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LETTRE 36
AU PAPE CYPRIEN LES PRETRES ET LES DIACRES DE ROME, SALUT.
A la lecture des lettres (1) que vous nous envoyiez, frère, par le sous-diacre
Fortunatus double a été notre peine, double le chagrin dont nous nous sommes sentis
accablés, en voyant que les devoirs d'un temps de persécution si redoutable ne vous
laissaient aucun repos, et que, d'autre part, vous aviez à signaler chez nos frères
tombés un manque de modération poussé jusqu'à une dangereuse témérité de paroles.
Pourtant, dans la grande affliction que causaient ces nouvelles à nos âmes, votre
vigueur, et la fermeté que vous avez déployée conformément à la discipline
évangélique, a allégé le fardeau de notre peine, en nous montrant comment vous
réprimez justement la perversité de plusieurs, et leur indiquez, dans vos exhortations
à la pénitence la voie régulière du salut. A la vérité, je m'étonne qu'ils en
soient venus jusqu'à oser - et avec de telles instances, et si prématurément et dans un
moment si douloureux - alors qu'il s'agit d'une faute, d'un crime énorme, monstrueux, non
pas tant demander la paix que l'exiger, que dis-je, prétendre l'avoir déjà dans le
ciel. Mais s'ils l'ont, pourquoi demandent-ils ce qu'ils tiennent ? Si, au contraire, il
est prouvé qu'ils ne l'ont pas, par cela seul qu'ils la demandent, pourquoi
n'attendent-ils pas le jugement de ceux à qui ils ont pensé devoir la demander ? Que
s'ils croient posséder d'ailleurs un droit de prérogative pour l'octroi de la communion,
qu'ils essaient de l'examiner au regard de l'évangile, sa valeur sera établie quand il
aura été constaté qu'elle n'est pas en désaccord avec la loi évangélique. Au
surplus, comment une faveur accordée contre la vérité évangélique pourra-t-elle bien
donner une communion conforme à l'évangile ? Nulle prérogative ne peut conférer un
privilège d'indulgence que si l'on n'est pas opposé à celui à qui on veut s'unir. Par
suite, quand on est opposé à celui à qui on veut s unir, il est inévitable que l'on
renonce à toute faveur et à tout privilège d'union.
Qu'ils prennent garde à ce qu'ils vont faire par cette conduit. S'ils disent en effet que
l'évangile a bien établi une chose, mais que les martyrs en ont établi une autre, en
mettant les martyrs en conflit avec l'évangile, ils courront un double péril. La
majesté de l'évangile paraîtra lésée et abaissée, si la nouveauté d'une autre
décision a pu l'emporter sur lui. D'autre part, la glorieuse couronne de leur confession
sera ôtée de la tête des martyrs, si l'on trouve qu'ils ne l'ont pas acquise en restant
fidèles à la loi de l'évangile, qui fait les martyrs : de sorte qu'il ne convient
à personne de ne rien décider contre l'évangile autant qu'à celui qui travaille à
obtenir de sa fidélité à l'évangile le titre de martyr. Il y a une autre chose que
nous voudrions savoir encore : si les martyrs ne deviennent martyrs que pour garder
la paix avec l'Église, en se refusant jusqu'à l'effusion du sang à sacrifier aux
idoles, de peur qu'en se laissant vaincre par la force des tourments, ils ne perdent le
salut en perdant la paix, comment se fait-il que ce salut qu'ils pensaient perdre, s'ils
sacrifiaient, ils jugent qu'on le doive donner à ceux qui passent pour avoir sacrifié ?
Ils devraient, quand il s'agit des autres, appliquer la même règle qu'ils semblaient
s'être imposée. Dans cette affaire, ce qu'ils ont invoque comme leur étant favorable,
se retourne, nous le voyons, contre eux. Car, si les martyrs ont pensé que la paix devait
être donnée, pourquoi ne l'ont-ils pas donnée eux-mêmes ? pourquoi ont-ils pensé
qu'on devait réserver leur cas à l'examen de l'évêque, comme ils le disent eux-mêmes
? Celui qui ordonne de faire une chose peut, à coup sûr, faire lui-même ce qu'il
ordonne de faire. Mais comme nous le voyons bien, ou plutôt comme la chose le dit et le
crie d'elle-même, nos très saints martyrs ont cru devoir recourir à un tempérament qui
ménageât leur modestie et la vérité. Pressés par beaucoup de monde, ils ont renvoyé
à l'évêque, mettant ainsi leur modestie à couvert, tout en évitant d'être ennuyés
désormais; et en refusant de communiquer eux-mêmes avec les lapsi, ils ont montré
qu'ils entendaient faire garder fidèlement la pureté de la loi évangélique.
Que cependant, frère, votre charité ne cesse pas de soigner les âmes des lapsi, et de
donner le remède de la vérité à ceux qui sont dans l'erreur, bien que l'âme malade
repousse souvent les soins empressés du médecin. Elle est récente encore la blessure
des lapsi et leur plaie est encore tuméfiée. Aussi sommes-nous certains qu'avec le temps
cette ardeur se calmera, et qu'ils seront contents d'avoir été différés pour une cure
sérieuse, à condition qu'il n'y ait personne qui les arme pour leur propre péril, les
instruisant de travers, et au lieu du remède des délais salutaires, demandant pour eux
le poison fatal d'une réconciliation hâtive. Nous ne pouvons croire, en effet, que tous
auraient osé réclamer si impudemment la paix, s'il n'y avait eu des gens pour les y
pousser. Nous connaissons la foi de l'Église de Carthage, nous connaissons ses habitudes,
nous connaissons son humilité. C'est pour cela même que nous nous sommes étonnés de
soir certaines paroles dures lancées contre vous dans une lettre; nous avions souvent
constaté votre charité les uns pour les autres, dans des cas nombreux ou éclatait votre
affection réciproque. C'est donc l'heure pour eux de faire pénitence de leur faute,
d'éprouver le regret de leur chute, de se montrer réservés, de faire preuve
d'humilité, de modestie, d'appeler par leur soumission la Clémence divine, de faire
descendre sur eux la divine Miséricorde en rendant au pontife de Dieu les honneurs qui
lui sont dus. Leur lettre, en effet, eu été meilleure, si leur humilité avait aidé les
prières que faisaient pour eux les frères restés fidèles, car on obtient plus
facilement ce qu'on demande, quand celui pour qui on demande est digne d'obtenir ce qu'on
demande pour lui.
Pour ce qui regarde Privatus de Lambese (2); vous avez agi conformément à vos habitudes,
en nous signalant son cas comme méritant d'exciter nos alarmes. Il convient, en effet,
que nous veillions tous sur tout le corps, de l'Église, dont les membres sont dispersés
dans les différentes provinces. Mais nous aussi, avant même de recevoir votre lettre,
nous avions découvert la perfidie de cet habile homme. Quelqu'un de sa cohorte
perverse; son porte-enseigne Futurus, étant venu vers nous, et ayant cherche à obtenir
de nous une lettre par fraude, n'a pu ni cacher ce qu'il était, ni obtenir la lettre
qu'il voulait. Nous souhaitons que vous vous portiez toujours bien.
(1) La lettre 35 et celles dont elle parle.
(2) Cet évêque de Lambese, avait été condamne comme herétique par un concile
antérieur à saint Cyprien.
LETTRE 37
CYPRIEN AUX PRETRES MOIE ET MAXIME ET AUX AUTRES CONFESSEURS, SALUT
Vous avez été tous et chacun, nos très chers frères, présents à notre tendresse
dans la personne de Celerinus (3), le compagnon de votre foi et de votre courage, le
soldat de Dieu dans les glorieuses luttes. C'est vous tous que nous avons vus venir avec
lui, et quand il nous parlait avec tant de douceur, et si fréquemment, de votre affection
pour nous, c'est vous que nous croyions entendre. Grande et très grande est ma joie,
quand je reçois par de tels messagers de tels messages. Nous sommes en quelque façon en
prison là-bas avec vous, nous croyons ressentir l'honneur que vous fait la divine Bonté
tant nous vous sommes unis de coeur. Votre gloire est la nôtre, par la charité qui nous
tient si étroitement attachés; le lien de l'esprit ne permet pas que ceux qui s'aiment
soient séparés; nous sommes sous les verrous, vous par la confession, moi par
l'affection. Pensant à vous, et le jour et la nuit, nous demandons à Dieu, tant dans la
prière que nous faisons en commun au cours des sacrifices, que dans les prières privées
que nous Lui adressons chez nous, de vous protéger en tout et de vous donner la couronne
glorieuse. Mais nous sommes trop chétif pour vous payer entièrement de retour. Vous
donnez davantage, quand vous vous souvenez de nous dans vos oraisons, vous qui,
n'espérant bientôt plus que le ciel, et n'ayant plus que la pensée de Dieu, montez à
une gloire plus haute par les délais mêmes de votre martyre, le temps qui s'allonge ne
retardant pas votre gloire, mais l'augmentant. La première confession à elle seule fait
un bienheureux. Vous autres, vous renouvelez votre confession toutes les fois qu'invités
à sortir de prison, c'est la prison que votre foi et votre courage préfèrent. Autant
pour vous de titres de gloire que de jours; autant d'intervalles d'un mois, autant
d'accroissements de mérites. On ne vainc qu'une fois quand on est exécuté tout :
d'un coup; quand, au contraire, étant tous les jours au milieu des tourments, on lutte
contre la douleur sans se laisser vaincre, on est plusieurs fois couronné.
Viennent maintenant magistrats, consuls ou proconsuls, glorieux des insignes de leur
dignité qui dure un an, et des douze faisceaux : la dignité céleste qui est en
vous a brillé une année, et voici qu'elle dépasse, par la durée de sa gloire
victorieuse, le cycle annuel. Le monde était illuminé de l'éclat du soleil qui se lève
et de la lune en sa course : dans votre prison, celui-là qui a fait le soleil et la
lune vous était une plus grande lumière, et dans vos âmes et dans vos coeurs la Clarté
du Christ resplendissait, répandant à travers les ténèbres, redoutables et funèbres
pour d'autres, de ce lieu de peine, les rayons de sa lumière éternelle et splendide. Par
le cycle des mois l'hiver a passé : vous, dans votre prison, vous éprouvez, au lieu
de ses rigueurs, les rigueurs de la persécution. A l'hiver a succédé le printemps,
paré de roses et couronne de fleurs : roses et fleurs venaient à vous des jardins
du paradis, et c'étaient des guirlandes célestes qui entouraient votre tête. Voici
l'été charge de ses moissons et l'aire que les récoltes étaplissent : vous avez,
vous semé de la gloire, et c'est une moisson de gloire que vous récoltez; placés dans
l'aire du Seigneur, vous voyez la paille brûlée par le feu inextinguible, tandis que
vous-mêmes, semblables aux grains vannés d'un froment précieux, vous êtes conservés
après l'épreuve, et trouvez un grenier dans votre prison. Il n'y a pas jusqu'a l'automne
qui n'ait son temps dans l'ordre spirituel. On fait la vendange au dehors, et le raisin,
qui doit fournir les coupes de vin, est foulé sous les pressoirs; et vous, pareils à des
grappes chargées de fruits mûrs dans la vigne du Seigneur, foulés sous la violence de
la persécution séculière, vous avez, dans la prison où le pressoir vous écrase,
versé votre sang comme un vin qu'on exprime, et, courageux à endurer la souffrance, vous
videz de bon coeur la coupe du martyre. Ainsi pour des serviteurs de Dieu se déroule
l'année; ainsi le temps passe en une succession d'oeuvres saintes qui méritent les
récompenses célestes.
Heureux, certes, ceux d'entre vous qui, marchant par ce chemin de gloire, sont sortis du
monde, et ayant fourni leur parcours de courage et de foi se sont présentés déjà aux
Embrassements et aux Baisers du Seigneur, heureux de les accueillir. Mais votre gloire
n'est pas moindre à vous qui, encore dans la lutte et prêts seulement à suivre dans la
carrière vos glorieux compagnons, livrez une longue bataille, et fermes dans votre foi
immuable et inébranlable, donnez chaque jour à Dieu le spectacle de vos vertus. Plus
longue est votre lutte, plus belle votre couronne. La lutte est unique, mais fait d'un
grand nombre d'épreuves. Vous triomphez de la faim, vous méprisez la soif, et votre
énergie vous fait fouler aux pieds la tristesse de la prison, et l'horreur du lieu de
peine. Dans votre prison, la souffrance est domptée, la douleur écrasée, et la mort est
moins redoutée que souhaitée, ayant pour prix l'immortalité qui vaut plus que la vie
terrestre, et le vainqueur recevant en récompense une vie éternelle. Quelle âme est en
vous en ce moment, quel coeur élevé et large, où s'agitent de telles pensées, où l'on
ne songe qu'aux préceptes de Dieu, et aux récompenses du Christ. Il n'y a là de
volonté que celle de Dieu, et bien que vous soyez encore dans une chair mortelle, la vie
que vous menez n'est pas celle du siècle présent, mais celle du siècle à venir.
Il me reste, frères bienheureux, à vous prier de vous souvenir de moi, de vouloir bien,
au milieu de vos pensées grandes et divines, nous porter aussi dans votre coeur, et dans
votre esprit, et me faire une place dans vos prières et vos oraisons, lorsque votre voix,
qu'a purifiée une confession glorieuse, et dont les nobles accents se sont soutenus sans
défaillance, parvient aux Oreilles de Dieu, et passant de ce monde qu'elle a vaincu au
ciel qui lui est ouvert, obtient de la divine Bonté tout ce qu'elle sollicite. Que
demandez-vous, en effet, à la Bonté divine que vous ne méritiez d'obtenir, vous qui
avez si bien gardé les commandements du Seigneur, observé la discipline évangélique
avec l'énergie d'une foi sincère et conservé intact l'honneur de votre fidélité
courageuse. Même, en restant fermement attachés aux préceptes du Seigneur et à ses
apôtres, vous avez affermi la foi hésitante de plusieurs par votre martyre. Témoins
authentiques de l'évangile et authentiques martyrs du Christ, fixés sur ses racines,
appuyés fermement sur la pierre, vous avez joint la discipline au courage, vous avez
poussé les autres à la crainte de Dieu, et vos martyres ont été des exemples. Je
souhaite, très courageux et très heureux frères, que vous vous portiez toujours bien et
que vous vous souveniez de nous.
(3) Sur Celerinus, v. lettres 26 et 27
LETTRE 38
CYPRIEN AUX PRETRES ET AUX DIACRES, ET AUSSI A TOUT LE PEUPLE, SALUT
Pour les ordinations de clercs, frères très chers, nous avons l'habitude de vous
consulter d'avance et de peser avec vous les moeurs et les mérites de chacun. Mais il n'y
a pas lieu d'attendre les témoignages des hommes quand Dieu même a donné son suffrage.
Aurelius, notre frère, glorieux adolescent, agréable à notre Seigneur et cher à Dieu,
est encore jeune d'années, mais déjà âgé par le mérite de son courage et de sa foi,
petit par son âge, grand par l'honneur qu'il s'est acquis : deux fois il a lutté,
deux fois il a confessé le Christ, deux fois, par sa confession, il s'est couvert de
gloire, soit lorsqu'il a vaincu à la course en suivant le chemin de l'exil, soit
lorsqu'il a livré un plus rude combat et triomphé dans l'épreuve du martyre. Autant de
fois l'adversaire a voulu provoquer les serviteurs de Dieu, autant de fois, plein de
promptitude et de vaillance, il a combattu et vaincu. C'était peu pour lui, d'un
engagement sous les yeux de quelques personnes, quand il avait été banni : il a
mérité d'engager la lutte sur le forum même où le courage éclate davantage, et ainsi,
de vaincre après des fonctionnaires de second ordre, le proconsul lui-même, et de
surmonter les tortures après l'exil. Je ne sais ce que je dois louer en lui davantage, la
gloire du martyre ou l'honnêteté de la vie, l'éclat de son courage, ou l'admiration
qu'excite sa vertu. Il est, tout ensemble, si élevé par son mérite, si abaissé par son
humilité, que l'on voit bien que Dieu l'a réservé pour être un exemple dans l'Église,
pour montrer comment des serviteurs de Dieu triomphent par leur courage en le confessant,
et après l'avoir confessé, se distinguent par la sainteté de leur vie.
Un tel jeune homme méritait les degrés supérieurs de la cléricature, et une plus haute
promotion, sinon par ses années, du moins par son passé. Mais, en attendant, on a cru
bon de le faire commencer par l'office de lecteur. Il convient, en effet, à merveille à
une voix qui a confessé Dieu en une déclaration glorieuse de retentir dans la lecture
des Écritures divines. Après les paroles sublimes qui ont rendu au Christ un témoignage
fidèle, il convient au confesseur de lire l'évangile du Christ, et de venir à l'ambon
après le pilori. Il était exposé là a la vue de la foule des païens, il convient
qu'il le soit ici aux regards des frères; il s'est fait entendre là à l'étonnement de
la foule qui l'environnait, il est indiqué qu'il se fasse entendre ici à la joie de
l'assemblée des frères. Sachez donc, frères bien aimés, qu'il a été ordonné par moi
et par ceux de nos collègues qui étaient présents. Je sais que vous accueillez
volontiers une nouvelle de ce genre, et que vous souhaitez que l'on ordonne le plus
possible de clercs de cette qualité dans notre Église. Et, comme la joie est toujours
pressée et que l'allégresse ne supporte point de retard, il nous a fait la lecture au
jour du Seigneur, sans attendre davantage, c'est-a-dire qu'il nous a donné des présages
de paix en inaugurant ses lectures. Pour vous, priez beaucoup, et que vos prières
viennent au secours des nôtres, afin que Dieu, dans sa Miséricorde, rende bientôt a son
peuple et un évêque sain et sauf et avec l'évêque un martyr lecteur. Je souhaite,
frères très chers, que vous vous portiez toujours bien.
LETTRE 39
CYPRIEN A SES FRERES, LES PRETRES ET LES DIACRES, ET AU PEUPLE TOUT ENTIER, SALUT.
Il faut reconnaître et accueillir, mes bien chers frères, avec joie les bienfaits
divins par lesquels le Seigneur a daigné, de notre temps, honorer et glorifier son
Église, en rendant la liberté à de bons confesseurs, à des martyrs glorieux. De cette
façon, ceux qui avaient été par leur confession les nobles témoins du Christ ont pu
devenir ensuite, peur le clergé du Christ un ornement, en étant associés aux fonctions
ecclésiastiques. Réjouissez-vous donc, et unissez-vous à notre joie, en lisant cette
lettre, par laquelle mes collègues ici présents, et moi, vous faisons savoir que
Celerinus (4), notre frère, également glorieux par son courage et ses vertus, a été
adjoint à notre clergé, moins par le suffrage des hommes que par le jugement de Dieu.
Comme il hésitait à accepter, I'Église elle-même, dans une vision nocturne, l'a forcé
à ne pas opposer de refus à nos instances. Celle qui a plus de pouvoir l'a contraint. l
n'était pas juste, en effet, et il ne convenait pas que celui-là restât étranger aux
honneurs ecclésiastiques, que le Seigneur avait honoré d'une gloire céleste.
C'est lui qui a été le premier à livrer le combat de notre épreuve, lui qui a été,
parmi les soldats du Christ, le porte-enseigne, lui qui, au moment où la persécution
s'allumait, engageant la lutte contre celui qui en était l'auteur, a vaincu par son
énergie indomptable son adversaire, et ouvert ainsi aux autres, la route de la victoire.
Ce ne sont pas des blessures qui l'ont fait vainqueur en un moment, mais la souffrance a
duré pour lui, elle s'est longtemps attachée à lui, et c'est une merveille d'endurance
dans la lutte prolongée, qui l'a fait triomphateur. Dix-neuf jours durant, il a été en
prison dans les ceps et dans les fers. Mais si son corps était enchaîné, son esprit
était libre et sans entraves. Sa chair s'est émaciée à force d'avoir faim et
soif : son âme a vécu de foi et de courage, et Dieu l'a nourrie d'aliments
spirituels. Étendu sur le sol, et accablé de souffrances, il était plus fort que ses
souffrances mêmes; emprisonné, plus grand que ceux qui l'emprisonnaient; par terre, plus
haut que ceux qui étaient debout; enchaîné, plus ferme que ceux qui l'enchaînaient;
jugé, plus noble que ses juges. Ses pieds avaient beau être chargés d'entraves, le
serpent casqué a été écrasé et vaincu. Son corps glorieux brille des marques
éclatantes des blessures. On voit sur ses membres et sur son corps réduits par une
longue consomption, les traces des souffrances endurées. Elles sont grandes, elle sont
admirables, les choses que l'on pourrait raconter de son énergie et de son courage à la
communauté des frères. Et si quelqu'un se trouve, qui, semblable à Thomas, n'en veuille
pas croire ses oreilles, le témoignage des yeux est à sa disposition, et il peut voir ce
qu'il entend dire. Des blessures glorieuses ont donné la victoire au serviteur de Dieu,
et des cicatrices gardent le souvenir de sa gloire.
Et ces titres d'honneur ne sont pas pour notre cher Celerinus une gloire nouvelle et
inconnue. Il marche sur les traces des siens, il rejoint dans l'honneur que leur fait la
divine Bonté, ses parents et ses proches. Son aïeule Celerina a obtenu, il y a
longtemps, la couronne du martyre; ses oncles du côté paternel et maternel, Laurentius
et Egnatius, qui combattaient autrefois dans les camps du siècle, mais qui sont devenus
de vrais soldats de Dieu, en terrassant le diable par leur confession, ont mérité par un
glorieux martyre les palmes et les couronnes du Seigneur. Nous offrons, vous vous en
souvenez, des sacrifices en leur mémoire, toutes les fois que nous célébrons
l'anniversaire de leurs souffrances et leur jour de martyre. Il ne pouvait donc
dégénérer, ni se monter inférieur à ses ancêtres, celui qui, appartenant à une
famille considérée et connue pour ses sentiments généreux, trouvait de tels exemples
domestiques de courage et de foi. Dans le siècle, c'est un titre d'honneur que d'être de
race patricienne : combien n'est-il pas plus honorable de faire dire de soi qu'on est
de race noble dans la cité chrétienne. Je ne sais qui je dois proclamer plus heureux,
eux d'une postérité si illustre, ou bien lui d'une origine si glorieuse. Dans cette
famille, la divine Faveur se répand si également, que leur couronne à eux reçoit de la
noblesse de leur descendance un éclat nouveau, et que lui trouve dans l'élévation de
son origine un accroissement de gloire.
Venant à nous, nos très chers frères, avec de telles marques de la Bienveillance
divine, illustré par le témoignage d'admiration de celui-là même qui l'avait
persécuté, que pouvait-on faire que de le mettre à l'ambon, c'est-à-dire à la tribune
de la communauté chrétienne. Ainsi, mis en vue par l'élévation même de l'estrade
occupée, visible du peuple tout entier, comme il convient à ses mérites, il lira les
leçons et l'évangile du Seigneur, qu'il suit courageusement et fidèlement. Que la voix
qui a confessé le Seigneur se fasse entendre tous les jours, proclamant la parole du
Seigneur. Il n'y a sans doute des degrés plus hauts où l'on peut monter dans
l'Église : mais nulle part un confesseur ne peut être plus utile à ses frères,
qu'en leur fournissant à chacun l'occasion, en entendant lire de sa bouche le texte
évangélique, d'imiter la foi du lecteur. Il fallait le joindre à Aurelius (5), à qui
l'unit la communauté d'un honneur divin, à qui l'attachent tous les liens de la vertu.
Ils sont pareils tous les deux et semblables; autant leur gloire est haute, autant leur
humilité est profonde, autant la divine Bienveillance les met en avant, autant leur amour
du calme et leur simplicité les tient en arrière. Leurs actes vertueux, et leurs
dispositions intérieures sont également un exemple pour tous, et ils sont bons pour le
combat comme pour la paix, dignes d'éloges, là par leur énergie, ici par leur modestie.
Voilà les serviteurs que le Seigneur aime, les confesseurs dont il est fier; leur vie et
leurs actions font proclamer leur gloire tout en étant aux autres une leçon et un
enseignement. Le Christ a voulu qu'ils demeurassent longtemps dans l'Église, il les a
retirés du milieu de la mort, par une sorte de résurrection, pour que les frères, ne
voyant rien de plus élevé au point de vue de l'honneur, rien de plus abaissé par
l'humilité, toute la communauté se mette à leur suite, et marche comme eux. Sachez
cependant que nous ne les avons établis lecteurs qu'en attendant mieux. Il fallait mettre
la lumière sur le candélabre, pour qu'elle brillât à tous les regards, et placer en un
lieu élevé ces têtes glorieuses, afin qu'aperçues de tous, elles fussent un
encouragement aux luttes qui donnent la gloire. Mais nous les avons d'ailleurs désignés
pour l'honneur de la prêtrise : ils recevront la sportule comme les prêtres, et
auront part égale aux distributions mensuelles; ils siégeront avec nous plus tard quand
ils seront plus avancés en âge, bien que l'on ne doive nullement tenir pour moindre au
titre des années celui qui a consommé son âge par une gloire éminente. Je souhaite,
frères très chers et très regrettés, que vous vous portiez toujours bien
(4) Sur Celerinus, v. l.21,22 et 37
(5) Sur Aurelius, v. lettre 38

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