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LETTRE 51

CYPRIEN A CORNEILLE, SON FRERE, SALUT.

Nous attestons, frère très cher, que nous avons rendu et que nous rendons sans relâche les plus grandes actions de grâces à Dieu le Père tout-puissant et à son Christ le Seigneur et le Dieu de notre salut, de ce que l'Église est si bien protégée par le ciel, que son unité et sa sainteté ne sont altérées ni constamment ni complètement par l'obstination de l'hérésie perfide et perverse. Nous avons lu en effet votre lettre et ce nous a été une joie à tous et une grande allégresse d'apprendre que le prêtre Maximus, et Urbanus, tous les deux confesseurs, et avec eux Sidonius et Macarius, obéissant a une sainte inspiration de fidélité, sont revenus à l'Église catholique, c'est-à-dire que, renonçant à leur erreur et sortant de leur égarement schismatique ou plutôt hérétique, ils ont regagné la maison de l'unité et de la vérité. Ainsi le lieu même d'où ils s'étaient mis en marche pour la gloire les reverra revenir glorieux, et il ne serait pas dit que ceux qui avaient confessé le Christ abandonnaient ensuite son camp, ni que ceux-là succombaient dans une épreuve de fidélité à l'affection et a l'unité qu'une épreuve de force et de courage avait laissés debout. Et voici que leur gloire est entière, intacte et sans tache, voici que leur honneur de confesseur a recouvré sa virginité et son intégrité. Ils se sont éloignés des déserteurs et des fuyards; ils ont laissé là ceux qui sont traîtres à la foi et qui attaquent l'Église catholique. C'est à bon droit qu'à leur retour, comme vous l'écrivez, ils ont été accueillis avec grande joie par le clergé et par le peuple, par toute la communauté des frères; car, en voyant que leur gloire est conservée à ces confesseurs et qu'ils reviennent à l'unité, il n'y a personne qui ne s'estime associé à leur bonheur et co-participant de leur gloire.
Nous pouvons nous faire une idée de cette joie d'après nos propres sentiments. En effet, à la lecture de la lettre que vous nous avez envoyée pour nous parler de l'aveu fait par eux de leur erreur, tout ce qu'il y a de frères ici s'est réjoui, et a reçu avec la plus grande allégresse une nouvelle dont tout le monde avait à se féliciter : mais quelle n'a pas dû être la joie la même où l'heureux événement se produisait sous les yeux de tous ! Le Seigneur dit dans son évangile qu'il y a une très grande joie dans le ciel pour la conversion d'un pécheur. Combien plus grande est la joie et sur la terre tout à la fois et dans le ciel, pour le retour de confesseurs qui reviennent à l'Église de Dieu avec leur honneur et leur gloire, et qui frayent aux autres la voix du retour par l'autorité et l'encouragement de leur exemple. Ici, en effet, l'erreur avait déteint sur quelques-uns de nos frères, qui se disaient qu'en les suivant ils suivaient la communion de confesseurs Leur illusion leur étant ôtée, la lumière s'est répandue dans tous les coeurs, et l'on a vu qu'une Église catholique est une, et ne peut être ni scindée ni divisée. Personne désormais ne pourra se laisser prendre aux verbeuses affirmations d'un schismatique furieux, maintenant qu'il est établi que de bons et glorieux soldats du Christ n'ont pu être longtemps retenus hors de l'Église par des tromperies et des perfidies du dehors. Je souhaite, frère très cher, que vous vous portiez toujours bien.

 


 

LETTRE 52
CYPRIEN A SON FRERE CORNEILLE, SALUT.

Vous avez agi avec célérité tout à la fois et avec charité, frère très cher, en nous envoyant en toute hâte l'acolyte Nicéphorus (1), pour nous annoncer le glorieux sujet de joie que donne le retour des confesseurs, et pour nous armer pleinement contre les nouvelles et pernicieuses machinations dressées par Novatien et Novatus contre l'Église du Christ. La veille, la funeste faction de la perverse hérésie, perdue déjà elle-même et destinée à perdre ceux qui y feront adhésion, était venue ici; le lendemain Nicéphorus survint avec vos lettres. Grâce à elles, nous avons appris nous-même, et nous nous sommes mis à apprendre aux autres, et à leur faire connaître qu'Évaristus, d'évêque qu'il était auparavant, n'était même plus demeuré simple fidèle; qu'éloigné de son siège et de son peuple, et sorti de l'Église du Christ, il erre au loin en d'autres provinces, et qu'ayant fait personnellement naufrage dans la foi, il cherche à provoquer autour de lui des naufrages semblables; que Nicostratus aussi, ayant perdu son saint office de diacre, après avoir soustrait par un larcin sacrilège l'argent de l'Église, et refusé de rendre les dépôts des veuves et des orphelins, n'a pas tant cherché à venir en Afrique, qu'à fuir de Rome, épouvanté de ses rapines et de ses crimes infâmes. Et maintenant, loin de l'Église qu'il a désertée et qu'il fuit, comme si changer de pays c'était changer soi-même, il se vante encore et se proclame confesseur, alors qu'on ne peut être appelé ni être confesseur du Christ, du moment qu'on a renié l'Église du Christ. En effet quand l'apôtre Paul dit : "C'est pourquoi l'homme quittera son père et sa mère, et ils seront à deux une seule chair. Ce sacrement est grand : je dis, par rapport au Christ et à l'Église"; quand le bienheureux Apôtre dit cela, et de sa voix sainte atteste l'union du Christ et de l'Église, et les liens indissolubles qui les attachent l'un à l'autre, comment celui-là pourrait-il être avec le Christ, qui n'est pas avec l'Épouse du Christ, avec son Église ? Comment peut-il prendre sur lui de régir et gouverner l'Église, celui qui l'a volée et dépouillée ?
Quant à Novatus, vous n'aviez pas à nous en envoyer des nouvelles de là-bas, car c'est plutôt à nous de vous faire connaître ce Novatus tel qu'il est. Toujours avide de nouveautés, emporté par une avarice et une rapacité insatiables, plein d'une arrogance superbe, enflé d'un orgueil insensé, toujours défavorablement apprécié des évêques, toujours condamné par la voix de tous les pontifes comme hérétique et pervers, curieux toujours pour trahir, flatteur pour tromper, jamais fidèle pour aimer : c'est une torche, un brandon pour allumer les incendies de la discorde séditieuse, une trombe, une tempête pour causer des naufrages dans la foi, un fauteur de troubles, un adversaire de la tranquillité, un ennemi de la paix. Enfin, Novatus s'éloignant de vous, c'est-à-dire la tempête et la trombe s'éloignant, le calme se fit un peu là où vous êtes, et de glorieux et excellents confesseurs (2) qui, à son instigation, s'étaient éloignés de l'Église, lorsqu'il se fut éloigné de Rome revinrent à l'Église C'est le même Novatus qui chez nous alluma d'abord l'incendie de la discorde; qui sépara ici certains de nos frères de l'évêque; qui, en pleine persécution, devint lui-même parmi nous, pour ébranler les âmes des frères, comme une seconde persécution. C'est lui encore qui, par esprit d'opposition et de cabale, a fait, sans ma permission et à mon insu, un diacre de Felicissimus, son satellite; puis, passant à Rome, avec le souffle de tempête qu'il porte avec lui, il a provoqué chez vous des troubles de même espèce et aussi graves, détachant violemment du clergé une partie du peuple fidèle, et dans une fraternité où régnait l'union et l'amour réciproque, rompant le lien de la concorde. Naturellement, comme Rome en raison de son importance le doit emporter sur Carthage, il y a commis des méfaits plus importants et plus graves. Ici il avait fait un diacre contre l'Église : là-bas, c'est un évêque qu'il a fait. Qu'on ne s'en étonne point, quand il s'agit de gens de cette espèce. Les méchants se laissent toujours emporter à la fureur qui les égare, et puis, quand ils ont commis des crimes, le remords qui aiguillonne leur âme criminelle ne les laisse pas en repos. Ils ne peuvent rester dans l'Église de Dieu, eux qui n'ont observé la discipline divine et ecclésiastique ni dans leur conduite, ni dans leurs moeurs, dont la paix est absente. Les pupilles dépouillées, les veuves volées, les dépôts même de l'Église niés, réclament le châtiment que nous voyons dans ses fureurs. Il a laissé son père mourir de faim dans son quartier, et ensuite il ne lui a même point donné la sépulture. Il a frappé du talon sa femme au ventre, et lui a fait délivrer son fruit avant l'heure, causant ainsi un avortement parricide. Et il ose maintenant condamner les mains de ceux qui sacrifient, alors que ses pieds sont plus criminels puisqu'il s'en est servi pour tuer le fils qui allait lui naître !
Cette conscience de ses crimes lui inspirait des craintes depuis longtemps. Aussi tenait-il pour certain que non seulement il aurait à sortir du corps sacerdotal mais qu'il serait excommunié, et, à la requête instante des frères, le jour était imminent où nous allions avoir à instruire sa cause, si la persécution ne nous avait prévenus. Il l'a accueillie comme un moyen souhaité d'échapper à une condamnation, et de s'en épargner les ennuis, et il a causé ces désordres et ces troubles : de cette manière, lui qui devait être chassé de l'Église et excommunié, il devancerait par un départ volontaire le jugement des évêques : comme si c'était échapper à la peine que de prévenir la sentence !
Quant aux autres frères, que nous avons le regret de voir pris à ses pièges, nous faisons tous nos efforts pour qu'ils fuient la dangereuse compagnie de ce vieux routier, échappent aux filets qui leur sont tendus, et regagnent cette Église dont il a mérité d'être chassé de par Dieu. Nous espérons, avec l'Aide de Dieu et sa Miséricorde, qu'ils pourront revenir. Il n'y a en effet pour périr que ceux dont la perte est inévitable d'après ces paroles du Seigneur dans son évangile : "Toute plante qui n'aura pas été plantée par mon père qui est aux cieux sera arrachée." Celui qui n'est pas planté dans le champ des préceptes et enseignements de Dieu le Père, celui-là seul pourra s'éloigner de l'Église, seul il pourra rester dans la fureur avec les schismatiques et les hérétiques. Quant aux autres, la Miséricorde de Dieu le Père, la Bonté du Christ notre Seigneur, et notre patience les réuniront avec nous. Je souhaite, frère très cher, que vous vous portiez toujours bien.
(1) Voir l. 49 et l. 50
(2) Maxime, et les autres dont il est question l. 49.

 


 

LETTRE 53

A CYPRIEN LEUR FRERE MAXIMUS, URBANUS, SIDONIUS, MACARIUS, SALUT.
Nous sommes sûrs, frère très cher, que vous aussi vous vous réjouissez autant que nous de ce que, après avoir délibéré, cherchant avant tout les intérêts de l'Église et le bien de la paix, laissant tout le reste de côté et le réservant au jugement de Dieu, nous avons fait la paix avec Corneille notre évêque et avec tout le clergé. La joie de toute l'Église et le bon accueil de tous a salué cette démarche, comme notre lettre doit vous l'apprendre. Nous demandons à Dieu, frère très cher, que vous vous portiez bien durant de longues années.

 


LETTRE 54

CYPRIEN AU PRETRE MAXIME ET DE MEME A URBANUS, SIDONIUS, MACARIUS, SES FRERES, SALUT.

La lecture de la lettre (1) que vous m'avez adressée, frères très chers, au sujet de votre retour, de la paix retrouvée avec l'Église, et de votre rentrée dans la fraternité, m'a, je l'avoue, apporté autant de joie que j'en avais eu en apprenant votre confession glorieuse et en recevant avec allégresse la nouvelle des beaux exploits de milice spirituelle et céleste accomplis par vous. C'est là en effet encore une autre confession (et elle honore votre foi) de reconnaître qu'il n'y a qu'une Église, de ne point partager une erreur, ou plutôt une perversion étrangère, de regagner le camp d'où vous vous êtes mis en marche, d'où vous avez bondi de votre élan le plus vigoureux pour livrer le combat, pour terrasser l'ennemi. Il convenait en effet de rapporter les trophées, après la bataille, là où avant la bataille on avait revêtu les armes, de peur que ceux que le Christ avait préparés pour la glorieuse lutte, ne fussent pas avec leur gloire dans l'Église du Christ. En fait, vous avez tout à la fois tenu la ligne qui convenait à votre foi, en gardant, dans la paix du Seigneur, la loi de charité et d'indissoluble concorde et frayé aux autres, en marchant ainsi, la voie de l'amour et de la paix. Vous avez fait en sorte que la vérité de l'Église, et l'unité de l'évangile et du sacrement à laquelle nous nous tenions, fût, par votre adhésion, nouée d'un nouveau lien, et que des confesseurs du Christ ne devinssent pas des guides d'erreur, après avoir été des modèles de courage et d'honneur dignes de tous les éloges.
Dans quelle mesure les autres vous félicitent et triomphent avec vous chacun en particulier, je n'ai point à le savoir, mais moi, je déclare que je vous félicite vivement et que je triomphe plus que les autres de votre retour à la paix et à la charité. En toute simplicité, je dois vous faire connaître ce que j'avais dans le coeur. J'étais fortement peiné, et tourmenté de ne pouvoir communiquer avec ceux que j'avais une fois commencé à aimer. Échapper de prison pour vous laisser prendre par l'erreur schismatique et hérétique, c'était comme si votre gloire était restée dans la prison. L'honneur de votre nom semblait y être demeuré, puisque des soldats du Christ ne revenaient pas à l'Église au sortir de la prison, où ils étaient allés avec l'applaudissement et les félicitations de l'Église.
Sans doute il semble qu'il y ait de la zizanie dans le champ de l'Église, mais notre foi et notre charité ne doivent point en être empêchées, au point de nous faire quitter l'Église parce que nous y voyons de la zizanie. Nous devons seulement nous efforcer d'être du bon grain, afin que, quand on rentrera la moisson dans les greniers du Seigneur, nous recueillions le fruit de notre travail et de notre effort. L'Apôtre dit dans sa lettre : "Dans une grande maison, il n'y a pas seulement des vases d'or et d'argent, mais aussi de bois et de terre, les uns vases d'honneur, les autres vases d'ignominie". Pour nous, appliquons-nous à être un vase d'or ou d'argent. D'ailleurs briser les vases de terre n'est permis qu'à Dieu seul, et à celui à qui a été donnée la verge de fer. Le serviteur ne peut pas être plus grand que son maître, et personne ne s'arroge ce que le père attribue à son fils au point de croire qu'il puisse désormais porter la pelle et vanner dans l'aire, ou séparer du bon grain toute la zizanie au gré d'un jugement humain. C'est là une prétention orgueilleuse et la présomption sacrilège de furieux égarés. Certains, prenant sur eux d'aller plus loin que ne le demande une justice modérée, se mettent hors de l'Église. En s'élevant dans leurs pensées plus que de raison, ils sont aveuglés par l'orgueil qui les enfle, et perdent la lumière de la vérité. C'est pourquoi nous autres, usant de tempérament, regardant comme le Seigneur use de poids et mesures, songeant à la Bonté et à la Miséricorde de Dieu le Père, nous avons longtemps délibéré entre nous, et pesé dans une juste balance ce qu'il y avait à faire. Vous pourrez connaître tout cela à fond, en lisant les opuscules (2) que j'ai lus ici dernièrement, et que je vous ai fait transmettre à vous aussi pour lecture, comme le demandait notre affection réciproque. Il n'y manque, pour les lapsi, ni le blâme pour les reprendre, ni le remède pour les guérir. Mais de plus, autant que mon humble talent me l'a permis, j'ai mis en lumière l'unité de l'Église catholique, et cet opuscule, j'ai confiance qu'il vous plaît de plus en plus, puisque maintenant vous le lisez en l'approuvant et en l'aimant, vu que vous réalisez dans vos actes les paroles par nous écrites, vous qui êtes revenus à l'Église, dans l'unité de la charité et de la paix. Je souhaite, frères très chers, que vous vous portiez toujours bien.

(1) C'est la lettre 53
(2) Le De Lapsis et De Catholicae Ecclesiae Unitate. Ce dernier traité s'occupe à la fois de l'unité d'évêque dans chaque Église (au temps de saint Fulgence, il était parfois cité sous le titre De simplicitate proelatorum) et de l'unité dans l'Église universelle.

 


 

LETTRE 55

CYPRIEN A SON FRERE ANTONIANUS, SALUT.

J'ai reçu votre première lettre, frère très cher, où restant en union de sentiments avec le collège des évêques et attaché à l'Église catholique, vous nous faisiez connaître que vous ne communiquiez point avec Novatien, mais que vous suiviez notre conseil et que vous étiez en communion avec Corneille, notre collègue dans l'épiscopat. Vous m'aviez aussi écrit de transmettre à Corneille une copie de la même lettre, afin que délivré de toute inquiétude, il sût bien que vous communiquiez avec lui, c'est-à-dire avec l'Église catholique.
Mais ensuite une autre lettre nous est venue de votre part par l'intermédiaire de Quintus notre collègue dans le sacerdoce, où j'ai remarqué que votre âme, ébranlée par les lettres de Novatien, commençait à chanceler. En effet, après avoir précédemment fixé fermement et votre résolution et votre adhésion, vous exprimiez dans la nouvelle lettre le désir de savoir quelle hérésie Novatien a introduite, et comment expliquer que Corneille communique avec Trofime et ceux qui ont sacrifié. A la vérité, si c'est une inquiétude de foi qui vous donne ce souci, si vous cherchez dans cet esprit la vérité, dans un cas douteux, il n'y a rien à redire à ce qu'une âme que la crainte divine préoccupe soit en proie à des doutes qui la tiennent en suspens.
Mais comme je vois qu'après le premier sentiment manifesté dans votre lettre, vous avez été ensuite remué par les lettres de Novatien, je pose en principe, frère très cher, tout d'abord ceci, que des hommes sérieux, qui ont été une fois solidement établis sur la pierre, ne se laissent pas ébranler, je ne dis pas par un souffle léger, mais même par un coup de vent ou un cyclone; autrement, leur esprit incertain et flottant au gré d'opinions variées, comme aux souffles de vents qui le viendraient battre, serait fréquemment agité, et changerait de résolution, non sans encourir quelque reproche de légèreté. Pour éviter que les lettres de Novatien produisent cet effet chez vous ou chez quelque autre, je vais, frère, répondre à votre désir et, brièvement, vous rendre compte des faits.
Et tout d'abord, puisque vous paraissez ému de ma conduite à moi aussi, je dois justifier devant vous ma personne et plaider ma cause. Je ne veux pas, en effet, qu'on pense que j'aie à la légère abandonné ma ligne de conduite, et que, après avoir d'abord, dans les premiers temps, soutenu la thèse de la rigueur évangélique, je me sois ensuite écarté de l'esprit de discipline et de sévérité que je montrais auparavant, pour estimer qu'il y ait lieu de donner à bon compte la paix à ceux qui ont souillé leur conscience par des billets, ou fait des sacrifices impies. Ni l'une ni l'autre ligne de conduite n'a été adoptée par moi sans que j'aie longtemps balancé le pour et le contre et bien pesé les raisons.
Au moment, en effet, où l'on avait encore les armes à la main et où la lutte glorieuse de la persécution était dans toute son ardeur, il fallait exciter de toutes ses forces, de toute sa vigueur, les soldats au combat; et surtout notre parole devait soulever comme une trompette les âmes des lapsi, non seulement pour leur faire suivre, dans la prière et les lamentations, la voie de la pénitence, mais encore, puisque l'occasion se présentait de retourner au combat et de retrouver le salut, pour les exciter, les provoquer à une confession ardente et à un martyre glorieux. Enfin, comme à propos de certains d'entre eux les prêtres et les diacres m'avaient écrit qu'ils manquaient de modération, et qu'ils montraient trop d'empressement à rentrer en communion, en leur répondant par une lettre qui existe encore, j'ajoutai ceci : "S'ils sont tant pressés, ce qu'ils demandent est en leur pouvoir, les circonstances leur fournissent plus qu'ils ne demandent; la lutte dure encore, des engagements ont lieu chaque jour. S'il a le repentir sincère et ferme de ce qu'il a fait, et que l'ardeur de la foi domine en lui, celui qui ne peut attendre le pardon peut mériter la couronne." Cependant, j'ai remis à plus tard le règlement du cas des lapsi : ainsi, quand la paix et la tranquillité nous seraient rendues, et que la Bonté divine aurait permis aux évêques de se rassembler, nous pourrions mettre en commun nos idées, et, en les comparant, décider de ce qu'il conviendrait de faire; si quelqu'un avant notre délibération, et la décision prise d'après cette délibération générale, avait la témérité de communiquer avec les lapsi, il serait excommunié.
J'ai écrit, dans le même sens, une lettre détaillée à Rome, au clergé qui était alors encore sans évêque, et aux confesseurs, le prêtre Maximus et les autres, qui se trouvaient alors en prison, et qui sont maintenant unis dans l'Église à Corneille. Que je leur aie écrit dans ce sens, c'est ce que vous pouvez voir d'après leur réponse. Ils ont en effet ceci dans leur lettre : "Cependant nous aimons, dans une affaire si importante, ce que vous avez dit vous-même, qu'il faut attendre d'abord que la paix soit rendue à l'Église, et alors en en délibérant avec les évêques, les prêtres, les diacres, les confesseurs et les laïcs non tombés, traiter l'affaire des lapsi." On ajoutait encore (et c'était Novatien qui l'écrivait, qui lisait à haute voix ce qu'il avait écrit, et le prêtre Moyse alors encore confesseur, maintenant martyr, y apposait sa signature) que les lapsi malades et sur le point de trépasser recevraient la paix. Ces lettres ont été envoyées dans le monde entier et portées à la connaissance de toutes les églises et de tous les frères.
Cependant, conformément aux résolutions antérieurement prises, quand l'ardeur de la persécution se fut assoupie, avec un grand nombre d'évêques que leur foi et la Protection de Dieu avait maintenus sains et saufs, nous nous sommes réunis (1). Après avoir lu les textes de l'Écriture dans les deux sens, nous avons adopté, avec un sage tempérament, un moyen terme : d'une part, l'espérance de la communion ne serait point totalement refusée aux lapsi, de peur que le désespoir ne les portât davantage au mal, et que voyant l'Église fermée devant eux, ils ne suivissent le siècle pour vivre en païens; d'autre part, la sévérité évangélique ne serait pas non plus énervée par une admission en bloc et à la légère à la communion; mais plutôt la pénitence durerait longtemps; on invoquerait, avec le regret des fautes, la paternelle bonté, on examinerait les cas un à un, les intentions, les circonstances atténuantes, conformément au texte de l'opuscule, que, je crois, vous est parvenu, et où les points du règlement sont détaillés. Et, de peur que le nombre des évêques d'Afrique ne parût insuffisant, nous avons encore écrit à Rome sur ce sujet à Corneille, notre collègue, qui lui aussi a tenu un concile avec un grand nombre de collègues dans l'épiscopat, et traitant l'affaire avec le même sérieux et les mêmes ménagements, a adopté les mêmes solutions que nous.
Il était nécessaire de vous en écrire en ce moment, afin que vous sachiez bien que je n'ai rien fait à la légère, mais que, conformément à la teneur de mes lettres antérieures, j'ai remis toutes choses au jugement de notre concile. Je n'ai d'abord communiqué avec aucun des lapsi, alors qu'il y avait encore moyen pour le lapsus de recevoir, non seulement le pardon, mais encore la couronne. Mais, ensuite, comme le réclamaient la nécessité de l'accord avec mes collègues et l'intérêt qu'il y avait à rassembler nos frères dans l'unité, et à guérir ces blessures, j'ai cédé à la nécessité des temps et considéré le devoir d'aviser au salut d'un grand nombre. Et maintenant je ne m'écarte pas de ce qui a été une fois résolu dans notre concile d'un commun accord, quoique bien des gens mettent beaucoup de bruits en circulation, et que des mensonges contre les évêques de Dieu, sortis de la bouche du diable pour rompre l'union et l'unité de l'Église catholique, soient répandus partout. Quant à vous, il vous faut comme un bon frère, comme un évêque uni à ses collègues dans le sacerdoce, non point accueillir facilement les paroles des méchants et des apostats, mais peser les actes de vos collègues, hommes modérés et sérieux, en examinant notre conduite personnelle et la discipline que nous suivons.
J'en viens maintenant, frère très cher, à la personne de Corneille, notre collègue, afin qu'avec nous vous connaissiez Corneille, non pas d'après les mensonges de détracteurs malveillants, mais d'après le jugement de Dieu qui l'a fait évêque, et le témoignage de ses collègues dans l'épiscopat, qui, dans le monde entier, ont ratifié son élection d'un accord unanime. Eh bien (ce qui donne à notre cher Corneille, aux Yeux de Dieu, du Christ, de l'Église, de ses collègues, une recommandation si glorieuse), ce n'est pas lui qui est arrivé tout d'un coup à l'épiscopat; il a passé par tous les offices ecclésiastiques, servi plusieurs fois le Seigneur dans les divers emplois religieux, et n'est monté qu'en franchissant les degrés successifs au faîte sublime du sacerdoce. Quant à l'épiscopat lui-même, il ne l'a ni sollicité, ni voulu; il ne l'a pas envahi comme tel qu'enflent les fumées de l'orgueil; mais tranquille d'ailleurs et modeste, tel que sont d'ordinaire ceux qui sont choisis de Dieu pour cette dignité, fidèle à sa réserve virginale, à la discrétion d'une humilité qui lui est naturelle, et qu'il a entretenue, il n'a point fait violence à personne, comme certains, pour devenir évêque, mais plutôt il a souffert violence et n'a accepté l'épiscopat que contraint et forcé. Et il a été élu évêque par un grand nombre de nos collègues qui étaient alors dans la ville de Rome; et qui nous ont envoyé, au sujet de son ordination, des lettres qui sont à son honneur, qui font son éloge et même lui rendent un témoignage glorieux. Corneille a été élu évêque par le Jugement de Dieu et de son Christ, par le témoignage favorable de la presque unanimité des clercs, par l'accord avec eux de la portion du peuple fidèle qui était présente, par la communauté des évêques vénérables et des gens de bien, personne ne l'ayant été avant lui, la place de Fabianus (2), c'est-à-dire la place de Pierre et le siège épiscopal étant vacants. Ce siège étant occupé et son occupation appuyée de la Volonté de Dieu et de notre accord à tous, il est inévitable que qui voudrait être élu évêque soit hors de l'Église, et n'ait point l'ordination ecclésiastique, puisqu'il n'est plus dans le sein de l'unité. Celui-là, quel qu'il soit, il aura beau se faire valoir, enfler ses prétentions, c'est un profane, c'est un étranger, c'est un homme du dehors. Et là où il ne peut y avoir de second après le premier, celui qui a été créé après celui qui doit être seul n'est pas second, mais n'est rien.
L'épiscopat obtenu, non point par brigue, ni par violence, mais de par la Volonté de Dieu, qui fait les évêques, quelle vertu n'a-t-il point montrée dans l'épiscopat même, quelle force d'âme, quelle fermeté de foi, que nous devons d'un coeur droit reconnaître et louer ! Il a siégé sans peur sur le siège épiscopal, au temps où un tyran (3) ennemi des évêques de Dieu, jetait feu et flammes, et aurait plutôt supporté d'apprendre qu'un empereur rival s'élevait contre lui que de voir établir dans Rome même un évêque de Dieu. Ne doit-il pas, frère très cher, recevoir le plus haut témoignage de vertu et de foi, ne doit-il pas être rangé parmi les confesseurs et les martyrs glorieux celui qui est resté si longtemps sur son siège, attendant les bourreaux de son corps et les vengeurs d'un tyran furieux ? Ils venaient pourtant vers lui parce qu'il résistait à des édits sauvages et foulait aux pieds avec la vigueur d'une foi énergique la crainte des tourments et des supplices; ils venaient pour l'assaillir l'épée à la main, ou le crucifier ou le brûler, ou lui déchirer membres et viscères dans quelque nouvelle forme de torture. La Puissance et la Bonté du Seigneur qui le couvrait a protégé dans l'épiscopat celui qu'elle avait voulu évêque; mais pour Corneille, au point de vue du sacrifice de soi, et des craintes de danger à courir, il a souffert tout ce qu'il pouvait souffrir et il a le premier vaincu par ses vertus épiscopales un tyran vaincu depuis dans la guerre et par les armes (4).
Quant à certaines accusations déshonorantes malignement répandues contre lui, ne vous en étonnez pas, je vous prie, vous qui savez bien que ce fut toujours l'oeuvre du diable de déchirer par le mensonge les serviteurs de Dieu, de déconsidérer par de faux bruits une réputation honorable et de faire enfin que ceux à qui leur conscience rend un glorieux témoignage se voient noircis par les rumeurs du dehors. Mais sachez bien aussi que nos collègues ont fait une enquête et trouvé de la manière la plus certaine que non seulement il ne s'est point souillé en signant un billet, comme certains en font courir le bruit, mais qu'il n'a pas même entretenu avec des évêques ayant sacrifié aucun rapport de communion sacrilège, et qu'il n'a joint à nous que ceux-là dont la cause a été entendue et l'innocence reconnue.
Pour ce qui est de Trofime, au sujet duquel vous avez exprimé le désir d'avoir des explications, les choses ne sont pas telles que vous les ont présentées des rumeurs vagues ou des mensonges malveillants. Comme l'ont fait souvent nos prédécesseurs, notre frère a tenu compte de ce qu'imposaient les circonstances pour ramener nos frères séparés. Une grande partie du peuple fidèle s'était éloignée avec Trofime. Or, Trofime revenait à l'Église, il donnait satisfaction; il avouait, en demandant pardon, son erreur passée; il satisfaisait encore et montrait une humilité parfaite en ramenant à l'Église les frères qu'il en avait séparés. Aussi a-t-on écouté ses prières, et l'Église a reçu non pas tant Trofime lui-même qu'un très grand nombre de frères qui étaient avec Trofime et qui n'auraient point repris le chemin de l'Église, si Trofime n'avait été avec eux. A la suite d'un conseil tenu là-bas entre plusieurs collègues, on a admis Trofime, pour qui satisfaisaient le retour des frères et le salut rendu à un grand nombre. Trofime d'ailleurs n'a été admis à notre communion qu'à titre laïc, et non pas, quoi qu'aient pu vous en dire des écrits malveillants, avec la dignité épiscopale.
Quant à ce qu'on vous a aussi annoncé que Corneille communiquait couramment avec ceux qui ont sacrifié, c'est encore une invention des apostats. Ceux qui nous quittent ne peuvent pas plus dire du bien de nous que nous ne devons nous attendre nous-mêmes à plaire à ceux qui, ne craignant pas de nous déplaire et de s'élever contre l'Église en vrais rebelles, s'appliquant de toutes leurs forces à entraîner nos frères hors de l'Église. Par conséquent, ni à notre sujet, ni au sujet de Corneille, n'écoutez ni ne croyez facilement, frère très cher, tous les bruits que l'on fait courir.
Ceux qui sont attaqués par la maladie, on vient à leur secours, comme il a été convenu. Mais quand on est venu à leur secours, et qu'on leur a donné la paix, parce qu'ils étaient en péril, on ne peut pas tout de même les étrangler ou les étouffer, ou porter la main sur eux pour les forcer à mourir : comme si, parce qu'on donne la paix aux mourants, il fallait que tous ceux-là meurent qui ont reçu la paix ! Bien plutôt serait-ce une marque de la Bonté de Dieu et de sa Douceur paternelle que ceux qui ont reçu avec la paix un gage de vie fussent tenus à vivre de par la paix reçue. Par conséquent si, la paix reçue, Dieu donne un délai, personne ne doit faire un grief aux évêques, puisqu'on a une fois décidé qu'en cas de péril on devait venir au secours des frères. Et n'allez pas croire, frère très cher, comme quelques-uns le pensent,que les "libellatices" (5) doivent être mis sur le même pied que ceux qui ont sacrifié, puisque parmi ceux-là même qui ont sacrifié, il arrive souvent que les circonstances et les cas soient différents. En effet il n'y a pas à mettre sur un pied d'égalité celui qui de sa propre volonté s'est porté du premier coup au sacrifice abominable, et celui qui après avoir résisté et lutté longtemps n'est arrivé à l'acte déplorable que par nécessité; celui qui a livré et lui-même et les siens, et celui qui, allant seul au danger pour tous, a préservé sa femme, ses enfants et toute sa maison par une convention qui l'exposait seul; celui qui a poussé au crime ses locataires et ses amis, et celui qui a laissé tranquilles locataires et fermiers, qui a même reçu sous son toit et à son foyer des frères qui s'éloignaient bannis et fugitifs, offrant ainsi et présentant au Seigneur plusieurs âmes vivantes et saines, capables d'intercéder pour une seule âme blessée.
Puis donc qu'entre ceux mêmes qui ont sacrifié il y a de grandes différences de cas, quelle rigueur implacable, quelle amère dureté n'est-ce pas de confondre les "libellatices" avec ceux qui ont sacrifié, quand celui qui a reçu un billet tient ce langage : "J'avais lu, et la parole de l'évêque m'avait appris, qu'on ne devait pas sacrifier aux idoles, et qu'un serviteur de Dieu ne devait pas adorer de vaines images; c'est pour cela que, ne voulant pas faire ce qui n'était pas permis, l'occasion d'un billet s'étant présentée, que je n'aurais pas accepté sans cette occasion, je suis allé trouver le magistrat, ou je lui ai fait dire par un autre qui l'allait trouver, que j'étais chrétien, que je ne pouvais aller à l'autel du diable, que je donnais ce gage, pour éviter de faire ce qui n'est pas permis". Malgré cela, maintenant, celui qui a un billet sur la conscience, apprenant de nous qu'il n'aurait pas dû même l'accepter et que si sa main est pure, si sa bouche n'a pas contracté de souillure au contact de la nourriture funeste, sa conscience est souillée tout de même, il pleure en nous entendant, et se lamente. Il comprend la faute qu'il a commise, et moins coupable que trompé, il atteste que pour l'avenir il est armé maintenant et prêt.
Si nous repoussons leur pénitence, à eux qui ont quelque confiance que leur faute est excusable, aussitôt avec leurs femmes, avec leurs enfants, qu'ils avaient conservés indemnes, ils tombent dans l'hérésie ou le schisme auxquels le diable les invite et s'efforce de les entraîner. Et il sera écrit à côté de nos noms, au jour du jugement, que nous n'avons pas soigné la brebis blessée, et qu'à cause d'une qui était blessée, nous en avons perdu plusieurs qui étaient indemnes. Il nous sera rappelé que le Seigneur a laissé quatre-vingt-dix-neuf brebis bien portantes pour en chercher une seule qui s'était perdue et qui était épuisée de fatigue, et l'ayant retrouvée, l'a portée sur ses propres épaules, tandis que nous, non seulement nous ne courons pas après ceux qui sont fatigués, mais nous allons jusqu'à les repousser lorsqu'ils nous reviennent; et que, à l'heure où de faux prophètes ne cessent de ravager et de déchirer le troupeau du Christ, nous fournissons une occasion aux chiens et aux loups, et perdons par notre dureté et notre inhumanité ceux que n'a point perdus la rage des persécuteurs. Et alors, frère très cher, que deviendra la parole de l'Apôtre ; "Je m'applique à faire plaisir à tous en tout, ne cherchant pas ce qui m'est avantageux à moi, mais ce qui l'est a un grand nombre, afin qu'ils soient sauvés. Imitez-moi comme j'imite le Christ". Et encore : "Je me suis fait infirme avec les infirmes, afin de gagner les infirmes". Et encore : "Si un membre souffre, les autres membres souffrent avec lui; et si c'est dans la joie qu'est un membre, les autres membres sont dans la joie".
Autre est le point de vue des philosophes et des stoïciens, frère très cher. Ils disent que toutes les fautes sont égales, et qu'un homme sérieux ne doit pas facilement se laisser fléchir. Mais entre les chrétiens et les philosophes, il y a une très grande différence. Et puisque l'Apôtre dit : "Veillez à ce que personne ne vous emporte comme une proie par la philosophie et un enseignement trompeur", il faut éviter ce qui ne vient pas de la Bonté de Dieu, mais de la présomption d'une philosophie trop dure. Nous lisons dans les Écritures au sujet de Moyse : "Moyse fut un homme très doux". Et dans son évangile le Seigneur dit : "Soyez miséricordieux comme votre Père céleste a été miséricordieux à votre égard". Et encore : "Ce ne sont pas les bien portants qui ont besoin d'un médecin, mais ceux qui se portent mal". Quels soins peut-il donner celui qui dit : "Moi, je ne soigne que les gens bien portants, qui n'ont pas besoin de médecin". Notre assistance, nos soins, c'est à ceux qui sont blessés que nous les devons. Ne tenons pas pour morts, mais plutôt comme gisant par terre entre la mort et la vie, ceux que nous voyons que la persécution funeste a blessés. S'ils avaient entièrement péri, on ne verrait pas sortir encore de leurs rangs des confesseurs et des martyrs.
Mais comme ils ont en eux de quoi revenir à la pleine santé de la foi, par la pratique ultérieure de la pénitence, et que la pénitence fortifie la vertu et l'arme, - armement impossible, si on perd l'espérance, si écarté durement et cruellement de l'Église, on se tourne vers les païens et vers les oeuvres du siècle, si de l'Église d'où l'on est rejeté on passe à l'hérésie et au schisme, auquel cas se fît-on ensuite égorger pour le Nom du Christ on ne pourra plus, étant hors de l'Église, séparé de l'unité et de la charité, être couronné même dans la mort -; pour ces raisons, frère très cher, nous avons, après avoir examiné les cas séparément, résolu à l'égard des "libellatices", de les admettre provisoirement; à l'égard de ceux qui ont sacrifié, de venir à leur secours au moment de la mort, parce qu'il n'y a plus de confession aux enfers et que nous ne pouvons obliger à faire pénitence, si le fruit de la pénitence est enlevé. Si le combat vient avant la mort, il les trouvera fortifiés par nous, armés pour le combat; si le mal fait son oeuvre jusqu'au bout avant le combat, ils s'en vont avec la consolation d'être dans la paix et la communion de l'Église.
Nous n'empêchons point par un jugement préalable le Jugement du Seigneur et s'Il trouve pleine et suffisante la pénitence du pécheur, Il peut ratifier ce que nous avons décidé ici-bas. Si au contraire quelqu'un nous a trompés par une feinte pénitence, Dieu dont on ne se moque point, et qui voit le coeur de l'homme, jugera Lui-même de ce que nous n'avons pas bien pénétré, et le Seigneur réformera la sentence de ses serviteurs. Mais nous devons pourtant nous souvenir, frère, qu'il est écrit : "Le frère qui aide son frère sera glorifié" et que l'Apôtre aussi a dit : "Veillant chacun sur vous-même, de peur d'entrer vous aussi en tentation, portez le fardeau les uns des autres, et c'est ainsi que vous accomplirez la loi du Christ." Et ceci encore, qu'il met dans son épître pour rabattre les orgueilleux et briser leur superbe : "Et que celui qui croit être debout, craigne de tomber"; et en un autre endroit, il dit : "Qui êtes-vous pour juger le serviteur d'un autre ? C'est pour son maître qu'il est debout ou qu'il tombe. Or, il restera debout : Dieu est assez puissant pour le soutenir" . Jean aussi prouve que Jésus Christ notre Seigneur est notre avocat et intercède pour nos péchés : "Mes petits enfants, je vous écris ces choses afin que vous péchiez point; mais si quelqu'un pèche, nous avons pour avocat Jésus Christ le juste, et Il est une victime qui intercède pour nos péchés". - Et l'apôtre Paul a dit encore dans une de ses épîtres : "Si, alors que nous étions encore pécheurs, le Christ est mort pour nous, à combien plus forte raison, maintenant que nous avons été justifiés dans son Sang, serons-nous sauvés par Lui de la Colère divine".
Pensant à sa Bonté et à sa Clémence, nous ne devons pas être acerbes, ni durs, ni sans humanité, quand il s'agit d'encourager nos frères, mais plutôt souffrir avec ceux qui souffrent, pleurer avec ceux qui pleurent, et les relever autant que nous pouvons, en leur prêtant le secours et les consolations de notre affection. Il ne faut pas non plus nous montrer ni tellement implacables et opiniâtres à repousser leur pénitence, ni non plus relâchés et trop faciles à les admettre dans notre communion. Un de nos frères est étendu sur le sol, blessé dans le combat par l'adversaire. D'un côté le diable s'efforce d'achever celui qu'il a blessé, de l'autre le Christ exhorte celui qu'Il a racheté à ne point périr entièrement. Quel est des deux celui auprès de qui nous nous tenons, de quel côté sommes-nous ? Est-ce avec le diable, afin qu'il tue, et voyant notre frère gisant à demi mort, passons-nous, comme dans l'évangile le prêtre et le lévite ? Ou bien, comme des prêtres de Dieu et du Christ, suivant Dieu et le Christ dans son enseignement et dans sa pratique, enlevons-nous le blessé de la gueule du monstre ennemi pour le soigner et le réserver ensuite au jugement de Dieu ?
Et n'allez pas croire, frère très cher, que la vertu des frères diminue où que les martyres vont cesser parce qu'on aura adouci aux lapsi les rigueurs de la pénitence, et qu'on aura donné aux pénitents l'espoir de la paix. La force des fidèles reste immuable, et ceux qui craignent et aiment Dieu de tout leur coeur demeurent debout dans l'intégrité de leur courage. Aux adultères aussi nous accordons un temps de pénitence et nous leur donnons la paix. La virginité ne cesse pas pour cela dans l'Église et des fautes étrangères ne font pas défaillir les glorieuses résolutions de la continence. L'Église rayonne toute parée d'une couronne de vierges, la pudeur et la chasteté gardent le niveau de leur gloire, et parce qu'on accorde à un adultère la pénitence et le pardon, la vigueur de la continence n'en est pas pour cela énervée. C'est une chose en effet, d'attendre le pardon, une autre de parvenir à la gloire; une chose de ne sortir de prison qu'après avoir payé sa dette jusqu'au dernier quart d'as, et une autre de recevoir du premier coup la récompense de sa foi et de son courage; une chose de se laver de ses péchés par le tourment d'une longue souffrance et de se purifier en quelque sorte par le feu, et une autre de purifier son âme de tous ses péchés par le martyre; une chose enfin d'être en suspens en attendant la Sentence du Seigneur au jour du jugement, et une autre d'être tout de suite couronné par le Seigneur.
Parmi nos prédécesseurs certains évêques de cette province ont pensé qu'on ne devait pas donner la paix aux adultères, et qu'il fallait complètement exclure de la pénitence ceux qui avaient commis ce genre de faute. Ils ne se sont cependant pas séparés du collège de leurs frères dans l'épiscopat, et l'on n'a pas rompu l'unité de l'Église catholique par une dureté ou une sévérité opiniâtre, allant à ce point que, par la raison qu'on donnait la paix aux adultères, celui qui ne la donnait pas dût se séparer de l'Église. Pourvu que le lien de la concorde subsiste et que persévère la fidélité indissoluble à l'unité de l'Église catholique, chaque évêque règle lui-même ses actes et son administration comme il l'entend, sauf à en rendre compte au Seigneur.
Je m'étonne d'ailleurs que quelques-uns soient intransigeants au point de penser qu'on ne doive pas accorder la pénitence aux lapsi, ou qu'ils soient d'avis de refuser le pardon aux pénitents, quand il est écrit : "Souvenez-vous d'où vous êtes tombé, repentez-vous, et faites vos oeuvres d'auparavant." Cela est dit à quelqu'un qui manifestement est tombé, et que le Seigneur exhorte à se relever par des oeuvres de miséricorde car il est écrit : "L'aumône délivre de la mort", non à coup sûr de cette mort que le Sang du Christ a éteinte, de laquelle la grâce salutaire du baptême et de notre Rédempteur nous a délivrés, mais de celle que des fautes postérieures amènent insensiblement. De même, en un autre endroit, un temps pour la pénitence est donné, et à celui qui ne fait pas pénitence le Seigneur adresse des menaces : "J'ai, dit-il, contre vous bien des choses : vous laissez votre épouse, Jézabel, qui se dit prophétesse, enseigner et séduire mes serviteurs, se livrer au désordre des moeurs et manger des victimes offertes aux idoles. Je lui ai donné du temps pour faire pénitence et elle ne veut pas se repentir de ses désordres. Je vais la jeter sur un lit, et ceux qui se sont livrés au désordre avec elle, je les jetterai dans une grande tribulation, si elle ne fait pénitence de ses oeuvres". Dieu, à coup sûr, n'exhorterait pas ainsi à la pénitence, si ce n'était parce qu'Il promet le pardon aux pénitents. Et dans l'évangile : "Je vous le déclare, dit-Il, il y aura ainsi plus de joie dans le paradis, pour un pécheur qui fait pénitence que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n'en ont pas besoin." En effet, pour qu'il ait écrit : "Dieu n'a point fait la mort et Il ne se réjouit pas de la perte de ceux qui vivaient", à coup sûr Celui qui ne veut pas que personne périsse souhaite que les pécheurs fassent pénitence, et que par la pénitence ils reviennent à la vie. Aussi le prophète Joël, à son tour, élève la voix et déclare : "Voici maintenant ce que dit le Seigneur, notre Dieu. Revenez à Moi de tout votre coeur" et, en même temps, avec des jeûnes, des larmes et en battant votre coulpe, déchirez vos coeurs, et non vos vêtements, et revenez au Seigneur, votre Dieu, qui est miséricordieux, bon, patient, plein de pitié, et prêt à changer de dispositions au sujet des maux qu'Il a envoyés". Dans les psaumes aussi nous voyons la Sévérité tout à la fois et la Bonté d'un Dieu qui menace et qui épargne, en même temps qui punit pour corriger, et, quand Il a corrigé, qui sauve. "Je visiterai, dit-Il, avec la verge leurs forfaits, et leurs crimes avec le fouet : pourtant Je ne retirerai pas ma Miséricorde de dessus leurs têtes".
Le Seigneur aussi dans son évangile, montrant la Bonté de Dieu le Père, dit : "Quel est l'homme qui, entendant son fils lui demander du pain, lui donnerait une pierre, ou qui, s'il lui demandait un poisson, lui présenterait un serpent ? Si donc vous, qui êtes méchants, savez faire à vos fils des dons qui sont bienfaisants, combien plus votre Père du ciel donnera-t-Il des biens à ceux qui les Lui demanderont ?". Le Seigneur compare ici un père selon la chair à la Bonté éternelle et infinie de Dieu le Père. Sur la terre ce méchant père, après avoir été gravement offensé par ce fils pécheur et pervers, le voyant ensuite se corriger, renoncer aux fautes qu'il commettait auparavant, revenir à une vie modeste et honnête et à la pratique de la vertu, où le ramènent les regrets de la pénitence, ce père se réjouit, il se félicite, et accueillant celui qu'il avait rejeté, laisse éclater sa joie paternelle, et le serre dans ses bras : combien plus, l'unique et vrai Père, bon, miséricordieux, tendre, que dis-je, la Bonté, la Miséricorde et la Tendresse même, se réjouit de voir la pénitence de ses fils; et loin de menacer de sa Colère ceux qui sont pénitents, ou de ses Châtiments ceux qui pleurent leur faute, et gémissent sur elle, leur promet au contraire son Indulgence et son Pardon. Aussi le Seigneur dans son évangile proclame-t-Il bienheureux ceux qui pleurent parce que celui qui pleure appelle la compassion, celui qui est obstiné et orgueilleux accumule sur lui la colère et les châtiments du jugement qui vient. Voilà pourquoi, frère très cher, ceux qui ne font pas pénitence, qui ne montrent pas qu'ils regrettent leur faute de tout leur coeur, et ne donnent pas des marques manifestes de leur désolation, nous avons estimé qu'il y avait lieu de leur refuser tout espoir de communion et de paix, au cas où ils imploreraient leur pardon étant malades et en péril de mort, parce que leur demande ne procède pas du regret de leur faute, mais de la pensée de la mort qui approche; et celui-là n'est pas digne d'être consolé au moment de la mort, qui n'a point pensé qu'il mourrait.
Pour ce qui est de Novatien, frère très cher, vous désirez savoir quelle hérésie il a introduite. Sachez d'abord que nous ne devons même pas être curieux de connaître ce qu'il enseigne, puisqu'il enseigne hors de l'Église. Quel que soit ce personnage, quelle que soit sa qualité, il n'est pas chrétien, n'étant pas dans l'Église du Christ. Il a beau se vanter, et exalter en termes orgueilleux sa science, ou son éloquence, n'ayant pas conservé la charité fraternelle, ni l'unité de la société chrétienne, il a perdu sa qualité antérieure. A moins qu'il ne soit encore un évêque à vos yeux, lui qui, alors qu'un évêque a été élu dans l'Église par seize évêques, s'efforce par la brigue de se faire donner un épiscopat adultère et étranger par des gens qui ont quitté l'Église ! Alors qu'il n'y a, de par l'institution du Christ, qu'une Église unique répandue en plusieurs membres dans le monde entier, un épiscopat unique représenté par une multiplicité d'évêques unis entre eux, il s'efforce, malgré l'enseignement de Dieu, malgré l'unité de l'Église dans la diversité de ses parties partout liées et adhérentes, de faire une église humaine ! Il envoie en un grand nombre de villes de nouveaux apôtres de son choix et jette les fondements d'une institution nouvelle. Alors que, depuis longtemps, dans toutes les provinces et dans chaque cité des évêques ont été ordonnés, d'âge avancé, de foi entière, trouvés fidèles dans l'épreuve, proscrits dans la persécution, il ose faire et mettre au-dessus d'eux d'autres évêques, qui sont de faux évêques - comme s'il pouvait faire faire le tour du monde aux nouvelles cabales de son opiniâtreté, ou rompre l'assemblage du corps de l'Église en y jetant ses germes de discorde ! Il ignore sans doute que les schismatiques sont toujours pleins d'ardeur dans les débuts, mais qu'ils ne peuvent pas prendre d'accroissement, ni développer leurs entreprises illégitimes, et qu'ils tombent tout d'un coup avec leur cabale perverse. Il ne pourrait d'ailleurs garder le pouvoir épiscopal, même nommé régulièrement, s'il en venait à rompre avec le corps de ses collègues et avec l'unité de l'Église, puisque l'Apôtre nous avertit de nous supporter les uns les autres, pour ne pas nous écarter de l'unité que Dieu a établie, et qu'il dit : " ... Vous supportant réciproquement avec charité, vous appliquant à garder l'unité de l'esprit par le lien de la paix". Celui donc qui n'observe ni l'unité de l'esprit, ni le lien de la paix, et se sépare de l'Église et du collège des évêques, ne peut avoir ni le pouvoir, ni l'honneur épiscopal, puisqu'il n'a voulu garder ni l'unité, ni la paix de l'épiscopat.
Et puis, quelle arrogance orgueilleuse, quel manque d'humilité et de douceur, quelle outrecuidante présomption, d'oser entreprendre ou de se croire capable de faire ce que le Seigneur n'a pas accordé aux apôtres eux-mêmes, de penser, dis-je, que l'on est capable de discerner la zizanie du blé, ou, comme si l'on avait été autorisé à porter le van et à nettoyer l'aire, d'entreprendre la séparation de la paille d'avec le froment ! Comment oser, lorsque l'Apôtre dit : "Dans une grande maison, il y a non seulement des vases d'or et d'argent, mais aussi de bois et de terre cuite", comment oser paraître choisir les vases d'or et d'argent, et mépriser, rejeter, condamner les vases de bois et de terre cuite, alors que c'est seulement au Jour du Seigneur que les vases de bois doivent être brûlés à la flamme du Feu divin, et les vases de terre cuite brisés par celui à qui a été remis la verge de fer ?
Au moins, si l'on s'établit scrutateur du coeur et des reins, qu'en tout on montre une justice égale, et puisqu'on sait qu'il est écrit : "Vous voilà guéri désormais, ne péchez plus, de peur qu'il ne vous arrive pire", que l'on éloigne d'auprès de soi et de sa compagnie les voleurs et les adultères, puisque le cas de l'adultère est beaucoup plus grave et plus mauvais que celui du libellatice. L'un, en effet, a péché contraint, l'autre, de son plein gré; l'un, estimant suffisant de ne point sacrifier, a été le jouet d'une erreur, l'autre s'emparant de l'épouse d'autrui, ou allant au lupanar, a souillé détestablement, dans la fange d'un cloaque, d'un bourbier populacier, un corps sanctifié et devenu le temple de Dieu, selon le mot de l'Apôtre : "Tout autre péché, que l'homme commet, n'intéresse pas le corps : celui qui commet l'adultère pèche contre son corps même". Pourtant à ceux-là aussi, on accorde la pénitence et le droit d'espérer satisfaire par leurs larmes, selon la parole du même apôtre : "Je crains qu'en arrivant auprès de vous je n'aie à pleurer un bon nombre de ceux qui ont péché antérieurement et n'ont point fait pénitence de leurs impuretés, fornications et turpitudes".
Que les nouveaux hérétiques ne se flattent point en disant qu'ils ne communiquent pas avec les idolâtres puisqu'il y a chez eux des adultères et des voleurs qui tombent sous l'accusation d'idolâtrie, selon la parole de l'Apôtre : "Sachez-le bien : aucun débauché, aucun impudique, aucun voleur, n'a part à l'héritage du royaume du Christ et de Dieu"; et encore : "Mortifiez vos membres terrestres, laissant là fornication, impureté, mauvais désirs, et cupidité, qui sont service des idoles, et pour lesquels vient la colère de Dieu". Car, puisque nos corps sont les membres du Christ, et que chacun de nous est temple de Dieu, quiconque déshonore par un usage adultère le temple de Dieu, déshonore Dieu, et quiconque en commettant des péchés fait la volonté du diable, sert les démons et les idoles. Les mauvaises actions ne procèdent pas, en effet, de l'Esprit saint, mais de l'inspiration de l'adversaire, et c'est de l'esprit impur que viennent les désirs qui font prendre parti contre Dieu, et servir le diable. Dès lors, s'ils disent qu'un fidèle est souillé par la faute d'un autre, et s'ils prétendent sérieusement que l'idolâtrie de celui qui pèche passe à celui qui ne pèche pas, ils ne peuvent, d'après leur propre parole, échapper à l'accusation d'idolâtrie, puisqu'il est établi par l'Apôtre que les adultères et les voleurs, avec lesquels ils communiquent, sont des idolâtres. Pour nous, suivant notre foi, et la forme donnée par l'enseignement divin, nous tenons pour vérité que la faute ne tient que celui-là même qui la commet, et qu'on ne peut pas être responsable pour un autre, vu que le Seigneur nous avertit en disant : "La justice du juste sera sur lui, et le crime du criminel sera sur lui"; et encore : "Les pères ne seront pas mis à mort pour les fils, ni les fils pour les pères. Personne ne mourra que pour sa propre faute". Nous en tenant à ce que nous lisons là, nous ne croyons pas que personne doive être forclos du fruit de la satisfaction et de l'espoir de la paix, sachant de par l'autorité même et les encouragements de Dieu attestés par l'Écriture divine que les pécheurs sont invités à faire pénitence, et que l'indulgence et le pardon ne sont pas refusés à ceux qui les demandent.
O dérision préjudiciable aux frères que l'on dépouille, ô piège à faire tomber des malheureux qui pleurent, ô enseignement vain et inopérant d'institution hérétique : exhorter à la pénitence pour satisfaire, et ôter à la satisfaction son efficacité médicinale, dire à nos frères : "Pleurez, versez des larmes, gémissez jours et nuits, et, pour laver et effacer votre faute, faites des oeuvres généreusement, fréquemment : après tout cela vous mourrez hors de l'Église. Vous ferez tout ce qui a rapport à la paix, mais cette paix que vous cherchez, vous ne l'aurez aucunement". Qui donc dans ces conditions ne périrait tout de suite ? Qui ne succomberait au seul désespoir ? Qui ne détournerait son coeur de la pensée de la pénitence ? Vous croyez qu'un paysan travaillera si vous lui dites : "Travaillez votre champ avec toute votre habileté d'agriculteur, apportez le plus grand soin à vos cultures, mais vous ne récolterez pas de moisson, vous ne ferez pas de vendange, vous ne retirerez rien de vos oliviers, vous ne cueillerez pas de fruits sur vos arbres". Ou encore c'est comme si vous conseilliez à quelqu'un de se rendre propriétaire de navires et d'en faire usage, en lui disant : "Achetez du bois des meilleures forêts, faites un bateau de chêne solide et choisi, gouvernail, amarres, voiles, ayez soin que rien ne manque à l'équipement et à l'armement du navire, mais quand vous aurez fait cela, renoncez à voir quelque avantage vous revenir de ses voyages et de ses courses".
C'est fermer d'avance et couper le chemin des regrets et la voie du repentir; c'est vouloir que, malgré le bon accueil que le Seigneur Dieu dans l'Écriture réserve à ceux qui reviennent à lui et se repentent (6), notre dureté et notre cruauté, en supprimant le fruit de la pénitence, suppriment la pénitence elle-même. Si nous trouvons que personne ne doit être empêché de faire pénitence, et que ceux qui prient le Seigneur de leur pardonner et implorent sa Miséricorde, peuvent, en raison de sa Miséricorde et de sa Bonté, être admis à la paix par les évêques, il y a lieu d'accueillir les gémissements de ceux qui pleurent, et de ne pas refuser à ceux qui ont regret de leur faute le fruit de la pénitence. Il n'y a plus de confession sous la terre et l'on n'y peut plus faire d'exomologèse. Donc ceux qui se repentent de tout coeur, et demandent à rentrer en communion doivent être admis provisoirement dans l'Église et y être réservés au Jugement de Dieu, qui devant venir à son Église y jugera ceux qu'Il y aura trouvés. Mais les apostats et les déserteurs, les adversaires et les ennemis, ceux qui émiettent l'Église de Dieu, même s'ils étaient mis à mort pour le Nom du Christ, ne peuvent selon l'Apôtre être admis à la paix de l'Église, attendu qu'ils n'ont conservé ni l'unité de l'esprit, ni celle du corps de l'Église.
Voila, frère très cher, en attendant, quelques points sur un grand nombre, que j'ai parcourus aussi brièvement que je l'ai pu, tout à la fois pour satisfaire à votre désir, et pour vous unir de plus en plus à notre collège et à notre corps. Mais si l'occasion et le moyen s'offrent à vous de venir auprès de nous, nous pourrons conférer davantage, et nous occuper plus pleinement et plus largement de ce qui peut favoriser la concorde salutaire. Je souhaite, frère très cher, que vous vous portiez toujours bien.

(1) Au concile du printemps de 251.
(2) Fabianus était décédé en janvier (250). L'élection de Corneille eut lieu dans la première quinzaine de mars.
(3) L'empereur Dèce.
(4) Le tyran fut tué dans une guerre, sur les bords du Danube, en 251.
(5) Le "libellatice" est celui qui, sans avoir sacrifié, a reçu un "libellus", billet certifiant qu il l'a fait.
(6) L'invitation à la pénitence et la promesse du Pardon divin reviennent en effet souvent dans la Bible, soit en paraboles, comme celle de l'enfant prodigue (Lc 15,10-32), soit directement exprimées.

 


 

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