LE XI NOVEMBRE. SAINT MARTIN, ÉVÊQUE ET CONFESSEUR.
Trois mille six cent soixante
églises dédiées à saint Martin au seul pays de France (1), presque autant dans
le reste du monde, attestent l'immense popularité du grand thaumaturge. Dans
les campagnes, sur les montagnes, au fond des forêts, arbres, rochers,
fontaines, objets d'un culte superstitieux quand l'idolâtrie décevait nos
pères, reçurent en maints endroits et gardent toujours le nom de celui qui les
arracha au domaine des puissances de l'abîme pour les rendre au vrai Dieu. Aux
fausses divinités, romaines, celtiques ou germaniques, enfin dépossédées, le
Christ, seul adoré par tous désormais, substituait dans la mémoire
reconnaissante des peuples l'humble soldat qui les avait vaincues.
C'est qu'en effet, la mission de
Martin fut d'achever la déroute du paganisme, chassé des villes par les
Martyrs, mais jusqu'à lui resté maître des vastes territoires où ne pénétrait
pas l'influence des cités.
Aussi, à l'encontre des divines
complaisances, quelle haine n'essuya-t-il point de la part de l'enfer! Dès le
début, Satan et Martin s'étaient
312
rencontrés : «Tu me trouveras partout
sur ta route, » avait dit Satan (1) ; et il tint parole. Il l'a tenue jusqu'à
nos jours : de siècle en siècle, accumulant les ruines sur le glorieux tombeau
qui attirait vers Tours le monde entier ; dans le XVI°, livrant aux flammes,
par la main des huguenots, les restes vénérés du protecteur de la France; au XIX°
enfin, amenant des hommes à ce degré de folie que de détruire eux-mêmes, en
pleine paix, la splendide basilique qui faisait la richesse et l'honneur de
leur ville.
Reconnaissance du Christ roi,
rage de Satan, se révélant à de tels signes, nous disent assez les
incomparables travaux du Pontife apôtre et moine que fut saint Martin.
Moine, il le fut d'aspiration et
de fait jusqu'à son dernier jour. « Dès sa première enfance, il ne soupire
qu'après le service de Dieu. Catéchumène à dix ans, il veut à douze s'en aller
au désert ; toutes ses pensées sont portées vers les monastères et les églises.
Soldat à quinze ans, il vit de telle sorte qu'on le prendrait déjà pour un
moine (2). Après un premier essai en Italie de la vie religieuse, Martin est
enfin amené par Hilaire dans cotte solitude de Ligugé qui fut, grâce à lui, le
berceau de la vie monastique dans les Gaules. Et, à vrai dire, Martin, durant
tout le cours de sa carrière mortelle, se sentit étranger partout hormis à Ligugé.
Moine paraîtrait, il n'avait été soldat que par force ; il ne devint évêque que
par violence ; et alors, il ne quitta point ses habitudes monastiques. Il
satisfaisait à la dignité de l'évêque, nous dit son historien, sans abandonner
la règle et la
313
vie du moine (1) ; s'étant fait
tout d'abord une cellule auprès de son église de Tours ; bientôt se créant à
quelque distance de la ville un second Ligugé sous le nom de Marmoutier ou de
grand monastère (2). »
C'est à la direction reçue de
l'ange qui présidait alors aux destinées de l'Eglise de Poitiers, que la sainte
Liturgie renvoie l'honneur des merveilleuses vertus manifestées par Martin dans
la suite (3). Quelles furent les raisons de saint Hilaire pour conduire par des
voies si peu connues encore de l'Occident l'admirable disciple que lui
adressait le ciel, c'est ce qu'à défaut d'Hilaire même, il convient de demander
à l'héritier le plus autorisé de sa doctrine aussi bien que de son éloquence :
« C'a été, dit le Cardinal Pie, la pensée dominante de tous
les saints, dans tous les temps, qu'à côté du ministère ordinaire des pasteurs,
obligés parleurs fonctions de vivre mêlés au siècle,il
fallait dans l'Eglise une milice séparée du siècle et enrôlée sous le drapeau
de la perfection évangélique, vivant de renoncement et d'obéissance,
accomplissant nuit et jour la noble et incomparable fonction de la prière
publique. C'a été la pensée des plus illustres pontifes et des plus grands
docteurs, que le clergé séculier lui-même ne serait jamais plus apte à répandre
et à populariser dans le monde les pures doctrines de l'Evangile, que quand il
se serait préparé aux fonctions pastorales en vivant de la vie monastique ou en
s'en rapprochant le plus
314
possible. Lisez la vie des plus
grands hommes de l'épiscopat, dans l'Orient comme dans l'Occident, dans les
temps qui ont immédiatement précédé ou suivi la paix de l'Eglise comme au moyen
âge ; tous, ils ont professé quelque temps la vie religieuse, ou vécu en contact ordinaire avec
ceux qui la pratiquaient. Hilaire, le grand Hilaire, de son coup d'œil sûr et
exercé, avait aperçu ce besoin; il avait vu quelle place devait occuper l'ordre
monastique dans le christianisme,et le clergé régulier
dans l'Eglise. Au milieu de ses combats, de ses luttes, de ses exils, témoin
oculaire de l'importance des monastères en Orient, il appelait de tous ses vœux
le moment où, de retour dans les Gaules, il pourrait jeter enfin auprès de lui
les fondements de la vie religieuse. La Providence ne tarda pas à lui envoyer
ce qui convenait pour une telle entreprise : un disciple digne du maître,un moine digne de l'évêque1.» On ne saurait présumer
d'essayer mieux dire ; pour le plus grand honneur de saint Martin, l'autorité
de l'Evêque de Poitiers, sans égale en
un tel sujet, nous fait un devoir de lui laisser la parole. Comparant donc
ailleurs Martin, et ceux qui le précédèrent, et
Hilaire lui-même, dans leur œuvre commune d'apostolat des Gaules : «
Loin de moi, s'écrie le Cardinal, que je
méconnaisse tout ce que la religion de Jésus-Christ possédait déjà de vitalité
et de puissance dans nos diverses provinces, grâce à la prédication des premiers apôtres, des premiers martyrs , des premiers évoques, dont la série remonte
aux temps les plus rapprochés du Calvaire. Toutefois, je ne crains pas de le
dire, l'apôtre populaire de la Gaule, le convertisseur des campagnes restées en grande
315
partie païennes jusque-là, le
fondateur du christianisme national, c'a été principalement saint Martin. Et
d'où vint à Martin, sur tant d'autres grands évoques et serviteurs de Dieu,
cette prééminence d'apostolat ? Placerons-nous Martin au-dessus de son maître
Hilaire ? S'il s'agit de la doctrine, non pas assurément; s'il s'agit du zèle,
du courage, de la sainteté, il ne m'appartient pas de dire qui fut plus grand
du maître ou du disciple ; mais ce que je puis dire, c'est qu'Hilaire fut
surtout un docteur, et que Martin fut surtout un thaumaturge. Or, pour la
conversion des peuples, le thaumaturge a plus de puissance que le docteur; et,
par suite, dans le souvenir et dans le culte des peuples, le docteur est
éclipsé, il est effacé par le thaumaturge.
« On parle beaucoup aujourd'hui
de raisonnement pour persuader les choses divines : c'est oublier l'Ecriture et
l'histoire; et, de plus, c'est déroger. Dieu n'a pas jugé qu'il lui convînt
déraisonner avec nous. Il a affirmé, il a dit ce qui est et ce qui n'est pas ;
et, comme il exigeait la foi à sa parole, il a autorisé sa parole. Mais comment
l'a-t-il autorisée ? En Dieu, non point en homme; par des œuvres, non par des
raisons : non in sermone, sed
in virtute ; non par les arguments d'une
philosophie humainement persuasive : non in persuasibilibus
humanae sapientiae verbis, mais par le déploiement d'une puissance toute
divine : sed in ostensione
spiritus et virtutis.
Et pourquoi ? En voici la raison profonde : Ut fides
non sit in sapientia hominum, sed in virtute Dei : afin que la foi soit fondée non sur la
sagesse de l'homme, mais sur la force de Dieu (1). On ne le
316
veut plus ainsi aujourd'hui ; on nous dit qu'en Jésus-Christ le théurge
fait tort au moraliste, que le miracle est
une tache dans ce sublime idéal. Mais on n'abolira point cet ordre, on
n'abolira ni l'Evangile ni l'histoire. N'en déplaise aux lettrés de notre
siècle, n'en déplaise aux pusillanimes qui se font leurs
complaisants, non seulement le
Christ a fait des miracles, mais il a fondé la foi sur des miracles ; et le même Christ, non pas pour confirmer ses propres miracles
qui sont l'appui des autres, mais par pitié
pour nous qui sommes prompts à l'oubli,
et qui sommes plus impressionnés de ce
que nous voyons que de ce que nous
entendons, le même Jésus-Christ a mis dans l'Eglise, et pour jusqu'à la fin, la
vertu des miracles. Notre siècle en a vu, il en verra encore ; le quatrième
siècle eut principalement ceux de Martin.
« Opérer des prodiges semblait un
jeu pour lui ; la nature entière pliait à son commandement. Les animaux lui
étaient soumis : a Hélas! s'écriait un jour le saint,
les serpents m'écoutent, et les hommes refusent de m'entendre. » Cependant les
hommes l'entendaient souvent. Pour sa part, la Gaule entière l'entendit ; non
seulement l'Aquitaine, mais la Gaule Celtique, mais la Gaule Belgique. Comment
résister à une parole autorisée par tant de prodiges? Dans toutes ces
provinces, il renversa l'une après l'autre toutes les idoles, il réduisit les
statues en poudre, brûla et démolit tous les temples, détruisit tous les bois
sacrés, tous les repaires de l'idolâtrie. Etait-ce légal, me demandez-vous ? Si
j'étudie la législation de Constantin et de Constance, cela l'était peut-être.
Mais ce que je puis dire, c'est que Martin, dévoré du zèle de la maison du
Seigneur, n'obéissait en
317
cela qu'à l'Esprit de Dieu. Et ce
que je dois dire, c'est que Martin, contre la fureur de la population païenne,
n'avait d'autres armes que les miracles qu'il opérait, le concours visible des
anges qui lui était parfois accordé, et enfin, et surtout, les prières et les
larmes qu'il répandait devant Dieu lorsque l'endurcissement de la multitude
résistait à la puissance de sa parole et de ses prodiges. Mais, avec ces
moyens, Martin changea la face de notre pays. Là où il y avait à peine un
chrétien avant son passage, à peine restait-il un infidèle après son départ.
Les temples du Dieu vivant succédaient aussitôt aux temples des idoles; car,
dit Sulpice Sévère, aussitôt qu'il avait renversé les asiles de la
superstition, il construisait des églises et des monastères. C'est ainsi que
l'Europe entière est couverte de temples qui ont pris le nom de Martin (1). »
La mort ne suspendit pas ses
bienfaits ; eux seuls expliquent le concours ininterrompu des peuples à sa
tombe bénie. Ses nombreuses fêtes au cours de l'année, Déposition ou Natal,
Ordination, Subvention, Réversion, ne parvenaient point à lasser la piété des
fidèles. Chômée en tous lieux (2), favorisée par le retour momentané des beaux
jours que nos aïeux nommaient l'été de la Saint-Martin, la solennité du XI
novembre rivalisait avec la Saint-Jean pour les réjouissances dont elle était
l'occasion dans la chrétienté latine. Martin était la joie et le recours
universels.
Aussi Grégoire de Tours n'hésite
pas à voir dans son bienheureux prédécesseur le patron
318
spécial du monde entier
(1) ! Cependant moines et clercs, soldats, cavaliers, voyageurs et hôteliers en
mémoire de ses longues pérégrinations, associations de charité sous toutes
formes en souvenir du manteau d'Amiens, n'ont point cessé de faire valoir leurs
titres aune plus particulière bienveillance du grand Pontife. La Hongrie, terre
magnanime qui nous le donna sans épuiser ses réserves d'avenir, le range à bon
droit parmi ses puissants protecteurs. Mais notre pays l'eut pour père : en la
manière que l'unité de la foi fut chez nous son œuvre, il présida à la
formation de l'unité nationale ; il veille sur
sa durée; comme le pèlerinage de Tours précéda celui de Compostelle en
l'Eglise, la chape de saint Martin conduisit avant l'oriflamme de saint Denis
nos armées au combat (2). Or donc, disait Clovis, « où sera l'espérance de la
victoire, si l'on offense le bienheureux Martin (3) ? »
Lisons le récit de l'Eglise, qui
s'étend avec complaisance sur les derniers moments de son illustre fils,
vraiment dignes en effet d'être admirés par tous.
Martin était né à Sabarie en Pannonie. Comme il atteignait sa dixième année,
il courut malgré ses parents à l'Eglise et s'y fit inscrire parmi les
catéchumènes. Parti à quinze ans pour l'armée, il servit sous Constance d'abord et ensuite sous
Julien. Un jour qu'à Amiens , un pauvre mendiant nu lui demandait l'aumône au
nom de Jésus-Christ, n'ayant rien que ses armes et le vêtement dont il était
couvert, il partagea sa chlamyde avec le pauvre. Or, la nuit suivante,le Christ lui apparut couvert de cette moitié de manteau,
et il disait : Martin catéchumène m'a revêtu de ce vêtement.
A dix-huit ans, il fut
baptisé. Renonçant dès lors à la vie militaire, il se rendit près d'Hilaire,
évêque de Poitiers, qui le mit au nombre des acolythes
de son église. Fait par la suite évêque de Tours, il mena une vie très sainte
avec quatre-vingts moines, dans le monastère qu'il y bâtit. Saisi à Cande, bourg de son diocèse, d'une fièvre très grave, il
priait instamment Dieu qu'il le délivrât de cette prison mortelle. Ce
qu'entendant, ses disciples le suppliaient : Père, pourquoi nous
abandonnez-vous? à qui nous laissez-vous dans notre
malheur? Et Martin, ému de leurs larmes, disait à Dieu : Seigneur, si je suis
encore nécessaire à votre peuple, je ne refuse pas le travail.
Et comme, malgré la violence
de la fièvre, ses disciples le voyaient prier constamment tourné vers le ciel,
ils le supplièrent de se laisser changer de position quelque temps, pour que le
mal prît quelque relâche et lui permît de reposer. Mais Martin: Laissez-moi,
dit-il, regarder le ciel plutôt que la terre, pour que mon âme sur le départ
trouve son chemin vers le Seigneur. Comme la mort approchait, voyant l'ennemi
du genre humain, il dit : Que fais-tu là, bête cruelle ! tu ne trouveras rien en moi pour toi. Ce fut en prononçant
ces mots, qu'âgé de quatre-vingt-un ans, il rendit à Dieu son âme. Elle fut
reçue par le chœur des Anges, dont plusieurs personnes ouïrent les divines
mélodies, spécialement l'évêque de Cologne saint Séverin.
Nous donnons ici les belles
Antiennes des Vêpres de la fête. Les cinq premières sont composées de passages
de Sulpice Sévère en sa lettre à Bassula, où il
raconte la mort du bienheureux, complétant ainsi le livre qu'il avait écrit de
la Vie de saint Martin pendant que celui-ci vivait encore.
321
ANTIENNES.
Ses disciples dirent au
bienheureux Martin : Père, pourquoi nous abandonnez-vous? à
qui nous laissez-vous dans notre malheur ? Des loups ravisseurs se jetteront
sur votre troupeau.
Seigneur, si je suis encore
nécessaire à votre peuple, je ne refuse pas le travail : qu'il en soit ce que
décidera votre volonté.
Homme ineffable! ni le labeur ne l'a vaincu, ni la mort ne le saurait
vaincre, ne craignant point de mourir , ne refusant point la vie.
Les yeux et les mains
continuellement levés vers le ciel, l'esprit infatigable, il ne donnait nulle
trêve à sa prière. Alléluia.
Martin est accueilli au sein
d'Abraham dans la joie; Martin, pauvre et humble ici-bas, fait son entrée au
ciel dans l'abondance , célébré par les chants des
cieux.
O bienheureux homme, dont
l'âme est en possession du paradis ! Aussi les Anges tressaillent, les
Archanges se réjouissent, le chœur des Saints publie sa gloire, les Vierges
l'entourent et elles disent : Demeurez avec nous toujours.
O bienheureux Pontife, qui
par toutes les fibres de son être aimait le Christ Roi, et ne redoutait point
les puissants de ce monde! ô âme très sainte, que le
glaive du persécuteur n'a point séparée de son corps, et qui pourtant n'a pas
perdu la palme du martyre.
L'un des plus illustres et dévots
clients de saint Martin, saint Odon, Abbé de Cluny, composa en son honneur
l'Hymne suivante. Les fidèles trouveront aux Communs de leurs livres d'Offices
l'Hymne plus ancienne, Iste Confessor, à la rédaction modifiée depuis il est vrai,
mais qui, primitivement, chanta l'Evêque de Tours et les miracles opérés au
tombeau de ce premier des justes non martyrs honorés dans l'Eglise entière.
HYMNE.
Christ Roi, de Martin la
gloire : vous êtes sa louange, il est la vôtre ; vous honorer en lui, comme lui-même
en vous, est notre désir.
Vous qui d'un pôle à l'autre du monde faites briller la perle des Pontifes, délivrez-nous
par son très grand mérite des lourds péchés qui nous oppressent.
Il était pauvre ici-bas et humble : et voici
qu'au ciel il fait son entrée dans l'abondance, que les phalanges des cieux
viennent au-devant de lui, que toute langue, toute tribu, toute nation
applaudit au triomphe.
Comme avait fait sa vie,
resplendit sa mort, admiration de la terre et des cieux : pour tous, c'est acte
pie que se réjouir ; pour tous que ce jour soit un jour de salut.
Martin, l'égal des Apôtres,
bénissez-nous célébrant votre fête : jetez sur nous les yeux, vous qui pour vos
disciples demeurez prêt à vivre comme à mourir.
Faites maintenant ce que vous
fîtes autrefois : des Pontifes faites briller les vertus, de l'Eglise
accroissez la gloire, de Satan déjouez les embûches.
Vous qui trois fois avez
dépouillé l'abîme, sauvez ceux que leurs fautes ont engloutis; en souvenir du
manteau partagé, revêtez-nous de justice.
Et vous rappelant cette
gloire qui dans le temps fut vôtre à titre spécial, de l'Ordre monastique
aujourd'hui presque éteint montrez-vous le secours.
Gloire soit à la Trinité,
dont par sa vie Martin fut le confesseur ;
puisse-t-il faire que chez
nous aussi la foi en soit appuyée par
les oeuvres. Amen.
Amen.
Adam de Saint - Victor consacre
au grand Evêque de Tours une de ses plus enthousiastes productions.
SÉQUENCE.
Sion, sois dans la joie en
célébrant le jour où Martin, l'égal des Apôtres,triomphant
du monde, est couronné parmi les habitants des cieux.
C'est lui Martin, l'humble et
le pauvre, le serviteur prudent, le fidèle économe : au ciel, à lui la richesse
et la gloire, devenu qu'il est concitoyen des Anges.
C'est lui Martin, qui catéchumène
revêt un pauvre, et le Seigneur, dès la nuit suivante, a revêtu le manteau.
C'est lui Martin, qui
dédaignant les armes, offre d'aller sans nulle défense au-devant des ennemis ;
car il est baptisé.
C'est lui Martin, qui offrant
l'hostie sainte, s'embrase au dedans par la divine grâce, tandis qu'un globe de
feu apparaît sur sa tête.
C'est lui Martin, qui ouvre
le ciel, commande à l'océan, donne des ordres à la terre, guérit les maladies,
chasse les monstres, ô l'homme incomparable !
C'est lui Martin, qui ne
craignit point de mourir, qui ne refusa point le labeur de vivre, et de la
sorte à la divine volonté s'abandonna tout entier.
C'est lui Martin, qui ne
nuisit à personne ; c'est lui Martin, qui fit du bien à tous ; c'est lui
Martin, qui plut à la trine Majesté.
C'est lui Martin, qui
renverse les temples, lui qui instruit dans la foi les gentils, et de ce qu'il
enseigne leur donne en ses œuvres l'exemple.
C'est lui Martin, qui sans
pareil en mérites, rend la vie à trois morts ; maintenant il voit Dieu pour
toujours.
O Martin, pasteur excellent,
ô vous qui faites partie de la céleste milice, défendez-nous contre la rage du
loup furieux.
O Martin, faites maintenant
comme autrefois : offrez pour nous à Dieu vos prières ; souvenez-vous , pour ne jamais l'abandonner, de cette nation qui est
vôtre.
Amen.
O saint Martin, prenez en pitié
la profondeur de notre misère ! L'hiver, un hiver plus funeste que celui où
vous partagiez votre manteau, sévit sur le monde ; beaucoup périssent dans la
nuit glaciale causée par l'extinction de la foi et le refroidissement de la
charité. Venez en aide aux malheureux dont le fatal engourdissement ne songe
pas à demander de secours. Prévenez-les sans attendre leur prière, au nom du
Christ dont se recommandait le pauvre d'Amiens, tandis qu'eux n'en savent plus
trouver le nom sur leurs lèvres. Pire que celle du mendiant est cependant leur
nudité, dépouillés qu'ils sont du vêtement de la grâce que se transmettaient,
après l'avoir reçu de vous, leurs pères.
Combien lamentable est devenu
surtout le dénuement de ce pays de France, que vous aviez rendu riche autrefois
des bénédictions du ciel, et dans lequel vos bienfaits furent reconnus par de
telles injures ! Daignez considérer pourtant que nos jours ont vu commencer la
réparation, près du saint tombeau rendu à notre culte filial. Ayez égard à la
piété des grands chrétiens dont le cœur sut se montrer, comme la générosité des foules, à la hauteur
des plus vastes projets; voyez, si réduit que le nombre en demeure encore, les pèlerins
reprenant vers Tours le chemin que peuples et rois suivirent aux meilleurs
temps de notre histoire.
Cette histoire qui fut celle des
beaux jours de l'Eglise, du règne du Christ Roi, ô Martin, serait-elle finie?
Laissons l'ennemi sceller déjà en pensée notre tombe. Mais le récit de vos
prodiges nous apprend qu'il vous appartient de redresser sur leurs pieds les
morts mêmes. Le catéchumène de Ligugé n'était-il pas rayé du nombre
des vivants (1), quand vous le rappelâtes à la vie, au baptême ? Fussions-nous
comme lui déjà parmi ceux dont le Seigneur ne se souvient plus (2),
l'homme ou le pays qui a Martin pour protecteur et pour père ne saurait
abandonner l'espérance. Si vous daignez garder souvenir de nous, les Anges
viendront redire au Juge suprême : C'est celui-là, c'est la nation, pour
qui Martin prie ; et ils recevront l'ordre de nous retirer des lieux obscurs où
végètent les peuples sans gloire, pour nous rendre à Martin, aux nobles
destinées que nous valut sa prédilection (3).
Nous savons néanmoins que votre
zèle pour l'avancement du règne de Dieu ne connut pas de frontières. Inspirez
donc, fortifiez, multipliez les apôtres qui poursuivent sur tous les points du
monde, comme vous le fîtes chez nous, les restes de l'infidélité. Ramenez
l'Europe chrétienne, où votre nom est demeuré si grand, à l'unité que l'hérésie
et le schisme ont détruite pour le malheur des nations. Malgré tant d'efforts
contraires,
328
gardez à son poste d'honneur, à ses
traditions de vaillante fidélité, le noble pays où vous naquîtes. Puissent
partout vos dévots clients éprouver que le bras de Martin suffit toujours à
protéger ceux qui l'implorent.
Au ciel aujourd'hui, chante
l'Eglise, « les Anges sont dans la joie, les Saints publient votre gloire, les
Vierges vous entourent et elles disent: « Demeurez avec nous toujours (1) ! »
N'est-ce pas la suite de ce que fut votre vie sur terre, où vous et les vierges
rivalisiez d'une vénération si touchante (2); où Marie leur Reine, accompagnée
de Thècle et d'Agnès, se complaisait à passer déjà de longues heures
en votre cellule de
Marmoutier, devenue, nous
dit votre historien, l'égale des pavillons des Anges (3) ? Imitant
leurs frères et sœurs du ciel, vierges et moines, clercs et pontifes
se tournent vers vous, sans nulle crainte que leur multitude ne nuise à aucun
d'eux à vos pieds, sachant que votre seule vie suffit à les éclairer tous, qu'un regard de Martin leur
assurera les bénédictions du Seigneur.
Originaire d'Egypte, le soldat Mennas devint, après son martyre, le protecteur
d'Alexandrie. Il n'est pas rare de rencontrer, encore aujourd'hui, des ampoules
rapportées autrefois par les pèlerins qui les remplissaient de l'huile brûlant
à son tombeau. Disons avec l'Eglise :
ORAISON.
Accordez à notre prière, Dieu tout-puissant, que nous,
qui célébrons la naissance au ciel du bienheureux Mennas
votre Martyr, soyons par son intercession fortifiés dans l'amour de votre nom.
Par Jésus-Christ.