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LETTRE 26
CYPRIEN AUX PRÊTRES ET AUX DIACRES SES FRERES, SALUT.
Le Seigneur parle et Il dit : "Sur qui laisserai-Je tomber mon Regard, sinon
sur celui qui est humble, paisible, et qui a le respect de ma parole ?" (Is 66,2).
C'est ce que nous devons être tous, mais c'est ce que doivent être particulièrement
ceux qui ont à travailler, après une chute grave, à se ménager par une pénitence
sincère et une humilité profonde, la Bienveillance du Seigneur. Or, j'ai lu une lettre
commune des confesseurs (1), qu'on me prie de porter à la connaissance de tous nos
collègues, afin que la paix accordée par eux parvienne à tous ceux dont la conduite,
après leur faute, aura été examinée par nous". Comme cela ressortit à nos
délibérations et à notre décision à tous, je n'ose rien préjuger, ni prendre sur moi
seul de régler une affaire qui relève de tous. Donc, que l'on s'en tienne provisoirement
aux lettres que je vous ai envoyées dernièrement, et dont j'ai déjà fait tenir un
exemplaire à nombre de nos collègues. Ils m'ont écrit que ce que j'avais décidé leur
semblait bien, et qu'il ne fallait pas s'en écarter jusqu'à ce que le Seigneur nous
ayant rendu la paix, nous puissions nous réunir et examiner les cas d'un chacun. D'autre
part, désirant vous faire savoir ce que Caldonius, mon collègue, m'a écrit et ce que je
lui ai répondu (2), je joins un exemplaire des deux lettres.
Je vous prie de lire le tout à nos frères, afin que, de plus en plus, ils se fassent
patients et qu'ils n'aillent pas, à une faute précédente, ajouter une autre faute,
comme ils feraient en ne nous permettant pas d'obéir à l'évangile, et d'examiner leurs
causes comme l'indique la lettre de tous les confesseurs. Je souhaite, frères très
chers, que vous vous portiez bien et que vous vous souveniez de nous. Saluez toute la
communauté des frères.
(1) Lettre 23
(2) La lettre de Caldonius est la 24e, la réponse de saint Cyprien la 25e.
LETTRE 27
CYPRIEN AUX PRETRES, AUX DIACRES, QUI SONT A ROME, SALUT.
Nous vous avions écrit, frères très chers, pour vous exposer notre conduite, et vous
faire connaître, si modestes soient-ils, notre zèle pour la discipline, et nos
efforts : mais voici qu'un autre fait se produit, qui ne doit pas non plus être
ignoré de vous. Notre frère Lucianus, confesseur lui aussi, homme d'une foi ardente et
d'un courage robuste, mais moins ferme sur l'Écriture Sainte, a fait une entreprise
fâcheuse. Il a pris, et cela depuis longtemps, l'initiative de faire distribuer en masse
des billets écrits de sa main au nom de Paul. Cependant Mappalicus, qui est martyr, mais
prudent et discret, se souvenant de la loi et de la discipline, n'a point écrit de lettre
à l'encontre de l'évangile, mais seulement dans un sentiment de piété familiale, a
mandé de donner la paix à sa mère et à sa soeur qui sont tombées; de même,
Saturninus, encore en prison, après avoir souffert la torture, n'a point mis en
circulation de lettre de ce genre. Lucianus, au contraire, non seulement adonné des
billets écrits de sa main, au nom de Paul, alors que celui-ci était encore en prison,
mais, de plus, après sa mort il a continué d'agir au nom du martyr, disant qu'il en
avait reçu mandat de lui, et ignorant qu'il vaut mieux obéir au Maître qu'à un
compagnon d'esclavage. Beaucoup de billets ont été donnés aussi au nom du jeune
Aurelius, qui a souffert la torture, billets écrits de la main de Lucianus, Aurelius ne
sachant pas écrire.
Pour mettre un frein de quelque manière à ce désordre, je leur ai écrit des lettres
(3) que je vous ai fait transmettre avec le précédent courrier, où je ne cesse de
demander et de conseiller que l'on tienne compte de la loi du Seigneur et de l'évangile.
Après ces lettres, comme si elles montraient trop de modération et de mesure, Lucianus a
écrit au nom de tous les confesseurs une lettre (4) de nature à détruire complètement
le lien de la foi, la crainte de Dieu, les ordres du Seigneur, la sainteté et la fermeté
de la loi évangélique. Il a, dis-je, écrit au nom de tous, "que d'un commun
accord, ils avaient donné la paix et voulaient que cette décision fût portée par moi
à la connaissance des autres évêques", je vous ai fait passer un exemplaire de sa
missive. Il y est bien dit qu'on donne la paix à ceux dont la conduite depuis leur faute
aura été examinée", mais cela même nous donne de l'odieux, en faisant que, par
l'examen des cas particuliers, nous semblons refuser à plusieurs ce qu'ils se vantent
tous d'avoir reçu des martyrs et des confesseurs.
Ce désordre a déjà commencé à se manifester. Dans un certain nombre de villes de
notre province, les lapsi se sont portés en foule vers les dépositaires de l'autorité
et les ont forcés à leur donner, sur-le-champ, la paix qu'ils criaient leur avoir été
accordée à tous par les martyrs et les confesseurs. Usant ainsi d'intimidation, ils ont
forcé la main à des chefs qui n'avaient pas assez de force d'âme ou de vigueur de foi
pour résister. Chez nous, quelques turbulents, qui se laissaient à peine gouverner par
nous dans le passé, et dont on remettait le cas au moment où nous serions présent,
enflammés par cette lettre comme par un brandon, se sont emportés davantage et ont
cherché à arracher la paix qui leur avait été donnée. Je vous ai envoyé un
exemplaire de la lettre que j'ai écrite à leur sujet au clergé. Ce n'est pas
tout : je vous ai fait tenir, pour que vous le lisiez, ce que Caldonius, mon
collègue, m'a écrit avec son honnêteté et sa foi coutumière, et ce que je lui ai
répondu (5). De même, la lettre de Celerinus, bon et vaillant confesseur, au même
confesseur Lucianus, et la réponse de celui-ci (6), je vous les ai envoyées, afin que
vous puissiez voir que nous nous occupons de tout avec soin. Vous comprendrez aussi, en
les lisant, combien le confesseur Celerinus est modéré, prudent, a l'humilité et la
réserve qui convient à notre religion, tandis que Lucianus n'a guère, ainsi que je l'ai
dit, l'intelligence des Écritures divines, et montre une facilité indiscrète qui jette
de l'odieux sur notre réserve. En effet, alors que le Seigneur a dit a que les nations
sont baptisées au nom du Père, du Fils et du saint Esprit, et que les péchés passés
sont remis par le baptême, lui, ignorant le précepte et la loi, mande que l'on donne la
paix, et que l'on remette les péchés au nom de Paul; il prétend que c'est ce que Paul
lui a mandé, comme vous le pourrez remarquer dans la lettre dudit Lucien à Celerinus. En
cela il n'a pas assez considéré que ce ne sont pas les martyrs qui font l'évangile,
mais que c'est l'évangile qui fait les martyrs. L'apôtre Paul, que le Seigneur appelle
un vase de son choix, n'a-t-il pas dit dans une épître : "Je m'étonne que
vous vous détourniez si vite de celui qui vous a appelé à la grâce de Jésus Christ
pour passer à un autre évangile; non certes, qu'il y ait un autre évangile; seulement
il y a certaines gens qui vous troublent et essaient de pervertir l'évangile du Christ.
Mais quand nous-même, quand un ange venu du ciel vous annoncerait un autre évangile que
celui que nous vous avons annoncé, qu'il soit anathème. Nous l'avons dit, et je le
répète : Si quelqu'un vous annonce un autre évangile que celui que vous avez
reçu, qu'il soit anathème". (Gal 1,6).
Vos lettres au clergé que j'ai reçues sont venues à point ainsi que celles que les
bienheureux confesseurs Moïse, Maxime, Nicostratus et autres ont envoyées à Saturninus
et à Aurelius. On y trouve la pleine vigueur de l'évangile et la ferme doctrine de la
loi du Seigneur. Dans l'épreuve que nous subissions ici et dans la lutte que nous
soutenions avec toutes les forces de notre foi contre les assauts des mécontents, nous
avons été singulièrement aidés par vos paroles. Grâce à elles le ciel a abrégé les
choses, et avant que la lettre que je vous ai envoyée ait eu le temps de vous parvenir,
vous nous avez fait connaître que selon la règle de l'évangile vous nous étiez
fermement et unanimement unis de sentiment. Je souhaite, frères très chers et très
regrettés, que vous vous portiez toujours bien.
(3) Lettres 15,16,17
(4) Cette lettre de Lucianus est la lettre 23
(5) Probablement la lettre 24 et 25 .
(6) Lettres 21 et 22
LETTRE 28
CYPRIEN AUX PRETRES MOISE ET MAXIME, ET AUX AUTRES CONFESSEURS SES FRERES TRES CHERS,
SALUT.
Je connaissais depuis longtemps, de reputation, votre foi glorieuse et votre courage,
et je m'étais réjoui grandement et hautement de ce qu'une grâce de choix de notre
Seigneur vous avait, par la confession de son Nom, préparés à la couronne. C'est vous
qui, marchant au premier rang, dans la bataille qui se livre aujourd'hui, avez levé les
enseignes de la milice céleste. C'est vous qui, par vos actes de bravoure, avez commence
le combat spirituel que Dieu veut qui soit livré maintenant. C'est vous qui, au début de
la guerre, avez opposé aux premières charges une vigueur infrangible, une fermeté
inébranlable, et les avez brisées. De là, les débuts heureux des hostilités; de là
des auspices de victoire. Il est arrivé ici que l'on a consommé des martyres au milieu
des tourments; mais celui qui, dans la lutte, a marché devant les autres en donnant à
ses frères un exemple de vaillance, partage la gloire des martyrs. Vos mains ont tressé
des couronnes que vous leur avez transmises, et vous avez bu d'abord à la coupe salutaire
avant de la passer à vos frères.
A cette gloire d'avoir confessé le Christ dès le début, à cette milice inaugurée sous
des auspices de victoire, s'ajoute une fidélité ininterrompue à la discipline; je l'ai
reconnue à la vigueur de la lettre que vous avez récemment envoyée à ceux de vos
collègues qu'unit à vous la gloire commune d'avoir confessé le Seigneur, pour leur
recommander, avec une sollicitude inquiète, de garder généreusement et fermement les
saints préceptes de l'évangile, et les instructions de vie qui nous ont été une fois
données. Voilà donc pour vous un degré nouveau et fort élevé de gloire, voilà un
double titre à la Bienveillance divine qui s'ajoute a votre confession : vous restez
fermes et en place devant une attaque qui tend à forcer l'évangile, et vous repoussez,
d'une foi constante, ceux qui, d'une main impie, s'efforcent de ruiner les préceptes du
Seigneur; après avoir donné le signal des actes de courage, vous donnez maintenant des
leçons de sage conduite. Le Seigneur,après sa Résurrection, envoyant ses apôtres leur
donne ses instructions et leur dit : "Tout pouvoir M'a été donné dans le ciel
et sur la terre : allez donc et enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du
Père, du Fils et du saint Esprit, leur apprenant à pratiquer tout ce que Je vous ai
commandé". (Mt 28,18-20). Et l'apôtre Jean, se souvenant du commandement, écrit
plus tard dans son épître : "Nous nous rendons compte que nous le connaissons,
si nous gardons ses commandements. Celui qui dit qu'il le connaît et ne garde pas ses
commandements est un menteur, et la vérité n'est point en lui". (Jn 2,3-4). Ces
préceptes vous les faites observer, ces commandements divins et célestes, vous les
gardez. C'est là être confesseur du Seigneur, c'est là être martyr du Christ, de
conserver dans ses paroles une fermeté toujours inviolable et entière; ce n'est point
l'être, que de rendre témoignage au Seigneur par le martyre et de s'efforcer ensuite de
détruire les commandements du Seigneur, de se servir contre lui des grâces qu'il nous a
faites, et d'user en quelque sorte des armes qu'il nous a confiées pour se révolter
contre Lui. Ceci c'est vouloir confesser le Christ, et en même temps nier l'évangile du
Christ. Je suis donc heureux à cause de vous, frères très vaillants et très fidèles,
et autant je félicite les martyrs qui ont eu l'honneur de souffrir ici de la gloire que
leur a value leur courage, autant je vous félicite, vous, de la couronne que vous
méritez pour votre fidélité à la discipline. Le Seigneur répand sur nous ses
bienfaits par des largesses de plusieurs genres. Il distribue à ses bons soldats la
gloire spirituelle avec une riche variété. Nous avons part à l'honneur de votre
conduite. Votre gloire est notre gloire, et nous avons cette heureuse fortune qu'il nous
est donné de voir, de notre temps, des serviteurs de Dieu loués, et des soldats du
Christ couronnés. Je souhaite, très vaillants et très heureux frères, que vous vous
portiez toujours bien et que vous vous souveniez de nous.
LETTRE 29
CYPRIEN AUX PRETRES ET AUX DIACRES SES FRERES, SALUT.
Pour qu'il n'y ait rien qui ne soit connu de vous, je vous envoie, mes très chers
frères, un exemplaire de la lettre qui m'a été écrite, et un de ma réponse (7). Je
crois que ma réponse ne vous déplaira pas. Mais, de plus, je dois ici porter à votre
connaissance que pour un motif urgent j'ai écrit au clergé qui habite Rome. Et parce
qu'il m'a fallu faire tenir mes lettres par des clercs, sachant qu'un grand nombre d'entre
eux sont absents et que le petit nombre de ceux qui restent ici suffit à peine à la
besogne quotidienne, il a été nécessaire d'en ordonner quelques nouveaux pour les
envoyer. Sachez donc que j'ai ordonné lecteur, Saturus, et sous-diacre, Optatus le
confesseur. Nous les avions déjà, d'un commun accord, rapprochés de la cléricature,
quand nous avons deux fois chargé Saturus de faire la lecture au jour de Pâques; et,
dernièrement, quand, examinant soigneusement les lecteurs avec les prêtres catéchistes,
nous avons mis Optatus au rang des lecteurs de ceux qui instruisent les catéchumènes.
Nous avions examiné s'ils présentaient les qualités que doivent avoir ceux qui sont
destinés à la cléricature. Je n'ai donc rien fait de nouveau en votre absence, mais
simplement mis en pratique ce que nous avions décidé d'un commun accord. Je souhaite,
frères très chers, que vous vous portiez toujours bien et que vous vous souveniez de
nous. Saluez la communauté des frères. Adieu.
(7) C'est la lettre 28
LETTRE 30
AU PAPE CYPRIEN LES PRETRES ET LES DIACRES HABITANT ROME, SALUT.
Celui qui a conscience d'avoir bien agi, et observé sans défaillance la discipline de
l'évangile, celui qui se peut rendre le témoignage d'être resté fidèle à là loi
divine, a coutume de se contenter du jugement de Dieu, et ne recherche les éloges ni ne
redoute les critiques d'autrui. Cependant, ceux-là méritent une double louange qui y
tout en sachant qu'ils ne doivent soumettre leur conscience qu'à Dieu, son seul juge,
désirent néanmoins que leur conduite soit soumise à l'approbation de leurs frères. Il
n'est pas étonnant que telle soit votre façon d'agir, frère Cyprien; avec la modestie
et le zèle qui vous sont des dons de nature, vous avez voulu que nous fussions moins les
juges que les associés de vos résolutions, partageant la gloire de votre administration
en l'approuvant, et devenant les bénéficiaires des résultats de vos mesures, en les
faisant nôtres. On croira que nous avons tous collaboré à une même chose, quand on
nous verra tous d'accord pour y appliquer les mêmes principes disciplinaires.
Qu'y a-t-il de si convenable dans la paix, de si nécessaire dans la guerre de la
persécution, que de garder la juste sévérité de la discipline ? Quand on s'en
relâche, il est inévitable qu'on aille au hasard dans une course errante, que l'on se
perde dans les vicissitudes des affaires, et que, comme si l'on s'était laissé arracher
le gouvernail des mains, on s'expose à briser le navire de l'Église sur des rochers. Et
ainsi, il apparaît bien que l'on ne peut pourvoir au salut de l'Église qu'en repoussant
ceux qui sont contre elle comme des flots contraires, et qu'en gardant les règles
toujours observées de la discipline comme une sorte de gouvernail pour se diriger dans la
tourmente. Et ce ne sont point là des sentiments connus depuis peu de temps, ni des
secours nouveaux contre les méchants venus tout récemment. Mais chez nous la sévérité
est antique, antique la foi, la discipline antique. Et en effet, l'Apôtre ne nous aurait
pas loués si fort qu'il l'a fait en disant : "On parle de votre foi par toute
la terre", (Rom 1,8) si, des ce moment-là, notre vigueur n'avait eu ses racines dans
la foi de ces temps. Et vraiment, dégénérer de cette gloire est un très grand crime. l
y a, en effet, moins de déshonneur à n'avoir jamais reçu d'éloge glorieux qu'à tomber
du faîte de la gloire. Il est moins blâmable de n'avoir jamais été honoré d'un bon
témoignage que d'avoir perdu l'honneur des bons témoignages. Il est moins dommageable de
n'avoir point été célèbre pour ses vertus et d'être resté sans gloire et inconnu que
d'avoir perdu l'héritage de la foi, et sa propre gloire. Ce que l'on dit, en effet, en
l'honneur de quelqu'un, s'il ne s'applique à en rester digne par des efforts pleins de
sollicitude, se tourne en mécontentement contre lui, et lui devient le sujet des
reproches les plus amers.
Que nous ayons raison de parler ainsi, c'est ce qu'établissent nos lettres antérieures.
Nous y avons clairement exposé notre sentiment, d'abord à l'égard de ceux qui se sont
montres infidèles par la déclaration coupable consignée dans des billets criminels (8)
: ils croyaient peut-être, par la, échapper aux filets du démon, mais il ne les tenait
pas moins que s'ils s'étaient réellement approchés des autels sacrilèges, par cela
seul qu'ils déclaraient l'avoir fait. Notre sentiment s'y est aussi fait connaître à
l'égard de ceux qui ont reçu de tels billets, bien qu'ils n'aient pas été présents
lorsqu'on les faisait, attendu que de demander qu'on les écrivît, c'était faire acte de
présence. On n'est pas innocent d'un crime, quand on a demandé qu'il fût commis, et
l'on n'est pas étranger à un délit, quand, ne l'ayant pas commis, on consent à se le
laisser attribuer dans un acte lu publiquement. Quand tout le mystère de la foi se
résume à confesser le Nom du Christ, celui qui cherche, pour s'y dérober, de fallacieux
prétextes, l'a nié, et celui qui veut paraître avoir satisfait à des édits ou à des
lois portés contre l'évangile y a obéi en effet, par cela même qu'il a voulu paraître
y avoir obéi. A l'égard aussi de ceux qui, en prenant part à des sacrifices coupables,
ont souillé leurs mains et leur bouche, après avoir d'abord souillé leurs âmes d'une
souillure dont celle-ci a procédé, nous avons montré notre foi et notre accord. A Dieu
ne plaise, en effet, que l'église Romaine se relâche de sa vigueur par une facilité
profane, et énerve la sévérité de la discipline, au détriment de l'honneur de la foi;
à Dieu ne plaise qu'elle aille, alors que les morceaux de notre communauté non seulement
sont encore par terre, mais tombent toujours, donner avec précipitation le remède de
réconciliations à coup sûr inefficaces; et par une miséricorde de mauvais aloi,
ajouter aux blessures de la faute de nouvelles blessures, enfonçant les malheureux
davantage, et leur enlevant même la pénitence. Comment la médecine de l'indulgence
pourra-t-elle réussir, si le médecin lui-même, en empêchant la pénitence, favorise le
danger, s'il ne fait que recouvrir la blessure, sans permettre au nécessaire remède du
temps de la cicatriser. Ce n'est pas là guérir : si nous devons dire le vrai mot,
c'est tuer.
D'ailleurs, les confesseurs qui sont encore en prison ici à cause de leur confession
glorieuse, et à qui leur foi a valu déjà des couronnes dans le combat pour l'évangile,
vous ont écrit une lettre qui a le même esprit que les nôtres. Ils y ont soutenu la
sévérité de la discipline évangélique, et repoussé des demandes illégitimes, ne
voulant pas s'exposer, en y acquiesçant à ne pouvoir pas facilement réparer les ruines
de la discipline. A personne en effet, il ne convient autant de garder intacte la vigueur
évangélique qu'à ceux qui, pour l'évangile, se sont laissé meurtrir et torturer à
des furieux. Ils n'ont pas voulu perdre l'honneur du martyre, comme ils l'auraient perdu
justement, si, à l'occasion du martyre, ils avaient prévariqué au regard de
l'évangile. Car, celui qui ne garde pas ce qu'il possède dans ce qui en est la source en
détruisant ce qui est la source du bien qu'il possède perd ce bien lui-même.
Et ici nous devons vous rendre et nous vous rendons les plus grandes, les plus abondantes
action de grâces. Vous avez, par votre lettre, illuminé les ténèbres de leur prison,
vous êtes venu auprès d'eux dans la mesure où vous l'avez pu, vous avez relevé par vos
paroles leurs âmes vaillantes dans leur foi et leur confession, allumé en eux, en louant
dignement leur bonheur, un désir beaucoup plus ardent de la gloire céleste, vous avez
donné le branle à leur bon mouvement, animé par l'énergie de votre langage, ceux qui
sont (je le crois du moins et le souhaite) de futurs vainqueurs. Bref, bien que tout cela
soit l'oeuvre de la foi des confesseurs et de la grâce divine, pourtant ils semblent
bien, pour une part, vous être redevables-de leur martyre. Mais, pour en revenir au point
dont nous semblions nous écarter, vous aurez sous les yeux copie de la lettre que nous
avons envoyée aussi en Sicile. Pour nous, cependant la nécessité s'impose plus
impérieusement de remettre la chose à plus tard, puisque, depuis la mort de Fabianus, de
très illustre mémoire, les difficultés des circonstances nous ont empêchés d'avoir un
évêque, qui dirige toutes ces affaires, et qui puisse s'occuper des lapsi avec autorité
et sagesse. D'ailleurs, dans une cause si importante nous aimons ce que vous avez dit, à
savoir qu'il faut attendre d'abord que la paix soit rendue à l'Église et alors régler
l'affaire des lapsi après en avoir délibéré en commun avec les évêques, les
prêtres, les diacres, les confesseurs et les laïcs restés fidèles. C'est, en effet,
une charge facilement impopulaire et un lourd fardeau que d'avoir, sans être en nombre,
à examiner la faute d'un grand nombre et d'être seul à prononcer la sentence, quand
beaucoup de personnes ont commis le crime; d'ailleurs, une décision ne peut avoir grande
force, qui ne semblerait pas avoir réuni les suffrages d'un grand nombre de
délibérants. Considérez que le monde presque entier a été ravagé et que l'on voit
partout à terre des débris et des ruines, et qu'ainsi la situation réclame pour le
jugement des assises aussi considérables que la propagation même du délit. Que le
remède ne soit pas moindre que la blessure, ni les moyens de salut moindre que les morts.
Ceux qui sont tombés sont tombés parce qu'une aveugle témérité les avait rendus
imprudents; que de même ceux qui s'occupent de régler cette affaire usent de toute la
prudence et de toute la sagesse possibles, de peur qu'une décision, prise autrement qu'il
ne faut, ne soit jugée sans valeur par tout le monde.
Dans un même sentiment, dans les mêmes prières et les mêmes larmes, nous tous, et ceux
qui, comme nous, semblent avoir jusqu'à présent échappé à ces défaillances, et ceux
qui sont tombes dans cette tempête désastreuse, implorons la divine Majesté, et
demandons la paix pour l'Église et son peuple. En priant les uns pour les autres,
aidons-nous, gardons-nous, armons-nous. Prions pour ceux qui sont tombés afin qu'ils se
relèvent, prions pour ceux qui sont debout, pour qu'ils ne succombent pas à l'épreuve;
prions pour que ceux dont on nous apprend la chute, reconnaissant la grandeur de leur
faute, comprennent que ce n'est pas une cure brève et hâtive qu'elle réclame; prions
pour que le pardon accordé aux lapsi soit efficace comme venant après la pénitence,
afin que, comprenant bien leur culpabilité, ils consentent à faire preuve de patience en
attendant, et n'agitent pas une Église encore vacillante; qu'ils craignent de paraître
allumer une persécution intestine, et de mettre le comble à leur culpabilité en se
montrant incapables de rester tranquilles. La modestie convient à ceux-là surtout dont
les fautes sont l'effet fâcheux de sentiments étrangers à la modestie. Qu'ils frappent
à la porte, mais qu'ils ne la brisent pas; qu'ils s'approchent du seuil de l'Église,
mais qu'ils ne sautent point par-dessus. A la porte du camp de Dieu, qu'ils montent la
garde, mais armés de modestie, montrant par elle qu'ils ont conscience d'avoir été des
déserteurs. Qu'ils reprennent la trompette de la prière, mais qu'ils n'exécutent pas
d'airs de bravoure. Qu'ils prennent les armes de la modestie; et ce bouclier de la foi,
que la crainte de la mort leur a fait abandonner en apostasiant, qu'ils le reprennent,
armés maintenant pour faire la guerre au diable, non à l'Église qui pleure encore leur
chute. Ils tireront grand profit d'une prière modeste, d'une supplication respectueuse,
d'une humilité nécessaire, d'une patience qui ne sera pas oisive. Qu'ils envoient, comme
représentants de leur douleur, des larmes; que des gémissements sortis du fond du coeur
soient leurs intercesseurs, et prouvent le regret du crime commis, et la honte qu'ils en
ont.
Ou plutôt, s'ils frémissent à la vue du déshonneur mérité, s'ils explorent, avec la
main du médecin sérieux, la plaie mortelle de leur conscience et de leur coeur, les
replis sinueux de leur profonde blessure, qu'ils rougissent même de demander la
paix : si ce n'est qu'il y a plus de péril et de honte à ne pas l'avoir demandée.
En tout cas, s'ils la demandent, que tout se passe dans les formes, que l'on tienne compte
de la loi de la demande et du juste temps requis; que la demande elle-même soit modeste,
que la requête soit humble; car on doit adoucir, non irriter celui à qui on demande, et
comme on doit se souvenir de la divine Clémence, aussi doit-on se souvenir de la divine
Justice. S'il est écrit : "Je t'ai fait remise de toute ta dette, parce que tu
m'en as prié", (Mt 18,32) il est écrit également : "Celui qui me niera
devant les hommes, Je le nierai devant mon Père et devant ses anges" (Mt 10,33).
Dieu, sans doute, est indulgent, mais Il contrôle aussi, et même rigoureusement,
l'observation de ses préceptes, et s'Il invite au festin, il est vrai aussi que celui qui
n'a pas la robe nuptiale, Il le fait prendre par les mains et les pieds, et jeter hors de
l'assemblée des saints.Il a préparé le ciel, mais il a préparé aussi l'enfers. Il a
préparé un lieu de rafraîchissement, mais il a aussi préparé des supplices éternels.
Il a préparé une lumière inaccessible, mais il a préparé une nuit perpétuelle et des
ténèbres immenses et sans fin.
Désirant tenir la juste balance en ces matières, il y a longtemps qu'à plusieurs, avec
des évêques de régions voisines, et d'autres venus de provinces lointaines d'où la
violence de la persécution les avait chassés, nous avons pensé qu'il ne fallait rien
faire de nouveau avant l'élection d'un évêque. Nous avons estimé qu'il convenait de
tenir à l'égard des lapsi, une ligne de conduite moyenne : en attendant que Dieu
nous donne un évêque, laisser en suspens les causes de ceux qui peuvent attendre; quant
à ceux qui sont au terme de leur vie, et dont la fin prochaine ne permet pas de délai,
quand ils auront manifesté leur repentir et déclaré à plusieurs reprises regretter
leur conduite, donné par leurs larmes, leurs gémissements, leurs sanglots, les marques
d'une âme véritablement pénitente, à l'heure où humainement il ne restera aucun
espoir de salut, alors, mais alors seulement, leur venir en aide avec prudence et
discrétion. Dieu sait ce qu'Il doit faire de ceux qui sont dans ce cas, et comment Il les
doit peser dans les balances de sa Justice. Quant à nous, en agissant ainsi, nous
éviterons un double écueil : que des pervers ne louent chez nous une facilité trop
grande, ou que des lapsi vraiment pénitents ne nous accusent d'une dureté cruelle. Nous
souhaitons, pape bienheureux et très glorieux, que vous vous portiez toujours bien et que
vous vous souveniez de nous.
(8) Il s'agit ici de deux catégories de lapsi qui n'avaient pas sacrifié
personnellement : l. ceux qui se rédigeaient, ou se faisaient rédiger, un
certificat, attestant qu'ils avaient sacrifié, et le faisaient contresigner par les
magistrats . 2. Ceux à qui on offrait de tels certificats, et qui les acceptaient.

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