LE XIX NOVEMBRE. SAINTE ELISABETH DE HONGRIE, DUCHESSE DE THURINGE.
Bien que tous les élus
resplendissent au ciel d'un éclat propre à chacun d'eux, Dieu se complaît à les
grouper par familles, comme il le fait dans la nature pour les astres du
firmament. C'est la grâce qui préside à ce groupement des constellations dans
le ciel des Saints ; mais parfois Dieu semble vouloir nous rappeler ici que
nature et grâce l'ont pour commun auteur ; et les conviant malgré la chute à
l'honorer ensemble dans ses élus, il fait de la sainteté comme un patrimoine
auguste que se transmettent de générations en générations les membres d'une
même famille de la terre (1). Parmi ces races bénies ne le cède à aucune la
royale lignée qui, de l'antique Pannonie, étendit sur le monde aux meilleurs
temps de la chrétienté l'ombre de ses rameaux ; riche en vertu, éprise du
beau, comme parle l'Ecriture, portant la paix dans ces maisons couronnées
de la vieille Europe que tant d'alliances avaient rendues siennes (2), les noms
qu'elle inscrivit au livre d'or des bienheureux perpétuent sa gloire.
Mais, de ces noms illustres, entouré d'eux comme un
diamant serti d'une couronne de perles,
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le plus grand pour l'Eglise et les
peuples est celui de l'aimable Sainte, mûre pour le ciel à vingt-quatre ans,
qui rejoint aujourd'hui les Etienne, les Emeric et les Ladislas. Elisabeth ne
demeura pas au-dessous de leurs mâles vertus; mais la simplicité de son âme
aimante imprégna l'héroïsme de sa race comme d'une huile parfumée dont la
senteur, se répandant sous tous les cieux, entraîne dans la voie des
Bienheureux et des Saints, avec sa fille Gertrude de Thuringe, sa tante Hedwige
de Silésie, et ses cousines ou nièces et petites-nièces Agnès de Bohême,
Marguerite de Hongrie, Cunégonde de Pologne, Elisabeth de Portugal.
Le Dieu des humbles sembla
vouloir rivaliser avec toute la poésie de ces temps chevaleresques, pour
idéaliser dans la mémoire des hommes la douce enfant qui ,
transplantée , fleur à peine éclose, delà cour de Hongrie à celle de Thuringe,
ne sut qu'aimer et se dévouer pour lui. Quelle fraîcheur d'idylle, mais d'une
idylle du ciel, en ces pages des contemporains où nous est racontée la vie de
la chère Sainte avec l'époux si tendrement aimé qui fut le digne témoin des
extases de sa piété sublime et naïve, le défenseur envers et contre tous de ses
héroïques et candides vertus ! Aux intendants qui se plaignent que, dans une
absence du duc Louis, elle a malgré eux épuisé le trésor pour les pauvres : «
J'entends, dit-il, qu'on laisse mon Elisabeth agir à sa guise ; qu'elle donne
tout ce qu'elle voudra, pourvu qu'elle me laisse la Wartbourg et
Naumbourg. »
Aussi le Seigneur, ouvrant les
yeux du landgrave, lui montrait sous la forme de roses, dignes déjà des
parterres du ciel, les provisions qu'Elisabeth portait aux malheureux dans son
manteau.
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Jésus lui-même apparaissait en
croix dans le lépreux qu'elle recueillait en ses appartements pour le soigner
plus à l'aise. S'il arrivait que d'illustres hôtes survenant à l'improviste, la
duchesse dont les bijoux passaient comme le reste en aumônes se trouvât
dépourvue de la parure qui eût convenu pour leur faire honneur, les Anges y
suppléaient si bien qu'aux yeux émerveillés des visiteurs, selon le dire des
chroniqueurs allemands de l'époque, la reine de France n'eût pas été plus admirablement belle, plus richement parée.
C'est qu'en effet Elisabeth
entendait ne se dérober à aucune des obligations ni convenances de sa situation
de princesse souveraine ou d'épouse. Aussi gracieusement simple en ses vertus
qu'affable pour tous, elle s'étonnait de l'attitude sombre et morose que
plusieurs affectaient dans leurs prières ou leurs austérités : « Ils ont l'air
de vouloir épouvanter le Bon Dieu (1), disait-elle, tandis qu'il aime celui qui
donne joyeusement (2). »
Le temps, hélas ! vint vite pour elle de donner sans compter. Ce fut d'abord
le départ en croisade du duc Louis, son époux, dont il sembla qu'elle ne se
pourrait jamais séparer; puis la scène déchirante où lui fut annoncée sa mort,
au moment où pour la quatrième fois elle venait d'être mère ; enfin l'acte
d'odieuse félonie par lequel Henri Raspon, l'indigne frère du landgrave,
trouvant l'occasion bonne pour s'emparer des états du défunt, chassa ses
enfants et sa veuve, avec défense à qui que ce fût de les recevoir. Dans
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ce pays où toute misère avait
éprouvé ses bontés, Elisabeth dut mendier, en butte à mille rebuts, le pain des
pauvres enfants, réduits comme elle à se contenter pour gîte d'une étable à
pourceaux.
L'heure des réparations devait
sonner avec le retour des chevaliers partis en la compagnie du duc Louis. Mais Elisabeth , devenue l'amante passionnée de la sainte
pauvreté, resta parmi les pauvres. Première professe du Tiers-Ordre séraphique,
le manteau que saint François lui avait envoyé
comme à sa très chère fille demeura son unique trésor. Bientôt les sentiers du
renoncement absolu l'eurent conduite au terme. Celle que, vingt ans auparavant,
on apportait dans un berceau d'argent à son fiancé vêtue de soie et d'or,
s'envolait à Dieu d'une masure de terre glaise, n'ayant pour vêtement qu'une
robe rapiécetée ; les ménestrels dont les assauts de gai savoir avaient rendu
fameuse l'année de sa naissance n'étaient plus là,mais on entendit les Anges
qui chantaient, montant vers les cieux : Regnum mundi contempsi, propter
amorem Domini mei Jesu Christi, quem vidi, quem amavi, in quem credidi,quem
dilexi (1).
Quatre ans après, Elisabeth,
déclarée Sainte par le Vicaire de Jésus-Christ, voyait tous les peuples du
Saint-Empire, empereur en tête, affluer à Marbourg où elle reposait au milieu
de ces pauvres dont elle avait ambitionné la vie. Son corps sacré fut remis à
la garde des chevaliers Teutoniques, qui reconnurent l'honneur en faisant de
Marbourg un chef-lieu de l'Ordre, et en élevant à la Sainte la première église
ogivale que
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l'Allemagne ait possédée. De
nombreux miracles y attirèrent longtemps l'univers chrétien.
Et maintenant, bien que toujours
debout, toujours belle en son deuil, Sainte-Elisabeth de Marbourg ne connaît
plus que de nom celle qui fut sa gloire. A la Wartbourg embaumée des grâces de
la chère Sainte, où s'écoula au milieu des plus suaves épisodes sa vie d'enfant
et d'épouse, le grand souvenir qu'on montre au voyageur est la chaire d'un
moine en rupture de ban, et la tache d'encre dont, en un jour de démence ou
d'ivresse, il salit les murs, comme il devait de sa plume tenter de tout
profaner et souiller dans l'Eglise de Dieu.
Il est temps d'écouter le récit liturgique de la fête.
Elisabeth, fille d'André roi
de Hongrie, commença dès l'enfance à craindre Dieu, et la piété grandit en elle
avec l’âge. Mariée à Louis, landgrave de Hesse et de Thuringe, son zèle ne fut
pas moindre au service de Dieu qu'en celui de son époux. Elle se levait de nuit
et priait longtemps ; elle exerçait les différentes œuvres de miséricorde, se
dévouant à soulager les veuves, les orphelins, les malades, les indigents,
donnant tout le blé de ses greniers quand sévissait la disette. Recueillant les
lépreux, elle leur baisait les mains et les pieds. Elle construisit un bel hospice pour soigner et nourrir les
pauvres.
Quand son époux fut mort,
pour servir Dieu plus librement, elle mit de côté tous les ornements de la
gloire mondaine, se couvrit d'une tunique grossière et embrassa l'Ordre des
Pénitents de saint François. La patience et l'humilité furent ses plus
remarquables vertus. Dépouillée de tous ses biens ,
chassée de sa demeure, abandonnée par tous, on la vit supporter les injures,
les moqueries, les injustes reproches, sans que son cœur en fût troublé,
grandement joyeuse d'avoir à souffrir de tels excès pour Dieu. S'abaissant aux
plus viles occupations près des pauvres et des malades, elle leur procurait ce
dont ils avaient besoin et se contentait d'herbes et de légumes pour sa propre
nourriture.
Ainsi se passait donc sa vie
très sainte en ces bonnes œuvres et beaucoup d'autres, quand arriva enfin le
terme de son pèlerinage. Elle l'annonça aux personnes qui vivaient en sa
compagnie ; ses yeux absorbés dans la divine contemplation se fixèrent au ciel
; divinement consolée, munie des sacrements,
elle s'endormit dans le Seigneur. Aussitôt de nombreux miracles
éclatèrent à sa tombe. Sur leur renommée, Grégoire IX, ayant procédé aux
enquêtes régulières, l'inscrivit parmi les Saints.
L'Allemagne chantait au XIV°
siècle l'Hymne qui suit en l'honneur de
sainte Elisabeth.
HYMNE.
L'Eglise en accents mélodieux
offre à Dieu la louange ; Sion est dans la joie ; la mère fait
fête à son illustre fille s'élevant du fond de la vallée de misère.
De royale descendance, enfant
encore elle est fiancée ; les plus beaux dons l'ornent pour l'époux auquel elle
est unie : union dont la pureté répond à ses vœux.
Fidélité, fécondité, grâce du
sacrement consacrent ce mariage ; qu'il la conduise au ciel où sont ses pères,
la preuve en est dans sa sainteté
croissante.
Bien donc que soumise à la
loi de la chair, l'esprit en elle ne s'y éteignit pas ; fidèle à des
engagements sacrés, elle ne négligea pas les inspirations qu'elle recevait de
Dieu dans son cœur.
Des pauvres elle se fit la
bienheureuse et noble nourricière , n'ayant aux pompes
du monde nul égard, non plus qu'à la gloire des aïeux, crucifiant les vices en
sa chair mortifiée.
Comme à Jahel Sisara (1), l'ennemi de l'innocence lui demande un peu d'eau
; mais trompé par le lait qu'elle lui donne en breuvage, elle le transperce
avec le clou de la pénitence, sauvant ainsi son renoncement et sa vertu.
Son époux mort, elle
dépouille sans jamais en avoir été souillée la mondanité : celle qui depuis
longtemps a revêtu le Christ en son âme, donne un sac à son corps pour vêtement
; comme une lampe ardente elle resplendit au milieu de ce siècle.
Elle se procure au prix de la
pauvreté les véritables richesses ; elle répand du trésor de sa piété des flots
d'or : de combien de malheureux n'a-t-elle pas secouru l'indigence !
Pour elle, elle gagne son
pain en travaillant et en filant ; vile à ses propres yeux, elle dédaigne de se
voir abaissée, n'ignorant pas qu'à vous seul, Christ, est due légitimement la
gloire.
Gloire soit à vous, ô bon
Jésus, maintenant et toujours vous qui fidèlement aidez les combattants du bon
combat, et donnez en récompense au vainqueur vaillant la couronne.
Amen.
Quelle leçon vous laissez à la
terre en montant au ciel, ô bienheureuse Elisabeth ! Nous le demandons avec
l'Eglise pour nous et tous nos frères dans la foi : puissent vos prières
glorieuses obtenir de Dieu miséricordieux que nos cœurs s'ouvrent à la lumière
des enseignements de votre vie, et méprisent le bonheur du monde pour n'estimer
que les consolations célestes (1). L'Evangile nous le dit aujourd'hui même à
votre honneur : Le royaume des cieux est semblable à un trésor caché, à une
perle sans prix ; l'homme sage et entendu en affaires vend tout ce qu'il a pour
s'assurer le trésor ou la perle (2). Bon négoce dont vous eûtes
l'intelligence, atteste l'Epître (3) , et qui fit
autour de vous la fortune de tous : de vos heureux sujets, dont il secourut les
corps et releva les âmes; de votre noble époux siégeant, grâce à vous, en bon
lieu parmi les princes qui surent échanger un diadème périssable pour la
couronne éternelle; de tous les vôtres enfin, dont vous êtes la plus douce
gloire,
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dont plusieurs vous suivirent de si
près sur le chemin du renoncement qui conduit aux cieux. Pourquoi faut-il que
d'autres, en un siècle de ruine, aient abdiqué leur titre de fils des Saints,
entraînant après eux les peuples à faire litière des plus suaves souvenirs
comme des plus nobles traditions ? Daigne le Seigneur rendre à son Eglise et à
vous-même le pays qui fut pour vous celui de son amour ; puissent vos
supplications se joindre aux nôtres en ce jour, et ramener l'antique foi dans
ces rameaux de votre descendance que ne parcourt plus la sève du salut ; puisse
la glorieuse tige, en ses branches fidèles, nous donner toujours des Saints.
L'Eglise se recommande
aujourd'hui d'un saint Pape du temps des persécutions. Déporté par sentence de
l'empereur Maximin dans une île de la Méditerranée, il y souffrit d'indignes
traitements qui lui valurent la couronne du martyre. Fabien, deuxième
successeur de Pontien, ramena son corps au cimetière de Calliste.
ORAISON.
Dieu tout-puissant, regardez
notre infirmité, et parce que nous sommes accablés sous le poids de nos péchés,
faites que nous soyons fortifiés par la glorieuse intercession du bienheureux
Pontien. votre Martyr et Pontife. Par Jésus-Christ.