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LETTRE 40
CYPRIEN A SES FRERES TRES CHERS ET TRES REGRETTÉS LES PRETRES, LES DIACRES ET TOUT LE
PEUPLE, SALUT.
Je dois vous annoncer, mes très chers frères, une nouvelle qui est de nature à vous
donner de la joie à tous, et à procurer à notre Église la plus grande gloire. Apprenez
donc que nous avons été averti et chargé par la divine Bonté d'inscrire au nombre des
prêtres de Carthage le prêtre Numidicus, et de l'admettre à siéger avec nous parmi les
clercs, dans le rayonnement splendide de sa confession, et la gloire que lui ont donnée
son courage et sa foi. Il a exhorté une phalange glorieuse de martyrs qui sont partis
avant lui, tués à coup de pierres ou brûlés; et tandis que son épouse fidèle était
consumée, ou plutôt conservée, avec les autres, il la regardait avec joie au milieu des
flammes. Lui-même fut à demi-brûlé, lapidé, et laissé pour mort. C'est plus tard
seulement que sa fille, cherchant pieusement le cadavre de son père, le trouva respirant
à peine. Retiré du milieu des autres victimes, et ramené à la vie, il resta à regret
en arrière de ses compagnons qu'il avait envoyés au ciel avant lui-même. La raison en
fut, comme nous le voyons, que Dieu le voulait adjoindre à notre clergé, et donner à
notre groupe, désolé par la chute de certains prêtres, la parure de prêtres glorieux.
Il sera promu, quand Dieu le permettra, à une dignité plus haute, lorsque, avec la
grâce du Seigneur, nous serons présent. En attendant, accomplissons cc qui nous est
indiqué, recevons avec reconnaissance le présent que Dieu nous fait, espérant de la
Miséricorde divine un plus grand nombre d'avantages de ce genre, afin que, rendant la
vigueur à son Église, il donne à des prêtres si doux et si humbles l'occasion de
siéger avec nous. Je souhaite, frères très chers et très regrettés, que vous vous
portiez toujours bien.
LETTRE 41
CYPRIEN A CALDONIUS, ET HERCULANUS SES COLLEGUES, ET DE MEME A ROGATIANUS ET A
NUMIDICUS, SES FRERES DANS LE SACERDOCE, SALUT.
J'ai été vivement peiné, mes très chers frères, en recevant vos lettres. Alors que
j'ai toujours eu en vue et en tête le salut de toute la communauté, et la préservation
de tout le troupeau, comme la charité le demande, voilà que vous m'annoncez que
Felicissimus multiplie ses méfaits et ses perfides tentatives. Ainsi, outre ses fraudes
et ses rapines, dont j'avais beaucoup entendu parler depuis longtemps, il tente maintenant
de mettre en confit une partie du peuple avec l'évêque, c'est-à-dire de séparer les
brebis du pasteur, les enfants du père, et de disperser les membres du Christ. Je vous
avais envoyés comme mes représentants pour pourvoir aux besoins de nos frères avec nos
ressources, pour aider des secours nécessaires ceux qui voudraient exercer leur métier,
et, en même temps, pour étudier leur âge, leur condition, et savoir ce qu'ils valent,
tout comme moi, à qui ce soin incombe, je souhaite de connaître tout le monde, et de
promouvoir aux fonctions du ministère ecclésiastique tous ceux qui en sont dignes, qui
sont humbles et doux. Et le voilà qui s'oppose à ce qu'on secoure personne, et que vous
examiniez soigneusement ce que je désirais que vous examiniez, il va même jusqu'à user,
contre ceux de nos frères qui se sont présentés les premiers pour avoir des secours, de
procédés tyranniques et de moyens d'intimidation, déclarant que ceux qui nous auront
obéi ne seront point en communion avec lui sur la colline.
Après tout cela, sans égard pour mon rang, ni pour votre autorité et votre présence,
troublant par ses excitations le repos de nos frères, il s'en est allé avec un certain
nombre, se proclamant, dans sa fureur insensée, chef de groupe dissident. - Je me
réjouis d'ailleurs de ce que, dans cette aventure, un grand nombre de nos frères se sont
écartés de son entreprise audacieuse, et ont préféré être avec vous, rester avec
l'Église leur mère, et recevoir ses secours dispensés par l'évêque; je sais de
science certaine que les autres aussi agiront de même dans le sens de la paix, et
s'écarteront promptement d'une erreur téméraire. - En attendant, puisque Felicissimus a
déclaré que ceux-là ne seront pas en communion avec lui, sur la colline, qui nous
auront obéi, c'est-à-dire qui seront en communion avec nous, que la sentence portée par
lui lui soit appliquée, et qu'il sache qu'il est retranché de notre communion. Aussi
bien, aux fraudes et aux rapines, que nous avons constaté qu'il a commises, s'ajoute
encore un adultère, que des hommes sérieux d'entre nos frères nous ont annoncé avoir
découvert, et dont ils ont affirmé qu'ils feraient la preuve. Nous connaîtrons de tout
cela quand Dieu nous aura permis de nous réunir avec plusieurs de nos collègues. Il y a
encore Augendus qui, sans se soucier ni d'évêque, ni d'Église, s'est associé avec lui
dans les mêmes sentiments. S'il persévère avec Felicissimus, qu'il encoure la sentence
que s'est attirée ce brouillon téméraire. Mais, de plus, quiconque se joindra à ses
menées, à ses complots, qu'il sache bien qu'il cessera d'être en communion avec nous
dans l'Église, puisqu'il a voulu se séparer spontanément de l'Église. Lisez cette
lettre à nos frères et faites-la passer à Carthage au clergé en y ajoutant les noms de
ceux qui auront pu se joindre à Felicissimus. Je souhaite, frères très chers, que vous
vous portiez toujours bien.
LETTRE 42
CALDONIUS AVEC HERCULANUS ET VICTOR SES COLLEGUES, ET DE MEME AVEC ROGATIANUS ET
NUMIDICUS PRETRES, A CYPRIEN SALUT.
Nous avons retranché de notre communion Felicissimus et Augendus (1), et de même
Repostus qui était du nombre des bannis, et Irène de Rutile, et Paula, la couturière,
comme vous avez dû le savoir par ma note. De même, nous avons excommunié Sophronius, et
même parmi les bannis, Soliassus, le fabricant de nattes de laiche.
(1) Sur Felicissimus et Augendus, v. l. 41.
LETTRE 43
CYPRIEN A TOUT LE PEUPLE SALUT.
Virtius, le plus fidèle et le plus intègre des prêtres, et de même les prêtres
Rogatianus et Numidicus, à qui Dieu a accordé l'honneur de confesser son Nom, et de plus
les diacres, hommes excellents et dévoués absolument au bon service de l'Église, outre
leurs autres fonctions, nous servent encore d'intermédiaires auprès de vous, frères
très chers, avec un dévouement entier. Ils ne cessent, non seulement de soutenir tous
les courages par des exhortations constantes, mais encore d'amender et de diriger par des
conseils salutaires les sentiments des lapsi. Malgré cela, je vous donne des avis autant
que je le puis, et je vous visite par mes lettres. Je parle de lettres, frères très
chers. En effet, la malignité perfide de certains prêtres a réussi a m'ôter la
possibilité de vous arriver avant le jour de Pâques. Fidèles au souvenir de leurs
complots, et gardant leur hostilité venimeuse d'autrefois contre mon épiscopat, que
dis-je, contre votre suffrage et le jugement de Dieu, ils ont recommencé contre nous
leurs anciennes attaques, et leurs machinations sacrilèges, avec les embûches
ordinaires. A la vérité, la divine Providence, sans que nous l'ayons voulu ou souhaité,
ou plutôt alors que nous fermions les yeux et gardions le silence, leur fait subir le
châtiment qu'ils méritaient. Sans être excommuniés par vous, ils se sont excommuniés
spontanément; d'eux-mêmes ils ont prononcé leur arrêt suivant la conscience qu'ils
avaient de leur torts; conformément à votre suffrage qui était celui de Dieu, ces
conjurés criminels se sont, de leur propre mouvement, expulsés de l'Église.
On voit maintenant d'où venait le parti de Felicissimus, sur quelles racines, sur quelles
forces il s'appuyait. Ces gens-là, depuis longtemps, donnaient aux confesseurs des
exhortations et des conseils pour les empêcher de s'accorder avec leur évêque,
d'observer la discipline de l'Église avec foi et avec calme, de garder enfin la gloire de
leur confession par une vie intègre et sans tache. Mais c'eût été trop peu pour eux
d'avoir corrompu certains confesseurs, et cherché à élever contre l'épiscopat divin
une portion de la fraternité divisée: c'est a perdre les lapsi que s'applique maintenant
leur perfidie empoisonnée. Malades, blessés, comme ils sont, affaiblis par leur chute et
peu capables de prendre des partis courageux, on les empêche de soigner leurs blessures,
on leur fait interrompre les oraisons et les prières par lesquelles on doit s'efforcer de
donner au Seigneur une longue et constante satisfaction, et ainsi on les attire, par
l'appât trompeur d'une paix mensongère, dans le piège d'une funeste témérité.
Mais je vous prie, mes frères, ne vous endormez pas devant les embûches du démon, mais
toujours sur le qui-vive, montez une garde attentive pour vous préserver des surprises
d'une perfidie meurtrière. C'est ici une autre persécution, une autre épreuve; ces cinq
prêtres ne sont autres que les cinq personnages qui, jadis, s'unirent aux magistrats, en
signant un édit, pour ruiner notre foi et attirer dans des pièges funestes les coeurs
faibles de nos frères en leur faisant abandonner le chemin de la vérité. C'est le même
plain, le même système d'attaque que mettent en ce moment en oeuvre les cinq prêtres
unis à Felicissimus : empêcher qu'on ne prie Dieu, et que celui qui a renié le Christ
ne tâche d'apaiser le même Christ qu'il a renié; après la faute enlever aussi la
pénitence, et le moyen de satisfaire au Seigneur par le ministère des évêques et des
pontifes du Seigneur; faire, au contraire, déserter les pontifes du Seigneur et dresser
une pratique sacrilège en face de la discipline évangélique. Il a été décidé, tant
par nous-même que par les confesseurs et clercs de la ville, par tous les évêques
résidant soit dans la province, soit au delà de la mer de ne rien régler de nouveau
dans l'affaire des lapsi avant que nous ayons pu nous réunir, mettre en commun nos
lumières, porter une sentence qui concilie la discipline et la miséricorde. Et les
voici, qui se mettent en révolte contre nos mesures et s'efforcent de ruiner par leur
complots toute l'activité, toute la puissance de l'épiscopat.
Quelle n'est point ma peine, frères très chers, de ne pouvoir en ce moment, aller à
vous, aborder en personne chacun de vous, en personne vous exhorter conformément aux
enseignements du Seigneur et de son évangile. Il ne suffisait donc pas de cet exil de
bientôt deux ans, qui me tient éloigné de vos visages et de vos yeux, de ces regrets
constants et ces gémissement que m'arrache sans cesse la solitude qui me prive de vous,
de ces larmes qui coulent jour et nuit, parce que l'évêque que vous avez élu avec tant
d'amour et tant d'ardeur n'a point encore le bonheur de pouvoir vous saluer, de pouvoir
vous serrer dans ses bras ! A l'amertume où se fond notre coeur, s'ajoute encore un motif
de chagrin plus grave: c'est de ne pouvoir, au milieu de telles inquiétudes et de tels
embarras, vous aller trouver en personne, à cause des menées et des embûches qui nous
font craindre de donner, en rentrant, le signal d'une aggravation du désordre, et de nous
exposer, alors que l'évêque doit travailler en tout au bien de la paix et de la
tranquillité publique, à paraître fournir nous-même un aliment au tumulte, rendant
ainsi la persécution plus violente. D'ici, cependant mes très chers frères, d'ici je
vous avertis, et vous conseille de ne point croire à la légère des voix funestes, de ne
point applaudir avec une facilité trop grande à des paroles trompeuses, de ne point
prendre pour la lumière les ténèbres, pour le jour la nuit, pour nourriture ce qui
affame, pour boisson ce qui altère, un poison pour un remède, la mort pour la vie. Ne
vous en laissez pas imposer par l'âge ou par l'autorité de gens qui reproduisent
l'antique perversité des deux vieillards d'autrefois. De même que ces vieillards
essayèrent de corrompre et d'outrager la chaste Suzanne, ils essaient, par des
enseignements adultères, de corrompre la pureté, et d'outrager la vérité de
l'évangile.
Dieu nous dit et nous crie : "N'écoutez pas les discours des pseudo-prophètes, que
leurs visions abusent. Ils parlent, mais ils ne sont pas les hérauts du Seigneur. Ils
disent à ceux qui rejettent la parole du Seigneur : "La paix sera avec vous".
Ceux-là maintenant offrent la paix, qui ne l'ont pas, et l'on voit se faire forts de
ramener à l'Église les lapsi ceux-là même qui se sont éloignés de l'Église. Il n'y
a qu'un Dieu, qu'un Christ, qu'une Église, qu'une chaire que la parole du Seigneur a
établie sur Pierre comme fondement. Un autre autel ne peut être érigé, un autre
sacerdoce ne peut être institué, en dehors de cet unique autel, de cet unique sacerdoce.
Quiconque amasse ailleurs, dissipe. Adultère, impie, sacrilège, tout ce qu'un égarement
humain établit en violation des dispositions divines. Éloignez-vous du commerce de ces
hommes et fuyez leur conversation comme on cherche à éviter, en s'écartant, le chancre
ou la peste. Le Seigneur nous avertit quand Il dit : a"Ce sont des aveugles qui
conduisent des aveugles : or, quand un aveugle conduit un aveugle, ils tombent tous les
deux dans le fossé". (Mt 15,14). Ils s'opposent à ces prières que vous répandez
avec nous jour et nuit devant Dieu, pour Lui offrir une juste satisfaction qui L'apaise,
ils s'opposent aux larmes par lesquelles vous effacez la dette de vos fautes, ils
s'opposent à la paix que vous sollicitez, avec sincérité et fidélité, de la
Miséricorde du Seigneur. Ils ne savent pas qu'il est écrit : "Celui-là est-il
prophète ou songeur, qui a parlé de manière à vous écarter du Seigneur votre Dieu
?"(Dt 13,5). Que personne, mes frères, ne vous écarte des voies du Seigneur. Que
personne n'enlève à l'évangile du Christ des chrétiens comme vous, que personne ne
prenne à l'Église des fils de l'Église, que ceux-là seuls périssent qui ont voulu
périr, et que hors de l'Église demeurent seuls ceux qui se sont éloignés de l'Église;
que ceux-là seuls ne soient point avec les évêques, que les évêques ont vus se
révolter contre eux, et qu'ils soient seuls à subir la peine de leurs complots ceux qui,
jadis d'après votre suffrage, maintenant d'après le jugement de Dieu, ont mérité
d'être condamnés pour leurs complots et leur malice.
Le Seigneur nous instruit dans son évangile, en disant : "Vous rejetez le
commandement de Dieu pour établir votre tradition". (Mc 7,9). Ceux qui rejettent le
commandement de Dieu et s'efforcent d'établir leur propre tradition, repoussez-les
courageusement et énergiquement. Qu'une chute suffise aux lapsi Que personne ne fasse
tomber, par ses embûches, ceux qui veulent se relever; ceux qui sont à terre, pour qui
nous prions afin que le Bras de Dieu les relève, que personne ne les abatte, ni ne les
enfonce davantage; que personne n'enlève tout espoir de salut à des gens qui sont morts
à demi, et qui demandent à vivre comme auparavant; devant les yeux de malheureux
marchant à tâtons dans les ténèbres, où les a jetés leur apostasie, que personne
n'éteigne les derniers rayons de la lumière qui les peut sauver. L'Apôtre nous instruit
: "Si quelqu'un, dit-il, vous enseigne autre chose, et ne se conforme pas aux
salutaires instructions de notre Seigneur Jésus Christ et à son enseignement, dans un
aveuglement d'orgueil, éloignez-vous de lui". Il dit encore : "Que personne ne
vous séduise par de vaines paroles. C'est pour cela que la Colère de Dieu s'appesantit
sur des fils rebelles. N'ayez rien de commun avec eux". Il n'y a pas lieu de vous
laisser séduire par leurs vaines paroles et de partager leur perversité. Éloignez-vous
de telles gens et suivez nos conseils, à nous qui chaque jour répandons pour vous des
prières devant le Seigneur, qui souhaitons que la divine Clémence vous rappelle à
l'Église, qui demandons au Seigneur la pleine paix d'abord pour la mère, ensuite pour
les fils. A nos prières et à nos supplications, joignez vos supplications et vos
prières, à nos pleurs mêlez vos larmes. Gardez-vous des loups qui séparent les brebis
du pasteur; gardez-vous de la langue empoisonnée du démon, qui trompeuse et menteuse
dès l'origine, ment pour tromper, flatte pour nuire, promet du bien pour faire du mal,
annonce la vie pour donner la mort. Maintenant encore ses paroles se découvrent et ses
poisons se peuvent reconnaître : c'est la paix qu'il annonce afin qu'on ne puisse arriver
à la paix, c'est le salut qu'il fait espérer afin que celui qui a péché ne puisse
obtenir le salut, c'est l'Église qu'il promet alors qu'il travaille à écarter à tout
jamais de l'Église celui qui le croit.
Ce qu'il faut maintenant, mes très chers frères, c'est tout à la fois que vous, qui
êtes restés debout, vous persévériez courageusement dans votre attitude, et qu'après
l'avoir prise si glorieusement dans la persécution vous l'affermissiez par une constance
inébranlable; c'est que vous qui, circonvenus par l'adversaire, êtes tombés, vous
avisiez dans cette seconde épreuve à ne point compromettre la paix que vous espérez, et
restiez, pour que le Seigneur vous pardonne, avec les pontifes du Seigneur. Il est écrit
: "L'homme qui aura agi avec superbe et refusé d'obeïr au pontife ou au juge alors
en fonction, cet homme sera mis à mort". (Dt 17,12). Dans la présente persécution
ceci est le dernier et suprême effort tenté contre nous; il passera lui aussi, de sorte
que je serai parmi vous après Pâques avec mes collègues. Avec eux, avec vous aussi, et
d'un commun accord, comme cela a toujours été mon dessein, nous pourrons disposer et
régler ce qui est à faire. Mais si quelqu'un refusant de se convertir et de satisfaire
à Dieu passe au camp de Felicissimus et de ses satellites et se joint à la faction
hérétique, qu'il sache qu'il ne pourra plus après cela revenir à l'Église et être en
communion avec les évêques et le peuple de Jésus Christ. Je souhaite, mes très chers
frères, que vous vous portiez toujours bien, et que vous ne cessiez de prier avec nous
pour obtenir la Miséricorde divine.
LETTRE 44
CYPRIEN A CORNEILLE SON FRERE, SALUT.
Il nous est arrivé, frère très cher, des envoyés de Novatien : le prêtre Maximus,
le diacre Augendus, un certain Machaeus, et Longinus. Mais en apprenant par la lettre dont
ils étaient porteurs et par la confirmation orale qu'ils nous en donnaient, que Novatien
avait été fait évêque de Rome, indignés de cette ordination illégitime et
pernicieuse à l'Église catholique, nous avons estimé devoir les tenir tout d'abord à
l'écart de notre communion. Après avoir réfuté, en attendant, et repoussé les
allégations qu'ils essayaient avec une opiniâtreté obstinée de soutenir, nous avons
voulu attendre, moi et les nombreux évêques venus auprès de moi, l'arrivée de nos
collègues Caldonius et Fortunatus, que nous avions délégués vers vous et vers les
évêques présents à votre ordination. Leur témoignage à leur retour nous apportant la
vérité des faits, nous aurions ainsi une autorité plus grande, et grâce à eux des
preuves évidentes pour confondre la perfidie de la partie adverse. Mais sur ces
entrefaites arrivèrent nos collègues Pompeius et Stephanus qui, eux aussi, avec leur
gravité et leur bonne foi, nous ont fourni des renseignements et des témoignages
décisifs, de sorte qu'il n'a même pas été nécessaire d'entendre plus longuement les
envoyés de Novatien.
Dans l'assemblée (2), ils se répandaient encore en paroles malveillantes, en clameurs
violentes, et demandaient que les accusations qu'ils disaient apporter et pouvoir prouver
fussent examinées publiquement par nous. Nous avons déclaré qu'il ne convenait pas à
notre dignité de livrer aux discussions et aux malins propos de l'envie l'honneur d'un
collègue déjà élu, ordonné, approuvé par le suffrage favorable d'un grand nombre.
Quant a la façon dont on les a réfutés, accablés et convaincus d'avoir sans justes
raisons entrepris de faire un schisme, il serait trop long de le mettre dans une lettre.
Primititus, notre collègue dans l'épiscopat, vous expliquera tout en détail quand il
sera arrivé auprès de vous.
Mais leur égarement et leur audace ne devaient point avoir de terme. Ici même ils
redoublent d'efforts pour tirer au parti du schisme les membres du Christ, et déchirer,
mettre en morceaux le corps de l'Église catholique; c'est à ce point qu'ils vont de
porte en porte, ou de localité en localité, recruter des complices dé leur révolte et
de leur égarement de schismatiques. Nous leur avons une fois répondu. Nous ne cessons
d'ailleurs de leur faire dire d'abandonner des dissensions et des luttes funestes, de se
bien représenter que c'est une chose impie que d'abandonner sa mère; nous les invitons
à reconnaître que, quand un évêque a été élu et approuvé par le témoignage et le
jugement de ses collègues et du peuple, on ne peut aucunement en nommer un autre. Par
conséquent, s'ils veulent prendre leur parti en gens de paix et de foi, s'ils prétendent
être les défenseurs de l'évangile et du Christ, qu'ils commencent par revenir à
l'Église. Je souhaite, frère très cher, que vous vous portiez toujours bien.
(2) L'assemblée où les fidèles restaient debout (stabant) s'appelait statio. Elle se
tenait près de l'autel. Les évêques y assistaient assis, comme on le voit l. 45,2
LETTRE 45
CYPRIEN A CORNEILLE SON FRERE, SALUT.
Ainsi qu'il convenait à des serviteurs de Dieu et sur tout à des évêques amis de la
justice et de la paix, nous avions, frère très cher, envoyé jadis vers vous nos
collègues Caldonius et Fortunatus. De cette façon, en même temps que notre lettre
agirait sur les esprits, eux-mêmes étant sur place, et avisant avec vous tous, feraient
tous leurs efforts pour rapprocher les membres du corps déchiré dans l'unité de
l'Église catholique, et renouer le lien de la charité chrétienne. Mais le parti
adverse, avec un entêtement obstiné et inflexible, a non seulement refusé de se
rattacher à sa racine et de revenir sur le sein et dans les bras de sa mère; il en est
même venu, dans une recrudescence d'esprit de discorde, jusqu'à se donner un évêque
(3), jusqu'à élever en dehors de l'Église et en face d'elle une tête adultère, contre
la discipline divinement instituée et contre l'unité catholique. Alors, ayant reçu
votre lettre et celle de nos collègues et entendant à leur retour de Rome ces gens de
bien, très chers à notre coeur, nos collègues Pompeius et Stephanus, qui nous en
confirmaient toutes les nouvelles à notre grande joie à tous, et en fournissaient les
preuves, nous avons fait ce que réclamait la vérité et la sainteté de la tradition
divine et de la discipline ecclésiastique, et nous vous avons envoyé notre lettre. Mais
de plus, en portant ces faits a la connaissance de chacun de nos collègues dans notre
province, nous leur avons fait dire d'envoyer eux aussi des frères avec des lettres.
Notre sentiment d'ailleurs et nos intentions avaient été manifestés ici à nos frères
et à tout le peuple au moment où, recevant des lettres des deux partis, c'était votre
lettre que nous avions lue, et votre ordination épiscopale que nous avions notifiée et
fait connaître à tous. Soucieux en même temps de l'honneur commun et de la
considération due à la dignité et à la sainteté de l'épiscopat, nous avons rejeté
avec mépris ce que la partie adverse avait entassé dans un libelle d'accusations
diffamatoires, considérant tout à la fois et pesant ce qu'une assemblée si nombreuse et
si religieuse de frères, où les évêques de Dieu siègent ensemble, et où s'élève
l'autel, permettait et de lire et d'entendre. Il ne faut pas en effet produire ni publier
sans prudence et à l'aventure des choses qui, écrites avec un poinçon de discorde,
pourraient scandaliser un auditoire, et jeter le trouble et l'incertitude dans les esprits
des frères qui habitent au loin par delà la mer. Qu'ils s'arrangent, c'est leur affaire,
ceux qui, esclaves de leur fureur ou de leur passion, et oublieux de la loi divine et de
la sainteté, éprouvent le besoin de répandre toujours dans le public des accusations
qu'ils ne peuvent prouver, et qui, lorsqu'ils ne réussissent pas à détruire et à
renverser une réputation d'innocence, se contentent de répandre contre elle des bruits
mensongers et de fausses rumeurs pour la salir : à nous, les chefs et les évêques, il
convient de donner nos soins à faire repousser de telles insinuations, quand certaines
personnes les écrivent. Que deviendrait sans cela ce qu'on nous enseigne, ce que nous
enseignons nous-même, comme parole de l'Écriture : "Tiens ta langue è l'écart du
mal, et que tes lèvres ne disent point de fourberie". (Ps 33,14). Et de même en un
autre endroit : "Ta bouche était pleine de malice et ta langue tressait des pièges.
Tu t'asseyais pour parler contre ton frère, et tu élevais des accusations scandaleuses
contre le fils de ta mère",(Ps 49,19,20) ou encore ce mot de l'Apôtre : "Ne
laissez jamais sortir de votre bouche de mauvaises paroles, mais de bonnes, afin
d'édifier et de rendre service à ceux qui vous entendent". (Ep 4,29). Or nous
montrerions que tout cela est à faire si, quand des écrits calomnieux ont été
rédigées à la légère, nous les laissions lire en notre présence. C'est pourquoi,
frère très cher, ayant reçu des écrits de cette nature dirigés contre vous, et venant
d'un prêtre siégeant avec vous, nous avons fait lire au clergé et au peuple ceux qui
rendaient le son de la simplicité chrétienne et ne faisaient pas entendre les aboiements
de la médisance et de l'injure.
En désirant d'ailleurs avoir le témoignage écrit de nos collègues qui avaient assisté
à votre ordination, nous n'avons pas oublié les anciens usages (4) pour chercher du
nouveau : il suffisait qu'une lettre de vous nous apprît que vous étiez évêque, s'il
n'avait existé en face de nous un parti contraire qui, par ses inventions et ses
accusations calomnieuses, troublait l'esprit et inquiétait l'âme d'un grand nombre de
nos collègues et de nos frères. Pour calmer l'agitation, nous avons estimé nécessaire
de nous faire écrire de chez vous par nos collègues et de nous procurer ainsi
l'autorité de renseignements sûrs et indiscutables. Ceux-ci, en vous rendant dans leurs
lettres le témoignage convenable au point de vue de la vie, des moeurs et de la
discipline, ont enlevé aux envieux mêmes, et à tous ceux qui se plaisent dans la
nouveauté ou le mal, tout prétexte à chicane et à discussion. Et ainsi encore,
conformément à notre avis rendu après avoir bien réfléchi et tout pesé, les esprits
de nos frères qui étaient flottants au milieu de cette agitation, ont approuvé
sincèrement et fermement votre élection à l'épiscopat. C'est à cela, en effet,
frère, que nous tendons et que nous devons tendre : faire régner autant que nous le
pouvons cette unité que le Seigneur nous a transmise par ses apôtres, et dans la mesure
de nos forces, rassembler dans l'Église, les brebis bêlantes et errantes que l'esprit de
parti opiniâtre de quelques-uns et leurs avances hérétiques tendent à séparer de leur
mère; ceux-la seuls resteront dehors que leur obstination ou leur égarement a portés à
s'abstenir et à refuser de revenir à nous. Ils auront à rendre compte a Dieu de la
séparation et de l'isolement où ils se sont mis, et de l'abandon de l'Église.
Pour ce qui concerne le sacerdoce de certains, et l'affaire de Felicissimus, nos
collègues ont voulu vous faire savoir ce qui s'est passé ici, et vous ont envoyé des
lettres signées de leur main au sujet de ces personnages. Quel a été, après les avoir
entendus, leur sentiment et leur décision, leurs lettres vous l'apprendront. Il serait
encore mieux de votre part, frère, de faire lire les lettres concernant le même
Felicissimus et son sacerdoce, que j'ai écrites au clergé et aux fidèles, et que tout
dernièrement, en raison de nos rapports d'amitié, je vous ai envoyées pour lecture par
l'intermédiaire de nos collègues Caldonius et Fortunatus. Elles retraceront l'ordre et
la suite de toute cette affaire; et de cette manière tant chez vous que chez nous, la
fraternité sera informée. Je vous envoie encore maintenant des copies des mêmes lettres
par le sous-diacre Mettius, et par l'acolyte Nicephorus. Je souhaite, frère très cher,
que vous vous portiez toujours bien.
(3) Novatien.
(4) Il s'agit ici de l'usage (mos), marque par les mots suivants d'aviser d'une élection
par une lettre.

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