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LETTRE 75

FIRMILIEN (1) A CYPRIEN, SON FRERE, SALUT DANS LE SEIGNEUR

Rogatianus, notre très cher diacre, que vous nous avez dépêche, nous a remis votre lettre, frère très cher, et nous avons rendu à Dieu de grandes actions de grâces de ce que, étant séparés de corps, nous soyons aussi unis d'esprit que si nous habitions, je ne dis pas un même pays, mais une seule et même maison. C'est d'ailleurs ce que nous pouvons dire, puisque la demeure spirituelle de Dieu est une : "Dans les derniers jours, dit-il, la montagne du Seigneur sera en vue, et la maison de Dieu au sommet des montagnes". (Is 2,2). Ceux qui viennent dans cette maison sont heureux de s'y réunir, selon la prière qui est faite au Seigneur dans le psaume d'habiter dans la maison de Dieu tous les jours de sa vie. Aussi, voit-on en un autre endroit que les saints aiment beaucoup à se réunir : "Qu'il est bon, dit-il, et agréable à des frères d'habiter ensemble". (Ps 122,1).
Ce n'est pas en effet seulement aux hommes qui croient et connaissent la vérité, que l'union, la paix et la concorde font le plus grand plaisir, mais aux anges du ciel eux-mêmes, pour qui la divine parole proclame qu'il y a de la joie quand un pécheur se repent et revient l'unité. Ce qui à coup sûr ne serait pas dit des anges qui habitent le ciel, si eux aussi ne nous étaient unis, et ne se réjouissaient de notre unité. Inversement ils sont contristés quand ils voient les divergences de sentiments les oppositions de volontés de certaines personnes, pour qui c'est comme s'ils n'invoquaient pas un seul et même Dieu, mais étaient séparés et divisés au point de ne pouvoir plus causer et converser ensemble. Peut-être cependant pouvons-nous rendre grâce à Étienne de ce que son incivilité nous a donné l'occasion de connaître votre foi et votre sagesse. Mais si, à cause d'Étienne, nous avons eu l'avantage d'un si grand bien, il n'en ressort pas qu'Étienne ait bien agi ni mérité des actions de grâces : pas plus que la perfidie de Judas et sa trahison scélérate ne peuvent le faire considérer comme la cause de ce grand bienfait de la rédemption du monde et des nations par la passion du Seigneur.
Mais laissons là, pour le moment, les procédés d'Étienne, de peur qu'en rappelant le souvenir de son audace et de son insolence, ses méfaits ne nous causent une tristesse trop durable. Pour ce qui vous concerne, nous avons éprouvé une grande joie, en apprenant ce que, conformément aux vrais principes et à la sagesse du Christ, vous aviez décidé au sujet de la question présente, et nous avons rendu grâces à Dieu, d'avoir trouvé chez des frères si éloignés de nous une telle communauté de foi et d'attachement à la vérité. La grâce de Dieu sait rapprocher et nouer du lien de la charité et de l'unité ceux que semblent séparer de trop grandes distances : c'est ainsi qu'autrefois, malgré l'intervalle de temps qui les séparait, Job et Noé, qui avaient vécu les premiers, et Ézéchiel et Daniel qui vinrent plus tard, furent si bien rapprochés par la divine Puissance, et amenés si bien à l'unité des pensées, que malgré la différence des temps ils n'avaient plus qu'une même inspiration. C'est ce que nous voyons chez vous. Séparés de nous par les plus grandes distances, vous montrez que vous nous êtes attachés d'esprit et de sentiment. Tout cela est un effet de la divine Unité, car Dieu, qui habite en nous, étant un et indivisible, unit partout les siens et, les assemble par le lien de l'unité. Voilà comment s'est répandue par toute la terre la voix de ceux qui ont été envoyés par Dieu, et courent animés par l'esprit d'unité. En revanche il ne sert à rien à quelques-uns d'être voisins et proches de corps, s'ils sont distants d'esprit et d'âme, car les âmes ne peuvent être unies qui se sont séparées de l'Unité divine : "Voici, dit le psalmiste, que ceux qui s'éloignent de Toi périront." Mais ceux-là seront jugés par le Seigneur selon leur mérite, car ils s'éloignent des sentiments de Celui qui parle à son Père en faveur de la paix et le prie, en disant : "Mon Père, fais que, comme Toi et Moi nous sommes un, de même ils soient un en Nous".
Pour nous, nous avons accueilli ce que vous nous avez écrit comme si nous l'avions écrit nous-mêmes, et nous ne l'avons pas lu en courant, mais nous en avons répété la lecture afin de le retenir ! Il n'y a point de mal d'ailleurs à redire les mêmes choses pour confirmer la vérité, ou à en ajouter d'autres pour un surcroît de démonstration. Si nous ajoutons quelque chose, ce n'est pas que vous n'en ayez dit assez, mais la parole divine dépasse la nature humaine, et un seul esprit ne peut tout embrasser dans la perfection. C'est pourquoi, il y a un si grand nombre de prophètes, afin que la Sagesse divine, qui est multiple, ait de multiples canaux pour se distribuer. De là vient qu'il est recommandé au premier prophète qui parle, de se taire s'il y en a un autre ayant reçu une révélation. Par la même raison, il est nécessaire que chaque année nous ayons une assemblée de prêtres et d'évêques pour aviser aux affaires commises à nos soins, afin que les questions importantes soient réglées d'un commun accord, que ceux de nos frères, qui sont tombés, et qui, après le bain du salut, ont été blessés par le diable, trouvent dans la pénitence un moyen de guérison, non pas comme s'ils recevaient de nous la rémission de leurs fautes, mais pour que par nous ils en viennent à comprendre leur culpabilité et soient amenés à donner au Seigneur une satisfaction plénière.
Or, comme votre envoyé avait hâte de retourner, et que l'hiver approchait, nous avons répondu à votre lettre comme nous avons pu. Et d'abord, en ce qui concerne l'affirmation d'Étienne, d'après laquelle les Apôtres auraient interdit de baptiser ceux qui viennent de l'hérésie, et auraient ainsi inauguré une pratique qui s'imposerait à ceux qui viendraient après eux, vous avez parfaitement répondu que personne ne serait assez insensé pour croire qu'une telle tradition nous ait été laissÉe par les Apôtres, puisqu'il est constant que les hérésies les plus exécrables n'ont existé que plus tard. On trouve en effet que c'est longtemps après les Apôtres et les temps apostoliques, que Marcion (2), disciple de Cerdon, a introduit sa tradition sacrilège, et qu'Apelle a adhéré à son impiété, en y ajoutant beaucoup de graves nouveautés, contraires à la vérité et à la foi. On connaît aussi le temps où ont paru Valentin et Basilides, (3) et qu'ils n'ont élevé leurs mensonges criminels contre l'Église de Dieu, que depuis les apôtres et longtemps après. Il est manifeste encore que les autres sectes hérétiques n'ont paru et répandu leurs inventions perverses que plus tard, au hasard des erreurs qui les ont successivement séduits. Il est clair que tous ceux-là sont condamnés de par eux-mêmes, et que, sans attendre le jour du jugement, ils ont prononcé contre eux-mêmes une sentence inévitable. Dés lors, approuver leur baptême, qu'est-ce autre chose, que de se faire juger avec eux, et de prononcer soi-même, en se faisant leur complice, sa propre condamnation ?
Que les gens de Rome n'observent pas en tout la tradition originelle, et allèguent en vain l'autorité des apôtres, c'est ce que l'on peut constater. On aperçoit chez eux des divergences au sujet des jours de la Pâque (4), et en maint autre point de religion, et on n'observe pas chez eux exactement ce qu'on observe à Jérusalem, tout comme dans la masse des autres provinces beaucoup de choses varient avec la diversité des lieux et des personnes, sans que pour cela on se soit jamais éloigné de la paix et de l'unité de l'Église catholique. C'est pourtant ce qu'Étienne vient d'oser faire, rompant vis-à-vis de nous la paix que ses prédécesseurs ont toujours gardée avec nous dans de mutuels sentiments d'amitié et des égards réciproques, et de plus faisant tort aux bienheureux apôtres Pierre et Paul, en leur attribuant cette tradition, alors que dans leurs Épîtres ils ont maudit les hérétiques, et nous ont recommandé de les éviter. Par où l'on voit que cette tradition est humaine, qui soutient les hérétiques et leur attribue un baptême qui n'appartient qu'à l'Église.
Vous avez aussi fort bien répondu à ce passage de la lettre où il dit "que les hérétiques eux-mêmes s'accordent pour le baptême" et que "d'une secte à l'autre ils ne baptisent point ceux qui viennent à eux mais les admettent simplement à leur communion" : comme si nous devions faire de même. Sur ce point, bien que vous ayez déjà montré qu'il est passablement ridicule de suivvre ceux qui se sont égarés, nous ajouterons par surcroît qu'il n'est point étonnant que les hérétiques agissent de cette manière. Divisés sur certaines questions secondaires, ils s'accordent cependant sur le point principal : ils blasphèment le Créateur, ils se forgent je ne sais quels songes, quel fantôme de Dieu inconnu. Dès lors il est naturel qu'ils s'accordent pour admettre un faux baptême comme ils s'accordent pour rejeter le Dieu véritable. Il serait long de répondre en détail à leurs scélératesses ou à leurs puérilités. Il suffira de remarquer d'un mot que ceux qui n'ont pas la vérité sur Dieu le Père ne peuvent l'avoir sur Dieu le Fils ni sur le saint Esprit, tout comme ceux que l'on appelle Cataphrygiens, et qui essaient d'introduire des prophéties nouvelles, ne peuvent avoir ni le Père ni le Fils, ou le saint Esprit. En effet, si on leur demande quel Christ ils annoncent, ils répondront qu'ils annoncent celui qui a envoyé l'Esprit, qui a parlé par la bouche de Montan et de Prisca, et comme nous voyons qu'il n'y avait en ceux-ci qu'un esprit d'erreur et non de vérité, nous en concluons que ceux qui se réclament de leur fausse prophétie contre la foi du Christ, ne peuvent avoir le Christ. Mais de plus les autres hérétiques, du moment qu'ils ont rompu avec l'Église de Dieu, ne peuvent avoir ni pouvoir ni grâce puisque tout pouvoir et toute grâce est dans l'Église, où président les anciens, qui ont pouvoir de baptiser et d'imposer la main et d'ordonner. L'hérétique au contraire, de même qu'il ne peut ordonner, ni imposer la main, ne peut non plus baptiser, ni exercer aucune action sanctifiante et spirituelle, puisqu'il est étranger à la sainteté spirituelle et sanctifiante. C'est ce que, il y a longtemps, dans une assemblée tenue à Iconium (5), en Phrygie, et où se trouvaient des évêques venus de Galatie et de Cilicie, et des autres provinces voisines, nous avons résolu de soutenir énergiquement et de faire prévaloir contre les hérétiques, levant ainsi le doute où étaient quelques-uns à ce sujet.
Puisque Étienne, et ceux qui partagent son sentiment, prétendent que la rémission des péchés et la seconde naissance peuvent avoir lieu dans les sectes, où ils avouent eux-mêmes que l'Esprit saint n'est pas, qu'ils veuillent bien réfléchir, et comprendre qu'il ne peut y avoir de naissance spirituelle sans l'Esprit. Le bienheureux apôtre Paul baptisa de nouveau, du baptême de l'Esprit, ceux qui avaient été baptisés par Jean, avant que le Seigneur eut envoyé l'Esprit saint, et leur imposa les mains pour leur faire recevoir le saint Esprit. Étrange aberration, quand nous voyons que Paul, après le baptême de Jean, a de nouveau baptisé ses disciples, que d'hésiter à baptiser ceux qui viennent à l'église du milieu des hérétiques, après leur ablution illégitime et profane ! Mais sans doute que nos évêques d'aujourd'hui sont plus grands que Paul ! Ils peuvent donner le saint Esprit aux hérétiques, qui viennent à eux, par la seule imposition des mains. Paul, lui, n'était pas capable de donner par la seule imposition de la main le saint Esprit à ceux qui avaient été baptisés par Jean, s'il ne les avait auparavant baptisés du baptême de l'Église !
Il est absurde aussi de penser, comme ils font, qu'il n'y a pas à savoir quel est celui qui a baptisé, parce que celui qui a été baptisé a pu recevoir la grâce par l'invocation de la Trinité des Noms du Père, du Fils et du saint Esprit. Ainsi, la sagesse que Paul attribue à ceux qui sont parfaits, ce serait que celui qui est parfait et sage dans l'Église soutienne, ou croie, que cette seule invocation des noms suffit pour la rémission des péchés et la sanctification baptismale. En réalité, ces effets se produisent uniquement quand celui qui baptise a l'Esprit saint, et le baptême lui-même n'existe pas sans l'Esprit. Mais ils disent que celui qui est baptisé de quelque manière que ce soit hors de l'Église, peut obtenir par ses dispositions intérieures et par sa foi la grâce que donne le baptême, ce qui est encore simplement ridicule. Comme si des dispositions perverses pouvaient attirer la grâce qui sanctifie les justes, ou une foi fausse, la vérité qui fait les fidèles ! Il n'est pas vrai que tous ceux qui invoquent le Nom du Christ soient exaucés, et que leur invocation puisse toujours obtenir quelque grâce. Le Seigneur le fait connaître Lui-même quand il dit : "Beaucoup viendront en mon Nom disant : Je suis le Christ, et ils en séduiront un grand nombre". (Mc 13,6). Enfin il n'y a aucune différence entre -un pseudo-prophète et un hérétique. L'un trompe par le Nom de Dieu et du Christ, l'autre par le sacrement du baptême. L'un comme l'autre s'appuie sur le mensonge pour surprendre les hommes.
Je veux vous conter une histoire, qui s'est passée parmi nous, et qui se rapporte à notre sujet. Il y a environ vingt-deux ans, dans le temps qui suivit le règne de l'empereur Alexandre (6), beaucoup d'épreuves et de fléaux affligèrent tout le monde, et les chrétiens en particulier. Des tremblements de terre en grand nombre et à de courts intervalles, renversèrent bien des édifices dans la Cappadoce et le Pont; des villes même s'abîmèrent englouties dans des crevasses du sol. De là contre nous une persécution violente, qui s'élevant tout à coup après une longue période de paix, surprit nos fidèles déshabitués de telles épreuves, et fut d'autant plus terrible et plus troublante pour eux. Serenianus était alors gouverneur de notre province - un persécuteur acharné et cruel. Nos fidèles étaient donc au milieu de cette agitation; ils fuyaient la persécution, s'en allaient çà et là et abandonnaient leur patrie pour passer dans d'autres régions, (on pouvait le faire parce que la persécution ne sévissait pas dans le monde entier, mais n'était que locale). Tout à coup une femme parut, qui avait des extases et se donnait comme prophétesse, agissant comme sous l'inspiration du saint Esprit. Si puissante sur elle était l'action des principaux démons que longtemps elle troubla et dupa nos frères, faisant des choses étonnantes et merveilleuses; elle promettait même de faire trembler la terre. Non que le démon ait le pouvoir de faire trembler la terre, ou de bouleverser les éléments, mais ce malin esprit, prévoyant qu'un tremblement de terre allait avoir lieu, feignait qu'il allait faire ce qu'il prévoyait devoir arriver. Par ces mensonges, et ces vanteries, il s'était rendu maître des esprits de certaines personnes, qui lui obéissaient et le suivaient où qu'il les voulût conduire. Grâce à lui, au milieu des rigueurs d'un rude hiver, cette femme s'en allait nu-pieds dans la neige sans en souffrir ni se ressentir de ces courses. Il disait aussi qu'il allait retourner en Judée et à Jérusalem, et feignait d'en être venu. Il réussit à séduire un prêtre du pays, et un diacre, et à les pousser à avoir de coupables relations avec la prophétesse. C'est ce que l'on découvrit peu après. Car soudain se dressa devant lui un exorciste, homme de vertu éprouvée, et d'une vie sans défaillance au point de vue de la discipline religieuse. Encouragé par les exhortations de plusieurs frères vaillants eux-mêmes et d'une foi digne d'éloges, il se leva contre cet esprit malin, pour le confondre. Celui-ci d'ailleurs, par un artifice fort adroit, avait prédit l'événement un peu auparavant, et dit que quelqu'un viendrait qui lui serait contraire et l'éprouverait, un infidèle. Malgré cela l'exorciste, aidé de la grâce de Dieu, lutta courageusement, et montra que l'esprit qui passait pour saint était un esprit très mauvais. Or, cette femme, entre autres choses qu'elle faisait grâce aux prestiges et aux artifices du démon pour séduire les fidèles, osa fréquemment (et par là elle en séduisit plusieurs) feindre de sanctifier le pain avec l'invocation redoutable, de faire l'eucharistie et d'offrir à Dieu le sacrifice, non sans employer la formule ordinaire des paroles rituelles. Elle baptisa aussi plusieurs personnes, avec la formule usitée et authentique de l'interrogation, de telle façon qu'elle ne semblait s'écarter en rien de la règle de l'Église.
Que dirons nous donc de ce baptême où le plus perfide des démons baptisait par l'intermédiaire d'une femme ? Est-ce qu'Étienne et ses adhérents l'approuvent aussi ? Car il n'y manquait ni symbole trinitaire, ni interrogation régulière et conforme à la pratique de l'Église ? Peut-on croire que la rémission des fautes ait été conférée, la régénération du bain salutaire régulièrement produite, lorsque tout s'est fait à la ressemblance du vrai baptême, mais par le démon ? A moins que ceux qui défendent les hérétiques ne soutiennent que le démon lui-même a donné la grâce du baptême au Nom du Père, du Fils et du saint Esprit. Chez les hérétiques, il est vrai, on trouve les mêmes apparences trompeuses, la même duperie diabolique, car le saint Esprit n'y est nullement.
Quelle étrange prétention encore de la part d'Étienne de vouloir que le Christ soit présent avec sa Sainteté en ceux qui sont baptisés chez les hérétiques. Si en effet l'Apôtre ne ment pas quand il dit : "Vous tous qui avez été baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ", (Gal 3,27) à coup sûr celui qui a été baptisé dans le Christ chez eux a revêtu le Christ. Mais s'il a revêtu le Christ, il a pu recevoir aussi le saint Esprit, que le Christ a envoyé, et c'est inutilement que quand il vient à nous on lui impose la main pour qu'il reçoive le saint Esprit : à moins qu'ils ne séparent l'Esprit d'avec le Christ, de telle façon que le Christ soit chez les hérétiques, sans que le saint Esprit y soit !
Passons brièvement en revue les autres points dont vous avez traité copieusement et pleinement, d'autant plus que Rogatianus, notre cher diacre, a hâte de retourner vers vous. Il reste à demander à ceux qui défendent les hérétiques, si leur baptême est charnel ou spirituel. En effet s'il est charnel, il ne diffère en rien du baptême des Juifs. Or, ceux-ci n'en usent que comme d'un bain banal et profane pour se purifier et se nettoyer. S'il est spirituel, comment le baptême peut-il être spirituel chez des gens chez qui l'Esprit n'est pas ? Ainsi l'eau où ils se lavent n'est qu'un bain seulement, non un sacrement de baptême.
Que si le baptême des hérétiques peut donner une seconde naissance, ceux qui sont baptisés chez eux ne doivent pas être regardés comme des hérétiques, mais comme des enfants de Dieu. En effet la seconde naissance, qui est l'effet du baptême, fait naître des enfants de Dieu. Or si l'épouse du Christ, qui est l'Église catholique est une, c'est elle qui donne des enfants à Dieu. Il n'y a pas en effet plusieurs épouses du Christ, car l'Apôtre dit : "Je vous ai fiancés à un époux unique pour vous présenter au Christ comme une vierge pure." (2 Cor 11,2). Et : "Écoute, ma fille, regarde et prête l'oreille, et oublie ton peuple, car le roi est épris de ta beauté", (Ps 44,11) et : "Viens, ô mon épouse, du Liban, tu viendras et tu passeras, venant du sommet de la Fidélité", (Can 4,8) et : "Je suis entré dans mon jardin, ô ma soeur, ma fiancée". (Can 5,2). Nous voyons qu'il n'est jamais question que d'une personne, parce qu'il n'y a non plus qu'une épouse. Or la synagogue des hérétiques n'est pas une avec nous parce que l'adultère, la prostituée, n'est pas une épouse. Par conséquent, elle ne peut pas donner des enfants à Dieu. Mais peut-être que selon le jugement d'Étienne, l'hérésie enfante et expose ses enfants, l'Église les recueille, les nourrit comme siens sans les avoir enfantés. Mais une mère ne peut pas être la mère des enfants d'une autrui et le Christ notre Seigneur, montrant que son épouse est une, proclame le mystère de son unité, et dit : "Celui qui n'est pas avec Moi est contre Moi, et celui qui n'assemble pas avec Moi, dissipe." (Lc 11,23). Si donc il est vrai que le Christ est avec nous, et que les hérétiques ne sont pas avec nous, ils sont certainement contre le Christ, et si nous assemblons avec le Christ, et que les hérétiques n'assemblent pas avec nous, sans aucun doute, ils dissipent.
Nous ne devons pas non plus omettre ce que vous avez justement dit : que l'Église selon le Cantique des Cantiques est un jardin fermé et une fontaine scellée, un paradis avec des arbres fruitiers. Dés lors ceux qui ne sont jamais entrés dans ce jardin, et n'ont pas vu le paradis (8) planté par Dieu, comment pourront ils puiser à la fontaine qui est scellée et marquée du sceau divin, et donner à qui que ce soit l'eau vive du bain salutaire ? L'arche de Noé n'était non plus qu'une figure de l'Église, elle qui sauva ceux qu'elle portait, tandis que tout le monde périssait au dehors, nous montrant ainsi clairement l'unité de l'Église. Pierre l'explique en disant : "Ainsi nous serons sauvés par le baptême." (1 Pi 3,21). Il montre par ces paroles que, comme ceux qui n'étaient pas avec Noé dans l'arche non seulement ne furent pas purifiés et sauvés par l'eau, mais périrent aussitôt dans le déluge, de même maintenant ceux qui ne sont pas dans l'Église avec le Christ périront, à moins qu'ils ne recourent, en faisant pénitence d'abord, au bain unique et salutaire qui est dans l'Église.
Quel n'est pas d'autre part l'aveuglement de celui qui dit que la rémission des péchés peut être donnée dans les synagogues des hérétiques, et qui ne s'attache pas au fondement de l'unique Église, établie par le Christ ? On peut s'en rendre compte, en remarquant que c'est à Pierre seul que le Christ a dit : "Ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans le ciel et ce que tu auras délié sur la terre, sera délié dans le ciel". (Mt 16,19). Et encore dans l'Évangile c'est sur les apôtres seuls que le Christ souffle en disant : "Recevez le saint Esprit. Si vous remettez les péchés à quelqu'un, ils lui seront remis, et si vous les retenez, ils seront retenus". (Jn 20,22-23). Donc le pouvoir de remettre les péchés a été donne aux apôtres, aux Églises qu'ont établies ces envoyés du Christ, et aux évêques qui ont été ordonnés pour être leurs successeurs. Après cela, les ennemis de l'Église catholique une, dans laquelle nous somMes, les adversaires des successeurs des Apôtres que nous sommes, que font-ils autre chose, en soutenant contre nous des sacerdoces illégitimes et des autels profanes que d'imiter Coré, Dathan et Abiron, sacrilèges au même titre, destinés à subir la même peine, avec leurs adhérents, tout comme les partisans et les fauteurs de leurs patrons périrent de la même mort ?
Et ici une juste indignation s'empare de moi devant l'évidente et manifeste folie d'Étienne. Ne le voit-on pas, lui, si fier du rang de son siège épiscopal, lui qui revendique l'honneur d'être le successeur de Pierre, sur qui ont été établis les fondements de l'Église, introduire beaucoup d'autres pierres, et beaucoup de nouvelles Églises, en prêtant au baptême qui se donne chez les hérétiques l'appui de son autorité ? Ce sont les baptisés, incontestablement qui remplissent les cadres de l'Église. Celui donc qui approuve leur baptême, admet aussi qu'il y a la une Église composée de ces baptisés. Et il ne s'aperçoit pas qu'on obscurcit, qu'on anéantit en quelque sorte la vérité de la pierre chrétienne, en trahissant ainsi et en abandonnant l'unité. Les Juifs, bien qu'aveuglés, et charges du plus grand des forfaits, ont cependant, au témoignage de l'apôtre, le zèle de la gloire de Dieu. Étienne, qui se vante de succéder à Pierre et d'occuper sa chaire, n'est animé d'aucun zèle contre les hérétiques, puisqu'il leur accorde au point de vue de la grâce, non un petit, mais un grand pouvoir. Il dit en effet, il soutient que, par le sacrement de baptême, ils effacent les souillures du vieil homme, relèvent des anciens péchés et de la mort, donnent par une nouvelle et divine régénération des enfants à Dieu, et par la sanctification du bain céleste rendent apte à la vie éternelle. En accordant ainsi aux hérétiques ces grands, ces divins privilèges de l'Église, que fait-il autre chose que d'être en communion avec ceux pour qui il réclame de telles grâces ? C'est bien en vain qu'il hésite à être aussi leur partisan et leur adhérent pour le reste, à prendre part à leurs assemblées, à mêler ses prières aux leurs, à n'avoir qu'un même autel avec eux et un même sacrifice.
Mais, dit-il, il y a grand avantage pour la foi et la sanctification au Nom du Christ, à ce que quiconque est baptisé, où que ce soit, au Nom du Christ, reçoive aussitôt la grâce du Christ. Comme s'il n'était pas aisé de répondre à ce point de sa lettre, et de dire que si le baptême au Nom du Christ a été efficace hors de l'Église pour purifier un homme, l'imposition des mains au Nom du même Christ a pu l'être de même pour donner le saint Esprit. Et alors les autres pratiques des hérétiques paraîtront justes et légitimes, puisqu'elles se font au Nom du Christ : au lieu que, comme vous l'avez montré dans votre lettre, le Nom du Christ n'a d'efficacité que dans l'unique Église, à qui seule le Christ a accordé le pouvoir de dispenser la grâce divine.
Pour répondre à ce qu'ils disent de la coutume, qu'ils semblent opposer à la vérité, qui donc serait assez dépourvu de sens pour faire passer la vérité après la coutume, qui donc, ayant aperçu la lumière, n'abandonnerait pas les ténèbres ? A moins que ce ne soit pour les Juifs un bien d'être restés attachés à leur ancienne coutume, lorsque le Christ, c'est-à-dire la vérité, est venu, et d'avoir laissé là le chemin nouveau de la vérité pour s'en tenir à l'antique tradition ! Sur ce point, vous autres, Africains, vous pouvez dire contre Étienne, qu'après avoir connu la vérité vous avez abandonné l'erreur de la coutume. Quant à nous, tout à la fois et nous joignons la vérité à la coutume, et à la coutume des Romains nous opposons une coutume, mais la coutume de la vérité, observant fidèlement depuis l'origine la tradition que nous ont laissée le Christ et les apôtres. Nous n'avons pas d'ailleurs souvenance que cela ait commencé un jour chez nous, car, ici, nous avons toujours eu pour maxime de ne reconnaître qu'une Église de Dieu, et de n'admettre comme saint que le baptême de la sainte Église. Seulement, comme quelques-uns avaient des doutes au sujet du baptême de ceux qui, tout en recevant de nouveaux prophètes, semblent cependant reconnaître le même Père et le même Fils que nous, nous nous sommes assemblés en grand nombre à Iconium, nous y avons étudié attentivement la question, et maintenu la répudiation de tout baptême qui se ferait hors de l'Église.
Ce qu'ils allèguent en faveur des hérétiques, que a de quelque manière que l'on procède, soit avec des arrière-pensées, soit sincèrement, le Christ est annoncé, est sans à propos, car il est manifeste que l'Apôtre dans la lettre où il s'exprime ainsi, ne parle ni des hérétiques, ni de leur baptême. Il visait seulement des fidèles, qui annonçaient l'évangile, soit d'une façon perfide à son égard, soit en persévérant vis-à-vis de lui dans la sincérité des sentiments. Il n'est d'ailleurs pas besoin d'en discuter longuement; il suffit de lire la lettre même, et de vérifier ce que l'Apôtre a dit, dans le texte même de l'Apôtre.
Mais, disent-ils, quel sera le sort de ceux qui, venant de l'hérésie à l'Église, y ont été admis sans recevoir le baptême ? S'ils sont sortis de ce monde, ils sont au nombre des catéchumènes morts avant d'avoir été baptisés. Délivrés de l'erreur, ils ont reçu, avec la vérité et la foi où ils se sont instruits un avantage modeste, mais non à dédaigner, encore que la mort, venant trop tôt, les ait empêchés d'avoir la consommation de la grâce. Quant à ceux qui sont encore en ce monde, qu'ils soient baptisés du baptême de l'Église, afin de pouvoir recevoir la rémission de leurs fautes, sans que la présomption d'autres personnes les fasse demeurer dans leur erreur, et mourir sans la consommation de la grâce. Aussi bien, quelle n'est pas la faute de ceux qui sont admis, et de ceux qui les admettent, quand, sans avoir déposé leurs souillures, ni quitté leurs péchés dans le bain de l'Église, ils usent témérairement de la communion et touchent le Corps et le Sang du Seigneur, alors qu'il est écrit : "Celui qui mangera le pain, ou boira le calice du Seigneur indignement, aura à répondre du Corps et du Sang du Seigneur." (1 Cor 11,27).
Quant à ceux qui avaient été baptisés par des évêques venant de l'Église catholique, mais s'arrogeant encore après en être sortis le droit d'ordination, nous avons jugé qu'il convenait de les tenir aussi pour non baptisés. Et cette pratique a cours chez nous, que ceux qui nous viennent après avoir reçu leur bain sont traités comme des étrangers et comme des gens qui n'ont rien reçu; pour cette raison, ils reçoivent chez nous l'unique et vrai baptême de l'Église catholique, afin de recevoir la régénération du bain de vie. Pourtant, il y a une grande différence entre celui qui, par faiblesse, a succombé à la persécution, et celui qui, par une volonté sacrilège, se met audacieusement en révolte contre l'Église, ou prononce des blasphèmes contre le Père et le Dieu du Christ, et le Créateur de l'univers. Et Étienne n'a pas honte d'aller jusqu'à dire que la rémission de péchés peut être donnée par des gens qui sont eux-mêmes coupables de tous les péchés, comme si l'on pouvait trouver le bain du salut dans la maison de la mort !
Que deviendra alors la parole de l'Écriture :
"Abstenez-vous d'une eau étrangère; à une fontaine étrangère ne buvez pas", (Pro 9,18), si, laissant là la fontaine scellée de l'Église. vous prenez une eau étrangère au lieu de celle qui est votre et souillez l'Église de fontaines profanes ? Car, lorsque vous admettez le baptême des hérétiques, que faites-vous autre chose que de boire à leur cloaque, à leur bourbier, et de vous souiller au contact d'impuretés étrangères, après avoir été purifié des vôtres par la vertu sanctifiante que possède l'Église ? Et vous ne craignez pas le jugement de Dieu en rendant témoignage aux hérétiques contre l'Église ? Il est écrit en effet : "Le faux témoin ne demeurera pas impuni". (Pro 19,5). Que dis-je ? Vous êtes pire que tous les hérétiques, Car, alors que parmi eux plusieurs, reconnaissant leur erreur, viennent vers vous pour recevoir la lumière de l'Église, vous, vous favorisez leurs erreurs, et, en obscurcissant la vérité que possède l'Église, vous augmentez les ténèbres de la nuit hérétique. Alors qu'ils reconnaissent être dans le péché et n'avoir point la grâce, et que c'est pour cela qu'ils viennent à l'Église, vous, vous leur ôtez la rémission des péchés, en disant qu'ils sont baptisés et ont obtenu la grâce hors de l'Église. Vous ne voyez pas qu'au jour du jugement, on vous demandera compte de leurs âmes, vous qui, lorsqu'ils avaient soif, leur avez refusé ce que l'Église donne à boire, et qui, lorsqu'ils demandaient à vivre, avez causé leur mort. Et après cela vous vous mettez en colère.
Voyez quelle est votre maladresse d'oser reprendre ceux qui luttent contre le mensonge pour la vérité. Quel est en effet celui qui aurait le plus raison de se mettre en colère ? Celui qui défend les ennemis de Dieu ou celui qui, contre les ennemis de Dieu, se fait le champion de la vérité et de l'Église ? Mais il est connu que les maladroits sont en même temps colères et emportés, parce que, étant incapables de réfléchir et de répondre, ils s'irritent facilement, de sorte qu'il n'y a personne plus que vous à qui s'applique le mot de l'Écriture  : "L'homme emporte provoque des querelles, et l'homme irascible commet de grandes fautes". (Pro 29,22). Quelles querelles et quelles dissensions vous avez provoquées dans les Églises du monde entier ! quelle grave faute vous avez commise quand vous vous êtes retranché de tant de troupeaux du Christ ! car vous vous êtes retranché vous-même, ne vous y trompez pas, s'il est vrai que le schismatique véritable est celui qui se met hors de la communion et de l'unité de l'Église. Vous avez pensé pouvoir excommunier tout le monde, et c'est vous seul que vous avez excommunié. Et vous n'avez pas su vous conformer à la règle de l'unité et de la paix que prescrivent les recommandations de l'Apôtre, quand il dit : "Je vous supplie donc, moi qui suis le prisonnier du Seigneur, de vous comporter d'une façon digne de votre vocation, en toute humilité et douceur, vous supportant patiemment les uns les autres par charité, vous appliquant à garder l'unité de l'esprit avec le lien de la paix. Un seul corps et un seul esprit, comme il n'y aqu'une même espérance, à laquelle vous êtes appelés de par votre vocation, un Dieu, une foi, un baptême, un seul Dieu Père de tous, qui est au-dessus de tous, au milieu de tous, en tous." (Ep 4,1-6).
Ces recommandations, ces avis de l'Apôtre. avec quel zèle, Étienne les a suivis, pratiquant avant tout l'humilité et la douceur. La belle marque en effet de douceur et d'humilité que d'être entré en dissentiment avec tant d'évêques dans le monde entier, d'avoir rompu le lien de la paix avec chacun pour des griefs divers, tantôt avec les Orientaux comme nous (vous le savez aussi sans doute), tantôt avec les Méridionaux comme vous. Il a reçu les évêques qu'on lui avait envoyés, avec tant de patience et de douceur qu'il ne leur a pas seulement accordé un entretien, mais, de plus, fidèle au devoir de l'affection et de la charité, il a défendu a tous les frères de les recevoir chez eux ! De sorte qu'à leur arrivée on leur a refusé non seulement la paix et la communion, mais même le vivre et le couvert ! C'est garder fidèlement l'union de l'esprit avec le lien de la paix que de se retrancher de l'union par la charité de se faire étranger en tout par rapport à ses frères et de s'élever par une fureur de discorde contre l'engagement sacré et le lien de la paix : Peut-il s'attacher à l'unité de corps et d'esprit, celui en qui il n'y a peut-être pas unité d'âme, tant il est fuyant, mobile et instable. Mais laissons sa personne. Examinons plutôt la chose qui est en question. Ceux qui soutiennent que l'on doit admettre tels quels, comme ayant reçu la grâce du baptême, ceux qui ont été baptisés par les hérétiques ! disent que le baptême est unique entre nous et eux, et qu'il n'y a aucune différence. Mais que dit au contraire l'apôtre Paul ? "Un Seigneur, une foi, un baptême, un Dieu". (Ep 4,5). Si le baptême des hérétiques ne fait qu'un avec le notre leur foi aussi est une avec la nôtre. S'il n'y a entre eux et nous qu'une foi, il n'y a qu'un Seigneur. S'il n'y a qu'un Seigneur, il faut dire en conséquence qu'il n'y a qu'un Dieu. Mais si cette unité, qui ne peut se diviser, est aussi chez les hérétiques, pourquoi discuter davantage ? Pourquoi les appeler hérétiques, et non pas plutôt chrétiens ? Mais en réalité comme nous n'avons avec les hérétiques ni un même Dieu, ni un même Seigneur, ni une même Église, ni une même foi, ni un même Esprit et un même corps, il est évident que nous ne pouvons avoir avec les hérétiques un commun baptême, puisque nous n'avons avec eux rien de commun. Étienne cependant n'a pas honte de patronner ces gens-là, de diviser les frères pour prendre le parti des hérétiques, et même d'appeler Cyprien un faux Christ, un faux apôtre, et un ouvrier perfide. Ayant conscience d'être tout cela lui-même il a pris les devants et fait à un autre, mensongèrement, les reproches qu'il aurait dû lui même entendre.
Nous souhaitons tous, de tout notre coeur, que vous, vous portiez bien, ainsi que tous les évêques, tous les clercs et tous les frères, qui sont en Afrique : afin que toujours nous vous ayons avec nous, dans l'unité de sentiments communs, malgré les distances qui nous séparent.
(1) Firmilien, évêque de Césarée en Cappadoce.
(2) Marcion était né en effet vers le commencement du IIe siècle. Ses erreurs ont été combattues par Tertullien dans l'Adversus Marcionem. Cerdon est peu connu.
(3) Valentin vivait à Rome au temps du pape Hygin, vers 140; Basilides paraît être mort vers 130.
(4) A Rome et en Occident, on célébrait la Pâque le dimanche qui suit le 14 jour de la lune de mars; en Orient, on la célébrait le 14e jour même.
(5) Ce concile avait eu lieu comme celui de Carthage, pour le même objet, vers 220. On a va plus haut que la tradition s'était établie en Orient comme en Afrique de tenir des conciles ou synodes annuels.
(6) Il s'agit d'Alexandre Sévère, après la mort duquel (235) s'éleva la persécution de Maximin. (Cf. Eusèbe. H. E. VI, 28).
(8) On sait que le mot paradis vient d'un mot persan signifiant jardin.


LETTRE 76

CYPRIEN A NEMESIANUS, FÉLIX, LUCIUS, UN AUTRE FÉLIX, LITTEUS, POLIANUS, VICTOR, JADER, DATIVUS, SES COLLEGUES DANS L'ÉPISCOPAT, ET DE MÊME A SES COLLEGUES DANS LE SACERDOCE, ET AUX DIACRES, ET AUX AUTRES FRERES QUI SONT DANS LA MINE, MARTYRS DE DIEU LE PERE TOUT-PUISSANT, ET DE JÉSUS CHRIST NOTRE SEIGNEUR ET DIEU SAUVEUR, ÉTERNEL SALUT !

La gloire que vous avez acquise, très heureux et très chers frères, m'aurait fait un devoir d'aller en personne vous voir et vous embrasser, si la confession du Nom du Christ ne m'avait fait reléguer moi-même dans une retraite d'exil (9) (96) Saint Cyprien est alors en exil à Curubis., d'où je ne puis sortir. Mais je suis avec vous autant qu'il est en mon pouvoir et s'il ne m'est pas possible de me rendre près de vous corporellement, du moins, d'esprit et de coeur, je me rends au milieu de vous. Cette lettre vous montrera que j'ai le coeur plein de joie à cause de votre courage et de votre gloire, et que, si mon corps ne souffre pas avec vous, je partage votre sort et ne fais qu'un avec vous par l'affection qui nous unit. Pourrais-je donc me taire et retenir mes paroles, lorsque j'apprends à votre sujet tant et de si glorieux exploits, dont Dieu a daigné vous honorer ? Parmi vous, les uns ont déjà consommé leur martyre; ils sont partis les premiers recevoir du Seigneur la couronne due à leurs mérites; les autres, encore entre les murs des prisons, ou dans les mines et les fers, fournissent aux frères, pour les encourager et les armer, de plus grands exemples. A mesure que leur supplice est différé davantage, ils voient augmenter leurs titres à la rémunération avec le délai apporté à leur martyre, car ils recevront, à la distribution des célestes récompenses, autant de parts que leurs épreuves auront duré de jours ? Que les choses se passent ainsi, frères très vaillants et très heureux, et que le Seigneur ait daigné vous honorer et vous élever au faîte de la gloire, je n'en suis pas surpris, en considérant votre piété et votre foi. Vous avez toujours dans son Église fait paraître une foi vigoureuse et ferme, fidèles à observer les préceptes du Seigneur, l'innocence dans la simplicité, la paix dans la charité, dans l'humilité la modestie, le zèle dans le service. Vous vous êtes montrés vigilants à aider ceux qui sont dans une situation critique, miséricordieux à secourir les pauvres, fermes à défendre la vérité, stricts à observer l'austérité de la discipline. De plus, pour que rien ne manque à la beauté de vos exemples, maintenant même que votre bouche confesse le Christ et que votre corps souffre pour lui, vous excitez les âmes de nos frères aux divins martyres, en leur montrant le chemin du courage : ainsi, tandis que le troupeau suit ses pasteurs, et imite ce qu'il voit faire par ses chefs, il se prépare par des mérites semblables à recevoir de Dieu la même couronne.
Avant d'être dans la mine, vous avez été cruellement bâtonnés, et c'est par là que vous avez inauguré votre confession : ce n'est pas là pour nous chose que nous devions déplorer. Le bâton n'a pas fait peur au chrétien, dont tout l'espoir est dans le bois. Le serviteur du Christ y a reconnu le mystérieux instrument de son salut; racheté par le bois pour la vie éternelle, c'est par le bois qu'il s'est avancé sur le chemin de la couronne. Qu'y a-t-il d'étonnant, d'autre part à ce qu'étant des vases d'or et d'argent, vous ayez été mis dans la mine, c'est-à-dire dans le lieu de l'or et de l'argent, si ce n'est que par là les mines ont changé de nature, que les lieux qui d'ordinaire fournissaient de l'or et de l'argent se sont trouvés en recevoir ? Ils ont mis aussi des entraves à vos pieds, et enchaîné de liens infâmes vos membres heureux, demeure divine : comme si avec le corps on enchaînait l'esprit, comme si le contact du fer pouvait souiller l'éclat de l'or ! Pour des hommes consacrés à Dieu, et qui affirment leur foi avec un religieux courage, ces liens, ces entraves, ne sont plus des liens, mais des ornements; ils ne déshonorent point les pieds qu'ils attachent, mais les glorifient et les parent. O bienheureuses entraves, qui ne sont pas brisées par le forgerons, mais par le Seigneur ! O bienheureuses entraves, qui laissent aller tout droit par le bon chemin vers le paradis ! O liens chéris, qui n'attachent un moment dans monde que pour rendre éternellement libre dans l'autre, près de Dieu ! O liens, traverses bénies, puisque les pieds dont vous rendez pour un moment la démarche incertaine vont bientôt courir vers le Christ par un chemin de gloire. Qu'une cruauté envieuse ou maligne vous enfermaient qu'elle voudra dans ses noeuds et dans ses liens : bientôt délivrés de ces souffrances de la terre, vous arriverez au royaume des cieux. Le corps dans les mines n'a point pour se reposer la douceur d'un lit garni, mais le Christ Lui est un délassement et un repos. C'est sur la dure que s'étendent les membres fatigués, mais cela n'est plus que peine, quand on s'y étend avec le Christ. Les bains y manquent et la propreté du corps, mais si la chair y garde ses souillures au dehors, l'esprit est purifié intérieurement. Le pain n'y est donné qu'en petite quantité, mais l'homme ne vit pas seulement de pain, il vit aussi de al parole de Dieu. On y a froid, on y manque de vêtements, mais celui qui a revêtu le Christ est abondamment vêtu et paré. Sur les têtes tondues à demi les cheveux se hérissent en désordre, mais, puisque le Christ est la tête de l'homme, tout sied bien à une tête que la confession du Christ a rendue illustre. Toute cette laideur, qui paraît détestable et affreuse aux gentils, de quelle splendeur ne sera-t-elle point suivie et récompensée ! En échange de cette peine temporelle et brève, quel éclat éternel de gloire, quand le Seigneur, selon la parole du bienheureux Apôtre, aura reformé notre misérable corps sur le modèle de son Corps glorieux !
Ne croyez point non plus, frères très chers, souffrir dans votre foi ou dans votre piété, parce que les prêtres de Dieu n'ont pas la possibilité d'y célébrer et d'y offrir les divins mystères. Vous célébrez et vous offrez à Dieu un sacrifice à la fois précieux et glorieux, et qui vous servira beaucoup pour obtenir les récompenses célestes, car l'Écriture divine dit : "C'est un sacrifice offert à Dieu qu'une âme affligée; un coeur brisé et humilié n'est point méprisé de Dieu." (Ps 50,19). C'est ce sacrifice que vous offrez à Dieu, c'est ce sacrifice que vous célébrez jour et nuit sans interruption, devenus des hosties pour Dieu, et vous offrant vous-mêmes, comme des victimes saintes et sans tache selon l'exhortation de l'Apôtre : "Je vous exhorte, mes frères, au Nom de la Miséricorde de Dieu, à faire de vos corps une hostie vivante, sainte, agréable à Dieu; à ne point vous conformer au siècle, mais à vous transformer par un esprit nouveau, afin que vous éprouviez quelle est la Volonté de Dieu, ce qui est bon, ce qui lui plaît, ce qui est parfait." (Rom 12,1).
Voilà en effet, ce qui est surtout capable de plaire à Dieu, voilà ce qui est de nature à conférer à nos oeuvres une efficacité plus grande pour obtenir la Bienveillance divine, voilà ce qui seul permet à notre foi et à notre religion d'offrir à Dieu, pour de si grands et si précieux bienfaits, le digne tribut de notre reconnaissance. C'est ce que déclare et proclame l'Esprit saint dans les psaumes : "Que rendrai-je, dit-il, au Seigneur pour tous les biens dont il m'a comblé ? Je prendrai le calice du salut, et j'invoquerai le Nom du Seigneur. La mort des justes est précieuse devant Dieu." (ps 115,12-13). Qui donc ne prendrait de bon coeur et allègrement le calice du salut ?, qui ne saisirait avec joie et bonheur une occasion de rendre à son Maître un peu de ce qu'Il a fait pour nous ? qui ne recevrait avec courage et vaillance une mort précieuse devant Dieu dans laquelle on plaira aux yeux de Celui qui, au moment où on lutte pour son Nom, regarde d'en haut, applaudit à ceux qui acceptent la lutte, les aide dans le combat, les couronne après la victoire, récompensant en nous avec une bonté et une tendresse de père ce qu'Il nous a donné de faire, et honorant ce qu'il a Lui-même accompli en nous ?
Que ce soit à Lui que nous devons de vaincre, et de remporter sur l'adversaire vaincu la palme des plus grands combats, le Seigneur le proclame dans son Évangile : "Quand ils vous livreront, ne vous mettez pas en peine de la manière dont vous répondrez, ou des choses que vous direz. Ce que vous aurez à répondre vous sera donné sur l'heure. Ce n'est pas vous en effet qui parlez, mais c'est l'Esprit de votre Père qui parle en vous". (Mt 10,19-20). Et encore : "Mettez-vous dans l'esprit de ne pas penser d'avance à ce que vous direz pour vous dé fendre. Je vous donnerai un langage et une sagesse auxquels vos adversaires ne sauront résister." (Lc 21,14-15). Paroles qui doivent inspirer grande confiance aux croyants, et qui montrent en même temps l'extrême gravité de la faute que commettent ceux qui sont infidèles, en ne croyant pas Celui qui promet son secours à ceux qui le confessent, en ne craignant pas Celui qui menace d'une peine éternelle ceux qui le renient.
Ces sentiments, ô très vaillants et très fidèles soldats du Christ, vous les avez fait pénétrer dans les âmes de nos frères, en mettant en actes ce que vous enseigniez auparavant en paroles, Vous serez très grands dans le royaume des cieux, car le Seigneur fait cette promesse : "Celui qui aura agi, et enseigné ensuite, sera le plus grand dans le royaume des cieux." ((Mt 5,19). Enfin une portion considérable des fidèles, suivant votre exemple, a confessé comme vous et comme vous a été couronnée, unie à vous par le lien de la plus tendre charité, unie inséparablement à ses chefs malgré la prison et les mines. De ce nombre sont même des vierges. Elles ont rendu cent pour un, après soixante pour un, et conquis à deux titres la céleste couronne. Des enfants même ont montré un courage au-dessus de leur âge, et n'ont pas attendu pour une confession glorieuse d'avoir le nombre des années : ainsi votre bienheureuse troupe de martyrs a la parure de tous les sexes et de tous les âges.
Quelle n'est pas maintenant, mes très chers frères, dans la conscience que vous avez d'être victorieux, la vigueur, l'élévation de votre âme, votre joie, votre triomphante allégresse, de n'avoir plus qu'à attendre la récompense promise par Dieu, d'être tranquilles pour le jour du jugement de porter par les mines, dans un corps enchaîné, une âme royale, de savoir que vous avez le Christ présent avec vous et heureux du courage de ses serviteurs, qu'il voit marcher sur ses pas et par ses voies au royaume éternel ? Vous attendez chaque jour dans la joie le moment béni de votre départ, et, sur le point de quitter ce monde, vous vous hâtez en pensée vers les divines récompenses et le séjour céleste. Après les ténèbres de cette vie, vous allez contempler la plus éclatante lumière, et recevoir une gloire plus grande que toutes les souffrances et que toutes les luttes, selon la promesse de l'Apôtre : "Les souffrances de cette vie ne sont pas en proportion avec la gloire à venir qui sera manifestée en nous." (Rom 8,18). Aussi, puisque vos prières en ce moment ont plus d'efficacité, et que l'on obtient plus facilement ce qu'on demande au milieu des persécutions, demandez avec instance à la divine Bonté de daigner nous permettre d'achever la confession de son Nom et de sortir, nous aussi, indemnes et glorieux, des ténèbres et des pièges de ce monde : afin qu'unis ici à vous par le lien de la charité et de la paix, avec vous debout; en face des injures des hérétiques et des persécutions des païens, nous nous réjouissons encore avec vous dans le royaume céleste. Je souhaite, frères bienheureux et très vaillants, que vous vous portiez toujours bien en notre Seigneur et que, toujours et partout, vous vous souveniez de nous. Adieu.

 


 

LETTRE 77

A CYPRIEN LEUR FRERE, NEMESIANUS, DATIVUS, FÉLIX ET VICTOR, SALUT ÉTERNEL DANS LE SEIGNEUR.
Vos lettres, très cher Cyprien, nous ont toujours parlé, en l'adaptant aux circonstances, un langage plein de nobles sentiments. En les lisant assidûment, ceux qui sont dans l'erreur se corrigent, les hommes de vraie foi se sentent affermis. En expliquant sans cesse dans vos écrits les mystères cachés, vous augmentez la foi en nous, et vous amenez les profanes à croire. Aussi bien, en mettant dans un si grand nombre d'écrits que vous publiez tout le bien qu'on y voit, c'est votre portrait à vous que vous avez tracé. Personne n'a autant que vous de doctrine dans l'enseignement, d'éloquence dans le langage, de sagesse dans le conseil, de droiture dans la sagesse, de générosité dans la charité, d'austérité dans la vie, d'humilité dans les rapports, de sainteté dans la conduite. Vous le savez, ô très cher, c'est notre souhait ardent de vous voir, vous qui nous instruisez et nous aimez, parvenir vous-même à la couronne de la grande confession.
Avant nous, en effet, comme un vrai et bon maître, vous avez dit devant le gouverneur ce que nous devions répondre; vous l'avez proclamé dans les actes proconsulaires (10); vous avez sonné de la trompette pour animer au combat les soldats de Dieu, armés des armes divines et, combattant au premier rang, vous avez percé le diable du glaive spirituel. Votre parole a disposé de ça et de là des pelotons de frères, de manière à tendre partout des embuscades à l'adversaire, à réduire à l'impuissance l'ennemi de tous et à le fouler aux pieds. Croyez-nous très cher, votre âme sainte ne rendra pas moins que cent pour un; vous n'avez pas craint d'affronter les premiers assauts du siècle, ni d'aller en exil : vous n'avez pas hésité à quitter la ville, ni redouté de rester dans un endroit désert. En amenant beaucoup de frères à confesser le Christ, vous lui avez vous-même rendu le premier témoignage. En incitant par votre exemple à lui rendre le témoignage de la souffrance endurée pour lui, vous n'avez pas seulement commencé à partager le sort de tant de martyrs qui sortaient dès maintenant de ce monde : vous avez contracté avec ceux qui auront le même sort une amitié céleste.
C'est pourquoi, ceux qui sont condamnés avec nous vous adressent devant Dieu les plus grandes actions de grâces, très cher Cyprien, de ce que votre lettre a rendu vigueur aux coeurs ébranlés, guéri les membres blessés par les coups de bâton, délivré les pieds chargés d'entraves, paré à nouveau de leur chevelure les têtes tondues à demi. Elle a illuminé les ténèbres de la prison, aplani nos montagnes métalliques, elle nous a fait respirer un parfum de fleurs et dissipé une fumée désagréable. De plus, avec notre très cher Quirinus, vous nous avez envoyé par le sous-diacre Hérennius, et par les acolytes Lucanus, Maximus, Amantius, des secours a distribuer, et pourvu ainsi a nos besoins.
Aidons-nous donc réciproquement en priant les uns pour les autres, et, comme vous le dites, demandons à Dieu, au Christ à ses anges, de nous favoriser en tout. Nous souhaitons, Seigneur frère, que vous vous portiez toujours bien et vous souveniez de nous. Saluez tous ceux qui sont avec vous. Tous ceux qui sont avec nous vous aiment vous saluent et désirent vous voir.
(10) C'est-à-dire les actes proconsulaires ont enregistré vos paroles. Le gouverneur dont il est question ici était Aspasius Paternus, qui envoya saint Cyprien à Curubis.

 


 

LETTRE 78

A CYPRIEN, LEUR FRERE ET LEUR COLLEGUE,
LUCIUS ET TOUS LES FRERES QUI SONT AVEC LUI, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

Nous étions dans l'allégresse et nous nous réjouissions en Dieu de ce qu'il avait daigné nous armer nous aussi pour la lutte, et nous faire remporter la victoire, lorsque nous arriva, frère très cher, la lettre que vous nous avez envoyée par le sous-diacre Herennianus, et les acolytes Lucanus, Maximus et Almantius. Elle a été pour nous un allégement au poids de nos chaînes, une consolation dans notre tribulation, un secours dans nos besoins, et, en la lisant, nous nous sommes sentis relevés et remplis d'une vigueur nouvelle pour supporter, s'il le fallait, de nouvelles souffrances. Car, avant de souffrir pour le Christ, nous avons été excités par vous à la lutte glorieuse, quand vous nous avez précédés dans la confession du Nom du Christ. Ayant suivi vos pas, nous espérons la même gloire. Celui qui est le premier à la course est aussi le premier au prix, et vous nous avez, en partant le premier, fait participer à ce que vous assez commencé à conquérir, en souhaitant (preuve dc l'indissoluble affection que vous nous avez toujours portée) que ceux qui n'ont eu qu'un esprit dans l'union de la paix, voient leur confession, grâce à nos prières, couronnée semblablement.
Pour vous, frère très cher, s'ajoute à la couronne de la confession la récompense des bonnes oeuvres, dont Dieu vous donnera l'abondante mesure au jour de la rétribution. Vous vous êtes, en effet, rendu présent à nos yeux par votre lettre, nous montrant ce coeur pur et généreux que nous avons toujours connu, et, selon ses inspirations généreuses, nous louant de son abondance, non comme nous le méritons, mais comme vous le savez faire. Votre parole, en effet, a achevé ce qui manquait à notre préparation, et nous a donné une nouvelle force pour supporter les souffrances que nous supportons, sûrs désormais de la récompense céleste, de la couronne du martyre et du royaume de Dieu, d'après la prophétie que, plein de l'esprit de Dieu, vous avez faite dans votre lettre. Tout cela arrivera, très cher, si vous pensez à nous dans vos prières, et nous sommes sûrs que vous le faites, comme nous le faisons nous-mêmes.
Nous avons donc reçu, frère bien aimé, ce que vous nous avez envoyé de la part de Quirinus et de votre part, votre offrande toute pure et sainte. De même que Noé offrit un sacrifice à Dieu, et que Dieu en trouva l'odeur agréable et le regarda favorablement, de même il regarde favorablement le vôtre et se plaît à vous donner la récompense de cette bonne action. Je vous prie de vouloir bien faire transmettre à Quirinus la lettre que nous lui écrivons. Je souhaite, frère très cher et très aimé, que vous vous portiez toujours bien et que vous vous souveniez de nous. Saluez tous ceux qui sont avec vous. Adieu.

 


 

LETTRE 79

AU TRES CHER ET TRES AIMÉ CYPRIEN, FÉLIX, JADER, POLIANUS, EN MÊME TEMPS QUE LES PRETRES ET CEUX QUI SONT AVEC NOUS A LA MINE DE SIGUS, SALUT ÉTERNEL DANS LE SEIGNEUR.

A notre tour nous vous saluons, frère très cher, par l'intermédiaire du sous-diacre Herennianus, de Lucanus et de Maximus, nos frères. Nous sommes vaillants et en bonne santé, grâce à vos prières. Ils nous ont remis l'offrande pécuniaire que vous nous avez envoyée avec votre lettre, où vous daignez nous encourager comme vos fils, de vos paroles vraiment célestes. Nous avons rendu et nous rendons grâces à Dieu, le Père Tout-Puissant, par son Christ, de ce que votre parole nous a ainsi encouragés et fortifiés, demandant à votre bon coeur de penser à nous dans de constantes prières, afin que Dieu complète la confession, dont Il a daigné nous honorer, vous et nous. Saluez tous ceux qui demeurent avec vous. Nous souhaitons, frère très cher, que vous vous portiez bien dans le Seigneur. Moi, Félix, j'ai écrit. Moi, Jader, j'ai signé. Moi Polianus, j'ai lu. Je salue mon Seigneur Euychianus.

 


 

LETTRE 80

CYPRIEN A SUCCESSUS, SON FRERE, SALUT.

Je ne vous ai pas écrit plus tôt, frère très cher, parce que tous les clercs, sous le coup de la lutte à soutenir, étaient absolument obligés de rester ici et se tenaient tous prêts dans la générosité de leur coeur à conquérir la couronne céleste. Voici revenus maintenant ceux que j'avais envoyés à Rome, pour tâcher de savoir au juste la teneur, quelle qu'elle fût, du rescrit nous concernant et nous rapporter la vérité. Il circule en effet beaucoup de bruits incertains et contradictoires. Or, voici ce qui en est au juste. Valérien, dans un rescrit au Sénat, a donne ordre que les évêques, les prêtres et les diacres soient exécutés sur le champ, que les sénateurs, les personnages de qualité, et les chevaliers Romains, soient privés de leur dignité et de leurs biens, et s'ils continuent malgré cela à se dire chrétiens, soient mis à mort, que les matrones soient dépouillées de leurs biens et envoyées en exil, que les Cesariens, qui ont confessé le Christ auparavant, ou le confesseront maintenant, aient leurs biens confisques, et soient eux-mêmes mis aux fers et envoyés dans les domaines de la couronne, et qu'on en dresse un état. A son rescrit l'empereur a ajouté une copie de la lettre qu'il a adressée à notre sujet aux gouverneurs des provinces. Cette lettre, nous espérons chaque jour la voir arriver, debout dans la fermeté de notre foi, et prêts à souffrir, attendant de la Bonté secourable du Seigneur la couronne de la vie éternelle. Sachez que Sixte a été exécuté dans un cimetière le 6 août, et quatre diacres avec lui . Les préfets à Rome poussent chaque jour plus activement cette persécution, exécutant ceux qui leur sont déférés et confisquant leurs biens.
Je vous prie de vouloir bien porter ces nouvelles à la connaissance de nos autres collègues, afin que partout leurs exhortations puissent soutenir nos frères, et les préparer à la lutte spirituelle : de telle façon que chacun des nôtres pense moins à la mort qu'à l'immortalité, et que, consacrés à Dieu de toutes les énergies de leur foi et de leur courage, ils aient plus de joie que de crainte, à l'heure d'une confession où ils savent que les soldats de Dieu et du Christ ne sont pas tués, mais couronnés. Je souhaite, frère très cher, que vous vous portiez toujours bien dans le Seigneur.


LETTRE 81

CYPRIEN AUX PRETRES, AUX DIACRES ET A TOUT LE PEUPLE, SALUT.

J'ai appris, mes très chers frères, que des "frumentaires" (12) avaient été envoyés pour me conduire à Utique; et des amis très chers m'ont donné le conseil de m'éloigner pour un temps de mes jardins : j'y ai consenti; il y avait à cela un motif légitime. Il convient en effet que ce soit dans la ville où il est à la tête de l'Église du Seigneur, qu'un évêque confesse le Seigneur, et qu'ainsi l'éclat de la confession du chef rejaillisse sur tout le peuple. Ce qu'au moment de sa confession un évêque dit sous l'inspiration de Dieu, il le dit au nom de tous. D'ailleurs quelque chose serait enlevé à l'honneur de notre Église si glorieuse, si c'était à Utique, que moi, évêque d'une autre Église, je recevais la sentence du martyre, et que je partisse de là vers le Seigneur. C'est chez vous, que je dois confesser le Seigneur, et subir le martyre, c'est de chez vous que je dois partir pour aller à lui. Je le dois, et je ne cesse de le lui demander pour moi et pour vous dans mes prières; je le souhaite de tout mon coeur. Nous attendons donc ici dans une retraite sûre le retour du proconsul de Carthage; nous entendrons de lui ce que les empereurs lui ont mandé au sujet des chrétiens, laïcs et évêques, et nous dirons ce que le Seigneur voudra qui soit dit à ce moment. Quant à vous, frères très chers, conformément à la discipline évangélique, que je vous ai toujours rappelée, et aux enseignements que je vous ai tant de fois donnés, restez calmes et tranquilles. Que personne de vous ne mette d'émoi parmi les frères, ni ne se présente de lui-même aux païen. C'est quand on est arrêté et livré aux magistrats qu'il faut parler, car alors le Seigneur Lui-même parle en nous, qui nous demande moins une profession qu'une confession de notre foi. Quant à ce qu'il conviendrait de faire encore avant que le proconsul ne rende à mon sujet sa sentence sur la confession du Nom de Dieu, nous le déciderons sur place, suivant l'inspiration du Seigneur. Que le Seigneur Jésus, frères très chers, permette que vous restiez sains et saufs dans son Église, et qu'il daigne vous conserver.
(12) Ces agents appelés frumentaires étaient des espèces de détectives appartenant à la police de sûreté; le nom de frumentarii donne à penser qu'ils avaient quelque rapport avec les officiers chargés des approvisionnements dans l'armée.
 


 

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