors qu'il devrait s'efforcer de satisfaire, et passer les jours et les nuits dans la prière et les larmes pour apaiser le Seigneur, ose réclamer la dignité épiscopale qu'il a trahie : comme si, après s'être approché des autels du diable, on pouvait encore monter a l'autel de Dieu; comme si l'on ne s'exposait pas à une plus grande colère et indignation du Seigneur au jour du jugement, quand, non content de n'avoir pas su précéder ses frères dans la voie de la foi et du courage, on devient pour eux au contraire un exemple d'infidélité, d'audace et de témérité; ou bien quand, n'ayant pas su apprendre aux frères à rester debout dans la bataille, on apprend plutôt à ceux qui ont été vaincus et abattus, à ne même pas demander d'être relevés ! Le Seigneur dit pourtant : "vous leur avez fait des libations, et devant eux vous avez mis des offrandes, et Je n'en serais pas indigné !"(Is 57,6). Et en un autre endroit : "Il sera déraciné celui qui sacrifie aux dieux et non au Seigneur seul". (Ex 22,19). Le Seigneur parle encore et dit : "ils ont adoré ceux que leurs doigts ont fabriqués, et la créature s'est courbée, et l'homme s'est abaissé et je ne leur pardonnerai pas". (Is 2,8-9). Dans I'Apocalypse aussi, nous voyons le Seigneur menacer avec colère : "si quelqu'un, dit-Il, adore la bête et son image, ou en reçoit la marque sur son front et sur sa main, il boira lui aussi du vin de la Colère de Dieu préparé dans la coupe de sa Colère, et il sera puni par le feu et le soufre, sous les yeux des saints anges et de l'Agneau. La fumée de leur supplice montera dans les siècles des siècles; et ils n'auront de repos le jour ni la nuit, ceux qui adorent la bête et son image". (Ap 14,9-11).
Puis donc que Dieu menace de tels tourments, de tels supplices, au jour du jugement, ceux qui se soumettent au diable et sacrifient aux idoles, comment peut-on croire pouvoir agir comme prêtre de Dieu quand on s'est soumis et qu'on a obéi aux prêtres du diable ? Comment croire que l'on puisse consacrer au sacrifice de Dieu et à la prière du Seigneur une main qui fut livrée au sacrilège et au crime, alors que dans les divines Écritures le Seigneur interdit le sacrifice aux prêtres même en état de faute légère et qu'il dit dans le Lévitique : "L'homme qui aura un défaut ou une tache ne viendra pas à l'autel faire des offrandes à Dieu". (Lev 21,17). De même dans l'Exode : "Et que les prêtres qui s'approchent du Seigneur Dieu soient saints, de peur que le Seigneur ne les abandonne". (Ex 19,22). Et encore : "Ceux qui viendront remplir leur ministère à l'autel du Saint, ne se rendront pas coupables de faute, de peur qu'ils ne soient frappés de mort". (Ex 19,31). Ceux donc qui se sont rendus coupables de fautes graves, c'est-à-dire qui, en sacrifiant aux idoles, ont fait des sacrifices sacrilèges, ne peuvent réclamer l'exercice des fonctions de prêtre de Dieu, ni faire devant lui aucune prière pour leurs frères, puisqu'il est écrit dans l'évangile : "Dieu n'écoute pas le pécheur, mais celui qui honore Dieu et fait sa Volonté, celui-là Dieu l'écoute". (Jn 9,31). Pourtant tel est, sous l'influence des ténèbres profondes qui envahissent leur coeur, l'aveuglement de certains, que les préceptes salutaires ne font pas entrer en eux le moindre rayon de lumière mais, une fois écartés de la ligne du vrai chemin, ils se précipitent tête baissée dans l'abîme, en traînés et égarés dans les ténèbres de leurs crimes.
Il n'est d'ailleurs pas étonnant qu'ils refusent d'obéir a nos conseils et aux commandements du Seigneur, eux qui L'ont renié. Ils regrettent l'argent, les offrandes et les bénéfices, dont ils couvaient le montant d'un oeil avide, et ils ouvrent encore la bouche en pensant aux festins et aux beuveries : dont les effets duraient des journées entières et leur donnaient de la pesanteur et des envies de vomir : montrant à l'évidente qu'autrefois non plus ce n'était pas de la religion, mais de leur ventre et de gains vulgaires qu'ils étaient les serviteurs empressés. C'est de là, nous le voyons comme nous le croyons, qu'est venue sur eux la Justice divine, pour les écarter de l'autel : elle a voulu empêcher qu'à leur contact la pudeur ne fût souillée par des impurs, la croyance par des incroyants, la religion par des profanes, les choses divines par des êtres terrestres, les choses saintes par des sacrilèges. Il faut veiller de toutes nos forces à ce que de tels hommes ne viennent pas de nouveau souiller de leur contact l'autel et nos frères, il faut nous appliquer de toute notre énergie à rabattre leur audace criminelle, afin que ceux-là ne tentent pas de nouveau de faire fonction d'évêques, qui, après en être venus au dernier degré de la mort, ont été plus loin que des lapsi laïcs et sont tombés d'une chute plus lourde.
Mais si ces furieux persévèrent dans leur égarement et que, le saint Esprit s'écartant d'eux, la nuit de leur aveuglement continue, il nous semble qu'il serait à propos de séparer nos frères individuellement d'eux et de leur erreur, et de les tenir à l'abri de tout contact avec eux, de peur qu'ils ne tombent dans les filets de l'erreur. L'oblation ne peut être sanctifiée là où l'Esprit saint n'est pas, et le Seigneur ne répand ses Bienfaits sur personne à la prière de celui qui l'a outragé. Que si Fortunatianus, oublie son crime par suite d'un aveuglement diabolique, ou bien se fait le ministre et le serviteur du diable, en persévérant dans son égarement présent, faites tout ce que vous pouvez pour la défense de nos frères. Parmi ces ténèbres que répand la fureur du diable, détournez leur esprit de l'erreur afin qu'ils ne participent pas à la folie des autres, qu'ils ne se fassent pas les complices de gens perdus, mais que plutôt sans se laisser corrompre, ils gardent avec une vigueur indéfectible la fidélité conservée jusqu'à cette heure.
Quant aux lapsi, qu'ils ne cessent pas, connaissant la gravité de leur faute, d'implorer de Dieu leur pardon, et n'abandonnent pas l'Église catholique, l'unique, la seule qu'a établie le Seigneur. Qu'ils s'appliquent à satisfaire, implorant la Miséricorde de Dieu, et frappent à la porte de l'Église, afin qu'ils puissent entrer là d'où ils sont sortis, et revenir au Christ dont ils se sont éloignés. Qu'ils n'écoutent pas ceux qui les trompent par des mensonges et ne cèdent pas a une séduction fatale; quand il est écrit : "Que personne ne vous séduise par des paroles vaines. C'est pour cela que la Colère de Dieu vient sur les rebelles. Ne partagez pas leur sort. (Ep 5,6-7). Donc, que personne ne suive des rebelles, qui ne craignent pas Dieu et s'éloignent complètement de l'Église. Si quelqu'un n'a pas la patience de faire ce qu'il faut pour obtenir le pardon du Seigneur, et qu'il ne veuille pas nous obéir, et suive des gens désespérés et perdus, il ne s'en prendra qu'à lui-même au jour du jugement. Comment, en effet, pourrait-il ce jour-là obtenir le pardon du Seigneur, lui qui antérieurement à renié le Christ et maintenant encore renie l'Église du Christ, lui qui refuse d'obéir à des évêques bien vivants et sans blessure pour se faire le compagnon et le complice de ceux qui se sont donné le coup de mort ? Je souhaite, frère très cher, que vous vous portiez toujours bien.

 


 

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